Fiche du document numéro 34474

Num
34474
Date
Vendredi 26 juillet 2024
Amj
Auteur
Taille
0
Pages
0
Urlorg
Sur titre
Sous le soleil de Platon
Titre
Beata Umbuyeyi Mairesse : comment se réapproprier la mémoire ?
Sous titre
Autrice de nouvelles et de poésie, Beata Umbuyeyi Mairesse signe un premier récit autobiographique bouleversant, "Le Convoi", publié au printemps chez Flammarion. Trente ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, elle soulève la question du droit à l'image, volé par les médias occidentaux. Avec Beata Umubyeyi Mairesse Auteure franco-rwandaise.
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Émission de radio (son)
Langue
FR
Citation
L'édito de Charles Pépin : "Je voudrais vous raconter l’histoire de l’indicible. Ah, il a bon dos l’indicible… C’est ainsi souvent que l’on qualifie le Mal : indicible, innommable… Il est vrai que parfois l’ampleur du Mal semble ne pas pouvoir se traduire en mots… Il est vrai que le Mal radical dépasse de loin tout ce que nous pouvons en dire, mais cette notion d’indicible cache souvent autre chose…

Pourquoi les victimes de ce Mal ne réussissent bien souvent pas à en parler ? Ce n’est pas simplement que les mots manquent, même s’ils peuvent être durs à trouver, c’est aussi que personne ne veut les entendre. Si les victimes ne parlent pas, c’est alors moins parce que les mots manquent que parce que les oreilles manquent : des oreilles pour écouter ce qu’elles ont à dire. Ce sont moins les mots qui manquent, que les oreilles, et le cœur, et l’empathie, et l’honnêteté. C’est ce que raconte Jorge Semprun dans son chef d’œuvre L’écriture ou la Vie. Rescapé des camps nazis, il raconte qu’il ne raconte rien car il sait que son récit serait au sens propre incroyable, inaudible, insupportable. On imagine la souffrance de celui qui revient de l’enfer, trouve la force de trouver les mots, même imparfaits, même insuffisants, et ne trouve que le silence, le désintérêt, l’incompréhension, ou quelques pauvres phrases d’une politesse déplacée. Jorge Semprun attendra des années avant de pouvoir raconter sa traversée de la mort, son expérience du mal. En parvenant à dire l’enfer traversé, il se réappropriera sa mémoire et empêchera qu’elle soit confisquée par ceux qui n’y étaient pas. Mais comment réussir à dire l’inimaginable de ce mal ? Comment trouver la bonne forme, et la force de le dire ?

Pour en parler ce matin, je reçois une écrivaine franco-rwandaise, romancière et poétesse couronnée par de nombreux prix littéraires, qui a été confrontée à ce problème. Survivante du génocide Tutsi perpétré par les Hutus au Rwanda en 1994, Béata Umubyeyi Mairesse raconte dans "Le Convoi", publié chez Flammarion, comment elle a, avec sa mère et grâce à un mensonge, échappé à la mort. Elle raconte aussi comment certains de ses amis, pourtant au courant de son histoire, ne lui ont tout simplement jamais posé de questions, et comment c’est la forme du récit - et non de la fiction comme auparavant – qui lui a permis de se rapprocher au plus près de son histoire. Elle est avec nous ce matin sur France Inter, sous le soleil de Platon, pour nous aider à comprendre comment la mémoire peut être confisquée, et comment on peut se la réapproprier."

La mémoire trouée

Comment se réapproprier la mémoire ? Et comment celle-ci peut être trafiquée, falsifiée, ou confisquée ? C'est exactement sur cela que Beata Umbueyyi travaille dans son dernier ouvrage : « C'est ce que j'appelle la mémoire trouée. Le souvenir est ancien : on parle d'un événement qui a eu lieu il y a 30 ans et qui a pu être vu à travers des yeux d'enfant ou d'adolescent dans une situation de grande peur. Ce qui fait qu'on n'a pas forcément imprimé tous les éléments de cette survie et ce besoin fondamental de pouvoir être écouté et entendu collectivement. »

