Fiche du document numéro 338

Num
338
Date
Mercredi 3 décembre 2003
Amj
Auteur
Fichier
Taille
2722196
Pages
440
Urlorg
Titre
Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Hassan Ngeze - Jugement et Sentence
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
International Criminal Tribunal for Rwanda
Tribunal pénal international pour le Rwanda
UNITED NATIONS
NATIONS UNIES

CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
Affaire n° ICTR-99-52-T
FRANÇAIS
Original : ANGLAIS
Devant les juges :

Navanethem Pillay, Président de Chambre
Erik Møse
Asoka de Zoysa Gunawardana

Greffe :

Adama Dieng

Jugement rendu le :

3 décembre 2003
LE PROCUREUR
c.
Ferdinand NAHIMANA
Jean-Bosco BARAYAGWIZA
Hassan NGEZE
JUGEMENT ET SENTENCE

VERSION OFFICIELLE
Bureau du Procureur
Stephen Rapp
Simone Monasebian
Charity Kagwi
William Egbe
Alphonse Van
Conseils de Ferdinand Nahimana
Me Jean-Marie Biju-Duval
Me Diana Ellis, Q.C.
Conseil de Jean-Bosco Barayagwiza
Me Giacomo Barletta-Caldarera
Conseils de Hassan Ngeze
Me John Floyd III
Me René Martel
Jugement et Sentence
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i

Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-99-52-T

TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I : INTRODUCTION
1.
2.
3.
4.
5.
6.

1

Tribunal pénal international pour le Rwanda
Les accusés
Les actes d’accusation
Rappel de la procédure
De la preuve
Compétence temporelle

1
1
2
3
25
26

CHAPITRE II : HISTOIRE DU RWANDA

28

CHAPITRE III : CONSLUSIONS FACTUELLES

35

1. Violence au Rwanda en 1994
2. Kangura
2.1
Propriété et contrôle de Kangura
2.2
Contenu de Kangura
2.2.1
Les dix commandements
2.2.2
Page de couverture du numéro 26 de Kangura
2.2.3
Éditoriaux et articles
2.2.4
Publication de listes
2.2.5
Dessins humoristiques
2.2.6
Livraison de Kangura en 1994
2.3
Le concours de 1994 de Kangura

35
39
39
44
44
53
58
62
68
69
80

3. La CDR
3.1
Création et direction de la CDR
3.2
Politique de la CDR
3.3
Méthodes de la CDR

84
84
92
101

4. La RTLM
4.1
Les émissions de la RTLM
4.1.1
Avant le 6 avril 1994
4.1.2
Après le 6 avril 1994
4.2
Propriété et contrôle de la RTLM
4.3
Connaissance des infractions

117
117
118
134
169
198

5. Ferdinand Nahimana
5.1
Meetings du 29 mars et du 12 avril 1994
5.2
Le Rwanda : Problèmes actuels, solutions
5.3
Les événements du Bugesera

216
216
220
230

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-99-52-T

5.4

Appréciation de la déposition de Nahimana

239

6. Jean-Bosco Barayagwiza
6.1
Réunions, manifestations et barrages routiers
6.2
Distribution d’armes
6.3
Les tueries et l’escadron de la mort
6.4
Le Sang Hutu est-il Rouge?

241
241
252
256
258

7. Hassan Ngeze
7.1
Interviews données à l’antenne de Radio Rwanda et de la RTLM
7.2
Meurtre de Modeste Tabaro
7.3
Distribution d’armes, manifestations, barrages routiers et
meurtres à Gisenyi et dans la Commune Rouge
7.4
Sauver les Tutsis
7.5
Ibuka
7.6
Appréciation de la déposition de Ngeze

260
260
264
271

8. Relations entre les accusés
8.1
Meetings personnels et présentations publiques
8.2
Meeting du MRND en 1993
8.3
Réunions à l’hôtel des Mille Collines et à l’hôtel des
Diplomates
8.4
Kangura et la CDR
8.5
La RTLM et Kangura

304
304
307
313

CHAPITRE IV : CONCLUSIONS JURIDIQUES
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.

Introduction
Génocide
Incitation directe et publique à commettre le génocide
Entente en vue de commettre le génocide
Complicité dans le génocide
Extermination constitutive de crimes contre l’humanité
Persécution constitutive de crimes contre l’humanité
Assassinat constitutif de crimes contre l’humanité
Cumul de qualifications et condamnations multiples

292
297
303

315
320
324
324
324
332
352
355
355
357
362
362

CHAPITRE V : VERDICT

364

CHAPITRE VI : SENTENCE

365

ANNEXE I : ACTES D’ACCUSATION
ANNEXE II : INDEX DES ABRÉVIATIONS
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GLOSSAIRE
Akazu

« Petite maison », terme utilisé pour désigner les personnes proches du
Président Habyarimana

CDR

Coalition pour la défense de la République

CRP

Cercle des républicains progressistes

FPR

Front patriotique rwandais

Gukora

Travailler ; quelques fois utilisé pour dire « tuer les Tutsis »

Gutsembatsemba

« Exterminez-les »

Icyitso/Ibyitso

Complice, sympathisant/complice du FPR, quelques fois utilisé pour
désigner les Tutsis

Impuzamugambi

« Ceux qui ont le même but », nom de l’aile jeunesse de la CDR

Inkotanyi

Soldat du FPR, quelques fois utilisé pour désigner les Tutsis

Inkuba

« Foudre », nom de l’aile jeunesse du MDR

Interahamwe

« Ceux qui attaquent ensemble », nom de l’aile jeunesse du MRND

Inyenzi

Cancrelat, groupe de réfugiés formé en 1959 pour renverser le
nouveau régime, sympathisant du FPR, quelques fois utilisé pour
désigner les Tutsis

Kangura

« Réveille-les », nom du journal publié en kinyarwanda et en français

MDR

Mouvement démocratique républicain

MRND

Mouvement révolutionnaire national pour le développement

PL

Parti libéral

PSD

Parti social démocrate

RDR

Rassemblement républicain pour la démocratie au Rwanda

RTLM

Radio télévision libre des Mille Collines

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Rubanda nyamwinshi Le peuple majoritaire, la majorité hutue ou la majorité démocratique
au Rwanda
Tubatsembatsembe

« Exterminons-les »

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CHAPITRE I INTRODUCTION
1.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda

1.
Le présent jugement en l’affaire Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco
Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-99-52-T, est rendu par la Chambre de
première instance I (la « Chambre ») du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le
« Tribunal »), composée des juges Navanethem Pillay, Présidente, Erik Møse et Asoka de
Zoysa Gunawardana.
2.
Le Tribunal a été créé par la résolution 955 du 8 novembre 1994 1 du Conseil de
sécurité de l’Organisation des Nations Unies après examen de divers rapports officiels
émanant de l’ONU dont il ressortait que des actes de génocide et d’autres violations
généralisées, systématiques et flagrantes du droit international humanitaire avaient été
commis au Rwanda2. Ayant constaté que cette situation faisait peser une menace sur la paix
et la sécurité internationales et convaincu que l’exercice de poursuites judiciaires contre les
personnes responsables de ces graves violations du droit international humanitaire
contribuerait au processus de réconciliation nationale ainsi qu’au rétablissement et au
maintien de la paix au Rwanda, le Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la
Charte des Nations Unies, a adopté la résolution 955 portant création du Tribunal.
3.
Le Tribunal est régi par le Statut annexé à la résolution 955 du Conseil de sécurité (le
« Statut ») et par le Règlement de procédure et de preuve adopté par les juges le 5 juillet 1995
et modifié ultérieurement (le « Règlement »).
4.
Aux termes du Statut, le Tribunal est habilité à juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire
du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur
le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. En outre, selon l’article
6 du Statut, encourt une responsabilité pénale individuelle quiconque commet un des actes
relevant de la compétence ratione materiae du Tribunal, tels que visés aux articles 2, 3 et 4
du Statut.
2.

Les accusés

5.
Né le 15 juin 1950, dans la commune de Gatonde, préfecture de Ruhengeri (Rwanda),
Ferdinand Nahimana est maître de conférence adjoint en histoire à l’Université nationale du
Rwanda dès 1977 et est élu Vice-Doyen de la faculté des lettres en 1978. Nommé Doyen de
la faculté en 1980, il exercera cette fonction jusqu’en 1981. De 1981 à 1982, il assume les
fonctions de Président du Comité administratif du campus de Ruhengeri de l’Université, puis
celles de Secrétaire général adjoint de 1983 à 1984. Nommé Directeur de l’ORINFOR
1

Document de l’ONU S/RES/955 (1994).
Rapport préliminaire de la Commission des experts constituée conformément à la résolution 935 du Conseil de
sécurité (1994), Rapport final de la Commission des experts constituée conformément à la résolution 935 du
Conseil de sécurité (1994) (document de l’ONU S/1994/1405) et Rapports du Rapporteur spécial pour le
Rwanda de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies (document de l’ONU S/1994/1157,
annexes I et II).
2

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

(Office rwandais de l’information) en 1990, il demeure à ce poste jusqu’en 1992. En 1992,
Nahimana et d’autres fondent un comité d’initiative pour constituer la société appelée Radio
télévision libre des mille collines, S.A. Il était membre du Mouvement révolutionnaire
national pour le développement (MRND).
6.
Né en 1950 dans la commune de Mutura, préfecture de Gisenyi (Rwanda), JeanBosco Barayagwiza, juriste de formation, est membre fondateur de la Coalition pour la
défense de la République (CDR) fondée en 1992. Il est membre du comité d’initiative qui
pilote la constitution de la société Radio télévision libre des mille collines, S.A. Il est alors
également Directeur des affaires politiques au Ministère des affaires étrangères.
7.
Hassan Ngeze est né le 25 décembre 1957 dans la commune de Rubavu, préfecture de
Gisenyi (Rwanda)3. Journaliste à partir de 1978. Il crée en 1990 le journal Kangura dont il est
le rédacteur en chef. Il était auparavant le distributeur du journal Kanguka à Gisenyi. Il est en
outre membre fondateur de la Coalition pour la défense de la République (CDR).
3.

Les actes d’accusation

8.
Ferdinand Nahimana doit répondre, aux termes de l’acte d’accusation modifié déposé
le 15 novembre 1999 (ICTR-96-11-I), de sept chefs d’accusation : entente en vue de
commettre le génocide, génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide,
complicité dans le génocide et crimes contre l’humanité (persécution, extermination et
assassinat), prévus par les articles 2 et 3 du Statut. Il encourt une responsabilité individuelle,
au regard de l’article 6.1 du Statut, à raison de ces crimes et une responsabilité de supérieur
hiérarchique au regard de l’article 6.3 pour incitation directe et publique à commettre le
génocide et crimes contre l’humanité (persécution). Il doit répondre principalement d’actes
commis en relation avec la station de radio appelée Radio télévision libre des mille collines
(la RTLM).
9.
Jean-Bosco Barayagwiza doit répondre de neuf chefs d’accusation aux termes de
l’acte d’accusation modifié déposé le 14 avril 2000 (ICTR-97-19-I) : entente en vue de
commettre le génocide, génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide,
complicité dans le génocide et crimes contre l’humanité (persécution, extermination et
assassinat), et deux chefs de violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de
Genève et du Protocole additionnel II, en application des articles 2, 3 et 4 du Statut. Il encourt
une responsabilité individuelle, au regard de l’article 6.1 du Statut, de ces chefs, à l’exception
des deux chefs relatifs aux violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de
Genève et du Protocole additionnel II. Il encourt en outre une responsabilité de supérieur
hiérarchique, au regard de l’article 6.3 du Statut, au titre des autres chefs, sauf l’entente en
vue de commettre le génocide. Il doit répondre principalement d’actes commis en relation
avec la RTLM et la CDR.
10.
L’acte d’accusation (ICTR-97-27-I) du 10 novembre 1999 retient sept chefs contre
Hassan Ngeze : entente en vue de commettre le génocide, génocide, incitation directe et
publique à commettre le génocide, complicité dans le génocide et crimes contre l’humanité
3

Compte rendu de l’audience du 24 mars 2003, p. 38.

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(persécution, extermination et assassinat), prévus par les articles 2 et 3 du Statut4. Il encourt
une responsabilité individuelle au regard de l’article 6.1 du Statut à raison de ces crimes et
une responsabilité de supérieur hiérarchique au regard de l’article 6.3 à raison de tous les
crimes sauf celui d’entente en vue de commettre le génocide. Il doit répondre principalement
d’actes commis en relation avec Kangura.
11.
Les actes d’accusation sont reproduits dans leur intégralité dans l’annexe I du présent
jugement.
12.
Sur des requêtes aux fins d’acquittement déposées par les trois accusés, le
25 septembre 2002, la Chambre acquitte Nahimana et Barayagwiza du chef de crimes contre
l’humanité (assassinat), et Barayagwiza des deux chefs de violations graves de l’article 3
commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II, le Procureur ayant
concédé que la preuve de ces crimes n’avait pas été rapportée.
4.

Rappel de la procédure

4.1

Arrestation et transfert

Ferdinand Nahimana
13.
Le 27 mars 1996, Nahimana est arrêté en République du Cameroun. Son placement en
détention provisoire et son transfert au quartier pénitentiaire du Tribunal sont ordonnés par
décision rendue à Arusha le 17 mai 1996 par le juge Lennart Aspegren. L’ordonnance de
transfert n’est pas immédiatement exécutée et Nahimana reste détenu par les autorités
camerounaises. Le 18 juin 1996, à la requête du Procureur, le juge Aspegren ordonne la
prolongation de la détention en vertu de l’article 40 bis D) du Règlement et demande au
Gouvernement de la République du Cameroun d’exécuter l’ordonnance de transfert en date
du 17 mai 1996. Le 6 janvier 1997, le Président de la République du Cameroun autorise, par
Décret n° 97/007, le transfert de Nahimana à Arusha. Nahimana est transféré au quartier
pénitentiaire du Tribunal à Arusha le 23 janvier 1997.
Jean-Bosco Barayagwiza
14.
Barayagwiza est arrêté le 26 mars 1996 ou vers cette date et détenu en République du
Cameroun. Le 21 février 1997, la cour d’appel camerounaise saisie rejette la demande
d’extradition du Gouvernement rwandais et ordonne la libération de Barayagwiza. Le même
jour, le Procureur requiert, en application de l’article 40 du Règlement, la mise en détention
provisoire de Barayagwiza, et celui-ci est arrêté à nouveau le 24 février 1997. Une
ordonnance de transfert de Barayagwiza au quartier pénitentiaire du Tribunal est rendue le
3 mars 1997 par le juge Lennart Aspegren. Le 2 octobre 1997, le conseil de Barayagwiza, Me
Justry P.L. Nyaberi, dépose une requête en habeas corpus demandant sa libération immédiate
au Cameroun, en raison de la durée de sa détention sans que lui soit notifiée son inculpation.
4

L’acte d’accusation modifié déposé initialement le 22 novembre 1999 contenait des erreurs typographiques
dans le texte des chefs d’accusation ; une version corrigée de l’acte d’accusation modifié a été déposée le
19 novembre 2002.
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Aucune autre suite n’est donnée à la requête. Barayagwiza sera transféré au Tribunal le
19 novembre 1997.
15.
Le 24 février 1998, le conseil de Barayagwiza dépose une requête en réexamen et/ou
annulation de l’arrestation et de la détention provisoire de Barayagwiza, motif pris de la
violation des droits qu’il tire du Statut et du Règlement. Ayant tenu une audience
contradictoire le 11 septembre 1998, la Chambre de première instance II, composée des juges
William H. Sekule, Président de Chambre, Yakov Ostrovsky et Tafazzal H. Khan, rejette le
17 novembre 1998 la requête considérant que la durée de la détention de l’accusé au
Cameroun ne constitue pas une violation de ses droits, l’accusé n’ayant pas été initialement
détenu à la requête du Procureur mais à la demande des Gouvernements rwandais et belge,
que la durée de sa détention à la requête du Procureur n’a pas violé les droits à lui garantis
par l’article 40 du Règlement, que le grand retard mis par les autorités camerounaises pour
procéder à son transfert au Tribunal ne constituait pas une violation imputable au Procureur et
que les droits que l’article 40 bis du Règlement garantit à l’accusé n’ont pas été violés, l’acte
d’accusation ayant été confirmé avant son transfert.
16.
Le 11 décembre 1998, le conseil de Barayagwiza interjette appel de la décision, motif
pris d’erreurs de droit et de fait commises par la Chambre. Dans sa réponse du
17 décembre 1998, le Procureur oppose que l’appel interlocutoire ne trouvait de fondement
légal ni dans le Statut ni dans le Règlement, et que l’acte d’appel a été déposé hors délai. Le
Procureur dépose parallèlement une requête le 18 décembre 1998 tendant à voir rejeter
l’appel interjeté par la Défense aux mêmes motifs. Par arrêt du 5 février 1999, la Chambre
d’appel juge l’appel recevable. Le 3 novembre 1999, la Chambre d’appel accueille l’appel,
ordonnant la remise en liberté immédiate de l’accusé par les autorités camerounaises et le
rejet de l’acte d’accusation de l’accusé, considérant que la durée de la détention provisoire
avait été indûment longue et que ses droits d’être informé dans le plus court délai des
accusations portées contre lui et de comparaître devant le Tribunal sans retard après son
transfert avaient été violés. La Chambre d’appel relève également que l’accusé n’avait jamais
été entendu en sa requête en habeas corpus déposée le 2 octobre 1997.
17.
Le 5 novembre 1999, le conseil de Barayagwiza dépose une demande en révision et
sollicite le sursis à exécution de l’ordonnance de remise en liberté au Cameroun, afin de
pouvoir choisir sa destination finale une fois remis en liberté. Cette requête est retirée le
17 novembre 1999, au motif que le Procureur en tirait avantage à tort pour tenter de faire
réviser l’arrêt du 3 novembre 1999 et de prolonger la détention de l’accusé. Le Procureur
informe par la suite la Chambre d’appel le 19 novembre 1999 de son intention de déposer une
demande en révision de l’arrêt du 3 novembre 1999, ce qu’il fait le 1er décembre 1999. Il fait
valoir dans sa demande que compte tenu de faits nouveaux intéressant notamment la période
de détention au Cameroun à la demande du Procureur, la procédure d’extradition du
Cameroun et le retard mis par les autorités camerounaises à transférer l’accusé au Tribunal,
l’arrêt doit être annulé et l’acte d’accusation rétabli. Le 8 décembre 1999, le Président de la
Chambre d’appel surseoit à l’exécution de l’arrêt entrepris. Le conseil de Barayagwiza
dépose des conclusions en réponse à la demande du Procureur le 6 janvier 2000, faisant valoir
qu’il n’y avait aucun fait nouveau, contrairement à ce qu’allègue le Procureur, et contestant la
compétence de la Chambre d’appel nouvellement constituée, et la compétence de la Chambre
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d’appel pour connaître de l’« appel » d’un arrêt d’appel5. Dans son arrêt du 31 mars 2000, la
Chambre d’appel confirme que les droits de l’accusé ont été violés, mais non comme elle
l’avait constaté précédemment, et ordonne en lieu et place de la mesure prescrite dans l’arrêt
attaqué, à savoir la remise en liberté de l’accusé et le rejet de l’acte d’accusation, qu’il lui soit
accordé une réparation financière au cas où il serait acquitté, et une réduction de peine dans
l’hypothèse où il serait jugé coupable.
18.
Le 28 juillet 2000, le conseil de Barayagwiza demande le réexamen et/ou la révision
de l’arrêt en question et le rétablissement de celui du 3 novembre 1999, motifs pris de
l’existence de faits nouveaux et de ce que le Procureur avait fait usage de faux documents
dans ses écritures à la Chambre d’appel. Le 1er septembre 2000, le Procureur fait objection à
cette demande qui est rejetée par la Chambre d’appel le 14 septembre 2000.
Hassan Ngeze
19.
Arrêté au Kenya le 18 juillet 1997, Ngeze est transféré au quartier pénitentiaire du
Tribunal le jour-même, en vertu d’une ordonnance de transfert et de placement en détention
provisoire rendue par le juge Laïty Kama le 16 juillet 1997. Le 12 août 1997, le Procureur
requiert une prolongation de 30 jours de sa détention, que le juge Kama accorde le
18 août 1997, par application de l’article 40 bis F) du Règlement. Le Procureur requiert une
nouvelle prolongation de 30 jours de sa détention, en application de l’article 40 bis G) du
Règlement le 10 septembre 1997. Par décision orale rendue le 16 septembre 1997, la juge
Navanethem Pillay accorde une dernière prolongation de 20 jours, jusqu’au 6 octobre 1997.
4.2

Procédures relatives aux actes d’accusation

Ferdinand Nahimana
20.
Le 12 juillet 1996, le Procureur présente un premier acte d’accusation contre
Ferdinand Nahimana, retenant contre lui quatre chefs : entente en vue de commettre le
génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, complicité dans le génocide
et crimes contre l’humanité (persécution). L’acte d’accusation est confirmé le même jour par
le juge Yakov Ostrovsky. Nahimana comparaît pour la première fois devant la Chambre de
première instance I, composée des juges Laïty Kama, Président de Chambre, William H.
Sekule et Navanethem Pillay, plaidant alors non coupable des quatre chefs d’accusation. Le
17 avril 1997, les conseils de Nahimana demandent l’annulation de l’acte d’accusation initial
et la libération de Nahimana en raison d’irrégularités dans la signification et la forme de
l’acte d’accusation. Le 24 novembre 1997, la Chambre de première instance I, composée des
juges Navanethem Pillay, Présidente, Laïty Kama et William H. Sekule, ordonne au
Procureur de modifier l’acte d’accusation à certains égards en apportant des précisions sur
certaines allégations. En exécution de ladite ordonnance, le Procureur dépose un acte
d’accusation modifié le 19 décembre 1997.

