Fiche du document numéro 11138

Num
11138
Date
Janvier 2010
Amj
Taille
640974
Titre
Découverte d’une culture africaine et fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire français-kirundi du Père Van der Burgt (1903) entre ethnographie, exégèse biblique et orientalisme
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
2/10/2015

Découverte d’une culture africaine et fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire français-kirundi du Père Van der Burgt (1903) entre ethnographie, exégèse biblique et orientalisme

Afriques
Débats, méthodes et terrains d’histoire

01 | 2010 :
Les chemins de l’identité en Afrique du XVe au XXe siècle
Contacts linguistiques

Découverte d’une culture africaine et
fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire
français­kirundi du Père Van der Burgt (1903)
entre ethnographie, exégèse biblique et
orientalisme
JEAN­PIERRE CHRÉTIEN

Résumés
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Découverte d’une culture africaine et fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire français-kirundi du Père Van der Burgt (1903) entre ethnographie, exégèse biblique et orientalisme

Français English
Un des premiers regards extérieurs portés sur l’Afrique des Grands Lacs nous vient du Père blanc hollandais Van der Burgt, missionnaire au
Burundi. En 1903 il publie un dictionnaire encyclopédique français‑kirundi, dont l’influence sera durable auprès des lettrés de ce pays. Or cet
ouvrage est autant nourri d’une érudition ethnographique, historique et biblique mal contrôlée que d’enquêtes sur le terrain. Il exprime une
obsession raciale, celle de la quête des origines orientales des populations noires et, en particulier, de l’assimilation de la catégorie tutsi à une souche
hamito‑sémitique. Il est même tenté par des formes ésotériques de l’orientalisme qui le mènent jusqu’en Inde, en Polynésie ou aux révélations de la
mystique allemande Catherine Emmerich. La culture burundaise se retrouve capturée par cet imaginaire venu des bibliothèques européennes et elle
est décrite comme le fruit d’une dégénérescence, prolongeant le mythe de la malédiction de Cham.
One of the first exogenous looks on the Great Lakes region of Africa came from a missionary in Burundi, the Dutch White Father Van der Burgt.
He published in 1903 a French‑Kirundi encyclopaedic dictionary, which left a lasting influence on that countries scholarship. This book was both
based on fieldwork and poorly‑controlled ethnographic, historical and biblical scholarship. It expressed a peculiar racial obsession : the quest for
the Oriental origins of African populations and particularly the inclusion of the Tutsi category into a Hamito‑Semitic stock. Van der Burgt was
even influenced by esoteric forms of orientalism, which drove his thoughts as far as India, Polynesia, or the revelations of the German mystic
Catherine Emmerich. The Burundese culture was thus trapped by this imagination born out of the European libraries and it was described as the
result of degeneration, based on the myth of the curse of Ham.

Entrées d'index
Mots­clés : Pères blancs, théorie hamitique, race, orientalisme, colonisation
Keywords : Burundi, White Fathers, Hamitic theories, race, orientalism, colonisation
Géographique : Burundi, Grands Lacs

Texte intégral
1

L’exemple abordé ici est celui du regard porté par un missionnaire sur la société du Burundi au début de la pénétration européenne
dans ce pays. Après avoir évoqué les conditions dans lesquelles cette première « enquête » sur un pays quasi inconnu du reste du
monde à l’époque est menée par le Père Van der Burgt, nous nous arrêterons surtout sur le contenu du document essentiel produit
par lui, à savoir un dictionnaire de type encyclopédique, et notamment sur les interférences des lectures de l’auteur avec ses propres
observations.

Un missionnaire­explorateur au Burundi à la fin du
XIXe siècle
2

Johannes­Michael Van der Burgt est une figure connue des débuts de la présence missionnaire catholique au Burundi. Né en 1863
près de Hertogenbosch (Bois­le­Duc), dans le Brabant septentrional néerlandais, prêtre en 1888, il arrive en Afrique de l’Est en 1892
en tant que membre de la Congrégation des missionnaires d’Afrique (Pères blancs). Il exerce d’abord à Msalala, en pays nyamwezi,

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au sud de Mwanza. Il relève du vicariat apostolique de l’Unyanyembe qui, à partir de 1895, voit sa compétence étendue jusqu’aux
rives orientales du lac Tanganyika.
C’est alors que l’évêque en charge du vicariat, Mgr François Gerboin, l’envoie avec un autre religieux hollandais, le Père Joseph
Van den Biesen, prospecter la possibilité d’implanter une mission à l’est du Burundi. Des tentatives antérieures avaient eu lieu (entre
1879 et 1891) sur les rives du lac Tanganyika, à Rumonge et en Uzige (site de l’actuelle ville de Bujumbura). Il s’agissait cette fois
d’établir un contact avec la société burundaise loin de toute influence arabe ou swahili. Van der Burgt fut donc un pionnier de la
pénétration d’un pays qui allait devenir, une génération plus tard, un des fleurons de l’évangélisation catholique en Afrique.
Après un premier échec en août 1896 et un séjour de quelques mois en Uzige en 1897­18981, il revient au Burundi en janvier 1899 et
fonde, avec le Père Antoine Van der Wee (un autre Hollandais), la mission de Mugera, en plein cœur du pays (près de l’actuelle ville
de Gitega). Dès l’année suivante il obtient un long congé en Europe, d’octobre 1900 à octobre 1903, pour des raisons de santé, mais
surtout pour réaliser ses projets de publication, essentiellement l’édition de son Dictionnaire français­kirundi, publié effectivement
à Bois­le­Duc à l’issue de ce congé. Il reviendra au Burundi de 1904 à 1908, période durant laquelle il fonde un autre poste
missionnaire au nord­est du pays, à Kanyinya. Puis il repart en pays nyamwezi, où il est affecté à la mission d’Usambiro. En octobre
1911 il rend visite à ses confrères du Burundi (à Muyaga et Mugera) et il passe plus que jamais aux yeux des autorités allemandes
pour un des observateurs les mieux informés de ce pays 2, pour lequel il ne dissimule pas un réel attachement. En 1913, il fait même
campagne pour la construction d’un chemin de fer qui traverserait le Burundi d’Est en Ouest. Cette année­là, cependant, il part se
reposer à Alger, puis en Hollande, à Boxtel où il publiera en 1921, deux ans avant sa mort, un récit en néerlandais sur les débuts de
l’évangélisation au Burundi3. Il a aussi publié des « Éléments d’une grammaire kirundi », dans le Bulletin du séminaire des langues
orientales de Berlin4, sans compter divers articles sur la gestion coloniale, qui ne concernent pas notre propos.
A son arrivée au Burundi, Van der Burgt reconnaît qu’il n’est pas capable de s’entretenir réellement avec les Barundi et que lui et
son confrère Van den Biesen dépendent des interprètes 5. Cependant sept ans plus tard, en 1903, il publie un Dictionnaire français­
kirundi, incluant des synonymes en kiswahili et en allemand. Il a certes bénéficié de l’aide privilégiée d’un des interprètes, un
« jeune Mututsi » nommé Bernard Kitwe, sans doute un de ces « chrétiens barundi » d’Ushirombo qu’il avait emmenés avec lui à
Mugera en 18996. Mais ses confrères ont relevé à plusieurs reprises, durant la période de son ministère au Burundi, ses difficultés à
prêcher dans la langue du pays. Son premier sermon daterait du 17 janvier 1904 à Mugera7. Charitablement son évêque écrit que ce
grand timide aurait plutôt une vocation de bénédictin8.
Effectivement, ce missionnaire semble avoir toujours eu d’autres préoccupations que d’évangéliser. En 1897, lors de l’essai
d’implantation en Uzige (site de l’actuelle ville de Bujumbura), son confrère Van den Biesen se plaint de faire tout le travail
d’apostolat et de catéchèse, tandis que Van der Burgt, responsable du poste, « fait des plans de bâtiments et de cultures ». Le 1er
juillet 1897 Van den Biesen ne peut cacher sa lassitude : « Je suis absolument seul pour faire cette évangélisation », écrit­il, à raison
de trois séances de catéchisme par jour en des lieux différents, et sans compter des soins aux malades avec l’aide d’un des
« enfants » de leur suite. Du coup, le 7 juillet suivant, Van der Burgt reproche à son confrère un zèle trop indépendant et un travail
trop solitaire, et il se dit à son tour épuisé. Or, on sait que l’indispensable enquête linguistique est essentiellement réalisée aussi par
Van den Biesen, qui va d’ailleurs se voir reprocher par son supérieur de trop travailler le soir9.
Van der Burgt sera toujours quant à lui un fureteur, combinant une mentalité d’explorateur et le goût de livres de toutes sortes
(ethnographie, orientalisme, histoire, linguistique, ésotérisme). En 1904, il demande au supérieur général le renouvellement d’une
autorisation qu’il avait déjà reçue à Malte en 1891 de pouvoir lire des ouvrages mis à l’Index10. Il est toujours prêt à foncer vers des

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régions inconnues et non programmées par ses supérieurs, pour le seul plaisir de faire des découvertes et de pouvoir ensuite les faire
connaître dans ses travaux et publications. On sait que plusieurs cartes officielles allemandes ont utilisé ses données. Il est vrai qu’il
déploie aussi une activité fébrile pour être publié, connu et aidé au titre, dirait­on aujourd’hui, d’expert polyvalent du Burundi. En
1904 il se préoccupe de la publicité du Dictionnaire, il suggère de lancer une grande enquête avec questionnaire sur les croyances
au Burundi, en s’appuyant sur son œuvre. Il est en contact avec le professeur von Danckelmann, géographe officiel des autorités
coloniales à Berlin, qui, écrit­il à un confrère, attend « avec impatience » la carte de l’Urundi et du Ruanda nourrie de ses « multiples
relevés ». Il correspond avec le maître de l’ethnologie en Allemagne à l’époque, Félix von Luschan, pour la publication de sa
grammaire. Il obtient de Berlin une subvention de 1000 marks pour son Dictionnaire, d’autant plus appréciable qu’il avait dû avancer
de sa poche un montant de 1800 francs pour cette édition11. Bien que l’humilité ne fût pas sa vertu cardinale, il faut reconnaître qu’il
acquit effectivement une certaine notoriété en Europe. Selon Mgr Gerboin, il était populaire en Hollande et célèbre en Allemagne pour
ses cartes 12. Plus tard il apparaîtra comme un des missionnaires les plus favorables à la colonisation allemande : il sera interviewé en
Hollande en 1918 pour comparer les réalisations allemande et britannique en Afrique13. En 1910 le gouvernement de Berlin l’avait
décoré14.

