Fiche du document numéro 35057

Num
35057
Date
Février 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
347217
Pages
5
Urlorg
Titre
L’APHG au Rwanda : l’éducation en acte
Sous titre
Paris, un petit matin de septembre 2022, environ 20 personnes prennent ensemble le premier avion qui nous mènera quelques heures plus tard à Kigali. Tous ont un objectif : participer à un colloque international franco- rwandais intitulé : « Savoirs, sources et ressources sur le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda ». Parmi eux, deux membres de l’APHG : Daniel Micolon et moi- même, Yveline Prouvost, responsable de l’Atelier Lycée, invités par Vincent Duclert, président de la commission chargée de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi et auteur d’un rapport remis le 26 mars 2021 au Président de la République. Notre mission : représenter l’enseignement du génocide sur place, collecter des donner, créer des liens et des contacts… C’est tout cela dont je me dois de vous faire le bilan.
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Par Yveline PROUVOST*

L’APHG au Rwanda : l’éducation en acte
Paris, un petit matin de septembre 2022, environ 20 personnes prennent ensemble le premier avion
qui nous mènera quelques heures plus tard à Kigali. Tous ont un objectif : participer à un colloque
international franco- rwandais intitulé : « Savoirs, sources et ressources sur le génocide perpétré
contre les Tutsi au Rwanda ».
Parmi eux, deux membres de l’APHG : Daniel Micolon et moi- même, Yveline Prouvost, responsable
de l’Atelier Lycée, invités par Vincent Duclert, président de la commission chargée de recherche sur
les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi et auteur d’un rapport remis
le 26 mars 2021 au Président de la République.
Notre mission : représenter l’enseignement du génocide sur place, collecter des donner, créer des
liens et des contacts… C’est tout cela dont je me dois de vous faire le bilan.
Le colloque s’est tenu entre Kigali et Huye-Butare
du 11 au 19 septembre dernier et a réuni plus d’une
centaine d’intervenants de tous horizons sous la double
présidence de Vincent Duclert et du Professeur Charles
Kabwete Mulinda de l’Université du Rwanda. Parmi ces
intervenants, quelques membres de la commission
de recherche qui a produit le rapport tels Raymond
Kévorkian, Françoise Thébaud ou Chantal Morelle.
Les participants1 proviennent en effet de très nombreux
domaines de recherche ou d’action : chercheurs en histoire,
en anthropologie, en sociologie, en politiques sociales, mais
aussi juristes, politistes ou hommes politiques, chercheurs
en littérature ou en philosophie, membres d’associations2,
ou rescapés témoins des faits3.
Par ailleurs, nous sommes tous, aussi, de différents horizons
géographiques : français, rwandais, anglais, américains…
Ce colloque s’est tenu en différents lieux, tous symboliques.

Tout d’abord à Kigali, lieu d’arrivée de la délégation
française, l’inauguration du colloque s’est déroulée dans un
mémorial du génocide situé à Kigali : le mémorial de Gisozi.
Dès le lendemain de l’inauguration, les conférences se sont
déplacées à Butare, ville de l’Université du Rwanda, une des
régions qui abritait de nombreux Tutsi avant le génocide et
où celui-ci a été particulièrement meurtrier. C’est là, au sudouest du pays, que se sont déroulées la plus grande partie
des travaux réflexifs, ponctués, là encore, de moments
intenses de recueillement à Butare même, puis au sein du
mémorial de Murambi.
Le colloque s’est ensuite de nouveau déplacé à Kigali pour
les derniers jours. Quelques conférences ont eu lieu « Chez
Lando », un hôtel particulièrement symbolique, lieu de
rencontre de l’opposition politique avant le génocide. Elles
ont débuté par un vibrant hommage de sa sœur, AnneMarie Kantengwa, à Landoald Ndasingwa, surnommé
Lando4 , témoignant de la mémoire encore très vive du