5

Des conclusions en réponse semblables ont été déposées par les conseils nouvellement constitués de
Barayagwiza, Mes Carmelle Marchessault et David Danielson, le 17 février 2000.
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21.
Par requête du 22 avril 1998, les conseils de Nahimana attaquent l’acte d’accusation
modifié comme irrégulier en ce qu’il ne présentait pas les modifications ordonnées par la
Chambre le 24 novembre 1997. Le Procureur répond, le 22 juin 1998, contestant ladite
requête. Par décision du 17 novembre 1998, la Chambre I, composée des juges Navanethem
Pillay, Présidente, Laïty Kama et Tafazzal H. Khan, ordonne au Procureur de modifier l’acte
d’accusation modifié en certains aspects des allégations de responsabilité pénale individuelle
au regard des paragraphes 1 et 3 de l’article 6 du Statut. Le 1er décembre 1998, en application
de ladite décision, le Procureur dépose un nouvel acte d’accusation modifié daté du 26
novembre 1998.
22.
Le 8 février 1999, les conseils de Nahimana soulèvent des exceptions contre l’acte
d’accusation du 26 novembre 1998, qui comporte de nouvelles allégations et un nouveau chef
d’accusation de crimes contre l’humanité (extermination). Le Procureur répond le 22 mars
1999, et une audience contradictoire se tient le 28 mai 1999 devant la Chambre I, composée
des juges Navanethem Pillay, Présidente, Laïty Kama et Pavel Dolenc. Avant toute décision,
le 19 juillet 1999, le Procureur demande l’autorisation de modifier l’acte d’accusation à
l’effet notamment de reformuler le chef d’entente en vue de commettre le génocide et
d’ajouter deux nouveaux chefs de génocide et de crimes contre l’humanité (assassinat). Le
30 août 1999, la Chambre, statuant sur la requête de la Défense du 8 février 1999, ordonne au
Procureur de retirer le nouveau chef de crimes contre l’humanité (extermination) et certains
paragraphes contenant de nouvelles allégations, le Procureur n’ayant pas sollicité
l’autorisation d’effectuer ces modifications. Un acte d’accusation modifié daté du
3 septembre 1999 sera déposé conformément à la décision.
23.
Sur requête du Procureur datée du 19 juillet 1999 et suite aux écritures déposées en
réponse par les conseils de Nahimana les 15, 18 et 26 octobre 1999, à leur conclusions orales
du 19 octobre 1999, et aux conclusions complémentaires du Procureur du 30 octobre 1999, la
Chambre I, composée des juges Navanethem Pillay, Présidente, Erik Møse et Asoka de Zoysa
Gunawardana, le 5 novembre 1999, autorise l’adjonction des chefs de génocide et de crimes
contre l’humanité (assassinat et extermination). L’acte d’accusation modifié définitif, contre
Nahimana, est déposé le 15 novembre 1999. Le 25 novembre 1999, Nahimana plaide non
coupable des trois nouveaux chefs d’accusation et confirme son plaidoyer de non-culpabilité
du chef modifié d’entente en vue de commettre le génocide.
24.
Le 15 novembre 1999, les conseils de Nahimana interjettent appel de la décision du
5 novembre 1999, motif pris notamment de ce que l’acte d’accusation visait des faits qui
débordaient la compétence temporelle du Tribunal. En cours d’appel, les conseils de
Nahimana demandent le 17 mai 2000 le retrait de certains paragraphes de l’acte d’accusation
modifié du 15 novembre 1999, motif pris de ce que certains d’entre eux ne relevaient pas de
la compétence ratione temporis du Tribunal, d’autres comportant des modifications qui
n’avaient pas été ordonnées par la Chambre, et d’autres encore visant des faits imprécis. Le
Procureur fait objection à cette requête le 1er juin 2000, contestant la recevabilité de l’appel
dans ses conclusions en réplique du 14 juillet 2000. La Chambre rejette la requête le
12 juillet 2000, déclarant au sujet des paragraphes en cause que l’évocation dans l’acte
d’accusation de faits antérieurs à 1994 avait valeur de rappel du contexte historique, que les
modifications entraient dans les prévisions de la décision de la Chambre, et que l’imprécision
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

n’était pas de nature à vicier l’acte d’accusation. Les conseils de Nahimana font appel de
cette décision le 18 juillet 2000.
25.
La Chambre d’appel statue sur cet appel, sur celui du 15 novembre 1999 ainsi que sur
celui du 7 décembre 1999 interjeté par les conseils de Nahimana contre la jonction, rejetant
les trois appels par décision unique du 5 septembre 2000, qui est évoquée plus en détail ciaprès aux paragraphes 100 à 104.
Jean-Bosco Barayagwiza
26.
L’acte d’accusation initial contre Jean-Bosco Barayagwiza, déposé le 22 octobre
1997, retenait contre lui sept chefs : génocide, complicité dans le génocide, incitation directe
et publique à commettre le génocide, entente en vue de commettre le génocide, et crimes
contre l’humanité (assassinat, extermination et persécution). Il est confirmé par le juge
Lennart Aspegren le 23 octobre 1997, en ses six chefs, celui de crimes contre l’humanité
(extermination) ayant été retiré par le Procureur. Barayagwiza fait sa première comparution le
23 février 1998 devant la Chambre II, composée des juges William H. Sekule, Président de
Chambre, Yakov Ostrovsky et Tafazzal H. Khan, et plaide non coupable des six chefs
d’accusation.
27.
Dès le lendemain 24 février 1998, le conseil de Barayagwiza forme une requête
tendant à voir prononcer un non-lieu pour vices de forme de l’acte d’accusation. Le Procureur
dépose ses conclusions en réponse le 7 octobre 1998, et une audience contradictoire se tient le
23 octobre 1998 devant la Chambre II, composée des juges William H. Sekule, Président,
Yakov Ostrovsky et Tafazzal H. Khan. Le conseil de Barayagwiza dépose deux requêtes
additionnelles les 6 avril 1998 et 24 février 1999, aux fins respectivement de communication
d’éléments de preuve, de documents et de noms de témoins, et de clarification de termes
utilisés dans l’acte d’accusation. Avant qu’il ne soit statué sur ces trois requêtes, le 28 juin
1998, le Procureur demande l’autorisation de déposer un acte d’accusation modifié en raison
de nouveaux éléments de preuve recueillis à l’occasion des enquêtes en cours. Le Procureur
souhaite ajouter trois chefs d’accusation, à savoir celui de crimes contre l’humanité
(extermination) et deux chefs de violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de
Genève et du Protocole additionnel II, et étoffer le chef d’entente en vue de commettre le
génocide. Considérant que les nouveaux chefs reposaient sur des faits nouveaux, la
Chambre I, composée des juges Navanethem Pillay, Présidente, Erik Møse et Asoka de Zoysa
Gunawardana, fait droit à la requête le 11 avril 2000. L’acte d’accusation modifié, en vertu
duquel Barayagwiza a été jugé, est déposé le 14 avril 2000. Le même jour, le 14 avril 2000, la
Chambre I rejette les trois requêtes précitées de la Défense rendues sans objet par la décision
du 11 avril 2000. Le 18 avril 2000, l’accusé ayant refusé de plaider, la Chambre enregistre en
son nom des plaidoyers de non-culpabilité des trois nouveaux chefs.
28.
Le 17 avril 2000, le conseil de Barayagwiza interjette appel de la décision du
11 avril 2000, soutenant que la Chambre d’appel ayant reconnu la violation des droits de
l’accusé (voir paragraphes 16 et 17 ci-dessus), l’acte d’accusation ne pouvait plus être
modifié et que certaines allégations ne relevaient pas de la compétence temporelle du
Tribunal. Le Procureur fait objection à cet appel le 8 juin 2000. Avant que la Chambre
d’appel ne statue, le conseil de Barayagwiza conteste sa compétence le 15 mai 2000 en tirant
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

argument de l’irrégularité de l’acte d’accusation et demande qu’il soit dérogé aux délais
prévus par l’article 72 du Règlement. Dans sa décision en date du 6 juin 2000, qui traite
également de la jonction, la Chambre I rejette l’exception d’incompétence mais accorde une
prorogation des délais. Le 12 juin 2000, le conseil de Barayagwiza fait appel de cette décision
aux mêmes motifs que ceux fondant son appel du 17 avril 2000. La Chambre d’appel rejette
les deux appels par sa décision du 14 septembre 2000 considérant que la question de la
compétence temporelle avait été tranchée dans sa décision du 5 septembre 2000 et qu’il
existait un acte d’accusation valable contre l’accusé.
Hassan Ngeze
29.
L’acte d’accusation initial contre Hassan Ngeze daté du 30 septembre 1997 retenait
contre lui quatre chefs : génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, et
crimes contre l’humanité (persécution et assassinat). Considérant que les présomptions
étaient insuffisantes pour engager des poursuites du chef de génocide, le juge Lennart
Aspegren confirme l’acte d’accusation le 3 octobre 1997 en ses seuls trois autres chefs. Lors
de sa comparution initiale le 20 novembre 1997 devant la Chambre I, composée des juges
Laïty Kama, Président de Chambre, Tafazzal H. Khan et Navanethem Pillay, Ngeze plaide
non coupable des trois chefs d’accusation.
30.
Le 1er juillet 1999, le Procureur demande l’autorisation de modifier l’acte
d’accusation à l’effet d’y insérer quatre nouveaux chefs [entente en vue de commettre le
génocide, génocide, complicité dans le génocide et crimes contre l’humanité
(extermination)], motifs pris de ce que les enquêtes en cours avaient fourni des informations
complémentaires, de ce que les modifications demandées permettraient d’appréhender le
comportement criminel reproché à l’accusé dans toute son étendue et de ce qu’il n’en
résulterait aucun retard excessif pour l’instance. La Chambre I, composée des juges
Navanethem Pillay, Présidente, Erik Møse et Asoka de Zoysa Gunawardana, autorise la
modification de l’acte d’accusation le 5 novembre 1999. Les conseils de Ngeze interjettent
appel le 13 novembre 1999, arguant, entre autres motifs, que l’acte d’accusation comportait
des allégations débordant de la compétence temporelle du Tribunal. Le 21 février 2000, le
Procureur oppose que l’appel est irrecevable en ce qu’il ne respectait pas l’article 72 du
Règlement. Le 15 novembre 1999, les conseils de Ngeze saisissent la Chambre d’appel d’une
requête en sursis. La Chambre d’appel rejette la requête le 25 novembre 1999, relevant qu’en
qualité de Chambre d’appel, elle est compétente pour connaître en appel des décisions des
Chambres de première instance, et non de requêtes. Le 5 septembre 2000, statuant sur l’appel
du 13 novembre 1999, la Chambre d’appel juge irrecevables tous les motifs invoqués à
l’appui, excepté celui tiré de l’incompétence temporelle du Tribunal. La décision est évoquée
quant au fond aux paragraphes 100 à 104. L’acte d’accusation modifié du 10 novembre 1999
est dûment déposé le 22 novembre 19996. Lors d’une audience tenue le 25 novembre 1999, la
Chambre enregistre au nom de Ngeze un plaidoyer de non-culpabilité des nouveaux chefs
d’accusation en application de l’article 62 A) iii) après qu’il eut refusé de plaider coupable ou
non coupable au motif que la Chambre est incompétente tant que l’appel qu’il a interjeté le
13 novembre 1999 est pendant.
6
L’acte d’accusation modifié déposé le 22 novembre 1999 comportait des erreurs typographiques dans le libellé
des chefs d’accusation ; une version corrigée en est déposée le 19 novembre 2002 (voir également supra note 4).

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31.
Le 19 janvier 2000, les conseils de Ngeze forment une requête tendant à voir apporter
des précisions à l’acte d’accusation modifié. Le Procureur produit sa réponse le 3 mars 2000,
faisant valoir que la requête n’est pas fondée en droit. Le 16 mars 2000, la Chambre rejette la
requête comme mal fondée au regard du Statut ou du Règlement.
32.
Le 23 mars 2000, les conseils de Ngeze demandent le rejet in toto de l’acte
d’accusation au motif que le Tribunal n’a pas compétence matérielle pour juger l’accusé pour
la libre expression de ses idées. Le 11 avril 2000, le Procureur conteste cette exception
d’incompétence, faisant valoir que l’accusé était poursuivi à raison de ses actes, et non de
l’exercice de sa liberté d’expression. La Chambre rejette la requête le 10 mai 2000, jugeant
qu’il y avait toute une différence entre exercer sa liberté d’expression et de presse et
véhiculer un discours de haine ou inciter à des actes répréhensibles et qu’en outre, rechercher
si les actes reprochés à l’accusé relevaient de la première ou de la seconde catégorie était une
question de fond. Enfin, la Chambre rejette la demande relative aux frais de l’instance au
motif qu’elle n’était pas sérieuse ou constituait une procédure abusive.
33.
Le 27 avril 2000, les conseils de Ngeze, tirant motif de vices de forme de l’acte
d’accusation modifié, soutiennent dans une requête que l’adjonction de certains paragraphes
débordait du champ d’application de la décision du 5 novembre 1999 et demandent des
précisions sur certaines allégations. Le 26 septembre 2000, la Chambre rejette oralement la
requête au motif que la décision du 5 novembre 1999 autorisant l’insertion de nouveaux chefs
d’accusation impliquait nécessairement celle de nouvelles allégations, et que le défaut de
précision invoqué par les conseils de Ngeze n’empêchait pas l’accusé de comprendre les
charges retenues contre lui, ni de préparer sa défense. La Chambre relève également que la
requête présentait des arguments semblables à ceux avancés dans l’appel de Ngeze du
13 novembre 1999, qui avait été jugé irrecevable par la Chambre d’appel, sauf l’exception
d’incompétence temporelle qui avait été rejetée après examen.
4.3

Jonction d’instances

34.
Par requête datée du 1er juillet 1999, le Procureur demande la jonction des instances
de Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, soutenant que les actes
qui leur étaient reprochés participaient d’un plan commun. Par la suite, le Procureur limitera
sa requête en jonction aux instances de Nahimana et Ngeze. Suite aux conclusions en réponse
des conseils de Nahimana et de Ngeze le 18 novembre 1999 et aux plaidoiries du
25 novembre 1999, la Chambre fait droit à la requête le 30 novembre 1999, considérant qu’il
existait des éléments suffisants à l’appui de l’argument que les actes reprochés aux deux
accusés participaient d’un plan et d’une entreprise communs, et que la jonction accélérerait le
cours du procès compte tenu du nombre des témoins à charge communs aux deux causes. Les
conseils de Nahimana interjettent appel de la décision le 7 décembre 1999, relevant, entre
autres motifs, que la Chambre avait outrepassé sa compétence temporelle, les conseils de
Ngeze faisant appel de la décision le 10 décembre 1999, au motif que la Chambre était
incompétente pour divers motifs. Le 21 février 2000, le Procureur fait valoir que l’appel était
irrecevable au regard de l’article 72 du Règlement. La Chambre d’appel rejette les appels le
5 septembre 2000. Les motifs de la décision sur cette question sont envisagés aux
paragraphes 100 à 104.
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35.
Le 29 avril 2000, les conseils de Ngeze forment une requête en disjonction
d’instances, soutenant que la jonction des causes Nahimana et Ngeze violait l’article 48 du
Règlement, les accusés n’ayant pas été mis en accusation ensemble, et qu’il existerait un
conflit d’intérêts car leur stratégie de défense différait. Le Procureur produit sa réponse le
22 juin 2000, et le 12 juillet 2000 la Chambre rend sa décision. Celle-ci estime que les
conseils de Ngeze tentaient de rouvrir des questions tranchées dans sa décision du
30 novembre 1999, mais examine néanmoins la requête comme si elle présentait de nouveaux
moyens. Rejetant la requête, la Chambre relève que la jonction était justifiée au regard de
l’article 48 bis du Règlement et que la Défense n’avait pas rapporté la preuve d’un conflit
d’intérêts.
36.
Étant donné la décision de jonction du 30 novembre 1999, les conseils de Ngeze
demandent, le 23 mars 2000, que Ngeze soit autorisé à faire siennes toutes les requêtes
déposées au nom de Nahimana, de manière à alléger la charge de travail des parties et à
sauvegarder les droits de l’accusé. Le Procureur fait objection à la requête le 11 avril 2000, et
le 12 mai 2000 la Chambre rejette la requête, aucune jurisprudence n’ayant été produite à
l’appui de celle-ci.
37.
Par la requête en date du 10 avril 2000, le Procureur demande la jonction des affaires
Barayagwiza, Nahimana et Ngeze. Le conseil de Barayagwiza et les conseils de Nahimana
font objection à cette requête les 28 avril 2000 et 30 avril 2000, respectivement. Dans leurs
conclusions en réponse du 14 mai 2000, les conseils de Ngeze n’y font pas objection. Le
6 juin 2000, la Chambre fait droit à la requête en jonction pour des motifs semblables à ceux
de sa décision du 30 novembre 1999.
38.
Le conseil de Barayagwiza forme une requête en disjonction d’instances et en procès
séparé, requête rejetée oralement par la Chambre le 26 septembre 2000, le moyen tiré d’un
conflit d’intérêts ayant été tranché précédemment et le critère requis aux fins de disjonction
n’ayant pas été satisfait.
4.4

Preuve documentaire

39.
Les conseils de Nahimana allèguent dans une requête du 13 janvier 2000 que le
Procureur n’avait pas respecté l’obligation de communication à lui faite par les articles 66, 67
et 68 du Règlement. Le Procureur ayant répondu à cette requête les 6 et 13 mars 2000, la
Chambre la rejette le 29 mars 2000, jugeant notamment que le délai de communication prévu
par l’article 66 A) ii) du Règlement n’avait pas expiré.
40.
Le 19 janvier 2000, les conseils de Ngeze forment une requête tendant à voir
enjoindre au Procureur de produire tous les éléments de preuve contre l’accusé. Le 3 mars
2000, le Procureur conteste le bien-fondé de cette requête en ce qu’elle était prématurée, car il
avait respecté l’obligation de communication à lui imposée par le Règlement. Le 16 mars
2000, la Chambre rejette la requête, aucune disposition expresse du Règlement n’autorisant la
Défense à demander à la Chambre d’ordonner la communication de toutes les pièces.

