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PARMI les fléaux dont on se dit qu'ils contribuent à encore plus douloureusement frapper le continent africain, le SIDA n'est pas le dernier à faire des ravages. A quelques heures de Paris, 30 à 40% de la population du Rwanda et du Burundi est séropositive, 39% des femmes enceintes sont infectées. D'ici à l'an 2000, l'Afrique comptera entre dix et quinze millions d'orphelins de parents morts du SIDA.
Serge Moati, pour « Envoyé spécial », a rapporté de ces deux pays un reportage terrifiant, qui ne laisse que peu de place à l'espoir. La machine mortifère semble en route, que rien ne saurait arrêter.
Pourtant, de nombreuses campagnes de prévention sont menées. L'information passe par la réalisation de grands panneaux d'affichage autant que par des réunions, au cours desquelles médecins ou infirmiers tentent d'inculquer la pose et l'utilisation du préservatif. Las, on mesure le chemin qui reste à parcourir pour convaincre les utilisateurs potentiels lorsqu'on découvre que, pour nombre d'entre eux, c'est dans le préservatif que se cacherait… le diable. Aussi certains hommes en coupent-ils d'abord le bout pour permettre au diable de s'échapper.
« Mourir du SIDA ou de faim, quelle différence ? ». La jeune prostituée qui pose ainsi le problème en évoque l'une des causes essentielles. Dans ces pays de misère, dont la faillite doit beaucoup à la politique coloniale et néo-coloniale de l'Occident, la prostitution est pour nombre de femmes, fréquemment seules pour élever leurs enfants, l'un des seuls moyens de subvenir à leurs besoins. Aussi le disent-elles toutes : si un homme exige un rapport sans préservatif, elles préfèrent prendre le risque plutôt que de refuser l'acte et son paiement. Plus grave encore : pour ne pas se retrouver sans « travail », elles sont prêtes à ne rien dire de leur séropositivité et moins encore de la maladie déclarée.
Restent donc, après l'hécatombe, qui concerne quasiment toute la classe d'âge des personnes actives, les enfants orphelins.
Insupportables, les images de Serge Moati. Des fratries entières, sans plus de père ni de mère, se retrouvent livrées à elles-mêmes, affamées, sans école, sans amour. Des bébés aux adolescents, tous errent à la recherche d'un moyen de survivre. Ainsi ceux-là, dont la maison est une ruine, car ils ont peu à peu récupéré le bois dont elle était faite, pour le vendre et s'assurer au moins quelques repas. Ou ceux-ci, dont l'unique pièce est louée par les enfants comme bordel, comme en témoignent les préservatifs usagés qui traînent au sol. Et ce bébé d'un an, qui n'a jamais connu rien d'autre que la chambre d'hôpital dans laquelle sa mère, malade du SIDA, est en train de s'éteindre. Enfants qui suivent les enterrements, qui donnent l'extrême-onction à leurs parents. Famine, SIDA, absence de refuge : la mort sans trêve saisit le vif.
Il y a bien, çà et là, quelques actes de solidarité, comme ceux de ces instituteurs qui s'arrangent pour maintenir un semblant de scolarisation ou ces enfants d'un village, décidés à ne pas laisser tomber leurs copains.
En ces pays, très fortement soumis à l'idéologie de l'Eglise catholique, on découvre de dramatiques contradictions. Ainsi, une femme africaine, magnifique de chaleur humaine, a recueilli une cinquantaine d'enfants. Elle leur offre, sans compter, le gîte, le couvert et surtout l'amour maternel qu'ils ne devaient pas connaître. Devant cette séquence bouleversante, les larmes vous montent aux yeux, jusqu'au moment où cette femme, si généreuse, se change en furie pour parler du SIDA, maladie qui punit les femmes légères pour lesquelles, dit-elle, elle n'a aucune pitié.
Terrifiant !
Sylvie Steinebach.