Citation
Nations Unies
S/PV.3377
Conseil de sécurité
Provisoire
Quarante-neuvième année
3377e séance
Lundi 16 mai 1994, à 23 h 10
New York
Président :
M. Gambari . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
(Nigéria)
Membres :
Argentine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Brésil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Djibouti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
États-Unis d’Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fédération de Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nouvelle-Zélande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Oman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Pakistan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
République tchèque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
Rwanda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
M.
Sir
M.
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Cárdenas
Valle
Li Zhaoxing
Olhaye
Yañez-Barnuevo
Inderfurth
Vorontsov
Mérimée
Keating
Al-Khussaiby
Niaz
Kovanda
David Hannay
Bicamumpaka
Ordre du jour
La situation concernant le Rwanda
Rapport du Secrétaire général (S/1994/565)
94-85652 (F)
Ce procès-verbal contient le texte des déclarations prononcées en français et l’interprétation des autres
déclarations. Le texte définitif sera publié dans les Documents officiels du Conseil de sécurité. Les
rectifications ne doivent porter que sur les textes originaux des interventions. Elles doivent être
indiquées sur un exemplaire du procès-verbal, porter la signature d’un membre de la délégation
intéressée et être adressées, dans un délai d’une semaine à compter de la date de publication, au
Chef de la Section de rédaction des procès-verbaux de séance, bureau C-178.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
La séance est ouverte à 0 h 5.
Adoption de l’ordre du jour
L’ordre du jour est adopté.
La situation concernant le Rwanda
Rapport du Secrétaire général (S/1994/565)
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le Conseil
de sécurité va maintenant commencer l’examen de la
question inscrite à son ordre du jour.
Le Conseil de sécurité se réunit conformément à
l’accord auquel il est parvenu lors de ses consultations
antérieures.
Les membres du Conseil sont saisis du rapport du
Secrétaire général sur la situation au Rwanda, document
S/1994/565.
Les membres du Conseil sont également saisis du
document S/1994/571, qui contient le texte d’un projet de
résolution présenté par la République tchèque, la France, la
Fédération de Russie, l’Espagne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique. J’attire l’attention des membres du Conseil sur les
modifications suivantes à apporter au projet de résolution
figurant dans le document S/1994/571, dans sa version
provisoire : le paragraphe 7 du dispositif du projet de
résolution doit se lire comme suit :
«Prie en outre le Secrétaire général de présenter
dès que possible un rapport sur la phase suivante de la
mission de la MINUAR, y compris notamment sur la
coopération des parties, les progrès accomplis en vue
d’un cessez-le-feu, les ressources disponibles et la
durée du mandat envisagée, afin que le Conseil puisse
poursuivre son examen de la question et agir en tant
que de besoin;»
J’attire également l’attention des membres du Conseil
sur les autres documents suivants : S/1994/527, lettre datée
du 2 mai 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité
par le Chargé d’affaires par intérim de la Mission permanente de la République-Unie de Tanzanie auprès de l’Organisation des Nations Unies; S/1994/552, lettre datée du 9
mai 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité par
les représentants des États-Unis d’Amérique et de l’Ouganda auprès de l’Organisation des Nations Unies; S/1994/553,
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lettre datée du 10 mai 1994, adressée au Président du
Conseil de sécurité par la Chargée d’affaires par intérim de
la Mission permanente de l’Ouganda auprès de l’Organisation des Nations Unies; et S/1994/562, lettre datée du 12
mai 1994, adressée au Président du Conseil de sécurité par
le Représentant permanent du Burkina Faso auprès de
l’Organisation des Nations Unies.
Un voté séparé sur la partie B du projet de résolution
publié sous la cote S/1994/571 a été demandé. Si je
n’entends pas d’objections, je mettrai d’abord aux voix la
partie B du projet de résolution.
En l’absence d’objections, il en est ainsi décidé.
Ensuite, je mettrai aux voix le reste du projet de
résolution publié sous la cote S/1994/571.
Si je n’entends pas d’objections, je procéderai donc de
la sorte.
En l’absence d’objections, il en est ainsi décidé.
Je vais d’abord donner la parole aux membres du
Conseil qui souhaitent faire une déclaration avant le vote.
M. Bicamumpaka (Rwanda) : Monsieur le Président,
je voudrais tout d’abord vous féliciter de votre accession à
la présidence du Conseil au cours de ce mois de mai et
pour la manière admirable dont vous dirigez les travaux.
C’est pour moi un honneur que de pouvoir m’adresser
à cette auguste assemblée qui a la lourde charge de veiller
à la destinée du monde afin de le préserver des catastrophes
de la guerre.
Je m’adresse au Conseil de sécurité pour l’inviter à
jeter un regard profond et plus subtil sur les événements
tragiques qui secouent actuellement mon pays, le Rwanda.
Beaucoup de personnes ont appréhendé ces événements à la
volée, en les privant ainsi de leur support historique, ignorant leur origine et leur motivation.
Plus d’un se posent cependant ces questions : Pourquoi
tant de haine? Pourquoi tant de cruauté? Certains répondent
naïvement : c’est la faute à l’armée rwandaise, c’est la faute
au Gouvernement rwandais.
La réalité objective est pourtant ailleurs, plus complexe
et moins saisissable de l’extérieur. Elle est enfouie dans
l’arrière-tête, dans le subconscient de chaque Rwandais, et
dans la mémoire collective de tout un peuple.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Le mal rwandais tire, en effet, ses origines de l’histoire
millénaire de la nation rwandaise. La haine qui éclate
maintenant s’est forgée au cours de quatre siècles de domination cruelle et impitoyable de la majorité hutue par une
minorité tutsie altière et dominatrice. Cette haine a été
cultivée par quatre siècles de légendes et d’acculturation
visant l’asservissement mental de tout un peuple. Mais trop
de haine et de mépris, trop d’asservissement engendrent
fatalement la révolte.
C’est ce qui est arrivé au Rwanda en 1959, lorsque les
Hutus ont renversé la monarchie féodale pour la remplacer
par une république démocratique.
Les seigneurs féodaux n’ont pas accepté le verdict de
l’histoire et des urnes. Mais le référendum organisé, en
septembre 1961, par l’Organisation des Nations Unies était
sans appel : plus de monarchie au Rwanda, mais une
république démocratique. C’était et cela reste la volonté du
peuple rwandais.
Les seigneurs féodaux ont préféré l’exil plutôt que
d’être dirigés par les anciens manants, fils d’esclaves. Ils
ont choisi l’exil et la contre-révolution. De 1962 à 1967, le
Rwanda fit ainsi face à des guerres interminables fomentées
particulièrement à partir de l’Ouganda.
Il y eut beaucoup de victimes innocentes, soit par
assassinats directs par les envahisseurs, soit par représailles
de la population hutue sur les Tutsis restés au pays.
Plusieurs années se sont écoulées dans la tranquillité
et d’aucuns disaient que les haines ethniques étaient
résorbées, que la réconciliation nationale était consommée.
Des amitiés profondes se sont créées entre les paysans hutus
et des Tutsis et les élites des deux bords, des mariages
mixtes furent célébrés, souvent modestement, parfois en
grande pompe. L’illusion était parfaite, mais ce n’était
qu’une illusion.
Puis vint l’invasion du 1er octobre 1990, fomentée par
les états-majors du Président Yoweri Kaguta Museveni, de
l’Ouganda. La blessure, que l’on croyait cicatrisée, fut
largement rouverte.
Beaucoup de gens perdirent la vie du fait qu’ils étaient
Hutus. Les envahisseurs du Front patriotique rwandais qui
se sont prénommés Inkotanyi, c’est-à-dire des tueurs implacables — l’expression ayant été empruntée à l’une des
milices royales du XIXe siècle, tristement célèbre pour sa
cruauté — détruisaient tout ce qui pouvait symboliser le
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pouvoir républicain : routes, ponts, dispensaires, hôpitaux,
écoles, etc.
Et pourtant, ils prétendaient avoir pris les armes pour
ramener la démocratie et le bien-être au Rwanda. Quelle
démocratie peut accepter les assassinats systématiques
contre le peuple? Quelle démocratie peut tolérer le déplacement forcé de plus d’un million de personnes? Heureusement, l’armée et le peuple rwandais réunis purent stopper
les envahisseurs assoiffés de vengeance, malgré l’intervention musclée des militaires ougandais, dont le fameux
bataillon Simba, qui perdit ses lettres de noblesse dans la
tentative de prise de la ville de Ruhengeri, située au NordOuest du Rwanda, à seulement 25 km de la frontière rwando-ougandaise.
Les envahisseurs furent contraints de négocier, n’ayant
pu atteindre leur objectif de prendre le pouvoir à Kigali,
dans le délai maximum de trois jours qu’ils s’étaient fixés.
Qu’il me soit permis de rendre hommage aux efforts
inlassables du Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, S. E. M. Boutros Boutros-Ghali, ainsi qu’à
l’action remarquable de son Représentant spécial à Kigali,
visant à ramener la paix au Rwanda.
C’est le lieu ici de rendre un hommage mérité à
S. E. M. Ali Hassan Mwinyi, Président de la RépubliqueUnie de Tanzanie qui, par sa sagesse et sa clairvoyance, a
permis, en sa qualité de facilitateur, de faire aboutir les
négociations de paix d’Arusha.
Nous saisissons également l’occasion pour louer les
efforts inlassables de l’Organisation de l’unité africaine qui,
par l’intermédiaire de ses présidents successifs et du Secrétaire général, a déployé une activité diplomatique intense en
vue de ramener la paix au Rwanda.
Nos remerciements s’adressent également au Maréchal
Mobutu Sese Seko, Président de la République du Zaïre,
médiateur de la première heure, qui a réussi le tour de force
de réunir pour la première fois les frères ennemis pour les
mettre d’accord sur un cessez-le-feu, celui conclu à la
Nsele, à Kinshasa, le 29 mars 1991.
Je voudrais enfin remercier tous les observateurs aux
négociations qui n’ont ménagé aucun effort pour amener les
deux parties à signer les Accords de paix d’Arusha.
Le peuple rwandais — et spécialement les déplacés de
guerre — avait placé un espoir légitime dans ces Accords.
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Conseil de sécurité
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Tout le monde s’accordait à dire : "Vivement la paix au
Rwanda!" Mais hélas, quelle ne fut pas notre désillusion
lorsque vint le moment de la mise en oeuvre de ces accords
laborieusement négociés.