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41.
Le 26 septembre 2000, la Chambre statue oralement sur les requêtes en ajournement
des débats du procès, en exclusion d’éléments de preuve à charge et en arrêt des procédures
pour procédure abusive, formées par les conseils des trois accusés. La Chambre juge que le
Procureur avait usé de moyens dilatoires s’agissant de s’acquitter de l’obligation à lui faite
par l’article 66 du Règlement sans y voir une violation flagrante et que la Défense n’avait
démontré aucun préjudice substantiel subi par les accusés. En conséquence, elle a rejeté
toutes les requêtes, à l’exception de celle tendant à l’ajournement des débats à une date à
fixer lors de l’audience de mise en état suivant l’audience publique.
42.
Le 23 mars 2000, les conseils de Ngeze forment une requête tendant à voir enjoindre
au Ministère rwandais de la justice de communiquer des comptes rendus d’audience certifiés
et des documents relatifs à l’arrestation de l’accusé au Rwanda, ce, pour démontrer
l’existence d’un alibi, à savoir que l’accusé était en prison au moment des faits. Le
11 avril 2000, le Procureur fait valoir que rien n’autorisait en droit une Chambre de première
instance à adresser une telle injonction au Gouvernement rwandais. Citant à bon droit un arrêt
de la Chambre d'appel du TPIY qui avait jugé que le Tribunal n’avait pas le pouvoir
d’ordonner des mesures d’exécution contre des Etats et que dès lors le terme « ordonnance »
n’était pas approprié, la Chambre rejette la requête le 10 mai 2000 au motif qu’elle ne relevait
pas de la compétence du Tribunal.
43.
Par requête du 14 mai 2000, les conseils de Ngeze demandent la levée des scellés des
documents des Nations Unies concernant l’assassinat des Présidents du Rwanda et du
Burundi, soutenant qu’une partie de leur stratégie consistait à prouver l’identité de la
personne qui avait tué le Président Habyarimana. Le même jour, le conseil de Barayagwiza
dépose une requête semblable sollicitant la communication d’un rapport établi par Michael
Hourigan, enquêteur du TPIR, sur l’assassinat des Présidents du Rwanda et du Burundi. Dans
deux conclusions distinctes déposées le 27 juin 2000, le Procureur, sans s’opposer à ces
requêtes, demande que certaines restrictions soient respectées quant à l’utilisation du
document en question. Le 7 juillet 2000, la Chambre charge le Greffier de communiquer
copie du document à la Défense et au Procureur et ordonne, en outre, que le document ne soit
utilisé qu’aux fins du procès.
44.
Les conseils de Ngeze ont maintes fois soutenu qu’il était nécessaire pour le Tribunal
de traduire en français et en anglais (langues de travail du Tribunal) les 71 numéros parus en
kinyarwanda de Kangura, de sorte que l’accusé, qui répondait principalement du contenu du
journal, puisse bénéficier d’un procès équitable. Cette question est soulevée par les conseils
de Ngeze lors de la conférence de mise en état du 26 septembre 2000. La Chambre rend une
ordonnance portant calendrier le 6 octobre 2000, jugeant qu’il n’était pas nécessaire de
traduire tous les numéros de Kangura, car ils n’étaient pas tous pertinents et qu’une telle
entreprise dépassait les moyens du Tribunal. Seuls les extraits de Kangura sur lesquels
s’appuyaient les parties au procès devant l’être. La Chambre suggère aux conseils de
demander la coopération de leurs clients pour la lecture de tous les numéros de Kangura. Les
conseils de Ngeze ayant tenté oralement de faire examiner à nouveau cette question le
23 octobre 2000, la Chambre s’y oppose car elle avait déjà été tranchée. Elle invite toutefois
les conseils à se mettre en rapport avec le Président pour trouver d’autres solutions à la
question. Après discussion en chambre du conseil, un accord est intervenu en vertu duquel les
conseils de la Défense pourraient indiquer les numéros dont ils souhaitaient la traduction. Les
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conseils de la Défense choisissent les numéros 1, 10, 20, 30 et 40 de Kangura, dont la
traduction est établie et versée au dossier comme pièce à conviction P131 du Procureur. Le
2 novembre 2000, les conseils de Ngeze tentent de revenir de nouveau sur la question à
l’audience et se voient rappeler par la Chambre qu’elle avait été tranchée. Ngeze soulève de
nouveau la question lors de l’audience du 19 février 2001, indiquant qu’il s’agissait de l’une
des raisons pour lesquelles il avait choisi de ne pas comparaître. La Chambre fait remarquer
que les accusés étaient tous de langue kinyarwanda, que les conseils de la Défense avaient eu
le loisir de choisir les numéros à traduire et que des copies de tous les numéros aux mains du
Procureur avaient été communiquées des années auparavant à la Défense sur support papier
et sous forme électronique dans un cédérom. La Chambre relève en outre que les extraits de
Kangura retenus tant par le Procureur que par la Défense avaient été lus et versés au dossier
pendant la présentation des moyens à charge et à décharge, et qu’ils avaient fait l’objet
d’interprétation simultanée en anglais et en français. En conséquence, la Chambre a été saisie
des versions traduites en anglais et en français des extraits de Kangura invoquées par les
parties.
45.
Le 23 novembre 2001, les conseils de Ngeze introduisent une requête en
communication des émissions de Radio Muhabura, invoquant le respect des droits de la
défense et du droit à un procès équitable de l’accusé. Les conseils de Nahimana en avaient
également demandé en 1998 les enregistrements sonores. Le Procureur dépose le 3 décembre
2001 un rapport sur la question indiquant qu’il n’avait découvert aucune bande sonore, mais
qu’il poursuivait ses recherches. Cela étant, la Chambre déclare oralement la requête sans
objet le 6 décembre 2001 tout en demandant au Procureur de continuer à rechercher les
bandes en question. Le 16 septembre 2002, le Procureur communique des résumés des
informations diffusées sur les ondes de Radio Muhabura, de la RTLM et de Radio Rwanda en
sa possession.
46.
Saisie de la requête unilatérale des conseils de Nahimana tendant à obtenir la
coopération de la République fédérale d’Allemagne dans la recherche d’archives et
d’enregistrements sonores en sa possession, la Chambre adresse à la République fédérale
d’Allemagne, le 23 septembre 2002, une demande de coopération dans la recherche
d’informations spécifiques.
47.
Lors de sa déposition, le témoin expert à charge, Alison Des Forges, fait état de
microfiches détenues par le Département d’État américain. Ces matériaux sont le fruit d’un
projet de reproduction sur microfilms entrepris par le Gouvernement américain pour le
compte du Tribunal visant à préserver les dossiers en la possession du Bureau du Procureur
en juillet 1995. Ils comprennent des mémorandums et des notes internes du Procureur ainsi
que des enregistrements sonores d’entretiens menés par des organisations indépendantes, au
sujet de l’implication de personnes bien déterminées dans des massacres. Les conseils de
Nahimana sollicitent oralement l’accès auxdits matériaux, et durant une conférence de mise
en état tenue le 27 septembre 2002, les conseils des trois accusés font une demande dans ce
sens. Le 16 septembre 2002, les conseils de Nahimana invoquent des violations du droit de
l’accusé à un procès équitable, faute d’avoir pu obtenir des pièces du Rwanda et des
États-Unis, y compris les microfiches, et sollicitent l’aide de la Chambre à ce sujet. La
Présidente du Tribunal, la juge Navanethem Pillay, entretient l’Ambassadeur itinérant des
États-Unis pour les crimes de guerre de la question. Cette masse de matériaux, comprenant
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27 755 pages, est par la suite envoyée à Arusha. Le 11 octobre 2002, le Procureur demande
unilatéralement l’exclusion de certains documents lors de l’examen par la Défense des
microfiches, les documents en question ayant un caractère confidentiel en vertu de
l’article 70 A) du Règlement ou comportant l’identité de témoins non cités dans ce procès. Le
25 octobre 2002, la Chambre, ayant examiné les matériaux, fait droit en partie à la demande,
considérant qu’ils comportaient des documents internes au sens de l’article 70 A) et des
documents révélant l’identité de témoins. Cependant, la Chambre identifie certains
documents qui, n’étant pas internes, pouvaient être communiqués. Dès lors, elle ordonne au
Procureur de les mettre à la disposition de la Défense aux fins d’inspection. Par la suite, les
matériaux en question sont communiqués à la Défense sous forme de cédéroms. Le 21 janvier
2003, les conseils de Nahimana demandent oralement de nouveau à examiner lesdits
matériaux. La Chambre rejette cette demande le 24 janvier 2003, relevant que les matériaux
en question avaient déjà été communiqués à la Défense qui les voulait uniquement sous
forme de microfiches, et non de cédéroms, et soulignant en outre les efforts déployés par la
Chambre pour aider la Défense à obtenir cette masse de matériaux qu’elle avait désormais en
sa possession.
48.
Par requête du 13 mai 2003, les conseils de Nahimana demandent l’arrêt des
procédures, motif pris de violations du droit à un procès équitable, en ce que la Défense de
Nahimana n’avait pas été en mesure d’obtenir, du Rwanda en particulier, des documents et
des enregistrements sonores d’émissions et de discours à l’appui de sa cause. La Défense
allègue que le Gouvernement rwandais la privait de certaines pièces. Dans sa décision du
5 juin 2003 rejetant la requête, la Chambre relève que la Défense ne pouvait pas être certaine
que ces pièces existaient toujours et rappelle les efforts faits par la Chambre pour l’aider à
obtenir des documents grâce à une demande de coopération adressée à un État, y compris les
microfiches, et l’aide apportée par le Rwanda à la Défense. La Chambre relève que Nahimana
a fait allusion pendant sa déposition à certains documents susceptibles de prouver sa version
des faits, en particulier, des dossiers afférents au licenciement d’employés de l’ORINFOR en
vertu d’une liste qu’il avait établie7. Tout en reconnaissant que tous les documents, bandes
sonores de la RTLM ou autres matériaux n’ont pas été mis à la disposition de la Défense, que
certains d’entre eux, pour autant qu’ils existent toujours, auraient pu être utiles à la cause de
l’accusé, la Chambre considère qu’il s’agissait là d’une question concernant le poids à
accorder à ces éléments de preuve qu’elle apprécierait le moment venu.
49.
Par ailleurs, la Chambre a été saisie de nombreuses demandes et requêtes en cours
d’instance par toutes les parties qu’elle a tranchées oralement et qui ne seront pas évoquées
en détail ici.
4.5

Témoins

50.
Pendant le procès, le Procureur a appelé à la barre 47 témoins et la Défense au nom
des trois accusés en a appelé 46, 13 l’ayant été par la Défense de Nahimana (y compris
l’accusé), 32 par celle de Ngeze (y compris l’accusé) et un par le conseil de Barayagwiza.

7

Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 42 à 48.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

51.
Le 9 octobre 2000, les conseils de Ngeze demandent que Hassan Ngeze soit caché à la
vue des témoins à charge pendant leur déposition jusqu’à ce que les conseils de la Défense
aient obtenu du témoin une description détaillée de l’accusé, car ils commettaient une erreur
sur sa personne. Le 12 octobre 2000, la Chambre rejette la requête au motif que la Défense
aurait la possibilité lors du procès de contester la valeur de l’identification.
52.
Statuant sur la demande d’examen médical, psychiatrique et psychologique de Ngeze
déposée par ses conseils, et ayant entendu les parties à huis clos le 19 février 2001, la
Chambre fait droit à la requête en chambre du conseil le 20 février 2001. Le rapport médical
consécutif établit que Ngeze était en mesure d’assister au procès. Étant donné les conclusions
du rapport, les conseils de Ngeze ne sont pas revenus sur la question.
53.
Ayant entendu les conseils des trois accusés, en leurs arguments, la Chambre, par
décisions orales rendues les 19 mars, 13 mai, 20 mai et 1er juillet 2002, admet quatre témoins
à charge à déposer en qualité d’experts : Mathias Ruzindana, Marcel Kabanda, Alison Des
Forges et Jean-Pierre Chrétien. Par décisions en date des 24 janvier et 25 février 2003
relatives aux experts désignés par la Défense, la Chambre autorise les conseils de Nahimana à
appeler trois témoins, le conseil de Barayagwiza à en appeler un et les conseils de Ngeze
deux, étant entendu que la qualité des intéressés ferait l’objet d’un examen préliminaire. Le
4 mars 2003, les conseils de Nahimana interjettent appel de la décision du 25 février 2003,
arguant que les dépositions exclues par la Chambre étaient pertinentes et que leur exclusion
constituait une violation des droits de l’accusé à un procès équitable. L’appel est jugé
irrecevable et rejeté par la Chambre d’appel le 28 mars 2003. Roger Shuy, témoin cité par les
conseils de Ngeze, est admis à titre temporaire en qualité d’expert à l’occasion d’une
déposition à La Haye le 28 avril 2003, en attendant qu’il soit statué par la Chambre plénière.
De même, le 1er mai 2003, Fernand Goffioul, témoin cité par le conseil de Barayagwiza, est
admis à titre provisoire en qualité d’expert durant une déposition à La Haye, sous réserve
d’une décision de la Chambre plénière. Ayant examiné les qualifications des deux témoins, la
Chambre déclare que Roger Shuy justifiait des compétences requises pour être expert en
socio-linguistique. En ce qui concerne Fernand Goffioul, la Chambre relève que son rapport
intéressait l’histoire du Rwanda et le rôle des médias dans les années 90, ce qui ne
correspondait pas à son domaine de spécialisation déclaré, à savoir la neuropsychiatrie, et
qu’en conséquence, elle retiendrait les seules parties de sa déposition ayant trait à cette
discipline. Le 5 mai 2003, la Chambre admet oralement Helmut Strizek à déposer en qualité
d’expert à décharge de Nahimana.
54.
Le Procureur produit dans un premier temps, le 27 juin 2000, une liste de 97 témoins
à charge. Par la suite, il est autorisé par la Chambre le 26 juin 2001 à modifier sa liste initiale
de témoins. Une nouvelle demande à fin de modification est refusée oralement le 10 juillet
2001. Les conseils de Nahimana déposent leur liste initiale de témoins le 22 août 2002. Le
2 décembre 2002, la Chambre fait droit oralement à la demande des conseils de Nahimana du
27 novembre 2002 d’ajouter un témoin. Le 11 décembre 2002, les conseils de Nahimana
demandent à être autorisé à ajouter huit témoins à leur liste. Le 13 décembre 2002, la
Chambre autorise l’adjonction de trois témoins. Les conseils de Ngeze déposent une liste
provisoire de témoins le 11 décembre 2002, produisant leur liste définitive le 20 janvier 2003.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

55.
Les conseils de Nahimana demandent oralement le 9 novembre 2000 à la Chambre
d’enjoindre au Procureur d’ouvrir une enquête pour faux témoignage concernant la
déposition du témoin à charge AEN conformément à l’article 91 du Règlement. La Chambre
rejette la demande le 27 février 2001, estimant qu’elle n’avait été saisie d’aucun motif sérieux
de nature à l’autoriser à conclure que le témoin avait fait un faux témoignage ; lors
d’audiences ultérieures, le témoin fournira des détails supplémentaires. La Chambre a été
d’avis que la force probante accordée aux réponses du témoin relevait de son appréciation
lorsqu’elle évaluerait l’affaire quant au fond.
56.
Le 11 juin 2001, le Procureur demande à la Chambre l’autorisation d’ajouter le
témoin X à sa liste et de prescrire des mesures de protection en faveur de celui-ci. Les parties
sont entendues en leurs arguments sur ce sujet les 5 et 6 septembre 2001. Les conseils des
trois accusés soutiennent que l’adjonction du témoin X à ce stade de la procédure, après
qu’une liste définitive des témoins du Procureur a été déposée, constituait une violation des
droits des accusés et des règles de communication de preuves entre les parties et ne
remplissait pas les conditions requises par l’article 73 bis du Règlement pour les nouveaux
éléments de preuve. Ils allèguent en outre que le Procureur connaissait le témoin avant que la
date du procès ait été fixée et les éléments à décharge aux mains dudit témoin mais n’avait
pas respecté ses obligations de communication. Après délibération, la Chambre statuant à la
majorité fait droit à la demande tendant à ajouter le témoin X à la liste et ordonne certaines
mesures de protection le 14 septembre 2001, le témoin étant un élément-clé pour le
Procureur, et la Défense ayant été informée de ce dont le témoin parlerait dans sa déposition
et ne pouvant dès lors être prise au dépourvu. En outre, la Chambre relève que le témoin
remplacerait six témoins à charge et qu’en conséquence, cet ajout à la liste des témoins à
charge n’entraînerait aucun retard indu. Le témoin ayant invoqué des raisons précises de
craindre pour sa sécurité lors de sa comparution à Arusha, la Chambre ordonne également de
lui expliquer les mesures de protection afin de déterminer s’il était disposé à venir déposer à
Arusha ; si ses craintes persistaient, il pourrait déposer par vidéoconférence de La Haye. Le
juge Asoka de Zoysa Gunawardana présente une opinion dissidente, estimant que le
Procureur aurait pu appeler le témoin X déjà avant juin 2001 et que, n’ayant pas respecté
l’article 68 du Règlement qui lui imposait de communiquer les éléments de preuve à
décharge, il ne devait pas être autorisé à convoquer ledit témoin. En définitive, le témoin
déposera par vidéoconférence de La Haye du 18 au 26 février 2002.
57.
La Chambre prescrit des mesures de protection en faveur de témoins à charge le
23 novembre 1999 et le 2 juillet 2001, en faveur des témoins de Nahimana le 25 février 2000,
et en faveur de témoins de Ngeze, le 23 septembre 2002, pour préserver leur identité,
répondant ainsi aux craintes exprimées pour leur sécurité, si l’on venait à savoir qu’ils avaient
déposé devant le Tribunal. Certains témoins ont choisi de décliner leur identité : les témoins à
charge Philippe Dahinden, Colette Braeckman et Agnés Murebwayire et les témoins à
décharge Laurence Nyirabagenzi et Valérie Bemeriki pour Nahimana. Le témoin à charge
GO s’est plaint à la Chambre le 28 mai 2001 que les conseils de Nahimana auraient pris
contact avec lui, en violation de l’ordonnance de protection. Le 11 juin 2001, la Chambre
accepte les affirmations des conseils selon lesquelles aucun contact direct n’avait eu lieu avec
le témoin, mais considère que la visite des conseils à la « maison sécurisée » n’avait pas sa
raison d’être et enjoint aux conseils de ne pas effectuer de démarche susceptible de mettre en
danger la sécurité d’un témoin protégé.
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

