Fiche du document numéro 34622

Num
34622
Date
Jeudi 3 octobre 2024
Amj
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Taille
0
Pages
0
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Titre
Procès de Rwamucyo à la Cour d’assises de Paris - 2ème jour
Sous titre
Compte rendu de l’audience du 2 octobre 2024
Nom cité
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Type
Page web
Langue
FR
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La deuxième journée du procès à l’encontre de Monsieur Eugène Rwamucyo a commencé par la poursuite de l’interrogatoire de personnalité de l’accusé. L’accusé a commencé par une déclaration. Il déclare : « hier j’ai entendu le résumé de mon accusation, cela m’a quand même rassuré car je suis devant une justice qui sera équitable et équilibrée, je l’espère. Mais après l’opinion de l’enquêteur de personnalité, j’ai senti que je serais jugé comme Hutu élevé par une famille Hutu extrémiste ». Il poursuit en expliquant les causes du décès de sa mère et évoque les pertes des membres de sa famille. Il revient sur sa scolarité jusqu’à ses études en URSS, puis sur son retour au Rwanda. Avant d’être interrompu par Monsieur le Président, il déclare « j’accepte et j’assume d’être jugé comme un homme » et finit par ajouter que d’évoluer de 0 à 750 parties civiles, c’est mettre sur ses « mains quelques deux ou trois milliers de victimes, c’est de la démesure ». Interrogé en ce sens, l’accusé revient sur son lignage et sur les royautés Hutu, il précise que les rois Hutu « gouvernent comme des pères de famille » et qu’il « n’y a pas de relation de vassalité ».

La place de la religion dans la famille de l’accusé est ensuite abordée. Celui-ci aborde notamment l’évolution de son rapport à la religion catholique et son souhait de devenir prêtre. L’accusé, qui avait, devant l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), dit être persécuté en raison de sa religion, réaffirme s’être senti persécuté. Par la suite, le Président de la Cour a demandé à l’accusé comment il pouvait affirmer que son père avait été assassiné par le FPR. L’accusé explique alors qu’une « attaque armée tue les gens, les déplace et détruit les infrastructures de soins », et qu’ainsi les personnes dans les camps de réfugiés à Goma, « meurent à cause d’eux » (le FPR). Concernant les partis politiques, l’accusé confirme au Président de la Cour que la CDR a été opposée aux accords d’Arusha, il nuance toutefois en affirmant que fin 1993 « même la CDR va espérer que ces accords aboutissent ». La matinée s’achève par l’évocation du site créé rwamucyo.com créé par l’accusé pour communiquer sur son innocence car il « sent qu’accepter d’être appelé génocidaire est une entrave à la présomption d’innocence et à la justice ». L’interrogatoire de l’accusé s’est prolongé dans l’après-midi. Les questions du Ministère public se sont dirigées tout d’abord vers les activités politiques de son père. Il a affirmé que celui-ci avait arrêté ses activités politiques en 1965 après son arrestation par des militaires, comme plusieurs autres membres du MDR (Mouvement démocratique républicain). Il a affirmé qu’à cette époque les Tutsi n’étaient pas attaqués mais seulement priés de partir (c’est ce que lui auraient raconté ses parents). Suite à une question de l’avocat général sur le niveau de scolarisation à cette époque, l’accusé a affirmé que tous ceux qui en étaient capables pouvaient obtenir le certificat d’étude, sans aucune discrimination. Il ne s’agirait que d’une question de compétence. Interrogé sur le projet de suppression de la mention de l’ethnie sur les cartes d’identité au moment de l’apparition du multipartisme, il affirme que c’est Habyarimana qui en aurait eu l’idée bien avant, en vue d’accueillir les réfugiés Tutsi. Il a assuré être “absolument pour” cette suppression, ce à quoi l’avocat général s’est dit surpris, étant donné qu’il a certifié à plusieurs reprises que l’ethnie le définissait dans son identité et qu’il fallait en être fier. Interrogé sur le multipartisme, il a répondu que s’il n’y avait pas eu de multipartisme, il n’y aurait pas de génocide : il ne peut pas avoir de multipartisme en temps de guerre.

A ensuite été abordé la question de son lien avec le RDR (Rassemblement Républicain pour la Démocratie). Il a répondu qu’il s’agissait d’un rassemblement de réfugiés rwandais en exil, qu’il a accueilli lorsqu’il faisait partie d’une association d’entraide en Côte d’Ivoire. Pour lui, c’est un mouvement pacifiste qui lutte pour le retour des réfugiés au Rwanda. L’avocat général a cité l’analyse qu’en avait faite à l’époque l’officier de l’OFPRA dans le cadre de la demande d’asile de Rwamucyo : ce serait plutôt un mouvement extrémiste composé de Hutus qui s’opposent au retour des réfugiés. L’accusé poursuit en affirmant qu’il n’a pas adhéré au mouvement, il a simplement accueilli le secrétaire général en Côte d’Ivoire.

