«La vérité traverse le feu sans se brûler», affirme un proverbe rwandais. Il aura pourtant fallu trente ans pour reconnaître certaines réalités, ensevelies sous les cendres du passé. Et entendre les paroles fortes, inédites, attribuées jeudi 4 avril au président français qui avait 16 ans au moment du génocide des Tutsis du Rwanda, en 1994. Emmanuel Macron s’exprimera par vidéo dimanche 7 avril, jour anniversaire du déclenchement de l’extermination de la minorité ethnique.
Mais d’ores et déjà, certaines déclarations ont filtré avec l’aval de l’Elysée. Et notamment celle-ci :
«La France, qui aurait pu arrêter le génocide, n’en a pas eu la volonté.» Certes, les propos présidentiels englobent aussi, et avec raison,
«les pays occidentaux et africains», dont le silence, la passivité, l’inaction ont été flagrantes pendant les cent jours de cette solution finale africaine qui conduiront à la mise à mort de près d’un million de victimes. Soit 10 000 morts par jour. Il faut le rappeler pour réaliser l’ampleur vertigineuse de cette déflagration sanglante, mais aussi le caractère forcément organisé de ces massacres pour parvenir à un tel
«résultat».
De «l’aveuglement» à l’absence de «volonté»
Pendant toute la montée des périls, entre 1990 et 1994, la France, ou plutôt ses dirigeants ont été le plus fidèle et proche allié du régime qui allait conduire au génocide dans ce petit pays d’Afrique. Aucun autre pays occidental ou africain n’a sombré dans une telle proximité avec les extrémistes au pouvoir qui prétendaient agir au nom de la majorité hutue.
Déjà en 2021, une commission d’historiens présidée par Vincent Duclert, mandatée par Macron deux ans auparavant, avait conclu à partir des archives disponibles, à
«une responsabilité lourde et accablante de la France» au Rwanda. Paris n’a cessé d’augmenter son soutien militaire et financier à un régime
«raciste», rappelleront les historiens. C’était un premier pas. Jamais aucun président français n’avait admis, soutenu, de telles conclusions. Cette reconnaissance avait déjà permis le dégel des relations franco-rwandaises, polluées par la compromission de l’Elysée sous François Mitterrand. Mais à l’époque on évoquait surtout
«un aveuglement». Et non l’absence de
«volonté».
En allant plus loin, à la veille des commémorations des trente ans du génocide, Macron ne fait que reprendre les termes du rapport Muse, mandaté par les autorités rwandaises et publié au même moment que celui de la commission Duclert :
«La France a rendu possible un génocide prévisible», y était-il affirmé.
Des choix aberrants au nom du peuple français
En endossant aujourd’hui les mêmes conclusions, Macron sauve en réalité l’honneur de la France. Non pas celui brandi depuis des années par des anciens militaires, des dirigeants de l’époque, voire certains journalistes. Lesquels au nom d’une prétendue allégeance patriotique, refusent de
«salir» la France. Le président français défend, lui, l’honneur qui conduit à concéder que nous avons été, trop longtemps et jusqu’à la fin du génocide, du côté des tueurs.
«Nous» ? D’ailleurs pas exactement. Car le peuple français n’a le plus souvent rien su des choix aberrants effectués en son nom. Ceux dictés par une hantise de l’entrisme anglo-saxon en Afrique, ou la nécessaire fidélité à des régimes peu fréquentables pour préserver l’influence française sur le continent.
«L’impact de cette déclaration est historique», souligne d’ailleurs Vincent Duclert qui n’a cessé de travailler sur ce lourd héritage (1). Un petit groupe de dirigeants s’est fourvoyé en notre nom à tous. C’est un déni de démocratie, de contrôle parlementaire sur l’action de la France à l’étranger. Notre honneur impose de le reconnaître. Et de l’assumer.
(1)
La France face au génocide des Tutsis, éditions Tallandier, 2024.