Le Front patriotique rwandais, organe politique des
envahisseurs, montra clairement son vrai visage : il voulait
dominer coûte que coûte le pouvoir pendant la période de
transition.
En effet, cette transition devait commander l’avenir
politique du Rwanda. C’est au cours de cette période que
devait se préparer la Constitution, la loi électorale et les
autres lois devant asseoir des relations politiques postélectorales.
LE FPR, organisation politique représentant la minorité
tutsie — environ 10 % de la population rwandaise —
voulait se ménager la possibilité de gagner les futures
élections ou les éviter tout simplement, en introduisant au
Rwanda le système bizarre de la démocratie sans parti, cher
au Président Museveni, de l’Ouganda.
Cette vision du FPR ne pouvait pas résister à l’attachement du peuple et des partis politiques rwandais au
processus démocratique déjà engagé.
C’est ici, exactement ici, que se situe la déchirure. Les
dirigeants du FPR, animés par une idéologie ultraconservatrice reposant sur l’arrogance de leurs ancêtres ne purent
accepter la contradiction. Faute d’être persuasifs, ils sont
passés à des menaces claires que le Représentant spécial du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, et
même toute la communauté internationale, n’ont pas réussi
à enrayer.
Ce qui devait arriver arriva, dramatique, cruel et
inhumain : le 6 avril 1994, le Chef de l’État rwandais, le
Général-Major Juvénal Habyarimana, fut atrocement assassiné avec son homologue burundais, S. E. M. Cyprien
Ntaryamira. Deux chefs d’État ont péri cette nuit-là en
même temps, calcinés dans les débris de leur avion abattu
par des missiles sol-air. "Bon débarras", se serait exclamé
un chef d’État de la région dont le soutien inconditionnel a
conduit le FPR à provoquer l’apocalypse au Rwanda.
Le FPR a profité de ce moment de stupeur et de
douleur pour lancer ses bataillons renforcés par les soldats
de l’armée régulière ougandaise sur la capitale du Rwanda
et toutes les autres positions des Forces armées rwandaises.
Une fois de plus, comme en mars-avril 1992, comme en
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février-mars 1993, le FPR a préféré violer les Accords
conclus avec le Gouvernement rwandais. On ne l’a jamais
dit assez alors que c’était de notoriété publique. Dès la
signature des Accords de paix d’Arusha, le 4 août 1993, le
FPR a commencé immédiatement à préparer la guerre en
faisant des recrutements, en infiltrant ses combattants dans
tout le pays, et spécialement dans la capitale. Il y avait
environ 4 000 combattants du FPR le 6 avril 1994 au lieu
des 600 acceptés par les Accords d’Arusha dans la capitale,
Kigali.
L’assassinat du Chef de l’État rwandais, le 6 avril
1994, et la reprise simultanée de la guerre n’étaient donc
pas un effet du hasard. Cela faisait partie d’un plan minutieusement élaboré de prise du pouvoir à Kigali. Ce plan
avait été d’ailleurs coordonné avec les autorités ougandaises, qui ont elles-mêmes programmé une démobilisation
déguisée pour libérer les soldats à envoyer sur le front au
Rwanda.
La reprise des hostilités par le FPR, accompagnée par
les massacres à grande échelle qu’il a perpétrés contre des
populations civiles hutues, voilà la dernière goutte qui a fait
déborder le vase, le vase des haines contenues et des vengeances entretenues. L’apocalypse est arrivée sous forme de
guerre interethnique d’une rare cruauté. Les haines longtemps contenues, les provocations longtemps entretenues ont
éclaté. Comme tous ces événements successifs avaient libéré
l’instinct animal d’un peuple qui a peur d’être de nouveau
asservi, instinct animal ou plutôt instinct de survie, c’est
ainsi en fait que s’expliquent les violences interethniques
qui ont suivi la disparition dramatique du Président Habyarimana et la reprise immédiate de la guerre par le FPR.
Le Gouvernement rwandais a condamné tous ces
massacres, d’où qu’ils viennent. Leurs auteurs doivent être
identifiés et punis. Mais cela concerne toute la période de
la guerre, c’est-à-dire depuis le 1er octobre 1990.
Le FPR, fortement soutenu par l’Ouganda, a pris sur
lui la responsabilité de tuer le Chef de l’État rwandais
— crime suprême dans tout pays civilisé —, de reprendre
la guerre, plus meurtrière que celle engagée depuis le
1er octobre 1990, et de procéder à des massacres systématiques et sélectifs de populations civiles.
Le FPR a accepté sans vergogne d’endosser la responsabilité de ses crimes abominables puisqu’il avait l’assurance de continuer à tromper le monde de son innocence.
Pouvons-nous croire en cette innocence? Pouvons-nous
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
admettre que tous ces crimes soient ignorés grâce à une
campagne médiatique sans précédent qui veut absoudre les
assassins et leur donner le beau rôle?
Et pourtant, même avant les crimes du mois d’avril
1994, le FPR s’était rendu coupable auparavant de crimes
abominables qui n’ont pas ému le monde et que les médias
ont superbement ignorés. Ainsi, le FPR a massacré depuis
le début de la guerre plus de 100 000 personnes dans la
préfecture de Byumba, en octobre-novembre 1990; plus de
150 000 personnes dans les préfectures de Ruhengeri et
Byumba en février-mars 1993; et environ 1 000 personnes,
après la signature des Accords de paix d’Arusha, dont une
trentaine dans la sous-préfecture de Kinihira, une vingtaine
dans la commune de Mutura et plusieurs autres dans la zone
démilitarisée.
Plus récemment, après l’assassinat du Président Habyarimana, le FPR a procédé à des massacres impitoyables de
paysans hutus dans le nord du pays et dans la préfecture de
Kibungo. Plusieurs milliers de personnes ont péri. Plusieurs
quartiers de la capitale ont été endeuillés par le FPR, qui a
tué sans pitié hommes, femmes enfants et vieillards pour le
simple fait qu’ils étaient Hutus et opposés à ses visées
hégémoniques.
Et maintenant, le peuple rwandais est soumis à
l’exode, sans espoir de retour dans ses biens, puisque le
FPR s’arrange pour les détruire. Le chef du FPR n’avait-il
pas lui-même donné l’ordre de marcher sur la capitale en
invitant hommes, animaux, petits et grands, à ne pas se
dresser sur son chemin, au risque d’être anéantis! Où irontils ces hommes et ces animaux? Certains dignitaires du FPR
n’avaient-ils pas dit au début de la guerre que les Hutus
doivent aller aussi en exil pour au moins 30 ans et laisser
le pays aux Tutsis?
Ce n’est pas cela la solution. La solution du drame
rwandais ne réside pas dans l’exil imposé aux Hutus, qui
constituent 90 % de la population; la solution ne réside pas
dans la prise du pouvoir par une minorité, la minorité tutsie
— 10 % seulement de la population.
Le mal rwandais doit être bien diagnostiqué pour le
détruire dans ses racines. Le peuple rwandais a fait une
révolution sociale en 1959, dirigée contre le pouvoir autocratique de la minorité tutsie et le joug étouffant de la
féodalité. Aucun peuple, si docile soit-il, ne peut accepter
le retour à l’asservissement.
Ce qu’il faut maintenant au peuple rwandais, c’est la
paix par l’arrêt de la guerre et la réconciliation nationale.
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Cela implique l’organisation d’un dialogue franc entre le
Gouvernement rwandais et le Front patriotique rwandais. Il
va sans dire que l’arrêt des hostilités militaires et des
violences interethniques s’impose d’abord.
L’une des missions essentielles du Gouvernement
rwandais, c’est d’assurer la paix et la sécurité de la
population. C’est pourquoi, dès son investiture, il a lancé un
appel au FPR pour qu’il accepte une offre de cessez-le-feu.
Le Gouvernement a par ailleurs pris des mesures énergiques
pour arrêter les violences interethniques qui s’étaient répandues dans tout le pays : des messages de pacification ont été
radiodiffusés, le Président de la République, le Premier
Ministre et des membres du Gouvernement ont sillonné le
pays et ont tenu des réunions de pacification. Si, à l’heure
actuelle, les tueries ont cessé dans les zones libres de
combat, il n’en est pas de même dans les zones de combat.
Le FPR a en effet décliné les offres de cessez-le-feu, y
compris celles du Facilitateur, le Président de la République-Unie de Tanzanie, S. E. Ali Hassan Mwinyi.
La prise du pouvoir par la force est devenue une
obsession pour le FPR. Ses dirigeants n’hésitent pas à
procéder à des massacres systématiques de populations,
surtout hutues, qui refusent de les soutenir. Dans les zones
où ils se sont infiltrés, c’est l’hécatombe. Ainsi, les populations des préfectures de Byumba et Kibungo ont fui en
masse pour échapper aux massacres impitoyables du FPR.
Déjà plus de 250 000 personnes auront trouvé refuge en
Tanzanie. Le chiffre serait plus important si le FPR n’avait
pas bloqué le pont qui enjambe la rivière frontalière.
Le sort de ceux qui n’ont pas pu fuir est bien sûr
connu : rassemblement et massacres collectifs à la mitrailleuse ou à la grenade, comme c’est l’habitude dans les
pratiques du FPR. L’on dit même que certains des
combattants du FPR mangent le coeur des hommes tués
pour acquérir le don d’invincibilité.
Pourront-ils exiler plus de 6 millions de Hutus? Certes
non. Mais la catastrophe est à craindre si le FPR n’abandonne pas sa logique de guerre et n’accepte pas le dialogue
avec notre Gouvernement, seul représentant légitime du
peuple rwandais, qui le soutient fermement.
Devant cette intransigeance, la communauté internationale, particulièrement le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, devrait prendre ses responsabilités en contraignant le FPR au dialogue avec le
Gouvernement rwandais en vue de mettre en place un
cessez-le-feu immédiat.
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Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
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Le Gouvernement rwandais, quant à lui, reste disposé
à conclure dans l’immédiat un accord de cessez-le-feu avec
le FPR. Cet accord, garanti par la communauté internationale, et spécialement par les Nations Unies, devrait
permettre aux deux armées de rejoindre leurs positions
d’avant le 6 avril 1994.
L’embargo contre le Rwanda équivaudrait à un soutien
direct à l’agression de l’Ouganda. Le FPR continuerait à
recevoir des armes et n’arrêterait pas ses massacres contre
le peuple avant d’imposer son pouvoir par la force. Mais à
quoi lui servirait même de prendre le pouvoir contre la
volonté du peuple rwandais?