Le premier dictionnaire d’une langue africaine : son
écriture et ses sources
8

J.M. Van der Burgt est un homme d’écriture : correspondances prolixes (comme cette lettre de 64 pages adressée à Mgr Gerboin en
août 1897)15, rédaction du Diaire de St­Antoine qui tourne au récit de voyage, longues notices publiées dans le bulletin hollandais
des Pères blancs 16. Mais ses relations avec sa congrégation sont tendues. Nous avons vu son comportement agressif à l’égard de
son confrère Van den Biesen, qui avait pourtant entamé l’enquête linguistique dont il bénéficiera ensuite pour la réalisation de son
dictionnaire. Dès les premières années de son activité, il n’hésite pas, dans ses courriers, à faire la leçon à tous et à trancher sur tout.
Ses confrères le lui rendent bien, en contestant même son travail17. Il réussit à publier ses œuvres sans avoir dûment reçu
l’imprimatur de ses supérieurs, et encore moins d’aide financière de leur part. On a un bon écho de cette situation dans le courrier
où, depuis la Hollande, il entreprend à la fois de légitimer et de régulariser sa position auprès de Mgr Livinhac, le supérieur des Pères
blancs, en décembre 1901 :
[À propos du Dictionnaire] on me dit que je dois avoir l’autorisation des supérieurs. Je croyais l’avoir. […] M gr Gerboin m’en
avait chargé. Il était en préparation depuis 1896. J’avais soumis ce dictionnaire à Votre Grandeur qui semblait l’avoir approuvé
parfaitement avec quelques réserves d’en faire plutôt un lexicon, donc de le raccourcir. J’ai aussitôt supprimé une série de mots
[...] Je pensais que tout cela représentait une permission. C’était oral bien sûr, c’est utile la langue. Je sais qu’il y a une légende qui
dit “que je n’ai jamais su un mot de bantou”, plus fort “que je n’ai jamais voulu l’apprendre”, mais ça surprendrait tout le monde
ici. On serait en tout cas stupéfait de la masse de travail qu’a coûté ce dictionnaire. En plus, j’ai trouvé des conditions d’édition
favorables en Hollande et, à la demande de Danckelmann, j’ai accepté de mettre après le mot français, les mots swahili et allemand
dans mon dictionnaire pour mériter une subvention qu’ils m’ont faite. Ce dictionnaire pourra servir aussi bien au Ruanda qu’en
Urundi, et je vous demande officiellement de me permettre cette impression18.

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Cet ouvrage fait 630 pages serrées en deux colonnes. Les entrées sont en français, avec la traduction des termes en allemand et
swahili, puis les équivalents kirundi, avec leurs variantes dûment expliquées. De nombreux articles tournent à l’encyclopédie :
exemples pris dans la société et la culture du Burundi, interprétations comparatistes, tirées de l’égyptologie ou de l’ethnologie
générale, etc. Beaucoup de références sont faites à la Bible, utilisée comme un ouvrage scientifique. De ce point de vue, comme par le
choix de la langue d’ouverture (le français), Van der Burgt a voulu manifestement travailler d’abord pour sa congrégation, dominée
par des Français, tout en se faisant reconnaître du colonisateur allemand et en rendant service à ses collègues sur le terrain. Il est
hanté par la défense de la vulgate chrétienne dans la vision du monde, mais aussi par une quête des origines lui permettant de situer
les races africaines à la fois dans le discours scientifique de son temps et dans le plan de la Genèse. De ce point de vue, c’est surtout
sa longue introduction de plus de cent pages qui est significative : il nous y livre sa « philosophie » sur les Barundi.
La bibliographie de ce magnum opus est particulièrement impressionnante (au moins 400 titres), elle déborde d’une érudition
inhabituelle chez les Pères blancs. Ce missionnaire joue au Pic de la Mirandole. Quelques exemples peuvent illustrer cette boulimie de
lectures, cette volonté d’être à jour dans de multiples domaines et même par de « mauvaises » lectures, sans que cela rassure le
lecteur sur sa maîtrise réelle de tous ces domaines. Qu’on juge de la diversité des thématiques, anticipant sur un inventaire à la
Prévert :
Histoire générale et notamment archéologie orientale : la Weltgeschichte en 22 volumes de Johann B. von Weiss et
notamment le tome 1 sur l’Orient paru en 1898 ; de François Lenormant, Les origines de l’Histoire, d’après la Bible et les
traditions des peuples orientaux, parus de 1880 à 188219 ; de John Baldwin, Prehistoric nations, publié en 1869 ; J.P. Cory,
Ancient fragments of the Phoenician... Babylonian, Egyptian...auctors, publié en 1876.
Ethnographie générale : les œuvres de Friedrich Ratzel, de Friedrich Müller, de J.L.A. de Quatrefages, de J. Deniker ; sans
éviter des titres plus spéciaux, liant anthropologie, Bible, voire ésotérisme, tels que ceux de Gerald Massey20, Book of
Beginnings. Egyptian origins of the British isles and ... Egyptian origins in Hebrew, Akkado­Assyrian and Maori, datant
de 1881 et The natural Genesis, de 1883. Il écrit par exemple à la fin de l’article Imana (la dénomination de l’entité divine
suprême en kirundi) : « Dans la notice qui précède j’ai eu à utiliser les deux ouvrages de G. Massey... Certes l’esprit de
l’auteur est détestable, mais les quatre énormes volumes n’en contiennent pas moins d’appréciables données, éparpillées, il
est vrai, dans un amas confus de matières les plus disparates » ! On peut citer aussi A. Knobel, Die Völkertafel der Genesis,
de 1850 ou C. de Kirwan, Le déluge de Noé et les races prédiluviennes, de 1901.
Géographie : récits des voyages de découverte de l’Afrique, y compris chez les auteurs arabes, comme les Prairies d’or de
Masoudi, traduites en français en 1861­1877.
Préhistoire : Jacques de Morgan, Recherches sur les origines de l’Égypte, 1897­1898.
« Atlantis » : sous cette rubrique on trouve onze titres sur le thème de l’Atlantide.
Ethnographie spécialisée : il s’agit notamment des classiques de l’époque sur les « Chamites » et les « Bantous » : les
ouvrages du jésuite J. Torrend (1891)21, de Richard Lepsius (1880)22, de Sergi (1897)23, mais aussi Viçwa­Mitra24, Les
Chamites. Indes préaryennes, origines des Égyptiens, Libyens, Sabéens, Chananéens et Phéniciens, des Polynésiens, de
l’Amérique centrale... site du paradis terrestre, etc. (une somme de 786 pages publiée chez Maisonneuve en 1892, « ouvrage
très remarquable et trop peu connu » selon notre auteur) ; abbé Dessailly, Le paradis terrrestre et la race nègre devant la
science (1892) ; G. Schoebel, De l’universalité du Déluge (1856) ; baron d’Eckstein25, « Les Éthiopiens de l’Asie »,

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Athaeneum français, avril1854. Il s’y ajoute une kyrielle d’ouvrages sur l’Égypte, l’Afrique australe, le Zimbabwe, l’Éthiopie
(œuvres de Bruce, Salt et d’Abbadie, du cardinal Massaia...), l’Afrique du Nord, l’Afrique centrale et le Soudan, l’Afrique
occidentale, la Sénégambie et la Guinée, le Congo et l’Afrique équatoriale, les Oromo et les Massaï (R.P. Martial de Salviac,
Les Galla, 190026, et des travaux de Maurice Delafosse parus en 1894 dans L’Anthropologie…), l’Afrique orientale
allemande, etc.
Philologie et linguistique : des dictionnaires et lexiques de démotique, de copte, des îles Samoa, du futunien, de l’hawaïen, du
marquisien, du maori, du fidjien, du malais, du javanais, de l’acadien, de l’assyrien, et même… du swahili, donc des horizons
les plus proches aux plus éloignés du Burundi.
11

Cette bibliographie, que nous n’avons fait qu’évoquer, pour en faire respirer en quelque sorte le parfum, est donc marquée
fortement par une anthropologie biblique et orientaliste. Son contexte idéologique est avant tout celui du débat sur les races
humaines. L’ouvrage va bien au­delà d’un lexique destiné à l’usage pratique de futurs locuteurs du kirundi. C’est cette sorte de
métalinguistique qui nous retient ici.

L’obsession raciale de l’époque : le Proche Orient,
l’Afrique et les « Hamites »
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« La théorie du jour distingue les Hamites des Nègres » et cela « ne fait guère honneur à la science », écrit le Père Van der Burgt
dans l’introduction de son Dictionnaire27. Il fait ainsi écho à un débat effectivement très vif de la littérature africaniste de la fin du
XIXe siècle.
Le développement, sous un vocable tiré du nom de Cham dans la Bible, d’une nouvelle théorie raciale sur les « Chamites » ou
« Hamites » mérite un petit rappel. C’est la critique même du mythe de « la malédiction de Cham » dans une perspective scientifique
qui, à partir du milieu du XIXe siècle, à conduit à reformuler les hypothèses sur le peuplement ancien du continent africain28. Des
exégètes et des linguistes allemands ou français des années 1850­1860, parmi lesquels Ernest Renan, montrent que les figures
bibliques ne peuvent incarner que des groupes du Proche Orient antique, le seul monde connu des auteurs des textes sacrés, et que
Cham et ses fils ne concernent donc que le Nord­Est de l’Afrique, mais aussi la Mésopotamie. Le reste du continent n’est pas plus
envisagé dans la Bible que la Chine ou les Incas.
Ce rationalisme historisant accompagne aussi une poursuite du débat sur l’unité de l’espèce humaine. Des auteurs nord­
américains développent alors la thèse polygéniste, confortable pour les partisans de l’esclavage des Noirs. Mais en France aussi on
a vu, par exemple, le docteur Julien­Joseph Virey, un de ces « idéologues » éclairés de l’époque napoléonienne, membre de
l’Académie de médecine et auteur d’une grande Histoire naturelle du genre humain29, opposer deux espèces humaines, celle à teint
clair, dotée de toutes les qualités, et celle à teint sombre, à angle facial réduit, à cheveux laineux, caractérisée aussi par la nudité,
l’entendement borné et une sensualité débridée. Certains auteurs s’interrogeront sur l’existence possible, sous ce portrait, d’une
lignée de Caïn, donc non issue de Noé. Ces auteurs nous font donc remonter avant le Déluge pour gérer les différences qui les
troublent.