58.
Le 26 juin 2001, les conseils de Nahimana allèguent que le Procureur a enfreint
l’ordonnance de protection des témoins. Ayant entendu les parties le 28 juin 2001, la
Chambre, le 5 juillet 2001, rejette la requête au motif, que les deux témoins à décharge
concernés n’ayant pas été signalés au Greffier, ils n’étaient pas couverts par l’ordonnance de
protection des témoins.
59.
Le 13 janvier 2003, le Procureur forme une requête tendant à interdire aux conseils de
Ngeze tout nouveau contact avec le témoin à charge RM10, qui à l’époque était protégé, bien
qu’il n’ait pas encore été appelé par le Procureur. Par décision en date du 17 janvier 2003, la
Chambre juge que les conseils de Ngeze avaient enfreint l’ordonnance de protection, mais
retient que selon les conseils c’était le témoin qui avait pris contact à l’origine avec eux. Le
Procureur n’ayant pas appelé le témoin à la barre, la Chambre lève la mesure de protection
prescrite, place le témoin sous l’ordonnance de protection de Ngeze et autorise les conseils de
Ngeze à le contacter. Le 6 mars 2003, les conseils de Ngeze sollicitent des mesures de
protection en faveur des témoins à décharge RM112, RM113 et RM114 qui craignaient pour
leur sécurité. En réponse à leur lettre, la Section d’aide aux témoins et aux victimes du
Tribunal dépose le 14 mars 2003 un rapport confidentiel exposant les dispositions prises dans
ce sens. Le 24 mars 2003, RM117, un témoin à décharge de Ngeze, exprime à l’audience des
craintes pour sa sécurité et déclare avoir été menacé pendant son voyage à Arusha pour
déposer. La Chambre demande à la Section d’aide aux témoins et aux victimes d’enquêter ;
les résultats de l’enquête sont consignés dans un rapport confidentiel daté du 24 mars 2003.
60.
Le 1er mars 2001, la Chambre décide de ne pas prendre en compte la déposition du
témoin à charge FW contre Ngeze, l’accusé n’ayant pas été informé que ce témoin déposerait
contre lui, dès lors que la déclaration dudit témoin ne parlait nullement de l’accusé. En
présence du cas similaire du témoin à charge ABH dont la déposition n’avait pas fait l’objet
de notification, la Chambre a, à la majorité, décidé oralement d’entendre le témoin le
13 novembre 2001, les conseils de Ngeze ayant été dûment informés par lettre du 13 août
2001. Le juge Asoka de Zoysa Gunawardana ayant considéré que la notification requise
n’avait pas eu lieu et exprime une opinion dissidente en l’espèce.
61.
Le 30 août 2001, les conseils de Nahimana demandent oralement communication des
notes des enquêteurs du Procureur prises durant les auditions du témoin à charge ABC à fin
de contre-interrogatoire. Le même jour, la Chambre rejette la demande, relevant que les
contradictions entre la déposition et les déclarations écrites antérieures et les conclusions à en
tirer seraient appréciées par elle lorsqu’elle évaluerait la déposition du témoin.
62.
Le 3 septembre 2001, les conseils de Ngeze demandent à la Chambre d’ordonner
communication des dossiers judiciaires du témoin à charge LAG et d’autres témoins à charge
contre lesquels des poursuites judiciaires avaient été engagées au Rwanda. Le 4 septembre
2001, la Chambre ordonne au Procureur d’obtenir les dossiers en question du Gouvernement
rwandais, y compris les accords intervenus entre la juridiction et le prévenu concernant sa
reconnaissance de culpabilité, ses aveux et les dates de condamnation et de prononcé de la
sentence.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

63.
Le 3 janvier 2002, la Chambre statue sur la requête du conseil de Barayagwiza du
17 janvier 2002 qui contestait la déposition du témoin à charge Georges Ruggiu, car la
Chambre avait eu à apprécier sa déposition lors du prononcé de la sentence en sa propre
cause et ne serait dès lors pas impartiale. Considérant que le conseil soulevait des objections
qu’elle avait déjà tranchées le 19 septembre 2000, la Chambre a conclu que la requête n’était
pas pertinente au sens de l’article 73 E) du Règlement et l’a pour ce motif rejetée, ordonnant
le non-versement des honoraires y afférents.
64.
Par requête déposée le 20 août 2002, les conseils de Ngeze sollicitent le retrait du
dossier de la déposition du témoin à charge FS au motif qu’il n’était pas revenu à Arusha
pour terminer son contre-interrogatoire et n’avait pas communiqué les noms des membres de
sa famille tués en 1994. Le 12 septembre 2002, le conseil de Barayagwiza fait valoir que la
déposition du témoin FS ne devrait pas être retenue contre Barayagwiza car l’accusé n’était
pas représenté par un conseil à l’époque. Le 16 septembre 2002, la Chambre rejette les deux
requêtes, relevant que les conseils de Ngeze avaient contre-interrogé le témoin pendant cinq
heures, ce qui était suffisant pour un contre-interrogatoire ciblé et qu’ils avaient alors
convenu que le contre-interrogatoire était terminé, sauf en ce qui concernait l’identité du
témoin, et que la crédibilité du témoin relevait de l’appréciation souveraine de la Chambre.
Elle rappelle en outre que le témoin avait fourni les noms de sa femme et de ses enfants
pendant sa déposition.
65.
Par requête introduite le 11 septembre 2002, le Procureur sollicite une injonction
tendant à voir les conseils des trois accusés respecter les règles de communication des
informations relatives aux témoins et à leur déposition. Selon lui, les conseils de Nahimana
n’avaient pas dûment communiqué ces informations en temps utile. Le 3 octobre 2002, la
Chambre ordonne à la Défense de communiquer des précisions sur les témoins et leurs
déclarations dans un certain délai.
66.
Le 20 novembre 2002, les conseils de Ngeze demandent la communication des
déclarations, et des documents y afférents, du témoin protégé ZF dans une autre affaire, Le
Procureur c. Théoneste Bagosora, Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze et Anatole
Nsengiyumva, pour appuyer la thèse de la Défense selon laquelle le FPR avait abattu l’avion
présidentiel le 6 avril 1994. La Chambre rejette cette requête le 12 décembre 2002, compte
tenu de l’opinion de la Chambre de première instance III saisie de l’affaire. La Chambre III
ayant refusé de lever les mesures de protection car le témoin était particulièrement
vulnérable, communiquer des déclarations et des documents le concernant serait risquer de
divulguer des informations sensibles et le mettre ainsi en danger.
67.
Par requête du 8 janvier 2003, le Procureur demande à la Chambre de ne pas autoriser
les conseils de Ngeze à appeler Wayne Madsen à la barre, faisant valoir que ce que celui-ci
devait dire des faits ayant conduit au génocide était sans pertinence ni valeur probante et que
la question de savoir à qui imputer l’attentat perpétré contre l’avion présidentiel n’entrait pas
dans le champ des poursuites engagées par le Procureur. Les conseils de Ngeze contestent la
requête, affirmant que la déposition en cause viendrait étayer leur thèse en l’espèce. Le
23 janvier 2003, la Chambre rejette la requête en partie en circonscrivant le témoignage à des
informations factuelles sur les causes probables des massacres au Rwanda en 1994 et le rôle
de la RTLM et de Kangura à l’époque.
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68.
Par requête en date du 11 février 2003, les conseils de Ngeze demandent l’autorisation
d’appeler un témoin précédemment au service de la MINUAR qui évoquerait la prédiction
par Ngeze de l’assassinat du Président Habyarimana. Se déclarant peu convaincue de la
valeur probante de ce témoignage et rappelant, en outre, l’interdiction dont l’ONU avait
frappé toute divulgation d’informations confidentielles par ce témoin et la réticence que
celui-ci éprouvait à comparaître, la Chambre rejette la requête le 25 février 2003. Les conseils
de Nahimana sollicitent unilatéralement le 20 mars 2003 l’autorisation d’appeler un membre
du personnel de l’UNICEF qui évoquerait certains aspects de la déposition
d’Agnès Murebwayire ; cependant, le futur témoin ayant refusé de signer une déclaration de
témoin, la requête est rejetée le 26 mars 2003. Les conseils demandent alors le réexamen de
la décision le 11 avril 2003, demande qui est également rejetée.
69.
Le 10 avril 2003, la Chambre fait droit à la requête des conseils de Nahimana tendant
à entendre le témoin à décharge Y à La Haye les 1er et 2 mai 2003, celui-ci craignant pour sa
sécurité. Cependant, en raison de retards, dus notamment au fait qu’il avait été retiré de la
liste des témoins à décharge par les conseils de Nahimana, puis retenu de nouveau, le témoin
n’a pu déposer à La Haye comme prévu ; les conseils de Nahimana demandent le 7 mai 2003
qu’une nouvelle date soit fixée pour sa déposition. Le 3 juin 2003, rejetant la requête, la
Chambre relève l’étendue des dispositions arrêtées spécialement pour la déposition du témoin
Y, le refus de celui-ci de déposer par la suite et les difficultés liées aux documents intéressant
le témoin en raison des propres agissements de ce dernier.
70.
Le 1er avril 2003, les conseils de Ngeze demandent à la Chambre d’entendre le témoin
à décharge JF-55 à La Haye, au motif qu’il aurait contracté le virus SARS et devait être
proche d’un grand hôpital. La Chambre rejette la requête le 7 avril 2003, relevant le caractère
contagieux du virus SARS et le fait qu’elle ne pouvait organiser une déposition dans ces
circonstances. La Chambre retient également l’absence de certificat médical établi par un
médecin attestant l’information. Le 9 avril 2003, les conseils sollicitent un réexamen de la
décision, affirmant qu’un certificat médical serait produit. Relevant qu’aucun élément
nouveau n’avait été présenté à l’appui de la requête en réexamen et que les conseils n’avaient
produit aucun certificat médical et n’avaient pas donné suite à leur demande, la Chambre
déclare la défense forclose en sa requête.
71.
Avant de déposer, Ngeze informe la Chambre qu’il le ferait sans l’assistance de ses
conseils, car il n’avait jamais discuté de Kangura avec ses conseils et que ceux-ci ne parlaient
pas le kinyarwanda, langue dans laquelle Kangura paraissait principalement. La Chambre
relève, cependant, que les conseils de Ngeze étaient présents pour intervenir en son nom
durant sa déposition. Ngeze dépose sans l’assistance mais en présence de ses conseils qui
sont intervenus en son nom.
72.
Les 24 et 28 avril 2003, le Procureur introduit deux requêtes tendant à voir la
Chambre l’autoriser à appeler 11 témoins pour administrer la preuve contraire de certains
faits. Ces requêtes ayant été contestées par les conseils des trois accusés les 1er et 5 mai 2003.
Le 9 mai 2003, la Chambre les rejette au motif pris notamment de ce que le Procureur avait
été informé précédemment des allégations dont il cherchait maintenant à administrer la
preuve contraire et aurait dû y procéder à l’occasion de la présentation des moyens à charge.
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La Chambre juge certains des éléments de preuve en question par trop propres à nuire aux
accusés, le préjudice qu’il y avait pour le Procureur à ne pas pouvoir réfuter les éléments de
preuve en cause étant moindre que celui encouru par les accusés.
73.
Le 15 mai 2003, les conseils de Nahimana demandent communication d’informations
susceptibles de démontrer le parti pris d’un témoin expert à charge, à savoir, des informations
relatives à un associé du collaborateur de l’expert à charge, Jean-Pierre Chrétien, dans
l’écriture d’un livre. Le Procureur répond le 16 mai 2003 qu’il n’avait pas violé ses
obligations de communication et que la Défense avait eu la possibilité de contre-interroger les
deux personnes, Kabanda et Chrétien, qui avaient rédigé le rapport d’expert. Faisant observer
que l’appartenance ethnique ou institutionnelle de l’associé du co-auteur du témoin expert ne
constituait pas la preuve de parti pris de la part de ce dernier et que ces questions auraient pu
être soulevées pendant son contre-interrogatoire, la Chambre rejette la requête le 5 juin 2003
et ordonne le non versement des honoraires et frais y afférents.
4.6

Requêtes aux fins d’acquittement et de mise en liberté provisoire

74.
Par requêtes datées du 21 août 2002 (Nahimana), des 16 et 23 août 2002
(Barayagwiza), et des 20 et 23 août 2002 (Ngeze), les conseils des trois accusés demandent
l’acquittement. Les conseils de Nahimana font valoir que les accusations n’avaient pas été
prouvées au-delà de tout doute raisonnable ou ne relevaient pas de la compétence temporelle
du Tribunal. Le conseil de Barayagwiza soutient que le Procureur n’avait pas prouvé les
accusations portées contre l’accusé car les témoins appelés à la barre n’étaient ni pertinents ni
crédibles. Les conseils de Ngeze prétendent qu’aucune preuve n’avait été produite à l’appui
des charges retenues contre Ngeze, si ce n’est des preuves entachées de vices et ne pouvant
emporter la conviction. Le Procureur répond globalement à toutes les requêtes le
6 septembre 2002, faisant valoir que les questions de crédibilité des témoins n’entraient pas
dans le champ d’application de l’article 98 bis du Règlement et reprenant dans leurs grandes
lignes la déposition de chacun des témoins à charge. Cependant, le Procureur concède que la
preuve du chef d’assassinat constitutif de crimes contre l’humanité retenu contre Nahimana et
Barayagwiza n’avait été nullement rapportée. En outre, le Procureur ne s’oppose pas au
retrait des deux chefs de violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de Genève
et du Protocole additionnel II retenus contre Barayagwiza. Les parties entendues le
16 septembre 2002, une décision orale est rendue le 17 septembre 2002. Par décision motivée
du 25 septembre 2002, la Chambre acquitte Nahimana et Barayagwiza des chefs de crimes
contre l'humanité (assassinat) et acquitte par ailleurs Barayagwiza des deux chefs de
violations graves de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole
Additionnel II. Concernant les chefs restants, la Chambre estime qu’il existait des preuves
suffisantes qui, s’il leur était accordé foi, autoriseraient une déclaration de culpabilité au titre
de chacun des chefs et, revenant en détail sur les preuves à charge qui à ses yeux intéressent
chaque chef, rejette en conséquence les prétentions concernant les chefs d’accusation
restants.
75.
Par requête déposée le 4 septembre 2001, le conseil de Barayagwiza demande la mise
en liberté de Barayagwiza en raison de la durée de sa garde à vue et de sa détention et
sollicite de la Chambre qu’elle demande à l’Assemblée générale de fixer une règle
concernant la durée de la détention provisoire. Le 27 août 2001, la Chambre rejette la requête
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

oralement en ce qu’elle demandait une mesure excédant ses pouvoirs, ainsi que la demande
relative aux frais afférents à la requête. Le conseil interjette appel de la décision le
13 septembre 2001, mais est débouté le 1er février 2002 par la Chambre d'appel qui estime
que les questions soulevées étaient insusceptibles d’appel interlocutoire, que l’appel était
fantaisiste et constituait un abus de procédure et, en conséquence, ordonne le non-paiement
des honoraires afférents à la requête.
76.
Le 12 juillet 2002, les conseils de Nahimana demandent la mise en liberté provisoire
de Nahimana en application de l’article 65 du Règlement, au motif que sa longue détention
violait les droits tirés de l’article 20 du Statut. Le 5 septembre 2002, la Chambre juge que, vu
la complexité de l’affaire et la gravité des chefs d’accusation retenus contre l’accusé, la durée
de sa détention n’était pas irrégulière et que les circonstances ne justifiaient pas sa mise en
liberté provisoire. Elle rejette la requête en conséquence.
77.
Le conseil de Barayagwiza demande également la mise en liberté provisoire de
l’accusé par requête formée le 19 juillet 2002, arguant que la durée de sa détention violait les
textes relatifs aux droits de l’homme. Le 3 septembre 2002, la Chambre, constatant que le
texte de la requête était quasiment le même que celui de la demande de mise en liberté rejetée
le 27 août 2001, juge sans intérêt de vérifier l’existence de circonstances exceptionnelles
justifiant la mise en liberté provisoire et rejette la requête de ce chef et ordonne le nonpaiement des frais afférents à celle-ci.
4.7

Juges et conseils

Juges
78.
Par requête en date du 18 octobre 1999, le conseil de Barayagwiza demande la
récusation des juges Laïty Kama et Navanethem Pillay, motif pris de partialité découlant de
leur participation au jugement Akayesu dont certaines énonciations étaient consacrées à la
CDR et à la RTLM en cause dans la présente espèce devant la Chambre. Le 19 octobre 1999,
la Chambre déclare oralement la requête sans pertinence car elle était à ce stade saisie de
requêtes préliminaires et d’ordre procédural, et non de l’affaire quant au fond et qu’elle
n’était pas compétente pour juger de la récusation du juge Kama, car celui-ci ne siégeait pas à
la Chambre.
79.
Par trois requêtes formées le 24 novembre 1999, les conseils de Ngeze demandent la
récusation des juges Pillay, Møse et Gunawardana respectivement, les parties étant entendues
en leurs arguments le 25 novembre 1999. La Défense invoque, entre autres motifs, que la
Chambre, en rétablissant le chef de génocide dans l’acte d'accusation par sa décision du
5 novembre 1999, a examiné les preuves additionnelles relatives au chef de génocide, alors
que le juge du fond ne devrait pas avoir connaissance des éléments de preuve avant le procès.
Les conseils contestent, en outre, l’impartialité du juge Pillay au motif qu’elle avait
également siégé en l’affaire Le Procureur c. Akayesu dont le jugement comportait des
énonciations à propos de Kangura. Le 25 novembre 1999, la Chambre rejette oralement ces
requêtes car elle avait expressément déclaré dans la décision du 5 novembre 1999 qu’elle
n’avait pas examiné les pièces justificatives. Concernant la participation du juge Pillay à
l’affaire Akayesu, la Chambre considère que le fait pour un juge d’avoir connu d’une affaire
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

ne lui interdisait pas d’apprécier les preuves produites dans une autre cause en toute
impartialité, chaque cause étant jugée en fonction des faits de l’espèce. Les conseils de Ngeze
relèvent appel de la décision orale le 2 décembre 1999, appel qui est rejeté le
5 septembre 2000 comme soulevant des questions insusceptibles d’appel interlocutoire.
80.
Le 7 septembre 2000, le conseil de Barayagwiza demande la récusation des juges
Pillay et Møse au motif que leur visite au Rwanda et les entretiens qu’ils y avaient eus avec le
Président et le Procureur général, le Gouvernement rwandais étant intervenu dans l’affaire
concernant Barayagwiza, laissaient présumer un défaut d’impartialité. La Chambre rejette la
requête oralement le 11 septembre 2000, relevant que la mission avait été entreprise à la suite
de discussions en plénière pour des raisons d’ordre institutionnel, à savoir la poursuite de la
coopération du Gouvernement rwandais avec le Tribunal et n’avait rien à voir avec le
jugement de la présente espèce. La Chambre relève également qu’il ne s’agissait pas là du
premier séjour des juges au Rwanda. Elle précise qu’aucune affaire pendante devant les
Chambres n’avait été évoquée et que la visite s’était déroulée en toute transparence.
81.
Par requête formée le 15 septembre 2000, les conseils de Nahimana demandent la
récusation des juges Pillay et Møse au motif que l’on pouvait craindre quelque parti pris de
leur part du fait de leur participation au jugement de Georges Ruggiu (témoin à charge
annoncé) et, concernant le seul juge Pillay, du fait de sa participation au jugement Akayesu
dans lequel certaines conclusions étaient tirées des témoignages de Mathias Ruzindana et
Alison Des Forges (témoins experts à charge). Le 19 septembre 2000, la Chambre rejette
oralement la requête, considérant qu’elle ne pouvait faire droit à une demande en récusation
du seul fait qu’un juge avait rendu des décisions défavorables dans d’autres causes et que la
Défense avait eu la possibilité de contre-interroger ces témoins et mettre ainsi leurs dires à
l’épreuve.
Conseils
82.
Le Greffier ayant rejeté la demande de Barayagwiza du 5 janvier 2000 tendant à la
révocation de son conseil, J.P.L. Nyaberi, pour manque de compétence, d’honnêteté, de
diligence et d’intérêt, cette décision est confirmée par le Président du Tribunal le 19 janvier
2000. Saisie par Barayagwiza le 21 janvier 2000, la Chambre d’appel ordonne le 31 janvier
2000 la révocation du conseil de l’accusé, J.P.L. Nyaberi, et la désignation d’un nouveau
conseil principal et d’un coconseil pour Barayagwiza. Carmelle Marchessault et David
Danielson sont ainsi nommés conseil principal et coconseil de Barayagwiza, respectivement.
83.
Le 23 octobre 2000, les conseils de Barayagwiza, Carmelle Marchessault et David
Danielson, informent le Tribunal que Barayagwiza n’assistera pas au procès, et leur a donné
pour instruction de ne pas le représenter car il était privé d’un procès équitable en raison des
précédentes décisions du Tribunal sur sa mise en liberté. Cependant, Barayagwiza n’ayant
pas mis fin à leur mandat, ils devaient continuer à le représenter en dehors du cadre du
procès. La Chambre déclare que Barayagwiza avait le droit d’être présent pendant son procès
et avait choisi de ne pas le faire, et que le procès suivrait néanmoins son cours. La Chambre
affirme également qu’il serait libre d’y assister dès qu’il aurait changé d’avis. Elle ordonne
aux conseils de continuer à représenter Barayagwiza. Le 25 octobre 2000, apprenant des
conseils que Barayagwiza leur avait demandé de ne pas assister aux audiences, la Chambre
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