Par ailleurs, le bataillon du FPR qui se trouvait à
Kigali dans le cadre de la protection de ses dignitaires ne
devrait plus être reconstitué. En effet, d’une part, ces
dignitaires sont retournés à Mulindi, le quartier général des
Inkotanyi, mais d’autre part, il s’est surtout avéré que ce
bataillon a participé à la reprise de la guerre et aux
massacres de populations civiles dans la ville de Kigali.
L’embargo contre le Rwanda signifierait la violation de
la Charte des Nations Unies, qui consacre le principe de la
légitime défense.
Le Gouvernement rwandais estime que le seul
mécanisme qui pourrait garantir le respect du cessez-le-feu,
c’est la mise en place au Rwanda d’une force internationale
d’interposition composée de pays réellement neutres, à
l’exclusion des pays limitrophes du Rwanda.
Personne n’est plus fatigué de la guerre que le peuple
rwandais, mais aussi personne n’est plus attaché à la liberté
et à la démocratie que ce peuple meurtri par environ quatre
ans de guerre imposée de l’extérieur.
Cette force serait créée par l’élargissement du mandat
de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), et le renforcement de ses moyens.
Le Gouvernement rwandais estime que le Conseil de
sécurité devrait considérer sérieusement cette approche de
la création d’une force d’interposition.
Le Gouvernement rwandais se félicite néanmoins du
consensus atteint sur certains points concernant l’élargissement de la MINUAR pour lui permettre de contribuer à
la sécurité et à la protection des populations civiles ainsi
qu’à l’acheminement des secours humanitaires.
Le Gouvernement rwandais est persuadé que le cessezle-feu ne sera respecté et le conflit rwandais résolu que si
l’Ouganda arrête son agression contre le Rwanda et cesse de
fournir du matériel de guerre au FPR ainsi que des troupes.
Le Conseil de sécurité devrait y veiller. Le Gouvernement
rwandais lui a transmis, à cet égard, un dossier montrant
clairement l’implication de l’Ouganda dans le conflit rwandais.
Pour empêcher définitivement que ce pays continue à
déstabiliser le Rwanda et d’autres pays de la région, il est
urgent de lui imposer un embargo militaire. C’est à
l’Ouganda qu’il faut imposer un embargo militaire, et non
au Rwanda. Ce n’est pas l’agressé qu’il faut sanctionner,
mais bien l’agresseur.
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Ainsi donc, l’embargo devrait être envisagé contre
l’agresseur au moment où sera examinée la question relative
à l’agression de l’Ouganda contre le Rwanda.
C’est pour soulager ce peuple de cette misère en vue
de bâtir un avenir meilleur que le Gouvernement rwandais
reste engagé et déterminé à reprendre le dialogue avec le
FPR sur la base des Accords de paix d’Arusha, qui constituent le point de départ pour arriver à une paix durable et
à une réconciliation nationale.
La communauté internationale continuera à jouer, à cet
égard, un rôle primordial, que ce soit au niveau des Accords
et de leur respect qu’au niveau de l’aide humanitaire et de
la reconstruction nationale.
Je saisis cette occasion pour réitérer les remerciements
sincères du Gouvernement rwandais à tous les pays amis,
aux organismes internationaux, aux organisations non
gouvernementales, ainsi qu’à tous les hommes épris de paix
et de justice qui se dépensent pour aider les Rwandais à
retrouver la paix et qui ne ménagent aucun effort, au risque
de leur vie, pour soulager la misère des nombreux déplacés
de guerre et des réfugiés. Je voudrais ici adresser un hommage particulier au Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) qui a cru nécessaire de rester auprès du peuple
rwandais. Je leur dis merci, mais je les invite à continuer et
à faire plus parce que les besoins sont immenses, face à
plus de 2 millions de personnes sur les routes de l’exil à
cause d’une guerre absurde et insensée.
Voilà le message du peuple rwandais, un peuple
meurtri, déchiré, qui veut la paix et la réconciliation nationale, et qui refuse la guerre et l’asservissement.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je remercie
le Ministre des affaires étrangères et de la coopération du
Rwanda des propos aimables qu’il m’a adressés.
M. Al-Khussaiby (Oman) (interprétation de
l’anglais) : Monsieur le Président, ma délégation vous a
déjà félicité de votre accession à la présidence pour ce mois
lors des consultations officieuses du Conseil. Je vous assure
de la pleine coopération et du plein appui de ma délégation
pour faciliter votre tâche.
Je tiens à exprimer notre gratitude au Représentant
permanent de la Nouvelle-Zélande pour la façon dont il a
dirigé nos travaux le mois dernier.
Pour ce qui concerne la question que nous examinons
actuellement, ma délégation a déjà manifesté ses profonds
regrets face à l’incident tragique qui a coûté la vie à deux
Présidents africains — le Président rwandais et le Président
burundais — le 6 avril 1994, et face aux événements
ultérieurs — ces tueries et ces massacres effroyables
perpétrés à grande échelle au Rwanda jusqu’à ce jour.
Il est regrettable que tous les efforts déployés par le
Représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies, le Commandant de la Force de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), l’Organisation de l’unité africaine et les États
voisins en vue de parvenir à un cessez-le-feu entre les
parties n’aient pas abouti.
À cet égard, ma délégation tient à souligner que le
rétablissement de la paix au Rwanda est entre les mains des
parties rwandaises elles-mêmes. C’est pourquoi ma délégation estime qu’il est indispensable que les deux parties au
conflit au Rwanda fassent preuve d’une volonté politique et
d’un réel désir de parvenir à un cessez-le-feu et de poursuivre le dialogue afin de mettre en oeuvre l’Accord
d’Arusha, qui constitue le cadre le plus approprié pour
mettre un terme au conflit en cours au Rwanda.
La crise actuelle, qui est en elle-même une tragédie
humaine, a malheureusement mené au massacre de milliers
de civils innocents, y compris des femmes, des enfants et
des personnes âgées, et provoqué le déplacement à
l’intérieur du pays d’un très grand nombre de personnes,
sans parler de l’exode massif de réfugiés vers les pays
voisins. C’est pourquoi ma délégation estime que la mesure
la plus urgente qui doit être prise à l’heure actuelle consiste
3377e séance
16 mai 1994
à acheminer toutes les formes d’aide humanitaire d’urgence,
notamment des vivres et une aide médicale, aux personnes
déplacées, aux réfugiés et à tous ceux qui en ont besoin au
Rwanda.
Ma délégation souligne également qu’il importe de
coordonner ces efforts avec l’Organisation de l’unité africaine et qu’il est nécessaire de s’assurer la pleine coopération des deux parties au conflit pour faire de l’aéroport de
Kigali une zone neutre ouverte en permanence aux secours
humanitaires.
La Mission des Nations Unies pour l’assistance au
Rwanda (MINUAR) a fait de gros efforts dans des
conditions extrêmement difficiles pour aider le peuple
rwandais à traverser cette crise. Malgré notre réticence à
engager des forces de maintien de la paix dans des
différends internes et compte tenu de notre désir de voir la
MINUAR remporter davantage de succès, nous appuyons
son renforcement et la modification de son mandat afin de
lui permettre de contribuer à la sécurité et à la protection
des civils au Rwanda, ainsi qu’à la protection de la distribution de l’aide d’urgence et des opérations de secours
humanitaire.
Tout en estimant que l’idée d’un embargo sur les
armes et sur l’aide militaire n’aboutirait pas aux résultats
escomptés au stade actuel ni dans un avenir proche, ma
délégation appuie néanmoins pleinement cet effort en le
considérant comme étant une mesure importante dans la
bonne direction permettant de limiter les conflits et d’arrêter
leur progression vers d’autres régions.
Compte tenu de ce qui précède, ma délégation votera
pour la section B du projet de résolution et pour le projet de
résolution dans son ensemble.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je remercie
le représentant de l’Oman des propos aimables qu’il a
adressés à mon prédécesseur et à moi-même.
M. Niaz (Pakistan) (interprétation de l’anglais) :
Monsieur le Président, c’est une source de grande fierté
pour ma délégation que de vous voir, en votre qualité de
représentant d’un pays non aligné frère, présider le Conseil
de sécurité avec autant d’autorité et de compétence. La
délégation du Pakistan continuera à vous apporter son appui
indéfectible.
7
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Permettez-moi également de saisir cette occasion pour
exprimer notre appréciation pour la compétence et le dévouement dont a fait preuve le Représentant permanent de
la Nouvelle-Zélande, S. E. M. Colin Keating, à la tête du
Conseil de sécurité durant le mois d’avril.
Après les violences et les tueries horribles et révoltantes qui ont éclaté au Rwanda à la suite des décès
tragiques des Présidents du Rwanda et du Burundi dans un
accident d’avion le 6 avril 1994, la réaction du Conseil de
sécurité a été de réduire la force de la Mission des Nations
Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) dans ce
pays. Aussi, il n’a pas été facile d’aboutir au projet de
résolution qui nous est soumis et qui envisage l’accroissement de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au
Rwanda jusqu’à 5 500 hommes.
Nous espérons sincèrement que les effectifs pour cette
force accrue seront disponibles et envoyés à leurs zones de
mission dans quelques jours. Le carnage qui se poursuit
sans frein au Rwanda et le cauchemar humanitaire qu’est
devenu ce pays ne permettent aucun retard. Dans le même
temps, nous demandons aux parties au Rwanda de tenir
compte des appels à la retenue et à la raison de la communauté internationale. Il est clair que sans la coopération des
parties en conflit et du peuple rwandais, la MINUAR
élargie ne sera pas capable de réaliser grand-chose.
La situation dans laquelle les pays contributeurs
enverront leurs troupes est en fait très dangereuse. Il est
donc essentiel que la MINUAR soit non seulement adéquatement équipée en matière d’armements mais qu’elle ait
aussi des règles précises d’engagement permettant à ses
troupes de se défendre et de défendre ceux qu’elles sont
censées protéger.
Le projet de résolution qui nous est soumis est plutôt
clair sur le mandat de la MINUAR renforcée, et nous
espérons qu’il n’y aura aucune confusion à ce sujet. La
restriction imposée sur la fourniture d’armes et de munitions
vers le Rwanda est aussi tout à fait appropriée. Nous espérons qu’elle sera scrupuleusement respectée.
