Fiche du document numéro 34099

Num
34099
Date
Vendredi 5 avril 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
820548
Pages
7
Urlorg
Titre
« Tous Rwandais » : comment la jeunesse fait face au poids de son histoire
Sous titre
Plus de mention des ethnies, mariages mixtes et enseignement de l’histoire du génocide dès l’âge de 12 ans. Au Rwanda, la jeunesse née après 1994, aujourd’hui touchée de plein fouet par le chômage, est exhortée à ne jamais oublier l’histoire de ses parents. Et de transmettre à son tour « plus jamais ça »
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Dans la rue, devant le Club Rafiki. Beaucoup de chantiers sont en cours dans la ville. Les bâches publicitaires destinées aux touristes «Visit Rwanda» sont partout, Kigali, le 16 janvier 2023. — © Julien DANIEL / MYOP

«A l’âge de 12 ans, on m’a expliqué le génocide. J’ai vite compris pourquoi je n’avais pas de grands-parents.» Au pays des Mille Collines, ils ont moins de 30 ans et n’ont pas connu le cauchemar de leurs parents. Imprégnée de l’histoire traumatique du génocide, la jeunesse rwandaise a grandi au rythme de la réconciliation, de l'«unité nationale», d’une laïcité ethnique et d’une société mise au pas par Paul Kagame, qui tient le pays d’une main de fer depuis près de vingt ans.

Au Rwanda, près des deux tiers de la population a moins de 30 ans. Comment vit-elle avec le poids de cette histoire, de cette mémoire aujourd’hui? Photographe pour l’agence MYOP, Julien Daniel a rencontré, interviewé, portraituré cette jeunesse qui fait face à de nombreux défis, économiques notamment – au Rwanda, plus d’un jeune sur cinq de moins de 24 ans est au chômage.

Carmel Joe Muligande, 23 ans. Kigali. — © Julien DANIEL / MYOP

Carmel Joe Muligande, 23 ans. «Comment puis-je décrire le Rwanda? C’est un petit pays, peu peuplé où, aujourd’hui, il est facile de vivre. Nous accueillons des touristes tous les ans qui se promènent par exemple dans le parc national d’Acadia où vivent des gorilles. Mais oui, nous avons une mauvaise histoire. Je suis trop jeune pour avoir vécu l’année du génocide. Mais je connais l’histoire de mon pays et celle de ma famille. Mon grand-père est mort en 1994 et, chaque année, nous allons aux mémoriaux avec ma famille. A l’école, nous prenons part aux commémorations dès l’âge de 14 ans. Aujourd’hui, chacun dit qu’il est Rwandais. Hutu, Tutsi, il n’y a plus de différence; tout ça, c’est le passé. Moi, je veux juste vivre en paix et notamment avec nos voisins. Mon rêve est de créer mon entreprise, d’avoir un restaurant ou un hôtel.»

Léonille Niyigena, 26 ans, Kigali. — © Julien DANIEL / MYOP

Léonille Niyigena, 26 ans. «Quand j’étais petite, j’entendais mes parents discuter du génocide. Je leur ai demandé ce qu’il s’était passé. Ils m’ont expliqué que le leadership de l’époque avait fomenté une fausse histoire pour monter les gens les uns contre les autres jusqu’à vouloir éliminer tous les Tutsis. Quand j’ai grandi, ce qui m’a beaucoup touchée et surprise, c’est que les bourreaux et les victimes se parlent. Et je crois que tout ça, c’est notamment grâce au président Paul Kagame. Je le considère comme un homme spécial: en vingt ans, il a changé le pays. Quand je suis née, il n’y avait ni eau ni électricité dans notre village. Et aujourd’hui des immeubles poussent partout. Pour moi, cela ne veut plus rien dire d’être Hutu ou Tutsi. Nous sommes tous Rwandais. Nous ne voulons pas revenir en arrière et nous séparer encore les uns des autres. Nous ne pouvons plus nous déchirer, alors nous travaillons ensemble comme un seul homme pour que le pays se développe. Dans mon village, chaque année, nous nettoyons ensemble le mémorial du génocide.»

