Fiche du document numéro 5203

Num
5203
Date
Lundi 30 septembre 2013
Amj
Auteur
Fichier
Taille
315306
Pages
3
Urlorg
Titre
Grégoire de Saint-Quentin : missions très spéciales
Sous titre
Portrait - Victorieux de l'opération Serval au Mali, le général de Saint-Quentin vient d'être nommé à la tête des forces spéciales. Ce chef ambitieux et brillant fuit la publicité, lui préférant la réalité du terrain.
Nom cité
Nom cité
Source
JDD
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le général de Saint-Quentin est à la tête des forces spéciales. (Eric Dessons/JDD)
Elle devait être tapie dans l'ombre, camouflée, savamment planquée dans l'inconscient. La vocation du métier des armes a pris son temps avant de s'imposer. Le terrain était pourtant des plus propices. Un grand-père paternel artilleur puis pilote durant la Grande Guerre. Un père pingouin d'Indochine, comme étaient surnommés les pilotes de l'aéronavale, mais qui quitta l'armée avant sa naissance et ne berça jamais l'enfance du jeune Grégoire d'exotiques récits guerriers. « Mon père n'était pas un grand bavard et je ne posais pas trop de questions. » Enfant puis adolescent, Grégoire de Saint-Quentin ne savait que faire de sa grande carcasse. Puis vint l'inscription en classe préparatoire à Saint-Cyr mue par l'envie de servir les autres et de prendre des risques. Et avec elle la révélation.

L'homme est immense, mesurant près de 2 mètres. Immense et sec, avec un cou puissant, un visage allongé, des yeux que l'on devine clairs, légèrement enfoncés. En fouillant, on découvre que son nom de code dans les commandos était Simon. « Vous êtes bien renseigné, dites-moi. » Venant du vainqueur de l'opération Serval au Mali, patron, depuis le 1er août, des forces spéciales, le compliment fait plaisir…

Le général de Saint-Quentin n'a pas demandé à être portraituré et il a fallu insister pour le rencontrer, non dans son bureau du commandement des opérations spéciales, dont l'accès est restreint, mais dans un bureau du ministère de la Défense. Soldat ambitieux, loué par ses hommes mais discret, le général préfère l'ombre à la lumière et ne goûte guère la publicité. Il n'a que 52 ans et pouffe quand on l'interroge sur ses ambitions quand approchera la soixantaine. Par prudence – ne pas attiser les jalousies –, par sagesse et modestie. « Il fait pourtant partie des généraux qui comptent et vont compter », assure un colonel.

2013 fut son année. En janvier, il est depuis deux ans à la tête des forces françaises au Sénégal quand l'avancée des djihadistes impose d'intervenir immédiatement au Mali. C'est lui que Paris désigne pour diriger les 4.500 hommes de Serval. Seules deux étoiles brillent sur son képi. « Quelques trois-étoiles ont forcément grincé des dents, confie un colonel de l'armée de terre. Mais Saint-Quentin avait noué de solides liens avec plusieurs chefs militaires africains. Les forces spéciales, dont il fait partie, étaient déjà déployées : il était clairement l'homme de la situation. »

En poste au Rwanda lors des évènements de 1994



Avant il y eut Saint-Cyr, puis la guerre du Golfe en 1991, au cours de laquelle il fut blessé et dont il dit aujourd'hui : « Ça y est, on y était! L'heure de vérité en quelque sorte, l'application grandeur nature de l'apprentissage théorique. » Le 6 avril 1994, il est en poste à Kigali quand un attentat coûte la vie au président Habyarimana et plonge le Rwanda dans l'horreur. Domicilié près de l'aéroport, il est l'un des premiers à se rendre sur les lieux du crash. Dix-neuf ans après, il n'a pas oublié le bruit des tirs qui précédèrent de quelques secondes l'explosion en vol de l'appareil présidentiel. Le génocide rwandais l'a marqué à vie.

