Fiche du document numéro 10686

Num
10686
Date
Jeudi Novembre 1990
Amj
Taille
6292019
Titre
La guerre au Rwanda
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Cote
No 3
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Tout commence le 1er octobre avec le retour au Rwanda de «rebelles» venus du nord, à savoir de l'Ouganda. Dès le début la désinformation bat son plein: de sources gouvemementales rwandaises, on parle de 10 à 20.000 rebelles et on aurait repéré une colonne de quelque 200 véhicules militaires de tous types, L'événement est en fait gonflé, ceci afin d'attirer les sympathies de l'opinion publique intenationale.


Dans un premier temps, les pays qui comptent des ressortissants au Rwanda paniquent ; en fait, les événements montreront qu'ils n'ont rein à craindre, ces ressoryissants n'étant expressément pas inquiétés par les «rebelles, Mais cela suffit à pousser la Belgique et la France à envoyer sur place des troupes en «mission humanitaire», chargées uniquement de la protection de leurs ressortissants et de leurs voies d'évacuation: 535 para-commandos pour la Belgique, 230 parachutistes et légionnaires pour la France, plus 1.000 soldats zairoïs de la Division Spéciale Présidentielle qui, eux, sont là pour se battre aux côtés de l'armée rwandaise forte de 5,200 hommes seulement.

Quelle est la situation sur le terrain? En fait, l'«invasion rebelle» n'est rien d'autre que le retour en force de réfugiés rwandais de l'ethnie Tutsi exilés en Ouganda où certains sont nés de parents chassés en 1959 par les massacres perpétrés par les Hutus à l'occasion de l'indépendance donnée à cette ex-colonie belge. Concrètement, une première vague de 2.000 hommes, à pied, pénètre au Rwanda via Kagitumba, dans le nord-est du pays, et se dirige vers Gabiro où l'armée rwandaise possède un camp important. Les rebelles s'avèrent très disciplinée et entretiennent des relations très amicales avec la population qui les accueille à bras ouverts. La plupart des hommes portent des tenues de l'armée ougandaise car la grosse majorité d'entre eux a servi dans cette armée dont elle a déserté à l'appel de Fred Rwigyema, un Rwandas tutsi arrivé en Ouganda en 1959 avec 250.000 compatriotes et devenu n°2 de la Natonal Resistance Army ougandaise qui en janvier 1966, a arraché le pouvoir au président Obote: Rwigyema, après avoir été vice-ministre de la Défense, a été limogé en 1989, ce qui l'a décidé à rentrer dans son paÿs, à la tête d'une force recrutée au sein de ses compatriotes exilés, de plus en pus mal vus dans leur pays d'accueil où ils ont cependant largement contribué à renverser le régime corrompu d'Obote, lui-même successeur du sanguinaire Idi Amin Dada.

La plupart des «rebelles» parlent l'anglais, leur langue véhiculaire au Rwanda et en Ouganda étant le Kinyarwanda. Leurs armes sont de provenance chinoise ou soviétique. Aucune exaction de ces «rebeles» n'a lieu à l'égard des civils au cours de la pénétration initiale. Le drame se déclenche avec l'entrée en action de l'armée rwandaise: plutôt que de traiter avec ces «rebelles», le gouvemement du président rwandais Juvénal Habyarimana, à prédominance hutu, décide purement et simplement de les refouler; dans 1e même temps, une chasse aux Tutsi s'organise dans le pays. Pour mémoire, le Rwanda compte 80% de Hutus et 10% de Tutsis. Dans un premier temps, l'armée rwandaise voit des «rebelles» partout. Son aviation, constituée de quatre hélicoptères, mitraile quiconque est repéré dans la zone frontière du nord-est, Beaucoup de réfugiés civils qui fuient la zone des combats sont ainsi tués ou blessés par l'aviation et l'armée de terre. Tout en pourchassant les «rebelles», l'armée rwandaise, composée de Hutus, en profite souvent pour régler ses comptes: avec des civils tutsis: plusieurs massacres de civils tutsis par des éléments de l'armée rwandaise ont lieu dans des villages du nord-est du pays.

Les «rebelles», qui apparaissent toujours organisés, même dans leurs mouvements de retraite, préparent une contre-attaque et réquisitionnent tous les véhieules civils en état de marche ; d'Ouganda arrivent des renforts par vagues successives. Au total, sur le territoire rwandais et massés à Katigumba leur quartier-général, on compte quelque 7.000 «rebelles».

