Citation
« Excellence,
Je voudrais tout d'abord vous remercier pour l'accueil que vous m'avez
réservé lors de ma dernière visite au Rwanda et les facilités pratiques qui
m'ont été accordées. A cette occasion, j'ai eu l'honneur de m'entretenir
à deux reprises avec vous sur les agissements d'un groupe occulte, connu
sous le nom d'Akazu ou Réseau zéro. Avec le professeur Filip Reyntjens et
l'avocat Johan Scheers, nous avos attiré votre attention sur le risque de
déstabilisation continue du Rwanda et sur les entraves au processus de paix,
suite aux manoeuvres et aux actes criminels de ce groupe.
Compte tenu des lourdes charges qui pèsent sur vous quant aux multiples
implications de votre famille dans les violations des droits de l'homme au
Rwanda et dans les pillages systématiques des maigres ressources du
Rwanda, je voudrais vous demander de profiter de votre séjour dans ce pays
pour fournir des explications claires quant à votre rôle dans ces affaires.
Eu égard au fait que l'opinion occidentale ne peut plus se contenter de
promesses vagues, il faut des mesures concrètes en faveur du respect des
droits de l'homme et d'une saine gestion des biens publics au Rwanda.
Par ailleurs, la démocratisation de la vie politique rwandaise ayant été
reconnue comme un facteur de paix et de progrès, vous devriez vous engager à
ne plus pervertir le processus démocratique et à mettre fin aux assassinats
politiques et aux persécutions et autres manoeuvres d'intimidation dont
sont victimes les dirigeants de l'opposition démocratique.
Concernant les accords de paix d'Arusha que vous aviez combattus et que vous
avez signés finalement sous la pression de l'opinion internationale, il
faudra vous engager à les respecter scrupuleusement au lieu de chercher à
les récupérer à des fins de propagande personnelle. De fait, l'acceptation
des accords de paix signifie l'instauration d'un Etat de droit, le partage
équitable du pouvoir et l'enclenchement du processus de réconciliation
nationale, Comme il ne peut y avoir de coopération fructueuse sans la paix
et la stabilité dans le pays et comme le conflit rwandais a déjà fait des
dégâts immenses et occasionné beaucoup de pertes en vies humaines, il est
impérieux que toute entrave à l'application des accords de paix soit levée
et que vous renonciez à toutes velléités de reconquête d'un pouvoir
personnel par des manoeuvres de division et de dispersion. C'est suite à ces
préoccupations et suite aussi à l'intérêt que je porte à l'existence de
relations saines entre le Rwanda et la Belgique fédéralisée que je me
permets de rappeler à votre attention quelques dossiers importants à
éclaircir.
I Respect des droits de l'homme
1.1. La commission internationale d'enquête sur les violations des droits de
l'homme au Rwanda a mis en évidence, dans son rapport rendu public le 7 mars
1993, l'implication personnelle du président de la République, de sa famille
et de son parti, dans les violations des droits de l'homme commises au
Rwanda depuis le coup d'état du 5 juillet 1973 jusqu'à maintenant. Suite
aux révélations de ce rapport et à la pression internationale, vous vous
êtes engagé, personnellement et en accord avec le gouvernement à faire
respecter dorénavant les droits de l'homme au Rwanda.
