Citation
Le procès de 2001 est exemplaire à plus d'un titre. La Belgique est le seul pays au monde où le juge est compétent pour des crimes commis à l'étranger par un étranger contre un ressortissant étranger, alors que ni l'auteur ni la victime ne réside ou n'est de passage en Belgique. Cette série, Rwanda, un génocide oublié, vous plonge dans ce procès par la diffusion de son enregistrement.
D'abord, pourquoi ce titre ? Parce qu'en France, on ne parle plus qu'occasionnellement du génocide, alors qu'il s'est déroulé il y a peu, à la fin du 20e siècle. Quatrième génocide du 20e siècle, après celui des Arméniens, des juifs et des Cambodgiens, il a fait un million de victimes : des hommes, des femmes — du bébé au vieillard. Des victimes essentiellement tutsis dont le seul tort était d'être nées tutsis.
La mémoire du génocide des Tutsis au Rwanda
La mémoire d'un génocide est une mémoire paradoxale : plus le temps passe, moins on oublie. Heureusement pour l'histoire, la justice et peut-être la paix. Il faut pourtant entretenir et enrichir cette mémoire. Et, comme il existe un devoir de mémoire, il existe un devoir de connaissance. C'est ce à quoi France Culture veut contribuer par la production de cette fresque au long cours. À l'origine de cette série de 25 émissions, une association belge, RCN Justice et Démocratie, a obtenu l'autorisation exceptionnelle d'enregistrer l'ensemble des débats devant la cour d'assises de Bruxelles et les a fourni à France Culture.
Chaque émission s'appuie ainsi sur les extraits du procès : on y entend aussi bien des historiens et des politologues que des femmes rescapées des massacres, sorties vivantes d'entre les cadavres. Pour nourrir ensuite une réflexion plus générale sur les causes et les conséquences de ce génocide, voire sur les génocides en général, de nombreux interlocuteurs ont été sollicités : des acteurs du procès et des journalistes, mais aussi des historiens, des témoins, des femmes et hommes politiques, des écrivains, des militaires, des prêtres, un metteur en scène de théâtre, un médecin.
La journaliste Laure de Vulpian écoute avec vous ces documents uniques. À chaque épisode, elle prolonge ces "minutes sonores", les enrichie et les développe à travers un sujet précis. Parmi ces sujets, le rôle de l'Église avant et pendant le génocide, celui de la communauté internationale, celui des médias, la fabrication de la haine au prétexte de l'ethnisme, le statut et la situation des rescapés, ou encore les tentations révisionnistes.
Des Rwandais qui travaillent aujourd'hui à reconstruire leur pays
Laure de Vulpian s'est également rendue au Rwanda, d'où elle a rapporté des paroles fortes, émouvantes, éloquentes, pour faire de cette série un documentaire essentiel à la mémoire de notre histoire.
Il faut ainsi se poser la question de la mémoire ou de l'oubli pour au moins quatre raisons. Parce que, comme le dit Yolande Mukagasana à la barre des témoins, "en nonante-quatre, tuer, c'était comme boire un verre d'eau" ; parce que des jeunes gens se suicident encore par désespoir ; parce que "les enfants du viol ne savent pas encore qui ils sont" ; parce que, enfin, tous les rescapés n'ont pas encore pu enterrer leurs morts.
Écouter pour comprendre l'histoire du génocide
Voici quelques notes pour bien écouter cette série :
- les minutes sonores du procès constituent généralement la moitié de chaque émission ;
- à chaque émission, correspond une problématique ;
- pour chaque problématique, plusieurs interlocuteurs, certains parlent du procès et le racontent, d'autres du génocide rwandais, d'autres encore d'autres génocides ;
- il y a plusieurs niveaux de discours et d'analyse dans cette série : la chronique du procès, le récit du génocide, l'analyse du génocide rwandais et, enfin, des génocides du 20e siècle ;
- ainsi, on part du procès pour s'en éloigner : le récit nous accompagne du particulier pour aller au général.
Notez également que :
- pour éviter l'effet de répétition, vous n'entendrez pas en interview les experts qui ont déposé à la barre ;
- en revanche, vous pourrez écouter en interview certains acteurs du procès : président, juré, avocats qui s'expliquent sur leur vécu du procès de 2001 et ce qui leur en reste quelques années après ;
- de même, vous entendrez certains témoins au Rwanda, où ils vivent et d'où ils étaient venus pour témoigner au procès. Ces témoignages datent de deux ans après le procès — autant de points de vue importants pour éviter toute dérive ethnocentriste.