A Kigali, on parle d'éléments «rebelles» qui se seraient infiltrés dans la capitale on va même jusqu'à affirmer que des «rebelles» venus du nord se sont opposée à l'armée rwandaise dans la nuit du 4 au 5 octobre, où de violents combats ont eu lieu à l'hôtel des Diplomates et dans une caserne de la ville, En fait, ce qui s'est réellement passé cette nuit-là à Kigali, c'est une tentative de coup d'état menée par des éléments de l'armée rwandaise favorables à la cause tutsi. Trois officiers de l'armée rwandaise sont d'ailleurs arrêtés au lendemain de cette tentative de coup d'état. Sur le terrain, c'est-à-dire autour de l'hôtel des Diplomates, des combats ont opposé des éléments dissidents de l'a mée nandaise aux troupes restées fidèles au président. Bilan: quatre morts; des civils en pick-up 4x4 qui essayaient d'évacuer un blessé vers l'hôpital tout proche et qui sont tombés sous le feu des soldats de l'armée rwandaise. Le lendemin, tout est calme dans la capitale. Les mutins se sont enfuis, trois officiers supérieurs sont arrêtés et les troupes fidèles au président contrôlent et quadrillent la ville où un couvre-feu est en vigueur de 19h à 5h du matin.

Dans un premier temps, 80 légionnaires d'une compagnie du 2ème REP (Régiment Etranger de Parachutistes) envoyés de Bangui, en Centrafrique, bientôt suivis par 150 hommes du 3ème RPIMa (Régiment Parachutiste d'infanterie de Marine), débarquent le jeudi 4 octobre à Kigal, avec trois jeeps Hotchkiss M201 pour tout matériel lourd. En quelques heures, ils réquisitionnent des véhicules civils Toyota ou Nissan 4x4 en état de marche et en réparent d'autres. Les Belges arrivent un jour plus tard, le vendredi 5 octobre à partir de 7h50 du matin, mais beaucoup plus nombreux et mieux équipés : 535 hommes - essentiellement du 2ème Batailon Commando - par vagues successives amenées en DC-10 (SABENA), Boeing 727 (FAéB) et C-130H Hercules, avec notamment neuf jeeps Iltis de l'Escadron de Reconnaiscance du Régiment Para-Commando (Escadron Recce) et un Unimog S404, Le déploiement sur place est achevé le 6 octobre à 5h du matin. Français et Belges ont une même mission, désignée par le nom de code unique d'«Opération Hirondelle» (la participation belge étant codée «Green Bean»): tenir et protéger l'aéroport, ainsi que les voies de communication nécessaires à l'éventuel rapatriement des ressortissants français, belges et les autres qui le demanderaient ; à titre annexe, ils sont chargés de la protection de leurs ambassades respectives et de patrouiler dans Kigali afin de rassurer la population européenne.

A Kigali et à l'aéroport, après la nuit mouvementée du 4 au 5, tout est calme. Les «rebelles ne sont jamais arrivés jusque là. Les seuls coups de feu tirés l'ont été par les soldats rwandais maladroits ou inquiets qui lâchent des rafales d'armes automatiques dans la nuit pour se donner du courage... ou lors de règlements de comptes ou arrestations mouvementées de civils tusis pris pour des collaborateurs, voir tout simplement des «rebelles» en civil.

Dans le nord-est, les combats continuent. C'est le millier de Zaïrois envoyés par le Maréchal Mobutu qui assurent le gros du travail. L'armée rwandaises occupe les positions stratégiques avec ses canons antiaériens, ses VBL Panhard tout neufs, ses AML Panhard et ses mortiers. Les Rwandals pilonnent les positions «rebelles» pendant que les Zaïrois progressent sur le terrain, indépendamment dés opérations de ratissages rwandaises.

Gabiro est pris par les «rebelles», repris par les Zaïrois recapturé par les «rebelles», repris par les gouvernementaux avant de retomber aux mains des «rebelles qui cèdent une nouvelle fois devant les gouvenementaux...

Les civils, en majorité tutsis dans cette partie du pays, tentent de fuir les combats. Beaucoup d'entre eux sont blessés ou tués par l'armée rwandaise qui les prend pour des «rebelles». Il est vrai que beaucoup de «rebelles» portant, en tout ou partie, des vêtements civils, la tâche des gouvenementaux et des Zaïrois s'en trouve compliquée.