Ma délégation votera pour le projet de résolution dans
l’espoir que la MINUAR élargie sera en mesure de stabiliser la situation au Rwanda et que les efforts déployés aux
niveaux international et régional pour un cessez-le-feu et la
relance d’un processus politique pacifique au Rwanda
porteront bientôt fruit. Des pressions pour un retrait de la
MINUAR pourraient de nouveau être exercées si les parties
rwandaises n’arrivent pas à mettre fin aux hostilités et aux
tueries dans un délai raisonnable. Cela signifierait l’abandon
8
3377e séance
16 mai 1994
du peuple rwandais au chaos, la responsabilité en incombant
alors aux dirigeants du Rwanda.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je remercie
le représentant du Pakistan pur les paroles aimables qu’il
m’a adressées.
M. Olhaye (Djibouti) (interprétation de l’anglais) :
S’il y a une évolution positive dans la terrible tragédie
rwandaise, c’est la prise de conscience apparemment universelle que, d’une certaine manière, la communauté internationale doit maintenant s’y impliquer directement. L’approche
selon laquelle les événements pouvaient continuer en même
temps que des efforts diplomatiques étaient entrepris pour
amener le Gouvernement du Rwanda et le Front patriotique
à la table de négociations a, au vu des positions diamétralement opposées des protagonistes, montré son inefficacité.
L’intensité de la violence, le nombre de morts et de personnes déplacées font qu’il s’agit là probablement de la plus
grave tragédie humaine dans une aussi courte période durant
ce siècle. Les efforts combinés des organisations non
gouvernementales, des États voisins et des Nations Unies
pour fournir une aide humanitaire n’arrivent pas à satisfaire
les besoins croissants résultant de cette catastrophe. Comme
le souligne le projet de résolution qui nous est soumis, il
s’agit là d’une menace sérieuse à la paix et à la sécurité
dans la région, à laquelle il faut faire face.
L’aide-mémoire du Secrétaire général du 9 mai
souligne la détérioration rapide de la situation au Rwanda;
il indique qu’il est impératif d’y mettre un terme. Les
combats acharnés ainsi que les effets d’une grave sécheresse
ont conduit à une pénurie alimentaire catastrophique qui
s’ajoute aux autres conséquences de la guerre. Sur la base
d’un certain nombre d’hypothèses, le Secrétaire général
recommande à juste titre une révision du mandat de la
Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
(MINUAR) et un accroissement de sa composante. Le
projet de résolution qui nous est soumis ne répond que
partiellement à cette demande en reflétant l’espoir que la
totalité du déploiement sera considérée juste après le
prochain rapport du Secrétaire général.
En attendant, la tâche des Nations Unies sera de
protéger les innocents durant ce processus et de répondre en
cas de besoin aux attaques dirigées contre elle ou contre les
équipes humanitaires. Le mandat n’autorisera pas le recours
à la force pour arrêter les massacres ethniques et l’effusion
de sang.
Ma délégation voudrait accepter ce scénario mais, en
vérité, cela lui semble difficile. Nous pensons que les
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
parties en conflit ont l’intention de poursuivre les hostilités
jusqu’à la destruction significative de l’adversaire et de ses
capacités. Comme cela se présente actuellement, il pourrait
s’écouler beaucoup de temps avant d’arriver à ce point où,
comme nous pouvons nous y attendre, l’ampleur des
destructions et le nombre de morts continueront de croître
pour atteindre des niveaux inacceptables.
Il est certain que le plus lourd fardeau pour cette tâche
doit être assumé par les pays africains; nous pensons que
cela est possible avec le concours des autres États Membres,
à condition qu’on agisse d’urgence. Il serait bien triste
— s’agissant de l’état de la sécurité collective — si cette
capacité n’existait pas ou ne pouvait pas être mobilisée
rapidement face à une telle situation catastrophique. Sans de
telles mesures, nous pensons que les combats se poursuivront jusqu’à l’extrême limite avec des risques d’extension
aux pays voisins. Les affrontements doivent cesser et l’ordre
doit être rétabli dans ce petit pays avant qu’il ne disparaisse.
Nous appuyons sans réserve l’appel contenu dans le
projet de résolution demandant aux États Membres de
restreindre les ventes d’armes et de matériel militaire aux
parties rwandaises. L’arrêt de telles livraisons sera décisif
pour le succès global de la MINUAR.
Certes, ma délégation aurait souhaité un mandat
davantage renforcé pour la MINUAR, mais le temps est
crucial en ce moment. Il est impératif que nous prenions des
mesures immédiates pour arrêter la progression des combats, aider les victimes civiles innocentes déplacées par la
guerre et contrôler les atouts géographiques vitaux au
Rwanda, ainsi que le propose le projet de résolution. Au cas
où le Secrétaire général trouverait que ces mesures sont
insuffisantes, il serait possible, dans un proche avenir, de
renforcer le mandat de la MINUAR afin d’y inclure davantage d’autorité pour mettre un terme aux combats.
Avec une certaine réserve et en espérant que des
mesures immédiates seront prises, ma délégation appuie le
projet de résolution sur le Rwanda.
M. Li Zhaoxing (Chine) (interprétation du chinois) :
Le 4 août 1993, le Gouvernement du Rwanda et le Front
patriotique rwandais ont signé un Accord de paix à Arusha
et, suite à ce développement, le Conseil de sécurité a adopté
la résolution 872 (1993) sur la mise en place d’une Mission
des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR)
qui reflétait l’appui de la communauté internationale au
processus de paix au Rwanda. Durant un certain temps, la
situation a connu une évolution positive au Rwanda.
3377e séance
16 mai 1994
Malheureusement, depuis la mort de S. E. le GénéralMajor Habyarimana, Président de la République du Rwanda,
et de M. Ntaryamira, Président de la République du Burundi, la situation s’est rapidement dégradée au Rwanda, et une
guerre civile a ravagé le pays tout entier, plongé son peuple
dans un gouffre de misère et déclenché un exode massif de
réfugiés vers les pays voisins. La situation humanitaire dans
ce pays ne cesse de s’aggraver. La délégation chinoise est
profondément préoccupée par ces événements.
Cependant, la communauté internationale n’a pas
oublié les souffrances du peuple rwandais. L’ONU, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et les États voisins du
Rwanda ont déployé des efforts divers pour aider les deux
parties rwandaises à instaurer un cessez-le-feu et à relancer,
par le biais de négociations, le processus de paix mis en
marche par l’Accord de paix d’Arusha. Pendant ce temps,
les secours humanitaires sont distribués régulièrement aux
réfugiés. En se fondant sur des considérations humanitaires,
le Conseil de sécurité a décidé, après de nombreuses consultations, de proroger le mandat de la MINUAR et d’augmenter ses effectifs afin d’améliorer la situation humanitaire et
la sécurité au Rwanda, et d’alléger les souffrances de son
peuple. Cette attitude reflète la bonne volonté de la communauté internationale et son désir sincère de créer des conditions propices à une instauration rapide de la paix et de la
sécurité dans ce pays. Par conséquent, la délégation chinoise
votera pour le projet de résolution dont nous sommes saisis.
Depuis le début, nous avons suivi de près l’évolution
de la situation au Rwanda, et nous espérons sincèrement
que la guerre civile prendra rapidement fin et que la paix et
la stabilité seront rétablies, ce qui permettra au Rwanda de
s’engager sur la voie de la stabilité politique et du développement économique.
Afin de réaliser l’objectif du projet de résolution et le
but final de la paix nationale au Rwanda, nous estimons
que : premièrement, les parties rwandaises au conflit devraient cesser immédiatement de se massacrer et se mettre
d’accord sur un cessez-le-feu effectif et durable de façon à
créer les conditions nécessaires à l’amélioration de la
situation humanitaire et au règlement du conflit par le biais
de négociations.
Deuxièmement, l’Accord de paix d’Arusha est le cadre
et le lien approuvés par les deux parties rwandaises pour le
règlement pacifique du conflit au Rwanda. Les deux parties
devraient comprendre qu’il est futile de vouloir régler la
question du Rwanda par des moyens militaires, et que la
réconciliation nationale ne pourra être réalisée que lorsque
les épées se transformeront vraiment en charrues après le
9
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
cessez-le-feu, et lorsqu’elles s’engageront de nouveau à
relancer le processus de paix mis en marche par l’Accord
de paix d’Arusha.
Troisièmement, les deux parties devraient coopérer
étroitement avec le Représentant spécial du Secrétaire
général et la MINUAR, et coopérer pleinement avec la
communauté internationale dans son effort de paix. En
même temps, elles devraient adopter toutes les mesures
possibles pour assurer la sécurité du personnel des Nations
Unies et de ceux qui participent aux activités de secours
humanitaire.
Quatrièmement, au cours du règlement de la crise au
Rwanda, il faudrait continuer à prêter attention au rôle de
l’OUA et des pays voisins du Rwanda. Ceux-ci devraient
être encouragés à exercer une influence politique positive et
à prier instamment les différentes parties de contribuer
davantage à la réalisation du cessez-le-feu et à la reprise du
processus de paix au Rwanda.
M. Vorontsov (Fédération de Russie) (interprétation
du russe) : La Fédération de Russie est profondément
préoccupée par l’ampleur et l’intensité de la tragédie qui se
déroule au Rwanda qui a déjà causé la mort de dizaines de
milliers de personnes pacifiques et sans défense. La tragédie
est encore plus dramatique du fait de la situation difficile de
près de 2 millions de personnes déplacées et de réfugiés,
dont bon nombre d’entre eux ont dû quitter le pays et
chercher refuge dans les États voisins.
Nous partageons l’opinion du Secrétaire général selon
laquelle le carnage au Rwanda, qui a infligé à la population
du pays d’indicibles souffrances, est une catastrophe humanitaire d’une ampleur gigantesque. Par conséquent, le
Conseil de sécurité a eu raison de focaliser son attention sur
le règlement de cet aspect urgent du problème du Rwanda.
Étant donné qu’il est urgent que l’ONU prenne des
mesures pour faire face à cette crise humanitaire sévère et
sauver des milliers de vies, et compte tenu des positions des
autres membres du Conseil de sécurité, la délégation russe
a participé activement à la rédaction du texte dont le Conseil est saisi, et elle est l’un des auteurs. En même temps,
au cours de la préparation du projet de résolution au Conseil, nous n’avons pas caché notre préoccupation quant au
fait que la décision de prolonger l’opération des Nations
Unies au Rwanda ait été prise sans tenir dûment compte
d’un certain nombre de principes de base relatifs à l’exécution des opérations de maintien de la paix, principes qui
ont été confirmés au cours des activités des Nations Unies
et approuvés par le Conseil de sécurité dans la déclaration
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3377e séance
16 mai 1994
de son Président en date du 3 mai 1994. À cet égard, nous
nous félicitons tout particulièrement des modifications et des
additions apportées aujourd’hui au projet de résolution, qui
répondent aux préoccupations que nous avons exprimées.
