Fiche du document numéro 34897

Num
34897
Date
Jeudi 16 décembre 2004
Amj
Auteur
Fichier
Taille
27569
Pages
3
Urlorg
Titre
Le registre noir des écoutes, les encombrantes archives de Christian Prouteau
Nom cité
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C'est le grand livre des écoutes, un registre noir de belle taille à la tranche rouge que le président feuillette avec prudence, sur lequel le commandant Prouteau a pudiquement inscrit "Techniques 1983". Le tribunal, mercredi 15 décembre, en a un second, le troisième a été mis à l'abri par la DST, la direction de la surveillance du territoire, lors d'un picaresque épisode dont regorge le dossier des écoutes de l'Elysée.

Le 18 février 1987, le procureur de Versailles reçoit une lettre d'un contrôleur général de la DST qui lui dénonce un "vol et recel de documents classifiés", documents qui se trouveraient dans un garage de Plaisir (Yvelines), à une adresse aimablement indiquée, "l'utilisateur de ce box étant, à ce jour, non identifié". "Ben voyons", ricane Christian Prouteau.

Le lendemain, le procureur en personne et un juge d'instruction, Jean-Marie Charpier, se rendent sur place. La DST est là, pour prélever ce qui relèverait du secret défense. Etrangement, alors que le contrôleur de la DST avait parlé du deuxième box à partir de l'entrée de l'impasse, ses hommes filent directement au troisième, qui s'avère être le bon. Il y a là 14 cantines de souvenirs du commandant Prouteau sur les Jeux olympiques d'Albertville, et 7 autres sur les archives de l'Elysée. "C'est au fond", aurait signalé un policier de la DST au juge.

La perquisition tourne vite à l'aigre ; la DST préempte les documents sans que le juge puisse y jeter un coup d'œil, le magistrat finit par s'accrocher à l'un des fameux registres que les policiers lui arrachent des mains, et la DST embarque ses cantines dans quatre Espace, qui disposent miraculeusement de l'exact volume nécessaire aux documents à emporter. Le juge Jean-Paul Valat, chargé de l'instruction des écoutes, a épluché le reste, des cartons, des chemises, des Post-it. Et deux registres que la DST a fini par lui envoyer.

Un peu pathétique



Christian Prouteau, sept ans plus tard, ne décolère pas. Il est vrai que ce qui reste de ses archives ne facilite pas sa défense : il avait loué le box, en liquide et sous un faux nom, pour cacher des documents qu'il aurait dû verser aux Archives nationales, et qui prouvent qu'il avait bien ordonné des écoutes niées jusque-là.

Le chef de la cellule a une théorie. Il est persuadé que les Renseignements généraux cherchaient en fait les archives de Gilles Ménage, l'ancien directeur de cabinet de François Mitterrand. Les RG l'ont filé, lui, un autre membre de la cellule et Gilles Ménage, et ont même visité leurs voitures. Christian Prouteau a un jour relevé le numéro d'une voiture en planque, il ne lui a pas fallu longtemps pour découvrir qu'elle appartenait aux RG. Quand il a demandé des explications au service, on lui a répondu, pénible retour de l'Histoire, "secret défense".

Le commandant assure qu'après "une fontaine" (une visite clandestine) dans le box, "il y a eu une réunion au ministère de l'intérieur pour passer le relais à la DST parce que les RG n'ont pas le droit de faire des perquisitions". Il convient en tout cas qu'il s'est "comporté stupidement" en gardant ces archives et qu'il lui arrive de sembler "un peu pathétique". En effet, et il a eu du mal, à l'audience, à expliquer un petit Post-it sur lequel était notamment inscrit "Bûche", le nom de code de Carole Bouquet pour les écoutes, "Benêt" et "Bout", ceux des journalistes du Monde Edwy Plenel et Georges Marion.

Le fameux registre noir contient les noms de code et les dates de réception des transcriptions d'écoutes. Et la défense de Christian Prouteau a pris eau de toute part. Le commandant a toujours soutenu que les disquettes d'écoutes, reçues anonymement par le juge d'instruction, étaient des faux, même si elles contenaient des informations vraies, "c'est un support vicié, destiné à m'amener devant le tribunal, et qui ne vient pas de chez moi", a juré le gendarme, puisqu'à l'époque la cellule ne rentrait rien sur ordinateur.

Le président a patiemment égrené des exemples d'écoutes à la fois inscrites sur le registre, souvent de la main même de Christian Prouteau, puis retrouvées dans les fichiers informatiques. Et le procureur, François Cordier, a porté le coup de grâce en sortant des transcriptions d'écoutes irréfutables, puisque obligeamment transmises par Gilles Ménage. Qui comportent les mêmes fautes de frappe que sur les disquettes : "décu" au lieu de déçu, "déjeuné" pour déjeuner, Mitterrand avec un s final. Preuve absolue qu'il a bien fallu que la cellule saisisse ces écoutes sur ordinateur, avant qu'elles ne soient copiées, peut-être des années plus tard, sur les fameuses disquettes remises au juge.

Reprise de l'audience le 4 janvier.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024