Citation
Paris, le 9 Juin 1998
Monsieur le Ministre, cher Bernard
C'est avec surprise que j'ai lu le compte-rendu de votre audition
devant la mission parlementaire d'études sur le génocide au Rwanda.
Compte tenu des relations de confiance et d'amitié qui sont les nôtres,
c'est sans détours que je vous ferai part de mes réactions.
Le problème devant lequel je me trouvais au printemps 1994, alors
que j'étais Premier Ministre et que vous ne deviez faire partie de mon
gouvernement que six mois après, était le suivant : fallait-il que la France envoie de
nombreux soldats au Rwanda pour s'interposer entre l'armée hutue et l'armée
tutsie soutenue par l'Ouganda, c'est-à-dire en fait pour soutenir le gouvernement
Hutu ? Ou fallait-il qu'elle se borne à une expédition humanitaire, limitée dans le
temps et dans l'espace, qui avait pour avantage de ne pas la faire participer à ce
qui n'aurait pas manqué d'être considéré comme une expédition coloniale ?
J'ai opté pour la seconde solution sans hésitation et avec
détermination, car je ne voulais pas que notre pays, déjà fort isolé dans cette affaire
Sur la scène internationale, puisse être considéré, si peu que ce soit, comme
soutenant un gouvernement dans lequel beaucoup voyaient, à tort ou à raison, le
principal responsable des événements sanglants qui se déroulaient au Rwanda.
Je n'ai pas d'avis à porter sur les « confidences » que vous a faites le
Président Mitterrand, mais je peux vous dire que la présentation que, si j'en crois la
presse, vous faites de sa position et de la mienne n'est pas exacte : il n'était pas
question à ses yeux de châtier les auteurs Hutus du génocide et il n'était pas
question aux miens de permettre à ceux-ci d'aller se mettre à l'abri au Zaïre. Vous
savez bien que, seul à lutter contre l’apathie de la communauté internationale, j'ai
obtenu l'autorisation de l'ONU afin d'effectuer une opération humanitaire. Elle a eu
le mérite d'exister. Limitée comme elle l'était, elle correspondait à nos possibilités
puisque, de l'avis des autorités militaires, une opération de grande envergure afin
d'arrêter les combats entre les parties sur l'ensemble du territoire du Rwanda eût
nécessité l'envoi d'un corps expéditionnaire trois fois supérieur en nombre à celui
que nous avons utilisé durant la guerre du Golfe.
Monsieur Bernard Debré
Ancien Ministre
J'ajoute que, si ma mémoire est bonne, vous m'avez accompagné
dans mon voyage en Afrique, en compagnie de MM. Léotard et Roussin, et que
vous aviez, à l'époque, tout à fait approuvé ma position et ma vision des réalités.
Tout cela m'autorise à vous dire que je regrette orofondément que vos
déclarations puissent ternir la réputation de notre pays et de notre armée qui, à peu
près seule au monde, a oeuvré pour éviter ou limiter le pire, en se mettant au
service de tous ceux qui étaient menacés par la violence.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma
considération distinguée.
il n'était pas question à ses yeux [Mitterrand] de
châtier les auteurs hutus du génocide et il n'était pas question aux
miens de permettre à ceux-ci d'aller se mettre à l'abri au
Zaïre.