Fiche du document numéro 795

Num
795
Date
Mercredi 16 mars 2005
Amj
Auteur
Fichier
Taille
94914
Pages
2
Titre
Témoignage d'une rescapée sur le camp de Murambi
Type
Témoignage
Langue
FR
Citation
Témoignage d’une rescapée sur le camp de Murambi
DG
16 mars 2005
A l’arrivée des Français, leur mission était tout autre que la mission humanitaire. Une mission humanitaire assurée exclusivement par des militaires bien armés ! Ils ne voulaient que protéger les assassins
pour faciliter leur exil car le FPR avançait très rapidement. Ce dernier a été arrêté à Butare par les
Français. [...]
Pour ce qui est du camp des déplacés et survivants, je ne sais pas ce qui a motivé les Français dans le
choix d’un tel endroit où venaient de périr des milliers de Tutsis pour y protéger les survivants membres
des familles décimées ou qui étaient voués au même sort. Les corps avaient été déjà jetés dans des fosses
communes, mais nous n’étions pas en état de ressentir tous les chocs que nous ont causé les Français,
tellement nous étions étourdis ; lorsqu’on va mourir on n’est plus tellement de ce monde. Il faut dire
qu’après le génocide, les mêmes moyens ne nous parlaient plus. Ce qu’on fait les Français dénotait un
manque de sensibilité à l’égard de la souffrance subie par les survivants du génocide. Et leurs visages ne
trahissaient aucun état d’âme : ni fureur, ni tristesse.
Les Français abandonnaient les gens sur les routes qui étaient lynchés par les Interahamwe. C’est ce qui
nous a poussé à refuser notre évacuation par les militaires français. Nous étions chez la soeur du fameux
Colonel Simba (il a été arrêté et est détenu à Arusha), c’est ce dernier qui nous a emmenés dans le camps
des Français. J’étais avec une grande soeur et un petit frère. Sous prétexte de punir les génocidaires, les
Français pendaient des survivants, pris pour génocidaires, sur leur hélicoptère et allaient les jeter dans
la forêt de Nyungwe. Un jour ils ont jeté une personne à un barrage des tueurs qui a été lynchée par
ces derniers. Des témoins oculaires en témoignent, mais souhaitent garder l’anonymat. Ils ne veulent pas
révéler leurs identités tant qu’ils ne connaissent pas celui qui va utiliser leurs informations. Moi même
j’ai appris cette histoire quand j’étais à Murambi, mais les militaires français arguaient que c’étaient des
miliciens. On se demandait par ailleurs pourquoi ils ne faisaient pas autant pour les tueurs qui étaient
encore sur des barrières dans la ville de Gikongoro, s’ils avaient le droit d’infliger de telles punitions !
Partout où nous sommes passés pour arriver au camp des Français, les barrières étaient encore érigées
et les Tutsis y étaient tués. Heureusement que nous étions avec une personnalité connue et influente qui
ne pouvait pas être arrêtée par les Interahamwe (le Colonel SIMBA). Les miliciens le connaissaient bien,
il paraît qu’il était à Gikongoro pendant le génocide dans le cadre de faire exécuter le plan du génocide.
Normalement, il habitait Kigali, mais était originaire de Gikongoro. Beaucoup de hautes personnalités
qui avaient joué un grand rôle dans le génocide étaient à Gikongoro, protégées par les militaires français.
Ils ont eu tout leur temps de fuir tranquillement avec leurs biens et leurs familles.
Dans le camps de Murambi, il y avait aussi bien des Interahamwe que des survivants tutsis des différents coins du pays surtout ceux de Gikongoro, Butare voire même de Kigali. Ces derniers n’avaient
pas d’autres choix. Même s’il n’y a pas de preuves matérielles, on affirmait que les Français nous abandonneraient un jour dans les mains des génocidaires. Cela, je n’en doutais pas, tout était possible. Le
jour où nous avons quitté le camp, les Français ont laissé ceux qui n’étaient pas embarqués dans les
premiers camions. Nous avons été évacués par les Américains (ils n’étaient qu’à deux). Les Interahamwe
ne savaient pas de qui il s’agissait, et pensaient qu’ils étaient armés. Ils n’ont pas osé nous faire du mal.
Le FPR suivait aussi de près l’évolution de la situation, nous étions toujours en contact. Nous avions
tellement peur, nous pensions qu’un jour nous serions tués, nous n’avions plus confiance aux militaires
français. Ils ne nous protégeaient pas, heureusement que les Interahamwe pensaient au contraire. Les
militaires français ne faisaient que profiter des femmes et des filles du camp, et vu la situation dans
laquelle elles vivaient, celles-ci ne résistaient pas à céder leur corps pour avoir à manger pour elles et pour
d’autres réfugiés voisins. Dans cette zone Turquoise on y rencontre actuellement des enfants métis nés
des militaires français même si leurs mamans ne livrent pas cette information facilement. Les militaires
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nous provoquaient en nous disant que si c’étaient eux, ils ne pouvaient pas rester sans réagir devant les
Interahamwe, que si nous n’étions pas des fous, nous avions un caractère animal ! Ce n’était pas là la
meilleure façon d’approcher quelqu’un qui a enduré une telle souffrance.
