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Sécurité
RDC : que reste-t-il des FDLR dans l’Est ?
© REUTERS / Djaffar Al Katanty
Malgré l’annulation de la rencontre prévue le 15 décembre à Luanda entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, le président angolais, João Lourenço, réussira-t-il là où toutes les médiations ont échoué ? En attendant la signature d’un accord de paix, il a obtenu la validation, le 25 novembre, d’un document clé pour la suite du processus. Celui-ci fixe les objectifs d’un plan harmonisé qui s’articule autour deux axes : d’un côté, le désengagement des forces rwandaises, dont près de 4 000 soldats soutiennent les rebelles du M23 ; de l’autre, la « neutralisation » des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dont les éléments combattent aux côtés des Forces armées de RDC (FARDC).
Il s’agit de la première avancée diplomatique depuis le cessez-le-feu entré en vigueur le 4 août. La mise en œuvre de ce plan demeure toutefois théorique. La RDC a plusieurs fois exprimé son scepticisme sur la volonté du Rwanda de retirer ses troupes. Les autorités rwandaises, qui exigent un dialogue entre Kinshasa et le M23, ont quant à elles mis en doute la capacité et la détermination de leurs homologues à démanteler les FDLR.
Liens avec les FARDC
Casse-tête sous-régional depuis trente ans, ce mouvement a été fondé par d’anciens responsables du génocide des Tutsi au Rwanda. Depuis la résurgence du M23, en novembre 2021, ces miliciens occupent une place singulière dans la galaxie des groupes armés qui servent de proxys aux FARDC face aux rebelles et à leurs soutiens rwandais.
Plusieurs rapports du groupe d’experts de l’ONU ont confirmé la collaboration entre les FDLR et l’armée congolaise, ainsi que les liens privilégiés qui unissent certains des commandants de la milice avec des hauts responsables militaires, à commencer par le gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, le général Peter Cirimwami. Le Rwanda, dont la collaboration avec le M23 a été étayée dans les mêmes rapports, estime que « le soutien de la RDC aux FDLR relève de la politique d’État ».
Cet entremêlement complexe entre le groupe armé et une partie de l’armée congolaise rend incertaine la neutralisation du mouvement. Cela s’est notamment vérifié en septembre dernier, avec le lancement d’une discrète opération contre les FDLR.
Le fiasco de septembre
Selon plusieurs sources sécuritaires, une centaine d’éléments des forces spéciales congolaises avaient été formés dans la province de l’Ituri au mois d’août. Entraînés par des soldats guatémaltèques de la Monusco, ils avaient pour mission de mener des opérations contre les FDLR. L’idée était soutenue en coulisse par l’Angola, mais aussi par les États-Unis.
Deux sources impliquées dans cette opération confirment que l’un des objectifs était de parvenir à capturer le chef militaire des FDLR, Pacifique Ntawunguka, alias Omega. Visé, comme son mouvement, par des sanctions onusiennes, ce dernier entretiendrait des liens avec le général Cirimwami, qui avait été tenu à l’écart de ces opérations. Félix Tshisekedi espérait, selon l’un de ses conseillers, pouvoir annoncer la neutralisation d’Omega en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, où il intervenait fin septembre, afin d’obtenir un regain de pression sur Kigali.
Confiée au général Chico Tshitambwe, chef d’état-major adjoint chargé des opérations, la conduite de ce projet a viré au fiasco, la plupart des cibles ayant fui les lieux sur lesquelles elles avaient été identifiés avant l’intervention des forces spéciales. Le déroulement de ces opérations a alimenté les soupçons de collusion entre certains officiers locaux et ces miliciens. En « off », la Monusco, finalement tenue à l’écart, a regretté un « court-circuitage » du plan, quand un responsable rwandais évoque « une comédie des FARDC pour montrer qu’ils font quelque chose contre les FDLR ». Finalement suspendues sur décision de la hiérarchie militaire congolaise, ces opérations ont aussi suscité la crispation des mouvements wazalendos, en première ligne face au M23 et à l’armée rwandaise.
Collaboration ambiguë
Depuis la création du mouvement, la présence de ces miliciens près de la frontière rwandaise a régulièrement empoisonné la relation entre Kigali et Kinshasa. Arrivés en RDC dans le flot de réfugiés qui ont traversé la frontière congolaise en 1994 sous la protection des militaires français de l’opération Turquoise, ces ex-soldats des Forces armées rwandaises et miliciens Interahamwe qui viennent d’ensanglanter le pays aux Mille Collines créent l’Armée de libération du Rwanda (ALiR) – dont les FDLR prendront le relais. En 1996, après avoir alerté la communauté internationale de la nécessité d’évacuer de la frontière ces reliquats de la machine génocidaire, l’armée rwandaise, dans le sillage de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), se lance dans une opération de démantèlement de ces camps où se côtoient indistinctement miliciens de l’ALiR et réfugiés.
