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Ancien gendarme français reconverti dans la sécurité privée, le capitaine Paul Barril fait l'objet d'une plainte pour « complicité de génocide » pour son rôle controversé dans le génocide des Tutsis du Rwanda.
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Depuis longtemps, la menace lui pendait au nez. Les tribulations rwandaises de Paul Barril – passé successivement par le GIGN et la cellule antiterroriste de l'Élysée avant de se reconvertir dans la sécurité privée – éveillent la suspicion depuis 1994. Lundi 24 juin, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), la Ligue des droits de l'homme (LDH) et l'association Survie ont déposé contre l'ancien supergendarme une plainte pour « complicité de génocide » devant le tribunal de grande instance de Paris. Il lui est notamment reproché d'avoir contracté, le 28 mai 1994 – alors qu'un embargo sur les livraisons d'armes au Rwanda avait été décrété par l'ONU dix jours plus tôt –, un « accord d’assistance » portant sur la fourniture d’armes, de munitions, de formation et d’encadrement avec le Premier ministre du gouvernement intermédiaire rwandais, Jean Kambanda. Ce même gouvernement qui orchestrait depuis près de deux mois le génocide des tutsis.
C'est la première fois qu'un ressortissant français nommément désigné fait l'objet d'une plainte judiciaire pour complicité de génocide au Rwanda. De précédentes plaintes déposées par des rescapés du génocide – actuellement instruites à Paris – avaient été formulées « contre X ». Mais les interventions répétées de Paul Barril dans le dossier franco-rwandais, dont les éléments ont été exhumés progressivement, laissent planer depuis un certain temps la perspective d'une action en justice à son encontre, le crime de génocide étant imprescriptible.
Selon l'avocat Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH, « la plainte s'appuie en premier lieu sur le contrat du 28 mai 1994, dont on sait par ailleurs qu'il a donné lieu au versement d'un premier acompte, ce qui est l'indice d'un début d'exécution ». Si l'enquête préliminaire débouche sur l'ouverture d'une information judiciaire, il appartiendra aux magistrats français de documenter le rôle exact joué par Paul Barril au service d'un régime qui conduisait l'extermination de sa propre population. Ils pourront, pour ce faire, bénéficier de l'abondante documentation dénichée par leur collègue Marc Trévidic au terme d'une perquisition menée chez Paul Barril en juin 2012. Selon nos informations, si ces pièces ne sont pas d'un apport déterminant dans le cadre de sa saisine (qui porte exclusivement sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président rwandais Habyarimana), elles seraient en revanche susceptible d'étayer une plainte pour complicité de génocide.
Outre le rôle personnel joué par le capitaine au service du pouvoir rwandais de l'époque, dominé par les Hutus, l'un des enjeux sous-jacents de l'information judiciaire qui pourrait être ouverte à la suite de l'enquête préliminaire consistera à établir les relations exactes qui prévalaient entre Paul Barril « le privé », l'Élysée et les services secrets français. « C'est un aspect qu'on ne néglige pas, explique Patrick Baudouin. À l'évidence, on ne peut pas ne pas s'interroger sur le lien entre Paul Barril et les autorités françaises et sur la tolérance – pour ne pas dire plus – dont il a bénéficié de leur part. » Entre octobre 1990 et juillet 1994, période où Paul Barril s'est illustré à répétition au service du régime hutu – renseignement, formation, livraisons d'armes –, le dossier rwandais était considéré à Paris comme hautement sensible. À cet égard, il était suivi par un cercle restreint d'initiés. Il appartiendra à la justice française d'établir si un « free-lance » aurait pu y intervenir durablement sans un feu vert donné au plus haut niveau.