Fiche du document numéro 34310

Num
34310
Date
Vendredi 31 mai 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
2982055
Pages
3
Urlorg
Sur titre
Politique
Titre
De quoi est le nom la haine contre le Rwanda ?
Sous titre
Retour sur les rumeurs politiques périodiquement fabriquées et colportées sur le Rwanda non seulement par les négationnistes du génocide perpétré contre les Tutsis, mais également par certains professionnels de l’information aux méthodes de travail et logiques rédactionnelles discutables. Texte de David Gakunzi.
Nom cité
Mot-clé
Mot-clé
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le génocide contre les Tutsis a eu lieu parce qu’une grande partie de l’humanité avait fait le choix de regarder ailleurs et l’autre de soutenir les tueurs. Les génocidaires aussitôt défaits, leurs amis, alliés et sympathisants se sont empressés de lancer des campagnes de harcèlement et de diffamation systématique du Rwanda.

Campagnes d’agression médiatique répétitives tissées d’accusations absurdes, d’insinuations biscornues, de spéculations insensées, de rumeurs abracadabrantesques. De rumeurs reprises, recyclées en boucle, censées ainsi faire autorité, car l’opinion des uns (institués en centre de vérité) aurait une valeur référentielle sacro-sainte, supérieure, incontestable.

On stigmatise donc sans embarras ni retenue, on affirme effrontément ce que l’on sait faux, on donne crédit à des légendes urbaines, on transforme des « on dit » en nouvelles standardisées, labellisées, en événements politico-médiatiques sous-tendus par une volonté manifeste de salir, d’isoler, de rabaisser, de marquer au fer rouge tout un pays et de construire autour de son nom une mémoire collective, globale, publique, négative.

Un jour, ce sont des accusations non vérifiées liées à tel sujet d’actualité diffusées comme des révélations sensationnelles, répandues en flux continus sans aucune précaution d’usage, au nom du « on sait bien que ce n’est pas prouvé, mais on ne sait jamais ça pourrait bien être… » Un autre jour, ce sont des accusations d’ordre mémoriel et des tentatives éhontées de blanchiment des discours négationnistes et de leurs auteurs. Un autre jour encore, c’est autre chose : « Le Rwanda aurait une volonté de domination régionale » ! Le signifiant Tutsi remplacé par le signifiant tantôt Rwanda, tantôt Rwandais, tantôt Kagame, on répète sans honte ni vergogne la rhétorique des génocidaires accusant les Tutsis de vouloir régenter la région, d’ambitionner de mettre sur pied un empire qui étendrait ses frontières jusqu’à la corne de l’Afrique ; le fameux mythe complotiste d’un Empire Hima.

Figuration grossière donc d’un Rwanda qui ne correspond nullement ni à l’histoire, ni au présent, ni au réel, ni à la réalité et ce, à coups d’articles biaisés sans profondeur historique et d’enquêtes bidonnées puisant leur vocabulaire, leur lexique, leur terminologie et langage dans des schémas mentaux ethnocentriques.

Mais quels sont les motifs et les mobiles profonds de cette haine récurrente, de cette rwandophobie ? De quoi est symptomatique cette détestation manifestement passionnelle et, ô combien, tenace ?

Aux yeux de ses détracteurs, le Rwanda symbolise un exemple à défaire. D’aucuns ne pardonneront jamais, d’une part, aux Tutsis du Rwanda d’avoir survécu et, d’autre part à l’ensemble des Rwandais d’avoir choisi la voie de l’unité, de l’inclusion et de la reconstruction de leur pays selon leurs propres termes. Leurs priorités. Leur agenda. D’avoir fièrement refusé avec intelligence d’être une autre sombre histoire africaine. Un autre exemple d’un Etat africain failli. La reconstruction magistrale et le cheminement remarquable du Rwanda post-génocide hors de tout contrat de domination extérieure, constituent aux yeux de ses dénigreurs un acte de défi impardonnable.

Force est de constater que le pays des mille collines dérange. Le Rwanda horripile tous ceux-là qui sont persuadés que l’Afrique n’aurait pour seule et unique vocation que la corruption, que la violence, que la misère, que ce qui va mal, tout ce qui va forcément mal, qu’il faut à tout prix trouver et dévoiler, “la face cachée des choses”, n’est-ce pas ? Le Rwanda agace, car il contredit et remet en cause par son parcours les représentations stéréotypées et les clichés généralement véhiculés sur l’Afrique. Le Rwanda irrite, exaspère, car il a choisi un modèle basé sur les valeurs de dignité, d’excellence, de responsabilité, d’autodéfinition, d’estime de soi, de créativité, d’autodétermination. Le Rwanda énerve, car il promeut en paroles et en actes, une autre façon de voir et de faire les choses. D’agir en partant du réel à transformer. Et non des dogmes, des certitudes, des doctrines fantasmagoriques.

Mais que trahit au fond la rwandophobie actuelle ? Une grille d’analyse de l’Afrique gouvernée par un subconscient racialiste vieux de plusieurs siècles, une vision rance fondée sur l’intériorisation et la reproduction de préjugés tenaces : la dictature serait une marque d’identité africaine et les droits humains étrangers aux civilisations africaines. Autrement dit, les Africains ne seraient point pleinement humains et les sociétés africaines appartiendraient à un univers à part, dépourvu de toute rationalité, de toute moralité, de tout sens de respect de la vie.

Cette façon défectueuse d’envisager, de regarder, de catégoriser, de qualifier l’Afrique est évidement choquante et insupportable. Elle reflète un mode de pensée indigent, limité, anachronique, circulaire. Elle traduit, au mieux, une ignorance sans bornes des sociétés africaines et, le plus souvent, l’expression explicite ou implicite d’une mauvaise foi perverse. Mauvaise foi transpirant une volonté invétérée de réaffirmer et de réactualiser les rapports et les hiérarchies de domination.

Dans tous les cas, cette manière d’appréhender et de dire le Rwanda et l’Afrique ne peut que contribuer à alimenter la colère des jeunes africains de plus en plus nombreux à arguer que les lunettes, les idées, les concepts normatifs, les schémas perceptifs ainsi que les croyances avec lesquels on appréhende l’Afrique depuis des décennies sont non seulement le produit d’une relation de domination désormais désuète, contestée à juste titre, mais également non conformes aux exigences contemporaines d’égalité et de respect mutuel.

David Gakunzi est l’auteur de “Ce rêve qui dure encore”, ouvrage paru en décembre 2023 chez Temps universel.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024