Author-card of document number 34681

Num
34681
Date
Jeudi 28 novembre 2024
Ymd
Author
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File
Size
99085
Pages
7
Urlorg
Title
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 16
Subtitle
Compte rendu de l’audience du mardi 26 novembre 2024
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Type
Page web
Language
FR
Citation
La journée d’audience a débuté avec les témoignages de deux témoins.

Monsieur Augustin NZAMWITA, né en 1980, agriculteur Hutu, est un habitant de Nyanza. En 1994, il avait 14 ans et vivait avec ses parents, près de la rivière servant de frontière avec le Burundi. Beaucoup de Tutsi fuyaient en descendant la rivière en pirogue, et des militaires burundais les aidaient avec des cordes depuis l’autre rive. Il relate que le 11 avril 1994, il a assisté à l’arrestation du bourgmestre NYAGASAZA, qui tentait de se réfugier au Burundi. Une trentaine de minutes après le passage du bourgmestre, il a vu arriver une voiture blanche transportant trois gendarmes, dont BIGUMA, le chef des gendarmes de la zone. Il savait qu’il s’agissait de BIGUMA car les gens du coin disaient que c’était lui.

BIGUMA aurait d’abord prononcé les mots « Vous êtes en train de manger alors que votre président est mort. Il faut tuer les Tutsi ». Il aurait ensuite indiqué chercher le bourgmestre, qui s’est alors levé pour le saluer. Mais BIGUMA lui a alors craché au visage et lui a fait une « balayette » pour le faire chuter. Puis il a été frappé, ligoté aux pieds et aux mains avec une ceinture, insulté puis jeté à l’arrière de la voiture comme une vulgaire bête, puis piétiné. Puis Pierre NYAKARASHI, un agent civil selon les dires des adultes de la région, a été enlevé vers chez Jérôme et mis dans la même voiture. BIGUMA s’est tourné vers la foule avant de partir et a déclaré : « N’acceptez ni l’argent ni les vaches des Tutsis pour les laisser fuir au Burundi. C’est maintenant que la guerre commence ». Ce jour-là, il relate qu’il a vu une seule personne tenter de s’opposer au passage de ces Tutsi mais que les vaches des Tutsi l’ont piétiné, il en est mort. Personne d’autre n’aurait été tué selon lui. Il est à noter que la date du 11 avril 1994, citée par M. NZAMWITA, diffère des autres témoignages qui situent l’arrestation du bourgmestre NYAGASAZA au 23 avril 1994, et que M. NZAMWITA mentionne des gendarmes portant un béret vert, alors que celui-ci était censé être rouge. Lorsque la contradiction lui est pointée en audience par la défense, il indique qu’avec la foule et le bruit, il n’a pas vraiment fait attention à la couleur des bérets. Avant les événements du 11 avril 1994, M. NZAMWITA connaissait BIGUMA uniquement par sa réputation, son nom étant évoqué par les adultes de la région. Ce jour-là a été la seule fois où il l’a vu. Lors des auditions précédentes, M. NZAMWITA a éprouvé des difficultés à identifier BIGUMA sur une photographie, expliquant que ses souvenirs des événements étaient flous après 30 ans. Il a initialement mentionné un autre nom, HABIMANA, avant de se rappeler du nom de BIGUMA. Il explique cette hésitation par le surnom donné à BIGUMA qui était « Bi ».

Monsieur Silas SEBAKARA a ensuite été entendu. Il a été condamné par la Gacaca du secteur de Kibirizi en 2010 pour sa participation au génocide contre les Tutsi. Le 23 avril 1994, Monsieur SEBAKARA a observé une foule de Tutsi fuyant vers la rivière Akanyaru depuis la colline de Mukoni, à environ 3km de la rivière. Il a vu un véhicule Toyota blanc se déplacer au milieu des réfugiés et a reconnu BIGUMA et le bourgmestre NYAGASAZA à l’intérieur, ainsi qu’un autre gendarme et plusieurs civils. Le passage d’une voiture dans cette zone était très rare et n’arrivait qu’une fois par mois environ. Le recenseur Jérôme NDIKURYAYO est passé peu après à moto derrière le véhicule et c’est lui qui a indiqué au témoin qu’il s’agissait de BIGUMA dans le véhicule. Il précise que dans la caisse arrière du véhicule, il a vu Apollinaire MUSONERA, Pierre NYAKARASHI, d’autres civils entourés par des gendarmes ainsi que la moto de MUSONERA. Lorsque le bourgmestre a tenté de saluer le témoin, BIGUMA lui a ordonné de se taire. Le bourgmestre avait selon Monsieur SEBAKARA l’air triste et angoissé.