refuse d’autoriser lesdits conseils à ne pas être présents au prétoire. Le 26 octobre 2000, les
conseils de Barayagwiza demandent à être autorisés à se retirer, ayant reçu de leur client pour
instructions de ne pas le représenter lors du procès. La requête est rejetée le 2 novembre
2000, la Chambre se devant de garantir les droits de l’accusé et, en particulier, celui d’obtenir
des conseils juridiques. La Chambre relève que les actions de Barayagwiza constituaient une
tentative pour entraver le cours de l’instance et qu’il n’avait pas été mis fin sans équivoque au
mandat des conseils. Dans une opinion individuelle concordante, le juge Gunawardana
déclare que les présents conseils devraient être désignés comme conseils de réserve. Le
5 février 2001, les conseils de Barayagwiza informent la Chambre que Barayagwiza a sans
équivoque mis fin à leur mandat. Le 6 février 2001, la Chambre prend acte de ce fait et
demande au Greffier de révoquer leur désignation et de nommer un nouveau conseil pour
Barayagwiza. Giacomo Barletta-Calderera est désigné conseil principal de Barayagwiza et
enregistré comme tel le 12 février 2001. Il représente Barayagwiza pendant le procès. La
Chambre relève que Barayagwiza n’a pas bénéficié de représentation pendant le laps de
temps durant lequel le témoin FS a déposé, soit les 7 et 8 février 2001. La Chambre relève en
outre que Barayagwiza a lui-même choisi de ne pas se présenter à l’audience et donné pour
instruction à ses conseils de ne pas y assister non plus, si bien que ses conseils étaient
silencieux dans la salle d’audience et n’ont procédé à aucun contre-interrogatoire des quatre
premiers témoins à charge. De son côté, la Chambre a posé des questions aux témoins lorsque
la déposition concernait Barayagwiza.
84.
Selon un rapport d’enquête en date du 24 août 2000 établi par les responsables du
quartier pénitentiaire des Nations Unies, Ngeze a contrefait une lettre de démission censée
émaner de son conseil, Patricia Mongo, qui a nié avoir écrit cette lettre. Pendant son contreinterrogatoire le 4 avril 2003, Ngeze nie avoir envoyé la lettre de démission.
85.
Le conseil de Ngeze, Patricia Mongo, demande à se désister les 17 et 24 août 2000
invoquant des faits qui avaient entraîné un manque de confiance dans ses relations avec
Ngeze. Le désistement du conseil est enregistré par le Greffier le 7 septembre 2000 et cette
dernière est remplacée par John C. Floyd III. Par lettre datée du 17 février 2001, Ngeze
sollicite la révocation de ses conseil John Floyd et coconseil René Martel, motif pris de ce
qu’il n’avait plus confiance dans leur aptitude à le représenter. Les principales raisons
invoquées par Ngeze étaient que les conseils ne l’avaient pas consulté et que le conseil
principal avait révoqué deux enquêteurs et un assistant sans l’avoir consulté. Le
29 mars 2001, la Chambre à la majorité examine les consultations de l’accusé par les conseils
durant le procès, relève qu’il avait été mis fin au contrat de l’assistant par le Greffier et que
les motifs de renvoi des enquêteurs étaient liés à leur honnêteté et à leur professionnalisme.
Elle relève également que Ngeze avait changé d’avocat quatre fois précédemment et
demandait à présent un cinquième changement et rejette la requête. Dans une opinion
individuelle et dissidente, le juge Gunawardana déclare qu’il n’y avait pas assez d’éléments
de preuve pour statuer sur la consultation de Ngeze par ses conseils et retient l’affirmation de
l’accusé selon laquelle ses conseils n’agissent pas au mieux de ses intérêts. Ngeze dépose
d’autres demandes écrites de révocation de ses conseils les 31 mai, 25 juin, 28 juin, 4 juillet
et 7 juillet 2002, et forme les mêmes demandes oralement lors des audiences des 20 mars,
26 juin, 12 septembre et 14 septembre 2001. Ces requêtes sont rejetées et les conseils ont
continué de représenter l’accusé pendant le procès.
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

86.
L’accusé a choisi tous ses conseils et, chaque fois, il a été fait droit à son premier
choix, y compris lorsqu’il a choisi Patricia Mongo et John Floyd. Au total, Ngeze a changé
quatre fois de conseil, John Floyd étant son cinquième conseil. Mis à part Patricia Mongo et
John Floyd (qui représente toujours Ngeze), tous ses précédents conseils ont été révoqués à sa
demande. La Chambre relève que, pendant que Ngeze se plaignait de ses conseils, il
continuait de leur donner des instructions et de les consulter. En ce qui concerne les
enquêteurs de Ngeze, la Chambre relève que ceux-ci ont été renvoyés pour malhonnêteté et
retient en outre que Ngeze n’avait pas d’enquêteur dans son équipe depuis quelque temps car
il tenait spécialement aux deux enquêteurs qui avaient été renvoyés.
87.
Par décision orale du 15 mai 2001, Ngeze est autorisé, à sa requête, à contreinterroger lui-même les témoins à charge sous le contrôle étroit de la Chambre, et seulement
après que son conseil eut procédé à leur contre-interrogatoire, et ce à titre temporaire en
attendant qu’il soit statué sur le sort de ses conseils. Ngeze est autorisé à poser des questions
lors du contre-interrogatoire des témoins EB le 17 mai 2001, AHI le 11 septembre 2001 et
Alison Des Forges le 9 juillet 2002. Ngeze n’est pas autorisé à contre-interroger le témoin
Thomas Kamilindi. En ce qui concerne le témoin Omar Serushago, la Chambre décide le
27 novembre 2001 que Ngeze formulerait par écrit cinq questions dont la Chambre
apprécierait la pertinence. S’agissant du témoin Jean-Pierre Chrétien, Ngeze est invité le 4
juillet 2002 à faire poser ses questions par son conseil. Le 3 mars 2003, Ngeze demande à
être autorisé à poser dix questions à chacun des témoins à décharge. La Chambre lui demande
de s’entretenir avec son conseil de ce sujet.
4.8

Accélération du cours de l’instance

88.
Pour accélérer le cours de l’instance, qui prenait du retard en raison d’interrogatoires
et de contre-interrogatoires inutilement longs, la Chambre fixe le 5 juin 2002 le calendrier des
débats et détermine le temps imparti à chaque conseil pour le contre-interrogatoire des six
témoins à charge suivants. La Chambre précise en outre la date du commencement des
plaidoiries de la Défense. Par ailleurs, par ordonnance en date du 26 mars 2003, elle arrête
des dates butoirs aux fins de la présentation des moyens à décharge.
89.
La Chambre relève que le retard pris par le procès était en partie imputable au
Procureur qui a procédé à la communication de pièces par à-coups, à des changements dans
son équipe ainsi qu’à des modifications des actes d’accusation et de sa liste de témoins, si
bien que la Chambre lui enjoint le 5 juin 2002 de présenter les moyens à charge en toute
diligence.
90.
La Chambres de première instance et la Chambre d’appel ont considéré que certaines
des requêtes déposées ou des appels interjetés par les conseils de la Défense étaient
fantaisistes ou abusifs et, dans ces cas, le non-paiement des honoraires occasionnés par la
procédure en cause ou des frais y afférents est ordonné, par application de l’article 73 E) du
Règlement. Certaines de ces procédures sont évoquées plus haut.
91.
Tout au long de l’instance, les conseils n’ont cessé de demander l’annulation des
décisions de la Chambre de première instance et de la Chambre d’appel en déposant des
requêtes aux fins de réexamen ou des requêtes qui reprenaient les mêmes arguments que ceux
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

précédemment rejetés par les Chambres, certes sous un intitulé différent. Outre les requêtes et
appels évoqués plus haut, les conseils de Ngeze ont demandé les 1er et 2 avril 2003 le
réexamen de l’ordonnance portant calendrier du 26 mars 2003 et le réexamen du cas du
témoin JF-55 le 9 avril 2003. Le 10 avril 2003, les conseils de Nahimana ont demandé le
réexamen de l’assistance prêtée par le Rwanda. De plus, des demandes ont souvent été faites
oralement en cours d’instance concernant les mêmes questions que celles qui avaient déjà été
tranchées par la Chambre, ce qui a retardé le cours du procès.
92.
Par accords entre le Procureur et les conseils de la Défense, les parties vident certains
litiges, faisant ainsi l’économie de la convocation de certains témoins8.
93.
Le 1er août 2003, les conseils de Nahimana déposent une requête en modification de
l’ordonnance portant calendrier du 26 mars 2003, tendant à voir accorder à la Défense un
droit de duplique après les dernières conclusions en réplique du Procureur en ramenant à une
semaine le délai imparti au Procureur pourra déposer ses conclusions en réponse aux trois
dernières conclusions de la Défense. La Chambre tranche en permettant aux conseils de la
Défense de répliquer aux conclusions en réponse à l’occasion des plaidoiries, durant
lesquelles ils pourraient exercer leur droit de réponse.
4.9

Le procès

94.
Le procès commun de Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan
Ngeze s’ouvre le 23 octobre 2000 par les déclarations liminaires du Procureur. Celui-ci
termine la présentation des moyens à charge le 12 juillet 2002 ayant appelé à la barre
47 témoins. Les conseils de Nahimana commencent la présentation de leurs moyens de
défense le 18 septembre 2002 par la déposition de l’accusé Nahimana. Dix autres témoins
ayant été entendus, la présentation des moyens à décharge de Nahimana est suspendue le
14 janvier 2003 jusqu’à ce que les autres témoins puissent se rendre à Arusha pour déposer.
Le 15 janvier 2003, les conseils de Ngeze entament la présentation de ses moyens de défense,
appelant 32 témoins, y compris l’accusé Ngeze. Ils finiront leur présentation le 29 avril 2003.
Ayant commencé la présentation des moyens de défense de l’accusé le 1er mai 2003, les
conseils de Barayagwiza l’achèveront le même jour, ayant appelé un seul témoin à la barre.
Deux autres témoins à décharge ayant été entendus, les conseils de Nahimana clôturent leur
présentation le 8 mai 2003. Les débats prennent fin le 9 mai 2003 après 238 jours d’audience.
Les dernières conclusions du Procureur sont déposées le 25 juin 2003. Les conseils des trois
accusés produisent leurs dernières conclusions le 1er août 2003, le Procureur déposant des
conclusions en réponse le 15 août 2003. Les dernières conclusions du Procureur comportaient
324 pages, celles des conseils de Nahimana 440 pages, celles des conseils de Barayagwiza
239 pages, celles des conseils de Ngeze 226 pages et les conclusions en réponse du Procureur
158 pages. Par ailleurs, Ngeze dépose ses propres dernières conclusions de 176 pages. Les
parties sont entendues en leurs réquisitions et plaidoiries du 18 au 22 août 2003, les conseils
des trois accusés s’étant vus ménager ainsi le loisir de répondre aux dernières conclusions et

8

Voir, par exemple, Accord des Parties sur ce que serait le témoignage de Crystal Nix-Hinds, Denise Minor et
Gregory Gordon, du 11 décembre 2002 ; et Accord entre le Procureur et les conseils de Ngeze concernant
l’acceptation proposée des traductions d’articles/extraits de Kangura, du 19 mai 2003.
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au réquisitoire du Procureur. Après quoi l’accusé Ngeze s’est adressé personnellement à la
Chambre.
5.

De la preuve

95.
Aux termes du paragraphe A de l’article 89 du Règlement, la Chambre n’est pas liée
par les règles de droit interne régissant l’administration de la preuve, mais par ses propres
règles en la matière. Dans le silence du Règlement, conformément aux dispositions du
paragraphe B du même article, la Chambre applique les règles d’administration de la preuve
propres à permettre, dans l’esprit du Statut et des principes généraux du droit, un règlement
équitable de la cause. Selon le paragraphe C de l’article 89, est admissible tout élément de
preuve pertinent dont la Chambre estime qu’il a valeur probante.
96.
La jurisprudence du Tribunal a dégagé des principes généraux en matière
d’appréciation des moyens de preuve, y compris touchant la valeur probante desdits moyens ;
l’utilisation des déclarations de témoins ; le faux témoignage ; l’impact d’un traumatisme sur
la déposition des témoins ; les problèmes d’interprétation du kinyarwanda en français et en
anglais ; et les facteurs culturels affectant la preuve testimoniale9.
97.
La Chambre relève que la preuve par ouï-dire n’est pas inadmissible en elle-même
lorsqu’elle n’est pas corroborée par des éléments de preuve directs. Elle a considéré la preuve
par ouï-dire avec prudence, conformément à l’article 89 du Règlement. De même, par
application de cet article, la corroboration d’un seul témoignage n’est pas requise, la
recevabilité de la preuve dépendant de la pertinence, de la valeur probante et des exigences
d’un procès équitable10.
98.
L’accusé Barayagwiza a signifié son refus de participer au procès, motif pris, selon sa
déclaration (Pièce à conviction de la Chambre C4A), de ce qu’il doutait pouvoir bénéficier
d’un procès impartial et équitable et, de ce fait, n’a pas assisté aux débats. Consciente du
droit de l’accusé de rester silencieux, la Chambre n’a pas tiré de conclusions défavorables de
son absence lors des débats.
99.
S’agissant de l’alibi invoqué, la Chambre relève que dans le jugement Musema, il a
été jugé qu’« [e]n invoquant la défense d’alibi, l’accusé ne nie pas seulement avoir commis
les crimes qui lui sont imputés, mais affirme qu’il se trouvait, au moment de la commission
desdits crimes, dans un lieu autre que celui où ils ont été commis. Il appartient au Procureur
d’établir la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable, que l’accusé était
présent et qu’il a commis les crimes qui lui sont imputés. La défense d’alibi ne crée pas une
charge de preuve distincte. Si elle est vraisemblable, elle doit être retenue »11.

9

Voir par exemple le jugement Akayesu, par. 130 à 156.
Jugement Musema, par. 43, confirmé en appel, arrêt, par. 36 à 38.
11
Ibid., par. 108 ; confirmé en appel, arrêt, par. 205 et 206.
10

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6.

Compétence temporelle

100. Durant la phase de mise en accusation, deux des accusés, Ferdinand Nahimana et
Hassan Ngeze, ont contesté leurs actes d’accusation respectifs au motif qu’ils leur
reprochaient des crimes débordant la compétence temporelle du Tribunal qui est limitée par
son Statut aux violations commises entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. La Chambre
relève dans ses décisions, confirmées sur appel interlocutoire, que si nombre de faits visés
dans l’acte d’accusation sont antérieurs au 1er janvier 1994, ils « n’en constituent pas moins
des éléments d’appréciation très importants permettant de mieux comprendre la conduite
reprochée à l’accusé dans le cadre du génocide rwandais de 199412 » et « que ces allégations
pourraient être subsidiaires ou liées à l’allégation principale en question et pourraient de ce
fait avoir une valeur probante13 ». La Chambre d’appel a confirmé la décision de la Chambre
qu’un accusé ne pouvait être responsable de crimes commis avant 1994 et qu’il n’en serait
pas fait mention « que dans un but de rappel historique ou à titre d’information14 ».
101. Dans une opinion individuelle souscrivant à la décision de la Chambre d’appel, le
juge Shahabuddeen précisait que des éléments de preuve antérieurs au 1er janvier 1994
constituaient une base dont on pouvait déduire, par exemple, l’intention ou d’autres éléments
constitutifs des crimes relevant de la compétence temporelle du Tribunal. De plus, on peut se
fonder sur la preuve de crimes antérieurs pour établir un « plan, un dessein ou une conduite
systématique de la part de l’accusé ». En ce qui concerne le chef d’entente, dès lors que
l’accord y relatif pourrait remonter à une période antérieure au 1er janvier 1994, le juge
Shahabuddeen estime que, tant que les parties continuent à y souscrire, on peut considérer
qu’elles renouvellent l’entente constamment jusqu’au moment de la commission des actes
envisagés par l’entente. En conséquence, une entente conclue avant mais se poursuivant en
1994 peut être considérée comme relevant de la compétence du Tribunal.
102. Dans une opinion individuelle conjointe, envisageant également les infractions
d’incitation directe et publique à commettre le génocide et d’entente en vue de commettre le
génocide, les juges Vohrah et Nieto-Navia ont fait observer qu’ « [e]n présence d’infractions
formelles en particulier, il peut être difficile d’établir l’époque où tous les éléments
constitutifs de l’infraction se sont trouvés réalisés de sorte qu’il pourrait se poser un problème
dans l’hypothèse où l’on voudrait condamner du chef non seulement de tel fait survenu à telle
date mais également à raison d’une série de faits ou d’actes étalés dans le temps15 ». Les
auteurs de l’opinion se demandent si les limites de la compétence du Tribunal étaient censées
s’appliquer à ces crimes de manière à exclure les preuves « de l’incitation ou de l’entente
antérieure à 1994 ». Rappelant que le Statut n’éclaire pas sur la manière dont sa compétence
doit être interprétée en présence d’infractions continues ou formelles comme l’entente ou
l’incitation, et n’envisage pas davantage d’exception à la compétence temporelle du Tribunal,
l’opinion relève que le Conseil de sécurité a établi expressément la compétence temporelle du
12

« Décision sur la Requête du Procureur aux fins d’autorisation de modifier l’acte d’accusation », Le
Procureur c. Hassan Ngeze, affaire n° ICTR-97-27-I, 5 novembre 1999, par. 3.
13
« Décision sur la Requête du Procureur aux fins d’autorisation de déposer un acte d’accusation modifié », Le
Procureur c. Ferdinand Nahimana, affaire n° ICTR-96-11-T, 5 novembre 1999, par. 28.
14
« Décision sur les appels interlocutoires », Hassan Ngeze et Ferdinand Nahimana c. Le Procureur,
5 septembre 2000, p. 6.
15
Ibid., « Opinion individuelle conjointe du juge Lal Chand Vohrah et du juge Rafael Nieto-Navia », par. 7.
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Tribunal à partir du 1er janvier 1994, et non du 6 avril 1994, « dans le but de saisir la phase de
planification des crimes16 », et de conclure que le Statut doit s’interpréter « d’une manière
restrictive pour respecter cette intention17 ».
103. Pour saisir les faits selon cette lecture, ainsi que les émissions, écrits et autres
éléments d’information diffusés par voie de presse par l’accusé avant 1994, la Chambre
estime que, s’agissant des infractions commises en 1994, ces matériaux antérieurs à 1994
peuvent constituer la preuve de l’intention de l’accusé ou d’une conduite délibérée de sa part,
ou permettre de camper le décor pour étudier et cerner la nature des liens que l’accusé
entretenait généralement avec les médias en question. Dans la mesure où ces matériaux ont
été remis en circulation par l’accusé en 1994 et où celui-ci avait fait quoi que ce soit en 1994
pour en faciliter la distribution ou pour les porter à l’attention de l’opinion, la Chambre
considère que ces matériaux relèvent de sa compétence temporelle définie par son Statut.
104. Concernant les infractions d’entente et d’incitation directe et publique, la Chambre
retient que lors du débat devant le Conseil de sécurité évoqué par les juges Vohrah et NietoNavia, au cours duquel a été discutée la proposition tendant à ce que le Tribunal se saisisse
des faits à partir d’octobre 1990, on n’a pas distingué entre ces infractions formelles et les
autres infractions qui par nature ne sont pas continues. La Chambre considère, par
conséquent, que le débat au Conseil de sécurité n’éclaire pas sur l’application de la
compétence temporelle à ces infractions-ci qui, à la différence des autres crimes visés dans le
Statut, sont survenues en 1994 et avant. La Chambre considère que si l’on a retenu le
1er janvier 1994 et non le 6 avril 1994 comme point de départ de la compétence temporelle du
Tribunal, expressément dans le but de saisir la période de planification, c’est que l’on a
entendu appréhender les infractions formelles qui culminent avec la commission d’actes en
1994 et non les exclure. Seules les infractions consommées avant 1994 sont manifestement
exclues de la compétence temporelle du Tribunal. La Chambre estime à la suite du juge
Shahabuddeen que la résolution d’agir concertée nécessaire à l’entente persiste jusqu’à la
commission des actes envisagés. La Chambre considère qu’il en va de même du crime
d’incitation qui, identiquement, se réalise jusqu’au moment de la commission des actes
incriminés.

