Cet épisode des "Infox de l'histoire" nous plonge au cœur de l'instrumentalisation médiatique la plus meurtrière de l'histoire moderne : la Radio-Télévision des Mille Collines (RTLM). Fondée en avril 1993 à Kigali par des proches du président rwandais, cette radio a été un vecteur de haine redoutable, dressant la majorité Hutu contre la minorité Tutsi. Qualifiée d'"
instrument d'un génocide", elle a non seulement incité à la haine mais a également fourni aux assassins les noms, adresses de leurs victimes et des méthodes pour les tuer, désignant les Tutsi comme des "
cafards". Son rôle a été "
considérable" dans le massacre de plus de 800 000 Rwandais en seulement trois mois.
Le prélude à cette horreur remonte au 6 avril 1994, à 22h22, lorsque l'avion du président Juvénal Habyarimana est touché par un missile et s'écrase, tuant les deux chefs d'État rwandais et burundais. Cet événement tragique déclenche l'escalade, mais le conflit est bien plus ancien. Florent Piton, historien et spécialiste de l'Afrique, explique que les catégories Hutu et Tutsi étaient initialement "
labiles, fluides" avant la colonisation, puis "
réinvesties à l'époque coloniale, elles sont systématisées et surtout elles sont racialisées". Après l'indépendance en 1962, les Hutu ont accédé au pouvoir, entraînant des persécutions contre les Tutsi, et de nombreux exils, notamment vers l'Ouganda où fut créé le Front Patriotique Rwandais (FPR). Le FPR, composé de réfugiés de la seconde génération, a choisi la lutte armée en 1990 face à l'impossibilité d'un retour politique, marquant le début d'une guerre civile. C'est dans ce contexte que la RTLM est créée "
au sein des cercles proches de deux parties qui sont en fait deux parties proches de la mouvance présidentielle", agissant comme la "
transposition radiophonique" d'un journal préexistant,
Kangura, déjà un "
principal relais des discours antitutsi".
Dès l'annonce de la mort du président Habyarimana, la RTLM et Radio Rwanda (la radio officielle) deviennent les "
deux principaux relais de la logique d'extermination". La RTLM se distingue par son efficacité, "
au contact entre ces deux zones", combinant une logique verticale (de l'État) et horizontale (des voisins). Elle a diffusé un "
discours complotiste antitutsi", désignant des cibles précises et appelant ouvertement au massacre : "
Prenons les gourdins, les bâtons, les haches, allons les traquer pour les empêcher de détruire notre pays". L'archive glaçante où un animateur enjoint ses auditeurs à "
massacrez-le après avoir tiré sur vos joints" illustre la perversité de la station. RTLM a même été qualifiée de "
réseau social" de l'époque, diffusant des listes de noms et adresses de victimes, car comme le souligne Florent Piton, "
ces listes de noms qui sont proclamées à la radio, ils sont le témoignage aussi de ce rôle central joué par les voisins". Les milices, notamment les Interahamwe, mouvement de jeunesse du parti présidentiel, ont joué un rôle clé, le génocide n'étant pas une "
logique de massacre spontané et bien de massacre organisé par des institutions politiques". Les massacres se sont caractérisés par une violence inouïe : "
des femmes, des enfants, même des femmes enceintes qui sont éventrées pour qu'on tue les fétus. Il y a des viols", dans une "
logique génocidaire" visant à empêcher la "
perpétuation possible du groupe". Malgré les signes précurseurs et la présence de la MINUAR, l'ONU est restée largement impuissante, dans un contexte post-Somalie et de divergences au sein du Conseil de Sécurité. La France, malgré son opération Amaryllis pour l'évacuation des ressortissants, a fait face à des critiques pour son rôle ambivalent, d'autant que l'opération Turquoise, menée plus tard, fut perçue par les génocidaires comme une intervention d'alliés. L'ampleur du génocide est vertigineuse : l'ONU a estimé 800 000 victimes, mais des enquêtes rwandaises évoquent plus d'un million, avec "
75 % les trois-quarts des Tutsi" ciblés, dont "
le tiers de ces victimes sont des enfants de moins de 15 ans" et "
près de la moitié des victimes sont des femmes". Après le génocide, les responsables de RTLM ont connu des destins variés : certains sont morts en exil, d'autres comme Valérie Bemeriki ont été jugés et condamnés à perpétuité au Rwanda, ou par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
Avec "Les infox de l'Histoire", la quatrième saison du podcast de la Fondation Descartes en partenariat avec franceinfo, voyagez à travers les époques au cœur des grands épisodes de désinformation. Patrice Gélinet et ses invités exposent et analysent les infox qui ont défrayé la chronique de l'antiquité à nos jours. Complotisme, désinformation, rumeurs, calomnies, emballements médiatiques… Une quatrième saison de huit épisodes pour décrypter les mensonges de l'Histoire.
Journaliste : Patrice Gélinet | Réalisation : Somany Na | Prise de son et mixage : Guillaume Le Du | Attachée de production : Juliette Marcaillou | Documentaliste INA : Emilie Lacot | Une production de Radio France Studios