Fiche du document numéro 6288

Num
6288
Date
Vendredi 11 avril 2014
Amj
Auteur
Fichier
Taille
124240
Pages
3
Urlorg
Titre
Quand l'histoire vous touche de près ! Et que son traficotage sa [sic]
Sous titre
Intervention de Lantenac 1793 dans la discussion sur le blog de Jean-Dominique Merchet Rwanda 1994 : Mettre fin aux massacres partout où cela sera possible
Type
Langue
FR
Citation
C'est moi – à l’époque LCL au 3° RPIMa et chef de « cellule OPS » du PCIAT - qui ait rédigé et mis en forme cet ordre d'opération n° 1 à partir des contributions des diverses autres cellules. J’ai fait cela en vol vers Goma dans un Antonov 124 à bord duquel se trouvait le Gal Lafourcade, puis à l'escale de Libreville sur l'ordinateur du secrétariat du PC du 6° BIMa, puis assis sur mon sac à dos (faute de table...) sous un boukarou dans la cour d'une ancienne usine de Goma (est du Zaïre) qui allait devenir le PCIAT Turquoise, pour le finaliser et le faire signer par le Gal Lafourcade avant diffusion. Sa rédaction a été un travail collaboratif sérieux, fait en équipe, avec de bons connaisseurs du dossier (dont moi, dernier Cdt de Détachement NOROIT ayant « démonté l’opération » et quitté le Rwanda le 13 décembre 1993). Je veux ici témoigner de ce que chaque terme de cet ORDOPE, surtout concernant la mission et les règles de comportement, le « de quoi s’agit-il ? » a bien sûr été pesé et choisi avec le plus grand soin de clarté. L’ordre a ensuite été commenté par le Gal Lafourcade pour la meilleure prise en compte possible de la mission par l’ensemble des chefs concernés. Il a notamment toujours été très clair, et cela dès les travaux préliminaires de planification menés dans les salles de l’EM de la FAR à Maisons Laffitte, qu’il ne s’agissait en rien de venir combattre le FPR, ni d’aider les FAR et encore moins les génocidaires dont nous n’avions alors qu’une représentation très imparfaite. Nous étions tous très conscients de l’aspect très humanitaire et très bref de la mission (fixée à 2 mois), en même temps que du pot de pus dans lequel on nous jetait, car il est indiscutable que nous avions été partie prenante – et à bon droit - à la crise du Rwanda d’octobre 1990 à décembre 1993 (opération NOROIT). Je voudrais aussi rappeler ce qui suit et que l’on oublie trop souvent à force de penser que la crise du Rwanda commence en 1994 avec le génocide et donc avec des « bons » et des « méchants » faciles à médiatiser dans une approche strictement BHLienne : Durant la phase NOROIT, l’armée française se tient sur ordre du Président Mitterrand (un raciste génocidaire ?) aux côtés d’un gouvernement légal agressé militairement sur son territoire par le FPR qui n’est rien d’autre qu’une émanation de l’armée ougandaise, avec ses jolis treillis est-allemands et ses belles bottes en caoutchouc, aux ordres d’un général ougandais - un tutsi qui s’appelle… Kagamé. NOROIT a aidé les militaires rwandais de 90 à 93, tout à fait classiquement, mais n’a jamais eu affaire avec de prétendus paramilitaires qu’il aurait fallu entraîner directement ou indirectement comme futurs génocidaires. Et d’ailleurs ceux qui pensent que ces gens avaient besoin d’un entraînement par les français pour s’entrétripatouiller font preuve d’une ignorance totale du contexte. La violence dans ces contrées date de bien avant NOROIT… Et dure toujours depuis en s’étant répandue dans l’est de la RDC (cf. les rapports de l’ONU sur le rôle néfaste du Rwanda de Kagamé dans la crise des Grands Lacs après 1994). Qu’on le veuille ou non, en décembre 1993 quand je quitte le Rwanda à la fin de l’opération NOROIT, il y a un accord politique équilibré signé entre hutus et tutsis (accords d’Arusha), un programme de mixité ethnique pour les forces armées, une force de l’ONU en place (la MINUAR, ayant pour chef l’ineffable Gal Dallaire auquel j’ai donné sa première carte de Kigali le jour de son arrivée dans le salon de l’ambassadeur de France) et un bataillon FPR venu d’Ouganda pour sécuriser le processus côté tutsi. On avait vu pire comme manière pour la France de quitter un théâtre d’opération, entre l’Indo et l’Algérie ! Qu’on le veuille ou non, quelqu’un abat le 6 avril 1994 l’avion des deux présidents Rwandais et Burundais. Dans la foulée, les massacres de tutsis commencent, et tout aussi rapidement le FPR (je préfère dire l’armée ougandaise) se lance plein sud tous moyens réunis et avec une logistique au top niveau dans l’attaque du Rwanda sous le noble motif de secourir ceux qu’elle estime être les siens. Curieuse préscience de ce qui allait se passer de la part de forces FPR que nous savions par nos écoutes du temps de NOROIT sujettes à de nombreux problèmes techniques et logistiques. En 48 heures, bien qu’en principe surpris par l’attentat contre le Falcon, ils seraient ainsi « full operationnal capable » pour passer à l’attaque ? Magic move ? Ce n’est pas réaliste, et on peut estimer que le FPR savait que l’attentat aurait lieu, que cela déclencherait un massacre sur les tutsis et que l’occasion d’en finir avec le Rwanda hutu sous la bénédiction de la communauté internationale allait ainsi être créée. Superbe scenario, certes dangereux et violent, mais digne d’un personnage hors norme, un certain général ougandais tutsi qui allait bientôt devenir président du Rwanda vaincu. L’Histoire est violente, tragique, souvent contrastée, mais elle est aussi assez précise quand on veut bien ne pas négliger les faits. La France s’est impliquée au Rwanda d’octobre 1990 à décembre 1993, c’est un fait. On peut à bon droit s’interroger sur les raisons, je n’ai personnellement jamais bien compris pourquoi… Mais accuser les français de NOROIT d’avoir « entraîné les génocidaires » est inique, c’est un slogan de pure propagande politique à la Beria ou à la Goebbels… Mais accuser les français de TURQUOISE d’avoir aidé les FAR, voire soutenu certains génocidaires, est un mensonge évident contredit par toutes les données fiables, alors même que la force croulait sans sa zone d’opération sous les journalistes internationaux qui n’auraient pas manqué de mettre la moindre dérive en exergue. Et comme je suis un vieux soldat parfaitement conscient de ce qu’il peut toujours y avoir du bruit dans le système le mieux huilé, j’ajouterai ce qui suit concernant des reproches souvent entendus :