* Professeur au Lycée Baudelaire de Roubaix. Présidente de la Régionale de Lille et responsable de l’Atelier Lycée de l’APHG.
1
Difficile de synthétiser : il est impossible de nommer tout le monde, mais nommer l’un sans évoquer l’autre est tout aussi complexe : un certain
nombre de personnes apparaîtront donc dans cet article et je prie de bien vouloir me pardonner ceux qui n’y figurent pas : les interventions, les
échanges furent tous plus passionnants les uns que les autres, que ces omissions permettent simplement aux lecteurs le plaisir de la découverte
lorsque les actes du colloque paraîtront.
Je fais donc le choix de vous renvoyer sur le programme de ce colloque en suivant le lien : https://univ-droit.fr/recherche/actualites-de-la-recherche/
manifestations/45510-savoirs-sources-et-ressources-sur-le-genocide-perpetre-contre-les-tutsi-au-rwanda, ainsi qu’aux actes qui seront publiés en 2023.
2
Diverses associations ont été représentées telles Aegis trust, association internationale qui travaille sur la mémoire des génocides, le Collectif des
Parties Civiles pour le Rwanda, nous-mêmes APHG, etc…
3
Plusieurs rescapés ont pris la parole au cours du colloque, comme Mme Spéciosa Kanyabugoyi, M. Vénuste Kayimahe, Mme Adrienne Mukatako,
Mme Odette Sagahutu, M. Jean Pierre Sagahutu.
4
Vice-président du parti Libéral, fondateur d’un hôtel nommé « Chez Lando » à Kigali, ministre du Travail et des Affaires sociales dans le gouvernement
de transition d’Habyarimana, mis en place à la suite des Accords d’Arusha. Il fut l’une des premières victimes du génocide, ainsi que sa femme et
ses enfants, le 7 avril 1994. Le lieu, demeuré un hôtel géré par une des sœurs de Lando, Anne-Marie Kantengwa, reste un lieu important de mémoire.

n° 461

Historiens & Géographes

33

génocide5. La délégation a aussi été accueillie au Centre
culturel francophone de Kigali au cours d’une soirée
mémorable6, ainsi que, le dernier jour, à la résidence de
l’Ambassadeur de France au Rwanda.
Les dernières interventions, ont pu réunir Vincent
Duclert, Stéphane Audouin Rouzeau, Hélène Dumas,
mais aussi Robert Muse, président de la commission
nommée par le Rwanda afin d’enquêter sur le rôle de
la France dans le génocide en même temps que la
commission française.

cœur de la réflexion, et surtout de mieux comprendre les
spécificités de ce génocide dans toutes ses dimensions.
Des interventions ont ainsi abordé l’ensemble du
contexte historique du pays, tout ce qui a rendu possible
le génocide, comme la racialisation progressive de la
société rwandaise dès les années 50 ou 609.
Découvrir les lieux même du génocide est édifiant.
Il peut être difficile pour nous, étudiant le sujet
sans jamais avoir quitté l’Europe, de comprendre
pourquoi il semblait impossible de se cacher dans les

De g. à d. R. Muse, J.P. Kimonyo, V. Duclert lors d’une table ronde
le 18/09/2022.

Autre particularité de ce colloque : il a, dès le départ,
l’ambition de devenir à son tour un moment d’histoire.
Les interventions ont toutes, ou presque toutes, été
enregistrées, voire filmées7 et une réalisatrice française8
nous a accompagnés, enregistrant continuellement des
rushs qui seront conservés à fin d’archives.
Dès l’ouverture, le ton du colloque est donné : entre
représentation officielle, avec des interventions
enregistrées des présidents Paul Kagame et Emmanuel
Macron en présence de représentants politiques rwandais
et français, communications scientifiques, et partage de
la mémoire du génocide grâce à des témoignages et
commémorations sur des sites mémoriaux
L’ampleur du programme n’a pas toujours permis autant
de moments de partage, voire de discussions, que
nombre d’entre nous auraient souhaité, il a néanmoins
rendu possible des rencontres qui sans cela n’auraient
jamais été.
Pour nous, représentants de l’APHG, il nous a permis
d’entrer en contact direct avec la recherche en action, au

Exemple de campagne au Rwanda, photographie prise sur la route de
Butare à Kigali le 17/09/2022.

« campagnes », quand nous ne voyons la campagne
que comme un espace vide d’hommes. Or la campagne
au Rwanda est une « campagne pleine » : la majeure
partie de la population rwandaise y vit. Toutes les terres
sont utilisées et sur les collines, la moindre parcelle de
terre est cultivée en terrasse du haut en bas, et jusqu’au
bord des routes. Chaque colline forme une sorte de
microcosme où chacun se connaissait et connaissait
son voisin, ainsi que sa famille. Comment dans ces
conditions envisager de pouvoir se cacher ? C’est ainsi
que le bilan terrible peut aussi se comprendre.

