C’est un fait-divers monstrueux, destiné à provoquer une vague d’indignation et de colère, et surtout une soif populaire de vengeance. Six enfants âgés de 6 à 12 partis chercher de l’eau sur la pente d’un volcan sont retrouvés étranglés. Vraisemblablement, les cinq fillettes du groupe ont été violées. On n’en saura pas plus, car aucune autopsie ne sera prescrite par les autorités de ce petit pays d’Afrique. Les notables sont surtout empressées de désigner «
les rebelles » comme les auteurs de ce crime sans mobile apparent. Comme les autorités, les enfants font partie de «
l’ethnie majoritaire ». De leur côté, les rebelles appartiennent à «
l’ethnie minoritaire », désignée par la propagande officielle comme l’ennemi intérieur. Ils réfutent toute responsabilité. Etonnamment, les parents se taisent. Dans cette contrée où «
tout le monde obéit », la vérité est une arme dont le pouvoir politique s’arroge le monopole. «
Aucune guerre ne ressemble à un génocide. Le silence y est plus effrayant que le bruit des armes », dit l’écrivaine. Un silence quasi hypnotique précède le génocide.
Dans ce petit pays il y a des Casques bleus, appelés à constituer une force d’interposition pour transformer le cessez-le-feu en paix durable. Intrigué par les anomalies de la scène du crime et ses potentielles conséquences politiques, le général canadien qui les commande a ordonné une enquête. Elle ne progresse pas. Le mutisme ressemble à un mur. Une journaliste, qui travaille à un documentaire sur un autre crime retentissant commis dans la région dix ans auparavant, s’intéresse à la tragédie des enfants. Sa curiosité et son opiniâtreté font enfin bouger les lignes, dévoilant une machination politico-militaire.
Maria Malagardis tire sur le fil d’une histoire qui se déplie peu à peu. Les enfants ont été exterminés dans l’obscurité d’une forêt de bambous qui porte bien des symboles. D’une plume fluide, affutée, remarquablement imagée, elle tranche un rideau de mensonges et de faux-semblants, «
la lente macération de rancœurs et de jalousies inavouées » qui couvre un projet monstrueux de génocide.
Le lecteur le moins averti finira par penser que l’histoire racontée par la grande reportère du quotidien
Libération est celle du Rwanda en 1994. Car dans ce «
roman », presque tout est vrai, à commencer par le massacre des six enfants en novembre 1993 au nord du pays, le fief des extrémistes «
majoritaires ». Pour ces derniers, liquider des enfants de leur propre ethnie à des fins de propagande, dans le dessein d’une «
vengeance populaire spontanée », n’était pas un problème. Plutôt une martingale…
Par sa cruauté apparemment «
insensée », ce crime barbare préfigure la férocité du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda cinq mois plus tard. Cependant, la réalité du roman-récit de Maria Malagardis porte bien plus loin. C’est le scénario d’une tragédie antique où la survie d’une nation se joue sur des calculs dérisoires, des effets de bande, des mesquineries et des lâchetés de carriéristes, des passions dévorantes. Un roman sur la cécité volontaire et la haine totalitaire, qui porte loin.
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Maria Malagardis,
Avant la nuit, Talent Editions, Paris, 2024, 286 pages, 20,90 €.