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France - Rwanda - projet d'intervention humanitaire
Q - Vous rentrez il y a moins d'une heure, d'Afrique. Est-ce que,
d'abord, vous pensez que ce vote au Conseil de sécurité des Nations
unies peut intervenir mardi ou plus tard ?
R - Je le pense. Nous ne voulons intervenir au
Rwanda qu'avec le feu vert des Nations
unies. Il faut que le Conseil de sécurité autorise les Etats membres à
aller sur le terrain et je ne vois pas quelle grande puissance ou quel
membre du Conseil de sécurité des Nations unies pourrait s'opposer à
une telle initiative. Je suis donc confiant sur ce premier pas dans le
montage d'une opération qui est difficile et dangereuse.
Q - En aucun cas la France ne peut y aller seule, donc ?
R - Nous souhaitons, pour bien marquer le caractère humanitaire et
international de cette intervention, y aller avec d'autres. Vous
disiez que je rentre à l'instant d'Afrique, j'étais en Côte d'Ivoire
et ensuite au Sénégal. Au Sénégal, le Président Diouf m'a confirmé
qu'il était prêt à mettre en place un contingent de soldats sénégalais
aux côtés des soldats français. La réaction parmi les pays africains -
j'ai pu voir tous nos ambassadeurs dans la région - est unanimement
favorable. Parmi les pays européens, on nous soutient aussi, dans le
principe. J'espère que dans les jours qui viennent nous arriverons à
convaincre plusieurs de nos partenaires de se joindre à nous.
Q - Mais la France pourrait y aller même si aucun autre pays européen
ou occidental n'y allait ?
R - Nous souhaitons que d'autres pays européens viennent avec
nous. Vous savez que l'Italie a fait part de sa disponibilité. Donc,
dans les heures ou les jours qui viennent, notre action diplomatique
va se déployer pour essayer de convaincre ceux qui reconnaissent qu'il
faut faire quelque chose - les images qu'on vient de voir le montrent
- et que la France, bien entendu, ne peut pas tout faire toute seule.
Q - Alors concrètement, une fois que cette décision sera prise,
combien de temps faut-il pour envoyer des troupes et combien d'hommes
peut-on envoyer là-bas ?
R - Vous comprendrez, j'en suis sûr, que je ne vous donnerai pas de
détails sur un certain nombre d'éléments : combien d'hommes, ou, selon
quelles modalités, pour une opération qui, même si elle a
exclusivement un but humanitaire - c'est une opération qui met en jeu
des soldats - un peu de discrétion est nécessaire. Donc, tout ceci se
mettra en place. Si la résolution est votée mardi, au plus tard
mercredi, et si nous parvenons à faire évoluer nos différents
partenaires, je pense que cela peut aller très vite, dans le courant
de la semaine prochaine.
Je voudrais aussi insister sur le fait que nous déployons beaucoup
d'efforts pour convaincre le Front patriotique rwandais, que cette
opération n'est pas dirigée contre lui. Nous allons avoir cette
semaine, des contacts avec le Premier ministre rwandais, désigné au
titre des accords d'Arusha, qui était donc reconnu par tout le
monde. Nous avons également des contacts sur place. La personne que
l'on vient de voir à l'instant, M. Larome, est le chef de la cellule
d'urgence du ministère des Affaires étrangères qui est sur le terrain
pour essayer d'acheminer notre aide humanitaire. Nous aurons également
des contacts à New York et à nouveau à Paris, avec les responsables du
FPR.
Q - Alors, justement, vous l'avez dit, si la France envoie des soldats
aux frontières du Rwanda, la mission de ces
militaires risque d'être très difficile. Vous l'avez rappelé, sur le
terrain, les rebelles sont hostiles à l'arrivée des Français. Ils
reprochent à Paris d'avoir aidé pendant quatre ans le régime du
Président Habyarimana, assassiné le 6 avril dernier. Alors, vous
l'avez déjà dit, Alain Juppé, c'est vrai que cette mission parait
particulièrement difficile dans ce contexte.
R - Elle est difficile, mais je suis stupéfait de voir le monceau
d'inexactitudes que l'on lit dans la presse sur ce qui s'est passé
depuis plusieurs années. On reproche à la France d'avoir soutenu le
Président Habyarimana comme s'il était responsable de ce qui se passe
aujourd'hui. Je voudrais simplement rappeler un élément tout à fait
factuel, c'est qu'il est mort, c'est qu'il a été assassiné. Ce sont
donc les extrêmistes qu'il tenait, précisément et auxquels il était
arrivé à imposer les accords d'Arusha d'août 1993, salués par tout le
monde, comme des accords de réconciliation, y compris par le
FPR. C'est grâce à lui que ceux-ci avaient été faits. Donc, je pense
que ce procès d'intention intenté à la France, qui aurait été coupable
directement ou indirectement de ce qui se passe, est insupportable et
ne correspond en aucune manière à la réalité.
Q - Est-ce que, aujourd'hui, finalement, plusieurs mois après le début
de cette crise terrible, il n'est pas trop tard pour intervenir ?
Est-ce qu'on ne pouvait pas le faire avant, ou demander cette
intervention avant ?
R - D'abord, tout au long de l'année 93, ceci vient d'être dit, nous
avons, petit à petit, amené le processus de réconciliation, juillet
1993. Ensuite, il y a eu des soldats français qui ont préparé
l'arrivée du FPR - on l'a oublié - à Kigali, au sein du gouvernement,
et tout ceci semblait fonctionner, la réconciliation était en cours,
le partage du pouvoir se faisait. Il y a eu cet assassinat, il y a
deux mois environ, qui a tout détraqué. Nous avons immédiatement réagi
par notre aide humanitaire, en essayant de faire en sorte qu'un
cessez-le-feu soit obtenu par les grands Etats de la région et en
demandant aussi aux Nations unies de projeter sur place une force de
5500 hommes. Qu'est-ce que nous avons constaté ? C'est que tout cela
n'avançait pas, que le cessez-le-feu n'était pas respecté, que la
MINUAR, puisque c'est comme cela qu'on dit, la Force des Nations
unies, n'arrivait pas. Et c'est à ce moment là que nous nous sommes
dit "on ne peut pas continuer à attendre que ces décisions se
concrétisent, il faut que la France montre l'exemple". On nous dit
"c'est trop tard". Qui l'a fait avant nous ? Et qui, aujourd'hui,
prétend aller plus vite que nous ? Pas grand monde sur la scène
internationale./.