Il est d’ailleurs important de noter qu’une autre des soeurs de Lando est Louise Mushikiwabo, nommée secrétaire générale de l’OIF en 2019.
Cette soirée a là aussi été entièrement filmée et enregistrée. Elle a été diffusée au Rwanda.
7
Pour exemple : diffusion sur You Tube de la journée d’inauguration du colloque le 11/09/2022 : https://www.youtube.com/watch?v=9Z7fZm1UBn4
8
Impossible de ne pas nommer Zélia Devooght qui a été notre compagne de tous les instants, souriante, discrète et si efficace.
9
Plusieurs interventions sur ce point, en particulier celles de Marcel Kabanda.
5
6

34

Historiens & Géographes n° 461

Les perspectives historiques apportées par les différents
chercheurs éclairent aussi le champ des massacres
précédents des Tutsi au Rwanda, posant même la question,
au moins dans certaines régions du Rwanda, de génocides
préalables, même si les chercheurs restent divisés sur ce
point. C’est d’ailleurs ici aussi toute la richesse de telles
rencontres que la confrontation de points de vue divergents.
De même, la recherche rappelle à quel point « Hutu » et
« Tutsi » vivent ensemble dans les villages, s’entraidant, se
mariant entre eux. Lorsque le génocide se déclenche et que
les Tutsi deviennent des cibles, il est impossible de pouvoir
y échapper sans une aide extérieure, l’aide d’autres voisins.
Là encore, ce colloque a permis de faire le point sur ce
phénomène.
L’aide extérieure a été limitée, et nombre de personnes n’ont
été protégées que de façon très temporaire, livrées aux
bourreaux par les mêmes qui prétendaient un temps les
protéger10.
Mais il est de véritables « Justes » rwandais qui ont
réellement protégé, fait fuir et sauvé des Tutsi. Des parcours
individuels ont été évoqués, dans toute leur complexité.

la diffusion de la mémoire du génocide, les mémoires du
génocide et les traumas du génocide.
Certains intervenants ont fait partie des premiers décideurs
des politiques mémorielles ou éducatives autour de ce
génocide.
Autres thèmes importants : celui de la lutte contre le
négationnisme14 et celui de la réconciliation nationale, qui
sont tous deux au cœur de la politique rwandaise actuelle et
dont les enjeux complexes apparaissent clairement.
La justice a aussi été l’objet de réflexions intenses au cœur
du colloque. Des interventions ont permis d’aborder les
tribunaux Gacaca, mais aussi tous les combats récents de
la justice, en particulier les poursuites actuelles contre les
génocidaires réfugiés à l’étranger15.
Comme l’indiquait le titre du colloque, le problème des
ressources, des archives, a lui aussi fait l’objet de différentes
communications. Les participants au colloque ont même
pu découvrir le centre de traitement des archives d’Ibuka à
Nyanza, lieu de commémoration à Kigali.

De riches réflexions ont aussi été envisagées autour
d’une approche genrée du génocide : création de mythes
autour de la femme Tutsi avant le génocide, femmes
cibles particulières des génocidaires, femmes victimes de
violences spécifiques11, mais aussi, femmes coupables
d’actes génocidaires12.
Le rôle de la France lors du génocide a lui aussi été évoqué.
Certains chercheurs présents au colloque travaillent ces
questions depuis très longtemps13 Cependant, désormais
le sujet est au cœur des préoccupations, avec une parole
ouverte côté français comme côté rwandais, même si l’on
ne peut parler de consensus, ce qui est le sens même de
toute recherche.
Autre piste de réflexion : les enjeux mémoriaux. De
nombreux chercheurs travaillent autour des mémoires
et de la mémoire du génocide, et les problématiques sont
nombreuses : ce qui a présidé aux choix de création des
mémoriaux, l’organisation des mémoriaux, le rôle des
associations, le rôle du gouvernement dans la préservation,

Centre de traitement des Archives d’Ibuka, Nyanza, Kigali, 19/09/2022.

Plusieurs interventions ont porté sur ce point. On notera par exemple les recherches de J. P. Kimonyo ou celles de François Masabo.
Voir ici, par exemple, les travaux de Liberata Gahongayire.
12
Sur ce point, on pourrait citer la présence de Violaine Baraduc, jeune anthropologue qui vient de soutenir sa thèse sur les femmes génocidaires,
co-auteur d’un superbe film documentaire intitulé A mots couverts, et Juliette Bour qui achève sa thèse sur les femmes de pouvoir qui ont cautionné
ou dirigé le génocide.
13
On pourrait par exemple noter la présence sur place de François Robinet dont c’est l’axe de recherche depuis de nombreuses années.
14
A noter ici la présence par exemple de Déogratias Mazina, président du réseau International Recherche et Génocide.
15
La justice a été abordée par des universitaires français ou rwandais telle le Dr Alice Urusaro Karekezi, mais aussi des juristes comme Aurélia
Devos, ancienne chef du pôle crimes contre l’humanité au parquet de Paris, ou des représentants d’association comme Dafroza et Alain Gauthier,
cofondateurs du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda.
10
11

