Citation
Prof. Jean-Pierre Chrétien
CNRS
Chers amis, chères amies [note de bas de page n° 1 : Adresse recueillie à Bègles, France, le 27 mai 2022, par Vincent Duclert.],
Mon collègue et ami Vincent Duclert m’a demandé de vous adresser quelques mots. Je suis d’accord pour contribuer à ces majambo. Mais j’avoue que c’est difficile. Ce que vous avez vécu, ce que vous avez subi, on le sait, est indicible. Et ce n’est pas moi, depuis la France, qui vais apporter des mots magiques qui permettraient de surmonter votre douleur.
Alors que dire, sinon vous expliquer comment je peux partager ce que vous ressentez, et pas seulement contribuer à expliquer ce qui vous est arrivé.
D’abord tous ceux, comme moi, qui, à l’étranger, se sont évertués à alerter sur la menace puis la réalité du génocide des Tutsi, ont, indirectement compris sa violence absolue, à travers les tentatives de disqualification, les attaques, les insultes, voire les menaces qu’ils ont durablement subies, de la part de gens manifestement hostiles à ce travail qui nous semblait relever d’un devoir éthique. Une telle violence des mots ne pouvait que révéler, indirectement, l’énormité de la tragédie et la gravité des responsabilités engagées. De toute façon amaso y’ibikere ntabuz’abovomyi, comme on dit en kirundi.
Mais plus personnellement, mon regretté fils adoptif, un Burundais, avait assisté le 22 octobre 1993, depuis une cachette improvisée et alors qu’il n’avait que 10 ans, au massacre de ses parents et de ses trois sœurs, pour le seul fait d’être nés tutsi. Il n’a jamais pu surmonter le syndrome qu’avait laissé en lui cet événement. Un génocide se prépare chez les bourreaux. Mais ensuite il se prolonge dans des souffrances qui enjambant les générations.
Si je peux donc partager avec vous sur la gestion de ce deuil, je dirais que l’essentiel est non d’oublier l’inoubliable, mais de le gérer par la parole. De mon côté l’écriture est une façon de vivre avec ma douleur. Je sais que pour vous les commémorations d’avril, les témoignages en justice quand on en a la force et comme on l’a observé brillamment dans le procès de l’ancien préfet Bucyibaruta, représentent la force de se battre pour la vie.
Je vous exprime donc simplement toute ma sympathie.