Fiche du document numéro 11754

Num
11754
Date
Lundi 2 février 1998
Amj
Taille
2606955
Titre
Mission Amaryllis, un sauvetage sélectif par l'armée française
Sous titre
Avril 1994 : seuls les expatriés furent protégés
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L U N D

F.sE :hR 3 E.

MONDE

159%9 2:89



ission Amaryllis, un sauvetage

sélectif par l’armée française
Avril 1994: seuls les expatriés purent protégés.

a famille est étendue sur le sol. Le père, la mère, lesen-
fants. Ils sont tutsis ou amis de Tutsis. Autour d’eux,
des Hutus surexcités. Un homme s'approche de lun
des petits et lui fend le crâne d’un coup de machette.
C’est la curée, au cœur de Kigali. A quelques mètres de là, des
soldats français assistent à la scène. Ils sont armés, mais ne
bougent pas. Leur officier, un béret rouge pistolet au poing,
n'a pas besoin de leur rappeler les ordres qu’ils ont reçus: les
seules vies qu’ils doivent sauver sont celles des expatriés. De
telles scènes ont souvent été décrites par les témoins.
En avril 1994, les Africains peuvent massacrer librement
d’autres Africains, ce n’est pas l'affaire de la France. Paris en
a temporairement décidé ainsi. Les paras resteront une se-
maine dans un payssur lequel
«souffle un vent de folie», selon} |
lestermesd’unofficier, quipar- !
le de «véritable génocide perpétré
par certaines unités militaires et
par les milices hutues». «Nous
avons vu des traces de massacres
en grande quantité. Il y avait
beaucoup de victimes, mais on
ne pouvait pas se rendre compte
du volume exact des massacres»,
témoignent des militaires fran-
çais, alors présents à Kigali. «En
tout cas, personne ne parlait de
génocide», ajoutent-ils.
800000 morts. Le 17 avril,
les derniers paras abandonnent
Kigali. L'opération Amaryllis
est terminée, les tueries se
poursuivent. Il y aura environ
800000 morts, estime-t-on au-
jourd’hui. De 1990 à 1994, l’im-
plication de l’armée française
dans le drame rwandais peut
être découpée en trois périodes,
dont chacune porte le nom
d’une opération: Noroît, Ama-
ryllis et Turquoise.
Noroît, d’abord. Du 4 octobre *
1990 à novembre 1993, cette
opération vise à soutenir le régime hutu du président Ha-
byarimana contre les «rebelles» tutsis du FPR. Les Français
forment, équipent et conseillent les forces armées rwan-
daises (FAR) et, occasionnellement, font le coup de feu. A la
suite des accords de paix d’Arusha, les soldats français s’en
vont, à l'exception de 24 conseillers de l’Aide militaire tech-
nique. Ils cèdent la place aux Casques bleus de la Minuar, qui
resteront terrés dans leurs camps au plus fort des massacres.
Le 22 juin 1994, les militaires français reviennent massive-
ment au Rwanda. La mission fixée par ONU est d’«assurer,
de manière impartiale, la sécurité et la protection des popula-
tions menacées». C’est l'opération Turquoise, qui s'achève le
22 août. L'armée française se retrouve plongée dans une
crise humanitaire majeure.
Entre ces temps forts, l’opération Amaryllis, du 9 au 17 avril
1994. Celle dont personne n’aime se souvenir. «Notre mis-
sion est une mission strictement humanitaire pour permettre
aux ressortissants français de quitter le Rwanda», explique
alors Michel Roussin, ministre de la Coopération. Une mis-



ti 11 avril 1994: Duaion de ressortissants français à Kigali.

hommes du 8° RPIMa. Des équipes du 1e RPIMa, le régi-
ment des coups tordus en Afrique, sont également achemi-
nées. Au total, un demi-millier d'hommes À
«Tension extrême.» Trois jours durant, les paras circulent.
à bord de véhicules réquisitionnés dans une ville en proie
aux massacres. «{l y avait des barrages tous les cinquan
mètres. Des types nous saluaient avec leur machette, des ca-
davres à leurs pieds», raconte un témoin. «Les militaires qui
débarquaient au Rwanda étaient plutôt étonnés par la situa=
tion, mais ils faisaient leur boulot: sauver les expatriés», pour=
suit-il. «L'évacuation s'effectue dans un climat de tensio
extrême», affirme un militaire...

Le 10 avril, 400 parachutistes belges et 100 Italiensarrivent à
Kigali. Les Français se re-
plient sur l'aéroport et lais=
sent à leurs alliés le soin dere-
cueillir les derniers expatrié
belges. Thierry, Belge née
Afrique, raconte: «J’accom
pagnais des parachutistes
belges et nous avons été stoppés
à un barrage tenu par deslo=
caux. Ils en tapaient d'autres
la machette et empilaient l
cadavres. Personne n'a bou
gé.» «Des Rwandais deman=
daient d’être protégés et éva=
cués, mais les ordres n'avai
pas été donnés dans ce sens-là,
dit-il. Les militaires étaient
mal à l'aise, beaucoup vous
laient faire quelque chose.
tout cas, ils étaient bien
contents de partir.» Le
17 avril, les derniers Français
quittent Kigali, hormis
quelques éléments des f
spéciales. Selon l’armée,
1417 personnes, dont 44
Français, ont été évacuées.
Malaise des soldats. D
juin 1994, le journal de lar-.
mée de terre se fait l'échordur
malaise des militaires: «Amaryllis: plante bulbeuse à grandes
fleurs rouges. Rouge comme le bain de sang qui inonde le
Rwanda, peut-on lire. Un nom de code dont les hommes du 3e
RPIMa ont bien vite oublié la définition du Petit Robert, chas-
sée par les images d'horreur qu'ils ont encore à l'esprit, plusieurs
semaines après une mission effectuée au ph



