Fiche du document numéro 34680

Num
34680
Date
Mercredi 27 novembre 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
84355
Pages
9
Urlorg
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 15
Sous titre
Compte rendu de l’audience du lundi 25 novembre 2024
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Cette quatrième semaine du procès de Philippe Hategekimana a débuté ce lundi à 11h par l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA. Mais avant qu’on l’entende, Me Guedj a voulu verser un article au débat. Cet article d’un média nommé The Rwandan accuse Israël DUSINGIZIMANA, Mathieu NDAHIMANA et Silas SEBAKARA d’avoir fabriqués de fausses preuves pour écarter la responsabilité de Kagame et de son régime dans l’attentat du 6 avril. Le Président semble assez surpris et demande de préciser la source. Me Guedj reste assez flou. Le Président regrette que la défense ne le verse que maintenant et demande du temps pour que les parties puissent l’étudier.

Le Président a ensuite commencé l’interrogatoire du témoin. Toujours détenu, Israël Dusingizimana a d’abord commencé par expliquer pour quels faits il avait été condamné en 2008 à 24 ans de prison. Le Président l’interroge sur l’article évoqué par la défense, mais il ne le connait pas et nie les faits qui lui sont reprochés. Le Président souhaite délimiter l’interrogatoire en quatre parties.

La première concernera la période jusqu’au 22 avril. Il a ainsi expliqué à la Cour avoir été conseiller du secteur de Mushirarungu en 1990, et qu’en tant que tel il était le premier en charge de la sécurité. C’est dans ce cadre qu’il a pu côtoyer la gendarmerie de Nyanza, dont Biguma et Birikunzira. S’agissant de Biguma, il ne connaissait pas son vrai nom et ne savait de ses activités que son grade d’adjudant-chef. Avant le génocide, la gendarmerie avait pour rôle d’assurer la sécurité de population. Pendant le génocide, ils ont fait le contraire de leur mission. Si la gendarmerie n’avait pas soutenu les Hutu, ils auraient tué les Tutsi mais pas exterminés. Le Président l’interroge sur le discours du 19 avril. Il dit que c’est là qu’il a compris qu’ils devaient lutter contre l’ennemi. Ceci a été cimenté par Birikunzira et le sous-préfet Gaëtan KAYITANA qui ont dit à la population que l’ennemi était le Tutsi et qu’il fallait piller ses biens et le tuer. Le Président est ensuite revenu sur la réunion avec le préfet Habyarimana, où il leur a expliqué qu’il ne devait pas se retourner les uns contre les autres. Biguma n’était pas présent mais Birikunzira y était. La réunion du 22 avril du sous-préfet Kayitana a ensuite été abordée. Israël a expliqué que c’est à cette réunion que les instructions ont été données : les Tutsi sont les ennemis et il faut les éliminer. Ensuite, il est allé chez Birikunzira et il lui a laissé des gendarmes. Avec le conseiller MASONGA, ils ont circulé à Mushirarungu et Nyarunsange pour faire véhiculer les instructions à la population. Avec la population, ils ont incendié les maisons des Tutsi. Le Président lui a demandé comment cela se faisait que lui, membre du PSD, avait pu changer d’avis et exécuter les ordres. Il explique qu’après cette réunion du sous-préfet il a eu peur d’être tué.

L’avocat général a lu un résumé du compte rendu de la réunion du 16 avril du préfet Habyarimana. Le ministère public lui a demandé ensuite s’il connaissait l’IPJ Rugema. Il a répondu qu’il le connaissait car il faisait partie de ses administrés. Il a été tué avec sa famille puis jetés dans un champ à Rwesero mais il ne sait pas par qui. L’avocat général lui a demandé si son exécution avait pu être perçue par la population comme un signal fort que si elle refusait de participer aux tueries ils seraient tués, ce qu’il a confirmé. L’emmener à Rwesero alors qu’il avait été tué à Nyanza était un signal à la population.

