Author-card of document number 34667

Num
34667
Date
Mercredi 20 novembre 2024
Ymd
Author
File
Size
85437
Pages
9
Urlorg
Title
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 11
Subtitle
Compte rendu de l’audience du mardi 19 novembre 2024
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Source
Type
Page web
Language
FR
Citation
Ce 11ème jour d’audience du procès Hategekimana s’est ouvert avec l’audition en visioconférence depuis le Rwanda de Jacques MUSABYIMANA, cité à la demande du parquet. Le Président lui a d’abord demandé s’il avait été condamné pour des faits liés au génocide. Il a en effet été condamné à 25 ans de prison pour avoir participé à des attaques. Il cite une à Mugonzi, une chez des abbés et une autre aux maisons commerciales. Il a expliqué avoir connu l’accusé avant le génocide, car celui-ci venait dans le bar qu’il tenait avec sa famille à Nyanza. Il l’a également côtoyé lorsqu’il était électricien pour un projet où il était chargé de la maintenance des bâtiments publics, dont la gendarmerie faisait partie. Le Président a ensuite voulu reprendre les faits qu’ils avaient expliqué devant les gendarmes dans l’ordre chronologique. Ainsi, le 22 avril, jour du commencement du génocide à Nyanza, le témoin a vu des militaires accompagnés par le commandant Birikunzira. Il explique c’est ce dernier qui dirigeait les attaques au début, et ensuite ce fut Biguma. Devant les gendarmes, il a expliqué que le lendemain, le 23 avril, Biguma et Jacques MUDACUMURA, inspecteur scolaire, sont venus aux barrières chercher ceux qui les tenaient pour aller « chercher des Tutsi à Mugonzi ». Il y a une confusion sur la date car le témoin confirme mais pour lui cela se serait passé dès le 22 avril. Il dit que cela s’est passé un dimanche, or le dimanche tombait le 24 avril. Le témoin a ensuite expliqué avoir participé à cette attaque armé d’une grenade et d’un arc (le Président est surpris car il n’avait jamais parlé de ce type d’armes auparavant). Jacques et Biguma leur avaient ordonné de fouiller les maisons du quartier afin de trouver des familles Tutsi. C’est dans cette attaque que la famille de Charles Kitumva a été tuée. Pendant ces attaques, l’accusé et Jacques étaient partis. En revanche, le témoin affirme qu’ils étaient présents lors de l’attaque de la famille d’Aloys Bahore plus tard dans la journée.

Le lendemain, le commandant Birikunzira l’a chargé d’emmener les corps à la rivière Mwogo pour les jeter, escorté par des militaires. Il y avait plus de cinquante corps. Sur le chemin de retour, au niveau de la colline de Nyamiyaga, ils ont rencontré un groupe de Tutsi, armés de fusils, qui leur ont tiré dessus. Lui-même a pris une balle au niveau du bras. Birikunzira aurait ensuite pris la décision d’envoyer plusieurs militaires et gendarmes sur la colline. Ils y ont exterminé les Tutsi sur place. Il ne sait pas si l’accusé était présent. En revanche, il raconte que Biguma les avait dirigés vers une autre attaque, celle de l’église de Nyanza. C’est Biguma et Jacques qui, une fois sur place, leur donnait leurs positions. Lui était avec un bâton dans un coin de l’église à l’extérieur, afin de surveiller qu’aucun Tutsi ne s’échappait. C’est là qu’il a vu Biguma et Jacques sortir l’abbé Mathieu de l’église et qu’ils l’ont fusillé, en tout cas c’est ce qu’il dit avoir déduit du fait qu’ils étaient les seuls armés de fusils. Le Président lui fait remarquer que devant les gendarmes il avait affirmé être un témoin direct de la scène, mais il maintient qu’il n’a pas pu les voir. En tout cas Biguma était le chef de cette attaque. Deux jours plus tard, alors qu’il se trouvait à la barrière de Trafipro, il dit avoir vu un homme arrivé en courant pourchassé par des civils. Biguma l’aurait abattu avec son arme. Il aurait dit ensuite : « vous ne le connaissez pas, il allait tous vous tuer ». Le Président lui fait remarquer que ce n’est pas ce qu’il a dit devant les gendarmes. Il avait en effet affirmé qu’il était chez lui et qu’il a entendu des coups de feu. Mais le témoin réaffirme sa version. Ce sont les civils présents qui lui ont appris que cet homme était en réalité le major Kambanda.