Dans l'après-midi du dimanche 7 octobre, une partie des hommes du 3 RPIMa quitte Kigali on direction de Ruhengeri, dans le nord, afin d'aller chercher des ressortissants français et les protéger s'ils veulent venir se réfugier à Kigali. Après une nuit passée à Ruhengeri, la colonne, composée de six véhicules civils réquisitionnés, va jusqu'à Giseny, dans l'ouest du pays, à le frontière zaïroise. Le lundi 8 octobre à 11h du matin, un ordre vient directement de Paris: les soldats français et les ressortissants secourus doivent impérativement être de relour à Kigali pour 14h. Le convoi, escorté parles Bérets Rouges du 3 RPIMa partis la veille et ceux arrrivés en renfort de Kigali ce lundi matin, s'ébranle en direction de la capitale. Avec eux, une quarantaine de véhicules civils ramènent environ 200 personnes.

Quelques jours plus tard, les paras belges accomplissent le même trajet dans le même but: rapatriement des coopérants belges et étrangers qui souhaitent quitter la région. 51 Bérets Verts et Bérets Rouges participent à l'opération, y compris l'énergique Colonel Paul Maherbe, commandant le Régiment, qui dirige toute l'opération au Rwanda. Les jeeps armées de l'Éscadron Recce s'avèrent un instrument adéquat à ce genre d'opération. Les Belges rapatrient quelque 190 civils. Le lendemain, les paras belges remettent cela avec une opération de rapatriement à Byumba.

Le 14 octobre, les premiers soldats zaïrois quittent le Rwanda: un convoi emmenant environ 250 soldats regagne le Zaïre via Giseny, par la route. Seuls les militaires rwandais les regrettent: les Zaïrois, très intelligemment envoyés par Kinshasa sans aucune logistique matérielle ni alimentaire, ont dû vivre sur le compte de la population locale, avec les abus de toutes sortes que cela suppose.

Le 15 octobre, les premiers contacts destinés à l'organisation de pourparlers entre le gouvemement et les «rebelles» sont pris à la faveur du ballet diplomatique joué par le Premier ministre belge Wilfried Martens, le ministre belge de la Défense nationale Guy Coëme et le ministre belge des Affaires étrangères Mark Eyskens qui rencontrent les présidents du Rwanda, de l'Ouganda, de la Tanzanie et du Kenya, des contacts officiels étant par ailleurs pris à Bruxelles par le ministère des Affaires étrangères avec des représentants des «rebelles». Le Président Habyarimara se rend également à Paris pour demander un soutien renforcé de son régime de la part de la France et de la Belgique, ce qui lui est diplomatiquement refusé. Nos paras ne sont là que pour protéger les ressortissants français, belges et étrangers. De son côté, soucieux de rétablir son prestige moribond, le Maréchal Mobutu tente de jouer un rôle dans la recherche d'une solution afrcaine au conflit; dans ce but, il a même fait appel à une aide logistique de la France et de la Belgique au profit d'une future force africaine d'interposition.

Au jour où ces lignes sont rédigées (2 novembre), rien n'est résolu: le président Habyarimana refuse de respecter tout cessez-le-feu conclu avec les «rebelles» tant que ceux-ci n'auront pas totalement quitté le Rwanda. Or ces derniers, de plus en plus indésirables en Ouganda, sont condamnés à fuir en avant, c'est-à-dire à reprendre leur place dans leur pays d'origine, d'autant plus que ceux qui ont déserté l'armée ougandaise pour se battre aux côtés de Fred Ruwigyema sont devenus hors-la-loi en Ouganda. En ce 2 novembre, la quasi totalité des paras belges sont rentrés dans leurs casernes, contents de cette expérience qu'ils ont cependant trouvée lassante, faute d'action, Et pas un seul coup de feu n'a été tiré. Français et Belges n'ont jamais été au contact avec les rebelles.

Le résultat le plus positif du point de vue
militaire est l'étroite et excellente coopéraion qui a régné entre Paris et Bruxelles sur la conduite à tenir face à cette querre, et
l'entente parfaite sur le terrain entre paras
français et belges. Nous sommes loin des
échanges de coups de feu entre légionnaires français et paras belges comme à
Kolwezi, en 1978.



(photos: Thiery Charier (et Christian Louis)

Note: ne manquez pas le n°12 d'Armées &
Défense (décembre 1990) où vous trouverez
un article complémentaire de celui-ci, contenant des révélations et des photos exclusives sur cette guerre où, du côté de l'information, très rares sont les journalistes qui
ont correctement fait leur travail!

Par ailleurs, sauf bouleversement de l'actualité, nous dresserons dans VéMI n°4 (décembre) le portrait de l'Escadron Recce Para-Gommando belge qui fête son quinzième anniversaire cette année.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024