L’interrogatoire a repris vers 14h30 après une suspension d’une heure. Le Président a voulu revenir sur le déroulement de la journée du 23 avril. Monsieur DUSINGIZIMANA a ainsi expliqué avoir d’abord réuni la population car ils avaient peur de ce militaire de la colline de Nyabubare. Il leur a dit qu’il allait voir le commandant Birikunzira pour le prévenir. Il s’est rendu à la gendarmerie et lui a dit qu’ils étaient incapables de l’affronter seuls. Au même moment, un véhicule conduit par Biguma est arrivé avec à bord le bourgmestre Nyagasaza, des gendarmes et cinq à sept Tutsi dans la caisse arrière. Le Président lui fait remarquer que plusieurs témoins ont dit que c’était un chauffeur qui conduisait, mais il insiste que c’est bien Biguma. Nyagasaza était dans la cabine, ils se sont salués. Il n’avait pas l’air d’avoir été battu mais on voyait la peur sur son visage. A leur arrivée, Birikunzira a dit à Biguma de prendre le mortier de 60 mm pour accompagner le conseiller et aller chercher le militaire sur la colline de Nyabubare pour le ramener au camp. Il a également ordonné de tirer sur les Tutsi pour accéder à la colline. Israël va ensuite aborder le meurtre des civils Tutsi près de chez Ntashamaje. Biguma a donné l’ordre aux gendarmes de les exécuter. Ils ont fouillé leurs poches et les ont fait emmené à environ cinq mètres en contrebas de la route. Ils sont repartis ensuite vers Mushirarungu. Le véhicule s’est ensuite arrêté une seconde fois au niveau du bureau de secteur de Mushirarungu. La population s’y était rassemblée sous ses ordres. Biguma a demandé au bourgmestre de descendre du véhicule et de se rendre à peu près à 20 mètres au-dessus de la route. Le bourgmestre s’est couché par le bras gauche et deux gendarmes ont tiré dans les côtes du bras droit. Ils lui ont tiré une balle chacun. Biguma a ensuite dit à la population : « voilà l’exemple que vous nous donnons. Maintenant nous allons nous diriger là-bas où se trouvent les réfugiés Tutsi ».

Me Guedj est revenu sur son audition devant le TPIR en 2005, témoignage qu’il avait déposé anonymement sous les initiales A.N.H. Il avait affirmé : « nous sous sommes arrêtés et Biguma a demandé que les 6 Tutsi soient fouillés. On les a fouillés mais sans rien trouver ». Me Guedj lui a demandé pourquoi alors il a dit devant les gendarmes en 2019 que les gendarmes avaient pris leur argent avant de les tuer. Israël a répondu avoir toujours dit qu’ils avaient trouvé et pris de l’argent aux civils Tutsi. Également Me Guedj lui a demandé pourquoi est-ce qu’en 2019, il avait affirmé ne pas savoir qui conduisait le véhicule, mais il a répondu avoir toujours dit que c’était Biguma. Le Président va insister mais il ne donnera pas d’autre réponse. Enfin, Me Guedj lui demandera pourquoi est-ce qu’il a plaidé coupable pour le meurtre du bourgmestre, alors qu’il dit ne pas y avoir participé. Le témoin a affirmé qu’en tant que conseiller de secteur, élu par la population, il avait un rôle pour contrecarrer ces gendarmes et empêcher le meurtre de ce bourgmestre.

Le Président est ensuite revenu sur l’attaque de Nyabubare. Le témoin a expliqué que le véhicule s’est garé et ils ont continué à pied vers la colline. Il a vu les gendarmes installer le mortier de 60mm. Biguma a appelé à haute voix le soldat qui se trouvait sur la colline mais celui-ci a répondu « je ne viens pas ». Les gendarmes ont commencé à pilonner la colline, et ont demandé à la population d’avancer vers la colline. Les tirs de mortier ont dispersé la population et les civils Hutu se sont lancé à leur poursuite pour les tuer. Lui-même en faisait partie, armé d’un gourdin. Les gendarmes ont cessé les tirs de mortier quand les Hutu sont arrivé sur la colline puis ont utilisé des fusils d’assaut et des grenades. L’adjudant-chef Biguma organisait les gendarmes, et lui organisait la population. Biguma leur avait demandé de fouiller partout et de ne laisser personne. Le lendemain, le témoin explique avoir demandé à la population d’enterrer les cadavres dans les caniveaux. Il estime les victimes à environ 300. Les survivants retrouvés étaient achevés. Le Président lui a demandé si à ce moment-là il s’était rendu compte de ce qu’ils avaient fait. Il a expliqué qu’ils avaient perdu le sens de l’humanité, ils n’étaient plus humains. Le Président lui a également demandé s’il avait vu François Habimana venir vers les gendarmes les mains en l’air, et s’il avait vu les civils Tutsi qui l’avait suivi être alignés et exécutés. Il affirme ne pas avoir assisté à cela. Néanmoins, le Président lui fait remarquer que lors d’une remise en situation où Habimana était présent, il fait affirmer l’avoir vu les mains en l’air. Il l’a reconfirmé pendant la confrontation avec l’accusé. Le Président va beaucoup insister mais il va continuer de déclarer qu’il n’y a pas assisté.

