Vincent Duclert est historien. Il a présidé une commission de chercheurs et d'historiens. Cette commission mandatée par le président Emmanuel Macron a rendu en 2021 un rapport historique qui passait au crible la politique française au Rwanda dans les années 1990. Elle a conclu aux "
responsabilités lourdes et accablantes" de la France dans le génocide de 1994, au cours duquel plus de 800.000 personnes ont été massacrées, essentiellement des Tutsis, en trois mois.
TV5MONDE : Pour Emmanuel Macron, la France "aurait pu arrêter le génocide", mais n'en a "pas eu la volonté". Le président Paul Kagamé a lui fustigé l'abandon de la communauté internationale. Les deux hommes ont-ils la même vision historique de la responsabilité de la France lors du génocide ?
Vincent Duclert : Ce qui vient d'être dit par le président Paul Kagame (lors de la cérémonie de commémoration des 30 ans du génocide) est conforme à la vérité historique. Il y a eu un abandon par la Communauté internationale. Le président Paul Kagame a tenu à souligner, toutefois, que trois pays, la Nouvelle-Zélande, la République tchèque et l'Algérie, membres non permanents au Conseil de sécurité de l'ONU, s'étaient battus pour que la communauté internationale agisse et reconnaisse rapidement le génocide.
Il a fait applaudir les ambassadeurs tchèque et algérien présents à la cérémonie. Il faut rappeler que Paul Kagame est un observateur de cette histoire mais il en a aussi été un acteur majeur. Il était à la tête du Front patriotique rwandais qui luttait contre l'ancien régime et qui tentait aussi d'arrêter le génocide par les armes.
Les deux présidents, Paul Kagame et Emmanuel Macron, depuis la visite et les déclarations d'Emmanuel Marcon le 27 mai 2021, sont dans l'idée qu'il faut être dans l'exactitude face à l'histoire. Et cette exactitude doit rapprocher les deux pays. Elle doit lancer une relation qui se veut exemplaire entre les deux pays.
TV5MONDE : Les positions des deux pouvoirs semblent donc être proches sur cette question mémorielle. Que reste-t-il à faire pour rapprocher davantage Rwandais et Français sur ces questions mémorielles ?
Vincent Duclert : Je suis un observateur avant tout. Je peux m'exprimer sur les moyens qui sont mis en avant par les deux présidents. Dans le message du président Emmanuel Macron (message vidéo du président rendu public ce 7 avril n.d.l.r) on trouve une insistance sur la poursuite de la recherche, sur l'ouverture des archives. Selon lui, ces savoirs doivent aller vers l'éducation et vers l'enseignement.
Cette mémoire du génocide doit rappeler l'abandon des Tutsis par le monde entier. Et tout cela doit être transmis pour former la conscience d'une génération. Les moyens mis en avant par le président sont des moyens axés sur l'éducation (de ce que fut le génocide) qui favoriseront le rapprochement entre les deux pays. Et tout cela se mène avec les chercheurs du Rwanda mais aussi de Belgique. Les dirigeants (de la France et du Rwanda) veulent faire de cette relation une exemple pour l'Europe et l'Afrique.
TV5MONDE : qu'attendent les Rwandais concrètement de la France ? La France doit-elle faire davantage pour la poursuite des génocidaires présumés ?
Vincent Duclert : Les Rwandais ne demandent rien. Il attendent que le partenaire fasse justement la démarche. C'est intéressant. Cela oblige à une certaine forme de responsabilité des partenaires. Ils attendent de voir.
Depuis trois ans il y a vraiment un effort important pour que la justice française poursuive et mette en jugement des génocidaires présumés réfugiés sur le sol français. Et là il y a une accélération très nette des procédures d'arrestation et des procès. C'est ce que l'on a vu avec l'arrestation menée par les gendarmes français de Félicien Kabuga (un des principaux accusés du génocide, le "
financier du génocide rwandais" n.d.l.r). Il a été remis à la justice internationale. Les moyens alloués à la poursuite des génocidaires se sont accrus depuis la visite d'Emmanuel Macron en 2021. Ce sont des gestes forts.
L'idée est donc qu'un tel abandon (celui des Tutsis par la communauté internationale en 1994) ne se reproduise pas. Et il est certain que la répression judiciaire peut jouer un rôle préventif. De ce point de vue, les deux pays sont en phase. Le Rwanda ne demande pas d'extraditions. Le Rwanda a confiance en la justice française. Par l'application de la compétence universelle la France peut juger les génocidaires sur son sol. Aujourd'hui, la relation entre la France et le Rwanda est depuis trois ans une relation basée sur la confiance. Et ce n'est pas rien. La confiance est quelque chose de rare dans les relations internationales.
TV5MONDE : La France devait-elle présenter des excuses au Rwanda ?
Vincent Duclert : Les Rwandais n'ont jamais demandé des excuses à la France. Et puis on voit bien à travers le discours d'Emmanuel Macron à Kigali que, d'une certaine manière, les excuses sont un moyen de tourner la page et de ne plus se souvenir. Bien plus que des excuses, il est préférable de continuer le travail de mémoire et d'histoire sur le génocide. Les excuses n'ont pas la force morale que peut avoir l'énonciation de la vérité. Paul Kagame l'avait dit dans sa réponse au discours du 27 mai 2021 d'Emmanuel Macron que les mots du président français disaient la vérité et qu'ils valaient toutes les excuses.
TV5MONDE : Quelle a été la tonalité de cette commémoration ?
Vincent Duclert : De nombreux chefs d'État et de représentants étrangers ont fait le déplacement. Charles Michel représentait l'Union européenne. Le représentant de l'Union africaine était là ainsi que le président sud-africain. C'était l'Afrique qui était auprès du Rwanda. Cette trentième commémoration était empreinte de gravité. Le président Paul Kagame a été un acteur de cette histoire et il a contribué à sortir son pays du traumatisme du génocide. Il faut imaginer ce qu'était le Rwanda en 1994. Aucun pays n'a connu un tel défi. Le président Kagame a tenu des propos forts pour essayer de tirer des leçon de cet abandon des Tutsis par la communauté internationale. Et le président a dit : "
Never wait for rescue." "
Ne tardez pas pour envoyer des secours".