16

Opinion, p. 6, citant le Rapport du Secrétaire général en application du paragraphe 5 de la résolution 955 du
Conseil de sécurité (1994), S/1995/134, 13 février 1995, par. 14.
17
« Opinion individuelle conjointe du juge Lal Chand Vohrah et du juge Rafael Nieto-Navia », par. 17, 18 et 23.
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CHAPITRE II
HISTOIRE DU RWANDA
105. Les accusés ont, lors de leurs dépositions et par d’autres moyens, réitéré à la Chambre
qu’il était crucial de connaître l’histoire du Rwanda, et singulièrement celle des identités
ethniques et des relations interethniques, pour cerner les événements qui s’y étaient déroulés
en 1994. L’accusé Ngeze a cité et contesté à maintes reprises la première phrase de l’acte
d’accusation :
1.1 La révolution de 1959 marque le début d’une période d’affrontements ethniques
entre les Hutus et les Tutsis au Rwanda, provoquant au cours des années qui ont
immédiatement suivi des centaines de morts chez les Tutsis et l’exode de milliers
d’entre eux.

106. La Chambre relève que l’histoire du Rwanda depuis la période pré-coloniale, a été
évoquée en détail à l’occasion du premier jugement prononcé par le Tribunal de céans. La
Chambre reconnaît l’intérêt de cette analyse historique, surtout en l’espèce et, de ce fait,
reprend quasiment in extenso l’analyse exhaustive du contexte historique exposée dans le
jugement Akayesu18 :
80. Tant durant la période pré-coloniale que durant la colonisation, d’abord par
l’Allemagne, à partir de 1897 environ, puis par la Belgique, qui, en 1917, chassa les
Allemands, puis se vit confier par la Société des Nations un mandat pour administrer
le Rwanda, ce pays était une monarchie, à la fois complexe et évoluée. Le monarque
régnait dans tout le pays par l’intermédiaire de représentants officiels et de la
noblesse tutsie. S’est ainsi développée une culture politique toute de finesse, qui
permettait au roi de communiquer avec les populations par l’intermédiaire de ces
rouages.
81. À cette époque, on considérait qu’il y avait au Rwanda quelques dix-huit clans
constitués essentiellement sur la base des liens de parenté. Les termes Hutu et Tutsi
existaient déjà, qui décrivaient plutôt des individus que des groupes. La distinction, à
cette époque, entre les Hutus et les Tutsis, était d’un caractère plus généalogique
qu’ethnique. La ligne de démarcation entre le groupe hutu et le groupe tutsi était
mouvante, on pouvait passer de l’un à l’autre selon qu’on était devenu riche ou
pauvre, ou encore par mariage.
82. Aussi bien la colonisation allemande que belge, ne serait-ce que dans un premier
temps pour cette dernière, s’appuya sur une élite essentiellement composée de
personnes se disant Tutsi ; choix qui, selon le Docteur Alison Desforges, procédait de
motifs d’ordre raciaux, voir racistes. Les colons considéraient que les Tutsis, leur
ressemblant le plus, et par la taille et par la couleur de la peau, étaient sensés, par
voie de conséquence, être plus intelligents et mieux habilités à gouverner.
83. Le colon belge décida d’établir, au début des années trente, une distinction
permanente, fondée sur la classification de la population en trois groupes dits
« ethniques » : les Hutus, représentant environ 84 % de la population, les Tutsis, en
18

Jugement Akayesu, par. 80 à 111.

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représentant plus ou moins 15 %, et les Twas, constituant environ 1 % de la
population. On institua à cet effet, pour chaque rwandais, une carte d’identité
mentionnant son appartenance « ethnique ». La Chambre note que la mention de
l’identité ethnique sur la carte d’identité sera maintenue même après l’indépendance
du Rwanda et ne sera finalement abolie qu’après les événements tragiques qu’a
connus ce pays en 1994.
84. Selon le témoignage du Docteur Alison Desforges, en même temps qu’elle
donnait au monarque, ses notables et les populations tutsies, un accès privilégié à
l’enseignement et à l’éducation, l’église catholique, arrivée dans le sillage des colons
européens, a essayé de les convertir. Face à une certaine résistance de la part des
Tutsis, les missionnaires se sont alors employés pendant une certaine période à
convertir les Hutus. Cependant, lorsque les Belges ont décidé que le fait d’être
chrétien était l’un des critères retenus dans le choix d’un candidat à un poste dans
l’administration, les Tutsis se montrèrent plus disposés à se convertir, entraînant dans
leur sillon la masse de la population hutue. D’après le Docteur Desforges, qui cite un
témoin Rwandais auquel elle avait demandait comment s’expliquent les conversions
massives des Hutu au christianisme, les raisons sont à trouver dans le culte
d’obéissance aux chefs, particulièrement développé dans la société rwandaise. Pour
ce témoin : « Vous ne pouviez pas rester là, debout, alors que vos supérieurs étaient à
genoux, en prière. » Pour ces raisons donc, on comprend qu’à cette époque, c’est-àdire vers la fin des années 1920 et le début des années 1930, l’église se soit exprimée,
comme le colon, en faveur du monopole du pouvoir par les Tutsis.
85. Dès la fin des années 1940, avec le mouvement de décolonisation, les Tutsis se
rendirent compte de tout le parti qu’ils pouvaient tirer de la situation privilégiée qui
leur était faite par les colons belges et l’église catholique. Ils tentèrent alors de
s’affranchir quelque peu de la tutelle politique belge et d’émanciper la société
rwandaise de l’emprise de l’église catholique. Ces velléités d’indépendance de l’élite
tutsie ne manquèrent pas de susciter un retournement d’alliances, des Tutsis vers les
Hutus, tant de la part de la Belgique que de l’église. Ce mouvement fut d’autant plus
accentué que l’on notait, à l’époque, dans l’église, un changement de philosophie
après la Seconde guerre mondiale, avec l’arrivée de jeunes prêtres provenant d’une
tendance plus démocratique et plus égalitaire du christianisme, qui s’employèrent à
développer une conscience politique au sein de la majorité hutue, dominée par les
Tutsis.
86. Sous la pression du Conseil de tutelle des Nations Unies et suite aux
retournements d’alliance que l’on vient d’évoquer, la Belgique changea de politique
et ouvrit davantage aux Hutus les portes de l’enseignement et l’accès aux postes de
cadres dans l’administration. Cela irrita particulièrement les Tutsis, d’autant plus que,
lorsque les Nations Unies avaient renouvelé le mandat belge sur les territoires
rwandais après la Seconde guerre mondiale, il avait été demandé de mettre en place
des organes représentatifs en vue de l’installation d’une administration autochtone, en
vue de l’indépendance. Les Tutsis, dès lors, amorcèrent le mouvement pour mettre
fin à la domination belge, au contraire de l’élite hutue qui préférait alors la poursuite
de la tutelle belge, pour des raisons tactiques. En effet, cette dernière espérait pouvoir
faire progressivement prendre conscience aux masses hutues de leur poids dans
l’échiquier politique rwandais, dans le but d’arriver à l’indépendance, qui était
inéluctable, sur une base d’égalité, au moins, avec les Tutsis. Cette attitude de l’élite

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hutue était particulièrement appréciée par la Belgique, qui était dès lors en droit de
penser qu’avec les Hutus, il n’y aurait pas de rupture à l’indépendance.
87. En 1956, conformément aux directives que lui avaient données le Conseil de
tutelle des Nations Unies, la Belgique institua le suffrage universel pour le
renouvellement des organes locaux, tels les Conseils représentatifs de base. Ces
élections donnèrent lieu à un vote purement ethnique, qui assurèrent tout
naturellement une forte majorité aux Hutus qui, dès lors, se rendirent compte de leur
force politique. Comme de son côté le pouvoir tutsi, qui souhaitait obtenir
l’indépendance tout en gardant le contrôle du pouvoir, avait pris conscience du fait
que le suffrage universel signifierait la fin de son règne, la confrontation entre ces
deux parties de la population devenait dès lors inexorable.
88. Vers 1957, les premières formations politiques virent le jour, qui, comme on
pouvait s’y attendre, épousèrent des contours ethniques plutôt qu’idéologiques. Ils
étaient alors au nombre de quatre : le Mouvement démocratique républicain
Parmehutu (le « MDR Parmehutu »), se définissant clairement comme le mouvement
des masses hutues ; l’Union Nationale Rwandaise (l’ « UNAR »), le parti des
monarchistes tutsis ; et, entre ses deux extrêmes, deux autres partis politiques,
l’Aprosoma, largement hutu, et le Rassemblement démocratique rwandais (le
« RADER »), qui rassemblait les modérés des élites tutsies et hutues.
89. Les troubles politiques que l’on craignait éclatèrent effectivement en novembre
1959, avec la multiplication d’incidents sanglants dont les Hutus furent les premières
victimes. En riposte, les Hutus se mirent à incendier et piller des maisons tutsies.
Ainsi se mit en place un cycle de violences qui devait déboucher, suite aux élections
communales de juin 1960 qui assurèrent une large majorité aux partis hutus, sur
l’installation, le 18 octobre 1960, par les Autorités belges, d’un Gouvernement
provisoire autonome dirigé par Grégoire Kayibanda, président du MDR Parmehutu.
Après que le monarque tutsi ait gagné l’étranger, l’opposition hutue proclama, le
28 janvier 1961, la République de Gitarama et la constitution d’une Assemblée
législative. Le 6 février 1961, la Belgique conféra au Rwanda le statut d’autonomie
interne. L’indépendance fut proclamée le 1er juillet 1962, avec, à la tête du nouvel
État, Grégoire Kayibanda, qui devint ainsi Président de la Première République.
90. La victoire des partis hutus amena nombre de Tutsis à quitter le Rwanda pour les
pays voisins, à partir desquels ils menèrent des incursions au Rwanda. Le mot
« Inyenzi », signifiant cancrelat, fut dès lors utilisé pour désigner ces assaillants.
Chaque attaque des exilés était suivie de représailles contre les Tutsis vivant dans le
pays, représailles qui causèrent, en 1963, la mort d’au moins dix mille Tutsis,
accélérant encore les vagues d’exil des Tutsis. En même temps, sur le plan intérieur,
le pouvoir hutu saisit cette occasion pour, d’une part, allouer aux Hutus les terres
abandonnées par les exilés Tutsis et, d’autre part, procéder à une redistribution des
postes au sein du Gouvernement et de l’administration en faveur des Hutus, sur la
base d’un système de quotas lié à la proportion que chaque groupe ethnique
représentait dans la population.
91. Des dissensions ne tardèrent pas à se produire au sein du pouvoir hutu, qui
conduisirent le régime à renforcer la primauté du parti MDR Parmehutu sur tous les
secteurs de la vie publique et sur toutes les institutions, en en faisant, de fait, un parti
unique. Furent ainsi consolidées l’autorité du président Grégoire Kayibanda, mais
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aussi l’influence de son entourage, provenant pour l’essentiel de la même région que
lui: celle de Gitarama, au centre du pays. On constatait donc un glissement vers un
pouvoir ethnique et régional. Désormais, une ligne de fracture s’était installée au sein
du pouvoir hutu entre les personnalités originaires du Centre et celles provenant du
Nord et du Sud, chez qui on notait une très grande frustration. De plus en plus isolé,
le Président Kayibanda ne réussit pas à maîtriser les dissensions ethniques et
régionales. Ces contradictions du régime entraînèrent une situation d’anarchie, qui
permit au général Juvénal Habyarimana, chef de l’armée, de prendre le pouvoir par
un coup d’État, le 5 juillet 1973. Le Général Habyarimana proclama la dissolution de
la Première République et l’installation de la Deuxième République. Plusieurs
dizaines de dirigeants politiques furent emprisonnés et, par la suite, exécutés ou
affamés à mort, comme l’ancien Président Grégoire Kayibanda.
92. Suivant une tendance en cours à cette époque en Afrique, le Président
Habyarimana institua le règne d’un parti unique en créant, en 1975, le Mouvement
révolutionnaire national pour le développement (le « MRND »), dont tout Rwandais
était membre ipso facto, y compris les nouveau-nés. Le MRND regroupant tous les
Rwandais, aucune place n’était laissée au pluralisme politique. Une loi passée en
1978 fit officiellement du Rwanda un État à parti unique. La conséquence de
l’institution d’un parti unique fut que ce parti devint un « parti-état » de sorte qu’il
constituait avec le Gouvernement une seule et unique entité …
93. … Comme l’avait fait son prédécesseur Kayibanda, Habyarimana renforça la
politique de discrimination à l’encontre des Tutsis, en appliquant la même politique
de quotas dans les universités et les administrations. Une politique de discrimination
systématique fut même pratiquée entre Hutus, favorisant les Hutus originaires de la
région Nord-Ouest dont provenait Habyarimana, celle de Gisenyi et Ruhengeri, au
détriment des Hutus des autres régions du pays. Ce dernier aspect de la politique
d’Habyarimana a singulièrement fragilisé son pouvoir, en ajoutant à ses opposants
Tutsis des Hutus qui se sentaient discriminés par son régime, provenant pour
l’essentiel des régions du Centre et du Sud du Rwanda. Face à cette situation,
Habyarimana choisit la fuite en avant, reproduisant en cela exactement ce qui était
arrivé à son prédécesseur, lorsque celui-ci avait choisi, en sens inverse, de favoriser
sa région de Gitarama. Comme Kayibanda, il se retrouva de plus en plus isolé, la
base de son régime finissant par se réduire à un petit cercle de proches auquel fut
donné le nom d’ « Akazu », à savoir la « petite maison du Président ». Cela eut pour
effet de radicaliser davantage une opposition de plus en plus nombreuse. Le 1er
octobre 1990, une attaque était perpétrée à partir de l’Ouganda par le Front
patriotique rwandais (le « FPR »), dont l’ancêtre, l’Alliance rwandaise pour l’unité
nationale (l’ « ARUN ») avait été créé en 1979 par des exilés tutsis installés en
Ouganda. Cette attaque servit de prétexte à l’arrestation de milliers d’opposants au
Rwanda, considérés comme favorables au FPR
94. Face à la dégradation de la situation intérieure entraînant un mouvement de plus
en plus large dans la société rwandaise en faveur du multipartisme et à la pression des
bailleurs de fonds étrangers, qui exigeaient des réformes économiques, mais aussi
politiques, avec une participation populaire plus grande à la gestion du pays, le
Président Habyarimana fut obligé d’accepter le principe du multipartisme. Le
28 décembre 1990, un avant-projet de charte politique instaurant le multipartisme
était publié. Le 10 juin 1991, la nouvelle constitution instaurant le multipartisme était

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adoptée à son tour, suivie, le 18 juin, par la promulgation de la loi sur les partis
politiques et la création des premiers partis, à savoir :
-

-

le Mouvement démocratique républicain (« MDR »), qui était
considéré comme le parti le plus important en terme de nombre
d’adhérents, et qui se prévalait de liens historiques avec le MDRParmehutu de Grégoire Kayibanda ; la base de ce parti se trouvait
principalement dans la partie centrale du pays, autour de Gitarama ;
le Parti social démocrate (PSD), dont les membres comptaient un
grand nombre d’intellectuels, implantés surtout dans le Sud, à
Butare ;
le Parti libéral (PL) ; et
le Parti démocrate chrétien (PDC).

95. Parallèlement, les exilés tutsis, notamment ceux réfugiés en Ouganda,
s’organisaient, non seulement pour préparer des infiltrations sur le territoire
rwandais, mais aussi pour créer une organisation politique, le « FPR », et la doter
d’une branche militaire dénommée l’Armée Patriotique Rwandaise (l’ « APR »). Le
premier objectif des exilés était le retour au Rwanda. Ils se heurtèrent au refus des
autorités rwandaises et du Président Habyarimana, qui aurait déclaré que les terres du
Rwanda ne suffiraient pas pour nourrir tout ceux qui voulaient revenir. Le FPR
élargit alors davantage ses objectifs en y incluant le renversement d’Habyarimana.
96. L’attaque du 1er octobre 1990 menée par le FPR évoquée ci-dessus créa une onde
de choc au Rwanda. Les membres des partis de l’opposition, qui avaient vu le jour en
1991, y virent l’occasion d’une alliance officieuse avec le FPR, pour déstabiliser plus
encore un régime déjà affaibli. Le régime finit par accepter un partage du pouvoir
entre le MRND et les autres partis politiques et, vers le mois de mars 1992, un accord
fut signé entre le Gouvernement et l’opposition pour la constitution d’un
gouvernement transitoire de coalition, avec, à sa tête, un Premier ministre issu du
MDR. Sur les dix-neuf portefeuilles ministériels, le MRND n’en obtint que neuf.
Sous la pression de l’opposition, le MRND accepta que des négociations fussent
engagées avec le FPR. Elles aboutiront à un premier cessez-le-feu, en juillet 1992, et
à la première partie des Accords d’Arusha. Le cessez-le-feu de juillet 1992
reconnaissait tacitement le contrôle du FPR sur la partie Nord-Est du territoire
rwandais. Parmi les protocoles signés suite à ces Accords figurent le Protocole
d’octobre 1992 établissant un gouvernement et une assemblée de transition et
prévoyant la participation du FPR aux deux institutions. La scène politique s’ouvrait
alors pour être composée de trois blocs principaux: celui d’Habyarimana, celui de
l’opposition intérieure et celui du FPR. L’expérience montrera que le président
Habyarimana n’avait accepté ces Accords que contraint et forcé, mais qu’il n’avait
pas l’intention de respecter ce qu’il aurait lui-même qualifié de « chiffon de papier ».
97. Pour autant, le FPR n’avait pas renoncé à ses objectifs de prise du pouvoir et
multiplia ses attaques militaires. L’attaque massive du 8 février 1993 détériora
gravement les relations entre le FPR et les partis d’opposition hutue. Les partisans
d’Habyarimana eurent alors beau jeu d’appeler au rassemblement de tous les Hutu.
Le lien basé sur l’identité hutue recommença ainsi à prévaloir sur les enjeux
politiques. Les trois blocs susmentionnés laissèrent alors la place à une opposition
calquée sur l’appartenance ethnique entre, d’une part, le FPR, sensé regrouper tous
les Tutsis et, d’autre part, les autres partis, composés pour l’essentiel de Hutus.
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98. Un groupe d’extrémistes hutus créèrent, en mars 1992, un nouveau parti politique
radical, la Coalition pour la Défense de la République (la « C.D.R. »), se situant
même encore plus loin sur l’échelle de l’extrémisme hutu qu’Habyarimana lui-même,
à qui il s’opposa à plusieurs occasions.