Me Gisagara a ensuite essayé d’en savoir plus sur les armes utilisées par les Tutsi à la colline de Nyamiyaga. Il lui a demandé s’il était certain que ces Tutsi avaient la même force de tir que les militaires. Il dit avoir été au volant pendant l’attaque, et qu’il a simplement vu des échanges de balles. Me Gisagara lui a ensuite demandé s’il avait quelque chose à dire aux proches de personnes décédées qui étaient dans la salle. Il n’a rien eu à leur dire.

L’avocat général a ensuite cherché à savoir pourquoi une barrière avait été érigée à Mugonzi. Le témoin a expliqué qu’elle se trouvait à un carrefour important, sur la route qui menait aux écoles et à l’église. Il lui a ensuite demandé si ces barrières aussi nombreuses au centre-ville avaient pour but de pouvoir rattraper les Tutsi qui s’étaient enfuis d’une barrière soient rattrapés. Le témoin a confirmé. L’avocat général a ensuite voulu savoir ce que leur disait Biguma pour les inciter à travailler sur les barrières. Il a répondu qu’il ne pourrait pas se prononcer là-dessus étant donné qu’il allait d’abord s’entretenir avec Jacques et que c’est Jacques ensuite qui donnait les ordres. Il a également expliqué à l’avocat général que l’exécution des ordres était obligatoire car ils étaient donnés par des autorités.

Me Lotte pour la défense lui a demandé tout d’abord s’il était possible qu’une peine de prison soit réduite sur décret du président. Il répond que oui c’est possible, et que d’ailleurs il en connait plusieurs qui en ont bénéficié. Il cite notamment François Murekezi. Lui n’en a pas bénéficié, il a purgé toute sa peine. L’avocat lui a ensuite demandé si certains prisonniers pouvaient accepter de faire des faux témoignages en échange d’une remise de peine. Il a expliqué que non cela n’arrivait pas. L’avocat a ensuite tenté dans savoir plus sur la raison pour laquelle son témoignage sur le meurtre de l’abbé Mathieu diffère autant avec ses déclarations devant les gendarmes. Le témoin a répété la même chose qu’il a dit précédemment. Me Lotte et Me Guedj ont demandé à ce qu’il soit donné acte de cette contradiction. Le Président n’a pas fait droit à leur demande. Les avocats de la défense ont ensuite posé la même question au témoin s’agissant de la question du rôle de Biguma aux barrières. En effet, lors de son audition, le témoin avait affirmé aux gendarmes ne pas avoir constaté le rôle de Biguma sur les barrières. Le témoin ne donne pas de réponses claires. Le Président a alors tenté de lui faire comprendre les enjeux de cette non-réponse, qui peut laisser croire que son témoignage n’est pas fiable. L’avocat général a pris la parole pour remettre dans son contexte la phrase du témoin dans l’audition. Il explique que c’est possible que le témoin n’ait pas bien compris la question des gendarmes puisqu’il y a ensuite une dizaine de pages d’audition où il va expliquer précisément le rôle de l’accusé sur ces barrières.

La matinée s’est poursuivie par l’audition de l’une des parties civiles, Olivier KAYITENKORE, représenté par Me Gisagara. Il dit être venu donner le témoignage de ce qu’il a vécu ainsi que ce qu’a vécu sa famille pendant le génocide. Né au Burundi alors que sa famille s’y était réfugiée, il a commencé par raconter les difficultés qu’il a connues en tant qu’élève Tutsi une fois rentré au Rwanda. En 1990, il part à Nyanza étudier à l’école des sciences. Quand la guerre a commencé peu de temps après, un groupe d’individus à l’école étaient chargés de terroriser les Tutsi. Le directeur de l’école en faisait partie. Il dit que les gendarmes également les fouillaient. Il y avait quelque chose qui couvait à ce moment-là pour tuer les gens. Lorsque sa famille a appris l’attentat du 6 avril, ils ont immédiatement prévenu leurs proches et leurs voisins. Une voisine leur a dit de fuir. Leurs proches de Kigali leur ont dit que des tueries commençaient. La population s’est mise à se cacher la nuit.