n° 461

Historiens & Géographes

35

Enfin, au carrefour de tous les thèmes évoqués s’est
posé le problème de l’éducation face au génocide des
Tutsi, que ce soit au Rwanda ou en France.
L’APHG envisage d’ailleurs de créer des contacts avec
des enseignants locaux autour de l’enseignement du
génocide et a pris des contacts en ce sens.
Surtout, c’est bien sûr dans le cadre de la réflexion sur
l’éducation au génocide que l’APHG est intervenue.
En tant que représentants de professeurs français, nous
avons évoqué la façon dont le génocide est évoqué
dans l’enseignement en France. Des universitaires
spécialistes de ce thème étaient aussi présents16.
Une première intervention a réuni vos deux représentants
de l’APHG : Yveline Prouvost, responsable de l’Atelier
Lycée, et Daniel Micolon, ainsi que Chloé Créoff de la
Ligue de l’Enseignement. Ce moment nous a d’abord
permis de situer l’enseignement du génocide perpétré
contre les Tutsi dans nos programmes scolaires. J’ai
évoqué la façon dont nous le traitions en classe de
Terminale en Lycée, en Tronc commun comme en
spécialité, mais aussi ce que nous pourrions envisager
pour développer encore cet enseignement. Chloé
Créoff nous a permis de découvrir un projet important
de la Ligue de l’Enseignement autour de témoignages
de rescapés du génocide, tandis que Daniel Micolon
a décrit un projet pédagogique précis mis en œuvre
dans son lycée de Marseilleveyre. Nous avons bien sûr
mentionné le fait que de très nombreux autres projets
existaient, en en citant un certain nombre (comme à
Nice), et en insistant sur la quantité et la grande variété
des projets déjà mis en œuvre.
Je suis ensuite intervenue une seconde fois autour
de l’enseignement du thème des Tribunaux Gacaca et
de l’usage possible des Archives ou d’extraits de films
(comme Les collines parlent de Bernard Bellefroid17)
dans ce but. A noter, au sein du colloque, la présence
de plusieurs intervenants qui participent aussi aux
formation destinées aux enseignants sur le génocide
des Tutsi, au mémorial de la Shoah18. Leur point de vue
a été particulièrement éclairant ici.

Mais l’APHG a aussi eu le souci de créer des ressources
pour les élèves ou les enseignants.
Un certain nombre de capsules audio, à destination
des élèves ou des enseignants français ont donc été
réalisées lors de ces rencontres afin d’appuyer certains
de ces points. J’ai privilégié, pour ces premières
capsules, des rencontres avec des chercheurs rwandais,
que je craignais de ne plus rencontrer facilement. Elles
seront mises en ligne le plus rapidement possible
sur le site de l’APHG, et seront surtout enrichies par
d’autres capsules à venir permettant d’entendre des
intervenants qui vivent ou travaillent en France.
Finalement, si un seul mot devait décrire et résumer
l’intégralité du colloque ce serait…. intensité !
Celle des interventions d’abord : intensité des thèmes
abordés, des témoignages, mais aussi intensité des
journées de travail, des émotions ressenties lors des
conférences ou dans les lieux de mémoire comme en
découvrant ce pays magnifique et l’effroyable contraste
entre la beauté des sites et les horreurs qui y ont été
commises, intensité des rencontres, des échanges lors
des conférences comme lors des moments informels
entre participants.
Ce sont des moments forts, que j’espère vivement
parvenir à vous faire partager par ces quelques
mots car d’abord et avant tout : c’est vous que nous
représentions !
Un colloque riche, une véritable « recherche en acte »
comme l’indiquait le sous-titre du colloque, recherche
qui se poursuivra lors d’une seconde session en
septembre 2023 à Paris.
En remerciant vivement Vincent Duclert pour son
invitation, les membres de l’équipe de recherche pour
leur accueil chaleureux, et l’ensemble des participants
pour leur patience, leur disponibilité face à nos
questions. Merci de nous avoir intégrés à ce beau
colloque.

Ainsi Virginie Brinker qui a coordonné nombre de travaux sur ce thème, ou Catherine Gilbert de l’Université de Newcastle.
Film réalisé en 2005 et qui porte sur les tribunaux Gacaca.
18
Je ne peux m’empêcher de citer ici par exemple Violaine Baraduc et Rémi Korman.
16
17

36

Historiens & Géographes n° 461

L’APHG AU RWANDA : L’ÉDUCATION EN ACTE

Photo 1 : Monument de Bruce Clarke représentant les hommes debout, symboles des hommes et femmes qui gardent leur dignité face à la déshumanisation
et du Rwanda toujours debout, dans les jardins de Nyanza (lieu de commémoration). © Photo Yveline Prouvost, 2022.

Photo 2 : Les jardins de Nyanza (lieu de commémoration). © Photo Yveline Prouvost, 2022.

68

Historiens & Géographes n° 461

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024