C'est en 2006, en prenant la tête du 1er RPIMa de Bayonne, « le régiment que je voulais commander », fer de lance des forces spéciales dans l'armée de terre, que Saint-Quentin plonge dans cet univers à part. Aujourd'hui encore, son surnom, le Grand, y est connu de tous. L'adjudant-chef Philippe, qui le côtoie depuis vingt ans et servit sous ses ordres durant Serval, décrit un chef « légitime, encore plus exigeant avec lui-même qu'à l'égard de ses subordonnées, donnant envie de travailler avec lui ».

L'intéressé s'estime proche de ses hommes, persuadé que « la confiance en soi se nourrit de sa propre remise en question ». Ajoutant : « Je peux être dur mais je n'ai pas eu souvent besoin de l'être. » Un de ses sous-officiers confirme : « S'il vous dit : “Tiens, passe me voir tout à l'heure…“, c'est que vous allez passer un mauvais quart d'heure. » Le général n'est pas du genre à hurler sur les autres ou à humilier un homme en public. « Mais mentez-lui ne serait-ce qu'une fois : vous êtes mort. »

Est-ce sa nature, son souci de la droiture qui transparaît jusque dans son allure? Ou l'école forces spéciales, ces troupes d'élite où le moindre manquement peut conduire à l'échec de la mission et à la mort des combattants? « Celui qui merde au sein des forces spéciales n'y reste pas, raconte un officier. On n'y a pas droit à l'erreur. » Réputées, les forces spéciales françaises comptent dans leur rang « des officiers supérieurs de très grande qualité » assure le député européen (PPE) et spécialiste des questions de Défense Arnaud Danjean. « Elles sont une composante de plus en plus importante de la guerre moderne. Mais ce que Saint-Quentin a démontré durant Serval, c'est qu'il disposait d'une expérience allant bien au-delà de ce seul domaine. »

Ne pas piétiner les plates-bandes des responsables politiques



Il fallut réagir vite au Mali, sur un théâtre d'opérations gigantesque, face à un ennemi non conventionnel, certes moins bien armé mais connaissant mille fois mieux le désert, sachant s'y déplacer, s'y cacher. Ne pas froisser les susceptibilités des chefs politiques et militaires africains, assumer le commandement français tout en impliquant les troupes africaines. Son souci de ne pas systématiquement se reposer sur les décisions venues de Paris mais d'anticiper, de décider sans pour autant piétiner les plates-bandes des responsables politiques et de l'état-major fut aussi très apprécié en haut lieu. Arnaud Danjean le souligne : « Le général a fait preuve de beaucoup de doigté durant Serval. C'est aussi en cela que son succès fut remarquable. »

De cette guerre africaine pas encore achevée, un accrochage ayant encore vu Français et djihadistes s'affronter dans le désert il y a dix jours, le Grand parle sans trémolos ni emphase mais avec ce souci permanent d'analyser qui caractérise l'ancien élève de l'école de guerre : « Ce fut une expérience unique de commandement au cours de laquelle j'ai fait appel à tous les enseignements et expériences reçus ou vécus depuis trente ans. Le niveau de professionnalisme des militaires engagés m'a bluffé. »

La suite logique a vu ce père de quatre enfants, dont aucun militaire, revenir à Paris et être désigné commandant des opérations spéciales, que la loi de programmation militaire a décidé de renforcer d'un millier d'hommes quand l'heure est partout ailleurs à la disette. « Je ne peux absolument rien vous dire sur les missions en cours ou à venir, vous vous en doutez bien… » Ni sur les moyens engagés au voisinage de la Syrie, par exemple, ni sur les modes d'action. Non, rien de rien… Il faudrait être un magicien, un hypnotiseur de génie pour lui arracher la moindre confidence. Immédiatement repérées, questions détournées et allusions voilées se font aussi facilement démolir qu'un véhicule ennemi localisé au milieu du désert.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024