Citation
Enquête sur les victimes tuées au Rwanda durant l’opération
Turquoise
Cas de la région de Bisesero
Vénuste Kayimahe, Jacques Morel
25 juin 2014
Résumé
À la fin du mois de juin 1994, près de 1 000 survivants tutsi ont été tués dans la région de
Bisesero alors que les militaires français de l’opération Turquoise étaient présents et étaient
informés de ces tueries. 1 Afin que ceci soit indiscutablement établi, une enquête a été commencée afin d’établir la liste nominative des personnes tuées dans la région de Bisesero après
le 23 juin. À partir des déclarations des informateurs, 381 victimes ont été identifiées ainsi
que le lieu des meurtres et le nom des assassins qui ont été reconnus par les témoins. À des
fins de vérification, les informateurs, les témoins et les parents des victimes sont enregistrés
également. Les déclarations correspondant à la même victime ont été regroupées. L’erreur sur
la date de l’homicide est estimée. Les déclarations où la date de l’homicide est erronée et en
réalité antérieure à la période où les troupes françaises prennent le contrôle de la zone sont
éliminées. Les déclarations sont aussi confrontées à d’autres sources comme les dépositions de
survivants au Tribunal pénal international sur le Rwanda ou aux informations publiées dans
les médias.
1
La pré-enquête de 2010-2011
L’enquête réalisée par Ibuka, fournissant la liste de 59 050 personnes tuées dans la préfecture
de Kibuye en 1994 est apparue peu utile car elle donne rarement la date de la mort. 2 De même,
le recensement préliminaire des victimes du génocide à Bisesero publié par African Rights, qui
fait la liste de 5 145 victimes dans les communes de Gishyita et Gisovu, ne donne pas cette date
de la mort. 3 Le bureau communal de Gishyita a été incendié au départ du bourgmestre Charles
Sikubwabo, ce qui a empêché de récupérer la liste des habitants. 4
Nous avons commencé notre enquête en 2010. Narcisse G., responsable de la cellule Bisesero,
l’a faite, soit en se déplaçant chez les informateurs, soit en téléphonant. Il a recueilli 43 réponses.
Lors d’une visite en 2011, nous en avons recueilli 11 autres à Gishyita et Bisesero. La preuve était
faite qu’il était encore possible d’obtenir des informations assez précises auprès des survivants,
mais l’enquête ne se faisait pas toute seule spontanément.
2
L’enquête de 2013
Lors d’un voyage en France en avril 2013 de Bernard Kayumba, maire du district de Karongi, et
d’Eric Nzabihimana, rescapé, l’idée est venue de reprendre cette enquête après la commémoration
des massacres de Bisesero qui a lieu chaque 27 juin. Ayant obtenu l’accord verbal de M. Jean de
1.
2.
[4].
3.
4.
African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994 [2, p. 3].
Association Ibuka Rwanda, Dictionnaire nominatif des victimes du génocide dans la préfecture de Kibuye
African Rights [2, p. 84].
Rapport Mucyo [3, p. 274].
1
Dieu Mucyo, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG),
et avec le soutien des deux rescapés sus-nommés, les autorités locales ont été contactées. Lors de
la commémoration du 27 juin 2013, nous avons été autorisés à présenter le but de l’enquête et à
annoncer les lieux de rendez-vous pour les jours suivants. Notre intervention a été traduite par Eric
Nzabihimana. M. Jean-Damascène Gasanabo, représentant de la CNLG, a vivement encouragé les
rescapés à participer à l’enquête.
L’enquête a donc été faite avec l’appui des autorités locales aux bureaux de secteur de Gishyita,
Bwishura (ancien bureau communal de Gitesi-Kibuye), Mubuga, Gakuta et, durant 2 jours, au
centre de santé de Bisesero. D’autres questionnaires ont été remplis à Kigali, essentiellement par des
étudiants rescapés de Bisesero. Les enquêteurs retournant le soir à Kibuye, l’enquête ne commençait
pas avant onze heures du matin. Les questionnaires ont été remplis par Vénuste Kayimahe ou par
les informateurs eux-mêmes. Dans ce dernier cas, ils n’ont pas toujours été remplis correctement.
De plus, puisque beaucoup de monde attendait, en particulier à Bisesero, les questionnaires ont
été remplis en moins de temps qu’il aurait été nécessaire. Les étapes de ce recueil des réponses
sont décrites dans le tableau 1 page 2.
Il faut poser la question de l’influence des conditions de l’enquête sur les réponses recueillies.
L’appui des autorités à l’enquête, le rendez-vous dans un bâtiment public officiel, le statut de
rescapé de l’enquêteur Vénuste Kayimahe, la présence d’un Français perçu comme accusant les
militaires de son pays ont pu biaiser les résultats.
L’impression immédiate que nous avons eu est que l’appui des autorités n’a pas déclenché
un raz-de-marée d’accusations. Sauf lors des deux journées au Centre de santé de Bisesero, nous
n’avons pas eu un fort afflux de rescapés. Nous n’avons observé aucune preuve d’une opération
organisée par les autorités. L’enquête a été faite à notre initiative, à nos frais et grâce à l’aide
financière de deux personnes. Nous pouvons ajouter deux détails. Le maire Bernard Kayumba
était alors parti en France participer à une cérémonie à Dieulefit. Sa remplaçante pour la cérémonie de la commémoration a été d’abord réticente à ce qu’un Français prenne la parole à cette
commémoration à Bisesero.
L’enquête n’a absolument pas été influencée par le “gouvernement de Kigali”. Il n’en reste pas
moins qu’on peut suspecter que des rescapés ont pu vouloir rendre les Français responsables de
leur malheur en plaçant la date de l’assassinat de leurs proches – date calendaire dont ils n’ont pas
toujours un souvenir très exact – dans la période où les militaires français étaient officiellement
présents.
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
Date
2010
24 octobre 2011
28 juin 2013
29 juin 2013
30 juin 2013
1 juillet 2013
2 juillet 2013
3 juillet 2013
4 juillet 2013
5 juillet 2013
10 juillet 2013
16 juillet 2013
17 septembre 2013
21 janvier 2014
Lieu
Bisesero
Bisesero-Gishyita
Gishyita
Bwishura
Bisesero
Bisesero
Mubuga
Gakuta
Kibuye
Bisesero
Kigali
Kigali
Kigali
Kigali (V. Kayimahe)
Nb. rép.
39
8
46
16
85
101
11
21
2
5
27
4
14
2
Table 1 – Recueil des réponses à l’enquête
2
2.1
La date du 24 juin 1994
Les principaux événements concernant la région de Bisesero au mois de juin 1994 sont rappelés
dans le tableau 2 page 13. Les troupes françaises rentrent officiellement au Rwanda le 23 juin.
La Résolution 929, votée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 22 juin, accorde le droit
d’utiliser la force à l’opération proposée par la France à “caractère strictement humanitaire” et qui
vise à “contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées,
des réfugiés et des civils en danger au Rwanda”.
Ce 23 juin, les forces spéciales françaises du Commandemant des opérations spéciales (COS)
prennent le contrôle de Cyangugu et du camp de Nyarushishi. Le 24, le groupement du 1er RPIMa
va jusqu’à Gikongoro, les 34 hommes des commandos de l’air (CPA 10) sont transportés par trois
hélicoptères Puma à Kibuye et les hommes du commando de marine Trepel vont par la route de
Cyangugu à Kibuye, sans toutefois parvenir à cette localité. Ils sont montrés à la télévision au
camp de Kirambo. Nous estimons qu’ils sont arrivés jusqu’au voisinage de Gishyita à 5 kilomètres
des collines de Bisesero où quelque 2 000 Tutsi résistent encore à leurs agresseurs.
Sans oublier des avions de chasse basés à Kisangani au Zaı̈re, les troupes spéciales françaises
disposent dès le 24 juin de l’armement, des moyens de déplacement, d’observation et de communication pour arrêter des massacres qui se font, comme on le verra plus loin, essentiellement à l’arme
blanche. Les troupes françaises pouvaient évacuer les blessés graves et protéger les survivants. Nous
retenons donc cette date pour le début de notre enquête.
2.2
La zone d’enquête
Notre enquête a pour but de recenser les Tutsi qui survivaient encore dans la région de Bisesero
et qui ont été tués alors que les Français étaient arrivés. Bisesero est à la fois un nom de lieu précis,
de deux lieux en fait sur la carte, et un nom générique. 5 Deux secteurs s’appellent Bisesero, un
dans la commune de Gishyita, l’autre dans la commune de Gisovu. Chacun des deux comporte
également une cellule Bisesero. Bisesero désigne donc ces deux secteurs administratifs. C’est un
nom générique évoquant toutes les collines de la région. C’est aussi le nom symbolique d’un lieu
dont les habitants, les Basesero, ont une tradition de résistance aux tueries contre les Tutsi. Parce
que cette réputation s’est confirmée en 1994, beaucoup de Tutsi, qui ont pu échapper aux massacres
à la paroisse de Mubuga (15 avril), à l’hôpital adventiste de Mugonero-Ngoma (16 avril), à l’église
de Kibuye (17 avril) et au stade Gatwaro (18 avril), au mont Karongi (26 avril), à la colline
Kizenga (28 avril), se sont réfugiés à Bisesero. Les victimes que nous recherchons n’étaient donc
pas nécessairement domiciliées à Bisesero.
Cette enquête nous a permis de recenser 17 victimes résidant à Gitesi ou Mabanza et tuées
à Gitesi, c’est-à-dire Kibuye. Nous les prenons en compte néammoins, parce que des militaires
français y étaient stationnés.
2.3
Le questionnaire
Dans le questionnaire, nous distinguons l’informateur qui nous fournit les informations sur la
victime, le témoin qui a vu la mise à mort et peut donner des précisions notamment sur l’arme et
l’identité des assassins, enfin les parents survivants de la victime. Nous notons l’adresse, en fait le
numéro de téléphone de l’informateur et du témoin, si celui-ci est encore en vie.
Nous avons établi le questionnaire suivant :
Enquête sur les victimes du génocide des Tutsi tuées dans la zone Turquoise à partir du 24
juin 1994.
Q1-Nom de la victime, prénom :
Q2-Sexe :
Q3-Âge :
Q4-Lieu de résidence (cellule, secteur, commune en 1994) :
Q5-Date de la mort :
5. Voir la carte en figure 5 page 22.
3
Q6-Lieu de la mort :
Q7-Arme utilisée pour tuer la victime :
Q8-La victime a-t-elle été torturée ?
Q9-La victime a-t-elle été violée ?
Q10-Autres détails sur l’assassinat :
Q11-Nom des assassins :
Q12-Nom et prénom de la personne qui a été témoin de l’assassinat :
Q13-Est-elle encore en vie ? Si oui où demeure-t-elle ?
Q14-Nom, prénom, adresse ou téléphone de l’informateur :
Q15-Nom des parents :
2.4
Nombre de réponses obtenues
Nous avons imprimé 1 000 questionnaires. Nous avons eu environ 400 réponses. Pourquoi n’en
avons pas eu plus ?
L’enquête a été perturbée par diverses causes :
- À Bwishura (nom actuel de la ville de Kibuye), nous sommes arrivés en retard suite à une
confusion de lieu et le secrétaire exécutif était occupé par l’umuganda (travail communautaire),
c’était un samedi.
- À Mubuga, des informateurs sont repartis à cause de la présence d’un ancien Interahamwe.
- À Gakuta, nous sommes arrivés en retard et des informateurs sont repartis.
- À Bisesero, vu l’affluence nous aurions dû y passer un troisième jour complet.
Il faut noter que nous ne sommes pas allés interroger les gens à leur domicile. Ce sont eux
qui se sont déplacés. Ainsi, ceux qui étaient au travail, ceux qui habitaient loin du lieu d’enquête,
n’ont pas pu répondre.