[Épisodes :]
21/ Ce génocide qui nous habite. Lundi 25 août 2003
Un génocide n'est pas un événement comme un autre. Ce n'est ni une guerre, ni une guerre civile, même si les deux sont souvent concomitants. L'idée d'extermination, en revanche, lui est consubstantielle. Mais qu'est-ce que cette notion veut dire ?
Avec
Jacques Semelin Historien français, spécialiste du crime de masse
Stéphane Audoin-Rouzeau Historien, directeur d'études à l'EHESS, spécialiste de la Grande Guerre
Le mardi 22 mai 2001 est une journée entièrement consacrée au réquisitoire de l'avocat général Marc Winans. Ce procès devant la cour d'assises de Bruxelles, où sont jugés quatre Rwandais pour génocide, a débuté le mardi 17 avril, plus d'un mois plus tôt. C'est ce réquisitoire qui est diffusé dans cet épisode.
Il s'agit également de s'arrêter sur le récit du génocide des Tutsi au Rwanda. Inouï, indicible, ineffable, incroyable, incompréhensible, inimaginable, il est aussi inoubliable. Celui qui se penche sur le génocide est vite absorbé et envahi par son sujet. Fascination ? Répulsion ? Plutôt attraction et initiation.
Dans ces enregistrements du procès de 2001 devant la cour d'assises de Bruxelles, vous entendrez le réquisitoire de l'avocat général. Ce jour-là, le procès de Bruxelles entre dans sa dernière phase avec un réquisitoire maximaliste, comparant ce procès au procès de Nuremberg ou au procès Eichmann, en écho à l'immensité du crime.
Avec également Guislaine, jurée d'assises et Pierre Vincke, directeur de l'ONG belge RCN Justice et Démocratie.
22/ Donner un cercueil aux morts. Mardi 26 août 2003
Quand il s'agit d'un génocide, qu'est-ce qu'être une victime ayant survécu ? Être victime d'un génocide, c'est être condamné à une souffrance éternelle. C'est aussi, et c'est le cas ici, agir en justice pour que la vérité soit dite.
Avec
Naason Munyandamutsa Psychiatre rwandais
Stéphane Audoin-Rouzeau Historien, directeur d'études à l'EHESS, spécialiste de la Grande Guerre
Être victime, c'est un état, un statut multiforme : victime directe ou indirecte, si l'on n'était pas présent au Rwanda pendant le génocide. C'est aussi être une femme violée, enceinte et aujourd'hui malade du sida. Ou encore, victime de la deuxième génération. Voici la rencontre entre l'avocate belge Michèle Hirsch, fille de déportés juifs pendant la Shoah, et plusieurs femmes tutsies, rescapées du génocide rwandais.
Dans les extraits du procès de 2001 devant la cour d'assises de Bruxelles, vous entendrez les plaidoiries des avocats des parties civiles, Eric Gillet, Michèle Hirsch, Mélence Nkubanyi et Georges-Henri Beauthier.
Avec également Eustache Butera, prêtre rwandais, rescapé du génocide, Spéciose Mukayiranga, Rwandaise, rescapée du génocide, partie civile au procès de Bruxelles, Michèle Hirsch, avocate de plusieurs parties civiles et Bernadette, Rwandaise de naissance, Belge d'adoption, membre du collectif des parties civiles de Belgique.
23/ Des bourreaux sans repentir. Mercredi 27 août 2003
Pas d'aveux, pas de remords ni de regrets. Finalement, à quoi a servi ce procès devant la cour d'assises de Bruxelles en 2001 ?
Avec
Jean Hatzfeld Journaliste et écrivain
Naason Munyandamutsa Psychiatre rwandais
L'imprescriptibilité d'un génocide est dite autrement, en particulier au Rwanda pour le génocide des Tutsi : le génocide est un crime qui ne vieillit pas.
À l'heure des plaidoiries de la défense, c'est l'occasion de s'interroger : ce procès de Bruxelles était-il un procès politique, un procès pour l'exemple ? Ou bien jugeait-on les accusés pour leur responsabilité pénale personnelle, individuelle ? En Belgique, le débat n'est pas clos.