Dans ce contexte, nous devons dire que, à notre avis,
un facteur très important pour assurer le succès de cette
opération est la coopération inconditionnelle des deux
parties rwandaises, comme cela a été souligné dans le
rapport du Secrétaire général (S/1994/565). Nous sommes
heureux de constater que cet aspect est reflété dans le texte
du projet de résolution.
Nous partons du principe que l’élément central de la
future opération est la création de zones humanitaires sûres,
tout d’abord dans les zones frontalières rwandaises, pour la
protection des réfugiés et des personnes déplacées et de la
population civile menacée. À cet égard, nous notons que le
rapport du Secrétaire général fait allusion à la fourniture
d’une assistance à ceux qui en ont besoin à l’intérieur du
pays, non pas à la place mais en plus de la création de ces
zones humanitaires sûres. Le concept de ces zones humanitaires sûres facilitera sans aucun doute leur création rapide
et ne fera pas appel à une force importante de la part de
l’ONU.
Nous estimons également que la disposition du projet
de résolution relative à l’imposition d’un embargo sur les
armes au Rwanda est particulièrement importante; elle revêt
une importance cruciale en l’absence d’un cessez-le-feu.
Dans ce cas, la responsabilité spéciale de l’application
effective de cet embargo incombera aux États africains
voisins, en particulier lorsqu’il s’agira de ne pas autoriser la
vente ou la livraison d’armes et de ne pas permettre le
transit d’armes par leur territoire.
Compte tenu du caractère humanitaire et urgent de
cette opération des Nations Unies, je voudrais souligner en
particulier qu’elle devra être menée rapidement et efficacement de façon qu’elle puisse se terminer avec succès
dans les meilleurs délais. Si, dans les délais fixés, les
conditions nécessaires à la poursuite de l’opération de
maintien de la paix ne sont pas remplies au Rwanda, et si
aucun progrès n’a été fait en vue d’un règlement politique,
le Conseil de sécurité devra songer sérieusement aux nouvelles mesures qu’il devra prendre. À cet égard, nous
estimons important que, dans le projet de résolution, le
Conseil prie le Secrétaire général de présenter un rapport
avant que nous passions à la phase suivante de l’opération,
pour que le Conseil de sécurité puisse prendre les décisions
appropriées en fonction de l’évolution de la situation.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Nous prêtons également une attention toute particulière
à la nécessité de mener cette opération de façon
économique.
3377e séance
16 mai 1994
Je vais maintenant mettre aux voix le reste du projet
de résolution.
Il est procédé au vote à main levée.
Nous sommes tout à fait convaincus de la nécessité
d’une coordination étroite entre les efforts déployés par le
Secrétaire général et l’Organisation de l’unité africaine et
les voisins du Rwanda — qui, à notre avis, n’ont pas encore
épuisé toute leur influence sur les parties rwandaises pour
qu’elles mettent rapidement fin au carnage insensé, et
qu’elles aboutissent à un règlement du conflit et au rétablissement du processus de paix au Rwanda.
La Russie condamne vigoureusement les efforts visant
à régler le conflit au Rwanda par la force, et se prononce en
faveur d’une cessation immédiate de la violence et des
combats dans cette région. Nous sommes prêts à coordonner
étroitement nos activités dans le cadre du Conseil de sécurité et nos activités bilatérales avec les efforts de tous les
membres de la communauté mondiale, de l’Organisation de
l’unité africaine et des États africains afin de faire face à
cette crise grave au Rwanda. Nous avons l’intention de faire
tout notre possible pour que la paix et la concorde y règnent
une fois de plus.
À cet égard, je voudrais annoncer que le Gouvernement de la Fédération de Russie a décidé, par l’intermédiaire du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés en Tanzanie, de mettre à disposition une
unité de transport à Mwanza pour la fourniture d’une aide
humanitaire d’urgence aux réfugiés du Rwanda.
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je vais
maintenant mettre aux voix la section B du projet de résolution contenu dans le document S/1994/571.
Il est procédé au vote à main levée.
Votent pour :
Argentine, Brésil, Chine, République tchèque, Djibouti,
France, Nouvelle-Zélande, Nigéria, Oman, Pakistan,
Fédération de Russie, Espagne, Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, États-Unis
d’Amérique
Votent contre :
Rwanda
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le résultat
du vote est le suivant : 14 voix pour, une voix contre. La
section B du projet de résolution a été adoptée.
Votent pour :
Argentine, Brésil, Chine, République tchèque, Djibouti,
France, Nouvelle-Zélande, Nigéria, Oman, Pakistan,
Fédération de Russie, Rwanda, Espagne, Royaume-Uni
de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, États-Unis
d’Amérique
Le Président (interprétation de l’anglais) : Le résultat
du vote est le suivant : 15 voix pour. Le reste du projet de
résolution contenu dans le document S/1994/571 a été
adopté à l’unanimité.
Toutes les sections du projet de résolution figurant
dans le document S/1994/571, tel qu’il a été révisé oralement dans sa version provisoire, ayant été adoptées, puisje considérer que le projet de résolution dans son ensemble
a été adopté?
Puisqu’il n’y a pas d’objections, il en est ainsi décidé.
Le texte du projet de résolution contenu dans le document S/1994/571, tel qu’il a été révisé oralement dans sa
version provisoire, a été adopté en tant que résolution 918
(1994).
Je vais maintenant donner la parole aux membres du
Conseil qui souhaitent faire une déclaration après le vote.
M. Mérimée (France) : Le Rwanda connaît actuellement une des périodes les plus tragiques de son histoire.
Des dizaines, peut-être des centaines de milliers de civils
ont été massacrés. Aucun des havres de sécurité traditionnels — églises, hôpitaux ou sièges des organisations humanitaires — n’a été épargné dans ce déferlement de violence.
La communauté internationale ne pouvait rester sans réagir
face à une catastrophe humanitaire d’une telle ampleur.
Le Conseil de sécurité avait été contraint de diminuer
les effectifs de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) qui était empêchée
d’accomplir son mandat. Cette décision avait été prise à
contrecoeur par ma délégation qui soulignait alors qu’il
s’agissait d’une mesure provisoire.
En votant aujourd’hui la résolution 918 (1994), qui
décide de renforcer la MINUAR à hauteur de 5 500
hommes, ma délégation témoigne de sa volonté d’aider le
11
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
peuple rwandais à retrouver la paix et la sécurité. L’objectif
est d’abord humanitaire : il s’agit d’assurer la protection des
populations civiles et de permettre l’acheminement de l’aide
humanitaire. L’objectif à plus long terme de l’Organisation
des Nations Unies est cependant politique. L’ONU est
déterminée à contribuer, le moment venu, à la reprise du
processus de paix dans le cadre des Accords d’Arusha, qui
demeurent la seule solution pour le règlement de la crise au
Rwanda.
La France rend hommage aux efforts de paix déployés
par les pays de la région et, notamment, le facilitateur
tanzanien.
Ma délégation rend également hommage au courage et
à la détermination des hommes de la MINUAR qui, sous
l’autorité du Représentant spécial du Secrétaire général et
du Commandant de la Force, se sont efforcés de protéger
les populations civiles, d’obtenir un accord sur un cessez-lefeu et de contribuer à la reprise du dialogue entre les
parties.
La France demande instamment la cessation des
massacres. Elle appelle les parties à conclure un cessez-lefeu et à coopérer avec la MINUAR pour restaurer la paix
dans ce pays.
M. Keating (Nouvelle-Zélande) (interprétation de
l’anglais) : Je regrette de devoir commencer par dire que
ma délégation estime que le premier orateur dans ce débat
n’aurait pas dû prendre la parole, et cela, pour deux raisons.
Premièrement, de l’avis de ma délégation, il ne représente
pas un État, il n’a aucune légitimité et n’est que le porteparole d’une faction. Il n’aurait pas dû prendre place à cette
table, et y occuper une position privilégiée. Deuxièmement,
ma délégation estime qu’il a, de façon éhontée, donné une
version déformée des faits.
Ma délégation a voté pour la résolution 918 (1994),
mais elle ne peut cacher sa déception devant le fait que
cette résolution n’approuve qu’une première phase très
modeste de l’élargissement de la présence de l’Organisation
des Nations Unies qui, à notre avis, est indispensable au
Rwanda.
Il est vrai que cette résolution contient certains
éléments très importants et très positifs. Elle exprime un
engagement de revenir au Rwanda avec un nouveau mandat
afin de protéger les civils en danger et d’assurer la sécurité
des opérations d’assistance humanitaire. Elle indique aussi
clairement que la présence de l’ONU doit être suffisamment
importante et que l’on aura recours à la force si nécessaire
12
3377e séance
16 mai 1994
contre ceux qui menacent des sites et des populations
protégées. Elle impose un embargo obligatoire sur les armes
au Rwanda, et elle demande au Secrétaire général de présenter le plus rapidement possible un rapport sur les enquêtes menées sur les crimes de guerre et le génocide commis
au Rwanda au cours des quatre dernières semaines. Mais
cette résolution ne va pas suffisamment loin et ne couvre
pas l’essentiel.
Il y a 10 jours, ma délégation a proposé un projet de
résolution qui, outre tous les éléments figurant dans ce
texte, en contenait un autre, très important : la décision du
Conseil de prévoir une opération qui entreprendrait la tâche
de protéger les civils en danger dans divers lieux à
l’intérieur du Rwanda. Personne ne peut sérieusement
s’attendre à ce que l’ONU fournisse une assistance à tous
les civils en danger au Rwanda. Même si la Force était
totalement déployée, comme nous le voudrions, cela
prendrait du temps et il serait difficile de couvrir l’ensemble
du pays. Nous savons tous qu’une opération ne peut fonctionner que dans la limite des ressources disponibles.