Un convoi vers la vie

Beata Umbuyeyi raconte qu'elle a fait partie d'un convoi qui résonne avec celui vers la mort des Juifs. Pour elle, c'est dans l'autre sens, c'est un convoi vers la vie. C'est une association humanitaire qui organisait la fuite, et donc la survie, pour l'essentiel d'enfants. Beata et sa mère ont réussi à partir : « L'ONG s'appelait Terre des Hommes. Je n'en ai pris conscience que tardivement, mais elle était menée par un couple qui a décidé en 1994, pendant le génocide des Tutsis, alors que pratiquement toutes les ONG étaient partis et qu'il y avait un sentiment d'abandon par la communauté internationale, de venir pour essayer de sauver des enfants sans distinction. Cette ONG s'occupait d'enfants en détresse et ils savaient qu'il y en avait qui étaient seuls. Ils ont réussi à organiser trois convois. D'abord début juin, ensuite mi-juin puis début juillet pour sortir les enfants qui étaient dans le sud du pays vers le Burundi voisin. Ma mère et moi avons été pendant les deux premiers mois du génocide, cachées dans un complexe hôtelier dans le centre de Butare. Et à un moment donné, des tueurs nous ont trouvé. »

Un mensonge qui lui sauve la vie

À ce moment-là, Beata Umbuyeyi n'a seulement quinze ans. Elle invente alors une histoire, et prétend qu'elle est française, car elle parle couramment la langue et qu'elle est métisse : « A ce moment-là, les tueurs considèrent la France comme un pays allié. D'ailleurs, quand ils nous trouvent, la première exclamation, c'est : "il y a une blanche". » Beata a alors un courage dingue, et un sens de l'instinct de survie et d'improvisation : « C'est un mensonge que j'invente sur l'instant et il aurait pu ne pas fonctionner. Mais ça marche et nous nous en tirons comme ça et nous arrivons à rejoindre le centre qui était devenu une sorte de havre de paix au milieu de la ville où le génocide continuait. Là, un convoi est en train de se préparer, celui du 18 juin pour lequel Terre des hommes a obtenu une autorisation exceptionnelle du ministère des Affaires sociales qui est en train de commettre le génocide, mais qui pourtant, accepte que des enfants de moins de douze ans puissent partir. L'ONG va supplier le préfet de l'époque de nous laisser rentrer dans ce convoi et on est parti clandestinement, cachées au fond d'un camion avec les enfants assis au-dessus de nous. »

Se réapproprier la mémoire

Il y a donc deux récits, celui qui va lui sauver la vie, puis celui qu'elle raconte dans son livre Le Convoi. Sur la couverture, il y a une photo et une grande partie du travail de Beata Umbuyeyi, est de montrer les traces du génocide des Tutsi au Rwanda qui paradoxalement a été beaucoup photographié, et même filmé, à la différence d'autres génocides. Ce sont des vidéos et des photos réalisées par des étrangers, des journalistes, des humanitaires, mais aussi pas des victimes, qui bien souvent, ont même du mal à accéder à ces traces. Mais pour Beata Umbuyeyi, il faut se réapproprier cette mémoire : « Il m'a fallu cinq ans pour faire cette enquête et c'était symboliquement au moment où j'étais enceinte de mon fils aîné. Et puis c'est quinze ans d'enquêtes vont me mener souvent devant des portes fermées. Parfois, je rencontre des journalistes qui essayent de me fournir des photos et des vidéos, notamment des journalistes de la BBC. J'avais besoin de ces images. On a besoin de documents qui complètent cette mémoire parcellaire. Quand je me suis retrouvé devant les archives du Tribunal pénal international pour le Rwanda, ça a été des portes fermées qu'il a fallu parfois défoncer, en disant que moi aussi en tant que victime, j'ai le droit d'avoir accès à ces archives, même si je ne suis ni chercheuse, ni journaliste. »

43 min

A lire :

Beata Umbuyeyi Mairesse, Le Convoi, Flammarion, 2024

Programmation musicale :

Nick Drake, Day is done

Zamdane & Pomme, Le grand cirque

Générique :

Futuro Pelo
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024