Nous avons trouvé des informateurs à Kigali. Nous aurions pu en trouver ailleurs. Nous n’avons
pas couvert toute la commune de Gishyita. Il faudrait voir au nord du côté de Nyagurati, du mont
Karongi, au sud du côté de Ngoma (hôpital adventiste), de Mugonero. Nous montrons plus loin que
nous avons mal couvert l’ancienne commune de Gitesi. Il faudrait aussi voir les autres communes
adjacentes de Gishyita, Rwamatamu, Mwendo et Bwakira.
C’est Eric Nzabihimana qui a choisi les lieux d’enquête. Concernant les cas de morts non
enregistrés, il signale que si les victimes appartiennent à des familles totalement disparues il est
probable que personne ne se souvienne d’elles.
Il y a des preuves que des Tutsi étaient venus se réfugier à Bisesero de plus loin :
Ce sont les morts sans nom ; la plupart d’entre eux étaient sans aucun doute des
Tutsis, certains faisaient partie du peuple autochtone des Abaseseros, d’autres encore
étaient venus des communes de Mabanza, Rwamatamu, Gitesi et Gisovu, à Kibuye,
Kayove, à Gisenyi, ou encore de zones voisines de Gikongoro. 6
Nous ne sommes pas allés les interroger. Enfin nous remarquons que des personnes ne sont pas
venues alors qu’elles nous avaient déclaré précédemment connaı̂tre des victimes tuées dans cette
période.
Si nous examinons les victimes déclarées tuées après le 23 juin dans l’enquête Ibuka :
- aucune des 14 personnes tuées de Gisovu ne se retrouvent dans notre enquête ;
- idem pour la personne de Gitesi ;
- sur les 19 personnes tuées de Gishyita une seule se retrouve dans notre enquête.
2.5
Élimination de réponses
7 réponses ont été éliminées sur place pour incohérence. Toutes les autres ont été affectées
d’un numéro. Parmi celles-ci, 10 réponses sont éliminées, soit parce que le nom de la victime est
inconnu (cas de Umwana utazwi, enfant inconnu), soit parce que la date de la mort est non fournie
6. African Rights [2, p. 2].
4
ou antérieure au 24 juin 1994. Nous verrons plus loin que dans 4 cas, c’est nous qui concluons par
recoupement que la date donnée par l’informateur est fausse et en fait antérieure au 24 juin.
2.6
Traitement des réponses
Les réponses ont été traduites en français, saisies sur ordinateur et mises dans une base de
données. Sont ainsi constituées plusieurs tables sur :
- les victimes ;
- les informateurs et témoins ;
- les assassins.
2.6.1
Nom des victimes Q1
Ils sont contrôlés et mis sous la forme : nom rwandais, prénom chrétien. En général nous
retenons la traduction française du prénom. La vérification de l’orthographe des noms rwandais
est facilitée car ils ont une signification en kinyarwanda.
2.6.2
Le sexe Q2
Il est contrôlé notamment à l’aide du nom. Le sexe n’est pas connu parfois pour des nouveaux
nés.
2.6.3
L’âge de la victime Q3
Nous le notons 0 quand c’est un enfant de moins d’un an. Il arrive que l’âge soit donné sous
la forme “c’était un enfant” ou “il était marié”. Nous notons alors “e” pour un enfant, “a” pour un
adulte. Les âges donnés sont souvent approximatifs, l’erreur allant de 1 à 5 ans.
2.6.4
Le lieu de résidence Q4
Nous le mettons sous la forme cellule, secteur, commune, suivant le découpage administratif de
1994. Nous n’avons pas pu nous procurer la liste des secteurs et cellules des communes Gishyita,
Gisovu et Kibuye. Nous avons essayé de la reconstituer à partir de cette enquête et de quelques
livres.
Tant pour la résidence des témoins (Q13) que pour celle des informateurs (Q14), nous la notons
sous la forme village, cellule, secteur, district, suivant le découpage administratif actuel. Le village
est l’umudugudu. Mais le meilleur moyen de contacter les gens est le numéro de téléphone.
2.6.5
La date de la mort Q5
Nous la notons sous forme d’un intervalle si elle est fournie entre deux dates. On peut être
surpris que les rescapés parviennent à donner des dates précises. On suspectera une volonté d’accuser la France. On pourrait avancer qu’en fixant la commémoration des massacres de Bisesero le
27 juin, les autorités ont eu cette volonté.
Après presque trois mois à être traqués comme du gibier, il était difficile aux rescapés de
garder la notion du calendrier. Par exemple, dans l’enquête d’African Rights publiée en avril 1998,
ils affirment que “le 26 juin, ils virent passer des troupes françaises en mission de reconnaissance”, 7
alors que nous savons par les trois journalistes qui accompagnaient le groupe de reconnaissance
du CPA 10 commandé par le lieutenant-colonel Duval, alias Diego, qu’ils sont venus le 27 juin. 8
Un rescapé, interrogé en 1997 sous le sigle “témoin II” au procès Kayishema-Ruzindana, dit
qu’il a entendu à la radio que les Français étaient arrivés au camp de Nyarushishi et qu’après une
semaine, les Français sont arrivés à Bisesero. 9 Or il s’est écoulé trois jours entre l’arrivée du 1er
7. African Rights [2, p. 63].
8. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le Figaro, 29 juin 1994, p. 3.
9. TPIR, affaire ICTR-95-1-T, Procès Kayishema - Ruzindana, Audition du témoin II, 11 novembre 1997.
5
RPIMa à Nyarushishi et la reconnaissance des commandos de l’air à Bisesero. Certes, les Français
ont attendu trois jours de plus pour les secourir. Il ne se souvient pas de la date exacte de ce jour
où les Français ont emmené les blessés de Bisesero à Goma. Il dit que c’est vers la fin du mois de
juin ou au début juillet. 10
Il y a eu chez les rescapés un travail de reconstruction de la mémoire notamment à l’occasion
des récits faits lors des commémorations et lors des procès gacaca. Deux événements marquent
pour eux cette période, c’est la venue des Français qui les ont abandonnés et leur retour, jour où
les hélicoptères se sont posés à Bisesero et ont emmené des blessés à Goma. Ils correspondent aux
dates des 27 et 30 juin.
L’existence de plusieurs témoignages pour la même victime permet d’apprécier l’erreur qu’ils
font sur les dates. Voir plus loin. Nous en concluons qu’il faut admettre une erreur de deux jours
sur les dates qu’ils fournissent.
2.6.6
Le lieu de mise à mort Q6
Les rescapés donnent des renseignements assez précis. Mais notre méconnaissance de la géographie des lieux est un handicap. La difficulté est qu’un même nom peut désigner une colline,
un secteur ou une cellule. Il peut même désigner deux lieux différents sur la carte au 1/50.000e.
Nous avons noté ces noms de lieux sans prendre le temps de demander de les montrer sur une
carte. L’exercice aurait été difficile car ils sont peu habitués à l’usage des cartes géographiques.
Nous essayons néammoins de reconstituer les lieux et dates de ces attaques. Nous avons essayé
prudemment de regrouper les noms de lieux en créant une autre variable “lieu mort”.
2.6.7
Arme du crime Q7
Pour permettre les comptages, nous les avons regroupées en catégories : armes blanches, machette, massue, fusil, grenade. Il arrive souvent que les victimes sont tuées par plusieurs types
d’armes. S’il s’agit de machettes et de lances, nous codons armes blanches. S’il s’agit d’armes
blanches et d’un fusil ou d’une grenade, nous codons fusil ou grenade. Car il y a beaucoup moins
de tués par fusil ou grenade.
2.6.8
Torture Q8
La réponse oui ou non apporte peu d’information. En général ils sont tous torturés car la mort
par arme blanche est lente.
2.6.9
Viol Q9
Cette question apporte peu d’informations.
2.6.10
Détails sur la mort Q10
Cette question ne demandait pas un récit de la mort. Elle révèle parfois que la victime a été
d’abord blessée puis achevée quelques temps après.
2.6.11
Les noms des assassins Q11
Ces noms sont enregistrés afin de les mettre en relation avec les lieux et les dates où ils ont
tués. Mais parfois le nom donné ne permet pas une identification correcte.
2.6.12
Les noms des témoins Q12, de l’informateur Q14, des parents Q15
Ces noms sont enregistrés et mis en relation avec la victime. Pour l’informateur, sont retenus
l’adresse et surtout le numéro de téléphone. Celui-ci a servi pour des vérifications ultérieures. Nous
avons pris des photos des informateurs.
10. TPIR, ibidem.
6
2.7
Les redondances
Nous repérons les déclarations multiples à partir du tri alphabétique des noms de victimes.
Nous tenons compte du fait que les Rwandais confondent les lettres “r” et “l”. La transcription des
noms a pu produire de petites différences. Les réponses indiquant le même nom Q1, le même sexe
Q2, un âge voisin Q3, le même lieu de résidence Q4 sont des présomptions de redondance.
Celle-ci est certaine quand l’informateur est le même ou quand la même personne est indiquée
comme parent. Nous en avons détecté 12. Il y a eu notamment des redondances entre l’enquête de
2010 et celle de 2013.
Dans 14 autres présomptions, il a fallu recontacter les informateurs par téléphone.
Il y a enfin des faux doublons, c’est-à-dire des homonymes comme par exemple Rwabukwisi
Patrice à Bisesero/Rwankuba/Gisovu, 55 ans et Rwabukwisi Patrice à Musasa/Karama/Gishyita,
61 ans.
Quand deux réponses correspondent à la même personne, nous écartons celle qui semble la
moins pertinente mais nous complétons l’autre avec ses informations. Nous gardons trace des
contradictions dans un champ remarque. Si c’est sur la date de mort, nous indiquons celle-ci sous
forme d’un intervalle, à moins qu’il y ait une raison de juger qu’une réponse est plus fiable que
l’autre. Nous avons ainsi écarté 26 réponses pour redondance.
2.8
Quantification de l’erreur sur les dates
Comme nous avons eu des déclarations multiples pour 26 personnes, des doublons en général,
cela nous donne des informations sur l’erreur commise. Celle-ci, évaluée en jours, varie entre 0 et
5, elle a une moyenne de 1.73 et une médiane de 1.
3
Analyse des résultats
Nous avons entendu 163 informateurs qui nous ont permis de remplir 417 questionnaires. Après
exclusion de 10 réponses incomplètes ou hors période et élimination de 26 autres pour redondances,
nous avons identifié 381 personnes tuées à partir du 24 juin 1994.
3.1
Âge et sexe des victimes
Parmi ces victimes, nous comptons 180 femmes (47 %) et 201 hommes (53 %).
L’âge des victimes va de 0 à 70 ans. L’âge moyen est de 25 ans, l’âge médian de 19 ans. 84
victimes (22 %) ont 10 ans ou moins. L’histogramme de l’âge des victimes est représenté figure
1 page 8. C’est la tranche d’âge 10-15 ans qui compte le plus de victimes. Cette hécatombe des
jeunes est la même quel que soit le sexe. Le nombre important de femmes et d’enfants tués montre
bien qu’il ne s’agit pas de victimes de combats mais de tueries systématiques.
3.2
Date de la mort
La date de la mort est fournie exactement dans 333 cas, soit 87 %. Dans 48 autres cas, soit 13 %,
un intervalle de dates est donnée. Pour en tenir compte, au lieu d’ajouter 1 au compteur d’une
date nous ajoutons 1/n aux n compteurs des dates comprises dans cet intervalle. Par exemple si
une personne est tuée entre le 27 et le 28 juin, nous ajoutons 1/2 au compteur du 27 juin et 1/2
à celui du 28.
Le nombre de personnes tuées par jour est montré dans le tableau 3 page 14 et présenté sous
forme d’histogramme figure 4 page 11.
Cet histogramme montre que le nombre de personnes tuées croı̂t de 19 victimes le 24 juin à
85 victimes le 27 juin, puis décroı̂t jusqu’au 1er juillet où nous n’enregistrons plus que 4 victimes.
Nous en dénombrons 138 avant le 27 juin, 236 entre le 27 et le 30 juin, 5 au-delà. Après le 3 juillet,
une seule victime est signalée le 18 août.
