Citation
Curia Vista - Objets parlementaires
96.3305 – Interpellation
Rwanda: Auteurs du génocide et victimes
Déposé par
de Dardel Jean-Nils
Date de dépôt
19.06.1996
Déposé au
Conseil national
Etat des délibérations
Liquidé
Texte déposé
Quelle est l'appréciation du Conseil fédéral sur les responsabilités du génocide du Rwanda d'avril à juin 1994? N'y a-t-il pas lieu de corriger l'analyse du rapport Voyame?
Quelle contribution la Suisse doit-elle apporter pour que justice soit faite à l'encontre des responsables du génocide et que réparation soit accordée aux victimes ou à leurs survivants?
Selon quelles modalités et dans quel esprit la Suisse entend-elle collaborer avec le gouvernement actuel du Rwanda?
Développement
Le rapport Voyame sur la coopération suisse au Rwanda procède à des appréciations qui ont suscité l'indignation de nombreux rwandais domiciliés en Suisse et dont les familles ont été massacrées lors du génocide d'avril à juin 1994.
Evoquant un rapport d'une commission internationale d'enquête du 8 mars 1993, le rapport Voyame (p. 142) prétend que cette commission aurait affirmé que « tant l'Etat rwandais que le FPR se sont rendus coupables de graves violations des droits de l'homme, qualifiées de génocide ». Or, cette commission internationale n'a nullement évoqué le terme de génocide à l'encontre du FPR, mais seulement ceux de « coupable de violations des droits de l'homme ». En revanche, à l'encontre du Gouvernement Habyarimana, cette même commission internationale, avant le génocide de 1994, est d'une sévérité extrême:
« L'horreur de la réalité observée par la commission estompe en fin de compte l'importance du débat juridique sur la qualification de génocide. De nombreux Tutsis, pour la seule raison qu'ils appartiennent à ce groupe, sont morts, disparus ou gravement blessés ou mutilés; ont été privés de leurs biens, ont dû fuir leurs lieux de vie et sont contraints de vivre cachés; les survivants vivent dans la terreur. »
Mais le rapport Voyame est plus inquiétant encore lorsqu'il évoque les événements de 1994. En page 148, il mentionne le massacre systématique des Tutsis et des Hutus opposés au régime, soit près de 1 million de morts. Puis, il enchaîne immédiatement sur l'offensive de l'APR, pendant la période d'avril à juin 1994, qui aurait provoqué des « centaines de milliers » de victimes « tuées ou soumises à de graves sévices par les forces du FPR ».
En page 151, le rapport Voyame évoque la réduction considérable de la population au Rwanda et y trouve trois causes:
- le génocide du printemps 1994;
- les « massacres perpétrés ensuite par l'APR »;
- la fuite de 2 millions de réfugiés.
Bref, le groupe Voyame, évoquant le génocide du printemps 1994, y associe des massacres commis prétendument par l'armée du FPR.
Or, les observateurs internationaux n'ont nullement constaté de tels massacres. Certes, l'offensive militaire de l'APR a certainement causé des victimes en nombre important. Mais il n'y a aucune commune mesure (aux plans quantitatif et qualitatif) entre le génocide organisé par le pouvoir anciennement en place et la guerre menée par le FPR. En résumé, le rapport Voyame fait part d'une appréciation du génocide rwandais, dans laquelle les responsabilités seraient partagées entre le camp du régime Habyarimana et celui du FPR. Cette conception contredit la réalité du génocide de 1 million d'êtres humains et va à l'encontre de la motivation même de l'ONU et de la communauté internationale pour la création d'un Tribunal pénal international sur le Rwanda. La négation d'un génocide ne s'exprime pas seulement par le refus de reconnaître l'existence du crime, mais aussi par le fait de le minimiser. Malheureusement, le rapport Voyame dilue les responsabilités et tend à attribuer aux victimes du génocide une part de coresponsabilité. Ce faisant, il tend à minimiser le génocide qui a été commis.