Lorsqu’on arrivait à Murambi, les Français nous accueillaient juste à l’entrée principale, ils demandaient si on est tutsi ou hutu avant de nous laisser entrer. Mais je ne sais pas à quoi servait cette
information car que ce soit hutu génocidaire ou tutsi victime, tout le monde avait accès à ce camp. Pour
notre cas, nous avons répondu que nous étions tutsis, ils nous ont dit d’entrer mais ils nous ont demandé
de nous débrouiller pour le reste : le logement, la nourriture ! Ils ne nous ont même pas donné une goutte
d’eau ! Et pourtant, ils voyaient bien que nous n’avions rien, à peine les habits que nous portions, mais ils
n’ont pas pensé à nous donner au moins une couverture. En tant que personnes en mission humanitaire,
je me suis demandé quelle mission humanitaire s’agissait-elle s’ils laissaient les victimes vivre de telle
manière. Là, j’ai alors commencé à fort douter de leur protection. Heureusement, nous avons rencontré
des amis qui y étaient arrivés avant nous et ils nous ont logés. Les Hutus n’avaient aucun problème, ils
allaient aisément s’approvisionner dans la ville de Gikongoro en dehors du camp car ils n’étaient exposés à
aucun risque. Dans le camp, ils n’étaient qu’à la recherche d’un endroit où dormir car ils ne pouvaient pas
tous trouver des logements à Gikongoro tellement ils étaient nombreux. Les Tutsis quant à eux ne pouvaient sortir, non seulement ils craignaient pour leur vie mais aussi ils n’avaient rien dans leur poche pour
s’approvisionner en vivres. Ils restaient là, en train de voir les autres manger alors qu’eux ils mouraient
de faim. Des fois, les Français distribuaient des vivres : un demi kilo de riz par semaine et ce n’était pas
régulier. Les pauvres Tutsis, qui ne pouvaient même pas approcher du seuil de la porte d’entrée, n’avaient
pas la possibilité d’aller puiser de l’eau. Certains ont été massacrés ou blessés à coups de machettes en
essayant d’aller puiser de l’eau à la fontaine qui était tout juste à côté et aucune réaction de la part des
militaires français.
Comme le camp était devenu l’escale pour des génocidaires, nous vivions avec des militaires et des
gendarmes parfois armés de grenades. Je ne sais pas ce qui a pu se passer pour qu’ils ne recommencent pas
leur « travail ». On croirait en une force miraculeuse qui nous a protégés. Nous étions vraiment exposés :
nos bâtiments n’étaient pas clôturés et les militaires français ne gardaient que juste l’entrée principale.
Une autre chose est que les survivants trouvaient souvent leurs bourreaux dans le camp et ils allaient se
plaindre devant les militaires français. Ceux-ci les arrêtaient sous prétexte qu’ils allaient les punir, mais
on a appris par après qu’ils avaient été libérés sans condition. Ils ne les gardaient pas dans leur office et on
ne sait pas où ils les mettaient. Ils se sont réfugiés au Congo. Je ne me souviens pas de leurs noms, mais
je peux citer quelques cas dont l’abbé Athanase Robert Nyandwi, un prêtre burundais qui servait dans la
paroisse de Kaduha à Gikongoro, un autre milicien de premier plan qui a été dénoncé par une fille qu’il
avait forcément faite sa femme après l’avoir violée et un militaire des ex-forces armées rwandaises qui avait
été dénoncé par les survivants de Butare. Dans les premiers jours après l’arrivée des militaires français, ils
ont évacué certaines personnalités tutsies dont l’évêque de Butare (Jean Baptiste Gahamanyi), certains
prêtres, religieux et religieuses. Ils ont été emmenés au Congo (Ex-Zaïre). L’évacuation des autres civils
qui étaient là a été bloquée par les Français alors que ces premiers avaient des familles d’accueil au Zaïre
ou au Burundi. On n’a pas su la cause de cette résistance des Français. A notre arrivée à Murambi, les
murs et les plafonds étaient encore empreints des tâches de sang. On avait essayé de les gratter, mais
les traces étaient toujours là. Il y avait souvent des cas de traumatisme mais comme nous n’étions pas
habitués à voir de tels cas, on les banalisait.
Juste après le génocide, c’est dans la zone Turquoise qu’on rencontrait des miliciens qui causent encore
l’insécurité des survivants et des témoins. Les Français les ont protégés et ils n’ont pas pris le chemin de
l’exil comme les autres car l’APR n’était pas arrivée jusque dans la zone Turquoise. Dans les premières
années qui ont suivi le génocide, on a remarqué beaucoup de menaces de ces génocidaires contre les
survivants dans le but d’effacer les preuves. Ce phénomène a été particulièrement marqué à Gikongoro
et à Cyangugu, deux préfectures qui étaient sensibles.
Je n’ai pas pu bien agencé toutes les données et à raison du long temps qui vient de s’écouler certains
éléments m’ont échappé, mais ce qui est réel est que la mission des Français de l’opération Turquoise
semblait pour le moins ambiguë ou confuse aux yeux des observateurs. Pratiquement, les Français n’étaient
là que pour aider le régime génocidaire à s’enfuir. En tout cas, la mission humanitaire était le cadet de
leurs soucis, s’ils en ont eu !

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024