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La remise en cause de Cham l’Africain est aussi le fruit d’une connaissance plus directe des peuples du continent : la diversité des
traits, des cultures et des organisations politiques, conduit à classer et à hiérarchiser ces peuples, comme dans un herbier, avec toute
l’application des ethnographes (le terme a précédé le mot ethnie en français) et des gestionnaires de musées, mais aussi avec le souci
de simplifier le tableau. On va distinguer des peuples beaux ou laids, intelligents ou stupides, guerriers ou pacifiques, organisés ou
primitifs, etc., des « nègres de débit de tabac », comme on disait à l’époque, où les réclames associaient plutôt les cigares ou le rhum
que le chocolat avec l’image du Noir, et d’autre part des quasi « Européens noirs », bref des « vrais nègres » et des « faux nègres ».
À partir des écrits d’exploration, puis des témoignages d’administrateurs ou de missionnaires, va se développer, selon la logique de
l’époque, un classement racial interne à l’Afrique. C’est ainsi que les exégètes de cabinet et les praticiens de la conquête se sont
rencontrés.
Le climat intellectuel de la deuxième moitié du XIXe siècle quant aux peuples dits primitifs était marqué certes par l’évolutionnisme
qui mettait les Blancs au sommet du progrès humain, mais aussi par le diffusionnisme qui faisait de tout trait de civilisation en
Afrique le marqueur d’une influence étrangère, notamment asiatique (avant d’être évidemment européenne). Les publications de
l’Ecole d’anthropologie de Paris par exemple reviennent sans cesse sur ce schéma. La méthode préconisée consiste à « remonter le
chemin des envahisseurs » et à apprécier « le degré de métissage » pour « suppléer les données historiques absentes 30 ». La pensée
qui inspire, directement ou indirectement, cette vision est manifestement celle de Gobineau. Selon ce dernier31 une « descente
primordiale » de populations caucasiennes s’est enfoncée dans le continent, apportant des éléments racialement supérieurs, mais
abâtardis ensuite par les métissages de cette première « coulée blanche », seule digne de porter le nom de « chamite » (ou hamite)
puisqu’elle renvoie au Proche­Orient méditerranéen. Dès lors les ethnologues et linguistes européens, français, allemands ou
britanniques, consacrent une grande partie de leur réflexion à distinguer les « Nègres » et les « Hamites ». Sous ce nouvel affichage
de la tradition de Cham, devenu cette fois le héros d’un stock humain supérieur, on va retrouver les Berbères, les Nubiens, les
Éthiopiens, les Peuls, les Massai et autres Nilotes... Ce sera l’alpha et l’oméga de la raciologie coloniale, reflétée par un manuel sans
cesse réédité des années 1930 aux années 1950, celui de l’Anglais Charles Seligman sur Les races de l’Afrique, qui contient cette
phrase emblématique :
Les civilisations de l’Afrique sont les civilisations des Hamites, qui étaient des Caucasoïdes pastoraux, arrivés vague après vague,
mieux armés et d’esprit plus vif que les agriculteurs nègres à peau sombre32.

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Il faut noter que la construction du modèle hamitique s’opère à la même époque que l’élaboration des autres grands modèles
raciaux : aryen, sémitique, bantou... Léon Poliakov l’avait déjà bien montré dans son Mythe aryen en 1971. Pour l’Afrique, le modèle
bantou connaît également une évolution très significative : le terme bantu, signifiant « les être humains » dans un vaste ensemble de
familles de langues de l’Afrique centrale, orientale et australe, est lancé en 1858 par le jeune linguiste allemand Wilhelm Bleek. Mais
rapidement (et chez Bleek lui­même) ce terme fonctionne dans le cadre du darwinisme ambiant : il sert à opposer les langues
agglutinantes, comme on dira (c’est­à­dire avec des systèmes de préfixes et de classes de substantifs), aux langues à genres
(indoeuropéennes, sémitiques et autres), considérées comme les véhicules d’une culture supérieure sur le plan philosophique et
artistique. Très vite la classification linguistique devient raciale : les « Nègres bantous » vont se caractériser dans cette grille par une
stature trapue, une activité essentiellement agricole et une certaine arriération. Des nuances sont établies entre différents « cercles »
selon les degrés d’influences extérieures. Les habitants de l’Afrique australe ou de la côte orientale seront de ce point de vue
considérés comme supérieurs aux « Nègres » du bassin du Congo. L’archéologie et l’histoire de la deuxième moitié du XXe siècle

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auront beau montrer le dynamisme de ces anciennes sociétés sur le plan des technologies (agriculture et métallurgie du fer), l’image
du paysan bantou un peu borné sera durable, justifiant aussi bien le paternalisme du Congo belge ou les exactions de l’Afrique
équatoriale française que l’apartheid d’Afrique du sud33.
Van der Burgt se dresse apparemment, on l’a vu, contre cette « théorie du jour », c’est­à­dire contre la vision d’un clivage qui
opposerait un sang noir autochtone et un sang blanc venu de l’extérieur. En bon chrétien, il défend l’unité de l’espèce humaine
depuis Adam, sinon depuis Noé. Il stigmatise les savants polygénistes qui contestent que tous les Noirs puissent descendre de
Cham. Il refuse l’équation entre « Hamites » et « race blanche ». Néanmoins, imprégné des connaissances et des formulations de son
temps, son raisonnement repose aussi sur une alchimie de migrations et de métissages, nourrie de toutes ses lectures et souvent
embrouillée, voire contradictoire.
Les Hamites, et notamment leur branche « kouchitique34 », insiste­t­il, n’étaient pas des Blancs et il fonde sa conviction sur les
sources antiques, tant égyptiennes que juives à ce sujet. Noé et ses fils, dit­il, étaient plutôt rouges et ce sont leurs descendants qui
ont viré au brun et au noir. Le berceau de ces anciens peuples de couleur était selon lui en Mésopotamie35 et c’est ensuite, entre le
déluge et la chute de la Tour de Babel36, qu’ils auraient peuplé l’Afrique par vagues successives, empruntant la vallée du Nil ou le
détroit du Bab­el­Mandeb. Cette histoire est censée rendre compte de l’ubiquité du « pays de Kush » pour les Hébreux, à la fois sur
l’Euphrate et sur le Nil. Les Noirs sont tous des « Kouchites », souligne­t­il, mais les premiers arrivés, à la fois repoussés par les
suivants et dégénérés sous l’effet du milieu naturel tropical (« refoulés et décadents »), auraient donné les peuples les plus sombres
les moins métissés, les « Nègres » et les « Pygmées », qui sont à ses yeux des « hordes perverses », privées d’histoire et « très vite
replongées dans la barbarie pour avoir vitement oublié et méprisé les leçons du Seigneur37 ». Le Proche­Orient (Mésopotamie et
Arabie) et le Nord­Est de l’Afrique (Égypte et Éthiopie) auraient donc constitué ensemble le foyer le plus ancien de ces antiquités
noires.
Respectant tous les textes, anciens ou récents, selon un historicisme naïf, il associe dans sa documentation les travaux
scientifiques les plus récents de l’archéologie et des textes philosophico­mystiques, comme les écrits du baron d’Eckstein, du
dominicain de Brosse alias Viçwa­Mitra (qui comparait les dieux chaldéens et ganda), de l’abbé Dessailly ou de Gérald Massey. Les
révélations de la voyante Catherine Emmerich transcrites par le poète romantique converti au catholicisme Clemens Brentano38 l’ont
aussi beaucoup impressionné. Van der Burgt affirme « la réelle valeur scientifique du travail sténographique de Clemens Brentano »
et cite les nombreux passages de cette œuvre sur lesquels il s’est appuyé39. Il indique par exemple que cette religieuse a parlé d’un
voyage de l’apôtre Thaddée chez « les nègres des Monts de la Lune », c’est­à­dire selon lui dans la région du Rwanda et du
Burundi40 ! Van Der Burgt évoque donc les origines de l’humanité comme s’il pouvait les déchiffrer à livre ouvert.
Mais, tout en développant une interprétation du texte biblique garante de l’unité de l’espèce humaine, il réintroduit une inégalité
raciale entre des « Chamites supérieurs » et les autres Noirs, en fonction, non seulement de l’ancienneté de la rupture et de
l’éloignement du berceau originel, mais aussi d’anciens métissages plus ou moins durables et prégnants, essentiellement avec des
descendants de Sem. Ces rencontres anciennes entre Chamites et Sémites ont donné ce que Van der Burgt intitule des Mischvölker,
des « peuples métis ». La différenciation des Chamites, explique­t­il, s’est faite par infiltration de Sémites en Afrique41. Les
métissages les plus anciens et les plus poussés auraient eu lieu au nord du continent, en Égypte, en Nubie, en Éthiopie, mais il cite
aussi les Peuls et les Fang. Tous ces Mischvölker, explique­t­il, « doivent leur supériorité relative, même au point de vue
somatologique (traits fins et nobles, etc.) à l’élément sémite […] Tout ce qui est franchement nègre (teint de la peau, prognathisme,
culte du Siva­linga42, etc.), voilà l’élément chamite vrai, le Ur­kuschite si l’on tient à ce mot ». A contrario il constate que « le peuple

