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Protais Zigiranyirazo avec son avocat, au Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha, le jour de sa condamnation de première instance à vingt ans d’emprisonnement, le 18 décembre 2008. © Tony Karumba / AFP
Persona non grata de son vivant, Protais Zigiranyirazo le demeure dans l’au-delà. Décédé le 3 août à Niamey, au Niger, où il bénéficiait d’un asile précaire depuis 2021 (tout comme sept autres anciens dignitaires du gouvernement ou de l’armée ayant perpétré le génocide contre les Tutsi en 1994), le frère aîné d’Agathe Habyarimana devait être inhumé ce 28 août à Orléans, la capitale de la région française Centre-Val de Loire, où vit une partie de sa famille.
Aussitôt connu, le scénario de ces funérailles a mis en émoi le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui œuvre depuis le début des années 2000 afin que soient jugés en France les Rwandais, présumés impliqués dans le génocide de 1994, qui y ont trouvé refuge, ainsi que l’association de rescapés Ibuka France. « L’autorisation de telles obsèques laisse apparaître une inquiétante absence de considération pour le risque d’atteinte à la mémoire du génocide des Tutsi », a ainsi fait valoir cette dernière, le 25 août.
« L’ampleur donnée à cette cérémonie fait courir un risque majeur de voir émerger, en plein cœur d’Orléans, un lieu de rassemblement et de pèlerinage pour les nostalgiques du régime génocidaire », ajoute Ibuka France.
Un pilier de l’Akazu
Âgé de 87 ans lors de son décès, l’ancien préfet de Ruhengeri – l’un des principaux bastions des extrémistes hutu avant le génocide – avait été condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en décembre 2008, à vingt ans d’emprisonnement pour génocide et crimes contre l’humanité. Mais en novembre 2009, les juges de la chambre d’appel ont considéré qu’en première instance, leurs collègues avaient « commis des erreurs de droit et de fait qui constituent un déni de justice et invalident le verdict ». Ils ont donc prononcé un acquittement pur et simple en sa faveur.
Une décision perçue comme choquante par les rescapés et par nombre d’experts de ce dossier, au vu des éléments à charge décrivant l’intéressé comme un pilier de l’Akazu, ce petit cercle d’extrémistes hutu considérés comme les organisateurs d’un génocide qui aura causé près d’un million de victimes, essentiellement tutsi. Faute de parvenir à trouver un pays d’accueil, Protais Zigiranyirazo avait donc atterri au Niger au terme d’un accord conclu entre ce pays et l’ONU, dont dépendait le TPIR. De son côté, le Rwanda s’était dit prêt à les accueillir – une option fermement rejetée par les huit Rwandais concernés.
« L’inhumation de Protais Zigiranyirazo sur le territoire communal constitue une offense insoutenable à la mémoire des disparus ». Serge Grouard, Maire d’Orléans
« Pourquoi le gouvernement français a-t-il accepté qu’il bénéficie d’obsèques à grand spectacle le 28 août, en l’église Saint-Paterne d’Orléans, et d’une inhumation au grand cimetière d’Orléans après avoir, avec constance, refusé de l’accueillir de son vivant ? », s’interroge le CPCR dans un communiqué diffusé le 24 août. « On sait qu’un peu partout dans le monde, les tombes des « génocidaires » rwandais et de leurs amis – à commencer par ceux décédés en prison – sont l’objet de pèlerinages », ajoutait l’association.
Manifestement dépassé par l’ampleur de la polémique, le maire d’Orléans, Serge Grouard (Divers droite), n’a pas tardé à faire volte-face. Dans un communiqué publié le 26 août, il a fait savoir que cette « inhumation sur le territoire communal […] apparaît incompréhensible au regard de la gravité des faits qui lui sont reprochés » et « constitue une offense insoutenable à la mémoire des disparus ». Il a donc pris un arrêté d’interdiction, au motif que ces funérailles représentent un « risque grave de troubles à l’ordre public » et en raison de « la possibilité sérieuse que la sépulture devienne un lieu de glorification pour les auteurs et complices du génocide rwandais ».
La cérémonie religieuse annulée
Le même jour, prétextant un « motif d’ordre public », l’édile a donc pris un arrêté retirant l’autorisation d’inhumer Protais Zigiranyirazo dans le cimetière municipal d’Orléans, laquelle avait été accordée le 20 août. De son côté, réalisant lui aussi les répercussions possibles de la cérémonie religieuse initialement prévue en l’église Saint-Paterne, le diocèse d’Orléans a indiqué ce mercredi que « lorsqu’il est parvenu à sa connaissance que le défunt était considéré comme une figure centrale du régime génocidaire rwandais, et par respect pour la mémoire des victimes, Monseigneur Blaquart, évêque d’Orléans, a demandé la plus grande sobriété dans la célébration des obsèques et a notifié des restrictions, notamment qu’il n’y ait ni eucharistie ni témoignages lors de la célébration ».
Rappelant « la condamnation par l’Église de toute forme de crime contre l’humanité, devant le drame du génocide du Rwanda, Mgr Blaquart insiste sur l’importance du repentir et des responsabilités individuelles », a ajouté le diocèse, tout en précisant que « toute personne défunte, quelle que soit sa vie passée, a droit à recevoir une prière pour le salut de son âme, le jugement définitif étant dans les mains de Dieu ».
L’avocat de la famille Zigiranyirazo (qui est aussi celui d’Agathe Habyarimana), Me Philipe Meilhac, a quant à lui indiqué à Jeune Afrique qu’il venait d’introduire une requête en référé-liberté aux fins de solliciter du tribunal administratif d’Orléans la suspension des effets de l’arrêté, sous astreinte. Celle-ci sera examinée en audience publique le 28 août, à 9 heures. « La décision prise hier par le maire d’Orléans, manifestement sous la « pression » d’associations de victimes qui sont en réalité les relais de Kigali en France, outre qu’elle est moralement scandaleuse, est surtout illégale car attentatoire à plusieurs libertés fondamentales reconnues », précise l’avocat.
Le cas de Théoneste Bagosora – décrit comme « cerveau du génocide » et décédé en septembre 2021 à Bamako, où il purgeait sa peine de trente-cinq ans d’emprisonnement – reste en mémoire. Il avait dû être inhumé dans la capitale malienne, aucun pays européen sollicité par sa famille n’ayant accepté d’accueillir sa dernière demeure. Dans le cas de « Monsieur Z », la dépouille mortelle se trouve cependant déjà dans l’Hexagone, rapatriée du Niger, ce qui laisse augurer de nouveaux rebondissements autour de son lieu d’enterrement.