BIGUMA a ensuite demandé à la population de s’approcher du véhicule et a prononcé ces mots : « Vous voyez que les Tutsi s’enfuient avec vos biens, vos vaches et vos chèvres. Allez prendre des gourdins, des machettes, des lances, pour les tuer et récupérer vos biens ». Il aurait aussi prononcé les phrases « Allez leur reprendre les vaches et les biens, et les gens eux-mêmes, allez les jeter dans la rivière » et « vous voyez cet individu, nous allons le tuer » (en parlant du bourgmestre). Il a également interrogé la foule pour savoir si certains savaient manier des fusils ou lancer des grenades, mais ce n’était pas le cas. Après le passage de cette voiture, le témoin indique avoir pris peur et conseillé aux Tutsi qui vivaient avec eux de s’enfuir avant d’être tués par les gendarmes. Les massacres auraient débuté trois jours plus tard, initiés par Jérôme qui aurait commencé par tuer un policier municipal. Il a reconnu l’accusé sur une photographie et lors de la confrontation. L’avocat de la défense a relevé des contradictions dans les déclarations précédentes de Monsieur SEBAKARA, concernant notamment le type d’armes que BIGUMA aurait incité la population à utiliser et la couleur du véhicule. M. SEBAKARA a maintenu sa version des faits, affirmant que BIGUMA avait encouragé l’utilisation d’armes traditionnelles et que le véhicule était de couleur blanche. L’avocat de la défense a également remis en question une attestation fournie par Monsieur SEBAKARA à l’association CPCR en 2013, suggérant qu’il aurait pu bénéficier d’un avantage ou subir une influence lors de sa rédaction, accusations que le témoin nie. Sur son sentiment que Jérôme suit Biguma pour lui faire passer un message ou établir un plan concerté avec lui, il est rappelé au témoin que lors d’une précédente audition, il avait indiqué qu’il existait une rivalité entre ces deux protagonistes, un peu comme si Jérôme voulait tuer le bourgmestre mais que BIGUMA l’avait devancé dans ce plan. Le témoin indique qu’il était accompagné de Sosthène. Lorsqu’on lui indique que Sosthène situe cet évènement au 11 avril, il maintient quant à lui sa version selon laquelle ces évènements auraient commencé le 21 avril. Puis il indique qu’il est facile de se tromper sur les dates d’évènements aussi anciens. Le Président de la Cour a procédé à la lecture des déclarations de trois personnes auditionnées durant la procédure : Monsieur Assiel BAKUNDUKIRE, de Monsieur Canisius KABAGAMBA et de Monsieur Claver KANUMA. Le premier indique que l’accusé serait impliqué dans l’attaque de la colline de Nyababure, le deuxième aurait vu BIGUMA pendant le génocide. Le troisième ne mentionne pas l’accusé, et explique ce qui lui a été relaté sur la mort de son frère le bourgmestre NYAGASAZA.

L’après-midi a repris avec l’audition de Monsieur Célestin NIGIRENTE, condamné pour sa participation au génocide. Il a reconnu avoir participé à deux attaques dont celle de Nyabubare. Il explique avoir entendu parler de BIGUMA pour la première fois lorsqu’il y a eu une réunion au centre Bleu Blanc, lorsque le témoin est arrivé à la réunion BIGUMA était déjà reparti. Il lui a été dit que le conseiller Israël et les militaires avaient convoqué la population à cette réunion, et qu’ils devaient y aller munis d’armes. Il soutient qu’il y avait été décidé qu’à partir de ce moment-là ils devaient commercer à chercher les Tutsi et les tuer. Il explique que ce jour-là le nom de l’accusé n’a pas été cité mais que c’est le lendemain, en rentrant de l’attaque de Nyabubare qu’il lui a été dit que BIGUMA avait dirigé cette réunion. Il précise que le lendemain, alors que les civils s’étaient regroupés de manière spontanée, BIGUMA a retrouvé ce groupe ainsi que le conseiller Israël DUSINGIZIMANA, qui répétait les mots de BIGUMA selon lui. BIGUMA était parti quand le témoin est arrivé au groupement. Il confirme qu’une Toyota blanche est arrivée sur les lieux et que le conseiller de secteur leur a demandé de la suivre. Il dit avoir vu trois personnes dans ce véhicule, dont BIGUMA, le bourgmestre NYAGASAZA et le conseiller, le bourgmestre était dans la cabine. Il n’a pas vu d’autres civils dans ses souvenirs. Il précise avoir su qu’il s’agissait de BIGUMA car DUSINGIZIMANA leur aurait dit cela en revenant de l’attaque de Nyabubare. Il soutient que BIGUMA a sorti le bourgmestre de la voiture, qu’il lui a demandé de vider ses poches et qu’il y avait un seul billet de 1000 francs. Il explique que le bourgmestre a été fusillé debout, dos aux gendarmes. Un seul gendarme lui aurait tiré dessus avec une balle, sur ordre de BIGUMA. Un groupe de civil aurait ensuite été désigné pour enfouir le corps.