7
Figure 1 – Histogramme de l’âge des victimes tuées à partir du 24 juin dans la région de Bisesero
La date de la mort étant l’élément essentiel de notre enquête nous devons la soumettre à la
critique. Nous avons deux moyens. Un moyen interne à notre enquête est de confronter entre eux nos
témoignages. C’est particulièrement le cas quand nous avons plusieurs témoignages correspondant
à la même victime. Nous vérifions aussi que les témoignages sont cohérents en ce qui concerne leurs
relations. Si par exemple une mère et son enfant sont déclarés tués le même jour par l’informateur
les dates de mort doivent être identiques. L’autre moyen, externe celui-là, est de confronter nos
informations à celles tirées d’autres sources.
3.2.1
Date d’événements connus par d’autres sources
Outre l’enquête d’African Rights constituée de la brochure Résistance au Génocide - Bisesero et
de quelques interviews, nous disposons essentiellement des informations en provenance du Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR). Celui-ci a jugé Clément Kayishema, Obed Ruzindana,
Eliezer Niyitegeka, Alfred Musema, Mika Muhimana, Vincent Rutaganira, Elizaphan et Gérard
Ntakirutimana, John Yusuf Munyakazi, tous impliqués dans les massacres de la région de Kibuye,
à Bisesero en particulier. D’autres personnes accusées de crimes dans cette région ont été jugées :
Joseph Mpambara, frère d’Obed Ruzindana, aux Pays-Bas, Jacques Mungwarere au Canada. Les
jugements sont peu utiles car le récit des faits y est trop résumé. En revanche, les transcriptions
des auditions des rescapés de Bisesero sont précieuses même si le tribunal n’attachait pas une
grande importance à l’établissement de l’histoire des massacres. Vu la difficulté de les obtenir,
nous n’avons que quelques transcriptions d’audiences à notre disposition.
8
Figure 2 – Âge des victimes de sexe masculin tuées à partir du 24 juin dans la région de Bisesero
Cette documentation doit être confrontée avec nos témoignages soit pour les confirmer soit
pour les infirmer. Des événements de notre enquête peuvent être décrits par ailleurs. Ainsi :
- Aminadab Birara, chef de la résistance à Bisesero, a été tué le 25 juin selon son fils Aron
Mukomeza (N.127). Dans l’enquête d’African Rights, Siméon Karamaga déclare que “Birara a été
tué vers la fin du génocide, à Bisesero”. 11 Léoncie Nyiramugwera parle aussi de Birara “qui est
mort vers la fin du génocide”. 12
- Augustin Nzigira, fils de Aminadab Birara et autre chef de la résistance, a été tué le 26 juin
selon son frère Aron M. (N.210).
Efesto H. raconte dans l’enquête d’African Rights qu’il était avec Nzigira dans l’attaque où
celui-ci a été tué. “Le jour où il a été tué, j’étais avec lui dans l’attaque. Les miliciens nous ont lancé
des pierres en disant : “Voilà ces gens qui nous empêchent de recevoir notre récompense d’Obed
Ruzindana, il faut chercher comment les tuer”. Une pierre est tombée sur le pied de Nzigira, et
il a commencé à boiter. Comme il était impossible de continuer à attaquer, je l’ai aidé à reculer.
Un soldat nous a vus, il nous a tiré dessus, et Nzigira a été touché. Il est tombé, et les miliciens
sont venus l’achever à coups de machettes. Quant à moi, j’ai reçu une balle au genou mais j’étais
capable de marcher. Je suis allé me cacher dans des buissons, mais les miliciens qui m’ont vu y
entrer les ont brûlés pour me tuer. Je suis parti dans la fumée, et je suis allé me cacher ailleurs.” 13
Mais Efesto H. ne donne pas de date. Dans notre enquête, Aron M. donne entre autres témoins
11. African Rights [2, p. 17].
12. Ibidem, p. 46.
13. Ibidem, p. 49.
9
Figure 3 – Âge des victimes de sexe féminin tuées à partir du 24 juin dans la région de Bisesero
Evariste H. Nous pensons que c’est la même personne que Efesto H. Aron M. précise que sa fille
Nathalie Nyirambabazi a été tuée en même temps que Augustin Nzigira (N.126). Nous considérons
que les dates données par Aron M. pour la mort de son père et de son frère sont fiables.
- Kabanda Assiel est assassiné deux jours avant l’arrivée des Français selon son fils, donc le 25
juin (N.406). Hérédion raconte à Michel Peyrard que le commerçant “Kabada” a été tué. 14 “En
juin, déclare Bernard Kayumba dans l’enquête d’African Rights, j’ai vu Charles Sikubwabo tuer
l’homme d’affaires Assiel Kabanda. Il lui tira dessus, puis demanda à ses miliciens de le décapiter.
Comme Kabanda était quelqu’un qu’ils avaient cherché partout, il dit qu’il tenait à montrer sa tête
au préfet, Kayishema, et recevoir ainsi sa récompense.” 15
Au procès Kayishema-Ruzindana, le témoin II ne se souvient pas de la date exacte de la mort
d’Assiel Kabanda. “Oui, dit-il, nous avons vécu ensemble depuis le début de la guerre jusqu’en juin,
le jour de sa mort. C’était mercredi. Je ne me rappelle pas de la date. Mais quelques jours après
sa mort, les Français sont arrivés. Je pense que c’était vers la fin du mois de juin 94.” 16 Quand
l’avocat lui repose la question à nouveau, il répond : “C’est entre le 23 et le 28 juin. Je pense
que c’est à cette période qu’il a trouvé la mort. 17 Le 25 juin est un samedi et non un mercredi.
Serait-ce mercredi 22 juin ? Au procès Niyitegeka, le témoin GGO affirme qu’Assiel Kabanda a
14. Michel Peyrard, Terré dans son trou depuis deux mois, Bernard voit au-dessus de lui les bottes de ses
bourreaux..., Paris-Match, 14 juillet 1994, p. 40.
15. African Rights, Ibidem, p. 58.
16. TPIR, Procès Kayishema-Ruzindana, 11 novembre 1997, p. 73.
17. Ibidem, p. 76.
10
Figure 4 – Nombre de personnes tuées par jour à partir du 24 juin dans la région de Bisesero
été tué le 22 juin lors d’une attaque sur la colline de Kazirandimwe dirigée par Niyitegeka, Mika,
Sikubwabo et Ndimbati. Le tribunal estime que ce témoin est crédible. 18 Il est possible qu’Assiel
Kabanda ait été tué le 22 et non le 25 juin. Dans le doute, nous excluons cette réponse N.406 de
notre étude.
Retenons cependant que le commerçant Assiel Kabanda est tué, décapité et sa tête suspendue
devant sa boutique à Gishyita. 19 Elle y restera jusqu’au mois d’août, déclare son fils (N.406). Les
Français stationnés-là ne pourront pas ne pas la voir.
- Marie nous déclare qu’elle a accouché pendant le génocide et qu’elle passait la nuit dans la
maison d’Assiel Kabanda quand celle-ci a été attaquée vers 4 heures du matin et que toute sa
famille a été massacrée. Elle affirme que cette attaque a eu lieu après la venue des Français le
28 ou le 29 juin. Cette attaque est décrite par le témoin II au procès Kayishema-Ruzindana. 20
Celui-ci était sur les lieux et a été blessé quand il a voulu s’échapper de la maison. Ce témoin est
un de nos informateurs. Recontacté, il se souvient que cette femme s’appelait Marie. Il affirme que
18. Jugement d’Eliezer Niyitegeka, TPIR, Affaire, no ICTR-96-14-T, 16 mai 2003, section 303, pp. 77-79.
19. Le bourgmestre Charles Sikubwabo est accusé d’avoir tué Assiel Kabanda. Cf. Michel Peyrard, Terré dans
son trou depuis deux mois, Bernard voit au-dessus de lui les bottes de ses bourreaux..., Paris-Match, 14 juillet 1994,
p. 40 ; African Rights [2, p. 58] ; Mika Muhimana qui poursuivait aussi Kabanda est accusé de l’avoir décapité. Cf.
TPIR, Affaire No ICTR-95-1B-T, Le Procureur c. Mikaeli Muhimana. Jugement et Sentence, 28 avril 2005, pp. 8991 ; Le témoin GGO au procès Niyitegeka a vu Mika couper la tête de Kabanda. Cf. TPIR, Affaire, no ICTR-96-14-T,
Jugement d’Eliezer Niyitegeka, 16 mai 2003, section 303, p. 77.
20. TPIR, Affaire no ICTR-95-1-T, Procès Kayishema - Ruzindana, Audition du témoin II (suite), 11 novembre
1997.
11
cette attaque a eu lieu au début du mois de juin. Assiel Kabanda n’était pas mort puisqu’il l’a
aidé à guérir sa blessure avec des médicaments traditionnels.
Ce recoupement révèle que Marie se trompe et que sa famille a été massacrée quand Assiel
Kabanda était encore vivant donc avant le 23 ou le 25 juin. C’est donc avant l’arrivée des Français
le 27 juin.
On pourra supposer qu’elle ne se trompe pas, que des Français étaient venus à Bisesero avant
le 27 juin. Cette hypothèse est avancée par certains mais les témoignages qu’ils présentent ne
paraissent pas fiables. Dans le doute, nous devons écarter les 4 témoignages de Marie (N.55, 56,
57, 316).
3.3
Lieu de résidence des victimes
La répartition des personnes tuées suivant le lieu de résidence est présentée dans le tableau 4
page 14, dans le tableau 5 page 15 pour Gishyita, le tableau 6 page 16 pour Gisovu et le tableau
7 page 16 pour le reste. Il s’agit du découpage administratif de 1994.
Les personnes tuées sont originaires de la région. 76 % proviennent de Gishyita, 14 % de
Gisovu et 8 % de Gitesi. Ces chiffres sont à confronter avec l’estimation du nombre de Tutsi tués
à Bisesero tirée de l’enquête Ibuka par Philip Verwimp. 21 Sur un total estimé de 12 933 Tutsi
tués à Bisesero, 52 % sont de Gishyita, 29 % de Gitesi, 10 % de Gisovu, 5 % de Rwamatamu et
3 % de Mabanza. Si nous supposons que ces proportions sont encore valables à la fin du génocide,
alors notre enquête n’a pas couvert suffisamment l’ancienne commune de Gitesi. Mais on ne peut
exclure que les habitants de Gishyita ayant leur domicile sur les lieux de massacre ont pu survivre
plus longtemps que ceux de Gitesi.
3.4
Lieu de la mort
Afin de discerner les mouvements des tueurs, nous étudions notre variable “lieu mort” suivant
le jour.
Le tableau 8 page 17 montre les lieux de massacre le 25 juin.
Le tableau 9 page 17 montre les lieux de massacre le 26 juin.
Le tableau 10 page 18 montre les lieux de massacre le 27 juin.
Le tableau 11 page 19 montre les lieux de massacre le 28 juin.
Le tableau 12 page 19 montre les lieux de massacre le 29 juin.
Une attaque le 29 juin à la colline de Gihora a fait 20 morts dans cette enquête.
Le tableau 13 page 19 montre les lieux de massacre le 30 juin.
Ces lieux ont été reportés par Eric Nzabihimana 22 sur la carte au 1/50 000e produite au procès
de Eliezer Niyitegeka au TPIR. 23
21. Philip Verwimp, Death and survival during the 1994 genocide in Rwanda, Population Studies, mars 2004,
Table B3, p. 244.
22. Voir carte en figure 5 page 22.
23. Tony Lucassen, Bisesero area and surrounding area’s, 12 June 2002. Cf. TPIR, Case No : ICTR-96-14-T, The
Prosecutor v. Eliezer Niyitegeka, Exhibit No : P1, Date admitted : 17-6-2002, Tendered by : Prosecutor, Name of
witness : A. Lucassen.
12
Date
2 juin
12 juin
18 juin
22 juin
23 juin
24 juin
25 juin
26 juin
27 juin
28 juin
29 juin
30 juin
1er juillet
Événement
Clément Kayishema, préfet, au ministre de l’Intérieur : Attaque du FPR sur Kibuye.