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élu (Sémites) s’encanaille souvent », une formule de tonalité très gobinienne quant aux dangers du métissage, enrichissant pour les
groupes « inférieurs » et dégradant pour les groupes « supérieurs 43 ».
En fait notre auteur a quelques problèmes dans le classement des populations noires au sud du Sahara dans le cadre de cette
logique para­biblique de migrations et de métissages. Tantôt, on l’a vu, il décrit « les Nègres » comme des Kouchites refoulés. Tantôt
il rappelle l’existence de Phut et lui attribue la paternité des « Soudanais » (au sens sahélien), « le vrai type nègre abruti » (sic).
Tantôt, se référant aux écrits de C. Schoebel, cité plus haut (un spécialiste du monde assyrien), il n’écarte pas la possibilité que
certains peuples noirs du sud du continent soient issus d’une très ancienne présence de descendants de Caïn, de « grands Noirs
antédiluviens », dit­il. Cette idée était déjà présente chez Bory de Saint­Vincent au début du XIXe siècle. Quant aux Bantou, il y voit un
stock plus récent, issu d’une rencontre entre Négrilles et Hamites, c’est­à­dire entre anciens et nouveaux Chamites, issus des vagues
successives de Kouchites venus du Proche­Orient.
On voit qu’en défendant l’unité de la race humaine selon le plan de la Genèse et les origines chamitiques de tous les Noirs, ce
missionnaire entretient aussi le discours moralisant de la « malédiction de Cham », un mythe encore rappelé lors du concile de
Vatican I et présent aussi dans les écrits mystiques de Catherine Emmerich, dont on a vu qu’il faisait grand cas pour son
anthropologie biblique44. « Tous les nègres passés et présents descendent de Cham et de ses fils » et ce dernier, poursuit­il,
« continuait les traditions des Caïnites ». La malédiction censée peser ainsi sur les peuples africains, en attendant d’être rachetée par
l’évangélisation, était censée avoir été en partie allégée ou contournée par les métissages avec des descendants de Sem, créant des
situations éminemment ambiguës. C’est précisément cette ambiguïté que Van der Burgt va souligner dans le cas de la région des
Grands Lacs à la lumière de cette sorte d’histoire sainte raciale.

L’hypothèse hamito­sémitique, clef d’une vision
raciale du Burundi
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On a donc compris que, plutôt que d’opposer les « Nègres » aux « Hamites », Van der Burgt préfère distinguer les Chamites et les
Chamito­sémites ou Hamito­sémites. Mais ce bémol ne va guère au­delà d’une prudence de langage, car le thème d’un antagonisme
racial donne toujours le la dans l’analyse, et du même coup dans la gestion, des peuples concernés en Afrique orientale. Son tableau
anthropologique de la société du Burundi revient à plusieurs reprises dans le Dictionnaire, notamment dans l’article « Aborigènes »
et dans le supplément sur « Watwa, Wahutu, Wahinda, Watutsi45 ». Il y combine chaque fois les traits physiques, moraux et
culturels censés distinguer par définition ces différents groupes dont il donne l’importance démographique : les Tutsi (de 10 à 20 %)
« de haute stature (jusqu’à […] 2m15) », « souvent au profil grec », originaires des « pays galla », « intelligents, rusés, hypocrites,
fiers, très superstitieux », une « race de pasteurs » ; ensuite les Hutu (autour de 80 %), « vieux­Bantu », « cultivateurs, de taille
moyenne, noirs, maigres, secs, nerveux, agiles, actifs, irascibles, vindicatifs, voleurs, menteurs » ; enfin les Twa (5 %), « pygmées,
race de vrais parias », « chasseurs, forgerons, potiers », « vrais fils de Tubal­Caïn », « très nomades, timides, cruels, irascibles, très
adonnés à la magie, très noirs, maigres, de stature au­dessous de la moyenne (1m30 à 1m40), poilus ». Aucun groupe ne recueille
donc vraiment sa sympathie chez ces « aborigènes » et ces stéréotypes seront pour la plupart inlassablement repris par la suite.
Mais de son observatoire burundais, ce missionnaire­écrivain prétend aussi remonter aux origines du peuplement africain et son

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regard, tourné vers l’Orient de la Bible, le conduit à faire du relais nilo­éthiopien l’axe privilégié de ses hypothèses et de ses
classifications. Les origines tant égyptiennes qu’éthiopiennes des Tutsi du Burundi sont pour lui une évidence. Il y voit, sur son
terrain, une illustration de la grande rencontre entre Chamites et Sémites qui aurait eu lieu des millénaires plus tôt sur les bords du Nil
et aux abords de la mer Rouge. Il fait avec jubilation de l’Éthiopie un modèle élargi de ce grand mixage : « Sous la dénomination
d’Éthiopiens on fait entrer fraternellement les Galla, les Wahuma, les Zoulous, les Niamniams, les Fang ou Pahouins, les Fulbé ou
Fulas, les Tibbu et bien d’autres 46 ».
Plus précisément, et dans le prolongement de l’hypothèse lancée par l’explorateur anglais John H. Speke dans les années 1860, il
considère que les ancêtres des Tutsi et des Hima des pays des Grands Lacs sont des Galla d’Éthiopie immigrés dans la région47. Ce
« Mischvolk sémito­chamite », parent des Massai et des Tutsi­Hima, serait « la plus belle race d’Afrique », la nation à la taille élancée
et au visage luisant d’Isaïe, les Éthiopiens d’Hérodote, « à peau luisante et brillante ». Selon lui, les traditions de la région, celles de
l’ancien empire du Kitara, celle du « blanc Mwezi » roi mystérieux du Burundi, celles de Kintu au Buganda ou celles des rois hinda de
l’ouest du lac Victoria confirmeraient la réalité de cette ancienne invasion48. Pour apposer à sa thèse le sceau de la linguistique, il
n’hésite pas à suggérer que le verbe kirundi gukara, « être sévère, féroce » serait à rapprocher de l’ethnonyme Galla, en mémoire de
la violence de ces envahisseurs supposés ! Nous reviendrons sur ce type d’usage fantaisiste de l’étymologie49.
L’évidence raciale s’impose, selon lui, au vu des physionomies rencontrées au Rwanda et au Burundi, illustrant au premier coup
d’oeil un « mélange sémito­chamite » :
On est parfois stupéfaits de rencontrer souvent dans certaines têtes des Watutsi de l’Urundi et du Ruanda des traits absolument
sémites des plus prononcés. Toutes leurs traditions du reste marquent qu’ils viennent du nord­est, que leurs ancêtres (Sémites !)
étaient plus blancs (avant leur mélange avec de vieux Chamites purs ou nègres).
Ne voit­on pas des crânes caucasiques, des profils admirablement grecs, à côté de figures sémites et même juives très prononcées,
et enfin de vraies beautés à figure rouge­dorée au milieu du Ruanda et de l’Urundi50 ?

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Se fiant à une conjonction a priori naturelle entre raciologie (pigmentaire et craniologique), globalisations esthétiques et
caractérologie morale, le Père Van der Burgt poursuit son raisonnement sur l’articulation entre une unité chamitique globale et un
métissage contrasté entre Chamites et Sémites : d’une part « nos nègres, tant bantu que watutsi » se rattachent tous au berceau de
Kush et aux traditions querelleuses des « fils de Nemrod », d’autre part « nos Wahinda­Watutsi (Wahuma)51 au moins sont proches
parents avec les beaux pharaons de la vallée du Nil, et nos Wahutu et Watwa sont de la même famille que les Nègres qui figurent sur
les monuments 52 ».
En fait un transfert de perception est opéré du présent vers le passé. Identifiant la vallée du Nil comme un des relais fondateurs du
peuplement de la région des Grands Lacs, il projette sur l’antiquité le regard qu’il porte sur le Burundi à la fin du XIXe siècle. L’Égypte
ancienne, écrit­il, avait « une double population : l’une à peau plus claire et l’autre à teint plus foncé et à cheveux crépus... l’une
active, dominatrice, l’autre passive, assujettie », c’était « un État chamite négroïde voire nègre, nonobstant une aristocratie moins
dégénérée ou moins nègre si l’on veut », « les tendances spirituelles plus élevées » qu’on y observait étant « d’origine sémitique ».
Il ajoute que le bas peuple y était noir selon Hérodote, que « les industriels (tiers­état) sont bruns­rouges, les guerriers, les prêtres et
tous les individus appartenant à la classe dirigeante au contraire, ont le teint plus clair ». Cet antagonisme à la fois social et racial
serait donc comparable avec le clivage observé au Burundi et au Rwanda entre Tutsi et Hutu, décrit comme une opposition entre « la
Hirtenadel [noblesse pastorale] des Wahinda à teint clair et des serfs noirs (Wahutu et Watwa) », avec la différence que

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l’aristocratie égyptienne n’était pas pastorale53. L’aller­retour est fascinant entre une interprétation primaire des représentations
chromatiques des fresques égyptiennes et la grille de lecture qui détermine sa vision de la société du Burundi à la fin du XIXe siècle.
L’éloignement dans l’espace et dans le temps ne l’effraie pas, tant qu’il s’agit de conforter le schéma racial dominant de l’époque.

