Fiche du document numéro 35283

Num
35283
Date
Vendredi 8 août 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
161121
Pages
5
Urlorg
Sur titre
Disparition
Titre
Du premier cercle du régime génocidaire rwandais à l’exil au Niger, vie et mort de « Monsieur Z »
Sous titre
Décédé à Niamey à 87 ans, Protais Zigiranyirazo fut longtemps un homme puissant au Rwanda. Soupçonné du meurtre de la primatologue Dian Fossey en 1985 puis impliqué dans le génocide des Tutsis en 1994, il s’était exilé au Niger.
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Article de journal
Langue
FR
Citation
Jugé par le TPIR en 2008 puis acquitté à la surprise générale un an plus tard, PZ restera contraint de finir sa vie au Niger. (Tony Karumba/AFP)

De la vaste villa qu’il possédait dans son village natal, il ne reste plus rien. Juste un terrain aplani, d’où émergent quelques grosses pierres désormais camouflées par les herbes folles. De là-haut, la vue est magnifique : un horizon de collines encastrées et luxuriantes qui évoquent un paradis tropical, dans cette région du nord-ouest du Rwanda. Elle est pourtant encore hantée par l’enfer qui s’y est abattu plus de trois décennies auparavant, lors du génocide des Tutsis en 1994. Près d’un million de morts en seulement trois mois. Les paysans du coin le confirment pudiquement : à la fin des massacres, quand les maîtres du pays ont pris la fuite, la maison de «Monsieur Z» a été méthodiquement détruite, comme pour effacer jusqu’à son souvenir.

«Monsieur Z», comme on l’appelait déjà bien avant le génocide, de son vrai nom Protais Zigiranyirazo, est décédé à 87 ans, loin de sa villa, à Niamey, capitale du Niger, au cœur des sables du Sahel, où il avait été contraint à l’exil. L’annonce de sa mort a eu lieu mercredi 6 août. Cet homme autrefois si puissant et redouté, serait décédé trois jours plus tôt.

La maison est effacée, mais ni la réputation, ni le souvenir de cet homme à la carrure large et au regard perçant. Il s’impose comme une figure publique, connu de tous, dès la fin des années 1970 et jusqu’au génocide des Tutsis, dont il reste accusé d’être l’un des architectes. Après l’avoir d’abord condamné à trente ans d’emprisonnement, notamment pour «entente en vue de commettre le génocide», le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé en septembre 1994, va pourtant l’acquitter en appel en 2009.

Ce verdict, justifié par des vices de forme dans la procédure, suscitera l’indignation des associations de rescapés. Mais la décision controversée des juges d’appel tient aussi à cette faiblesse initiale du TPIR : son mandat ne couvre que l’année 1994. Une aberration, car le génocide a été décidé et s’est esquissé bien avant.

«Charismatique, convaincant et menaçant»



Si, lors de son procès, Zigiranyirazo a été accusé par de nombreux témoins d’avoir supervisé plusieurs massacres, d’avoir distribué des armes et orchestré la mise en place de barrages routiers pour arrêter les porteurs de cartes d’identité avec la mention «tutsi», son rôle dans la préparation du génocide remonte à une période bien plus lointaine. Comme son pouvoir de nuisance, au sein d’une clique affairiste et criminelle, regroupée autour de «la famille». Celle-ci, enracinée dans ces collines verdoyantes du nord-ouest du Rwanda, qui va prendre le pouvoir, précipitant le pays dans l’abîme.

Issu d’une lignée déjà puissante localement, «Z» est en effet le grand frère d’Agathe Kanziga, qui épouse en 1963 un jeune officier ambitieux, Juvénal Habyarimana, lui aussi issu de la majorité hutue du pays. Tous sont originaires d’une même petite localité, Rambura, totalement enclavée dans un cercle de collines, qui incite à l’entre-soi.

Dix ans plus tard, en 1973, Habyarimana prend le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat. Son beau-frère, comme plusieurs cousins d’Agathe, vont constituer un cercle étroit de plus en plus influent autour du nouveau président. En 1974, Zigiranyirazo, qui fut d’abord instituteur, est nommé préfet de Ruhengeri, dans le nord du pays, sans aucune expérience administrative.