Clément Kayishema au ministre de la Défense : Demande d’armes pour le ratissage à Bisesero
du 15 au 18 juin.
Edouard Karemera, ministre de l’Intérieur, au colonel Nsengiyumva : Opération de ratissage
à Kibuye.
Vote de la Résolution 929 par le Conseil de sécurité.
Arrivée du détachement COS à Goma.
L’ordre d’opération Turquoise évoque l’effort du FPR en direction de Kibuye pour couper
en deux la partie encore sous contrôle gouvernemental.
15 h 30 : Entrée d’un détachement français à Cyangugu.
Héliportage des commandos de l’air à Kibuye (colonel Duval). Ils en repartent le soir.
Reconnaissance des commandos de marine (capitaine de frégate Gillier) de Cyangugu jusqu’à
Kibuye.
Rencontre du colonel Rosier, commandant le COS, avec le ministre de la Défense, Augustin
Bizimana, et le ministre des Affaires étrangères, Jérôme Bicamumpaka.
Visite du cardinal Etchegaray à Kibuye. Le père Vieko Curic y informe les journalistes Sam
Kiley, Vincent Hugeux et Scott Peterson que les massacres continuent dans la région de
Bisesero. Ils s’y rendent aussitôt.
Les commandos de l’air sont héliportés à Kibuye et s’y installent.
Les journalistes Kiley et Hugeux rencontrent le capitaine Bucquet et le capitaine de frégate
Gillier et leur disent que des survivants tutsi sont traqués à Bisesero.
Le colonel Rosier vient à Kibuye et installe le lieutenant-colonel Duval.
Gillier assiste depuis Gishyita à des “combats” entre l’armée rwandaise, la défense civile et
des infiltrés tutsi à Bisesero. Il rencontre le bourgmestre Charles Sikubwabo et le ministre
de l’Information Eliezer Niyitegeka.
En début d’après-midi, Duval monte à Bisesero et rencontre des survivants tutsi. Il les
abandonne en disant qu’il reviendra dans deux ou trois jours.
Vers 19 h 30 le colonel Rosier déclare à la presse que 1 000 à 2 000 rebelles du FPR se sont
infiltrés à 15 km de Kibuye et se trouvent à 5 km des Français.
Duval sur ordre de Rosier évacue les religieuses de Kibuye avec 5 hélicoptères Puma.
Gillier à Gishyita assiste à de nouveaux combats sur les collines de Bisesero. Le bourgmestre
Sikubwabo lui demande des armes. Gillier va à Gisovu sans passer par Bisesero.
Le ministre de la Défense François Léotard visite les commandos de marine à Gishyita.
Le journaliste Raymond Bonner lui demande d’envoyer des troupes secourir des Tutsi à
Bisesero. Léotard va ensuite inspecter Duval à Kibuye.
Gillier reçoit l’ordre d’aller visiter Jean-Baptiste Mendiendo, un prêtre français, à Mukungu
au delà de Bisesero où il ne s’arrête pas.
Les journalistes Sam Kiley et Michel Peyrard, qui avaient précédé Gillier à Gisovu, retournent à Bisesero et rencontrent des Tutsi. Des militaires du 13e RDP commandés par le
capitaine Dunant et un groupe du GSIGN commandé par l’adjudant-chef Prungnaud vont
aussi à Bisesero sans en avoir reçu l’ordre de Gillier. Ils rencontrent des Tutsi et déclenchent
l’opération de secours.
Dans la soirée des hélicoptères emmènent les Tutsi les plus gravement blessés à Goma.
Les survivants tutsi sont regroupés dans un campement à Bisesero sous protection de l’armée
française.
Table 2 – Principaux événements concernant l’élimination des Tutsi à Bisesero en juin 1994
13
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
Date
24 juin
25 juin
26 juin
27 juin
28 juin
29 juin
30 juin
1 juillet
2 juillet
3 juillet
4 juillet
5 juillet
Nb de morts
18.78
55.27
64.09
84.84
83.59
51.22
15.52
3.62
0.49
1.24
0.24
0.24
Table 3 – Nombre de morts par jour
1
2
3
4
5
6
Commune
Gishyita
Gisovu
Gitesi
Mabanza
Rwamatamu
Nb de morts
4
291
52
31
2
1
Table 4 – Victimes par communes
14
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
Commune
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Secteur
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Bisesero
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Gishyita
Karama
Mara
Mara
Mpembe
Mubuga
Mubuga
Mubuga
Mubuga
Mubuga
Mubuga
Murangara
Murangara
Musenyi
Musenyi
Musenyi
Ngoma
Ngoma
Ngoma
Ngoma
Rubazo
Cellule
Bisesero
Cyabahanga
Gitwa
Jurwe
Kazirandimwe
Kigarama
Nyarutovu
Rugete
Uwingabo
Bugina
Gitovu
Nyanza
Rutuna
Rwaramba
Musasa
Nyagatobu
Nyankiro
Buhoro
Bikenke
Jurwe
Kizibaziba
Rwamiko
Ryaruhanga
Karora
Rwakamuri
Karama
Musasa
Rwabirembo
Kamariba
Kigarama
Mikingo
Rubazo
Nb de morts
16
3
1
80
23
16
35
15
1
21
3
2
2
1
5
3
1
1
1
1
2
13
1
2
1
1
1
23
7
2
2
1
2
1
1
Table 5 – Lieu de résidence des victimes de Gishyita
15
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
Commune
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Gisovu
Secteur
Gikaranka
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Gitabura
Muramba
Rwankuba
Twumba
Cellule
Uwintobo
Cyamaraba
Gitabura
Kazirandimwe
Kibingo
Mataba
Nyabumera
Nyakiyabo
Tuvunasogi
Nyabumera
Bisesero
Murehe
Nb de morts
3
2
6
1
1
7
2
1
2
2
1
23
1
Table 6 – Lieu de résidence des victimes de Gisovu
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
Commune
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Gitesi
Mabanza
Rwamatamu
Secteur
Burunga
Bwishyura
Gasura
Gasura
Gitarama
Gitarama
Gitarama
Gitesi
Gitesi
Kagabiro
Kagabiro
Kagabiro
Kagabiro
Kayenzi
Rubengera
-
Cellule
Nyabikenke
Karongi
Gufuruguto
Nyagahinga
Nyagisozi
Yosi
Giticyuma
Buhari
Kagarama
Nyabinyenga
Ruhande
Kabahizi
-
Nb de morts
4
1
1
1
3
1
1
1
3
5
2
2
2
2
6
2
1
Table 7 – Lieu de résidence des victimes hors Gishyita et Gisovu
16
Nombre de morts
3
11
2
1
2
1
6
2
1
2
1
1
1
1
1
1
1
2
1
1
1
1
1
7
Lieu
Bisesero
Gishyita/Bisesero (colline de Rugona)
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero (Gisoro)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero/Uwingabo (colline Runyangingo)
Gishyita/Mpembe
Gishyita/Mubuga/Rwamiko
Gishyita/Murangara/Gashuru
Gisovu
Gisovu/Rwankuba/Bisesero
Gitesi/Kagabiro/Nyakagezi
Jurwe
Kabakobwa
Kiraro
Mpura
Mumurera
Nyiramakware
Rusebeya
Table 8 – Lieux de tueries le 25 juin
Nombre de morts
1
10
1
2
1
3
4
2
13
1
3
2
1
1
1
1
3
2
2
1
1
2
Lieu
Birekibo
Bisesero
Bisesero (Rwabaruma)
Gihora
Gishyita/Bisesero (colline de Rugona)
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero (Gisoro)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero/Uwingabo (colline Runyangingo)
Gishyita/Ngoma (vers l’hôpital)
Gisovu/Gitabura
Gisovu/Gitabura/Gatare
Jurwe
Kavomo
Mabanza/Rubengera
Mpura
Mwigarama (au gouffre de)
Nyiramakware
Table 9 – Lieux de tueries le 26 juin
17
Nombre de morts
1
1
14
1
2
3
1
2
11
1
4
5
2
7
3
2
1
1
1
1
1
1
1
2
1
1
1
1
3
1
Lieu
Birambo (dispensaire)
Bisesero
Cyahafi
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero (Gisoro)
Gishyita/Bisesero (Gititi)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe (colline Rwakamena)
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe (vallée de la colline Gahondo)
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero/Uwingabo (Kagogo)
Gishyita/Bisesero/Uwingabo (Mataba)
Gishyita/Gishyita/Gitovu
Gishyita/Rubazo/Rubazo
Gisovu/Gitabura
Gisovu/Nyamyaga
Gitesi/Kayenzi
Gitesi/Kayenzi/Ruhande
Jurwe
Mashinge
Mubaziro
Nyiramakware
Rutuna
Rwaramba
Table 10 – Lieux de tueries le 27 juin
18
Nombre de morts
5
8
1
7
6
2
7
4
7
1
3
1
2
3
2
3
1
1
1
2
3
1
1
1
Lieu
Bisesero
Gatiti
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero (Gisoro)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero/Uwingabo (colline Runyangingo)
Gisovu/Gikaranka/Uwintobo
Gisovu/Gitabura/Mataba
Gisovu/Rwankuba/Bisesero
Gisovu/Twumba (Duhati)
Gitesi (Kiziba)
Gitesi/Giticyuma (colline Nemba)
Jurwe
Kabakobwa
Kanweka
Kiraro
Rwakamena
Table 11 – Lieux de tueries le 28 juin
Nombre de morts
1
1
20
2
2
4
2
1
1
2
1
1
1
1
2
Lieu
Bisesero
Gihora
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Gishyita/Mubuga/Jurwe
Gisovu/Gitabura/Kibingo (Mugote)
Gitesi/Kayenzi
Jurwe
Kabakobwa
Mwigarama (au gouffre de)
Rushishi
Table 12 – Lieux de tueries le 29 juin
Nombre de morts
1
1
2
2
2
Lieu
Bisesero (Nyakavumu)
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Gishyita/Nyanza
Gishyita/Mubuga (église)
Gitesi/Gitarama/Gomba
Table 13 – Lieux de tueries le 30 juin
19
Numéro
1
2
3
Lieu
Centre de Mubuga
Bureau communal de Gishyita
Hôpital de Mugonero
4
Zone de Kazirandimwe
5
6
Église adventiste de Murambi
Colline Gitwe
7
Colline Kidasha
8
9
Centre de négoce de Rushishi
Colline Nyankomo
10
Colline Nyakigugu
11
Colline Muyira
12
Colline Rwirambo
Description
Mubuga est aussi un nom de cellule et de secteur.
Gishyita est aussi un nom de secteur.
Non loin du centre de négoce de Ngoma et de l’école
secondaire ESAPAN. Ngoma est aussi un nom de
secteur.
Zone de collines peu élevées entre la zone d’altitude
autour de la route de Bisesero et la zone d’altitude
autour des collines Murambi, Gitwe et Kidasha.
Appelée aussi église de Gitwe.
Au sud-est, ruines du complexe église-école. Connue
comme l’école primaire de Gitwe dans le complexe
d’une petite paroisse catholique.
La maison du ministre Niyitegeka se trouve à proximité.
Sur le côté nord de cette colline, se trouve le monument de Bisesero. Sur le versant sud-est à côté de
la piste de Bisesero, se trouve l’église adventiste de
Mutiti.
Entre les collines Nyakigugu et Muyira coule le ruisseau Rugete.
ou Muhira. Entre les collines Nyakigugu et Muyira
coule le ruisseau Kamahamba (ou Kamahama).
Une partie de son versant ouest s’appelle Dege, une
partie de son versant est s’appelle Gatinda. Sur la
piste principale de Bisesero au nord-ouest de la colline Rwirambo, se trouve le lieu-dit Cyapa (aussi appelé Ku Cyapa). Il est marqué par un trait bleu.
Selon les habitants, c’était la limite entre Gishyita
et Gisovu (bien que la carte indique la limite à un
kilomètre au nord-est). C’est là que les Français installèrent le camp de Bisesero.