Rêveries orientalistes : de l’Inde au Pacifique
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Certains passages du Dictionnaire de Van der Burgt, soit dans l’introduction, soit dans les entrées lexicales, renvoient l’origine
des Chamites à un Orient plus lointain que celui de la Mésopotamie : il cible la Perse et surtout l’Inde, sans exclure non plus des liens
avec les civilisations polynésiennes, voire avec des mondes préhistoriques disparus. Ces allusions se nourrissent des lectures
multiples de l’auteur et de sa tentation de décrypter, à cette occasion, les secrets des origines de l’humanité. Ce n’est plus la
vénération du texte biblique qui joue à ce moment­là, mais une fascination de l’ésotérisme.
Les raisonnements, si on peut les qualifier ainsi, du Père Van der Burgt sont largement de l’ordre d’une étymologie
impressionniste, fondée sur des comparaisons verbales tous azimuts. L’exemple de l’Inde – à la fois l’espace historique et le mot lui­
même –, est très significatif de sa « méthode ». L’article » Dynastie » consacré à la lignée royale du Burundi comporte au début les
évocations orientales qui suivent. La citation complète s’imposait pour apprécier jusqu’où notre érudit missionnaire pouvait se
laisser aller dans les associations délirantes enjambant langues et continents :
En tout cas ce nom de Wahinda est extrêmement remarquable. L’égyptien Khentu, qui veut dire : terre intérieure, le sud, le pays de
Kush, n’est qu’une modification du zend54 Hendu, du sanscrit Sindh, du pahlavi Hendo, se transformant enfin en India ; de la
sorte de que les noms égyptiens : Khabta­Khentu, zend : Hapta­Hendu, sanscrit : Sapta­Sindhu (Sindha) sont synonymes. Il y a
deux “terrae” Hindu­Kush, l’une indienne, l’autre africaine (éthiopienne). Les auteurs latins les confondaient. Ainsi Virgile (Georg.
L.IV, v. 293) fait venir le Nil du pays des Indiens coloriés (noirs). C’est l’Urundi et le Ruanda ! Nos Wahinda sont donc bien des
Khamo­Kushites, originaires de l’Inde. Il est probable que la racine and et und dans les noms de pays, comme l’Urundi, le Ruanda,
l’Uganda, etc., soit la même que celle de Khentu, puisque les lettres t et d se prennent l’une pour l’autre... Il faut rattacher au même
ordre d’idée la légende du fameux patriarche (ancêtre) Kintu des Waganda (Stanley). C’est probablement Khem­Kush (égpt. :
Khepsh) divinisé. […]
Quelques Warundi placent l’origine de leurs rois au nord sur une montagne sacrée, ou dans un pays nommé Igitara (Kitara), situé
au Bugufi ( ?) ou plus loin ! Le fondateur de cette dynastie, selon eux, sort de l’eau d’une source, ou d’une fontaine profonde qui
sort des entrailles de la même montagne sacrée (igitara). Il est très curieux que parmi les dix Maharkis, patriarches indiens
(divinisés), se trouve un Poulastia (c.­à.­d le rejeté, selon Gorresio)55, identique au Hiuen­hiao = le noir vociférateur, associé par
les Chinois à la planète Vénus­Lucifer. Eh bien ! ce Poulastia habite Kedara ou Kitara = lieu creusé. Selon la Bible, Caïn fut le
premier chercheur (mineur) et fondeur de métaux. Ce même Poulastia fut, selon les Indiens, le premier ancêtre des noirs Rackhasas
(égyptien : Nahsi = Nègres, Ranehsi = dieu des Nègres, de Khu, Shu, Sat, Set), c.­à.­d. de la race caïnite et nègre de l’Inde, de
l’Afrique et du reste du monde. Ils sont spécifiés comme les hommes aux grandes oreilles. Les Wahinda­Watutsi, en effet, se
remarquent par leurs longues oreilles56 !

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Van der Burgt localise donc, dans différents passages de son œuvre, l’origine des Noirs, fils de Cham en Inde de l’ouest57. Le
rapprochement de l’Hindu­Kush et du Gitara, deux montagnes saintes selon lui et qui focalisent des légendes d’origine le conduit

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aussi à invoquer « la tradition d’Orient concernant le paradis terrestre » qui serait situé « à l’est de la montagne des prophètes »,
selon les visions publiées par Clemens Brentano dont nous avons vu l’influence sur lui58. Dans la mesure où les peuples noirs se
seraient ensuite répandus aussi bien vers l’est jusqu’à l’océan Pacifique, en Mélanésie et Polynésie, qu’à l’ouest, au­delà de la mer
Rouge, sur le continent africain, il n’hésite pas à proposer des comparaisons tous azimuts : ainsi, à propos des formules de vœu
suivant un éternuement au Burundi, il rappelle que « souffler » et « salut » relèvent d’un même champ lexical en égyptien ancien, tout
en multipliant les exemples antiques, africains et polynésiens 59. Ailleurs, à propos du Tanganyika, après avoir traduit le nom de ce lac
par « montagne et eau », il estime utile de faire référence à une montagne originelle et paradisiaque à Java, à des exemples assyriens
et même aux mers du Sud. Il conclut cette litanie d’évocations par une formule qui se veut lourde de sens : « De là à la fameuse
Atlantis submergée de Platon il n’y a qu’un pas 60 ». Nous voici entre le paradis terrestre et l’Atlantide…
En faisant de son Dictionnaire un compendium de l’ethno­histoire de l’humanité, l’auteur met en valeur des origines orientales
perçues comme incontournables (de l’Éthiopie au Pacifique). Il s’inscrit du même coup dans la fascination ambiguë de la littérature
orientaliste du XIXe siècle pour les beautés et les dépravations de cet horizon imaginaire. Nous retrouvons ici, tantôt la quête d’un
éclairage du passé du monde par des lumières venues de l’Asie, tantôt l’expression d’une curiosité à la fois érudite et morbide pour
les secrets de civilisations jugées à la fois décadentes et dangereuses 61.

La culture du Burundi capturée : entre délires et
horreur
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L’Orient merveilleux des origines et l’Orient fourbe et débauché dont l’Occident doit se méfier se trouvent ainsi convoqués pour
rendre compte de la culture d’un pays de langue bantu de l’Afrique orientale. Les traditions orales recueillies sont systématiquement
interprétées sur le registre racial que l’on vient de voir, à savoir comme autant de traces chamito­sémitiques. Les exemples seraient
nombreux. L’article « religion62 » affirme que le culte des Barundi a dû subir « l’influence des Kushites­Hamites Watutsi venus du
Nord­Est ». A propos de croyances et de rites relatifs à la succession royale, notamment le thème du « roi caché », il y voit le modèle
d’Osiris 63. De même l’importance du gros bétail, reflétée dans les salutations de style sho, amasho, lui inspire la comparaison avec
l’Égypte ancienne64 : « le bœuf… est pour eux sinon une divinité, au moins occupé et possédé par un esprit, par Imana même (bos
Apis !) ». Une tradition historique relatant un épisode guerrier sous le règne de Ntare, où, lors d’une traversée de la rivière Ruvubu,
les Tutsi aux longues jambes auraient réussi à passer, écrit­il, alors que les petits Batwa se seraient noyés, reçoit le commentaire
suivant :
Ne serait­ce pas un récit modernisé et rajeuni, qui a un fondement beaucoup [souligné dans le texte] plus ancien ? Les anciennes
cartes de la Chine mettent sous les vases de Kifu (l’eau, le verseau diluvien), la constellation des Pakouey = des neuf Nègres
immolés, etc. Prétendre qu’il faudrait y voir une réminiscence du… Déluge, serait aller loin !

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Après cet obscur excursus extrême­oriental et malgré une formule de prudence momentanée, il entame aussitôt un développement
sur le thème du Déluge, dont il affirme la présence dans de nombreuses traditions africaines (hottentotes, etc.) et il suggère que la
dénomination de cette catastrophe en hébreu, mabul, serait à rapprocher du kirundi imvura, « la pluie65 », etc.

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Les traditions orales recueillies ne sont donc pas interprétées en tant que telles dans leur contexte propre, mais décryptées à la
lumière d’écrits qui leur sont étrangers, censés intéresser davantage un lecteur européen. Un passage révèle bien cette attitude :
Donc, tout ce que les habitants actuels racontent de leur origine (immigration) paraît bien modernisé. Cette vague tradition peut
fort bien dater de quelques milliers d’années. Quoi qu’il en soit les Wahinda sont les derniers restants d’une superbe race
d’hommes, de géants, de vrais fils d’Enac66.

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Le quiproquo ethnocentrique est complet : l’auteur interprète ces traditions dans sa culture d’Européen du XIXe siècle et reproche
aux porteurs de ces traditions de les avoir « modernisées », par « oubli » de la « vraie tradition » biblique primitive que leurs ancêtres
les plus lointains sont censés avoir partagée ! Réagissant contre les exégètes rationalistes qui voyaient dans les Saintes Écritures un
recueil largement composé de « légendes populaires », Van der Burgt en défend vertement les bases littéralement scientifiques :
Ce mot de “légende populaire” est vraiment charmant. On ignore, paraît­il, qu’à cette époque on ne se contentait pas de légendes
orales, mais qu’on écrivait énormément en Égypte, en Assyrie et bien ailleurs et bien avant. On possédait des bibliothèques en
briques écrites grandes comme des montagnes ! On ignore aussi, dirait­on, qu’entre Adam et M oïse il n’a fallu que très peu
d’organes de connaissances primitives. M oïse vécut longtemps avec Lévi, son aïeul. Lévi vécut 33 ans avec Isaac, Isaac 50 ans avec
Sem, Sem 98 ans avec M athusalem, enfin ce dernier 140 ans avec Adam. Ajoutez à cela que les orientaux, même actuels, ont la
mémoire prodigieuse, et retiennent fidèlement d’interminables généalogies contenant des centaines de noms propres. Il est permis
de croire que ces gigantesques personnages qui vivaient près de mille ans, avaient la mémoire bien autrement robuste encore ! […]
Son [M oïse, familier des bibliothèques égyptiennes] érudition était au moins aussi grande que celle de notre plus érudit ethnologue
moderne qui étudie à peine 50 ans67…

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Ce missionnaire nage en pleine mythologie, fût­elle d’inspiration biblique, et nie, encore au début du XXe siècle, la chronologie
longue des préhistoriens 68, même s’il fait de la métallurgie une invention antédiluvienne, attribuée aux fils de Caïn. Cet obscurantisme
scientifique attardé cohabite avec le mépris culturel qu’il exprime à l’égard des traditions orales africaines.
Faute de trouver un sens à celles­ci, il les traite comme s’il s’agissait de plantes ou d’insectes que l’on découpe sous un
microscope pour en tirer des molécules utiles, qui, dans ce cas, seront des racines linguistiques, manipulées pour en extraire, à la
lumière de la Bible, une vérité cachée. L’outil privilégié de cette méthode, sera, on l’a vu, le recours à une étymologie débridée. Il
estime en effet découvrir les champs sémantiques les plus fondamentaux dans des syllabes ou des familles de syllabes qu’il peut,
évidemment, repérer dans toutes les langues du monde.
C’est ainsi que am, dans mwami (« le roi » en kirundi) peut associer ce vocable aussi bien à Cham qu’au dieu égyptien Ammon69.
De même la racine man, qu’il trouve dans la dénomination de l’entité divine suprême en kirundi, imana, le conduit encore à Ham,
transcrit, dit­il en sanscrit et en égyptien, mais aussi à Ménès et à Minos. Il ajoute que le « crocodile » en égyptien, khebma, renvoie
aussi à Cham. Or la Ruvubu, explique­t­il, est la « rivière des crocodiles 70 ». CQFD. L’ennui est que Ruvubu signifie plutôt la « rivière
des hippopotames »… Dans la même veine il se lance dans un déluge de comparaisons, du celte au polynésien, où on trouve aussi
bien les Maori que l’île de Man !
Ou encore, partant de aru, « rivière » en égyptien selon lui, il trouve dans cette même langue rua­nta, « montagne, gorge, source
de rivière », qui le conduit évidemment tout de suite à Ruanda. Aru le mène aussi à la rivière Akanyaru, sur la frontière nord du
Burundi71.

