Fiche du document numéro 34960

Num
34960
Date
Jeudi 27 mars 2025
Amj
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413384
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4
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Titre
« Le concert pour le Congo prévu à Bercy bafoue la mémoire du génocide des Tutsi »
Sous titre
Le 7 avril 2025 s’ouvrira la 31e commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda. Des chercheurs, artistes et associations dénoncent dans ce texte l’organisation d’un concert à la même date, « Solidarité Congo », dont les artistes invités piétineraient la mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda.
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Type
Tribune
Langue
FR
Citation
Des photos de victimes exposées au Mémorial du génocide de Kigali, au Rwanda, le 7 avril 2021.SIMON WOHLFAHRT / AFP

Le 7 avril 2025 s’ouvrira la 31e commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda. À cette même date, un concert étiqueté « Solidarité Congo » est programmé à l’Arena de Bercy avec certains artistes qui se sont déjà illustrés par des propos ouvertement anti-Tutsi. Rapidement des alertes ont été émises sur le risque d’atteinte à la mémoire du génocide des Tutsi. L’Unicef, initialement bénéficiaire, s’est retirée, et la mairie de Paris a saisi la préfecture pour en demander l’annulation. En dépit de cela, les organisateurs et les artistes ont maintenu le concert. Si la solidarité avec les victimes des violences en République démocratique du Congo (RDC) est nécessaire, ce choix délibéré de date instrumentalise les souffrances congolaises pour piétiner la mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda.

L’incapacité à analyser la situation en RDC autrement qu’à travers un prisme simpliste occulte les dynamiques à l’œuvre. Des figures médiatiques, capables de dénoncer les discours populistes et racistes en Occident, se refusent à cette rigueur lorsqu’il s’agit d’évoquer l’Afrique. Le jour de la commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda, le chanteur Gims, qui s’est déjà illustré en déclarant sur Netflix : « On n’arrête pas la haine d’un Tutsi avec du jus d’orange » (en mimant un tir de fusil), chantera sans doute : « Kagame rime avec croix gammée ».

Le génocide des Tutsi au Rwanda, lui, restera encore une fois qualifié de « génocide rwandais » ou de « massacre interethnique », euphémisant ainsi l’extermination systématique et planifiée des Tutsi au Rwanda. En 2022, l’ONU alertait sur la recrudescence de la haine anti-Tutsi en RDC. Récemment, un chef Maï-Maï (l’une des multiples milices de la RDC), René Itongwa, appelait, sur les réseaux sociaux à tuer les Tutsi.

Idéologie raciste



Si les risques encourus par ces populations sont invisibilisés, voire parfois aggravés par ceux qui prétendent vouloir la paix au Congo, c’est en raison d’une adhésion, consciente ou non, au stéréotype raciste du « Tutsi étranger et dominateur ». Ce récit qui a conduit au génocide des Tutsi, est désormais l’élément central du discours des dirigeants de la RDC, qui assimilent les Tutsi congolais à des étrangers alors même que la plupart d’entre eux étaient déjà présents avant l’indépendance du pays.

Ces discours, qui attribuent au M23 (armée essentiellement composée de Tutsi congolais) la seule responsabilité du désordre et des crimes en RDC, visent à cacher la corruption et la violence, du régime congolais et des nombreuses milices violentes alliées du régime, notamment les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), composées de génocidaires hutu qui combattent toujours aux côtés du régime congolais.

L’idéologie anti-Tutsi ne s’est ni arrêtée en 1994 ni limitée au Rwanda. La figure du Tutsi étranger est le produit d’une construction idéologique remontant à la colonisation. Forgée par les administrateurs et les missionnaires européens, l’idéologie hamitique a défini les Tutsi comme une élite étrangère, les opposant aux populations dites autochtones. Cette classification raciale, imposée et rigidifiée par les autorités coloniales, a nourri une vision où les Tutsi étaient perçus comme des envahisseurs, justifiant ainsi leur exclusion et leur extermination.

La théorie du complot tutsi



Cette construction a nourri un ressentiment exploité par les idéologues génocidaires. La propagande a assimilé les Tutsi au Front patriotique rwandais (FPR, parti de l’actuel président rwandais Paul Kagame), présenté comme un outil de domination tutsie. En RDC, les Tutsi congolais sont encore accusés d’être des « infiltrés » rwandais, des indésirables, comme si leur citoyenneté congolaise pouvait être niée.

La théorie du « complot tutsi » gangrène encore les esprits et menace la paix. Dans les années 1990, le journal extrémiste Kangura dénonçait un « plan de conquête des Grands Lacs » fomenté par les Tutsi. Aujourd’hui, la même logique est réactivée : l’accusation d’une « agression rwandaise » efface les causes internes du conflit et perpétue un récit où les Tutsi restent l’ennemi absolu.

En France, circule encore aujourd’hui la théorie complotiste d’une « Internationale tutsie », à laquelle serait allié tout individu témoignant de la réalité du génocide des Tutsi. Les accusations de manipulations politiques qui viendraient de Kigali dans des procès de génocidaires en Europe sont, ainsi, un argument systématiquement invoqué par la défense, sans que cette théorie complotiste ne soit unanimement mise en perspective avec le récit raciste mortifère dont elle tire son origine.

La commémoration du génocide des Tutsi au Rwanda rappelle ce que produit l’aveuglement face à une idéologie raciste qui fait d’un groupe humain un bouc émissaire. Elle souligne que l’indifférence nourrit la violence et conduit au pire. Un concert servant d’alibi à la diffusion d’un récit xénophobe ne saurait troubler cet appel à la vigilance et au souvenir d’un génocide dont la mémoire ne relève pas, comme nous pouvons encore le lire en France, d’une « rente mémorielle » dont bénéficierait le Rwanda. Il nous appartient à tous d’honorer cette mémoire et de nous rappeler que la lutte contre les mécanismes idéologiques conduisant à la violence sont des outils de paix indispensable. Le 7 avril, plus que jamais, le respect de la mémoire des victimes s’impose à tous.

Signataires



Marcel Kabanda, président d’Ibuka France et historien

Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR)

Dafroza Gauthier, co fondatrice du CPCR

Yossef Murciano, président de l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF)

Beata Umubyeyi Mairesse, écrivaine

Timothée Brunet-Lefèvre, historien et chercheur associé au CESPRA (EHESS)

Florence Prudhomme, présidente de Rwanda Avenir

Bruce Clarke, artiste plasticien

Louis Laurent, doctorant à l’EHESS

Gaël Kamilindi, comédien pensionnaire de la comédie française

Dominique Celis, écrivaine

Ernest Pignon-Ernest, artiste plasticien

Romain Poncet, enseignant d’histoire-géographie

Dorothée Munyaneza, artiste chorégraphe

François-Xavier Destors, réalisateur

Nido Uwera, chorégraphe et danseuse

Yoan Gwilman, étudiant en histoire à l’EHESS

Dominique Lurcel, metteur en scène

Michelle Muller, co fondatrice de Rwanda Avenir

Suzanne Maza-Tshabalala, sociologue

Olivier Sultan, commissaire d’exposition et galeriste

Rebecca Wengrow, écrivaine

Philippe Taszman, producteur

Patrick Klugman, avocat, Président du comité français pour Yad Vashem
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