Suite à ces questions, le Président a reporté à plus tard l’interrogatoire de l’accusé par la Défense afin d’auditionner le deuxième témoin. Il s’agit d’Augustin Ndindiliyimana, ancien Chef d’Etat Major de la Gendarmerie Rwandaise en 1994 et ancien haut fonctionnaire de l’Etat rwandais. Celui-ci a d’abord commencé à s’exprimer sur sa situation personnelle, et notamment du fait qu’on l’accusait injustement de plusieurs faits et qu’il se sentait menacé. Il a également tenu à s’exprimer longuement sur les responsables de l’attentat du 6 avril 1994, qui sont pour lui des Tutsi du FPR et les casques bleus belges. Paul Kagame en serait l’auteur intellectuel. Le Président l’a interrogé sur les auteurs des massacres dans la région et à Kigali. Il a répondu que les citoyens à Kigali avaient été tués par le FPR. Les jeunes du FPR faisaient partie des Interahamwe, et parmi les massacrés il y a eu des coupables. S’agissant des faits reprochés à l’accusé, il affirme n’avoir rien vu ni entendu. Il n’aurait aucune dent contre les Tutsi, mais aurait des positions différentes de celles “qu’il faudrait”. Il serait en revanche pour la paix et contre les conflits entre Tutsi et Hutu. Concernant ce qu’il s’est passé à Butare pendant le génocide, il déclare que les massacres étaient perpétrés par des groupuscules désorganisées mais également par des attaques spontanées de la masse populaire qui agissaient par peur. Il affirme également que les bourgmestres ont tout fait pour arrêter les massacres. Pour lui, le TPIR a condamné beaucoup de personnes innocentes, car même lui a été accusé de choses fausses.

Les avocats des parties civiles l’ont ensuite questionné sur sa position concernant l’existence ou non du génocide. Il a répondu qu’il s’agissait d’une question piège et qu’il n’y répondrait pas. Interrogé une nouvelle fois par Maître Laval, il affirme qu’il y a eu un génocide mais qu’il a été causé et poussé par Paul Kagame. Il n’aurait jamais échangé avec l’accusé à propos des événements de 1994. Le ministère public l’a également interrogé sur les propos de Jean Kambanda, au paragraphe 8 du jugement du TPIR du 4 septembre 1998 dans lequel il reconnaît avoir incité, aidé et encouragé les préfets, bourgmestres et la population à commettre des massacres, notamment contre les Tutsi. Le témoin répond que Jean Kambanda lui-même a affirmé avoir eu ses propos sous la contrainte et qu’on les lui a dictés. La Défense poursuit en insistant principalement sur le fait qu’il a été injustement incarcéré pendant plus de 11 ans, condamné par le TPIR avant d’être acquitté en appel, puis coincé pendant 3 ans dans une maison de sécurité en Tanzanie avant de pouvoir rejoindre sa famille en Belgique. L’avocate de la défense a appuyé le fait qu’il a été et est encore traité aujourd’hui comme un criminel, un exilé. L’interrogatoire de l’accusé s’est poursuivi vers 17h30 avec les questions de la défense. Il a affirmé dans ses réponses qu’il a compris qu’il s’agissait d’un génocide uniquement après les évènements. Il a par ailleurs répété à plusieurs reprises dans ses réponses que les Tutsi n’étaient pas les seuls à avoir été tués lors du génocide. Il aurait été témoin de massacres commis par le FPR. Si un génocide ne peut en justifier un autre, il a affirmé que les crimes commis peuvent expliquer la participation de la population au génocide.

Vers 18 heures, l’épouse de l’accusé, Mamérique MUKABANANA, est entendue par la Cour. Interrogée sur sa vie de famille par le Président, elle affirme que son mari est un père aimant, proche de sa famille. Elle a également rappelé qu’elle était Hutu par son père tandis que ses deux grands-mères étaient Tutsi. Elle se considère en revanche sans ethnie. Les questions se sont ensuite dirigées vers son activité de journaliste pour Radio Rwanda, où elle a animé une émission sur les faits divers lorsqu’elle habitait à Kigali. S’agissant de la période du génocide, elle affirme être restée chez elle avec son mari pendant une ou deux semaines. Elle affirme ne pas savoir qui a tué ni qui a été tué, elle n’aurait rien vu. Elle aurait seulement été témoin de la mise en place de barrières, dont elle affirme ne pas connaître le but. Elle n’aurait jamais vu ou senti de cadavres, car elle ne sortait que pour aller au marché. Interrogée sur les activités de son mari pendant le génocide, le couple n’en aurait pas beaucoup discuté, simplement il se disait abattu par ce qu’il voyait. Elle finit par ajouter qu’il a enterré des gens dans les fosses communes et qu’elle aurait fait la même chose car c’était la meilleure chose à faire pour les enterrer dignement.

Par Ella Grappin et Léna Jaouen, Stagiaires Commission Justice Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024