«Des Tutsis
ontététués fort des massacres.»
souslesyeux Gérard Prunier (1), universitaire spécialis=
dessoldats, te du Rwanda, nes’embarrasse pas detell
français ou prudences: «L'évacuation bâclée est une
LE 4 lonte. Quelques Tutsis réussissent à embars
auxordres,ne duer à bord de camions pour l'aéroport:
réagissaient doivent descendre des véhicules au premi
pas.» barrage et sont massacrés sous les yeux des
Gérard soldats, français ou belges, qui, confor
Prunier, 5
Her mentauxordres, ne réagissent pas», affirme:

t-il. Un autre universitaire français, André

Guibsons Aou Kigali core ils’ pers aux |
militai iset del'am






ù 1990 à AOEMDTE 1993, cette
- opération vise à soutenir le régime hutu du président Ha-
us- byarimana contre les «rebelles» tutsis du FPR. Les Français
n- forment, équipent et conseillent les forces armées rwan-
s -daises (FAR) et, occasionnellement, font le coup de feu. A la
he. suite des accords de paix d’Arusha, les soldats français s’en
ar= vont, à l'exception de 24 conseillers de l'Aide militaire tech-
ce nique. Ils cèdent la place aux Casques bleus de la Minuar, qui
resteront terrés dans leurs camps au plus fort des massacres.
PI), Le22 juin 1994, les militaires français reviennent massive-
ment au Rwanda. La mission fixée par PONU est d’«assurer,
an- de manière impartiale, la sécurité et la protection des popula-
lille tions menacées». C’est l'opération Turquoise, qui s’achève le
22 août. L'armée française se retrouve plongée dans une
Ar- crise humanitaire majeure.
uia Entrecestemps forts, l'opération Amaryllis, du 9 au 17 avril
de 1994. Celle dont personne n’aime se souvenir. «Notre mis-
sion est une mission strictement humanitaire pour permettre
aux ressortissants français de quitter le Rwanda», explique
alors Michel Roussin, ministre de la Coopération. Une mis-
ble sion «humanitaire» qui va conduire les soldats français au
de cœur d'un génocide, avec l’ordre de rester l'arme au pied.
Le6 juin, l'avion du président rwandais Habyarimana, pilo-
… tépar des officiers français, est abattu au-dessus de Kigali.
Cetattentat, dont les auteurs n’ont jamais été identifiés, pro-
voque une explosion de violences. «}usqu’en 1993, notre pré-
sence permettait de maintenir les massacres à un niveau rai-
sonnable de quelques centaines de morts», prétendunofficier
… français. Ces violences, conjuguées à l'avancée des troupes _
«rebelles» du FPR en direction de la capitale, mettent en
danger la sécurité des 3 500 ressortissants occidentaux, dont
525 français. Une opération d'évacuation est décidée.
Dans la nuit du 7 au 8 avril, l’aéroport de Kigali passe sous le
_contrôle des soldats français de l’Assistance militaire tech-
nique (AMT), restés sur place après le «démontage» de
ération Noroît. À 2 heures, les premiers Transall se po-
. Les «paras colos» du 3e RPIMa débarquent, suivis des





VI

Dre










ur rouges. Fe comme le bain de sang qui nt le
Rwanda, peut-on lire. Un nom de code dont les hommes du 3°
RPIMa ont bien vite oublié la définition du Petit Robert, chas-
sée par les images d'horreur qu'ils ont encore à l'esprit, plusieurs
semaines après une mission effectuée au plus

«Des Tutsis
ontététués fort des massacres.»
souslesyeux Gérard Prunier (1), universitaire spécialis-
dessoldats, te du Rwanda, nes’embarrasse pas de telles
LOU prudences: «L'évacuation bâclée est une
, MALE À
LAN honte. Quelques Tutsis réussissent à embar-
auxordres,ne duer à bord de camions pour l'aéroport: ils
réagissaient doivent descendre des véhicules au premier
pas.» barrage et sont massacrés sous les yeux des
Gérard soldats, français ou belges, qui, conformé-
Prunier, ment aux ordres, ne réagissent pas», affirme-
universitaire

t-il. Un autre universitaire français, André
Guichaoua, alors à Kigali, raconte comment il s’opposaaux
militaires français et au personnel de l'ambassade, qui refu-
saient d’évacuer les enfants du Premier ministre assassiné.
L'opération Amaryllis fait peser sur la France, comme sur
l’ensemble dela communauté internationale, le soupçon de
non-assistance à personne en danger. Au nom des ordres re-
çus. «Avant de partir au Rwanda, je passai prendre mes ordres
chez Lanxade (l'amiral chef d'état-major des armées, ndlr),
puis mes consignes à l’'EMP (état-major particulier du prési-
dent de la République)», se souvient un officier.
Alors que letribunal pénal international d’Arusha poursuit
ses enquêtes sur les responsables du génocide, le ministère
français de la Défense «ramasse des informations» sur le
Rwanda de 1990 à 1994. En ce qui concerne Amaryllis, le
ministre Alain Richard n’aura pas à chercher trop loin. L'of-
ficier qui commandait l'opération est aujourd’hui chargé
des affaires africaines au sein de son cabinet militaire e
JEAN-DOMINIQUE MERCHET
(1) Gérard Prunier, Rwanda: le génocide. Ed. Dagorno, 150 francs.



A T I



O0 N 1 I



ES

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024