Citation
De notre envoyé spécial.
MINISTRE de la Jeunesse, Jacques Bihozagara est l'initiateur et la clé de voûte de l'opération « camps de solidarité ». Il a des activités tous azimuts puisque je l'ai rencontré à une autre inauguration, celle d'un centre de services à destination des coopératives de production qui se mettent en place à travers le Rwanda, son ministère ayant également en charge le monde associatif.
Kigembe est le quatrième camp de solidarité. D'autres sont annoncés. Comment est née cette forme d'action?
De la volonté de mobiliser d'abord la jeunesse. Autour du thème de la reconstruction physique du pays et, plus encore, de la reconstruction du coeur des Rwandais. On ne bâtit pas sur le vide, il faut des hommes. Le coeur des Rwandais est à reconstruire pour leur permettre de revivre ensemble.
La jeunesse, c'est plus de 65 % de la population. Même si elle a été impliquée et utilisée, ce n'est pas elle qui a planifié le génocide, ce sont des adultes. La jeunesse doit absolument reconstruire son pays, notre pays. Là est notre chance, dans le changement de mentalité des jeunes.
Quels jeunes? Les nouveaux réfugiés? Les anciens? Les survivants? Ceux qui ont combattu la dictature?
A Kigembe, j'ai dit: « Le Rwanda a été artificiellement divisé en trois ethnies, Hutu, Tutsi et Twa. » Après les événements qui ont balayé le pays, d'autres divisions peuvent apparaître. Vous avez raison de vous poser ce genre de question. Nous faisons un appel global. A la jeunesse dans son ensemble. Et tout le monde y répond.
Au début, ce n'est pas facile. Au bout de quelques jours, des convergences, des rencontres apparaissent. Les activités culturelles et sportives organisées dans chaque camp constituent, de ce point de vue, une dimension essentielle de notre action.
Le camp que vous avez vu regroupe des jeunes de toutes les communes de la préfecture de Butare. Dans ce cas précis, il s'agit largement de nouveaux réfugiés, ceux de 1994, revenus du Burundi. Ailleurs, la situation peut être différente.
Quelle place tient cette forme de travail volontaire dans la politique de reconstruction et de relogement?
Jusque-là, en termes quantitatifs, une place relativement minime face à l'ampleur des besoins existants. L'important est qu'une initiative de mobilisation de la jeunesse montre la voie d'un progrès national. Cela dit, nous voulons élargir la place et le rôle des camps de solidarité. Ils seront au coeur du programme pour Kigali devant débuter ces jours-ci.
Ne redoutez-vous pas des incidents, voire des affrontements entre anciens et nouveaux réfugiés sur cette question du logement?
Le piège a été évité et le cap me paraît franchi. Si les premières semaines de retour se sont passées sans incident majeur, le chemin à parcourir peut et doit être celui d'une stabilisation. La principale difficulté concerne la gestion immédiate de la situation. Il n'y a pas que le logement: notre pays doit nourrir plus de bouches qu'il ne compte de producteurs. Un demi-million de personnes sans travail. D'où l'importance dans la proche période de facteurs incontrôlables, tels que les aléas climatiques susceptibles de générer des disettes. Dans ce domaine, il faudra une solidarité internationale. L'appui que la Communauté internationale peut apporter au Rwanda devrait viser à conforter le programme de réintégration et de reconstruction, également à parer au danger de famines qui peuvent apparaître à tel ou tel moment, dans tel ou tel endroit.
J'en reviens à votre question sur la possibilité d'incidents. Encore une fois, la période la plus lourde de dangers d'une telle sorte est passée: celle du retour des réfugiés. La perspective est tracée et on ne s'y trompe pas. Elle est celle de la politique d'unité nationale que nous prônons.
Propos recueillis par JEAN CHATAIN