C’est une région stratégique, proche de l’Ouganda et du Zaïre (l’actuel république démocratique du Congo), lieu de passage de tous les trafics : or, diamants, drogue, ou gorilles des montagnes. «Sous l’autorité du «prince Z», Ruhengeri sera géré comme un Etat dans l’Etat […] il imposera une politique de prédation d’abord localement avant de s’appliquer au pays tout entier», écrit l’historien Andrew Wallis, dans un ouvrage consacré à l’Akazu (1), la «Petite maison» comme les Rwandais désigneront le clan occulte autour du chef de l’Etat.

Protais Zigiranyirazo devant le tribunal pour crimes de guerre du Rwanda, le 3 octobre 2005, à Arusha, pour l'ouverture de son procès. (Kennedy Ndahiro/AFP)

«Charismatique, convaincant et menaçant, Z n’était pas un homme à traiter à la légère», écrit encore Andrew Wallis. Il le présente comme un homme «constamment entouré d’une foule d’épouses, de maîtresses et de douze enfants, qui lui permettaient d’afficher sa prospérité». Un témoin de l’époque, interrogé par l’historien, le décrira pour sa part d’une formule plus lapidaire : «Partout où il allait, il était craint.»

Le meurtre d’une primatologue jamais élucidé



Longtemps, cette crainte, comme les intimidations et exactions du tout-puissant préfet, sont étouffées dans le silence. Mais en 1985, un crime retentissant va pour la première fois l’exposer publiquement. Installée dans la zone des volcans, tout proche de la ville de Ruhengeri, la célèbre primatologue américaine Dian Fossey est retrouvée assassinée à coups de machettes, le 26 décembre 1985. L’un de ses gardes est aussitôt arrêté. Il sera retrouvé mort dans sa cellule dès le lendemain. Un «suicide», concluent les autorités.

Mais tout le monde savait que l’impétueuse primatologue avait annoncé son intention de se confronter au préfet, qu’elle accusait de diriger le lucratif trafic des gorilles, tués, dépecés ou enlevés pour être envoyés dans des zoos. Le meurtre d’un de ses protégés, Digit, avait fini d’ulcérer l’Américaine alors âgée de 48 ans qui menaçait d’user de sa célébrité pour dénoncer l’homme fort de Ruhengeri. Le meurtre de Dian Fossey ne sera jamais élucidé. Il vaudra à «Monsieur Z», ou plutôt son personnage, de figurer au casting de Hollywood, dans le film Gorilles dans la brume, qui en 1988 relatera le combat et la mort de la primatologue.

A la fin des années 80, le Rwanda est toujours sous la coupe prédatrice de l’Akazu. Mais le vent tourne : les difficultés économiques enhardissent les critiques et la contestation du pouvoir. En 1989, Zigiranyirazo est contraint de démissionner de son poste de préfet. Il part poursuivre des études à l’université du Québec. Tout en faisant d’incessants voyages au Rwanda pour s’assurer de sa mainmise dans les affaires du pays. Jusqu’à son expulsion du Canada en 1993, reconnu coupable de menaces de morts contre des Tutsis sur place, qui l’accusaient de surcroît de préparer des massacres.

C’est à cette période, en effet, que l’affairisme prédateur du clan autour de la première dame va sombrer dans une dérive ethniste et criminelle. De plus en plus contesté, Habyarimana a dû se résoudre à accepter le multipartisme, légalisant en 1991 des partis d’opposition virulents face aux dérives du régime.

Nous ou le chaos



Un an plus tôt, un mouvement rebelle surgit au nord-est du pays : le Front patriotique rwandais (FPR), composé d’enfants d’exilés tutsis qui ont fui le Rwanda suite aux pogroms récurrents contre les Tutsis depuis l’indépendance, en 1962. Il demande le retour des exilés, la fin de la stigmatisation de la minorité tutsie, et une authentique démocratisation du pays – comme l’exige également l’opposition hutue.

Acculés sur plusieurs fronts, Habyarimana et l’Akazu vont peu à peu se résoudre au pire : nous ou le chaos. Les assassinats mystérieux – visant notamment des opposants hutus – se multiplient. Des massacres ponctuels de Tutsis sont orchestrés un peu partout dans le pays.