Au départ, tous se cachaient, Hutu comme Tutsi. Il dit ensuite qu’ils appelaient ça des rondes. À partir du 15 avril, les Hutu n’y participaient plus. Ils ont commencé à entendre des tirs à la maison du bourgmestre, et les gendarmes ont commencé à faire des patrouilles. Le 19 avril, après le discours du président, « les choses ont commencé à chauffer ». Le 21 avril, alors qu’il partait voir sa mère à l’hôpital où elle travaillait, il a vu des groupes de militaires avec des fusils et des gourdins. C’est là qu’il s’est rendu compte que le génocide débutait à Nyanza. Il est rentré chez lui avec sa mère retrouver ses frères et sœurs. C’est là qu’il a décidé de partir, il ne voulait ni mourir là ni voir sa famille mourir devant ses yeux. Avec deux amis rencontrés sur le chemin, il s’est rendu à Mayaga dans la famille de l’un de ses amis. Les gens là-bas avaient décidé de résister aux attaques mais ils en ont convaincu certains de fuir avec eux. C’est en étant aussi nombreux qu’ils ont réussi à franchir toutes les barrières jusqu’à la frontière avec le Burundi. Sur la route, ils ont appris par la population que le bourgmestre Nyagasaza avait été emmené par les gendarmes la veille. Là-bas, ils ont trouvé des militaires burundais armés, qui les ont attaqués avant de se rendre compte qu’ils étaient des Tutsi. Au Burundi, il est allé dans un camp de réfugiés. En mai, quand il a appris que Nyanza était tombé, il a voulu repartir. Arrivé au Bugesera, quelqu’un lui a appris que son père avait été tué mais qu’aux dernières nouvelles le reste de sa famille était encore en vie. Une fois à Nyanza, il a appris que son père avait été tué alors qu’il avait demandé à un de ses amis à l’école technique féminine de s’y réfugier. Il a également obtenu des informations sur ce qui était arrivé à sa famille. Ils ont fui à Remera. Une amie de la famille a confié les plus jeunes de ses frères et sœurs à un orphelinat. Un certain Birikunzira aurait ensuite dit à cette femme que les Tutsi avaient été exterminés, et celle-ci a répondu qu’elle ne savait pas sur quoi il se basait puisqu’il y en avait plusieurs ici. Un véhicule de gendarmes est arrivé plus tard avec des Interahamwe et ont emmené les plus âgés de sa fratrie ainsi que sa mère à la barrière de Nsengumuza pour les tuer. A Nyanza, il a réussi à retrouver son petit frère et sa petite sœur à l’orphelinat.

Me Gisagara lui a ensuite demandé si pour lui il y avait un lien entre l’arrestation de Nyagasaza à la frontière avec le Burundi et la présence de militaires le lendemain. Il a confirmé. Me Gisagara a demandé ensuite sur son processus de deuil, ainsi que sur ce qu’il attendait de la justice. Il a répondu qu’il avait commencé à faire son deuil lorsqu’il a retrouvé les corps de ses proches et qu’il a pu les enterrer dans la dignité. Le Président a souhaité le faire commenter des photos de sa famille qui sont dans le dossier.

L’après-midi a débuté par l’audition de Straton RUDAHUNGA, entendu au titre du pouvoir discrétionnaire du président à la demande de la défense. Ses déclarations vont surprendre la Cour. Entendu une seule fois en 2017, il va totalement changer ses déclarations. Il va en effet affirmer être ici pour parler de deux choses sur l’accusé : Philippe Hategekimana aurait tenu une réunion à Rwesero le jour où les barrières ont été érigées et il aurait attaché le bourgmestre Gisagara sur la carrosserie de sa voiture. Lorsque le président lui fait remarquer que ce n’est pas du tout ce qu’il avait raconté en 2017, il va affirmer ne pas se souvenir de cette audition. Le témoin va ainsi raconter que pendant le génocide il était responsable de la cellule de Rugarama, secteur de Rwesero, et qu’en tant que tel il avait été désigné pour être le chef de la barrière Akazu Kamazi. Le 22 avril, le bourgmestre Gisagara a réuni les conseillers de secteur et les responsables de cellules pour parler de la sécurité de plus en plus précaire à Nyanza. Après cette réunion, il a constaté que des militaires étaient là pour ériger des barrières. Quand ces militaires sont partis dans la soirée, c’est Biguma qui a fait venir des gendarmes pour les remplacer. A la barrière Akazu Kamazi, il y avait 3 gendarmes. Birikunzira et Biguma sont venus et leur ont dit que les Tutsi étaient des ennemis et qu’il fallait commencer le plan de le tuer. Les attaques ont commencé ensuite dans les maisons et les gens étaient ramenés à la barrière pour y être tués. Après ces massacres, ils ont appelé Birikunzira pour avoir un véhicule afin d’emmener les corps à la rivière Mwogo. Celui-ci a refusé et ils ont donc enterré les corps dans les caniveaux. Environ trente personnes ont été tuées cette fois-là, dont les membres du clan Bayora. La barrière était tenue la journée par les gens âgés, les plus jeunes la tenaient la nuit. Le témoin raconte ensuite l’épisode où il a vu Biguma passer en voiture devant la barrière avec Gisagara attaché à la carrosserie. Ils ont ensuite retrouvé son cadavre au palais royal, et cela se voyait qu’il avait été mis à mort. Le Président a ensuite cherché à nouveau à savoir pourquoi il n’avait jamais parlé de ça auparavant. Le témoin va dire : « quand on se rappelle de quelque chose, on témoigne dessus ». Le Président a également essayé d’en savoir plus sur le rôle de Biguma aux barrières. Il a expliqué que Biguma, tout comme Birikunzira et Barahira, a eu un rôle dans leurs érections des barrières. Biguma était là quand la barrière Akazu Kamazi a été érigée. Le Président lui a également demandé s’il y avait un autre Biguma à la gendarmerie de Nyanza. Il a affirmé que non, il était le seul et qu’il était bien connu de partout.

