Citation
PRÉSIDENCE
DE LA Paris, le 18 octobre 1990
RÉPUBLIQUE
L'ambassadeur de France
Charge de Mission.
Monsieur le Président de la République
Entretien avec le Président Habyarimana
Jeudi 18 Octobre 1990 à 18H30.
Le Rwanda a été attaqué le 1er Octobre par des
réfugiés d'origine Tutsi venus d'Ouganda, sous les ordres du
Général Fred Rwigyema. Le Président Habyarimana a entrepris
parallèlement à une reprise en main militaire sur le terrain ,
une concertation avec ses voisins et amis pour tenter de mettre
un terme au conflit.
La situation militaire semble à peu près stabilisée
dans le nord-est (secteur de Gabiro). Les forces rwandaises ont
opéré un mouvement de prise à revers des forces rebelles à
proximité de la frontière ougandaise (Nyagatare). Cette
situation pourrait toutefois évoluer défavorablement pour
Kigali si Kampala intervenait directement en faveur des
rebelles ou leur fournissait un appui massif en armes et en
munitions.
Au plan politique, il est remarquable de constater
que l'attaque des rebelles Tutsi n'a pas amené de personnalités
Hutus à se dissocier du gouvernement. On ne voit pas dans ces
conditions comment pourrait émerger une majorité de rechange.
Des inquiétudes se font, par ailleurs, jour sur une
éventuelle implication libyenne dans l'organisation de
l'attaque et le soutien aux rebelles (des avions libyens ont
été récemment signalés à l'aéroport d'Entebbe).
1- Aspects militaires.
Le Président Habyarimana sollicitera très
vraisemblablement une aide militaire nouvelle de la part de la
France.
Il convient de rappeler que la France a immédiatement
envoyé au Rwanda un contingent de 150 hommes dont la mission
exclusive était d'assurer la sécurité et la protection de nos
ressortissants. Mais il n'est pas douteux que la seule présence
de ce contingent à Kigali a fortement consolidé, dans un moment
critique, la position du Président. Une deuxième compagnie (150
hommes) a été par la suite dépêchée à Kigali.
Il faut également souligner que nous avons répondu
immédiatement de façon favorable aux demandes formulées par les
autorités rwandaises en matière de fourniture de munitions et
que nous avons notamment envoyé des roquettes pour des
hélicoptères "Gazelle". Un avion transportant de nouvelles
roquettes est parti ce matin-même pour Kigali.
S'agissant des demandes d'achat de matériel
(hélicoptères, mortiers), celles-ci ne présentent pas la même
urgence. Elles pourront être examinées en fonction de
l'évolution de la situation militaire et des disponibilités. Il
est à noter que le Rwanda dispose de cinq hélicoptères
"Gazelle" armés. La maintenance de ceux-ci est effectuée par
nos coopérants militaires, et nous pouvons, dans ce domaine,
poursuivre et même accentuer notre concours (fourniture de
pièces de rechange pour les AML en cas de besoin, entretien
d'autres matériels).
Enfin, nous avons effectué des démarches auprès du
Président Musevéni, afin qu'il prenne les mesures nécessaires
pour mettre fin à toute nouvelle infiltration de groupes armés.
Le retrait des forces zairoises du Rwanda (1500
hommes), semble dû à une mésentente sur le terrain avec les
forces armées rwandaises, dont une méprise a provoqué la mort
de 46 soldats zaîrois. Sur le plan militaire, il peut poser le
problème dans la mesure où Kigali perd ainsi un appui
important. Sur le plan politique, il peut s'avérer bénéfique en
raison des réactions négatives de la population rwandaise à la
suite d'exactions commises par les soldats zaïrois.
2 - Aspects politiques et diplomatiques.
Cette crise met en évidence le problème que pose la
présence de nombreux réfugiés rwandais arrivés en 1959 et en
1972 dans les pays voisins (200 000 en Ouganda, 100 000 au
Burundi, 100 000 en Tanzanie). Si nous n'ignorons pas les
efforts du Président Habyarimana dans ce domaine, et en
particulier le travail de la commission créée sous l'égide du
Haut Commissariat pour les Réfugiés, nous considérons que le
problème des réfugiés rwandais dans les pays voisins ne pourra
trouver une solution durable que dans l'ouverture d'un dialogue
et dans la concertation entre toutes les parties intéressées.
D'après des informations de source ougandaise, le
Président Habyarimana aurait accepté, hier, lors d'une
rencontre en Tanzanie avec ses collèques tanzanien et ougandais
- la proclamation d'un cessez-le-feu, entériné par le Président
Museveni (mais pas encore par le “Front patriotique rwandais")
- une rencontre avec les représentants de ce Front ;
- le principe du droit en retour des réfugiés, qui seraient
réinstallés dans l'espace, actuellement peu peuplé, du parc
national de Kagéra (au nord-est du Rwanda) ;
Si ces informations étaient exactes, un grand pas
serait fait dans la voie d'une solution du problème, et le
Président Habyarimana, qui a déjà fait des concessions
appréciables en réponse à nos appels (autorisation donnée à la
Croix Rouge et à la presse de visiter les prisons de Kigali)
aurait acquis des mérites supplémentaires. Il vous dira ce
qu'il en est au juste.
En tout état de cause, c'est au niveau de la
concertation régionale (et non par un recours aux Douze, que
les Belges semblent avoir envisagé) que le problème rwandais
trouvera sa solution. La Tanzanie, moins engagée que l'Ouganda,
le Burundi, ou le Zaïre, serait sans doute le médiateur le plus
désigné, ainsi que le Secrétaire Général de l'OUA, lui-même
Tanzanien./.
Claude ARNAUD
P. S. : L'une de nos deux compagnies pourrait être retirée après l'acceptation
du cessez-le-feu ‘par les deux parties. L'autre le serait une fois la
situation stabilisée. /.