En 1992, c’est un homme du sérail, désormais en rupture de ban, Christophe Mfizi, qui depuis Paris publie une lettre au vitriol bientôt suivi d’un rapport circonstancié. Longtemps proche du président Habyarimana, il dénonce les escadrons de la mort mis en place par ce qu’il nomme «le réseau zéro». Une allusion transparente à Monsieur Z, qu’il soupçonne d’être l’instigateur de ce réseau parallèle et meurtrier. Dans son rapport, il rapportera également la confession du nouveau préfet de Ruhengeri, qui a succédé à Zigiranyirazo : le Président ne contrôle plus rien, «le pouvoir est passé aux mains de la femme et de ses frères».

Le 6 avril 1994, alors que des accords de paix prévoyant le partage du pouvoir ont été signés huit mois plus tôt avec le FPR et l’opposition interne, c’est un Habyarimana affaibli qui se rend à une réunion régionale à Dar es-Saalam, en Tanzanie. Ce jour-là, ses pairs africains le forcent à accepter de mettre enfin en place les institutions de transition qu’il avait toujours bloquées. Au retour, alors que son avion s’apprête à atterrir à Kigali, deux tirs de missiles foudroient le Falcon 50 présidentiel. L’attentat n’a jamais été revendiqué, mais il donne le signal du début des massacres. Tous les leaders de l’opposition hutus sont immédiatement assassinés, alors que commence l’extermination des Tutsis.

Devenu apatride



Dans la villa présidentielle, où sont emmenés les corps des passagers du Falcon 50, Protais Zigiranyirazo et sa sœur Agathe auraient dressé des listes de personnes à traquer et tuer, se réjouissant à l’annonce de chaque mort, selon les témoignages des deux filles du docteur personnel d’Habyarimana – lui aussi tué dans l’avion – retranscrits sur PV devant l’auditorat militaire belge fin 1994. Elles se rétracteront par la suite, et l’omerta s’imposera parmi les membres de l’Akazu. Evacuée dès le 9 avril par la France, Agathe s’est réfugiée en France où le statut de réfugiée lui sera refusé, et où elle se trouve toujours sans statut légal mais sous le coup d’une procédure judiciaire ouverte en 2007.

Quand le FPR finit par chasser les forces génocidaires hors du pays et prendre le pouvoir, Z s’est lui aussi enfui. Il sera démasqué en 2001 dans un centre de réfugiés à Bruxelles, porteur d’un passeport sénégalais. Aussitôt arrêté et transféré à Arusha en Tanzanie, au siège du TPIR dans l’attente de son procès.

Son acquittement aurait pu être sa victoire. Il sera sa malédiction. Car aucun pays n’accepte de l’accueillir. Notamment la France et la Belgique, pays où se sont pourtant installés ses proches, et qui lui refuseront le visa pour cause de «risques de troubles à l’ordre public». Poursuivi par sa réputation sulfureuse, l’ex-baron du régime se voit alors contraint de rester vivre à Arusha, aux frais de l’ONU, avec sept autres acquittés, jugés tout aussi indésirables par le reste du monde.

En novembre 2021 le Niger accepte, à la demande pressante de l’ONU, d’accueillir ces hommes vieillissants, devenus de facto apatrides. On les y envoie, sans vraiment régler le fond du problème, et sans avertir les nouvelles autorités rwandaises qui vont s’en offusquer. En vain.

En 2023, l’un d’eux va décéder le premier, dans cette résidence sous surveillance policière, dont ils n’ont pas le droit de sortir, dans un quartier ironiquement baptisé Dar es-Salaam. Du nom de la ville tanzanienne d’où était parti Habyarimana juste avant l’attentat contre son avion.

Cette fois c’est au tour de Monsieur Z de quitter la scène, après s’être retrouvé prisonnier de son destin, poursuivi par son passé. Loin de chez lui, de cette maison incarnant le cercle d’un pouvoir prédateur devenu identitaire, et qui n’existe plus.

(1) Stepp’d in Blood («J’ai marché dans le sang»), Andrew Wallis, édition anglaise, Zero Books, 2019.
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