Mais, à notre avis, il est inutile que le Conseil mette
des conditions à son accord en demandant d’autres rapports
et d’autres examens. La Nouvelle-Zélande serait la première
à convenir qu’il faut un processus détaillé et concret d’interaction entre le Conseil et le Secrétariat pour mettre à jour
et rationaliser le concept de l’opération, lors de sa planification avant son déploiement. En fait, nous aimerions que des
arrangements institutionnels soient prévus au sein du Conseil afin de surveiller de plus près toutes les opérations
complexes qu’il supervise. Mais, dans ce cas, il était inutile
de poser des conditions à ce déploiement, comme on l’a fait
au paragraphe 6 du dispositif.
Nous demandons instamment que le rapport du Secrétaire général, au titre du paragraphe 6 du dispositif, soit
présenté le plus rapidement possible et nous demandons
également instamment que l’on procède rapidement à la
deuxième phase du déploiement de la MINUAR élargie. Il
incombe maintenant au Conseil d’obtenir des résultats, et
nous attendons de tous ses membres qu’ils se montrent à la
hauteur des espoirs qu’ils ont suscités.
Sir David Hannay (Royaume-Uni) (interprétation de
l’anglais) : Je voudrais dire que ma délégation, elle aussi,
regrette le ton et la teneur de la première déclaration, faite
devant le Conseil ce soir, au nom du Gouvernement du
Rwanda. Nous aurions souhaité entendre une condamnation
des atrocités qui ont été perpétrées, dont un grand nombre,
dans des régions du pays contrôlées par ce Gouvernement,
d’une manière moins superficielle.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Le monde a été horrifié par l’ampleur de la tragédie
qui s’est déroulée au Rwanda. Devant une telle tragédie, il
n’existe pas de réponse internationale facile. L’Organisation
des Nations Unies ne peut pas imposer de force la fin de
l’effusion de sang. Mais elle ne peut pas non plus rester
passive. Le Commandant de la Force de la MINUAR et son
personnel ont accompli un travail énorme, dans des circonstances particulièrement difficiles. Il est vrai que de nouvelles tâches doivent maintenant être ajoutées au mandat de la
MINUAR pour aider la population civile. La priorité doit
être maintenant d’assurer le déploiement rapide des troupes
nécessaires pour mener à bien ces tâches.
Cette opération élargie des Nations Unies se concentrera, à juste titre, sur l’aspect humanitaire. Il est essentiel
d’assurer la fourniture rapide et efficace d’une aide humanitaire suffisante, tant aux personnes déplacées à l’intérieur du
Rwanda qu’à celles réfugiées dans les pays voisins. Nous
espérons que tous les donateurs apporteront une contribution
généreuse à ce programme. Mon propre gouvernement a
versé près de 5 millions de dollars, depuis le début du mois
dernier, en faveur des secours humanitaires au Rwanda et
dans les pays voisins.
3377e séance
16 mai 1994
ce. À cette fin, nous nous sommes donné aujourd’hui
beaucoup de mal, pour deux raisons.
Premièrement, les États-Unis veulent que l’Organisation des Nations Unies réussisse au Rwanda et dans toutes
ses opérations de maintien de la paix. Pour garantir ce
succès, nous voulons mettre toutes les ressources des
résolutions du Conseil dans la balance.
Deuxièmement, nous pensons que les lignes directrices
énoncées dans la déclaration présidentielle du Conseil du
3 mai sont le moyen approprié d’évaluer la viabilité de la
mission, et nous voulons nous assurer, dans la mesure du
possible, que nous suivons ce processus dans nos débats.
C’est pourquoi, j’espère que dans le prochain rapport
du Secrétaire général sur le Rwanda, les facteurs suivants
seront minutieusement évalués : un concept bien défini des
opérations, la disponibilité de ressources, l’assentiment des
parties, des progrès vers un cessez-le-feu et la durée du
mandat.
Entre-temps, les deux parties au différend doivent
coopérer avec l’Organisation des Nations Unies dans l’exécution du mandat que le Conseil vient de confier à la
MINUAR. Les parties ne doivent pas fuir leur responsabilité
dans les événements qui se déroulent dans les régions
qu’elles contrôlent. Ceux qui contrôlent des régions où des
massacres ont été perpétrés, doivent agir, et agir maintenant,
pour mettre fin à l’effusion de sang. Le message du Conseil, à cet égard, dans la déclaration du 30 avril 1994 et
dans la présente résolution, est parfaitement clair et doit être
entendu.
Mon gouvernement est convaincu qu’avec cette résolution, le Conseil a pris les mesures qui s’imposaient pour
commencer à apporter aide et espoir aux victimes innocentes. Mais quels que soient les efforts entrepris par
l’Organisation des Nations Unies, la véritable clef des
problèmes du Rwanda se trouve entre les mains du peuple
rwandais. Au Rwanda, cela signifie que les massacres
— perpétrés par les deux parties — doivent cesser. La
tuerie doit cesser, pas seulement entre combattants armés,
mais surtout les massacres de civils non armés, qui ont déjà
provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes. En
outre, les parties doivent consentir à ne pas entraver les
opérations mises en place par l’Organisation des Nations
Unies pour apporter aide humanitaire et protection aux
personnes déplacées et aux réfugiés. À cet égard, il est
essentiel que toutes les parties respectent strictement
l’inviolabilité du personnel des Nations Unies chargé des
tâches humanitaires et du maintien de la paix. Si les parties
peuvent démontrer leur volonté et leur capacité de répondre
à ces exigences simples mais vitales pour le déroulement
efficace de toute opération de maintien de la paix des
Nations Unies, la communauté internationale sera, elle
aussi, disposée à les aider.
M. Inderfurth (États-Unis d’Amérique) (interprétation
de l’anglais) : Les appels des victimes au Rwanda, demandant au Conseil de sécurité d’agir, ont été entendus. L’ampleur de la catastrophe humanitaire dans ce pays frappé par
la tragédie exige des mesures. Le Conseil s’est efforcé de
formuler une réponse qui soit à la fois appropriée et effica-
La situation au Rwanda est horrifiante, difficile et très
changeante. La résolution que nous venons d’adopter aujourd’hui reconnaît la nécessité d’une réaction rapide mais
constamment revue et améliorée pour répondre au mieux à
la situation dans le pays. Nous espérons que les mesures
prises par le Conseil donneront l’élan nécessaire pour
Nous ne devons pas perdre de vue la nécessité de
parvenir à un cessez-le-feu entre les parties et de remettre
le processus de paix sur les rails. L’Accord de paix
d’Arusha demeure la seule base viable pour la réconciliation
nationale au Rwanda. Nous nous félicitons, dans ce contexte, des efforts entrepris par le Secrétaire général et son
Représentant spécial et par l’Organisation de l’unité africaine et les pays voisins, et les encourageons à continuer de
travailler de façon constructive dans ce but.
13
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
convaincre les parties de mettre fin immédiatement à l’effusion de sang. Sinon, nous examinerons de nouveaux rapports du Secrétaire général sur la meilleure façon de mettre
en oeuvre la décision d’aujourd’hui. C’est avec ce sentiment
mitigé d’espoir et d’inquiétude que les États-Unis appuient
aujourd’hui les décisions du Conseil.
M. Valle (Brésil) (interprétation de l’anglais) : Depuis
le début du mois d’avril, les événements au Rwanda ont
évolué de façon tragique. Des milliers de civils innocents
ont été tués, et plus d’un million de personnes ont été
déplacées, en raison de la violence qui règne. Nous
assistons à une crise humanitaire effrayante, aux proportions
gigantesques. Le Conseil de sécurité a été saisi de la question depuis la reprise des hostilités, et a suivi de près la
situation afin d’être en mesure de réagir par des mesures
concrètes.
Malheureusement, les efforts louables du Représentant
spécial du Secrétaire général et du Commandant de la Force
de la MINUAR, ainsi que ceux entrepris par l’Organisation
de l’unité africaine pour faire aboutir un accord de cessezle-feu entre les parties n’ont pas encore porté leurs fruits.
Étant donné la situation, nous pensons, comme le
Secrétaire général, qu’il est essentiel que l’Organisation des
Nations Unies examine quelles sont les mesures qu’elle peut
adopter avant même qu’un cessez-le-feu ne soit réalisé.
C’est pour cette raison que mon Gouvernement a voté pour
la résolution 918 (1994) visant à élargir le mandat de la
MINUAR pour qu’elle puisse contribuer à la sécurité et à
la protection des personnes déplacées, des réfugiés et de la
population civile en danger au Rwanda.
En outre, la MINUAR aura pour mission d’apporter
sécurité et appui aux opérations de distribution des fournitures de secours et aux opérations de secours humanitaire.
Il est évident que la tâche prioritaire de la MINUAR sera de
mettre en place les moyens d’acheminer les secours d’urgence aux personnes qui en ont besoin. Ceci, toutefois, ne
devrait pas être le seul objectif de sa présence dans ce pays
déchiré. La MINUAR devrait également continuer d’être un
intermédiaire entre les parties, de façon à obtenir non
seulement un cessez-le-feu immédiat, mais également la
relance rapide du processus de paix amorcé en vertu de
l’Accord de paix d’Arusha.
Ma délégation appuie le déploiement rapide de la
MINUAR élargie, qui est essentiel pour assurer le succès de
son mandat, élargi aux termes de la résolution que le
Conseil vient d’adopter. Le Brésil a appuyé la résolution
918 (1994), mû par l’espoir que les nouveaux efforts de la
14
3377e séance
16 mai 1994
MINUAR permettront d’alléger les souffrances de millions
de personnes au Rwanda et de répondre au besoin urgent de
rétablir des conditions propices à la reprise du processus de
paix.
M. Cárdenas (Argentine) (interprétation de l’espagnol) : Depuis les événements du 6 avril dernier, avec la
violence, les vexations et les massacres atroces et systématiques qui s’en sont ensuivis, le Rwanda connaît une
crise humanitaire aux proportions énormes. Le rapport
détaillé que le Secrétaire général nous a présenté sur la
situation au Rwanda nous indique que près de 2 millions de
personnes ont été déplacées et que 300 000 autres ont
cherché refuge dans les pays voisins.
Selon certaines sources, on estime à quelque 200 000
le nombre de morts. Cette situation horrible, que rien ne
saurait justifier contrairement à ce que l’on a essayé de
nous faire croire cette nuit, exige que le Conseil de sécurité
examine l’adoption de mesures à appliquer immédiatement
pour répondre, au Rwanda, aux besoins les plus urgents des
civils en danger, dont de nombreux réfugiés et personnes
déplacées, assurant ainsi leur protection et leur sécurité et
l’appui de la distribution des secours et des opérations
d’assistance humanitaire.