101. Sur le plan politique, des scissions s’opérèrent au sein de presque tous les partis
d’opposition au sujet de la proposition de signature d’un accord de paix finale. Ce
mouvement commença par le parti MDR, principal rival du MRND, dont la faction
radicale, connue plus tard sous le nom de M.D.R.-Power s’affilia à la C.D.R. et au
MRND.
102. Le 4 août 1993, le gouvernement rwandais et le FPR signèrent les accords finals
d’Arusha et mirent un terme à la guerre commencée le 1er octobre 1990. Les accords
prévoyaient, entre autres, la création d’un gouvernement de transition incluant le
FPR, la démobilisation partielle et l’intégration des deux armées en présence (13 000
troupes du FPR et 35 000 troupes des FAR), la création d’une zone démilitarisée
entre la région contrôlée par le FPR dans le Nord et le reste du pays, l’établissement
d’un bataillon F.P.R dans la ville de Kigali, et le déploiement, en quatre phases,
d’une force de maintien de la paix des Nations Unies dotée d’un mandat de deux ans,
qui prendra le nom de Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (la
« MINUAR »).
103. Le 23 octobre 1993, le Président du Burundi, Melchior Ndadaye, un Hutu, fut
assassiné au cours d’une tentative de coup d’État par les militaires tutsis du
Burundi…
104. Fin décembre 1993, l’assassinat du président Ndadaye donna également
l’occasion au président Habyarimana et à la CDR de dénoncer, dans une déclaration
commune du MRND et de la CDR, les Accords d’Arusha, les qualifiant de trahison.
Mais quelques jours plus tard, poursuivant une politique de louvoiement vis-à-vis de
la communauté internationale, Habyarimana signa une autre partie des accords de
paix d’Arusha. De fait, ces accords n’existaient plus que sur le papier. Le président
certes prêta serment, mais l’installation d’un gouvernement de transition fut retardée
notamment du fait des divisions au sein des partis politiques et des luttes intestines
qui en découlèrent.
105. Des dirigeants de la CDR et du PSD furent assassinés en février 1994. Dans les
jours qui suivirent, les Interahamwe et les Impuzamugambi massacrèrent à Kigali les
Tutsis et les Hutus opposés à Habyarimana …
106. Fin mars 1994, le gouvernement de transition n’était toujours pas en place et le
Rwanda était au bord de la faillite. Les bailleurs de fonds internationaux et les pays
voisins firent pression sur le gouvernement Habyarimana pour mettre en œuvre les
Accords d’Arusha. Le 6 avril 1994, le président Habyarimana et d’autres chefs d’État
de la région se réunirent à Dar Es-Salaam, en Tanzanie, pour discuter de la mise en
œuvre des accords de paix. L’avion transportant les Présidents Habyarimana et
Ntaryamira du Burundi s’écrase à leur retour de la réunion, aux environs de 20 h 30,
près de l’aéroport de Kigali, ne laissant aucun survivant.
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107. Cette histoire est attestée par les pièces à conviction produites durant le procès et les
accusés ont également replacé les faits dans leur contexte historique pour mieux les éclairer.
L’accusé Ngeze, en particulier, a versé au dossier de nombreux ouvrages d’histoire qui
établissent clairement l’origine de l’identité et du conflit ethniques au Rwanda, qui remontait
bien avant 1959, contrairement à l’assertion du paragraphe 1.1 des actes d’accusation visant
les accusés.
108. La Chambre relève la naissance de l’identité ethnique des groupes hutu, tutsi et twa
dans l’histoire du Rwanda et des préjugés ethniques concomitants résultant de la répartition
inégale des privilèges sociaux et politiques fondée sur ces différences ethniques, nourries et
entretenues du temps de la colonisation. Au XXe siècle, l’histoire du Rwanda a été façonnée
par les interactions complexes entre pouvoir politique et conscience de l’appartenance
ethnique. La Chambre retient que les forces politiques ont grandement contribué à muer la
conscience ethnique en haine ethnique.
109. Le contexte historique qui sert d’arrière-plan aux événements qui se sont déroulés au
Rwanda en 1994 explique peut-être dans une large mesure le degré et l’intensité, autrement
quasi inconcevable, de la violence qui éclata en avril 1994 et se prolongea sans interruption
pendant plusieurs mois. Néanmoins, la Chambre rappelle et souligne que l’histoire ne saurait
justifier cette violence. Essayer de le faire c’est contribuer à perpétuer la violence. La
Chambre rappelle qu’en amenant chacun à répondre de sa conduite elle cherche avant tout à
« contribuer au processus de réconciliation nationale ainsi qu’au rétablissement et au
maintien de la paix19 ». La justice devrait constituer le début de la fin du cycle de violence
qui a coûté tant de vies humaines, tutsies et hutues, au Rwanda.

19

Résolution 955 du Conseil de sécurité, S/RES/955 (1994), 8 novembre 1994.

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CHAPITRE III
CONCLUSIONS FACTUELLES
1.

Violence au Rwanda en 1994

110. Alison Des Forges, témoin expert à charge, a déclaré que le 1er octobre 1990, le FPR
avait attaqué le Rwanda et progressé rapidement de 65 kilomètres à l’intérieur du pays. La
nuit du 4 octobre 1990, alors que le FPR était encore à 70 kilomètres de Kigali, un tir nourri
avait secoué la capitale et le lendemain, le gouvernement annonçait que les envahisseurs du
FPR avaient tenté d’investir la ville, mais avaient été repoussés par l’armée rwandaise. À la
suite de ces événements, plus de 11 000 personnes seront arrêtées et détenues sans aucun chef
d’accusation, des milliers d’entre elles pendant plusieurs mois. Bien que le Président
Habyarimana ait affirmé qu’il n’était pas question de considérer ces individus comme faisant
partie d’un groupe ethnique responsable de ce qui s’était passé, le Ministre de la justice
déclara que les Tutsis étaient ibyitso, ou complices, des envahisseurs. En l’espace de quelques
semaines, les troupes rwandaises avaient repoussé les soldats du FPR vers la frontière
ougandaise. Dans leur progression à travers le Nord-Est du pays, dans la région de Mutura,
les soldats gouvernementaux avaient tué entre 500 et 1 000 civils, principalement des
Bahima, peuplade généralement identifiée aux Tutsis, accusés d’avoir collaboré avec le FPR.
Au cours des années qui suivent, le FPR et le gouvernement rwandais se livreront de temps à
autre à des négociations. Toutefois, chaque cessez-le-feu conclu est violé. Les années qui
suivent verront également de multiples offensives menées contre les Tutsis, et en particulier
une dans le Bugesera en mars 1992. Des Forges a évoqué 17 attaques de ce type entre 1991 et
1993, la plupart ayant eu lieu dans le Nord-Ouest du Rwanda20. Elle a également fait état
d’atteintes aux droits de l’homme commises par le FPR21.
111. Selon Des Forges, on avait trouvé dans les bureaux de la préfecture de Butare un
document de propagande écrit par un militant qui s’était inspiré d’un livre français,
Psychologie de la publicité et de la propagande. S’appuyant également sur Lénine et
Goebbels, il prônait l’utilisation du mensonge, de l’exagération, du ridicule et des sousentendus à l’encontre de l’adversaire et conseillait de persuader la population que l’ennemi
incarnait la guerre, la mort, l’esclavage, la répression, l’injustice et la cruauté sadique. Il
soulignait qu’il était crucial de lier la propagande à des faits réels ou même de les « créer » le
cas échéant. Il proposait d’utiliser ce qu’il appelait « l’accusation en miroir », autrement dit,
d’accuser l’adversaire de ses propres intentions et plans. « De cette manière », écrivait-il,
« celui qui utilise la terreur accusera l’ennemi d’employer la terreur ». Cette tactique pouvait
être employée pour persuader les honnêtes gens que les attaques ennemies justifiaient de
prendre toutes les mesures nécessaires à la légitime défense22.
112. En décembre 1991, une commission de 10 officiers rédige un rapport secret sur la
manière de vaincre l’ennemi, « sur le plan militaire, médiatique et politique ». Ce rapport
identifiait comme principal ennemi « le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur, extrémiste et
20

Pièce à conviction P158, p. 19 à 21.
Compte rendu de l’audience du 20 mai 2002, p. 227 à 229.
22
Pièce à conviction P158, p. 56 ou 28170.
21

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nostalgique du pouvoir, qui n’a jamais reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la
Révolution sociale de 1959 et qui veut reconquérir le pouvoir au Rwanda par tous les
moyens, y compris les armes ». Ce rapport identifiait plusieurs fois les Tutsis à l’ennemi et
affirmait qu’ils étaient unis derrière une idéologie unique : celle de l’hégémonie tutsie. Parmi
les catégories d’individus dans lesquelles les partisans ennemis se recruteraient, figuraient les
Tutsis de l’intérieur, les opposants politiques hutus et les étrangers mariés à des femmes
tutsies. À la fin septembre ou au début d’octobre 1992, l’armée ordonna à toutes ses unités de
fournir des listes de complices présumés de l’ennemi23.
113. Le recrutement et l’entraînement des milices, en particulier des Interahamwe, au
maniement des armes à feu ou autres s’accélera en 1993 et au début de 1994. L’homme qui
était responsable au sein de l’armée rwandaise de la formation à Kigali, où le plus grand
nombre de nouvelles recrues étaient formées, estimait, au début de janvier 1994 que les
1 700 Interahamwe sous ses ordres, qu’il avait regroupés en bataillons de 40 soldats et qui
quadrillaient la ville, étaient capables de tuer 1 000 Tutsis en 20 minutes. À la fin de l’année
1993, des milliers d’armes à feu avaient été distribuées dans les communes, dans le cadre de
programmes d’autodéfense, ou données à la police municipale. Après octobre 1993, la
distribution d’armes s’accélère, fusils, grenades et machettes étant distribués aux miliciens ou
autres. La plupart de ces armes étaient stockées à Kigali et certaines envoyées dans le reste du
pays. Comme il n’y avait pas assez d’armes à feu pour tout le monde, les gradés en charge du
programme d’autodéfense encourageaient leurs recrues à se perfectionner en s’exerçant au
maniement de lances et d’arcs et de flèches et en armaient beaucoup de machettes. De janvier
1993 à mars 1994, le Rwanda importa plus d’un demi million de machettes, soit le double des
années précédentes24.
114. Le 6 avril, l’avion qui transportait le Président Habyarimana est abattu, attentat dont
les responsables ne sont pas découverts. Les tueries commencèrent dans les heures qui
suivent. Soldats et miliciens se mettent à massacrer systématiquement tous les Tutsis. La
Garde présidentielle, soutenue par la milice, assassine les leaders de l’opposition ainsi que
des responsables de l’État. Le 7 avril 1994, c’est la reprise des combats entre le FPR et les
forces gouvernementales. Les troupes des Nations Unies, basées au Rwanda aux termes des
accords de paix, tentent brièvement de rétablir le calme, puis se retirent ainsi qu’elles en
avaient reçu l’ordre du siège de l’ONU à New York. Une force composée de soldats français,
belges et italiens débarque pour évacuer les étrangers, puis se retire. Dix soldats belges de la
Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) sont tués et les troupes
belges se retirent. Le 9 avril 1994, un gouvernement provisoire dont Jean Kambanda est
Premier Ministre prête serment. Une réunion de préfets se tient le 11 avril et, le 12 avril, le
Ministre de la défense lance un appel radiodiffusé à l’unité hutue, les conjurant de renoncer à
leurs intérêts partisans, pour se rassembler dans la lutte collective contre l’ennemi commun,
le Tutsi. Le 16 avril, le chef d’état-major et le préfet, notoirement opposés aux massacres,
sont relevés. Ce préfet sera exécuté par la suite. Trois bourgmestres et un certain nombre
d’autres personnalités officielles qui tentent de s’opposer à ces tueries sont également tués
courant avril. Dans les instructions communiquées à la population, on utilise le mot
« travailler » à la place de « tuer » et les machettes et les armes à feu sont décrites comme des
23
24

Ibid., p. 19 et 20 ainsi que 35.
Ibid., p. 32 à 35.

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« outils ». Aux premiers jours des massacres, les assaillants débusquent et tuent des individus
ciblés, les opposants politiques tutsis ou hutus. Des barrages routiers sont établis pour
capturer les Tutsis qui tentent de fuir. Par la suite, une autre stratégie est mise en place : il
s’agissait de chasser les Tutsis hors de leurs foyers pour les rassembler dans des églises, des
écoles ou autres lieux publics où ils pouvaient être exterminés en masse. Vers le milieu du
mois de mai, la stratégie revient à attraper les derniers Tutsis rescapés, qui avaient réussi à se
cacher dans des doubles plafonds, dans des trous, ou dans la brousse, ou qui avaient été
protégés par leur statut au sein de la communauté. Tout au long de ces massacres, les femmes
tutsies sont souvent violées, torturées et mutilées avant d’être tuées25.
115. Le témoin à charge Philippe Dahinden, journaliste suisse, a séjourné au Rwanda du
1er au 13 mai 1994. Il s’était rendu à Butare, Gitarama et Kigali, en traversant des centaines
de barrages routiers, dont certains étaient militaires, d’autres établis par les Interahamwe et
d’autres établis encore par la CDR. Aux dires de ce témoin, la ville de Butare était déserte,
détruite et il y régnait une totale désolation. Certains bâtiments avaient été incendiés et des
habitants massacrés. Le témoin avait lui-même interrogé plusieurs personnes et filmé des
religieux qui ont évoqué des monceaux de cadavres. Un peu à l’écart de la route principale,
Dahinden avait lui-même vu les cadavres de personnes massacrées, principalement des
Tutsis. Selon lui, les Hutus accusés d’être complices de l’ennemi ou les Hutus opposés au
MRND étaient également tués. Il avait interviewé des individus qui lui avaient affirmé que
des civils et des militaires étaient venus chercher des Tutsis, les avaient extirpés de leur
cachette et les avaient tués. Ces individus avaient précisé que certains avaient des listes de
noms sur eux. Dahinden avait vu des gens emmenés et tués et des milliers de cadavres. Il
avait filmé les cadavres flottant dans la rivière Akanyaru, les avait comptés et estimait qu’il
défilait ainsi 3 000 à 5 000 morts par jour le long de la rivière26.
116. Le témoin à charge X a affirmé avoir vu, les 7, 8 et 9 avril 1994, dans les rues de
Kigali, des milliers de cadavres tutsis, vieillards, jeunes gens, femmes et enfants. Parmi tous
ces cadavres tutsis se trouvait un petit nombre de morts hutus. Le témoin n’avait pas entendu
parler de soldats FPR parmi les cadavres. En 1994, toute la branche maternelle de sa famille
avait été assassinée. Sa mère était tutsie27.
Appréciation des éléments de preuve
117. La Chambre estime que les dépositions de Philippe Dahinden et du témoin X sont
crédibles, ainsi qu’il est dit aux paragraphes 546 et 547.
118. La Chambre retient que pour l’essentiel les faits susévoqués ne sont effectivement pas
contestés. Ce qui l’est vigoureusement, c’est l’analyse qui en est faite. La Chambre considère
qu’il est constant et quasiment admis qu’une attaque généralisée et systématique dirigée
contre la population tutsie a été déclenchée à la suite de la mort du Président Habyarimana le
6 avril 1994 dans l’attentat contre l’avion qui le transportait, cette attaque s’inscrivant dans le
25

Ibid., p. 36 à 40.
Compte rendu de l’audience du 24 octobre 2000, p. 131 à 144.
27
Comptes rendus des audiences du 19 février 2002 (huis clos), p. 89 à 93, 108 et 109, 129 à 132, et du
26 février 2002, p. 60 à 65.
26

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cadre d’une guerre entre le FPR et le Gouvernement rwandais. Commencée après que le FPR
a attaqué le Rwanda le 1er octobre 1990, cette guerre s’est poursuivie, en dépit de quelques
trêves, de tentatives avortées de négociations de paix et de cessez-le-feu, entre 1990 et 1994.
Au cours de cette période, plusieurs attaques sont dirigées contre des civils tutsis. Lors de sa
déposition, Des Forges a évoqué 17 attaques de ce type entre 1990 et 1993, la plupart au
Nord-Ouest du Rwanda. La Chambre considère que ces attaques participaient d’une vaste
campagne lancée en 1990, qui consistait à prendre systématiquement pour cible la population
tutsie suspectée d’être complice du FPR. La Chambre retient qu’il a été établi que le FPR a
mené également des attaques à l’époque contre des civils.
119. Les dépositions reprises dans le présent jugement évoquent un certain nombre
d’incidents qui illustrent l’impact que ceux-ci ont eu sur la personne des témoins eux-mêmes.
Le témoin AEU, femme tutsie qui avait tout fait pour obtenir une carte d’identité hutue en
1979, a dit de cette pièce qu’elle lui avait sauvé la vie en 1994. Elle a été conduite à quatre
reprises au bord d’un trou qui avait été creusé pour y jeter les cadavres. Certaines victimes
étaient alors tuées et jetées dans le trou, tandis que d’autres étaient enterrées vivantes. Au
moment où elle allait être tuée et jetée dans le trou à son tour, ses assassins examinèrent sa
carte d’identité qui faisait d’elle une Hutue, et elle eut la vie sauve. L’ancien Procureur de
Kigali, François-Xavier Nsanzuwera, a évoqué lors de sa déposition l’appel téléphonique
qu’il avait reçu le 7 avril 1994 de Charles Shamukiga, homme d’affaires tutsi. Pendant qu’ils
étaient au téléphone, le témoin a entendu des soldats faire irruption chez son interlocuteur et
Shamukiga lui dire : « Ca y est, je vais mourir ». Le témoin AAJ a décrit comment il s’était
caché dans le plafond d’une laiterie, le 7 avril 1994, après que des Interahamwe et des soldats
ont lancé des grenades et tiré dans la pièce dans laquelle il se trouvait. Il les avait entendus
entrer et achever au couteau les victimes qui n’étaient pas encore mortes, ouvrir le ventre
d’une femme enceinte et lui en retirer son bébé avant de la tuer. Le témoin FY a évoqué la
mort de Daniel Kabaka, le 7 avril 1994. Alors que le reste de sa famille s’était enfui, Chine,
sa fille de 12 ans, était restée avec lui affirmant qu’elle voulait mourir avec son père. Il reçut
trois balles dans la poitrine et décéda sur le coup. On tira deux fois sur la fillette qui mourut
une semaine plus tard.
Conclusions factuelles
120. La Chambre conclut que dans le cadre des hostilités opposant le FPR au
gouvernement, qui éclatent lorsque le FPR attaque le Rwanda le 1er octobre 1990, la
population tutsie du pays a été systématiquement prise pour cible et suspectée d’être
complice du FPR. Ces actions se caractérisèrent par plusieurs attaques violentes, qui se sont
soldées par le meurtre de civils tutsis. Le FPR a également perpétré des attaques contre les
civils à cette époque.
121. L’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, abattu le 6 avril 1994 et
entraînant sa mort, déclencha au Rwanda un massacre généralisé et systématique des civils
tutsis, un génocide.

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2.