Table 14 – Légende de la carte région de Bisesero et environs, TPIR
20
Numéro
13
14
Lieu
Colline Runyangingo
Colline Bisesero
Description
La partie de cette colline proche de la piste principale
de Bisesero s’appelle colline Ruhinga.
15
Colline Mpura
16
Colline Nyabushyoshyo
17
Colline Gishora
(ou Gisoro). Gisoro est aussi le nom d’une cellule.
18
Colline Nyirandagano
19
Colline Gitwa
Sommet sud-est.
20
Colline Gitwa
Sommet nord-ouest.
21
École primaire de Mubuga
22
Colline Nyiramakware
23
Mont Karongi
Au sommet, antennes du relais FM.
24
Colline Gitwa
En commune de Gitesi (= Kibuye).
25
Colline Uwingabo
Uwingabo est aussi un nom de cellule.
Les flèches indiquent où mène la route tracée
A
vers Kibuye
B
vers Kibuye
C
vers Cyangugu
D
vers l’usine à thé de Gisovu
E
vers le secteur Gagunga
Table 15 – Légende de la carte Bisesero area et zones environnantes, TPIR (suite)
21
Figure 5 – La région de Bisesero. Source : TPIR, Procès Niyitegeka
22
Figure 6 – Gishyita et Bisesero. Source : Commission Mucyo
23
3.5
Armes utilisées
1
2
3
4
5
6
Type
Armes blanches
Fusil
Grenade
Machette
Massue
Freq.
24
26
56
16
183
76
%
6
7
15
4
48
20
Table 16 – Fréquence des armes utilisées
Les victimes sont souvent tuées avec plusieurs armes. Nous avons regroupé les armes en catégories. Comme celles qui sont blessées par des armes à feu sont souvent achevées à l’arme blanche,
nous les classons sous fusil ou grenade. Le terme fusil englobe pour les Rwandais les fusils à répétition du type fusil d’assaut Kalashnikov AK 47 ou le fusil sud-africain R4. Le diagramme en
figure 7 page 25 et le tableau 16 page 24 montrent que les fusils et grenades ont été utilisés dans
19 % des cas, donc dans 75 % des autres cas où l’arme est indiquée, il s’agit d’armes blanches,
dont des machettes dans 48 % des cas. Aucune victime d’armes lourdes (obus, mines, roquettes,
...) n’a été signalée.
Notons que dans sa lettre du 12 juin au ministre de la Défense, le préfet Kayishema demande
pour l’opération prévue du 15 au 18 juin des grenades à fusil et à main, des cartouches pour fusils
R4 et des cassettes pour machine gun (mitrailleuses).
f
m
Inconnu
10
14
Blanche
14
12
Fusil
18
38
Grenade
7
9
Machette
94
89
Massue
37
39
Table 17 – Arme du crime suivant le sexe de la victime
Le tableau 17 page 24 montre la fréquence des armes utilisées suivant le sexe de la victime.
La seule différence est que le fusil est plus utilisé contre les hommes (68 % des cas) que contre les
femmes (32 % des cas).
3.6
Viols
57 femmes sur 180 auraient été violées, soit 32 %.
Le viol est dénoncé explicitement 12 fois. Il précède la mise à mort. Il est souvent déduit du
fait que le corps a été retrouvé dénudé. Des cas de prostitution forcée sont signalés :
- “De nombreux Interahamwe l’avaient séquestrée pendant une semaine dans une maison où ils
la violaient tous, j’en connais au moins cinq ou six.” (N.346)
- “Mère de deux enfants. Elle a été longtemps violée, a fini par devenir paralysée suite à ces
viols. Elle fut ensuite enterrée vivante et son bébé qui venait téter le cadavre fut tué plus tard.”
(N.111)
- “Il avait fait d’elle son esclave sexuelle, et finalement il l’a tuée.” (N.116)
3.7
Détails sur la mort
La mort est donnée dans une mise en scène macabre :
- “Ma mère, les tueurs lui ont demandé de d’abord donner son enfant pour qu’ils le tuent et ils
ont massacré trois de ses enfants devant ses yeux ; elle est morte avec un immense chagrin, celui
d’avoir vu les siens massacrés sous ses yeux. Ceci est un acte d’extrême cruauté.” (N.354)
- “Les tueurs l’ont attrapé dans le buisson où il se cachait et ils l’ont obligé à aller leur montrer
la cachette de sa maman, ils ont usé du terrorisme pour cela.” (N.355)
24
Figure 7 – Types d’armes utilisées par les tueurs
Dans beaucoup de cas, la mort ne survient qu’après de longues souffrances. La victime est
d’abord blessée et n’est achevée que plusieurs heures ou jours plus tard :
- “Les assassins l’ont laissé agonisant, il est mort seulement environ trois heures après, vers 19
heures.” (N.358)
- “Elle a été transpercée de coups de bambous et coupée à la machette.” (N.388)
- “La première fois ils l’ont tuée mais elle n’est pas morte, quatre jours après ils sont revenus
et l’ont achevée.” (N.361)
- “Maman a été massacrée horriblement, les assassins ont commencé par la couper à la machette
sans la tuer tout à fait, c’est dans une deuxième attaque qu’ils l’ont achevée.” (N.372)
- “Elle a été tuée en compagnie de son enfant, mais celui-ci n’a pas succombé sur le coup, il est
mort quelques jours après.” (N.379)
- “Sa maman le portait sur son dos car il avait déjà été blessé par une grenade qui lui avait
emporté les doigts des pieds.” (N.128)
- “Les tueurs l’ont débusquée du buisson où elle se cachait et lui ont enfoncé une épée dans le
corps et l’enfant qu’elle portait dans son dos a été ensuite abattu avec un coup de gourdin sur la
tête.” (N.312)
- “Les tueurs lui ont jeté une grenade qui l’a blessé, il est resté des jours à agoniser et il est
mort le 30 juin 1994.” (N.344)
- “Le 24 juin, les tueurs lui ont brisé les genoux, les gens l’ont cachée mais les tueurs l’ont
retrouvée le 26 juin et l’ont achevée.” (N.377)
- “Quand nous l’avons retrouvé, sa tête était couverte de blessures par machettes, car il s’était
25
d’abord défendu. Il a été tué définitivement lors d’une deuxième attaque.” (N.380)
- “Il avait été blessé par un tir deux jours avant et a été achevé à la machette le 26 juin lorsque
les tueurs l’ont découvert à nouveau.” (N.396)
- “Il a été tué par balles et puis le corps a été battu avec des massues et pour finir les tueurs
lui ont tranché la tête prétextant qu’il les avaient trop fatigué.” (N.103)
- “Tabassée avec une massue le 26 juin 1994 elle a été laissée agonisante. Le lendemain ils sont
revenus l’achever.” (N.221)
- “Une grenade lui a été jetée le 25 juin 1994 qui l’a déchiquetée sans la tuer tout à fait. Je l’ai
soulevée et l’ai emmenée à la maison. Les tueurs sont alors revenus, l’ont portée dans la maison
et y ont mis le feu. Elle a été tuée vers 16 h (le 27).” (N.244)
- “Il n’a pas été tué complètement le premier jour, c’est le lendemain qu’ils l’ont achevé.”
(N.258)
- “Elle portait sur son dos son bébé de moins d’un mois, les tueurs ont fait téter à ce dernier
le sein du cadavre de sa mère puis l’ont aussi tué.” (N.277)
- “Il a d’abord été blessé par balles sur le talon d’Achille et c’est trois jours plus tard qu’il a
été débusqué de son buisson et tué pour de bon.” (N.288)
- “Les tueurs l’ont d’abord coupé partout sur le corps avec les machettes, puis lui ont sectionné
les jambes.” (N.367)
- “Elle a reçu des coups de gourdins le 26 juin. Je suis allé la voir et j’ai constaté qu’elle n’avait
pas rendu son dernier souffle. Je l’ai alors transportée à la maison et c’est là que les assassins l’ont
retrouvée le lendemain 28 juin et l’ont achevée à coups de gourdins sur la tempe. Elle a été tuée
vers 13 h.” (N.238)
- “On a trouvé le cadavre, on lui avait coupé la langue, elle était déposée à côté par terre, pleine
de boue. Découpée par les miliciens Interahamwe le 13 mai 1994, mais pas morte. Achevée le 27
juin à l’arrivée des Français.” (N.217)
- “Il a reçu une grenade (stream) au bras et à la jambe en mai et a été tué pour de bon après.
Je l’ai trouvé mort mais j’ai observé de loin la troupe des tueurs qui allaient le massacrer (le 28
juin).” (N.234)
- “Les assassins lui ont ouvert le ventre pour regarder comment un enfant tutsi se tient dans
les entrailles de sa mère. Elle était enceinte de huit mois.” (N.248)
- “Les tueurs lui ont d’abord commandé de tuer ses deux enfants, elle a refusé et ils l’ont
découpée en pièces, membre par membre jusqu’à ce que mort s’ensuive.” (N.334)
- “Les tueurs lui ont coupé les bras, une oreille et d’autres parties du corps, l’ont ensuite tiré
dans un champ de roseaux et y ont mis le feu.” (N.345)
- “On lui a d’abord découpé les jambes, nous on a couru, elle a ensuite reçu plusieurs coups de
machettes et de massues.” (N.233)
- “Elle a été coupée le 27 juin mais n’est pas morte, elle a été achevée entre le 29 et le 30 juin.”
(N.371)
Malgré l’état d’épuisement extrême, certains trouvent encore la force de se battre contre leurs
agresseurs :
- “Il [Birara Aminadab] était en train de combattre les tueurs et les soldats et gendarmes lui
balancèrent des grenades qui l’emportèrent.” (N.127)
- “Les tueurs l’ont pourchassé jusqu’en bas de la colline où il s’est arrêté pour se défendre et
c’est là qu’il a été tué à la machette.” (N.74)
- “Tué vers 11 h. Il combattait les tueurs, ceux-ci lui ont lancé une pierre qui l’a atteint, il est
tombé et ils l’ont alors coupé avec des machettes.” (N.149)
3.8
Les tueurs
Le tableau 18 page 27 présente les noms des tueurs les plus cités par nos informateurs et le
nombre de crimes auxquels ils ont participé. Nous remarquons que le préfet de Kibuye, Kayishema
Clément, ne figure pas dans le peloton de tête. En revanche, le ministre de l’Information Niyitegeka
Eliezer y est. Le bourgmestre de Gisovu, Ndimbati Aloys, a été beaucoup moins actif que son
26
Nombre de crimes
62
38
17
14
10
9
9
8
8
8
8
8
8
8
7
6
5
5
4
4
Nom
Ruzindana, Obed
Muhimana, Mika
Sikubwabo, Charles
Musema, Alfred
Ryandikayo, Charles
Ndabitegereje, Boniface
Sindayiheba
Faranga
Munyakazi, John Yusuf
Singuranura, Anatole
Rutaganira, Vincent
Niyitegeka, Eliezer
Bizimungu
Ndimbati, Aloys
Rwigimba
Zigirikamiro
Nkubana
Ngabonzima
Mugemangango, Daniel
Kambanda
Table 18 – Nombre de crimes attribués aux principaux tueurs
collègue de Gishyita, Sikubwabo Charles. On aurait pu croire que la présence des militaires français
allait réduire l’ardeur au “travail” de ce dernier. Il n’en est rien.
3.8.1
Ruzindana Obed
Ruzindana Obed est un grand commerçant à Mugonero et Kigali. 24 Il a été condamné à 25 ans
de prison par le TPIR en 1999. Il est signalé dans 61 crimes. Le tableau 19 page 28 montre qu’il
est actif du 24 au 29 juin. Il n’est pas signalé le 30 juin. Le 29, au moins 20 personnes sont tuées
en sa présence à la colline de Gihora. Ruzindana apparaı̂t ici comme l’organisateur de tueries le
plus actif. Son activité intense après le 27 juin est soulignée par un rescapé au procès Ruzindana.
