Fiche du document numéro 34862

Num
34862
Date
Mercredi 5 mars 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
436659
Pages
3
Urlorg
Titre
Trente ans après le génocide des Tutsis, l’un des meurtriers de la dernière reine du Rwanda capturé en RDC
Sous titre
Arrêté au Congo, l’un des principaux officiers rwandais accusés du meurtre de la reine tutsie Rosalie Gicanda en 1994 a été livré samedi 1er mars au Rwanda. Depuis trente ans, il était l’un des leaders d’une milice hutue dans l’est de la république démocratique du Congo.
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M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des membres du M23 à la frontière entre la RDC et le Rwanda, samedi 1er mars, pendant le transfert de soldats des Forces démocratiques de libération du Rwanda. (Jospin Mwisha/AFP)

C’est un spectacle inhabituel qui s’est déroulé samedi 1er mars, à la « grande barrière », le poste-frontière qui sépare la ville de Goma, sur la rive congolaise du lac Kivu, de celle de Gisenyi, sur la rive rwandaise. Sous le regard des caméras, une quinzaine d’hommes en uniforme de l’armée congolaise, ont franchi les quelques centaines de mètres qui séparent les deux villes. Silencieux, visages fermés, ils font partie des vaincus. Capturés lors des intenses combats qui auraient fait 3 000 morts fin janvier lors de la prise de Goma par les rebelles de la coalition M23-AFC opposée au régime de Kinshasa. Lesquels, avec le soutien des forces rwandaises, ont depuis pris également le contrôle de la ville de Bukavu à l’autre extrémité sud du lac.

Parmi les captifs défilant en file indienne, un homme attirait une attention particulière : le brigadier général Ezechiel Gakwarere. Agé aujourd’hui de 61 ans, chauve, lunettes fumées et uniforme impeccable, l’homme n’est pas congolais mais rwandais. Voilà plus de trente ans qu’il a quitté son pays natal, juste après le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, dans lequel il aurait pris une part active avant de s’enfuir de l’autre côté de la frontière après la déroute des forces génocidaires.

Son nom est cité une douzaine de fois dans l’acte d’accusation de celui qui était son supérieur hiérarchique à cette époque, le capitaine Ildéphonse Nizeyimana. Arrêté en 2009, puis jugé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), il a été condamné en 2014 à trente-cinq ans de prison. En 1994, Nizeyimana était le commandant de l’académie militaire de l’Ecole des sous-officiers à Butare, principale ville du sud du Rwanda. Gakwarere se trouvait sous ses ordres. Lors de l’instruction du procès Nizeyimana, plusieurs témoins vont spontanément évoquer le rôle de Gakwarere lors des massacres à Butare. « Il était obsédé par l’extermination des Tutsis », expliquera l’un d’eux. Mais l’accusation la plus accablante concerne sa participation au meurtre de la dernière reine du Rwanda, Rosalie Gicanda, le 20 avril 1994.

« Plus personne n’était à l’abri »



Cette octogénaire tutsie, respectée de tous, était la veuve du dernier roi du Rwanda, Mutara Rudahigwa, décédé en 1959. Deux ans plus tard, la monarchie fut abolie dans le pays. Rosalie menait depuis une existence discrète à Butare. « Même les hommes politiques les plus opposés aux Tutsis l’avaient toujours épargnée », souligne une enquête publiée au lendemain du génocide (1). Le 20 avril 1994 pourtant, des soldats dirigés notamment par Gakwarere, pénètrent dans sa maison, enlèvent la reine et six de ses proches, avant de les conduire derrière le Musée national et de les exécuter. Le message est clair : « Si les soldats avaient osé s’en prendre à une personnalité aussi respectée, plus personne n’était à l’abri », note l’enquête déjà citée. En cent jours, le génocide des Tutsis du Rwanda fera près d’un million de morts.

Après avoir été livrés au Rwanda par les rebelles samedi, Gakwarere et ses hommes « ont été transférés à Mutobo [le centre de désarmement et de démobilisation, dans le nord du Rwanda, ndlr]. Ceux impliqués dans le génocide de 1994, seront ensuite renvoyés devant la justice », précise la porte-parole du gouvernement rwandais à Libération. Tous ces hommes font partie des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dernier label créé en 2000, regroupant les forces armées en exil qui avaient commis le génocide au Rwanda. Pour autant, tous ne sont pas impliqués dans ce génocide, notamment les plus jeunes combattants.

Mais même si « seulement 5 % des FDLR ont participé au génocide, ce sont eux qui dominent encore l’organisation », soulignent trois journalistes allemands dans un livre consacré à ce mouvement politico-militaire (2). Dévoilant notamment une organisation très structurée et pétrie de références allemandes : « L’histoire militaire allemande est enseignée dans les écoles d’officiers de la forêt congolaise. La Wehrmacht et les soldats SS sont désignés comme l’exemple de la discipline.»

« Unités bien entraînées et équipées »



Au gré des relations tumultueuses entre la RDC et le Rwanda, les FDLR furent combattues par les forces congolaises ou s’allièrent à ces dernières, comme c’est le cas aujourd’hui et depuis au moins trois ans. Dans son dernier rapport publié en décembre, le groupe d’experts de l’ONU dénonce la façon dont les FDLR sont même désormais disséminées au sein des forces gouvernementales ou dans d’autres groupes armés.
« Numériquement, ils sont moins importants qu’il y a trente ans. Mais leurs unités sont bien entraînées et équipées », constate le journaliste allemand Dominic Johnson, l’un des trois coauteurs de l’ouvrage sur les FDLR, contacté par Libération. « Depuis 2022, et jusqu’à la récente prise de Goma par les rebelles, ils agissaient comme une sorte de force spéciale. Mais l’influence des FDLR est aussi politique et idéologique. Ils ont réussi à propager une hostilité au régime de Kigali dans les milieux militaires comme dans la classe politique congolaise », ajoute-t-il.

« Ils ont aussi contribué à la montée des messages de haine contre les Tutsis. Jusqu’à Kinshasa où les Tutsis, mais aussi désormais tous les swahiliphones [la langue partagée par les habitants de l’est du pays], sont assimilés à des “Rwandais” et régulièrement agressés », déplore un haut fonctionnaire, lui aussi originaire de l’Est, joint dans la capitale congolaise.

Reste qu’en exhibant ces FDLR captifs samedi 1er mars, Kigali alimente aussi la guerre des images, pour tenter de justifier ses préoccupations sécuritaires au Congo à l’heure où le Rwanda est sous le coup de sanctions grandissantes car accusé de « violer l’intégrité territoriale » de la RDC.

De son côté, Kinshasa, qui nie l’implication des FDLR dans la guerre en cours, a immédiatement accusé le Rwanda d’avoir travesti des prisonniers en faux FDLR. Jusqu’à ce que l’identité d’Ezechiel Gakwarere et sa place parmi les leaders du mouvement armé soient reconnues par le porte-parole des FDLR au micro de la BBC. A Butare, « c’est surtout le soulagement et l’émotion qui dominent. L’assassin de la reine a enfin été arrêté», confie un responsable du gouvernement de Kigali. La souveraine sacrifiée repose au mémorial du génocide de Nyanza, juste à côté de Butare.

(1) « Aucun témoin ne doit survivre », rapport de Human Rights Watch (HRW) et de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), édition Karthala, 1999.

(2) Les FDLR, histoire d’une milice rwandaise, de Dominic Johnson, Simone Schlindwein et Bianca Schmolze, éditions Ch. Links, 2019.
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