Me Tapie lui a demandé une réaction aux déclarations de Philippe Hategekimana devant la Cour, qui affirme être parti de Nyanza le 19 avril. Israël répond ne pas être surpris par ce déni, c’est normal qu’il n’accepte pas son rôle dans les massacres. Par contre, il n’est pas le seul à témoigner contre lui, toute la population là-bas le connait et l’a vu.

Me Guedj lui a demandé si en accusant les gendarmes il ne cherchait pas plutôt à atténuer sa propre responsabilité en tant que conseiller de secteur. Israël a répondu que dire ce qu’il a vu sur les gendarmes n’enlève rien au fait qu’il a plaidé coupable et qu’il a été condamné. L’avocat de la défense est ensuite revenu sur les armes, et plus particulièrement le mortier et comment il avait été installé. Le témoin a expliqué que le mortier avait été soulevé par les gendarmes dans le véhicule puis tendu à d’autres en bas du véhicule. Me Guedj est ensuite revenu sur l’attestation remise au CPCR et qui est jointe à la plainte initiale. Il a expliqué avoir rencontré Madame et Monsieur Gauthier au Rwanda, lorsqu’ils sont venus le voir en prison. Il leur a dit la vérité sur Biguma, mais comme il le fait à chaque personne qui l’interroge. Me Guedj lui a ensuite demandé des précisions sur son rôle de « formateur autour des faits de génocide ». Il a expliqué avoir au sein de la prison une fonction de prédicateur qui consiste à inciter les autres prisonniers à dire la vérité. Il leur dit qu’avouer leur fera du bien à eux mais aussi aux rescapés et aux proches de victimes du génocide. Il dit ne pas recevoir d’argent pour cette fonction. Me Guedj a quand même tenu à faire remarquer à la Cour que six des témoins entendus au cours des audiences ont affirmé avoir entendu parler de l’accusé grâce au conseiller Israël.

Le Président a souhaité terminer l’interrogatoire d’Israël DUSINGIZIMANA par la question des barrières. Il a confirmé avoir vu l’accusé circuler sur les barrières pour les contrôler. Il y demandait de « redoubler d’efforts pour que l’ennemi Tutsi ne passe pas ». Il passait pour les encourager car il disait que s’ils ne le faisaient pas ils allaient avoir des problèmes. Lui-même dit avoir contrôlé des barrières, celle de bleu-blanc, celle de Rwabuye et celle de Ntuzi. Ils avaient pour ordre de tuer tous les Tutsi qui y passait. À une question de Me Bernardini, Israël va affirmer avoir vu l’accusé sur les barrières jusqu’à la prise de Nyanza par les Inkotanyi.

Le Président a voulu faire réagir Philippe Hategekimana à toutes ces déclarations. Il a déclaré simplement ne pas avoir été présent à Nyanza à ces dates-là. Il est revenu sur ses activités depuis 1991 mais le Président lui a dit que ce n’était pas le moment et qu’il pourrait revenir dessus plus tard. Il dit simplement ne jamais avoir vu Israël, celui-ci témoignerait contre lui car il y a été préparé.