Dans les extraits du procès de 2001 devant la cour d'assises de Bruxelles, vous entendrez les plaidoiries des avocats des accusés sœur Gertrude et Alphonse Higaniro, Me. Vergauwen et Me. Evrard. Vous entendrez également les toutes dernières déclarations des accusés : pas d'aveux, pas de remords, ni de regrets.
Ces minutes sonores sont l'occasion de s'interroger aussi sur les tueurs eux-mêmes, ceux qu'on appelle les bourreaux. Si un procès répare les victimes et leur permet d'amorcer le processus de deuil, peut-il aussi réparer les bourreaux ? Les auteurs d'un crime tel qu'un génocide ne seront jamais quitte.
Avec également Luc Maes, président de la Cour d'assises de Bruxelles, Michèle Hirsch, avocate de plusieurs parties civiles et Charles Karemano, sociologue rwandais, réfugié en Belgique, témoin au procès de Bruxelles.
24/ Une culpabilité collective non assumée. Jeudi 28 août 2003
Un procès aide-t-il a tourné la page d'un génocide ? Dans le cas du génocide des Tutsi au Rwanda, il s'agit aussi de se pencher certes sur des coupables, mais aussi sur une culpabilité collective.
Avec
Gasana Ndoba Universitaire rwandais, ancien président de la Commision nationale des droits de l'homme du Rwanda
Colette Braeckman Grand reporter belge au journal Le Soir
La justice n'est pas la vengeance. En disant qui est coupable et qui est victime, elle peut être au contraire un moyen de reconstruire une société blessée, traumatisée. Sur ce point, le procès de Bruxelles a certainement un rôle à jouer, grâce à la loi dite "de compétence universelle" de 1993, dont l'évolution récente est expliquée par Alain Destexhe, sénateur belge, rapporteur de la Commission Rwanda et Michèle Hirsch, avocate de plusieurs parties civiles.
Reste que les Rwandais n'ont pas encore tourné la page du génocide. Ils sont collectivement confrontés à un double défi, politique et psychologique : sortir des non-dits pour assumer leur culpabilité individuelle et collective.
Dans les enregistrements du procès de 2001 devant la cour d'assises de Bruxelles, vous entendrez l'avant-dernière journée d'audience, consacrée au verdict de culpabilité. Le jury doit délibérer seul, sans les magistrats professionnels qui composent la cour, pour dire si les accusés sont innocents ou coupables, partiellement ou totalement.
Avec également Madeleine Mukamabano, journaliste franco-rwandaise, Patrick May, journaliste et écrivain belge, Cédric Vergauwen, avocat pour la défense de l'accusée sœur Gertrude et Laurien Ntezimana, théologien rwandais, animateur pastoral à Butare.
25/ Le pardon impossible ? Vendredi 29 août 2003
Pardon, réconciliation, comment envisager l'après du génocide des Tutsi au Rwanda ? L'action judiciaire fait partie de l'après mais ne clôt rien. Elle engage et acte mais n'est en aucun cas une réconciliation automatique.
Avec
Madeleine Mukamabano Journaliste franco-rwandaise
Jean Hatzfeld Journaliste et écrivain
Vingt cinquième et dernier volet d'une série documentaire consacrée au génocide Rwandais en 1994, à partir du procès, au cours du mois d'avril 2001, devant la cour d'assises de Bruxelles de quatre Rwandais. Aujourd'hui, quid de l'unité du pays et de sa population ? Ce dernier épisode prend le temps aussi d'étudier et observer l'état d'une réconciliation au sein de la nation neuf ans après le génocide.
Dans les enregistrements du procès en cour d'assises de 2001, vous entendrez le jugement. En Belgique, il y a deux verdicts en cour d'assises : le premier pour la culpabilité, le second pour les sanctions. L'avocat général requiert la peine maximale : la perpétuité. La défense plaide pour un verdict de réconciliation. Le jury et la Cour fixent le quantum de la peine, pour chacun des accusés.
Avec également Bernadette, Rwandaise de naissance, Belge d'adoption, membre du Collectif des parties civiles de Belgique et Spéciose Mukayiranga, Rwandaise, rescapée du génocide, partie civile au procès de Bruxelles.