Sur la scène internationale, l’Ukraine n’est pas le seul pays où Donald Trump prétend jouer les arbitres pour faire cesser la guerre. Dans le conflit qui empoisonne l’est de la République démocratique du Congo, vaste région, désormais largement sous le contrôle d’un groupe rebelle l’AFC-M23, soutenu par le petit Rwanda voisin, le président américain fait pression pour obtenir un cessez-le-feu entre le gouvernement congolais et les rebelles. Mais aussi pour obtenir la signature d’un accord de paix entre Kinshasa et Kigali. Ce qui incite chacun des protagonistes tente de s’attirer les faveurs de l’hôte de la Maison Blanche.
Cette semaine, c’est le Rwanda qui a dégainé une offre de nature à plaire au président américain. Lundi 5 mai, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, a confirmé sur la chaîne France24, être en négociation avec Washington pour accueillir des migrants expulsés des Etats-Unis, confortant ainsi l’une des pires promesses faites par Trump à son électorat. Bien que le ministre rwandais se soit montré prudent, évoquant
«des discussions non finalisées», l’accueil de migrants, jugés ailleurs indésirables, est une carte stratégique déjà largement utilisée par ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs.
Parfois pour la bonne cause, comme lors de l’accord conclu en 2019 et renouvelé l’an passé avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) qui a permis en cinq ans d’extirper des centaines migrants des geôles libyennes et de les réinstaller au Rwanda, le temps de l’examen de leurs dossiers d’asile. Ou comme l’accueil en 2021 de toute une école de jeunes Afghanes, arrivées au Rwanda après le retour au pouvoir des talibans à Kaboul.
Mais parfois le deal semble bien plus douteux, agissant comme un levier de soutien diplomatique au mépris des droits des demandeurs d’asile. C’est ce qui avait justifié le tollé suscité par l’accord négocié en 2022 entre Londres et Kigali pour évacuer vers le Rwanda, des migrants clandestins, détenus en Grande Bretagne. Le projet sera abandonné après l’élection de Keir Starmer en 2024.
Minerais convoités
Une collaboration entre les Etats-Unis et le Rwanda pour déporter, au cœur de l’Afrique, des migrants qui n’ont aucune envie de s’y retrouver, devrait susciter le même tollé. Surtout, rien ne garantit le succès d’une telle concession à un président américain versatile et soucieux de défendre ses propres intérêts avant tout.
La RDC l’a d’ailleurs appris à ses dépens. Car c’est le président congolais, Félix Tshisekedi qui a tenté le premier d’impliquer Trump dans ce conflit, vieux de plus de trente ans. Lequel a connu depuis janvier un basculement décisif avec la déroute des forces armées congolaises, pourtant soutenues par un millier de mercenaires occidentaux, les forces burundaises, celles venues d’Afrique australe via un accord régional. Sans oublier les
«wazalendos» (
«patriotes»), issus des innombrables autres milices armées qui pullulent dans cette région. Impressionnante mais hétéroclite, cette coalition n’a pas pu arrêter l’offensive des rebelles de l’AFC-M23, épaulés par près de 4 000 soldats rwandais, selon l’ONU. Cette rébellion antigouvernementale, qui exige le départ de Tshisekedi, semble durablement installée sur un territoire de près de 50 000 km
2, peuplé de dix millions d’habitants.
L’échec de l’option militaire, longtemps la seule privilégiée par Kinshasa, a conduit le président congolais à chercher des soutiens extérieurs. Fin février, il révèle au
New York Times avoir proposé un deal à l’administration Trump : un accès privilégié aux immenses richesses minières de son pays. Kinshasa multiplie dans la foulée les invitations à venir sur place, tout en envoyant de nombreuses délégations à Washington pour faire miroiter des contrats juteux, la RDC regorgeant de ressources essentielles pour les portables et les voitures électriques (coltan, cobalt et étain notamment).
Jusqu’à présent, Trump ne s’était pourtant guère intéressé au sort des pays africains, qu’il avait même traité de
«shitholes countries» (
«pays de m...») lors de son premier mandat. Mais comme en Ukraine, les réserves minières stratégiques constituent un appât évident pour la Maison Blanche. Deux émissaires américains vont donc se succéder en RDC, qui se rendront également au Rwanda voisin. Le résultat va se révéler dévastateur pour Kinshasa.
Délabrement
Le premier émissaire, Ronny Jackson, n’a qu’un rôle officieux. Mais de retour aux Etats-Unis, cet ancien médecin du président américain, qui est à la tête du sous-comité du renseignement à la Chambre des représentants, a livré une analyse au vitriol, le 25 mars devant la commission des Affaires étrangères. Qualifiant la RDC de
«far west» et dénonçant
«l’enrichissement des membres du gouvernement et de leur famille, alors que la population meurt de faim et vit dans des conditions horribles».
Deux semaines plus tard, c’est le véritable conseiller pour l’Afrique de Trump qui débarque à Kinshasa puis au Rwanda. Né au Liban, Massad Boulos a longtemps vécu au Nigeria mais il est surtout le beau-père de Tiffany Trump, l’une des filles du président américain qui a épousé son fils.