Au moment où le témoin était interrogé sur le fait de savoir s’il pouvait reconnaitre l’accusé, la visioconférence a été interrompue par une panne Internet à Kigali. L’autre audition qui devait se tenir par visioconférence a été annulée, la panne ne s’étant pas rétablie. Il a été décidé d’essayer de reprogrammer la fin de cette audition ainsi que la seconde le lendemain. Il a été procédé à la lecture des procès-verbaux relatifs aux déclarations de Monsieur KAYIRANGAYOGO et de Monsieur NKOMEJE, Le premier souligne la présence de « Filipo BIGUMA » lors de l’assassinat du bourgmestre NYAGASAZA. Il ajoute que l’adjudant-chef BIGUMA dirigeait l’attaque de Nyabubare. Le second mentionne aussi la présence BIGUMA lors du meurtre du bourgmestre et de l’attaque de Nyabubare.

Madame Jocelyne UWICYEZA, rescapée du génocide, qui n’avait pu être auditionnée la veille, a été la dernière personne a témoigner ce jour. Madame Jocelyne UWICYEZA est la cousine de Geneviève GAHONGAYIRE entendue vendredi 22 novembre. Elle explique qu’au début du génocide, elle était âgée de 18 ans et se trouvait à Butare. Lorsque le génocide a commencé, elle a décidé avec sa sœur et le mari de cette dernière de fuir vers la frontière du Burundi en direction du fleuve. Elle raconte qu’une fois arrivés à la barrière de Save, elle a été frappée, elle a réussi à s’extirper dans les brousses, mais sa grande sœur enceinte de jumeaux a été tuée par balle ainsi que son mari. Elle réussit à atteindre le domicile familial à Mbuye, et supplie ses parents de fuir avec elle ou de la laisser emmener sa petite cousine, ce qu’ils refusent. Ils ne partiront que le lendemain. Elle apprit par la suite que sa mère a été dénudée, qu’ils lui ont fait porter les tôles du toit de la maison alors qu’elle était nue et que les bras de sa grand-mère ont été coupés et que tout cela aurait été fait sur ordre de BIGUMA. Elle indique avoir échappé à un dénommé SEBAKARA grâce à un voisin dénommé JOSEPH qui l’a payé afin qu’il ne la tue pas. Vers la rivière, elle affirme avoir vu un véhicule tout-terrain blanc, avec quatre gendarmes, elle précise qu’ils empêchaient les personnes de traverser la rivière. Elle indique ensuite qu’ils ont saisi le bourgmestre NYAGASAZA, qu’ils l’ont fait assoir à l’arrière du véhicule blanc, après l’avoir ligoté, et qu’ils se sont aussi saisis de Pierre NYAKARASHI, de Emmanuel NSENGIYUMVA et de Michel NSENGIMANA, ainsi que d’un jeune voisin NKUNDIYE. Les gendarmes, dont BIGUMA, ont ensuite tiré sur les Tutsi qui fuyaient. Elle a su qu’il s’agissait de BIGUMA car c’est ce qui a été dit à ce moment-là. Elle ne pourrait pas le reconnaitre car elle ne l’a vu que ce jour-là.

Elle finit par demander qu’une justice appropriée soit rendue en leur faveur. Elle a des séquelles physiques encore aujourd’hui. Elle demande que l’accusé indique l’endroit où ses parents ont été tués car elle n’a toujours pas pu les inhumer. Monsieur le Président de la Cour s’est alors adressé à l’accusé afin de lui demander où sont enterrés ses parents. L’accusé a répondu qu’il ne savait pas.

Enfin, la défense demande des explications à la témoin sur la différence de témoignage entre elle, qui explique qu’à la rivière les personnes se faisaient découper, et entre Monsieur NZAMWITA qui affirme qu’il n’y avait pas de gendarme, de militaire et de milicien. Madame Jocelyne UWICYEZA réaffirme alors ses propos et précise que ce témoin était jeune et Hutu qu’il n’était donc pas pourchassé. Elle interroge enfin : « comment pourrait-on imaginer que les burundais nous auraient aidés, armés de fusils, sans qu’ils aient constaté que l’on se faisait tirer dessus ?

Enfin, la journée s’est achevée avec la lecture des procès-verbaux des auditions de Monsieur Pierre GAFARANGA, de Madame MUKANGAMIJE, de Madame MUKANGOGA, de Madame MUKASONEYE et de Monsieur Morodokaï NTIWIRIZWA, relatifs à l’attaque sur la colline de Nyabubare. L’accusé a été interrogé sur les véhicules de la gendarmerie. Il a affirmé qu’il y avait dans sa compagnie territoriale un camion de transport de troupe qui pouvait transporter 70-90 personnes, une Toyota blanche et une Toyota rouge.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France et Vaïtéa Baillif, Bénévole
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fgtquery v.1.9, February 9, 2024