Chrispin Sradulcunda, 21 ans. Kigali. — © Julien DANIEL / MYOP

Chrispin Sradulcunda, 21 ans. «Le souvenir du génocide est là. Si vous êtes né au Rwanda, il est impossible de ne pas savoir ce qu’il s’est passé. Je l’ai d’abord découvert par ma famille, puis à l’école. Et chaque mois d’avril, nous commémorons ensemble et nous nous souvenons. Les gens se sont entretués alors qu’ils étaient tous Rwandais. Beaucoup sont devenus orphelins, veufs, ont subi des dommages physiques, et beaucoup d’infrastructures ont été détruites. Aujourd’hui, ma conviction est qu’il n’y a pas de Tutsis ou de Hutus. D’ailleurs, je n’aimerais pas être appelé ainsi, qu’on me mette dans un groupe ou dans un autre. Je suis juste Rwandais et fier, et nous devons tous penser comme ça pour avoir un pays prospère. Nous, la jeune génération, sommes très bien informés sur ce qu’il s’est passé il y a 30 ans. Le génocide, nous devons le voir comme une leçon à retenir et perpétuer le souvenir de ce qui s’est passé pour espérer que cela ne se reproduira plus jamais.»

Patricie Twyishime, 25 ans. Kigali. — © Julien DANIEL / MYOP

Patricie Twyishime, 25 ans. «Je ne comprends pas comment ce qu’il s’est passé en 1994 a pu arriver. Nous avons perdu beaucoup de membres de notre famille. Quand j’étais jeune, je voyais mes parents déprimés. Et lorsque j’ai eu 12 ans, j’ai commencé à poser des questions. Mes parents m’ont raconté notre histoire, pourquoi ils étaient déprimés et j’ai vite compris pourquoi je n’avais pas de grands-parents ou de frères et sœurs. Tous les ans, les gens s’assoient ensemble, partagent, mangent. Je considère le président Paul Kagame comme notre héros. C’est lui qui nous a appris à vivre ensemble, à travailler ensemble et à ne plus voir de différences entre les ethnies. Aujourd’hui, nous avons appris à pardonner à ceux qui ont tué. J’ai du mal à savoir qui pourra être président après lui, peut-être quelqu’un de notre génération? Moi je suis étudiante dans le tourisme et mon rêve est d’avoir un bon travail dans un parc ou dans un musée.»

Eric Nsengiyaremye, 28 ans. Kigali — © Julien DANIEL / MYOP

Eric Nsengiyaremye, 28 ans. «Quand j’étais petit, je ne comprenais pas. Je voyais des gens se rassembler autour des mémoriaux, marcher la tête baissée. Mes parents ne me parlaient pas du génocide. Mais au moment où j’ai assisté à l’exhumation des corps, cela m’a fait peur et j’ai commencé à poser des questions. Alors, mes parents m’ont expliqué ce qu’il s’était passé, la haine et comment tout avait commencé. Quand j’ai compris, je me suis dit «plus jamais ça, plus jamais». Je ne pourrai jamais comprendre comment quelqu’un a pu prendre une machette, aller découper un œil, tuer son voisin ou même son ami. Pour mes parents, Paul Kagame est l’homme qui a changé le pays, apporté la sécurité et donné à chacun d’entre nous sa place. Et même quand il partira, je suis confiant: ce qu’on a construit dans ce pays, on ne le détruira plus jamais.»

Esther Iranzi, 21 ans. Kigali. — © Julien DANIEL / MYOP

Esther Iranzi, 21 ans. «Je suis encore au lycée et pour le moment j’aide mes parents à la maison, mais j’aimerais étudier la pédagogie pour devenir enseignante. Nous, les jeunes, nous nous posons des questions. A la maison, mes parents sont ouverts et m’en ont parlé. Je me demandais: mais comment avions-nous pu aller jusqu’au génocide? A l’école, nous avons appris ce que c’était et pourquoi personne n’a pu l’arrêter. Nous comprenons aussi les conséquences et les leçons de notre histoire. Le plus important, ce qu’il faut apprendre à la jeune génération, c’est «plus jamais ça». Ce que tu te mets dans la tête, c’est ce qui fait ce que tu es. A l’époque, j’aurais aimé que les gens aient dans leur tête l’union du pays, l’amour, le bien-être. Aujourd’hui, j’aimerais que le Rwanda devienne un pays modèle.»
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024