S’il a été moins prolixe que Jackson, Boulos en partage le constat. En réalité, n’importe quel visiteur qui se rend à Kinshasa est confronté, dès la sortie de l’aéroport, au délabrement d’un pays qui regorge pourtant de richesses. Selon la Banque Mondiale, près de 75 % de la population se trouve sous le seuil de pauvreté en 2024, alors qu’un député touche plus de 20 000 dollars par mois.
Au Rwanda, Massad Boulos a été invité à rencontrer d’ex-membres des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, récemment arrêtés en RDC avant d’être transférés dans un centre de démobilisation au Rwanda. Ce groupe armé, allié à l’armée congolaise, regroupe les derniers nostalgiques du génocide des Tutsis au Rwanda. En exil de l’autre côté de la frontière, le groupe a continué à propager un discours anti Tutsi, sans jamais renoncer à reprendre le pouvoir au Rwanda. Pour Kigali, c’est une menace qui justifie son implication en RDC.
Trump force la main de Tshisekedi
La survie des Tutsis, Rwandais ou Congolais, n’est certainement pas de nature à émouvoir Donald Trump. En revanche, l’efficacité économique du petit Rwanda, qui est doté d’un système bancaire fiable et de raffineries pour transformer l’or, le coltan ou l’étain, a forcément pesé dans la balance pour s’impliquer. D’autant qu’au même moment, les innombrables délégations congolaises dépêchées à Washington n’ont pas réussi à convaincre l’administration Trump, selon
Africa Intelligence, alors que demeure, écrit le site,
«la question de la corruption, ainsi que l’immixtion dans les mines congolaises de personnalités exposées, notamment l’entourage familial du président».
Invité à l’origine par Kinshasa à s’impliquer dans la guerre au Congo, Donald Trump va donc finir par forcer la main de la RDC. Convoqués le 25 avril à Washington, les ministres des Affaires étrangères congolais et rwandais ont signé
«une déclaration de principes». Laquelle réaffirme le
«respect de l’intégrité territoriale», sans que jamais la présence de l’armée rwandaise à l’est du Congo ne soit mentionnée et encore moins condamnée.
En revanche, le texte invite à une coopération entre les deux frères ennemis pour gérer les parcs nationaux transfrontaliers mais aussi les ressources minières. Les minerais extraits au Congo avant d’être transformés au Rwanda ? C’était déjà une idée formulée par Nicolas Sarkozy en 2009, qui n’avait pas eu de suite. Aujourd’hui, cette éventuelle coopération bat en brêche la théorie du président Tshisekedi sur le pillage des ressources de son pays par son petit voisin.
«Mais il n’a plus le choix. Il est acculé. Son armée est en déroute, son bilan est désastreux. Même à Kinshasa, il n’y a plus que sa famille et son ethnie pour le soutenir, constate Basile Diatezwa, politologue congolais aujourd’hui en exil, qui fut l’un des leaders du parti fondé par le père de Félix Tshisekedi, avant de s’en éloigner
. Les évêques, l’opposition, réclament tous un dialogue national qui aboutirait fatalement à son départ du pouvoir. Dans ce contexte, s’il s’oppose au processus de paix initié par les Américains, il sera d’autant plus rapidement éjecté.»
Trêve dans l’est ?
La déclaration signée à Washington a été suivie de propositions des deux parties le 2 mai dont rien n’a filtré. Elles pourraient permettre de déboucher sur un accord de paix à la mi-juin.
«Nous avons d’excellentes nouvelles à venir concernant le Rwanda et le Congo, et je pense que la paix va s’installer», s’est réjoui Trump le 28 avril, en commentant ce deal surprenant qui remet en selle le Rwanda. Deux mois plus tôt, Kigali était pourtant sous le feu des critiques : condamné pour son soutien aux rebelles congolais par le Conseil de sécurité de l’ONU puis par une motion au Parlement européen.
Ce n’est pas la seule couleuvre qu’a dû avaler le président congolais. Deux jours avant la signature du pacte de Washington, le 23 avril, une
«déclaration conjointe» a été adoptée, au forceps, à Doha, au Qatar entre les rebelles de l’AFC-M23 et le gouvernement congolais. Dans des termes encore très vagues, le texte évoque une volonté commune
«de travailler pour œuvrer à la conclusion d’une trêve devant permettre l’instauration d’un cessez-le-feu effectif». Tshisekedi avait jusqu’alors toujours refusé de négocier en direct avec des rebelles, qu’il qualifiait de
«terroristes» ou de
«pantins du Rwanda», des termes désormais proscrits, la rébellion devenant un interlocuteur légitime.
L’implication du Qatar dans ce conflit peut surprendre
«mais Doha marche en réalité avec les Etats-Unis. Et c’est aussi un pays qui a beaucoup investi dans cette région d’Afrique, et notamment au Rwanda», rappelle Steve Wembi, célèbre journaliste congolais, dubitatif face à cette redistribution des cartes :
«Nous sommes encore loin de la paix. Le régime congolais vient d’acquérir des drones chinois qui permettraient de toucher l’est du Congo depuis Kinshasa. Et la rébellion reste l’arme au pied, avançant encore village par village, prête à repartir au combat de façon plus massive en cas de remise en cause des négociations.»