C’est précisément dans ce cadre humanitaire que le
Conseil de sécurité a décidé d’élargir le mandat de la
Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
(MINUAR), conformément à la résolution 912 (1994), et
d’accroître ses effectifs à concurrence de 5 500 hommes,
grâce à un déploiement progressif par étapes. Nous insistons
sur le fait que la MINUAR doit pouvoir compter sur la
coopération des parties pour mener à bien son mandat, plus
particulièrement en ce qui concerne l’acheminement sans
entraves de l’aide humanitaire à ceux qui en ont besoin. En
outre, les parties doivent s’efforcer de respecter au maximum la sécurité du personnel de la MINUAR et de tous
ceux qui, au Rwanda, accomplissent des tâches humanitaires.
Cette solution ne peut que pallier à la crise humanitaire
que je viens de décrire. La responsabilité incombe aux
parties au conflit de relancer le processus de paix d’Arusha
en vue d’une réconciliation difficile, certes, mais pas impossible. C’est pourquoi nous jugeons indispensable que l’on
s’efforce d’obtenir un cessez-le-feu. Pour collaborer à ces
objectifs de paix, le Conseil de sécurité à décidé d’imposer
un embargo obligatoire sur les armes au Rwanda et il a
engagé tous les États ainsi que les organisations internationales à s’y conformer strictement.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Nous espérons que les violations systématiques et
généralisées du droit humanitaire international au Rwanda
ainsi que les violations flagrantes du droit à la vie et à la
propriété qui ont choqué le monde feront l’objet d’enquêtes
approfondies.
Nous nous félicitons à cet égard des efforts diligents
du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de
l’homme, l’Ambassadeur José Ayala Lasso, dans cet important domaine qui est la raison d’être de ses fonctions.
Avant d’achever, je voudrais également insister sur les
initiatives entreprises par l’Organisation de l’unité africaine
(OUA) pour mettre fin au conflit et sur le courage des
hommes qui servent dans la MINUAR. Nous lançons un
appel à la communauté internationale tout entière pour que,
devant la gravité de la situation, elle intensifie généreusement son aide humanitaire au peuple du Rwanda.
M. Yañez-Barnuevo (Espagne) (interprétation de
l’espagnol) : La délégation de l’Espagne se félicite de
l’adoption de la résolution 918 (1994), coparrainée par
l’Espagne, résolution qui, sur proposition du Secrétaire
général, élargit le mandat de la Mission des Nations Unies
pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) pour assurer la
sécurité et la protection des personnes déplacées, des réfugiés et de la population civile en danger au Rwanda ainsi
que l’appui de la distribution des secours et des opérations
d’assistance humanitaire.
Tout comme la déclaration du Conseil en date du
30 avril dernier, la décision que nous venons d’adopter est
le fruit de discussions intenses au cours de consultations
officieuses, lesquelles montrent bien la préoccupation des
membres du Conseil face à la détérioration de la situation
humanitaire au Rwanda et leur souci de trouver un moyen
efficace de remédier à la crise aux proportions énormes
dans laquelle est plongé ce pays.
Il faut souligner l’indignation qu’éprouve la communauté internationale devant la violence qui sévit au Rwanda,
notamment depuis l’accident d’avion qui, le 6 avril dernier,
a coûté la vie aux Présidents du Rwanda et du Burundi.
Nous condamnons énergiquement les innombrables
massacres de civils qui sont commis en toute impunité dans
le pays.
Le Gouvernement espagnol, qui a fait de la défense
des droits de l’homme l’un des principes fondamentaux de
sa politique étrangère, est atterré par les rapports provenant
de différentes organisations non gouvernementales et des
médias, qui font état de violations systématiques, généra-
3377e séance
16 mai 1994
lisées et flagrantes du droit international humanitaire au
Rwanda. Aussi nous joignons-nous aux autres membres du
Conseil pour rappeler que le massacre de personnes appartenant à un groupe ethnique dans l’intention de le détruire,
en totalité ou en partie, constitue un crime réprimé par le
droit international. Qui plus est, toute incitation directe et
publique à la violence avec l’intention de détruire un groupe
racial ou ethnique constitue en soi un tel crime. Aussi le
Conseil a-t-il lancé un appel pressant aux parties pour
qu’elles cessent immédiatement ces actes particulièrement
graves, y compris les incitations à la violence sur les ondes,
connues de tous.
Comme les autres membres du Conseil, nous déplorons
d’avoir eu à entendre, au Conseil aujourd’hui, certains
arguments qui ressemblent davantage à une justification des
faits que nous estimons injustifiables.
La délégation espagnole suivra de très près l’évolution
de la situation au Rwanda, et notamment de la situation
humanitaire et des risques que continue de courir la population civile.
Nous nous félicitons à cet égard de la visite récente,
dans la région, du Haut Commissaire des Nations Unies aux
droits de l’homme, l’Ambassadeur Ayala Lasso, et nous
attendons avec beaucoup d’intérêt le rapport que le Conseil
a demandé au Secrétaire général sur les violations graves du
droit humanitaire international qui ont été commises au
Rwanda pendant le conflit.
Je voudrais signaler aussi que les ministres des affaires
étrangères de l’Union européenne viennent d’approuver à
Bruxelles une déclaration dans laquelle ils appellent
instamment les parties à mettre immédiatement fin aux
massacres et à respecter les Accords d’Arusha, qui sont
encore la meilleure base pour la réconciliation nationale.
Les ministres européens ont également réaffirmé leur
engagement de fournir une aide humanitaire à toute la
population qui en a besoin, et ils ont décidé à cet égard
d’envoyer une mission de haut niveau dans la région.
La résolution que nous venons d’adopter n’est qu’un
premier pas sur la voie de la recherche d’une solution
durable au conflit du Rwanda. Selon les estimations, il y
aurait quelque 200 000 morts et 2 millions environ de
réfugiés et de personnes déplacées, soit des plaies difficiles
à panser. Nous lançons donc un appel aux parties pour
qu’elles acceptent un cessez-le-feu et entament des négociations qui permettent de relancer le processus de paix.
15
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Le déploiement par étapes de la MINUAR élargie,
grâce à la coopération active des pays africains et du reste
de la communauté internationale, permettra aux Nations
Unies de s’acquitter plus efficacement de leur mandat et
d’assurer la distribution de l’aide humanitaire aux personnes
déplacées, aux réfugiés et aux civils en danger. Les parties
rwandaises doivent comprendre que l’exécution intégrale du
mandat de la MINUAR dépend en fin de compte de leur
appui et de leur coopération véritables dans le plein respect
de la sécurité et de la liberté de mouvement des membres
de la MINUAR et des organisations humanitaires.
Enfin, l’imposition d’un embargo militaire au Rwanda
réaffirme le souci qu’a la communauté internationale de
contenir les hostilités et d’éviter une intensification du
conflit qui pourrait, faute d’être endigué à temps, dépasser
les frontières du pays et déstabiliser les pays voisins, avec
les pires conséquences que cela pourrait avoir pour
l’ensemble de la région.
Tous doivent oeuvrer pour trouver une solution politique au conflit par le biais des efforts que déploient le
Secrétaire général et son Représentant spécial, de concert
avec le Président et le Secrétaire général de l’Organisation
de l’unité africaine (OUA), ainsi que les pays de la région
et, en particulier, le Président de la République-Unie de
Tanzanie en tant que facilitateur.
Nous espérons que les parties rwandaises donneront
suite aux appels de la communauté internationale et coopéreront de bonne foi à ses efforts en vue de l’établissement
d’un cessez-le-feu et de la reprise du processus de paix
d’Arusha. Sinon, il leur incomberait une lourde responsabilité vis-à-vis de leur propre peuple et de toute la
communauté internationale.
M. Kovanda (République tchèque) (interprétation de
l’anglais) : Les crocodiles du fleuve Kagera et les vautours
qui survolent le Rwanda ont rarement aussi bien vécu. Ils
se nourrissent des corps des milliers d’enfants et de
femmes, dont des centaines étaient enceintes, et d’hommes
achevés à coups de hache ces six dernières semaines par ce
qui s’est révélé être un régime extrêmement pervers.
Les victimes des massacres se chiffrent à 4 000 personnes tuées à Kibeho, 5 500 abattues à Cyahinda, 800
assassinées à Kiziguru, 500 massacrées à Rukira, 2 500
égorgées à Kibungo. En outre, 4 000 personnes ont été
massacrées à Shangi, une paroisse à Cyangugu, et 2 000 à
Mibirizi, également à Cyangugu. Il s’agit du même
Cyangugu où des milliers de personnes se trouvent piégées
depuis des semaines dans un stade sans aucun secours. On
16
3377e séance
16 mai 1994
se demande à coup sûr si le sort des morts n’est pas préférable à celui des survivants.
Voilà seulement quelques-uns des massacres dont nous
avons eu connaissance, principalement grâce à des organisations des droits de l’homme et à l’église catholique.
Nous ne pouvons qu’extrapoler le nombre total des
victimes. Le Secrétaire général a présenté une estimation
s’élevant à 200 000 morts.
Tous les rapports indiquent que ces atrocités ont été
commises par des coupe-gorge hutus — rarement, ce terme
a été si littéralement exact — contre leurs voisins tutsis.
D’aucuns tendraient à "partager" les responsabilités.
D’aucuns tendraient à affirmer qu’il doit y avoir eu aussi
des atrocités des Tutsis contre les Hutus au cours du mois
dernier. Et en effet, des organisations des droits de l’homme
ont activement recherché des preuves directes de massacres
commis dans des territoires contrôlés par le Front patriotique rwandais (FPR) à majorité tutsie. Jusqu’à présent, elles
ont trouvé très peu de preuves allant dans ce sens.
Nous constatons donc que 200 000 Tutsis sur environ
1 million — 20 % des Tutsis du Rwanda — ont perdu la
vie. Chacun d’entre nous pourra calculer combien de morts
un tel pourcentage représenterait dans son propre pays et
pour son propre peuple. Cette situation est décrite comme
étant une crise humanitaire, comme s’il s’agissait d’une
famine ou peut-être d’une catastrophe naturelle. Ma délégation estime que le terme exact est génocide.