Enfin, la conception du groupe Voyame sur le génocide rwandais éclaire son analyse très négative sur le gouvernement actuel du Rwanda, dirigé par le FPR. En effet, si une force politique responsable de massacre de type génocide prend le pouvoir, il est évidemment impossible de leur faire vraiment confiance pour l'avenir. Parmi les critiques du groupe Voyame à l'égard du gouvernement actuel du Rwanda, on relèvera par exemple l'insuffisance extrême du système judiciaire pénal pour juger les auteurs et responsables du génocide. Comment nos experts helvétiques peuvent-ils donc « oublier » que les juges rwandais ont disparu dans les massacres? « Oublier » que des juges ne se forment pas en quelques mois?
En définitive, la Suisse a coopéré pendant de longues années avec un régime politique rwandais, qui s'est avéré criminel et responsable d'un génocide. Plutôt que d'accabler le gouvernement qui a succédé au régime précédent, n'y aurait-il pas lieu de faire preuve de solidarité et de tout faire pour aider ce gouvernement à surmonter ses immenses difficultés?
Le régime Habyarimana, avec lequel la Suisse a si longtemps coopéré, érigeait la distinction et la discrimination entre les ethnies en principe de gouvernement. Les dirigeants politiques actuels du Rwanda déclarent vouloir abolir les discriminations ethniques et reconstruire une société nationale sans distinction d'origines raciales. Après un génocide d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants, ce projet de suppression des discriminations raciales ne doit-il pas être soutenu?
Réponse du Conseil fédéral du 23.09.1996
Les informations actuellement à disposition font clairement ressortir le fait que le génocide et les massacres de 1994 ont été le résultat d'une idéologie totalitaire assimilant tout opposant - qu'il s'agisse de la population tutsie ou des éléments de la population hutue jugés proches de l'opposition légale au régime de l'ancien parti unique - à des ennemis considérés comme des collaborateurs du Front patriotique rwandais (FPR) et qui devaient être abattus. Les crimes ainsi perpétrés l'ont aussi été à la faveur d'une tradition de recours à l'ethnisme dans les luttes pour les pouvoirs économique et politique et d'impunité face aux violations des droits de l'homme commises au Rwanda. Il revient à la justice rwandaise et au Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé par la résolution 855 du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994, d'établir les responsabilités et de juger les auteurs du génocide et des violations du droit international humanitaire commises au Rwanda en 1994. En ce sens, le Conseil fédéral estime que la communauté internationale doit s'engager pour faciliter le jugement des responsables du génocide et des massacres par le Tribunal pénal international et par la justice rwandaise et oeuvrer en faveur de l'établissement au Rwanda d'un Etat de droit qui garantisse le respect des droits de l'homme et mette fin à la culture de l'impunité dans ce pays, évitant le risque que de tels événements se renouvellent à l'avenir. L'existence aujourd'hui de violations des droits de l'homme au Rwanda ne peut en aucun cas disculper les auteurs du génocide et des massacres commis en 1994; inversement, l'horreur des crimes commis par les auteurs du génocide et des massacres ne peut dissuader les partenaires actuels du Rwanda de s'engager en faveur du respect des droits de l'homme et de l'Etat de droit dans ce pays.
Le groupe d'étude institué par le Département fédéral des affaires étrangères en octobre 1994 avait pour mandat d'évaluer l'engagement de la coopération suisse au Rwanda au cours des 34 années de présence suisse dans ce pays, y compris dans le contexte de la guerre civile qu'il a connue depuis 1990. Le groupe d'étude n'était pas chargé d'analyser le déroulement du conflit au Rwanda depuis octobre 1990 et les circonstances du génocide et des massacres perpétrés en 1994; les membres du groupe n'ont d'ailleurs fait qu'aborder ces points dans le cadre de l'exposé historique qui accompagne leur analyse des réalisations de la coopération suisse. Le groupe d'étude a en l'occurrence travaillé en toute indépendance et les opinions présentées dans son rapport n'expriment pas le point de vue des autorités fédérales sur les événements survenus au Rwanda ou sur la situation actuelle dans ce pays. Il n'appartient dès lors au Conseil fédéral ni de les commenter, ni de les justifier ou de les récuser.
Quelle contribution la Suisse doit-elle apporter pour que justice soit faite à l'encontre des responsables du génocide et que réparation soit accordée aux victimes ou à leurs survivants?