Me Guedj l’a interrogé sur sa condamnation en 1995 à 12 ans de prison par la juridiction Gacaca. Le témoin a expliqué avoir été reconnu coupable comme co-auteur des massacres en raison de sa position d’autorité. En revanche, il n’aurait tué personne. L’avocat lui a demandé s’il s’était entendu avec ses co-accusés, notamment Damascène Bukuba. Le témoin ne les aurait même pas vus. Me Guedj va insister ensuite sur les divergences entre ses différentes déclarations. Il va répondre qu’il a eu beaucoup d’auditions, notamment par des personnes qui travaillent pour le tribunal international pour le Rwanda à Arusha. Le Président va lui demander s’il est véritablement libre de ses déclarations et s’il fait l’objet de pression. Il va simplement répondre non, rien. Me Guedj termine par dire que c’est le sixième témoin « qui vient raconter n’importe quoi » et que la prochaine fois il fera un incident.

La dernière audition de la journée est celle de Jean-Baptiste HABINEZA, partie civile, représenté par Me Karongozi. Aujourd’hui secrétaire exécutif du secteur de Nyagisozi, il est également venu donner son témoignage ainsi que celui de sa famille. Lui-même s’est réfugié avec sa famille sur la colline de Nyamiyaga. Le 21 avril, les Interahamwe de Gikongoro sont arrivés et se sont alliés à ceux de Nyanza. Ils ont commencé à incendier les maisons et à les attaquer. Ils ont répondu en leur lançant des pierres et ils ont rebroussé chemin. Le lendemain, ils sont arrivés accompagnés de gendarmes et militaires. Ces derniers tiraient des balles et les civils achevaient les survivants à coups de machettes ou de gourdins. Son père y est décédé ainsi que quatre membres de sa fratrie. Biguma faisait partie de cette attaque, c’est lui qui l’a dirigée. Il le sait grâce à des témoignages de rescapés et de membres de sa famille, mais aussi et surtout grâce au conseiller Israël DUSINGIZIMANA qui était un ami de la famille. Le témoin a ensuite parlé de ce qu’il avait appris de l’attaque de la colline de Nyabubare. Sa belle-sœur et quatre de ses enfants y sont morts. Son frère y a survécu mais il est décédé en 2002. Biguma a collaboré dans cette attaque avec le conseiller Israël et un autre conseiller, François MASONGA (qui a remplacé le bourgmestre Gisagara après sa mort). Me Karongozi lui a ensuite demandé de parler de ce qu’il savait de la famille de l’accusé. Il a expliqué qu’il avait administré pendant cinq ans le secteur d’origine de l’accusé. Il affirme que Philippe Hategekimana est le seul membre de sa famille à avoir participé au génocide.

Me Guedj a ensuite voulu demander à l’accusé si les informations données sur sa famille était correcte, et il a répondu que non. Me Guedj a donc demandé à Monsieur Habineza s’il se rendait compte qu’il ne parlait pas de la famille de Hategekimana. L’avocat pense qu’il doit sûrement le confondre avec un autre Biguma. Me Guedj va en effet citer les pièces du dossier où d’autres Biguma sont mentionnés. L’audition en termine là et le Président décide de résumer les pièces citées par la défense. La première est une audition où la personne entendue donne un autre nom pour Biguma et affirme que Hategekimana est sûrement un ajout à son nom. Toutefois, cette personne l’a reconnu formellement sur photo. Me Guedj regrette qu’on n’ait jamais pu confronter cette personne. La deuxième pièce est un jugement du 8 avril 2009 rendu par la juridiction Gacaca. Il y avait six accusés dans ce procès dont « Biguma » et Philippe Hategekimana. Le jugement conclut qu’il n’y a pas assez d’éléments pour statuer sur le cas de Philippe Hategekimana tandis que Biguma est déclaré coupable. Toutefois, rien n’est indiqué sur les faits ou sur la motivation du jugement.

Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Juridique Ibuka France
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fgtquery v.1.9, February 9, 2024