Citation
par Pierre BRANA, Corapporteur de la mission d'informatiion parlementaire sur le génocide rwandais
Au retour d'un déplacement, j'ai pris connaissance de la tribune de M. Franche publiée dans Rebonds le 30 septembre, que des lecteurs m'ont envoyée en me précisant que les lignes me concernant et évoquant des propos «lénifiants» à propos du génocide au Rwanda ou un «regard qui foudroie» à l'évocation de Bisesero, ne correspondaient pas au souvenir qu'ils gardent de mes interventions lors des débats pendant et après la mission parlementaire sur le génocide au Rwanda dont j'étais l'un des rapporteurs.
Les commentaires des médias à l'époque ne vont pas dans le sens de son appréciation. Citons simplement le Monde qui, dans son supplément du 17 septembre 1998 consacré aux résultats des travaux de la mission parlementaire, me qualifiait d'un «des plus attentifs aux problèmes des droits de l'homme et de justice internationale». Et mon point de vue, paru dans le Figaro du 16 décembre, juste après la publication du rapport, peut difficilement passer pour «lénifiant». En voici quelques extraits : «La France s'est engagée dans le soutien politique et militaire à un régime où la répartition des postes se faisait selon des quotas ethniques, dont l'armée, que la France allait instruire, était totalement mono-ethnique» ;«La France a sous-estimé la dérive politique et raciste qui s'est déclenchée dans les années 1990-1994» ;«La France n'a pas réclamé avec suffisamment de force la démocratisation du régime» ; «La France a réclamé la suppression de la mention ethnique sur les cartes d'identité sans jamais suivre effectivement ce dossier» ; «La France a été présente militairement dans un conflit, officiellement pour éviter tout déséquilibre des forces, en réalité pour empêcher la victoire de la rébellion. Cette coopération militaire avec une armée mono-ethnique l'a poussée à instruire des troupes, à participer à l'élaboration des plans de bataille, à faire des contrôles d'identité» ;«Pendant le génocide, la France, comme la communauté internationale, reconnaît, ou plus exactement a des liens avec le gouvernement intérimaire dont des membres sont responsables du génocide ;«Sur les responsabilités internationales, l'OUA n'a pas du tout joué le rôle qu'elle aurait dû. L'ONU a une double responsabilité : décision de retrait d'une partie de ses forces, délai de trois mois avant de reconnaître qu'un génocide est en train de se produire.»
Et ma position, depuis, n'a pas varié. Dans un Rebonds le 8 avril 2004, lors du dixième anniversaire du déclenchement du génocide, je reprenais les mêmes thèmes et mettais en cause le choix politique de la France notamment dans l'opération «Noroît», présentée comme une réponse à une agression étrangère (l'Ouganda contre le Rwanda) alors que ce conflit relevait davantage d'un épisode de guerre civile (retour des Tutsis chassés de leur pays trente ans plus tôt) que d'un conflit entre Etats. Concernant l'opération «Turquoise», je soulignais l'absence de désarmement systématique des troupes hutues et d'arrestations d'acteurs du génocide. A Goma, dix tonnes de nourriture étaient même remises aux FAR alors que les civils étaient dépourvus de l'essentiel. J'y rappelais aussi que s'il est important de déterminer les responsabilités, il est essentiel de tout faire pour «empêcher un nouveau Rwanda» et détaillais les mesures nécessaires dont beaucoup sont encore à prendre. Voilà quelques-uns des points que je voulais rappeler en réponse à la mise en cause par M. Franche.
Un mot pour conclure sur le choix entre mission d'information parlementaire et commission d'enquête. Personnellement, je m'étais prononcé pour une commission d'enquête (je devais faire une demande identique pour Srebrenica) en raison de son image plus solennelle et surtout de ses pouvoirs de contrainte. Cela n'a pas été possible puisque la mission d'information avait été lancée par la commission défense et que la commission des affaires étrangères - à laquelle j'appartenais - n'avait de fait d'autre choix que de s'y joindre. Notons toutefois que cette mission d'information intervenant sur les domaines de la défense et des affaires étrangères considérés comme «réservés» au président de la République était en France une grande première dans l'histoire de la Ve République.