Le soutien suisse actuel au Rwanda est marqué par des réalisations concrètes, notamment dans les domaines de la justice, de la santé et de l'agriculture, qui interviennent également en faveur des rescapés du génocide et des massacres. Dans le domaine de la justice, la Suisse participe depuis la fin de l'année 1994 au rétablissement du système judiciaire du Rwanda en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement, le CICR et des ONG dans les domaines de la restauration d'un centre de formation, de l'organisation de la formation pour des magistrats juristes et non-juristes, des greffiers de prison et de tribunal, etc., et d'une manière générale en logistique. La Suisse participe en outre avec détermination aux efforts engagés par la communauté internationale pour juger et condamner les responsables du génocide et des violations du droit humanitaire international commis au Rwanda en 1994. Elle soutient depuis 1994 le Tribunal pénal international par la mise à disposition d'enquêteurs et d'experts, par l'octroi de contributions financières et par une coopération étroite dans les procédures engagées à l'encontre de suspects arrêtés. Jusqu'à présent, sur la base du droit national, la justice militaire suisse a entamé deux procédures pénales contre des personnes soupçonnées de violations du droit international humanitaire en relation avec le génocide commis au Rwanda. Suite à la demande du Tribunal pénal international pour le Rwanda et à la décision de la Cour militaire de cassation du 8 juillet 1996, une de ces procédures a été portée devant ce tribunal.
Selon quelles modalités et dans quel esprit la Suisse entend-elle collaborer avec le gouvernement actuel du Rwanda?
Le soutien actuel de la Suisse au programme de réconciliation nationale, de réhabilitation et de développement mis en oeuvre par le Gouvernement rwandais s'inscrit dans la continuité des efforts suisses depuis 1990 en faveur d'une solution durable à la crise qui a affecté le Rwanda, de la promotion de l'Etat de droit, du respect des droits de l'homme et des progrès en matière de démocratisation dans ce pays. Il est en effet incorrect d'assimiler toute l'ancienne classe dirigeante rwandaise aux responsables du génocide, alors que plusieurs membres du gouvernement de transition du premier ministre Agathe Uwilingiyimana, y compris Mme Uwilingiyimana elle-même, ont été tués par les auteurs du génocide et des massacres de 1994 et qu'en outre des personnalités ayant occupé des fonctions ministérielles dans les gouvernements de transition mis en place depuis 1992 au Rwanda occupent aujourd'hui également des fonctions ministérielles dans le gouvernement d'unité nationale qui s'est constitué à Kigali en juillet 1994. Le processus de démocratisation au Rwanda et les efforts de promotion de l'Etat de droit dans ce pays sont antérieurs aux événements de 1994. Des Rwandaises et des Rwandais se sont engagés dès 1990 en faveur des progrès dans ces domaines, avec l'appui de certains partenaires extérieurs, dont la Suisse.
L'aide humanitaire, l'appui à la reconstruction et le soutien aux mesures visant à renforcer l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme sont depuis l'été 1994 les piliers de l'important effort de la Suisse en faveur du Rwanda; ils seront consolidés et poursuivis. La situation à l'intérieur du pays est instable et ne se prête pas à des efforts durables de coopération au développement qui nécessitent des structures solides et des visions à long terme du gouvernement et de la société; des programmes limités visant à satisfaire aux besoins immédiats sont envisagés. Le Conseil fédéral se prononcera le moment voulu sur la forme et le contenu de l'effort suisse en faveur du Rwanda, en particulier dans le domaine de la coopération au développement.
Documents
Bulletin officiel - les procès-verbaux
Chronologie / procès-verbaux
Date Conseil
13.12.1996 CN La discussion est reportée.
04.03.1998 CN Liquidée.
Conseil prioritaire
Conseil national
Cosignataires (12)
Banga Boris Bernasconi Maria Cavalli Franco Haering Barbara Hubacher Helmut Hubmann Vreni Jans Armin Marti Werner Maury Pasquier Liliane Müller-Hemmi Vreni Semadeni Silva Weber Agnes
Descripteurs (en allemand):Aide
Verbrechen gegen die Menschlichkeit Ruanda ethnische Diskriminierung Bürgerkrieg Entwicklungszusammenarbeit
Compétence
Département des affaires étrangères (DFAE)