“Après une semaine, nous avons vu les Français arriver. Ils sont arrivés jusqu’à Bisesero. Nous
avons cru que nous allions être sauvés par ces Français. Après deux jours, ils nous ont assurés
que les attaques n’allaient plus être menées. Alors, ils ont rebroussé chemin. Ils nous ont dit qu’ils
allaient revenir dans deux ou trois jours. C’est à ce moment-là que Ruzindana, encore une fois,
avec des Interahamwe, ils sont venus plus nombreux. Ils voulaient en finir avec nous, une fois pour
toutes. Heureusement, les Français sont revenus.” 25
3.8.2
Muhimana Mika
Muhimana Mika est conseiller de Gishyita. Il tient un cabaret au centre de négoce d’où partent
les attaquants vers Bisesero. Il a été condamné à perpétuité pour génocide par le TPIR. Il est
signalé ici dans 37 crimes. Le tableau 20 page 29 montre qu’il est actif du 25 au 29 juin. Il est
responsable ce jour-là d’au moins 12 meurtres.
3.8.3
Sikubwabo Charles
Sikubwabo Charles, ancien adjudant-chef de l’armée rwandaise, est bourgmestre de Gishyita
depuis 1993. Il est membre du MDR. Recherché par le TPIR, il n’a jamais été arrêté. Il est signalé
24. Mugonero est au sud de Gishyita au numéro 49 de la carte 6 page 23.
25. TPIR, Le procureur c. Kayishema - Ruzindana, Affaire ICTR-95-1-T, 11 novembre 1997, p. 65.
27
Date
24 juin
25 juin
25 juin
25 juin
25 juin
25 juin
25-29 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26-29 juin
26-29 juin
27 juin
27 juin
27 juin
27-30 juin
28 juin
28 juin
28 juin
28 juin
28 juin
29 juin
29 juin
29 juin
29 juin
29-30 juin
Lieu
Gatiti
Gishyita/Bisesero (Gisoro)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gihora
Bisesero
Gihora
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Mwigarama (au gouffre de)
Gihora
Mwigarama (au gouffre de)
Bisesero
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gihora
Bisesero
Gatiti
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gihora
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Jurwe
Mwigarama (au gouffre de)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Nombre
1
2
1
2
1
1
1
2
2
1
5
1
1
1
1
1
1
2
2
1
2
1
2
1
1
20
1
1
1
1
Table 19 – Crimes attribués à Ruzindana Obed
dans 16 crimes. Le tableau 21 page 30 montre qu’il est actif du 25 au 28 juin. Le capitaine de frégate
Marin Gillier s’installe à Gishyita le 27 juin avec ses hommes. Ils disent observer des combats entre
les forces gouvernementales et des infiltrés du FPR. Ils voient ces forces gouvernementales aller
et revenir de Bisesero. Le journaliste Vincent Hugeux de l’Express les avait vus le 25 juin. Il ne
faisait pas de doute pour lui que c’était des tueurs et non des soldats d’une armée conventionnelle.
Le 29 juin, le ministre de la Défense François Léotard vient à Gishyita. Le bourgmestre n’aurait
pas accompagné les tueurs afin d’accueillir le ministre français ?
3.8.4
Musema Alfred
Musema Alfred est directeur de l’usine à thé de Gisovu. Il a été condamné à perpétuité pour
génocide par le TPIR. Il est signalé ici dans 14 crimes. Le tableau 22 page 30 montre qu’il est
actif du 25 au 29 juin. Il est responsable ce jour-là d’au moins 8 meurtres. Après le 30 juin au
camp de Bisesero, les survivants le dénoncent comme chef des tueurs aux Français qui ne l’arrêtent
pas. 26 Il logeait des militaires français à l’usine à thé. Le capitaine Lecointre et le colonel Sartre
entretenaient de bonnes relations avec lui. 27
26. African Rights [2, p. 65].
27. TPIR, Le Procureur c. Alfred Musema, Affaire no ICTR-96-13-T, Jugement et Sentence, 27 janvier 2000.
28
Date
25 juin
25 juin
25 juin
25 juin
25-29 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26-29 juin
26-29 juin
27 juin
27 juin
27 juin
27 juin
27 juin
27-30 juin
28 juin
28 juin
28 juin
29 juin
29 juin
29-30 juin
Lieu
Bisesero
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero/Uwingabo (colline Runyangingo)
Gihora
Bisesero
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Mwigarama (au gouffre de)
Kimibanga
Mwigarama (au gouffre de)
Bisesero
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe (colline Rwakamena)
Gishyita/Gishyita/Gitovu
Nyiramakware
Gihora
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Rwakamena
Gihora
Mwigarama (au gouffre de)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Nombre
1
1
2
1
1
3
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
2
1
1
11
1
1
Table 20 – Crimes attribués à Muhimana Mika
3.8.5
Ryandikayo Charles
Ryandikayo Charles tenait un restaurant à Mubuga. Militant du MDR-Power, il y tenait des
meetings avant le 6 avril 1994. 28 Il est recherché par le TPIR pour le massacre à la paroisse de
Mubuga le 14 avril mais n’a jamais été arrêté. Il est signalé ici dans 10 crimes. Le tableau 23 page
31 montre son activité criminelle.
3.8.6
Ndimbati Aloys
Ndimbati Aloys est bourgmestre de Gisovu. Recherché par le TPIR, il n’a jamais été arrêté.
Il est signalé ici dans 8 crimes. Le tableau 24 page 31 montre qu’il est actif du 25 au 28 juin. Le
capitaine de frégate Marin Gillier l’a rencontré ce 28 juin à Gisovu. Il n’est pas signalé les 29 et
30 juin. Il a pu venir le 29 à Gishyita pour rencontrer le ministre Léotard, mais nous n’en n’avons
pas de preuve. Le 30 au matin, la colonne de Marin Gillier va à Gisovu où il a pu rencontrer le
bourgmestre.
3.8.7
Bizimungu
Bizimungu est un militaire ou ancien militaire. Il est signalé ici dans 8 crimes. Le tableau 25
page 32 montre qu’il est actif le 25 et le 27 juin.
3.8.8
Niyitegeka Eliezer
Niyitegeka Eliezer est journaliste, membre de la fraction Power du parti MDR et ministre de
l’Information du gouvernement intérimaire rwandais. Il a été condamné à perpétuité par le TPIR.
Il est originaire de la commune Gisovu, secteur Gitabura. Sa maison se trouve près de la colline
Kidasha sur la piste qui va de l’hôpital de Ngoma au centre de négoce de Rushishi. 29 Il se rend très
28. Rwanda : Death, Despair and Defiance [1, p. 441].
29. Voir point 7 de la carte en figure 5 page 22.
29
Date
25 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26 juin
26-27 juin
26-29 juin
27 juin
27 juin
27 juin
27 juin
28 juin
28 juin
Lieu
Bisesero
Bisesero
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (Gisoro)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Bisesero
Kimibanga
Bisesero
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe (colline Rwakamena)
Mashinge
Gishyita/Bisesero/Kazirandimwe
Rwakamena
Nombre
1
3
1
1
1
1
2
1
1
1
1
1
1
Table 21 – Crimes attribués à Sikubwabo Charles
Date
25 juin
25 juin
26 juin
26 juin
27-30 juin
28 juin
29 juin
29 juin
29-30 juin
Lieu
Rusebeya
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gihora
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gihora
Jurwe
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Nombre
1
1
1
1
1
2
5
1
1
Table 22 – Crimes attribués à Musema Alfred
souvent dans la région pendant le génocide, en particulier aux réunions à la préfecture de Kibuye
où sont organisées les opérations de “ratissage” des Tutsi survivant à Bisesero. Il est signalé ici
dans 8 crimes. Le tableau 26 page 32 montre qu’il n’est actif que le 29 juin. Notons qu’il a été
accusé au TPIR d’avoir participé au meurtre de deux personnes à Kibuye le 28 juin. 30 Il n’est pas
signalé par nos informateurs comme participant à des massacres à Bisesero ce jour-là, ni le 27 juin
où il aurait rencontré le capitaine de frégate Marin Gillier. Il n’y a pas de Conseil des ministres ce
29 juin, selon l’agenda de Pauline Nyiramasuhuko et ceux de Jean Kambanda.
3.8.9
Munyakazi John Yusuf
Munyakazi John Yusuf est chef Interahamwe de Bugarama dans la préfecture de Cyangugu. Il
a été condamné à 25 ans de prison par le TPIR. Il est signalé ici dans 8 crimes. Le tableau 27 page
33 montre qu’il est présent le 29 juin. Il est responsable ce jour-là d’au moins 6 meurtres. Cette
enquête prouve la venue de Yusuf de Cyangugu à la fin du mois de juin pour une autre raison.
Dans Résistance au génocide, Bisesero, Maurice Sakufe déclare qu’il a vu Yusuf en juin aux côtés
du docteur Gérard : “Yusufu portait un bonnet. Il était avec le docteur Gérard Ntakirutimana, que
je connaissais, parce que son père était notre ami, et avait donné une vache à mon père. Il soignait
les miliciens blessés. Yusufu avait un fusil. C’était à Kamina, et je les ai vus en allant me cacher
dans des buissons. Nous sommes restés là à souffrir. Nos deux chefs, Nzigira et Birara, avaient été
tués, et c’étaient eux qui nous organisaient.” 31 La présente enquête révèle que Aminadab Birara
a été tué le 25 juin et son fils Augustin Nzigira le 26 juin. Yusuf est donc venu après le 26, alors
que les Français étaient présents tant à Cyangugu qu’à Nyarushishi, Kirambo et Gishyita.
30. Jugement d’Eliezer Niyitegeka, TPIR, Affaire, no ICTR-96-14-T, 16 mai 2003, section 273, p. 69.
31. African Rights [2, p. 60].
30
Date
25 juin
25 juin
25-26 juin
26 juin
26-29 juin
28 juin
30 juin
Lieu
Gishyita/Mubuga/Rwamiko
Jurwe
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Kimibanga
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Mubuga (église)
Nombre
1
1
1
2
1
2
2
Table 23 – Crimes attribués à Ryandikayo Charles
Date
25 juin
26 juin
26 juin
26-28 juin
27 juin
27-30 juin
28 juin
28 juin
Lieu
Rusebeya
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero/Uwingabo
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero (colline Muyira)
Nombre
1
1
1
1
1
1
1
1
Table 24 – Crimes attribués à Ndimbati Aloys
3.8.10
Rutaganira Vincent
Rutaganira Vincent est conseiller du secteur de Mubuga. Il a été condamné à 6 ans de prison
par le TPIR et libéré en 2008. Il est signalé ici dans 8 crimes. Le tableau 28 page 33 montre qu’il
est actif du 26 au 28 juin. Il n’est pas signalé les 29 et 30 juin. Un dénommé Rutaganira, sans
prénom, est signalé pour 2 meurtres le 26 juin.
3.8.11
Kayishema Clément
Kayishema Clément est préfet de Kibuye depuis 1992. Il a été condamné à perpétuité par le
TPIR pour les massacres qu’il a organisé, notamment à Bisesero. Il est signalé ici dans 3 crimes.
Le tableau 29 page 34 montre qu’il n’est pas actif à Bisesero, sauf le 26 juin. Aaron K., Siméon I.,
disent avoir vu ce jour-là le préfet lors d’une attaque à Gihora à Bisesero. Nous n’avons pas encore
vérifié ces témoignages importants. À cette date le colonel Rosier se rend à Kibuye pour assister
à l’installation du lieutenant-colonel Duval et ses commandos de l’air. On pourrait penser que le
préfet était là pour l’accueillir. Mais le journaliste du Figaro ne parle que d’un sous-préfet. 32 Si
le préfet a participé à des massacres ce 26 juin à Bisesero, il paraı̂t difficile qu’il ait été présent le
même jour à Kibuye pour accueillir le commandant des forces françaises. Le trajet prend au moins
deux heures.
3.9
Les informateurs
Sur 163 informateurs, 119 ont été pris en photo, 116 ont donné un numéro de téléphone.
