Fiche du document numéro 35375

Num
35375
Date
Jeudi 11 septembre 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
34993
Pages
3
Urlorg
Titre
Afrique centrale : la présentation annulée d’un ouvrage sur le Rwanda du professeur Reyntjens à l’Institut d’Egmont crée la polémique
Sous titre
Les relations tendues entre Kigali et Bruxelles sont au centre de cette affaire.
Nom cité
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Source
Commentaire
Filip Reyntjens claims to have expertise on Rwanda, even though he has not set foot there for over thirty years.
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
J’ai du respect pour le ministre Prévot, pour ses positions à l’égard du Rwanda pour son rôle en République démocratique du Congo. Je pense qu’il a été mal conseillé”, explique calmement Filip Reyntjens, ancien professeur à l’université d’Anvers, politologue et constitutionnaliste dont le livre Modern Rwanda, A political history est au centre d’une agitation politico-diplomatique depuis lundi soir.

Le livre, sorti il y a plusieurs mois, devait être présenté ce mardi à l’Institut royal des Relations internationales d’Egmont, un think tank en matière de politique internationale, présenté comme indépendant mais qui dépend des Affaires étrangères belges et dont le directeur général est d’ailleurs un diplomate Pol De Witte. “Ce n’est pas le livre qui pose problème, c’est son auteur”, renchérit Filip Reyntjens, toujours très critique à l’égard du président rwandais Paul Kagame, qu’il présente régulièrement comme “le plus grand criminel de guerre en fonction”.

Volonté d’apaisement



Au cabinet du vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Maxime Prevot, on explique que le “SPF Affaires étrangères n’avait pas été consulté sur la tenue de cet événement alors qu’il intervient dans un contexte très sensible de rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda”. Dans la foulée, le ministère reconnaît sans ambages qu’“il a effectivement suggéré d’annuler l’événement. Vu les liens entre le SPF Affaires étrangères et l’Institut Egmont et sachant les tensions existantes entre le Professeur Reyntjens et les autorités rwandaises, cet événement aurait très probablement été interprété, à tort, comme un geste inamical de la Belgique vis-à-vis du Rwanda, ce que la Belgique ne cherche pas.

“Erreur d’interprétation”



Une explication qui fait sourire Filip Reyntjens. “Je suis un emmerdeur pour les autorités rwandaises. Ce qui est déplorable, c’est qu’on a anticipé une réaction que Kigali n’aurait pas eue. Cela fait des mois que le livre est sorti, la conférence est annoncée depuis des semaines. J’ai partagé l’information sur mes réseaux sociaux, très suivis au Rwanda. Kigali savait que cette présentation devait se tenir et n’a rien dit. Je pense que le ministre a été mal conseillé”, répète M. Reyntjens. “L’interdiction a créé un incident qui n’aurait pas eu lieu. Cela démontre malheureusement une perte de connaissance de la situation sur place au Rwanda. C’est peut-être dû, désormais, à l’absence de représentation diplomatique belge dans ce pays ou, plus généralement, au fait qu’on a une moins bonne connaissance de la région.

Un sentiment que partagent plusieurs anciens diplomates belges qui insistent sur “la perte du lien” et de “la connaissance des acteurs et du quotidien de la région” ; une “situation catastrophique pour le rayonnement de notre pays. Les Grands Lacs, est en effet la seule région où notre voix porte encore. Une région pour laquelle notre expertise est reconnue dans le monde.

Les Américains, les Britanniques – pas les Français qui connaissent tout mieux que tout le monde – font appel aux Belges quand ils ont un problème de compréhension dans cette région”, renchérit, d’ailleurs Filip Reyntjens. Tout en reconnaissant qu’il a “tout fait pour amplifier la crise autour de l’annulation de la conférence”, il ajoute que “cette expertise qu’on nous reconnaît est un atout pour notre pays. Les Grands Lacs, ce n’est pas n’importe quelle région. C’est une région qui a un vrai poids sur la scène internationale et ça va continuer”.

Relations rompues, mais…



Les relations diplomatiques avec le Rwanda restent rompues” (le gouvernement de Kigali a en effet pris l’initiative de rompre ses relations diplomatiques avec la Belgique le 17 mars 2025, NdlR), tranche d’emblée le ministre belge des Affaires étrangères Maxime Prevot (Les Engagés). Il ajoute que “la Belgique a toujours dit regretter cette situation, jugée disproportionnée, et prise dans la foulée des sanctions décidées par l’ensemble des pays de l’Union européenne. Notre pays a toujours dit vouloir privilégier le dialogue et l’ouverture car le Rwanda reste un acteur clé dans la région des Grands Lacs mais aussi car il convient de veiller à la préservation de liens non étatiques (communauté belge, entreprises) et de la coopération judiciaire. Dans cet esprit, des contacts informels et discrets ont pu reprendre ces derniers mois, y compris à un niveau ministériel. L’objectif à court terme n’est pas de relancer les relations bilatérales mais bien d’être à l’écoute des points de vue des uns et des autres, de se parler et d’évacuer d’éventuels malentendus ou de régler des questions pratiques. Dans ce contexte, il a été convenu d’éviter de prendre des mesures qui pourraient être considérées par l’autre partie comme inamicales ou vexatoires, et alimenter un narratif anti-Belge que nous dénonçons.

En diplomate en chef, Maxime Prevot explique encore qu’“à aucun moment il ne s’est agi de juger le professeur ou son travail, ni de blesser l’indépendance de l’institut Egmont. Mais étant financé et hébergé en partie dans les bâtiments du SPF Affaires étrangères, il a été souhaité que ce partenariat ne prête pas à confusion dans le cas d’espèce diplomatique.

Toutes les parties en cause



La position de la Belgique vis-à-vis de la situation à l’Est de la RDC n’a rien à voir avec cette démarche et ne changera pas, précise encore le ministre. Nous continuons à dénoncer les graves violations du droit international humanitaire à l’Est de la RDC commises par toutes les parties, y compris par le M23 soutenu par le Rwanda. Nous l’avons fait récemment encore suite à un massacre attribué au M23 dans le Rutshuru. Nous continuerons aussi à demander le retrait effectif des troupes rwandaises du sol congolais et le plein respect de l’intégrité territoriale de la RDC aussi longtemps que la situation le nécessitera. De même, la RDC ne doit pas s’exonérer de ses besoins de réformes et veiller à ce qu’aucune collaboration avec les FDLR ne puisse exister. Aujourd’hui, la crise humanitaire dans cette région est extrêmement préoccupante et constitue le point de mobilisation principal de la Belgique. Nous pensons que l’Europe devrait à nouveau s’y intéresser, non pas pour sanctionner mais pour créer les conditions d’un acheminement massif de soutiens humanitaires à cette population victime d’exactions terribles et de privations”.

Le ministre réaffirme encore “le soutien de la Belgique aux processus de Doha et de Washington”, entre le gouvernement de Kinshasa et les rebelles de l’AFC/M23 au Qatar, et entre Kinshasa et Kigali aux États-Unis. Il confirme également qu’il a “l’intention de se rendre à Kigali” dans le cadre d’une réunion ministérielle de l’organisation internationale de la francophonie (OIF) prévue au Rwanda à la fin du mois de novembre.

En interdisant en dernière minute cette présentation, le ministère belge des Affaires étrangères a envoyé un message – certes, maladroit – aux autorités rwandaises, complété par une annonce de voyage à Kigali. Pas de quoi normaliser dans l’immédiat les relations entre les deux États mais, peut-être, un début de décrispation si la Belgique parvient à se repositionner sur l’échiquier de l’Afrique centrale, à égale distance de tous les acteurs.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024