Le bilan humain est désastreux. La traque, plus ou moins ouverte, n’a jamais vraiment cessé depuis. Ces deux dernières décennies, les FARDC ont usé de diverses stratégies vis-à-vis des FDLR. N’hésitant pas à combattre des rébellions soutenues par le Rwanda, comme le Congrès national de défense du peuple (CNDP), du général rebelle Laurent Nkunda, les FARDC ont aussi lancé plusieurs opérations contre le mouvement, notamment à travers différents groupes armés locaux.
L’histoire de cette collaboration ambiguë entre l’armée congolaise et les FDLR a rebondi de manière inattendue avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, en janvier 2019. Une discrète entente militaire se met en place entre la RDC et le Rwanda. Elle aboutit à la conduite d’opérations ciblées contre des chefs des FDLR. Sylvestre Mudacumura, chef militaire du mouvement, visé par un mandat d’arrêt de la CPI depuis 2012, est tué le 17 septembre 2019 dans le Nord-Kivu. Deux mois plus tard, Juvénal Musabimana, alias Jean-Michel Africa, y est lui aussi assassiné ; il dirigeait une faction dissidente des FDLR, accusée d’être responsable d’une attaque meurtrière dans le nord du Rwanda un mois plus tôt.
À l’époque, Kigali se réjouit de « l’engagement du président Félix Tshisekedi à combattre les forces négatives ». Mais l’alliance de circonstances finit par voler en éclats. Quelques mois après la résurgence du M23, en mai 2022, les FDLR participent à la signature d’un pacte de non-agression entre différents groupes armés antagonistes pour combattre les rebelles, sous la supervision d’un colonel de l’armée congolaise.
« Pourquoi existent-ils encore ? »
Les autorités congolaises ont plusieurs fois accusé l’exécutif rwandais d’exagérer la puissance des FDLR pour « justifier » ses interventions en RDC. Le Rwanda n’a jamais admis publiquement son soutien au M23, mais ses autorités affirment en coulisse que les rebelles protègent la population tutsi congolaise contre les FDLR et que la collaboration de ces derniers avec les FARDC a justifié la résurgence de la rébellion. Plusieurs rapports soulignent toutefois que leur retour au premier plan coïncide surtout avec le lancement de l’opération conjointe entre la RDC et l’Ouganda dans l’est du Congo. En avril 2024, le ministre congolais de la Communication, Patrick Muyaya, a ainsi qualifié les FDLR d’« éternel prétexte [du Rwanda] pour agresser la RDC ».
Depuis 1996, la puissance militaire du mouvement a en effet diminué. Selon le groupe d’experts de l’ONU, le nombre de ses combattants se situait autour de 1 500 en 2016. À l’époque, le général James Kabarebe, alors ministre rwandais de la Défense, estime qu’il ne reste « que des poches minimes faites de brigands » et que ces derniers « ne peuvent pas effectuer de percée au Rwanda ».
Ils seraient près d’un millier aujourd’hui, selon les estimations de diverses sources locales. Mais leur identification n’est pas aisée, d’autant plus qu’ils se fondent au sein d’une nébuleuse de groupes armés qui combattent en première ligne contre le M23. Les FDLR y comptent de nombreuses factions alliées, au sein desquelles leurs combattants sont parfois répartis en fonction des menaces. La milice détache aussi des commandants auprès de certains de ces groupes. Depuis les opérations de septembre, certaines unités FDLR ont pris position dans des zones jugées plus sûres et la protection des cadres comme « Oméga » a été renforcée. Cette tactique de survie brouille aisément les pistes et limite la possibilité de démanteler ces réseaux.
Qu’importe la réelle capacité de nuisance du mouvement envers Kigali, les autorités rwandaises maintiennent que ce groupe et l’idéologie génocidaire qui a mené à sa création il y a trente ans constituent une « menace existentielle » pour le Rwanda. « Certains, qui ne savent pas de quoi ils parlent, disent que les FDLR ne sont qu’une poignée et que nous exagérons, avait estimé Paul Kagame, dans une interview à Jeune Afrique, en mars 2024. Mais même s’ils sont peu nombreux, pourquoi existent-ils encore, après toutes ces années ? »