La diplomatie du sport s'impose peu à peu comme un levier d'influence assumé sur le continent africain. La République démocratique du Congo (RDC) s'apprête à conclure un accord avec l'AS Monaco pour promouvoir son image touristique sous le slogan
Experience DRC, un partenariat estimé à 4,8 millions d'euros, porté par le ministre des Sports. La Côte d'Ivoire, de son côté, a noué un partenariat durable avec l'Olympique de Marseille autour du programme
Sublime Côte d'Ivoire, lancé en 2023 et prolongé jusqu'en 2030, avec à la clé la création d'un centre de formation pour les jeunes à Abidjan. Dans ces deux cas, le recours au sport ne se limite pas à un flocage de maillots : il s'inscrit dans une stratégie de rayonnement, de projection et d'opportunités concrètes.
Pourquoi alors un tel acharnement contre
Visit Rwanda ? Apposé sur les maillots d'Arsenal, du PSG, du Bayern Munich et plus récemment de l'Atlético de Madrid, ce programme de valorisation touristique est devenu en France la cible de pétitions, de manifestations et de prises de position politiques, au motif du rôle prêté au Rwanda dans la crise à l'est de la République démocratique du Congo. Personne ne minimise la gravité de la situation au Kivu, ni la nécessité d'un engagement diplomatique à sa mesure. Mais faut-il pour autant condamner en bloc une stratégie économique menée depuis des années, sous prétexte qu'elle dérange ? Réduire ces politiques à du "sportwashing", c'est refuser de les évaluer pour ce qu'elles sont : des outils de développement, d'image, et parfois d'émancipation.
Une question de développement économique
L'exemple de
Visit Rwanda l'illustre parfaitement. Cette campagne a été lancée dès 2018, bien avant la résurgence des tensions dans l'est de la RDC. Elle constitue avant tout le bras de promotion externe du Rwanda Development Board (RDB), une agence publique chargée depuis 2009 de piloter les secteurs clés de l'économie rwandaise. Aux côtés des partenariats avec le football européen, le RDB a engagé le pays dans une stratégie d'attractivité globale : sponsor et hôte de la Basketball Africa League, organisation du Tour du Rwanda, accueil du Championnat du monde de cyclisme en 2025, ambitions d'un Grand Prix de Formule 1.
Que condamne-t-on exactement ? L'idée qu'un pays africain puisse, comme tant d'autres, construire son développement par le tourisme et le sport ? Derrière cette campagne, ce ne sont pas des slogans, mais des emplois, des revenus, des vies. Guides, hôteliers, cuisiniers, chauffeurs, serveurs, agents aéroportuaires et tant d'autres métiers... : ils sont des centaines de milliers à vivre d'un secteur devenu, en dix ans, l'un des moteurs économiques du pays. Pourtant, voilà les réflexes du néocolonialisme : celui qui entend toujours juger ce qui serait convenable ou non pour les pays africains.
L'ambition touristique rwandaise relèverait donc d'un affichage opportuniste ? Ne serait-ce pas plutôt la mobilisation générale d'un peuple qui, trente ans après le génocide des Tutsis, continue de se reconstruire par la cohésion, l'ouverture et le labeur ? Car le tourisme représente aujourd'hui près de 10 % du PIB du Rwanda, soit plus de 600 millions de dollars par an, assurant un emploi à plus de 200 000 personnes. En 2023, le seul tourisme d'affaires a généré 95 millions de dollars, une somme colossale pour une économie émergente. Construction d'infrastructures, déploiement des services, préservation de l'artisanat, mise en valeur et entretien du patrimoine naturel. Ce sont tous les pans de la société qui portent et incarnent
Visit Rwanda.
Récits collectifs
En s'associant à des clubs de football parmi les plus exposés au monde, Kigali utilise un langage universel, capable de porter une histoire, de susciter de la curiosité, et d'installer un pays dans les imaginaires globaux. Le partenariat avec Arsenal, qui a permis de tripler le nombre de touristes britanniques, démontre les retombées concrètes. Depuis le traité d'Amsterdam (1997), l'Union européenne reconnaît au sport une fonction sociale et identitaire. En 2020, le rapport des Nations Unies, intitulé
Le sport, catalyseur de la paix et du développement durable pour tous à l'échelle mondiale, insiste sur son effet structurant dans les pays émergents, en matière d'autonomisation, de paix sociale et d'investissement local. C'est une démarche égale à celle d'autres nations : le Qatar avec la Coupe du monde en 2022, la Côte d'Ivoire avec la Coupe d'Afrique des nations en 2023, ou encore la France avec les Jeux olympiques et paralympiques en 2024.
À ce titre, le Rwanda ne fait que suivre une méthode largement éprouvée. Le sport, depuis longtemps, accompagne les moments de bascule. Il donne forme à des récits collectifs, crée des points de contact là où la parole politique échoue. Jesse Owens défiant les doctrines raciales à Berlin en 1936, Mohamed Ali dénonçant la guerre au Vietnam en 1966, Nelson Mandela fédérant une nation post-apartheid autour du rugby en 1995 : tous ont incarné, à leur manière, cette capacité du sport à élargir le champ du possible. Dans un registre plus contemporain, le partenariat entre le Rwanda et le PSG a permis de former plusieurs centaines de jeunes auprès de leurs idoles, et offert à l'équipe U13 rwandaise une victoire en Coupe du Monde des académies en 2022. Une manière simple de montrer que ces engagements forment, ouvrent des portes, et changent des vies.
Le débat est légitime. Mais il ne saurait réprouver l'effort d'un pays qui cherche à écrire un nouveau chapitre de son histoire. Le sport, parce qu'il touche à l'émotion, à l'imaginaire et à l'espoir, est un formidable vecteur de projection.
Visit Rwanda n'est pas un slogan. C'est une stratégie assumée, avec ses résultats, ses limites, mais aussi son potentiel. Ce qui mérite critique, c'est ce qui est fait -- ou non -- sur le terrain. Pas le fait qu'un pays choisisse, comme tant d'autres, de se faire entendre dans un monde qui regarde rarement l'Afrique autrement que via ses crises.