Depuis cette date, aucune mesure concrète n'a été prise pour honorer cet
engagement. Par contre des assassinats politiques, des intimidations et des
menaces de mort continuent à frapper les dirigeants de l'opposition
démocratique. Depuis le premier août 1993, le Dr Nsengiyaremye Dismas, ancien
Premier ministre et artisan principal des accords de paix d'Arusha, a dû
quitter précipitamment le pays, suite à l'existence de commandos de tueurs
chargés de le liquider. Ces menaces sont réelles et ont été confirmées par les
manoeuvres d'intimidation entreprises par le gouvernement rwandais même en vue
d'empêcher la tenue d'une conférence de presse au parlement belge par le Dr
Nsengiyaremye Dismas, A cet effet, le ministère belge des Affaires étrangères,
le ministère de l'Intérieur, le secrétariat du président de la Chambre des
représentants, des parlementaires même ont reçu des menaces des officiels
rwandais pour empêcher cette conférence de presse! Cette attitude montre à
quel point le gouvernement rwandais ne comprend pas assez ta démocratie et veut
museler l'opposition rwandaise, même sur un territoire étranger... Rappelons
aussi que le Dr James Gasana, ancien ministre de la Défense nationale, a dû
quitter le Rwanda en date du 20 juillet 1993 sous les menaces des officiers
proches de Akazu, alors qu 'il appartenait au parti MRND,
1.2 Le rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme,
M.B.W Ndiaye, un Sénégalais et fonctionnaire des Nations unies, a
effectué une mission au Rwanda le 17 avril 1993, pour se rendre compte
des violations des droits de l'homme au Rwanda, De son rapport, il
ressort que les violations des droits de l'homme au Rwanda, notamment
les massacres de janvier - février 1993, dans les préfectures de
Gisenyi, Ruhengeri et Kibuye sont le fait des milices et des bandes
organisées et encadrées par les partis MRND et CDR. Rappelons qu'à
l'époque, vous étiez aussi président du MRND et que le parti CDR est
une émanation et une création de l'Akazu pour prêcher la haine et la
division ethnique et inciter la population aux troubles.
Le même rapporteur spécial a mis aussi en évidence l'existence d'un
pouvoir occulte, composé des proches du président, qui planifie et
organise les assassinats politiques et les troubles à travers le pays.
L'impunité et la protection dont jouissent les responsables des
massacres et autres crimes « politiques » montrent à quel point les
hautes autorités du pays sont impliquées dans les violences dont le
peuple rwandais est victime. Il a aussi été relevé que le président
du Rwanda avait aggravé la paralysie du système judiciaire en refusant
pendant 7 mois la nomination d'un ministre de la Justice. Compte tenu
de la détérioration du climat politique et de l'insécurité qui pèse
sur les dirigeants de l'opposition, le président de la République doit
donner des garanties sérieuses quant à la liberté d'exercer les droits
politiques au Rwanda et de promouvoir la démocratie dans ce pays.
II La mainmise de l'Akazu sur l'économie rwandaise
Officiellement, le Rwanda a opté pour une économie de marché, c'est-à-dire un
système qui favorise la libre concurrence et donne à chacun des chances réelles
d'accès au financement et à l'exercice libre des activités économiques.
Cependant, on observe que le fonctionnement des institutions financières
rwandaises ne respecte pas les principes d'une saine compétition et quand on
pénètre dans les grandes sociétés commerciales, on est étonné de voir que les
membres de l'Akazu sont omniprésents et que tout le système est vicié pour
servir uniquement les intérêts de l'Akazu ou leur payer régulièrement des
pots-de-vin. Quant aux institutions publiques générant ou gérant des fonds,
elles sont placées systématiquement sous l'autorité des membres de l'Akazu. Ce
constat amer peut se vérifier à travers les exemples ci-après,
La banque nationale du Rwanda :
Depuis le départ du Gouverneur Jean Berchmans Birara, cette banque des
banques a été placée sous l'autorité des valets de l'Akazu (MM Augustin
Ruzindana et Denys Ntirugirimbabazi) avec des membres influents de l'Akazu aux
postes stratégiques au sein des services bancaires, par exemple M Séraphin
Rwabukumba (beau-frère du président) au service étranger, M Rukara et M
Ildephonse Gashumba (neveu du président) au change. Une telle situation
favorise le transfert illicite de fonds à l'étranger et l'alimentation des
marchés noirs à partir des devises fournies par la Banque nationale. On sait
que le principal patron du marché noir à Kigali est M Basabose, commerçant à
Kigali et homme de paille du colonel Sagatwa.