Comme on le sait bien, une guerre civile fait rage
aussi au Rwanda depuis 1990. Mais même une guerre
civile, aussi horrible soit-elle, n’excuse pas, et justifie
encore moins le génocide. Et qu’il y ait guerre civile ou
non, les centaines de milliers de civils victimes des
bouchers ne se trouvaient pas au front, mais loin derrière,
sans aucun lien visible avec le FPR sauf leur appartenance
ethnique. D’où la véritable innocence de ceux que nous
décrivons de manière un peu trop automatique comme des
"civils innocents".
L’Accord d’Arusha de 1993 montrait la voie
permettant de résoudre le conflit civil. À la suite de
l’Accord d’Arusha, le gouvernement contrôlé par le
Président Habyarimana a été élargi par l’arrivée de personnalités connues qui avaient été ses adversaires politiques. La
principale d’entre elles était le Premier Ministre, Mme
Agathe Uwilingiyimana. Il faut rappeler qu’elle-même et
d’autres personnalités hutues d’opposition étaient parmi les
premières victimes des horreurs déclenchées par les
partisans du Président Habyarimana après sa mort.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
Par qui? Qui a commis ces atrocités innommables?
Certainement pas le peuple rwandais en général, hutu ou
non. Ces atrocités ont été commises par la Garde présidentielle créée par le Président Habyarimana. Elles ont été
commises par des éléments des Forces gouvernementales
rwandaises qui lui étaient loyaux. Elles ont été commises
par la milice, la Gendarmerie. Elles ont été commises sur
les ordres des personnes proches du Président Habyarimana
et à l’instigation des émissions incendiaires de Radio Mille
Collines. C’est une radio privée, mais ses propriétaires sont
des proches de feu le Président. Qu’on ne s’y trompe pas :
l’incitation à la haine ethnique par les moyens d’information
dont fait état le préambule de notre résolution vise tout
particulièrement Radio Mille Collines.
Nous avons demandé au Secrétaire général de
présenter un rapport sur les enquêtes sur les atrocités.
L’Ambassadeur Ayala Lasso, le Haut Commissaire des
Nations Unies aux droits de l’homme, s’occupe déjà activement de cette question. Quand nous aurons reçu ce
rapport, nous voudrons savoir qui sont les responsables de
ces atrocités. Nous voudrons ensuite savoir comment ils
seront traduits en justice. Car il est certain qu’ils ne
pourront échapper à la justice.
Aujourd’hui, ma délégation a coparrainé une décision
de retourner au Rwanda — trop tard, bien sûr, pour les
centaines de milliers de personnes qui ont déjà perdu la vie.
Mais peut-être à temps, nous l’espérons, pour limiter la
poursuite des brutalités. Nous décidons de renforcer les
effectifs et le mandat de la MINUAR. Sa première priorité
est d’aider les malheureux en détresse et en danger dans
l’arrière-pays. La MINUAR ne s’engagera pas dans la
guerre civile, mais un cessez-le-feu lui faciliterait le travail
humanitaire.
Le mois dernier, le Conseil de sécurité a été profondément choqué et frappé d’incrédulité face à la perversité
des massacres qui ont été perpétrés. Notre premier souci
était la sécurité de notre MINUAR, dont les effectifs, les
armes et le mandat étaient insuffisants. Nous avons réduit
ses effectifs, mais seulement après avoir perdu 10 jeunes
gens courageux. En dépit de ses effectifs réduits, la
MINUAR a réussi notamment à protéger la vie — mais
guère plus — de milliers de pauvres âmes à Kigali. Mon
gouvernement salue le courage de la MINUAR, le martyre
de ses camarades perdus et le sang-froid de son
commandant. Nous saluons également le travail inlassable
du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) et la poursuite des efforts des organisations non
gouvernementales, qui ont tant fait pour nous informer de
la vraie nature des conflits au Rwanda.
3377e séance
16 mai 1994
Le Président (interprétation de l’anglais) : Je vais
maintenant faire une déclaration en ma qualité de représentant du Nigéria.
Ma délégation a clairement fait savoir à plusieurs
reprises lors des débats sur cette question que la situation au
Rwanda est exceptionnellement tragique et nécessite une
solution qui devrait, dans une large mesure, être extraordinaire. Il est vrai qu’un malade dans un état désespéré
nécessite un traitement radical. Ma délégation demeure
convaincue aussi que si l’Organisation de l’unité africaine
et les pays voisins ont un rôle important à jouer dans les
efforts visant à mettre fin au carnage en cours et à rétablir
la paix au Rwanda, les Nations Unies ont un rôle encore
plus crucial à jouer pour donner un coup de fouet à l’assistance internationale à ce pays en proie aux troubles. Nous
pensons en effet qu’il n’est pas particulièrement bon pour
la crédibilité des Nations Unies si, en temps de crise, elles
tergiversent et adoptent des positions qui, rétrospectivement,
se révèlent tristement erronées.
Le Nigéria estime que la tâche à laquelle doit faire
face la communauté internationale au Rwanda comporte
trois volets — un volet humanitaire, un volet de sécurité et
un volet politique — qui sont tous étroitement liés. Sur le
plan humanitaire, une aide d’urgence est nécessaire pour
répondre aux besoins de quelque 2 millions de personnes,
selon les estimations, qui sont déplacées à l’intérieur du
pays et des 1,5 million de personnes qui souffrent des suites
de la famine et de la sécheresse graves auxquelles devait
faire face le pays avant l’éclatement des hostilités actuelles.
De plus, il y a des milliers de réfugiés rwandais dans
les pays voisins qui doivent être pris en charge.
Sur le plan de la sécurité, l’assistance internationale est
une nécessité urgente pour arrêter le carnage en cours et
permettre un retour à la stabilité et à la sécurité. La sécurité
est vitale non seulement pour les milliers de civils et personnes déplacées, mais aussi pour les Nations Unies et les
autres organisations humanitaires au Rwanda, dont le travail
s’en trouvera facilité.
Sur le plan politique, les efforts internationaux — à la
fois des Nations Unies et de l’Organisation de l’unité
africaine (OUA) — doivent mettre en relief l’objectif plus
large d’arriver à un cessez-le-feu immédiat et à un
règlement politique durable dans le cadre de l’Accord de
paix d’Arusha.
La résolution que nous venons d’adopter constitue un
effort significatif pour répondre aux besoins urgents du
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Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
3377e séance
16 mai 1994
Rwanda, en particulier dans le domaine humanitaire. Contrairement à la résolution 912 (1994) du 21 avril 1994 qui
prévoyait une réduction sensible des effectifs de la Force de
la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda
(MINUAR), la présente résolution autorise le déploiement
de la force de la MINUAR jusqu’à hauteur de 5 500 hommes.
infatigables de l’OUA et du Gouvernement tanzanien en vue
de réactiver le processus de paix.
L’objectif principal de la mission élargie est
humanitaire. En premier lieu, il s’agit de contribuer à la
sécurité et à la protection des civils ainsi qu’à la création et
au maintien de zones humanitaires sûres, en particulier pour
les personnes déplacées et réfugiés; ensuite, il s’agit d’assurer la sécurité et l’appui de la distribution des secours et des
opérations d’assistance humanitaire. Dans l’exercice de son
mandat, la MINUAR élargie est autorisée à prendre toute
mesure appropriée pour se protéger et protéger le personnel
international et autre se trouvant dans les zones de sécurité.
Un dernier mot : quoique le Nigéria ait voté en faveur
de cette résolution, nous avons des réserves sur deux aspects. D’abord, nous ne sommes pas entièrement satisfaits
de la manière dont sont traitées en général les questions
africaines soumises au Conseil. En second lieu, nous ne
sommes pas satisfaits du libellé du paragraphe 7 du dispositif de la présente résolution qui semblerait suggérer que la
seconde phase du déploiement de la MINUAR dépendra
d’un certain nombre de conditions, y compris une décision
ou mesure ultérieure du Conseil. Notre espoir est que la
seconde phase du déploiement de la MINUAR permettra
d’atteindre un effectif de 5 500 hommes — ou un nombre
aussi proche que possible et nécessaire — comme demandé
par le Secrétaire général dans son rapport. À cet égard, le
Nigéria a déjà fait part de son intention de contribuer au
contingent de la MINUAR élargie. Aussi, nous demandons
aux États Membres de répondre rapidement et positivement
à la demande du Secrétaire général.
Alors que l’objectif principal de la MINUAR élargie
est humanitaire, la présente résolution demande également
à toutes les parties au conflit de cesser immédiatement les
hostilités, de se mettre d’accord sur un cessez-le-feu et de
mettre un terme à la violence et au carnage absurdes qui
déchirent le Rwanda. À cet égard, elle invite le Secrétaire
général et son Représentant spécial — en coordination avec
l’OUA et les pays de la région — à poursuivre leurs efforts
pour promouvoir un règlement politique au Rwanda dans le
cadre de l’Accord de paix d’Arusha. Ma délégation considère qu’il est important que nous répondions à l’objectif
politique large du rôle des Nations Unies au Rwanda en
aidant à l’obtention d’un cessez-le-feu et à la promotion du
processus de paix.
Deux éléments importants supplémentaires de la
présente résolution incluent une demande au Secrétaire
général de présenter un rapport sur les éventuelles violations
du droit humanitaire international au Rwanda depuis le
déclenchement des hostilités actuelles ainsi que l’imposition
d’un embargo sur les armes pour empêcher la vente et la
fourniture d’armes et de matériel d’armement de tout type
au Rwanda. Nous sommes fermement convaincus que ces
deux mesures contribueront à réduire les violences et donc
à faciliter les perspectives d’un retour rapide à la paix dans
ce pays.
Pour terminer, nous saluons les efforts des États, des
institutions des Nations Unies et des organisations non
gouvernementales qui ont continué de fournir une aide
humanitaire et un appui au Rwanda dans des circonstances
extrêmement difficiles. Nous saluons également les efforts
18
Nous demandons instamment aux États Membres de
répondre rapidement à la demande du Secrétaire général
d’appui logistique en vue d’un déploiement rapide de la
force élargie de la MINUAR et de son soutien sur le terrain.
Nous demandons à la communauté internationale de ne
pas abandonner les civils innocents au Rwanda, car les
laisser tomber serait nous laisser tomber également. Après
tout, nous faisons partie de la même humanité.
Conseil de sécurité
Quarante-neuvième année
3377e séance
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Je reprends maintenant mes fonctions de Président du
Conseil.
Il n’y a plus d’orateur. Le Conseil de sécurité a ainsi
achevé le stade actuel de son examen de la question inscrite
à l’ordre du jour.
La séance est levée le mardi 17 mai 1994, à 1 h 45.
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