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Plus délirant encore est le traitement, sur des pages entières, des « racines » NK, NG et KH, où il trouve le ankh égyptien,
désignant « la vie et l’accouplement » et aussi hek (« le roi », dit­il en rapprochant ce terme du kirundi guheka, « porter un bébé sur
le dos »), le maya akh, les mots Angleterre, jung (un dieu juvénile dit jaung en basque). Pour enrichir sa palette il propose aussi que
NG et Z soient interchangeables, ce qui lui permet de parler des esprits nzambi en langue bantu, de l’esprit tzi en assyrien, de Tzuita,
« abîme en égyptien » (avec une interrogation sur un lien avec Watutsi !), mais aussi de zi, « esprit » en akkadien et « eau » en
kirundi (amazi)72…
Conscient du scepticisme possible de ses lecteurs, il s’explique en conclusion de cet article :
Plusieurs fois j’ai averti que les étymologies, si spécieuses qu’elles paraissent, sont sujettes à caution. Le lecteur l’aura pensé peut­
être souvent en parcourant cette notice.... Néanmoins elles ont parfaitement de la valeur, et je puis citer ici un mot du célèbre Dr
Weiss, un homme éminemment compétent qui, dans l’introduction de sa Weltgeschichte, vol. I (Orient), p. XXVIII, écrit : “Wo alle
Urkunden über die ältesten Gedanken (Religion) und die Urgeschichte eines Volkes fehlen, ist die Sprache die wichtigste und
sicherste Urkunde. Sie löst um einfachsten die Fragen...”73.

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Certes, reconnaît­il, des ressemblances de termes peuvent être le fruit du hasard, mais « la science linguistique actuelle tend à
renverser les barrières de Grimm et de Max Müller74, et partant à supprimer l’irréductibilité des trois groupes de langues humaines ».
Autrement dit, il est persuadé de pouvoir remonter à la langue unique de l’humanité antédiluvienne ! On comprend que, dès lors,
toutes les audaces lui sont permises. Ce comparatisme à tout va nous rappelle irrésistiblement ce que Voltaire disait de l’usage
immodéré de l’étymologie dans son Dictionnaire philosophique :
Ne faut­il pas être bien possédé du démon de l’étymologie pour dire... que le mot romain augurium vient des mots celtiques au et
gur ? Au, selon ces savants, devait signifier le foie chez les Basques et les Bas­Bretons, parce que asu, qui, disent­ils, signifiait
gauche, devait aussi désigner le foie, qui est à droite ; et que gur voulait dire homme, ou bien jaune ou rouge, dans cette langue
celtique dont il ne nous reste aucun monument. C’est puissamment raisonner.
On a poussé sa curiosité absurde (car il faut appeler les choses par leur nom) jusqu’à faire venir du chaldéen et de l’hébreu certains
mots teutons et celtiques... il ne reste plus qu’à dire que les différents ramages des oiseaux viennent du cri des deux premiers
perroquets, dont toutes les autres espèces d’oiseaux ont été produites75.

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Le cas du Dictionnaire du Père Van der Burgt est loin d’être unique, en son temps et au­delà. La quête des origines a conduit,
jusqu’à nos jours, à des amalgames et à des illusions du même type. Les discussions sur la question indo­européenne en ont fourni
maints exemples depuis le XIXe siècle76. De même les hypothèses dites « afrocentristes » ne se privent pas de recourir à cette sorte de
« paléontologie linguistique », pour identifier le berceau commun, soit de l’ensemble des cultures noires, soit de « la » culture bantu,
peul ou autre77. Chaque fois, les questions scientifiques posées concernent le respect des structures linguistiques, la
contextualisation des champs sémantiques et enfin le sens de la chronologie qui rend pour le moins très difficile les comparaisons
terme à terme de parlers séparés par des millénaires sans disposer de relais permettant d’articuler les rapprochements, d’argumenter
sur des séries et des mutations. La facilité des extrapolations dépend de l’abstraction avec laquelle les dimensions spatiales et
temporelles sont traitées. Pour reprendre une formule de François­Xavier Fauvelle, « la vérité du mot comme vérité hors du temps
apparaît plus particulièrement dans le recours sans contrôle à l’étymologie78 ».
La distance, voire la détestation, avec laquelle notre auteur aborde la société qu’il étudie et où il vit, ne se traduit pas seulement

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sur le plan intellectuel. Le moteur du discours est sans cesse mu par un moralisme collectif, le repérage de culpabilités héréditaires,
une dénonciation du Mal, qui justifie l’action évangélisatrice et la domination coloniale salvatrice. Ce qui ressort tout
particulièrement, c’est l’obsession de la sexualité, à travers la référence à Cham, voire même à Caïn, le criminel.
Le nom même des Watutsi, qu’il fait dériver de kutuka, « offenser », lui inspire aussitôt une allusion à « Cham qui injurie son
père », un « attentat à la pudeur » (qu’il dénomme ikitutsi), rappelle­t­il par ailleurs 79.
Quand il traite de la religion, le péché qui revient sans cesse est celui du sexe. Les initiés du culte du kubandwa, les awawandwa
seraient aussi appelés waswezi. Selon lui ce deuxième terme dérive du verbe kuswera, « forniquer80 ». Il évoque aussi une figure de
ce culte qu’il appelle Wandamutoni, « une Cybèle, une Vénus, une fille de Cham », et il commente :
L’Écriture sainte considère toujours la terre de Cham comme la patrie de l’erreur, de l’ennemi […], les infirmités de l’ulcère
inguérissable de l’Égypte […] Cham fut le fidèle continuateur de Caïn, de sa magie et de ses mystères d’iniquité [...] Après le
Déluge, l’histoire satanique et caïnite reprend son fil sur la terre avec Cham, Chus, Chanaan, et sequ. […] Les prophètes avaient
raison de fulminer contre les ignominiae Egypti et terrae Cham […] Les infamies de Phégor81 paraissent avoir été sur la surface de
cette terre l’unique préoccupation du paganisme ancien et moderne82.

49

Sur le même ton, à propos du concept burundais d’imana, il conclut :
Quelle conclusion tirer de ces recherches sur les noms de ces dii gentium ? En disséquant ces noms, et en remontant à leur origine,
on arrive toujours à l’homme, apothéosié, divinisé, canonisé à rebours, qui est adoré avec son patron spirituel et mauvais, son
pénate (penus­nos­natus), ou un autre. C’est la réflexion, qui s’impose impérieusement, lorsqu’on envisage ces gibborim83. Oui,
l’humanité oublieuse de son Créateur, s’est cherchée soi­même dans son orgueil et sa perversité, et elle a fini (elle a commencé de
bonne heure !) à adorer un Siva...84 !

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51

52

Quand il évoque Siva (on l’a vu plus haut) ou les « pénates », c’est pour exorciser l’abomination, selon lui, des symboles
phalliques. Il dénonce cette forme, fréquente dans les amulettes, « cet emblème horrible profané dans la lignée maudite ». Il voit dans
la « lance sacrée » présente dans le culte du kubandwa comme une adoration de « l’homme par excellence (vir) », « divinisé » à
travers « le grand ancêtre » Cham, qu’il assimile à Priape. Il se lance alors dans une digression sur les représentations du phallus,
tout objet pointu selon lui, « un élément idéographique lié aux cultes païens », et sur les dénominations de ce type de symbole dans
différentes langues, uluka en nyamwezi, uk, « la colonne », en égyptien, uksh, « élancé », en sanscrit (l’étymologie revient)85.
La philosophie dominante de toutes ces hypothèses sur le peuplement et sur les civilisations de l’Afrique est fondamentalement
pessimiste, elle dresse le bilan d’une dégénérescence multiséculaire. L’article « religion » du Dictionnaire s’appesantit sur cette
décadence structurelle : les Noirs ne sont pas des « primitifs », mais des « tombés ». « Les peuples dont la dégénérescence est la
plus prononcée et dont la dégringolade est la plus profonde sont ceux aussi dont les croyances ont ordinairement le plus souffert :
ceux qui ont le moins sauvé du naufrage primordial, mais qui ont rempli (ou laissé remplir) ces lacunes par des impostures
ignobles 86 ». Selon lui en effet toute l’humanité a bénéficié de la révélation de la vérité contenue dans la « religion primitive ». « Il y a
sur ce terrain maintes pierres à ramasser et à rétablir dans l’édifice primitif de la Religion, où elles furent arrachées ». Les lignées de
Cham sont évidemment à ses yeux celles qui ont le plus souffert de cette dislocation : « Les tribus humaines, sorties d’un seul centre,
ont occupé toute la terre avec des souvenirs de la religion primitive ». Tout le reste ne fut qu’infidélité : « L’infidélité à mille noms
dans la suite des âges est représentée surtout par la race de Caïn, de Cham, de Kush, de Nemrod, etc. ».
Mais il se persuade que les Barundi en ont conscience puisqu’ils invoquent les traditions reçues de leurs ancêtres, révélant ainsi

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que le passé leur semble avoir été meilleur que le présent87. Donc l’évangélisation n’est pas, dans cette optique, destinée à apporter
de nouvelles lumières, mais à réveiller les lumières du passé (que le missionnaire étranger est censé mieux connaître que les
autochtones) dans ce grand combat du Bien contre le Mal.
Cette entrée « religion » comporte dix pages serrées et verbeuses en doubles colonnes. Il est piquant d’y apprendre que la
confusion régnerait aussi dans l’esprit des Barundi, au grand dam de ceux qui essaient de les comprendre :
Ce qu’on constate notamment chez les Nègres et chez nos Warundi, c’est ce dédale sans issue, cette confusion chaotique, ces
contradictions flagrantes, ce touffu inextricable dans les croyances et les dires des gens, mais aussi dans les histoires et les
traditions des mêmes croyances […].
Le chaos des explications est peut­être plus grand que celui des cultes mêmes étudiés ! On patauge de système en système, sans
arriver à des conclusions définitives ; tout cela pour avoir jeté la bonne clef qui seule aurait pu ouvrir les portes de ces labyrinthes.
Il est pourtant bien évident que, si l’on se place au bon point de vue, on embrasse facilement l’ensemble de cette masse grouillante
à ses pieds et on synthétise assez heureusement la foule de ces pseudo­cultes […] en les ramenant au seul vrai dont ils sont déchus
et dont ils ne présentent que les hideuses contrefaçons88.