La Banque continentale africaine au Rwanda (Bacar) :
Cette banque, filiale d'une banque spécialisée eu gestion de fonds douteux
provenant de l'Afrique, installée au Luxembourg, est sous le contrôle total
des membres de l'Akazu. Il sert de couverture au transfert de fonds à
l'étranger et à d'autres opérations effectuées par l'Akazu, notamment dans
l'import/export.
La Banque commerciale du Rwanda et la Banque de Kigali :
Banques privées avec une forte participation de l'Etat, servent aussi les
intérêts de l'Akazu à travers les directeurs rwandais et les membres du
Conseil d'administration nommés par le président de ta République.
Les exportations du café et du thé sont contrôlées par l'Akazu aussi.
L'Office du Thé, établissement public à 100%, qui fait directement
l'exportation du thé est contrôlé par M Michel Bagaragaza, membre de
l'Akazu. Est-ce vrai, Monsieur le président, que celui-ci se permet même de
placer le produit de la vente du thé sur des comptes privés et d'encaisser
les intérêts ? Les exportations à travers l'ETIRU, société privée comprenant
« La Rwandaise » et M Zigiranyirazo sont contrôlée par l'Akazu, Les produits
de vente sont généralement placés à l'étranger au lieu d'être
rapatriés.
L'Akazu agit sur les activités de Rwandex à travers l'Office des Cafés,
établissement public et actionnaire principal de Rwandex, Le directeur de
l'Office des Cafés est nommé par le président de la République et il s'agit
généralement des hommes à sa dévotion, par exemple M Enoch Ruhigira, de 1975
à 1987 et Fabien Neretse de 1989 à 1991.
Les activités d'importation et d'exportation passent en grande partie par La
Centrale gérée par M Séraphin Rwabukumba, beau-frère du président et qui
bénéficie de toutes les facilités d'obtention de devises auprès de la Banque
nationale du Rwanda.
Le président de la République et les membres de sa famille détiennent
souvent de force, des participations importantes dans les sociétés
commerciales, entre autres "La Rwandaise" (importation de véhicules),
"Kipharma", "Aerotec" (médicaments et produits phytosanitaires),
"NAHV" (importation de véhicules et d'équipements électroménagers), "ETIRU"
(production de farine et exportation de café).
Le président de la République et sa famille sont propriétaires de cabarets
et de boîtes de nuit à Kigali etc.(«Rebero l'Horizon», «Kigali Night Club»,
«Tam-Tam») où se font le trafic des prostituées et la vente de drogue.
Est-ce normal que le président de la République participe à de telles
activités ?
Des membres de l'Akazu sont impliqués dans la culture et le commerce du
chanvre produit au Rwanda et vendu en Europe ? Le dossier judiciaire sur la
culture et le trafic du chanvre, ouvert fin 89, a été étouffé.
Pourriez-vous, M le président, éclaircir ce dossier ?
Les sociétés d'état et les projets de développement sont contrôlés par des
agents issus de Akazu et à sa dévotion et servent de paravent à des
manoeuvres de malversation, de détournement des biens de l'Etat, A titre
d'exemple:
M Munyanganizi à l'Electrogaz ;
M Michel Bagaragaza à l'OCIR-Thé ;
M Ntirugirimbabazi à la BNR ;
M Pasteur Musabe à la Bacar ;
M Juvénal Uwilingiyimana à l'ORTPN;
Mme Nyirusufari Gaudence à l'ONAPO ;
M J.Damascène Hategekimana à la CSR ;
M Augustin Ruzindana au BUNEP ;
M Ferdinand Kabagema à la CHR ;
M Siméon Nteziryayo à la SONARWA ;
M Higaniro Alphonse à la SORWAL...
...
Si vous avez l'intention de
donner une conférence de presse lors de votre séjour dans notre Etat, je
vous prie de bien vouloir répondre aux questions soulevées.