Au vu de l’heure à laquelle s’est terminée l’audition d’Israël DUSINGIZIMANA (19h30), seule une des deux parties civiles prévues aujourd’hui sera entendue. Il s’agit de Foibe MUHIGAYANA, partie civile représentée par Me Gisagara. Elle a tout d’abord parlé de la situation qui prévalait au Rwanda avant le génocide. À l’école, ils séparaient les Hutu des Tutsi et des Twas. Un climat de ségrégation s’est développé. Après la mort de Juvénal Habyarimana, les gens sont venus de Kigali. Elle dit en avoir rencontré avec sa famille alors qu’ils étaient allés récolter des patates douces dans la vallée. Ils leur ont dit qu’ils venaient faire ici ce que faisaient les autres à Kigali. En revenant, et alors que les maisons commençaient à être incendiées, sa mère a voulu fuir. Elle lui a dit avec sa sœur d’aller à la colline de Nyabubare, car il y avait beaucoup de réfugiés déjà et elle pensait que les gendarmes allaient venir les protéger. Le reste de sa famille est allée à Nyamiyaga car beaucoup de réfugiés commençaient à arriver. Lorsqu’elles sont arrivées toutes les deux à Nyabubare, environ 20 minutes plus tard, des gendarmes se tenaient plus loin. Elles ont entendu deux explosions. Les gendarmes sont arrivés et les gens ont dit : « Biguma arrive ». Les Interahamwe ont ensuite commencé à découper les gens. Sa sœur l’a prise par le bras et elles sont reparties vers chez elle. Arrivées à la colline de Nyamiyaga, des mamans faisaient à manger pour nourrir les jeunes afin qu’ils les défendent. Le lendemain, les tueries ont commencé. Un véhicule est arrivé en provenance de Mushirarungu avec beaucoup d’Interahamwe. Les gendarmes ont lancé un objet qu’elle ne connaissait pas de couleur noire de telle sorte que quand quelqu’un venait les tuer, on ne pouvait pas voir son visage. Parmi les gendarmes, elle ne sait pas s’il y avait Biguma, mais il y en avait un où l’on disait qu’il fallait qu’il donne les instructions sur la manière de tuer. La population Hutu disait que même si quelqu’un était touché par balle, il fallait repasser derrière pour le tuer. C’est là qu’on l’a découpée au niveau du cou. On lui a ensuite lancé une machette dans le dos puis on l’a découpée au niveau des jambes. Ils l’ont poussée dans un ravin la prenant pour morte. Puis, la pluie est tombée et les Interahamwe ont été s’abriter. Quelqu’un est passé par là et elle lui a demandé de l’aider à sortir. Au lieu de ça, il l’a repoussée à coup de pied. Un enfant qu’on avait découpé est passé par là en train de pleurer, et l’a aidée à sortir. Ils sont partis tous les deux vers une maison à l’intérieur de laquelle il y avait des blessés qui agonisaient. La population est ensuite venue avec un gendarme, dont on lui a dit qu’il s’agissait de Biguma. Ils les ont battus puis les ont laissés pour morts. L’enfant avec qui elle était est mort sur place. Après que les assaillants soient partis, elle s’est relevée dans le but de retrouver des membres de sa famille. C’est là qu’elle a vu sa mère, agonisante mais encore en vie, en train d’être violée par un homme. Ensuite, on lui a enfoncé une lance et elle est morte. Elle y a également plus tard retrouvé un de ses frères, à qui on avait coupé les deux jambes et qui lui a fait un geste de la main pour lui dire de partir. Elle est donc repartie et à chercher des endroits où se cacher. Elle a commencé à vivre dans les brousses. La nuit, elle en profitait pour sortir chercher de la nourriture dans la vallée. Un jour, des Interahamwe l’ont trouvée et l’ont tabassée. Ils lui ont dit que de toute façon elle allait mourir de faim. Quand ils sont repartis, elle s’est souvenue que sa tante n’habitait pas loin. Une fois sur place, une attaque est arrivée. Sa tante l’a jetée derrière la clôture et elle s’est cachée. Sa tante et ses cousins ont été emmenés par les Interahamwe. N’ayant plus d’endroit où aller, elle est retournée chez elle. Mais des Interahamwe l’ont retrouvée pour la mettre dans un bus. En réalité, le bus signifiant la rivière Mwogo. Un véhicule est arrivé et les Interahamwe ont dit : « ça c’est Biguma ». C’est lui qui leur a demandé de se rendre à la rivière. Une fois là-bas, on les a alignés et ils ont commencé à découper les gens. Quand ce fut son tour, celui qui allait la découper l'a jetée dans les herbes. Elle a attendu la tombée de la nuit pour retourner chez elle. Elle est allée là où on avait tué les gens sur la colline pour voir s’ils avaient été ensevelis depuis mais non. Quelqu’un qu’elle connaissait lui a conseillé d’aller à Nyanza car les Inkotanyi allaient arriver. Elle s’y est rendue et les a trouvés.

Au cours de son témoignage, la défense l’a interrompue à deux reprises pour dire que les faits qu’elle raconte ne sont pas en lien avec ce qui est reproché à l’accusé. Le Président rappelle en effet que ce sont de nouveaux faits dont ni le juge d’instruction ni la Cour n’a eu connaissance. Le Président veut qu’elle en soit consciente.

Par Léna JAOUEN, Stagiaire Commission Justice Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024