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55

56

On n’ose imaginer entre les lignes les questions qu’ont dû se poser les interlocuteurs burundais de ce missionnaire sur le bon
sens et sur les motivations des questions qui leur étaient posées. Dans ce regard croisé, qui était le sage et qui était le fou ? Où était
la barbarie ? En faisant du texte biblique le référent universel de la compréhension d’une civilisation étrangère, la clef de l’histoire du
peuplement depuis « le Déluge », le repère crucial de l’interprétation de la société africaine qu’il découvrait, cet auteur, malgré son
érudition orientaliste et ethnologique, plaquait sur le Burundi une nouvelle couche de légendes. Il assurait le détournement d’une
mythologie vers une autre, il entreprenait d’enserrer une culture orale dans une tradition écrite étrangère, il réduisait une vision du
monde locale à des sophistications ésotériques à prétention universelle. Le Père Van der Burgt est le reflet d’un certain XIXe siècle,
moins celui du scientisme et de la révolution industrielle que celui d’un retour du religieux, celui des nostalgies romantiques pour le
Moyen­Âge, celui des orientalismes ésotériques, celui d’une érudition livresque mal digérée tournant, sur les mondes extra­
européens, en une sorte de scientologie raciale89.
À travers des divagations orientalistes, c’est plus crûment à une opération ethnocentrique de capture de la culture et de l’histoire
des Barundi que nous assistons à la lecture de ce Dictionnaire français­kirundi. Or cet ouvrage est plus qu’une pièce de musée, il a
figuré longtemps dans les bibliothèques des séminaires de la région des Grands Lacs et dans des presbytères de missions. Son
contenu a circulé chez les autres missionnaires, plus ou moins réservés à son égard, mais aussi dans la première génération de
prêtres et d’intellectuels dits « évolués » de ce monde colonial. Il est un des premiers documents qui témoignent de l’application de
l’idéologie hamitique à la société burundaise. L’obsession de la classification opposant Hamites et Bantous va s’imposer de manière
lancinante dans le demi­siècle qui suit cette publication. Elle marquera le tournant violent des indépendances, au Rwanda puis au
Burundi90.
Encore aujourd’hui, au début du XXIe siècle, dans le contexte dramatique de la guerre civile qui a meurtri le Burundi de 1993 à 2003,
mais aussi du génocide rwandais de 1994, des groupes se réfèrent à cette idéologie pour légitimer l’antagonisme dit « ethnique »
entre Hutu et Tutsi. Quelques Burundais, de formation littéraire ou juridique, exilés en Belgique, ont par exemple développé depuis
2000 l’idée que les Tutsi seraient d’origine juive, à l’instar des Falasha d’Éthiopie et, se référant à la « géographie » de la Genèse91, ils
ont choisi d’intituler le Tutsiland dont ils rêvent aux sources du Nil Blanc « le pays de Havila »92. Dans un document diffusé en 2001

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sur internet93, ils ne cachent pas leur admiration pour l’œuvre du Père Van der Burgt. Mais depuis un siècle, des massacres
récurrents sont venus donner corps, si l’on peut dire, à la logique de cet antagonisme « racial ». Des partisans des thèses « bantu »
adverses ont donc automatiquement saisi l’occasion pour affirmer que cette « judaïsation des Tutsi » relevait d’une « stratégie de
conquête », pour souligner que les Tutsi seraient donc effectivement issus d’une invasion étrangère et suggérer qu’ils seraient des
alliés objectifs de l’État d’Israël94…
Sur un mode moins grave, j’ai rencontré dans une paroisse du nord du Burundi, en 1971, un vieux prêtre burundais, ancien lecteur
du fameux Dictionnaire, qui affirmait que son clan des Bajiji était d’origine juive, juif­juif donnant évidemment jiji. La conclusion qui
s’impose, avec le dramaturge Eugène Ionesco, est que parfois « la philologie mène au pire95 »…

Bibliographie
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BRENTANO, C., 1896, Das arme Leben und bittere Leiden unseres Herrn Jesu Christi und seiner heiligsten Mutter Maria : nebst den Geheimnissen
des alten Bundes, nach den Gesichten der gottseligen Anna Katharina Emmerich. Aus den Tagebüchern des Clemens Brentano, Regensburg, (1re éd.
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Notes
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1 Une tentative rocambolesque sur la rive est de la Ruvubu, qui se conclut, compte tenu de rumeurs alarmistes, par une fuite précipitée vers le sud,
jusqu’à Ujiji, au bord du lac Tanganyika, et à une installation momentanée en Uzige, d’où le Père Van der Burgt repartit en 1898 vers Ushirombo, le
siège du Vicariat, en Unyamwezi (Archives des Pères blancs à Rome (désormais PBR), Diaire de Saint­Antoine [rédigé par Van der Burgt lui­même,
années 1896­1898]).
2 PBR, Diaire de Muyaga, 5.10.1911 et 26.8.1912.
3 J.­M . VAN DER BURGT, 1921.
4 J.­M . VAN DER BURGT, 1902.
5 PBR, Diaire de St­Antoine, 30.7.1896.
6 J.­M . VAN DER BURGT, 1902, p. 106. Il s’agissait sans doute d’un de ces éleveurs batutsi, d’origine burundaise ou rwandaise, qui étaient implantés
en pays nyamwezi au XIXe siècle.
7 « Il n’a jamais pu prêcher en cette langue [le kirundi] » selon le Père Saint­Samat (PBR, V.A. Unyanyembe, Courrier de M ugera, lettre du
10.8.1902 ; Diaire de Mugera, 17.1.1904).
8 PBR, lettre de M gr Gerboin, 7.2.1902.
9 PBR, Courrier de St­Antoine, juillet 1897.
10 PBR, Courrier de M ugera, lettre du 24.5.1904 : il cite des ouvrages anglais d’ethnologie et un livre de François Lenormant sur « l’origine de
l’homme ».
11 PBR, Courrier de M ugera, lettres de Van der Burgt : Boxtel, 29.12.1901 et 10.6.1903 ; M ugera, 6.1.1904.
12 PBR, V.A. Unyanyembe, lettre du 25.1.1901.
13 A.E., BRINCKMANN, « Eine Unterredung mit Pater van der Burgt von der M ission derweißen Väter" über die Schmähschrift von Evans Lewin
“deutsche Kolonisatoren in Afrika” », Koloniale Rundschau, 1918, p.437.
14 Voir aussi sur Van der Burgt, A.A. T ROUWBORST, 1979.
15 PBR, V.A. Unyanyembe, lettre de Gerboin du 31.8.1897.
16 Annalen der Afrikaansche Missiën, Oudenbosch, « rapports détaillés » livrés durant six ans (de 1896 à 1901) par le Père Van der Burgt (d’après
H. M EYER, 1984, p. 257).
17 Par exemple dans PBR, Courrier de M ugera, lettre de Saint­Samat, 10.8.1902
18 Extrait d’une lettre envoyée de Boxtel le 29.12.1901 (PBR, Courrier de M ugera). Une note indique que cette autorisation n’avait jamais été
formellement demandée et le 22.1.1902 M gr Gerboin confirme que le Père Van der Burgt n’a pas non plus demandé d’imprimatur pour sa
grammaire, où, ironise­t­il, il voudrait forcer à dire wantu au lieu de bantu !
19 Il cite aussi de lui : Die Anfänge der Kultur, Jéra, 1871 [en fait 1875].
20 1828­1907, poète, égyptologue et mystique qui voyait en Horus un précurseur du Christ.
21 J. T ORREND, 1891.
22 R. LEPSIUS, 1880.
23 G. SERGI, 1897.
24 Pseudonyme du dominicain français E. de Brosse.
25 Aristocrate d’origine russe, haut fonctionnaire de la Restauration, légitimiste, leader d’un courant spiritualiste qui diffuse les thèmes du
romantisme allemand en France.
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26 Ouvrage d’un capucin, défenseur de l’idée d’une origine gauloise des Galla (nom donné par les chrétiens amhara aux Oromo, voir note 49) !
27 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. XXVII et LXXV.
28 Je reprends ici ce que j’ai analysé dans plusieurs publications depuis une trentaine d’années : voir notamment J.­P. CHRÉTIEN, 1977.
29 Deux éditions : 1801 et 1824.
30 A. LEFÈVRE, 1892, p. 65­66.
31 J.A. DE GOBINEAU,1884, p. 225­241.
32 C. SELIGMAN, 1935, p. 138.
33 J.­P. CHRÉTIEN, 1985.
34 Kush étant, dans la Bible, un des trois fils de Cham, aux côtés de M içraim et de Phut. Sur tout ce développement, voir J.­M .
1903, p. XXVIII­XLII. Selon lui M içraim aurait déjà trouvé des Noirs issus de Kush à son arrivée en Égypte.