1 / Non, TURQUOISE n’a pas « exfiltré les génocidaires », mais oui, des combattants FAR ont pu passer au Zaïre via Goma. Il s’agissait d’unités combattantes constituées, défaites par le FPR, mais ayant lutté en toute « normalité » de la guerre. Quand on se bat pied à pied face à un ennemi mobile, bien équipé et bien commandé, on n’a absolument pas le temps de courir dans les collines pour faire des massacres.

2 / Si ici ou là certains soldats français sont un peu sortis du strict cadre d’ordre TURQUOISE, mais certainement pas pour commettre des actes criminels, alors ils ont cru devoir le faire sous leur seule responsabilité, sans doute mus par ce « surinvestissement sentimental » assez fréquent chez le soldat français qui peut poser aux Etats-majors un problème de discipline, mais qui fait aussi son charme de Sarajevo à Kigali, car ce soldat français n’est en rien un Robocop ou un GI qui emmène son Mac Do partout où il se déploie en se foutant du contexte local. Les hommes de NOROIT, puis de TURQUOISE, souvent les mêmes, ont fait leur job conformément aux ordres reçus et ne méritent en rien les accusations cuites et recuites par un Kagamé qui use de ce rideau de fumée pour se dédouaner de bien des reproches qui lui sont faits, y compris par l’ONU, mais curieusement assez peu repris par la presse.

LANTENAC 1793
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024