Citation
De notre envoyé spécial.
« COMMENT le gouvernement compte-t-il protéger les survivants (du génocide) des ex-FAR et des miliciens interahamwe qui se cachent parmi la foule des réfugiés? »... Cette question peut être entendue dans chacune des réunions organisées par les autorités rwandaises pour expliquer et populariser sa politique dans le nouveau contexte issu du mouvement de retour. Un danger réel, si l'on en croit le rapport publié récemment par African Rights - « Rwanda: la preuve assassinée » - dressant une lugubre comptabilité, celle des dizaines d'assassinats perpétrés, durant la période antérieure, principalement par des commandos venus du Zaïre.
Commune de Gatare, dans la préfecture de Cyangugu, une zone où, opération « Turquoise » aidant, le carnage s'est déchaîné sur une plus longue période que dans le reste du pays. Avant le génocide, elle comptait notamment une population de plus de 12.000 Tutsi; selon African Rights (organisation de défense des droits de l'homme créée en décembre 1992 à l'initiative de Rakiya Omaar et Alex de Waal), seuls 21 d'entre eux sont aujourd'hui vivants. La grande masse a péri durant les massacres d'avril à juillet 1994, mais d'autres ont été victimes par la suite de groupes de tueurs opérant de nuit depuis le territoire zaïrois tout proche. Les assassins avaient un double objectif: empêcher les survivants de réintégrer leurs biens; faire taire des témoins susceptibles de désigner les organisateurs locaux de la tuerie.
La rébellion de l'Est zaïrois contre la dictature de Mobutu a fait sauter les bases arrière des « génocidaires », permettant l'établissement d'une sécurité relative. Sera-t-elle durable? Combien d'interahamwe, pris dans le tourbillon du retour, viennent-ils de regagner le territoire de cette commune? Et l'annonce du début des procès en janvier 1997 ne risque-t-elle pas de relancer l'élimination des familles de survivants témoins?
Le péril est d'autant plus réel que le gouvernement d'union nationale manque terriblement de moyens (humains et matériels) pour y faire face. Interpellé à ce sujet, lors de sa venue à Gisenyi, autre ville frontière, le premier ministre a eu cette réponse: « La sécurité viendra de vous-mêmes et de votre bourgmestre. Nous, nous viendrons dans un second temps. La sécurité sera effective grâce à la participation de tous. »
Une déclaration qui souligne, à sa façon, la réalité de la menace, plus aiguë dans certaines régions que dans d'autres. En particulier dans toute la partie ouest du Rwanda.
Témoignage de Thomas Bizimungu, cultivateur de Gisuma, autre commune de la préfecture de Cyangugu et, donc, elle aussi proche de la frontière zaïroise: « Pendant une nuit de juillet 1995, j'ai entendu le bruit de grenades et de fusils. Je pensais que c'était nos militaires qui se battaient contre les interahamwe comme d'habitude. » Le lendemain, un enfant du voisin arrive chez Thomas, criant qu'on avait massacré le « nyambakumi » (responsable d'un groupe de dix maisons, la plus petite unité administrative rwandaise) Martin Kayijamabe et sa famille. Ce n'était pas la première atrocité de ce type dans la commune, poursuit Thomas Bizimungu, avant de conclure: « Les morts sont presque tous les gens qui témoignent contre les personnes ayant participé au génocide. »
JEAN CHATAIN