VAN DER

BURGT,

35 Il suggère que ce berceau serait notamment en Susiane (à l’est du Tigre), en fonction du résultat des fouilles de l’archéologue M arcel Dieulafoy
menées sur ce site dans les années 1880. Il évoque même la possibilité que ce soit le lieu du Paradis terrestre biblique. Il affirme retrouver dans la
langue de la Suse antique les radicaux bantu ­nte et –ntu.
36 Selon lui entre 3500 et 3200 avant notre ère !
37 C’est­à­dire la Révélation primitive de Yahvé, censée avoir été peu à peu oubliée après le chute de la tour de Babel (J.­M . VAN DER BURGT, 1903,
introduction, p. XXXVI).
38 C. BRENTANO, 1896 (1ère éd. 1833). Les visions attribuées à cette religieuse de Dülmen en Westphalie, béatifiée en 2004, ont inspiré des scènes
du très controversé film de M el Gibson sorti la même année sur « La Passion du Christ ».
39 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, introduction, p. XL.
40 PBR, dossier ethnographique n° 607, f° 32­33. Note intitulée « Urundi », non signée, mais dont l’écriture, le style et le contenu attestent sans
ambiguïté que l’auteur en est le Père Van der Burgt. Il renvoie à l’édition de 1833. Cette allusion aux « M onts de la Lune » figure effectivement dans
le livre 6 de l’ouvrage de Brentano, visions d’octobre 1820 : « Je vis Thaddée et Silas parcourir tout le chemin qu’avait suivi Jésus à travers l’Arabie
jusqu’à l’Égypte. Je vis aussi l’apôtre chez des noirs : c’était, je crois, en Afrique : car je vis le pays où réside aujourd’hui Judith, c’est­à­dire les
montagnes de la Lune » (traduction française annotée par J. Boufflet, téléchargeable sur le site web http://jesusmarie.com).
41 Selon lui, on observe un phénomène équivalent en Asie, avec le croisement des Chamites et des M ongols, donnant les peuples malais. Il ne
précise pas à quel fils de Noé il attribuerait la lignée mongole…
42 Terme sanscrit pour désigner un symbole phallique du dieu Shiva.
43 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. LXXV­LXXX.
44 Sur les Noirs, le message de la voyante transcrit par Clemens Brentano affirmait en effet : « J’ai vu une race très corrompue issue de Cham : elle
s’enfonçait toujours davantage dans les ténèbres. Les peuplades noires, païennes et complètement arriérées me sont montrées comme des
descendants de Cham, et leur couleur de peau n’est pas un effet du soleil, mais la conséquence de l’origine obscure de leur race maudite » (extrait du
volume Mystères de l’Ancienne Alliance sur « la descendance de Noé », traduction française de J. Boufflet sur le site http://jesusmarie.com).
45 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 4­5, 615­630. Les citations qui suivent sont tirées du premier article. On en trouve des passages mot pour mot
dans la note ethnographique rédigée probablement vers 1900, figurant aux Archives des Pères blancs (PBR, dossier ethnographique n° 607).
46 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. CIV.
47 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. CV­CVII.
48 Pour la critique de la récupération des mythologies locales par la raciologie européenne, voir J.‑P. CHRÉTIEN, 1985 (b) ; J.­P. CHRÉTIEN, 1968, sur
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l’invention du « M wezi blanc » par cet explorateur qu’a lu Van der Burgt ; B. RAY, 1991.
49 En notant que les « Gallas » s’appelaient en fait Oromo et que le premier terme n’est qu’un sobriquet que leur avaient donné leurs voisins de la
Corne de l’Afrique.
50 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. LXXX et LXXIV.
51 Amalgame entre trois dénominations : celle d’un clan dynastique (les Bahinda) dans les petits royaumes situés à l’ouest du lac Victoria, celle de
la catégorie pastorale chez les Barundi et les Banyarwanda (les Batutsi) et celle d’une catégorie équivalente à l’ouest de l’Ouganda, au Bunyoro par
exemple (les Bahuma ou Bahima).
52 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. LXXI.
53 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. XLVII­LXVIII.
54 Langue morte de la Perse ancienne, liée au culte zoroastrien.
55 Gaspare Gorresio (1808­1891), professeur de sanscrit à l’université de Turin, spécialiste de l’indo­européen (1867).
56 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 180, s.v. « dynastie ». Nous avons respecté les italiques censés mettre en valeur le raisonnement linguistique…
57 Par exemple J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. XLVIII­XLIX et p. 523, s.v « royal ». Il y suggère cependant que le foyer plus précis serait la
Susiane, aux confins de la M ésopotamie et de l’Iran et aux abords de l’Inde occidentale.
58 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 629, s.v. « Wahinda ».
59 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 223, s.v. « éternuer ».
60 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 619, s.v. « histoire ».
61 Voir E.W. SAÏD, 1997, p. 45­90, 137.
62 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 493.
63 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 551, s.v. « succession ».
64 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 530, s.v. « salut ».
65 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 275­277, s.v. « guerre ».
66 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 180, s.v. « dynastie ».
67 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, introduction, p. XLI­XLII.
68 Rappelons que les découvertes préhistoriques de Boucher de Perthes, remettant en cause la chronologie courte de 4000 ans admise par l’Eglise,
étaient reconnues dans le monde scientifique depuis les années 1860.
69 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 523, s.v. « royal ».
70 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 591­609, s.v. « imana ».
71 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 613­615, s.v. « histoire ».
72 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 591­603, s.v. « imana ».
73 En français : « Quand les sources manquent sur les plus anciennes convictions (religions)... et sur l’histoire originelle d’un peuple, la langue est
la source la plus importante et la plus sûre. Elle résout les problèmes de la façon la plus simple ».
74 À travers ces linguistes du XIXe siècle, Jakob Grimm et M ax M üller, également spécialistes des cultures populaires (contes et mythes), il vise
probablement la classification qui distinguait les langues indoeuropéennes des autres familles (sémitiques et autres).
75 VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique portatif, 1764­1767, s.v. « augure » [disponible sur http://www.voltaire­integral.com].
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Découverte d’une culture africaine et fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire français-kirundi du Père Van der Burgt (1903) entre ethnographie, exégèse biblique et orientalisme

76 C. RENFREW , 1990 : voir notamment « le leurre du protolexique », p. 100­109.
77 J.­P. CHRÉTIEN, 2000.
78 F.­X. FAUVELLE, 1996, p. 116.
79 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 627­628, s.v « watutsi » ; J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 55, s.v. « attentat ».
80 En fait le terme exact, bacwezi, concerne plutôt les esprits du culte que les initiés eux­mêmes et il fonctionne surtout à l’ouest de l’Ouganda.
Son étymologie est discutée : la couleur blanche (de kwera, comme dans ukwezi, « la lune ») ou un rite consistant à cracher (d’après un verbe en
runyoro ?). M ais il ne s’agit pas de kuswera.
81 Renvoie à Baal, donc au paganisme de la Palestine antique.
82 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 218­220, s.v. « esprit ».
83 « Démons » en hébreu.
84 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 609, s.v. « imana » (nous respectons les italiques du texte).
85 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 29, s.v. « amulette » ; J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 516, s.v. « Rite ».
86 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 491­500.
87 La période précédant les différentes calamités qui ont frappé le pays à la fin du XIXe siècle (épidémies, sauterelles, disettes, et aussi...
l’irruption des Blancs) leur semblait effectivement meilleure, mais elle n’était pas antédiluvienne !
88 J.­M . VAN DER BURGT, 1903, p. 495.
89 Voir sur « l’histoire de l’imaginaire humain » : P. VIDAL­NAQUET, 1990, p. 139­159.
90 J.­P. CHRÉTIEN, 1985c ; J.­P. CHRÉTIEN, 2000/2003.
91 Gn, 2, 10 ; 10, 7 ; 10, 29 et 25,18. Un des « quatre bras » (le « Pichôn ») du fleuve censé « arroser le jardin d’Eden » « contourne tout le pays
de Hawila, où il y a l’or ». Ailleurs ce nom apparaît, tantôt comme celui d’un des fils de Kouch, tantôt comme une région, « en face de l’Égypte »,
identifiée comme étant en Arabie du Nord. Les autres « bras » cités dans le texte biblique sont l’Euphrate, le Tigre et le « Guihôn qui contourne
tout le pays de Kouch » (identifié avec l’Éthiopie).
92 J. BWEJERI, « M émorandum de Havila. Adresse à son excellence le président Nelson M andela », Bruxelles, 25.1.2000 (il y est question du
« peuple des Batutsi, maîtres du pays de Havila depuis la nuit des temps (Gn, 10, 6­8) »).
93 J. BWEJERI, « Les Batutsi II. L’histoire confisquée », Annales de Havila n° 005, Institut de Havila, Bruxelles, juillet 2001, chapitre « La
centralité du religieux dans le pays du dieu caché » : Les missionnaires du cardinal Charles Lavigerie qui écrivent au début du siècle, ont pourtant
spontanément porté témoignage de la filiation pharaonique, abyssinienne et hébraïque des Batutsi. Le Père J.M . Van der Burgt reste exemplaire à
cet égard… ».
94 Par exemple sur le site web http://www.burundi­agnews.info en 2002, une « analyse » attribuée à Erik Kennes, du CEDAF (Tervuren) et
diffusée par une agence « Grands lacs confidentiel », en date de Bruxelles le 18 avril 2000 (en notant l’espèce d’anonymat de ce genre de textes
circulant sur la « toile » par le jeu des attributions emboîtées !).
95 E. IONESCO, La leçon, Paris, Gallimard, 1994 (1ère éd. 1953), p. 51.

Pour citer cet article
Référence électronique

Jean­Pierre Chrétien, « Découverte d’une culture africaine et fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire français­kirundi du
http://afriques.revues.org/363

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Découverte d’une culture africaine et fantasmes d’un missionnaire. Le Dictionnaire français-kirundi du Père Van der Burgt (1903) entre ethnographie, exégèse biblique et orientalisme

Père Van der Burgt (1903) entre ethnographie, exégèse biblique et orientalisme », Afriques [En ligne], 01 | 2010, mis en ligne le
21 avril 2010, consulté le 02 octobre 2015. URL : http://afriques.revues.org/363

Auteur
Jean­Pierre Chrétien
Directeur de recherche émérite, CNRS, Centre d’études des mondes africains (CEMAf)

Droits d'auteur
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