L’essentiel de cette enquête est donc vérifiable.
4
Discussion
L’analyse du lieu de résidence montre que la majorité des victimes résidait dans la région de
Bisesero. Une minorité provient des communes de Gitesi, qui est la ville de Kibuye, ou de Mabanza,
32. François Luizet, Cris et murmures à Kibuye, Le Figaro, 27 juin 1994, p. 2.
31
Date
25 juin
26 juin
27 juin
27 juin
Lieu
Bisesero
Bisesero (Rwabaruma)
Bisesero
Nyiramakware
Nombre
3
1
3
1
Table 25 – Crimes attribués à Bizimungu
Date
29 juin
29 juin
29 juin
29-30 juin
Lieu
Gihora
Jurwe
Mwigarama (au gouffre de)
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Nombre
5
1
1
1
Table 26 – Crimes attribués à Niyitegeka Eliezer
commune au nord de Kibuye.
Nous retenons a priori que la marge d’erreur sur les dates fournies par nos informateurs est de
un à deux jours. Cependant, l’analyse de l’activité journalière des criminels montre une certaine
cohérence. Le bourgmestre Sikubwabo ne dirige pas de massacres le 29 juin, jour de la visite
du ministre François Léotard dans sa commune. Il se partage le travail avec le conseiller Mika
Muhimana qui continue à tuer ce jour-là. De même, la présence sur les lieux de massacres le 29
juin du ministre de l’Information Eliezer Niyitegeka est cohérente avec ce qu’on sait de son emploi
du temps par ailleurs.
La perspective de l’arrivée des Français a ranimé la vigueur des organisateurs des massacres.
Le 18 juin une attaque est menée à Kiziba 33 par le préfet Clément Kayishema, le ministre Eliezer
Niyitegeka et le commerçant Obed Ruzindana. 34 Le 20 juin, le préfet Kayishema dirige une attaque
et le 21, 30 militaires et 150 miliciens encerclent Bisesero. 35 Le 22, Alfred Musema mène une
attaque avec des employés de son usine à thé. 36 Le 24 juin, les Français traversent la région.
Ils ont pu constater qu’il y a eu des massacres et que l’armée du Front patriotique (APR) n’est
jamais venue là et se trouve encore à 60 km environ. Ils ne devraient pas avoir de doutes sur
les organisateurs de ces massacres. Ils les rencontrent, le préfet Clément Kayishema à Kibuye, le
sous-préfet de Rwesero, Gérard Terebura, le bourgmestre de Kirambo, Mathias Mayira.
Le lendemain 25 juin, le nombre d’assassinats passe de 19 la veille à 57. Les criminels ont pu se
sentir encouragés par les premiers contacts avec les Français. Ils ont pu aussi vouloir terminer très
vite l’élimination des Tutsi avant l’arrivée en nombre des Français. Ceux-ci retournent à Bukavu
le 25. Le cardinal Etchegaray vient en visite à Kibuye. Informés par le prêtre franciscain Vieko
Curic, trois journalistes sont montés à Bisesero à la recherche de survivants. Ils rencontrent une
troupe de militaires, miliciens et paysans que Vincent Hugeux décrit comme des massacreurs. 37
C’est ce jour-là que Aminadab Birara, le chef de la résistance à Bisesero, est tué à la grenade par
des soldats et des gendarmes.
Le 26, les Français reviennent sur zone. Vincent Hugeux et ses collègues Sam Kiley et Scott
Peterson rencontrent deux convois français et informent le capitaine Eric Bucquet et le capitaine
de frégate Marin Gillier de l’existence de survivants traqués à Bisesero. Les commandos de l’air
s’installent à Kibuye, le colonel Rosier les y visite et rencontre un sous-préfet. A-t-il rencontré le
préfet ? Deux témoignages, dans cette enquête, rapportent que le préfet Kayishema participait à
une attaque à Bisesero. Les commandos de marine s’installent à Kirambo et un élément remonte
vers Kibuye. Les attaques sont encore plus meurtrières ce jour-là et font 64 victimes. “Il y a eu ce
jour-là de grandes attaques qui ont massacré beaucoup de personnes”, nous déclare un informateur
33.
34.
35.
36.
37.
À l’ouest du mont Karongi, no 23 figure 5 page 22.
Témoin GGV. Jugement d’Eliezer Niyitegeka, TPIR, Affaire no ICTR-96-14-T, 16 mai 2003, p. 51.
Patrick de Saint-Exupéry, La “solution finale” du préfet de Kibuye, Le Figaro, 5 juillet 1994, p. 6.
Témoignage de P., Jugement d’Alfred Musema, TPIR, section 494, p. 156.
Vincent Hugeux, Les oubliés de Bisesero, L’Express, 30 juin 1994, p. 42.
32
Date
26-27 juin
27 juin
27-30 juin
29 juin
29-30 juin
Lieu
Bisesero
Bisesero
Gihora
Gihora
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Nombre
1
1
1
4
1
Table 27 – Crimes attribués à Munyakazi John Yusuf
Date
26 juin
27 juin
27 juin
28 juin
28 juin
Lieu
Gishyita/Bisesero/Gitwa
Gishyita/Bisesero (colline Kagali)
Gishyita/Bisesero/Kigarama
Gishyita/Bisesero/Jurwe
Gishyita/Bisesero/Nyarutovu
Nombre
1
1
2
1
3
Table 28 – Crimes attribués à Rutaganira Vincent
(N.79). “Nous étions en train de nous battre contre les tueurs”, dit un autre (N.126).
Les tueries culminent à 85 assassinats le 27 juin et 84 le 28. Elles sont observées par les membres
du commando de marine Trepel depuis le bureau communal de Gishyita au lieu-dit Chez Fundi. 38
Le capitaine de frégate Marin Gillier n’a donc tenu aucun compte des informations que lui ont
données les journalistes la veille.
Ce 27 juin il y a plus grave. “D’habitude, remarque François N. les Interahamwe tuaient du
matin au soir. Ce jour-là, ils ont attaqué vers 7-8 h. Ils sont repartis vers 12 h. Ce n’était pas
normal.” Mais nous notons encore des meurtres à 13 h à Kazirandimwe (N.72, 75), à Uwingabo
(N.298) et même à 14 h (N.59). Le groupe de reconnaissance du lieutenant-colonel Duval arrive à
Bisesero en début d’après-midi. Marin Gillier est en contact avec le bourgmestre Charles Sikubwabo
qui organise les attaques à Bisesero. Gillier était-il prévenu de l’arrivée de Duval ? A-t-il prévenu
Sikubwabo ? Tout se passe comme si tel avait été le cas. En effet, si l’arrivée de Duval avait été
annoncée aux tueurs par des guetteurs quand il s’est arrêté à Mubuga pour boire une bière, il
aurait rencontré des tueurs en montant à Bisesero. Or, d’après les journalistes qui accompagnent
Duval, il ne rencontre sur le chemin qu’un véhicule transportant des militaires.
Le groupe Duval quitte Mubuga, il monte à Bisesero et observe des traces d’incendies récents.
Il croise une voiture chargée de militaires rwandais mais il n’assiste pas à des tueries, selon le
récit des journalistes. 39 Le lieutenant-colonel Duval dit aux Tutsi qu’il rencontre à Bisesero qu’il
reviendrait dans deux ou trois jours et les abandonne. 40 Disposant de moyens de communication, il
pouvait faire appel à des renforts. La force française disposait alors d’assez de moyens en hommes,
armements et hélicoptères pour évacuer les blessés et les protéger sur place.
Un groupe des commandos de marine était à 5 km de là à Gishyita et disposait de véhicules. Ses
sentinelles ont forcément aperçu le groupe Duval puisqu’elles contrôlaient une barrière à l’entrée
nord de Gishyita. 41
Les Français savaient pertinemment qu’ils abandonnaient les Tutsi à la mort car les tueurs
étaient en vue, certains sont passés en voiture. Nous enregistrons des victimes qui ont été tuées le
27 après le départ des Français (N.206, 207, 244, 366).
Ce 27 juin, en commune de Gitesi, c’est-à-dire Kibuye, où les commandos de l’air sont stationnés, Jean de Dieu Tuyishime, âgé de 7 ans, est attrapé et tué alors qu’il tente de se rendre
auprès des Français (N.123). Des Interahamwe, dont le conseiller du secteur de Kayenzi, Emmanuel Kobizaba, incitaient les Tutsi à sortir de leur cachette pour aller se réfugier chez les Français.
38. I. Staes, P. Pons, P. Querou, F. Granet, Reportage à Gishyita le 27 juin 1994, France 2, 28 juin 1994, Dernière.
39. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le Figaro, mercredi 29 juin
1994, p. 3.
40. Le lieu de rencontre est à Gitwa, au point 50 de la carte publiée par la commission Mucyo, figure 6 page 23.
41. Voir la barrière au point 46d de la carte publiée par la commission Mucyo, figure 6 page 23.
33
Date
26 juin
26-29 juin
Lieu
Gihora
Gihora
Nombre
2
1
Table 29 – Crimes attribués à Kayishema Clément
Autrement dit, la proximité des militaires français n’impliquait pas la sécurité pour les Tutsi.
Durant ces jours des 27, 28, 29 et 30 juin, les commandos de marine stationnés à Gishyita voient
partir et revenir les attaquants. Le chef du commando Trepel, Marin Gillier, s’entretient avec les
organisateurs de ces attaques, notamment le bourgmestre Sikubwabo Charles qu’il voit tous les
jours. Le 28 à midi, celui-ci dit à Gillier que depuis “10 heures du matin 300 à 500 terroristes
seraient réfugiés dans une galerie de mine d’étain à la sortie est de Bisesero” et il lui demande
des munitions pour éliminer ces “terroristes”. 42
Marin Gillier s’entretient le 27 juin avec le ministre de l’Information Eliezer Niyitegeka et il
rencontre le 28 le bourgmestre de Gisovu, Aloys Ndimbati.
Le colonel Rosier, qui a le lieutenant-colonel Duval et le capitaine de frégate Gillier sous ses
ordres, préfère évacuer le 28 des religieuses de Kibuye qui se trouvaient beaucoup moins en danger
que les Tutsi traqués à Bisesero. Il fait dire à la télévision le 27 au soir que 1 000 à 2 000 hommes
du FPR sont présents aux environs de Kibuye. 43 On ne peut douter qu’il ait été informé par le
lieutenant-colonel Duval des résultats de sa reconnaissance. Ne l’eut-il pas été avant ce point de
presse, il aurait organisé une opération de secours à Bisesero le 28. Il n’en a rien été.
Le 28 juin, les soldats sous les ordres de Marin Gillier assistent aux mêmes attaques sans rien
faire. “Ce jour-là beaucoup de gens ont été tués car il était venu de très nombreux attaquants”, dit un
de nos informateurs (N.102). Des militaires disposant de grenades à fusils (streams) encadrent les
miliciens (N.219, 234). Pourtant, selon l’adjudant-chef Thierry Prungnaud, les militaires français
voient bien à travers leurs jumelles et l’optique des lance-missiles Milan que ce sont “des hommes
en armes, une centaine, qui poursuivent des civils. Les civils tombent, sont achevés. Là une tache
colorée : le pagne d’une femme probablement.” 44 Les massacres du 28 juin à Jurwe, Kazirandimwe
ou sur la colline Gitwa étaient visibles depuis le bureau communal de Gishyita, Chez Fundi, où
étaient stationnés les Français. 45
À Kibuye (commune Gitesi) nous notons deux homicides et deux autres sont reprochés à Eliezer
Niyitegeka par le TPIR. En dépit de la présence militaire française, les massacres s’y poursuivent
comme à Bisesero. C’est entre le 28 et le 30 juin qu’Illuminata, une jeune et très jolie femme,
devenue handicapée tellement elle a été violée, a été achevée à Kibuye dans des conditions atroces
(N.111).
Le 29 juin, le même discours sur la présence de combattants du FPR est répété à la presse
devant le ministre François Léotard. Pendant sa visite à Gishyita, on entend des coups de feu, note
le général Lafourcade. 46 Les massacres continuent. Nous relevons 51 victimes, dont 20 à la colline
de Gihora, au nord de Bisesero. 47 Ils sont conduits par Obed Ruzindana, Mika Muhimana, Alfred
Musema et le ministre Eliezer Niyitegeka. John Yusuf Munyakazi et ses miliciens sont venus en
renfort de Cyangugu puisque 5 à 6 assassinats lui sont attribués. “Ce jour-là il y avait un nombre
très impressionnant de tueurs amenés par des bus” (N.314). Plusieurs témoignages conduisent à
penser que Yusuf a été invité par les Français de Cyangugu à aller terminer le travail à Bisesero.
Jean-Baptiste Twagirayezu, le guide du groupe Duval le 27 juin, se souvient que les Français à
Gishyita les laissaient passer. “Au début, confie-t-il à Laure de Vulpian après sa sortie de prison
en janvier 2008, les soldats Turquoise étaient très gentils. Quand ils voyaient passer des camions
42. B. Lugan [6, pp. 268–269].
43. Catherine Jentile, Spéciale Rwanda, TF1, 27 juin 1994, 20 h ; Benoı̂t Duquesne, France 2, 27 juin 1994,
Dernière.
44. Jean-François Dupaquier, Là-haut, sur la colline de Bisesero, XXI, avril 2010, p. 26.
45. Précisions d’Eric Nzabihimana, 17 avril 2014.
46. J.-C. Lafourcade [5, p. 104].
47. Gihora est près du point 22 de la carte en figure 5 page 22.
34
pleins d’Interahamwe qui venaient de Cyangugu, ils ouvraient les barrières sans rien demander.” 48
À Gishyita, Raymond Bonner, journaliste au New York Times, avait demandé au ministre
François Léotard d’aller secourir les Tutsi traqués à Bisesero. Il s’est heurté à un refus, écrit-il. 49
Mais selon Corine Lesnes, le ministre aurait hésité puis aurait dit “dès demain, on va y aller”. 50
Cette affirmation est douteuse car l’ordre que reçoit Gillier pour le lendemain est “de pénétrer
dans cette zone jusqu’à une vingtaine de kilomètres (distance à vol d’oiseau, pas sur le terrain !)
afin de prendre contact avec un prêtre français qui vit dans un village menacé, et de lui demander
s’il souhaite revenir avec nous.” 51
Le 30 juin, Marin Gillier a prévu depuis la veille de passer par Bisesero pour se rendre à Gisovu
puis à Mukungu, la résidence du prêtre Jean-Baptiste Mendiendo. Il traverse la région de Bisesero
sans s’arrêter. Jusqu’au 30 juin, les Français sont donc de connivence avec les auteurs des massacres
en les laissant éliminer sous leurs yeux les derniers survivants tutsi de Bisesero.
Les organisateurs des massacres ont dû être prévenus de la mission de Gillier. Par ailleurs,
deux groupes de journalistes montent aussi à Bisesero. Michel Peyrard, Benoı̂t Gysembergh, de
Paris-Match et Sam Kiley du Times montent avant les militaires français. Philippe Boisserie et
Eric Maizy de France 2 suivent ces derniers. Les tueurs ont pu être dissuadés par cette présence de
journalistes. Il n’y a que 16 tués ce 30 juin. Les assassinats ne se font pas précisément à Bisesero,
mais à Kigarama, au nord-est, 52 à l’église de Mubuga, où Ajida (4 ans) et Kabibi (7 ans) sont
tués à la grenade. Selon la commission Mucyo, des militaires français sont présents à Mubuga en
permanence. 53
Selon le témoignage de l’adjudant-chef Prungnaud, son groupe et celui du capitaine Olivier
Dunant du 13e RDP n’ont pas suivi Marin Gillier vers Mukungu mais sont redescendus de Gisovu
à Bisesero. 54 Là, selon Aphrodis M., dit Hérédion, des survivants tutsi ont fait signe aux militaires
français pour qu’ils s’arrêtent. Il s’agit de Amon N., informateur dans notre enquête, de son fils et
d’Anastase B.. Dans cette colonne militaire, certains n’ont pas voulu s’arrêter. Un militaire s’est
arrêté et est descendu de son véhicule. Celui-ci voulait porter secours aux Tutsi. Nous montrons
à Hérédion les photos de Benoı̂t Gysembergh. Il nous affirme que le militaire qui s’est arrêté est
Olivier Dunant, capitaine du 13e RDP. C’est lui qui a déclenché l’opération de secours.
Les survivants ont montré les cadavres aux Français :
- “Le lendemain de ce massacre (le 30 juin) les Français sont retournés sur le lieu (la colline ou
grotte de Gihora).” (N.41)
- “Le 30 juin les Français sont venus voir le trou dans lequel on a jeté la victime. Ils ont vu
d’autres trous qu’on leur a montrés. Nous étions nombreux et après ils sont restés avec nous.”
(N.215)
Sans que nous les y ayons spécifiquement invités, nos informateurs mettent en cause l’attitude
des militaires français :
- “Les massacres ont continué quand les Français étaient déjà à Kibuye. Quand ils sont venus
nous voir, ils nous ont laissés, bien qu’on leur avait montré ceux qui étaient dernièrement tués.”
(N.35)
- “Les Français protégeaient les Interahamwe.” (N.140)
- “Les tueurs lui ont jeté une grenade qui lui a arraché une jambe, et lorsque les Français sont
venus, sont repartis et il a quitté sa cachette et il a été tué le lendemain de leur passage.” (N.353)
- “J’étais caché dans un buisson et j’ai vu les tueurs l’abattre avec des gourdins. Le lendemain,
des soldats français sont venus nous voir sans rester pour nous protéger”. (N.71)
- “Les tueurs l’ont émasculé, et pourtant les Français étaient présents.” (N.143)
48. L. de Vulpian, T. Prungnaud [8, p. 269].
49. Raymond Bonner, Grisly Discovery in Rwanda Leads French to Widen Role, New York Times, July 1, 1994,
p. A1.
50. Corine Lesnes, M. Léotard craint de nouvelles difficultés pour le dispositif “Turquoise”, Le Monde, 1er juillet
1994, p. 4.
51. Marin Gillier, capitaine de frégate, attaché naval à l’ambassade de France en Égypte, Turquoise : intervention
à Bisesero, Le Caire, 30 juin 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [7, Tome II, Annexes, p. 404].
52. Voir zone 22 de la carte en figure 5 page 22.
53. La paroisse de Mubuga est au point 43 de la carte en figure 6 page 23.
54. Laure de Vulpian, Silence Turquoise, Don Quichotte, 2012, p. 145.
35
- “Elle a été tuée le même jour que notre père, c’était deux jours après que les Français nous
aient dit qu’ils reviendraient nous protéger. Les Français sont arrivés un mercredi et ma sœur et
mon papa furent tués le vendredi suivant. Ce jour-là il y avait un nombre très impressionnant de
tueurs amenés par des bus.” (N.314)
- “Elle a été tuée un mercredi, trois jours après le passage des Français.” (N.315)
- “Les massacres étaient soutenus par les Français car à leur arrivée ils n’ont pas interdit les
tueries.” (N.31)
- “Après le fusil, il a été découpé les jambes (membres inférieurs). Tué vers 14 h. Il a été tué
par arme à feu alors que les Français se trouvaient dans la zone.” (N.59)
- “Tué vers 13 h. Nous nous trouvions ensemble lorsqu’on nous pourchassait, et puis lui a été
débusqué et massacré. C’est ce jour où sont venus à Bisesero les Français, nous sommes même
allés les voir à Gitwa mais ils étaient repartis quand nous sommes arrivés.” (N.22)
- “Les tueurs l’ont coupé de la tête aux pieds. Tué vers 10 h - 11 h (le 27). Nous nous trouvions
au même endroit dans le bois, et quand les tueurs sont venus nous nous sommes sauvés en nous
dispersant. Ce jour-là au soir sont venus des militaires français. (N.94)
- “Il a été attrapé et tué lorsqu’il a voulu se rendre auprès des Français qui se trouvaient déjà
en commune Gitesi.” (N.123)
- “Elle a été tuée alors que les Français se trouvaient dans la zone.” (N.131)
- “Tué après le passage des Français à Bisesero.” (N.206, 207)
- “Il a été tué par les tueurs de Rubazo. Tué après l’abandon des Français.” (N.366)
- “Tué après le passage des Français.” (N.204)
- “A l’arrivée des militaires francais, on a continué à tuer les Tutsi.” (N.33)
- “Il a été tué quand les Français nous avaient laissés.” (N.203)
Il est reproché également aux Français d’avoir fourni des armes aux Interahamwe (N.160) et
d’avoir aidé les autorités qui organisaient les massacres (N.294).
5
Conclusion
La responsabilité des militaires français commandés par le lieutenant-colonel Duval et le capitaine de frégate Gillier, eux-mêmes placés sous les ordres du colonel Rosier, est engagée directement
dans les 248 assassinats commis à partir du 27 juin. En effet :
- ils ont été prévenus la veille, 26 juin, par des journalistes et des religieuses de Kibuye, que les
massacres continuaient ;
- ils ont constaté des massacres à Kibuye, Gishyita, Mubuga, Nyagurati et ne peuvent que les
imputer aux autorités locales qui continuent à massacrer sous leurs yeux ;
- ils participent eux-mêmes à la mystification, faisant passer devant la presse les derniers survivants pour des combattants et des terroristes.
Mais leur responsabilité est aussi engagée dans les 138 assassinats commis du 24 au 26 juin :
- ils ont les moyens et le droit d’utiliser la force ;
- ils savent que l’armée du FPR (APR) n’est jamais venue dans la région de Kibuye et qu’elle
s’en trouve encore éloignée d’environ 60 km ;
- ils ne démantèlent pas les barrières tenues par des miliciens et collaborent avec les autorités
qui organisent les massacres ;
- si des journalistes ont pu constater le 25 juin que les massacres continuaient sur les collines de Bisesero, les militaires français, disposant de moyens de déplacement, d’observation, de
communication et de renseignement bien plus performants, ne pouvaient l’ignorer.
Il est possible que certains témoignages retenus dans cette enquête signalent des homicides
survenus avant le 24 juin, comme nous en avons détectés quelques uns. De même il est évident que
cette enquête n’est pas exhaustive.
36
6
Remerciements
Merci de leur coopération à Eric Nzabihimana (rescapé), Bernard Kayumba (maire du district
de Karongi), Jean de Dieu Mucyo (secrétaire exécutif de la CNLG), Jean-Damascène Gasanabo
(directeur du centre de recherche et de documentation de la CNLG), aux secrétaires exécutifs
des secteurs de Gishyita, Bwishyura, Mubuga, Twumba, au responsable de la cellule Bisesero,
à Hérédion M., Dévota G. (rescapés), Liberate G., et Jean R. (CNLG). Merci de leur soutien à
Aymeric Givord et Pierre Jamagne.
Références
[1] African Rights : Rwanda : Death, Despair and Defiance. African Rights, P.O. Box 18368,
London EC4A 4JE, 1995. 1re édition, septembre 1994.
[2] African Rights : Résistance au Génocide - Bisesero - Avril-Juin 1994. African Rights, avril
1998. Édition française.
[3] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État Francais dans le génocide perpétré au Rwanda en
1994 : Rapport. République du Rwanda, 15 novembre 2007.
[4] Association Ibuka : Dictionnaire nominatif des victimes du génocide dans la préfecture de
Kibuye. Ibuka Rwanda, 1999.
[5] Jean-Claude Lafourcade et Guillaume Riffaud : Opération Turquoise. Perrin, mars 2010.
[6] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda. Éditions du Rocher,
mars 2005.
[7] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport
no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998.
Mission d’information de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la
commission des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres
pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[8] Laure de Vulpian et Thierry Prungnaud : Silence Turquoise - Rwanda, 1992-1994 - Responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsi. Don Quichotte, septembre 2012.
37