Kangura

2.1

Propriété et contrôle de Kangura

122. Le premier numéro de Kangura paraît en mai 1990, le dernier en 1995. En 1994, la
parution en est un temps interrompue. Le numéro 59 de Kangura est publié en mars 1994 et
le numéro 60, la livraison suivante, en septembre 1994, hors du Rwanda28. Aux dires du
témoin expert à charge, Marcel Kabanda, qui a étudié la presse écrite au Rwanda de 1990 à
1995, Kangura était très connu dans le pays comme à l’étranger. C’était sans doute à
l’époque le quotidien le plus célèbre du Rwanda. Ce journal paraissait en deux versions, l’une
principalement en kinyarwanda et l’autre, dite version internationale, principalement en
français29. Le témoin à charge AHA, journaliste hutu au Kangura, affirme qu’en général, il en
était tiré de 1 500 à 3 000 exemplaires, selon les ventes et la période de l’année30.
123. Hassan Ngeze était le rédacteur en chef de Kangura de sa première à sa dernière
parution. Il a déclaré être le propriétaire de Kangura et reconnu avoir assumé la direction
générale du journal, ainsi que toutes les décisions afférentes à sa publication tout au long de
son existence 31 . À partir de 1991, dans chaque livraison de Kangura, pour respecter les
exigences imposées à l’ensemble de la presse écrite par le Procureur de Kigali, on trouvait
imprimé en bas de la page de couverture l’avertissement suivant : « Le contenu de ces articles
engage irrévocablement leurs auteurs ainsi que l’éditeur32 ». Le témoin AHA a affirmé que
Ngeze était le fondateur de Kangura et précisé qu’il en était tout à la fois le propriétaire, le
comptable et le rédacteur en chef33.
124. Le témoin à charge Adrien Rangira, journaliste tutsi, a évoqué les circonstances qui
avaient conduit à la création de Kangura. Il a affirmé que Ngeze était journaliste à Kanguka,
qu’il a décrit comme un journal indépendant, créé en 1987. Selon Rangira, Ngeze avait
démissionné de Kanguka en mai 1990, à la suite de l’attaque de la maison de Valens
Kajeguhakwa, le propriétaire du journal. Kajeguhakwa disait avoir été victime d’une attaque
ordonnée par le gouvernement et un article paru dans Kanguka décrivait sa version des faits.
Ngeze déclara par la suite avoir mené sa propre enquête et qu’il n’y avait eu aucun incident
de ce genre. L’histoire avait été inventée. Il a voulu que le journal publie les démentis de
deux colonels que Kajeguhakwa avait nommément accusés d’avoir dirigé l’attaque et d’y
avoir participé. Lorsque Kanguka refusa de publier son article, qui affirmait l’inexistence de
l’attaque précédemment relatée, Ngeze créa Kangura et publia cet article dans le premier
numéro. Rangira a précisé que les mots « Kangura » et « Kanguka » avaient un sens voisin,
« Kanguka » signifiant « Réveillez-vous » et « Kangura » « Réveille-les ». Le témoin a dit
que Ngeze avait choisi de nommer son journal Kangura pour dérouter les lecteurs, précisant
en outre que Ngeze avait également décidé de quitter Kanguka parce qu’il avait le sentiment
que ce journal commençait à saboter le gouvernement et que les autorités lui avaient conseillé

28

Pièce à conviction P115.
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 151 et 152.
30
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 110 à 113.
31
Compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p. 53 et 54.
32
Comptes rendus des audiences du 3 avril 2003, p. 9 et 10, et du 16 mai 2002, p. 154 et 155.
33
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 110 à 113b.
29

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fortement de démissionner. Kajeguhakwa, Tutsi et ami du Président Habyarimana, émigra en
juillet 1990 et rejoignit les rangs du FPR34.
125. Ngeze a déclaré lors de sa déposition que l’attaque contre le domicile de
Kajeguhakwa l’avait poussé à démissionner de Kanguka pour créer Kangura. Il a dit de
Kajeguhakwa que c’était quelqu’un qu’il avait connu depuis toujours et respectait comme un
père. Kajeguhakwa l’avait aidé à ouvrir son kiosque à Gisenyi. Ngeze a dit qu’en 1989,
Kajeguhakwa avait essayé de le recruter dans les rangs du FPR. À cette époque, Ngeze
travaillait à Kanguka et à Gisenyi Information. Ngeze a déclaré qu’il avait de l’argent et qu’il
était en train de financer Kanguka lorsque Kajeguhakwa fit de ses deux fils des actionnaires
de Kanguka, et qu’il se préparait en fait à acheter le journal ou à le reprendre. Un jour,
Vincent Rwabukwisi (Ravi), directeur de publication de Kanguka, dit à Ngeze qu’ils avaient
reçu de l’argent de Kajeguhakwa et s’apprêtaient à publier des bulletins d’information du
FPR, et qu’en conséquence, il n’était pas certain qu’ils allaient pouvoir poursuivre leur
collaboration. En mai 1990, Kajeguhakwa appela Rwabukwisi et lui dit qu’il allait inventer
toute une histoire et prétendre qu’il avait été attaqué par les forces armées rwandaises, afin de
provoquer la colère de la communauté internationale à l’encontre du gouvernement du
Président Habyarimana et d’ouvrir la voie au FPR qui pourrait ainsi venir libérer
Kajeguhakwa et les Tutsis au Rwanda. Ayant décidé de mener sa propre enquête Ngeze a
découvert que cet incident n’avait jamais eu lieu. Ngeze a affirmé que même Habyarimana
était persuadé que Kajeguhakwa avait été victime d’une attaque. Kajeguhakwa était un ami
intime du Président. Habyarimana avait envoyé le colonel Anatole Nsengiyumva, chef des
services de renseignements de l’armée, dire à Ngeze de laisser Kajeguhakwa tranquille35.
Ngeze a invoqué le livre de Kajeguhakwa pour corroborer son témoignage. Dans cet ouvrage,
Kajeguhakwa, évoquant cet incident, affirme que Rwabukwisi avait refusé de publier l’article
écrit par Ngeze et qualifiait ce texte de « mensonger36 ».
126. Rangira, qui, après son départ de Kanguka avait créé son propre journal, Les
Flambeaux, a déclaré que compte tenu des ressources dont il disposait à l’époque, Ngeze
aurait eu besoin d’argent pour Kangura. Il avait appris de certains amis de Ngeze que les
fonds de Kangura étaient secrètement fournis par les renseignements généraux du
gouvernement. Parmi ces amis, Rangira a cité Robert Kajuga, président des Interahamwe, qui
lui avait dit avoir organisé une réunion dans le but de trouver des financements pour
Kangura. Soulignant qu’il rencontrait souvent Ngeze et qu’il passait beaucoup de temps en sa
compagnie à l’imprimerie, pendant qu’ils attendaient tous deux la sortie de leurs journaux
respectifs, Rangira a dit que Ngeze lui avait bien confié en une occasion qu’il recevait
effectivement des fonds pour le journal, mais qu’il n’avait pas précisé quelle en était la
source. Ngeze disait qu’il tentait de mener ses affaires et que si les Inkotanyi lui donnaient de
l’argent, il accepterait de travailler avec eux, sous-entendant ainsi clairement qu’il recevait
des fonds de sources autres que celles que généraient les ventes et la publicité.
127. Le témoin à charge AHA, qui avait travaillé à Kangura et habité à l’époque plusieurs
années chez Ngeze à Kigali, a affirmé qu’il pensait que Kangura pouvait être financé par ses
34

Compte rendu de l’audience du 14 mars 2001, p. 94 et 95.
Compte rendu de l’audience du 26 mars 2003, p. 73 et 74.
36
Pièce à conviction 3D99, p. 244 ; compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 8 à 12.
35

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ventes, qui étaient substantielles. Il a parlé d’une banque à laquelle Ngeze avait écrit pour
obtenir des fonds et ajouté que Ngeze lui avait raconté qu’un ami lui avait donné deux
millions de francs rwandais, en guise de premier versement, et que ces fonds provenaient de
la direction des services de renseignement37. Le témoin AHA a également parlé d’un certain
Pastor Musave, directeur général d’une banque, qui finançait Kangura sur ses fonds
propres38. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin AHA a affirmé n’avoir jamais vu de
reçus et que le directeur des services de renseignement n’était jamais venu au domicile ou au
bureau de Ngeze39. Le témoin AGX, Tutsi de Gisenyi, a déclaré qu’il lisait régulièrement
Kangura. Il savait que ce journal appartenait à Ngeze, mais que la rumeur affirmait que
c’étaient des officiers militaires, membres du MRND et du gouvernement, qui le finançaient.
Il pensait qu’il devait bien y avoir quelque chose de vrai là-dedans, car il voyait souvent
Ngeze en compagnie de gradés, comme Anatole Nsengiyumva40.
128. Le témoin à charge François Xavier Nsanzuwera, ancien Procureur de Kigali, a
déclaré que Joseph Nzirorera, Ministre des travaux publics et du commerce et Secrétaire
général du MRND, était l’un des financiers de Kangura. Nsanzuwera avait croisé Ngeze dans
le bureau de Nzirorera, alors qu’il sortait d’une réunion. Nsanzuwera a rappelé que lorsque
Ngeze avait été arrêté en 1990, il avait enquêté sur cette affaire et appris que derrière Ngeze
et son journal se dissimulaient des politiciens proches du MRND, comme Nzirorera et autres
personnalités officielles. Dans une note confidentielle qu’il enverra par la suite au Président,
Nsanzuwera mentionnait Nzirorera et ceux qu’il pensait impliqués dans le financement de
Kangura. Fou de colère, Nzirorera le convoqua. Par la suite, lorsqu’un mandat d’arrêt fut
délivré à l’encontre de Ngeze, son arrestation sera empêchée. Ngeze s’était procuré une note
signée par un haut dignitaire, affirmant que tout avait été réglé et qu’il ne devait pas faire
l’objet de poursuites judiciaires41.
129. Selon Rangira, au début, Ngeze rédigeait lui-même des articles dans Kangura, avant
de chercher à engager d’autres journalistes. Outre le personnel de la rédaction, des
personnalités politiques comme Casimir Bizimungu écrivaient pour Kangura, au même titre
que des « cadres du MRND42 ». Le témoin AHA a dit avoir répondu à une petite annonce
recrutant des journalistes, publiée dans Kangura, et avoir commencé à travailler à temps plein
pour ce journal en 199243. Interrogé sur les autres journalistes qui collaboraient à Kangura, le
témoin AHA a cité Noël Hitimana et Ngeze. Le témoin AHA qui avait travaillé avec
Hitimana à Radio Rwanda a affirmé que par la suite, Hitimana était passé de Kangura à la
RTLM. Il a également mentionné le nom de deux étudiants, Singisa Ntabinda et Papiyas
Robert, ainsi que lui-même. D’autres, dont des leaders politiques, collaboraient également au
journal, mais comme la plupart ne signaient pas leurs articles, il aurait été difficile de les
identifier44. Chaque parution de Kangura était précédée d’une réunion de rédaction, mais
selon le témoin AHA Ngeze était « le chef » et avait toujours « le dernier mot ». Lors de ces
37

Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 107 à 109, 110 et 111.
Ibid., p. 144 à 145.
39
Ibid., p. 110 à 113c ; compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 161 et 162.
40
Compte rendu de l’audience du 11 juin 2001, p. 33 à 37.
41
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 189 à 193.
42
Compte rendu de l’audience du 12 mars 2001, p. 135 et 136.
43
Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 186 et 187.
44
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 51 à 55.
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réunions, qui duraient une à deux heures, personne ne contestait jamais la publication des
articles retenus. Lorsque Ngeze était en prison, et que le témoin AHA était toujours
techniquement à Radio Rwanda, Noël Hitimana avait assumé les fonctions de rédacteur en
chef de Kangura. Selon le témoin AHA, Hitimana et Ngeze n’étaient jamais en désaccord et
ne se disputaient jamais45.
130. Aux dires du témoin AHA, le Procureur général Nkubito qui était dans l’opposition
créait toutes sortes d’ennuis à Ngeze, en l’emprisonnant ou en suspendant la publication de
Kangura. Il se souvenait, en l’occurrence, de ce qui s’était passé en juillet 1990. Les numéros
1 et 2 de Kangura avaient été publiés en juin 1990, puis la publication suspendue jusqu’en
novembre de la même année, alors que Ngeze était en prison. Il a précisé qu’entre avril et
juillet 1994, il n’y avait eu aucune parution de Kangura, que Ngeze s’était engagé dans une
milice et se déplaçait continuellement. Il s’est souvenu l’avoir vu en uniforme militaire et a
dit qu’il n’était plus journaliste à cette époque-là. Le témoin GO a corroboré le fait que Ngeze
a été arrêté plusieurs fois par des agents du gouvernement, mais a ajouté qu’il ne savait pas
pourquoi et ne se souvenait ni des dates ni des durées46. Hassan Ngeze a déclaré qu’il avait
été emprisonné à plusieurs reprises pour la publication de Kangura et a qualifié la prison de
seconde maison. Il a expliqué qu’il bouclait le journal, et que le jour où il était mis en vente,
il faisait ses valises, car il savait que dès le lendemain il serait en prison47.
Crédibilité des témoins
131. La Chambre conclut que le témoignage de François Xavier Nsanzuwera est crédible,
ainsi qu’il est dit au paragraphe 545. La crédibilité du témoignage de Hassan Ngeze est
envisagée à la section 7.6.
132. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin AHA s’est expliqué sur les circonstances
de son départ de Radio Rwanda en 1992, où il avait été employé avant de travailler pour
Kangura 48 . On lui a demandé s’il avait été licencié de Radio Rwanda en raison de son
alcoolisme, ce qu’il a nié. Au début de sa collaboration à Kangura, il était encore employé à
plein temps par Radio Rwanda. Il a avancé que son licenciement était la conséquence de ses
relations avec Ngeze49. On a demandé au témoin comment il savait que Ngeze avait obtenu
des financements du directeur des services de renseignement. Il a réitéré ses dires et affirmé
qu’il le tenait de la bouche de Ngeze ; interrogé sur la manière dont ils en étaient venus à
parler du financement du journal, il a répondu qu’il y avait beaucoup de matériel au journal et
que tout le monde se demandait d’où il venait. Le témoin AHA a déclaré qu’il avait été
rémunéré pour son travail à Kangura et expliqué qu’il avait habité chez Ngeze pendant
plusieurs années sans payer de loyer grâce à la générosité de Ngeze. On a interrogé le témoin
sur les conditions de son actuelle détention à Kigali, où il attendait d’être jugé. On lui a
demandé s’il n’était pas vrai que si son témoignage déplaisait au Gouvernement rwandais, il
risquait de subir des représailles, puis s’il se sentait libre de dire la vérité. À quoi il a répliqué
45

Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 181 à 195, 202 et 203.
Compte rendu de l’audience du 6 juin 2001, p. 122 à 124, 138 à 140.
47
Compte rendu de l’audience du 26 mars 2003, p. 62 à 65.
48
Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 123 et 124.
49
Ibid., p. 123 à 127.
46

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qu’il avait juré de dire la vérité50 et de préciser qu’on ne lui avait fait aucune promesse ni
remis aucune somme en échange de son témoignage51. Le témoin AHA a été interrogé en
détails sur ses déclarations au bureau du Procureur, lors de l’enquête préliminaire. Sans être
certain de la chronologie exacte de ces réunions, il a affirmé que sa mémoire n’était pas
défaillante, comme les conseils le prétendaient, mais simplement qu’il n’avait pas fixé dans
sa mémoire la date précise de chaque convocation. Considérant que les assertions du
témoin AHA n’ont pas été effectivement contredites par son contre-interrogatoire, la
Chambre conclut que son témoignage est crédible.
133. Le contre-interrogatoire d’Adrien Rangira, membre du Parlement rwandais à
l’époque de sa déposition, a porté notamment sur la composition du gouvernement actuel, du
comité constitutionnel et du Parlement. Il a répondu avec réticence et lorsqu’on lui a
demandé si la majorité de chacune de ces institutions était tutsie, il a répliqué qu’il n’en
savait rien. Lors de son interrogatoire principal, le témoin avait affirmé qu’il n’attachait
aucune importance à l’appartenance ethnique. Dans le cadre de son contre-interrogatoire,
Rangira a été confronté à sa déclaration écrite, dans laquelle il qualifiait Casimir Bizimungu
de « Hutu extrémiste » et résumait la philosophie extrémiste des Hutus à l’affirmation que le
pouvoir devait être détenu par les Hutus puisqu’ils constituaient la majorité et que les Tutsis,
minoritaires, devaient en être écartés. Aux questions suivantes sur la démocratie et le concept
du gouvernement par la majorité, Rangira a répondu que la voix de la majorité ne devait pas
se fonder sur des règles ethniques. Lorsqu’on lui a demandé si le FPR incarnait l’idéologie
tutsie ou était lié au groupe ethnique constitué par les Tutsis, il a répondu qu’il n’était pas
membre du FPR et ne pouvait donc s’exprimer au nom de ce parti, mais qu’il n’avait jamais
entendu le FPR se définir de cette manière. Il a refusé de répondre à la question de savoir si le
gouvernement actuel du Rwanda était dominé par des Tutsis, rétorquant qu’il ne connaissait
pas l’appartenance ethnique de tous les individus qui le composaient 52 . Interrogé sur son
soutien éventuel à l’invasion armée du FPR, il s’est montré évasif, mais a fini par répondre
qu’il préférait toujours les solutions politiques aux solutions militaires. Il a dit qu’il partageait
certaines idées du FPR mais n’était pas pour la guerre. Il a été ensuite contre-interrogé au
sujet de sa tournée dans la zone contrôlée par le FPR pour produire une vidéo, dans laquelle
figuraient des interviews de Paul Kagame et d’autres dirigeants du FPR. Interrogé sur son
accès à ces dirigeants et sur l’escorte que lui avait assurée le FPR, Rangira a répliqué que tous
les journalistes, y compris Hassan Ngeze, s’étaient rendus en zone FPR. La Chambre relève
que le contre-interrogatoire de ce témoin avait été à saveur politique. Bien que Rangira n’ait
pas cédé aux tentatives de la Défense tendant à l’amener à évoquer la composition ethnique
du gouvernement actuel, la Chambre ne considère pas que les vues politiques du témoin aient
nui à son aptitude à évoquer en toute franchise des faits précis. Elle en conclut que le
témoignage d’Adrien Rangira est crédible.
Appréciation des dépositions
134. Il n’est point contesté qu’Hassan Ngeze était le fondateur et le rédacteur en chef de
Kangura. La Chambre relève qu’à la barre, Ngeze a accepté toute responsabilité pour cette
50

Ibid., p. 84 à 86.
Ibid., p. 107 à 112, 158 et 159.
52
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2001, p. 206 et 207.
51

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publication et l’a défendue. D’autres, comme le témoin AHA, qui avait collaboré à Kangura,
ont confirmé que Ngeze était « le patron » et avait « le dernier mot » en matière de ligne
éditoriale. Si certains témoins à charge ont déclaré à plusieurs reprises que le financement de
Kangura était assuré par le gouvernement et plus précisément par le chef des services de
renseignement, il n’y a pas assez de preuves de ces allégations pour que la Chambre les
retienne. La déposition de Rangira à cet égard n’est pas très précise et relève du ouï-dire, tout
comme celle du témoin AHA, qui a reconnu lors de son contre-interrogatoire n’avoir pu par
ailleurs confirmer ce que Ngeze lui avait dit du financement de Kangura. Nsanzuwera avait
été également vague sur ce point, n’ayant pu dire d’où il tenait que Nzirorera avait quelque
chose à voir dans Kangura, ni préciser en quoi Nsanzuwera a donné à entendre que Ngeze
avait assez d’influence auprès de hauts responsables du gouvernement pour faire échec à son
arrestation. On n’en conclura pas pour autant que le gouvernement ou tel ou tel membre du
gouvernement avaient un rôle formel à Kangura.
Conclusions factuelles
135. Hassan Ngeze était propriétaire, fondateur et rédacteur en chef de Kangura, qu’il
contrôlait et dont il était responsable du contenu.
2.2

Contenu de Kangura

136. La couverture de chaque livraison de Kangura, à dater de la parution en février 1991
du dizième numéro de Kangura, portait en titre la mention « Ijwi Rigamije Gukangura No
Kurengera Rubanda Nyamwinshi », soit : « La voix qui réveille et défend le peuple
majoritaire ». La traduction des termes « rubanda nyamwinshi » du kinyarwanda en français
et en anglais a été largement évoquée au cours du procès. Le mot « rubanda » signifie
« peuple » et le mot « nyamwinshi », « majorité53 ». Le témoin expert Marcel Kabanda a dit
que Kangura avait lui-même traduit en français « rubanda nyamwinshi » comme « peuple
majoritaire ». Il a également cité un passage du numéro 33 de Kangura, définissant
expressément la majorité, ou les masses, comme Hutus54. Selon le témoin AHA, Ngeze disait
de Kangura que c’était « la voix des Hutus55 ».
137. La Chambre a examiné un certain nombre d’articles et d’extraits de Kangura,
s’intéressant principalement à ceux consacrés aux problèmes d’appartenance ethnique et à
ceux qui incitaient le lecteur à passer à l’acte.
2.2.1

Les dix commandements

138. Les dix commandements paraissent dans le numéro 6 de Kangura, en décembre 1990,
dans un article intitulé Appel à la conscience des Bahutu, qui comportait cinq parties
précédées d’une introduction. On pouvait lire dans cette introduction que l’attaque du
Rwanda en octobre 1990 par des « extrémistes Batutsi » soutenus par « des éléments infiltrés
dans le pays et la complicité des Batutsis à l’intérieur » ainsi que par l’armée ougandaise,
53

Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 3 à 13.
Ibid., pièce à conviction P118, nos 9 et 33 de Kangura.
55
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 52 et 53.
54

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avait été menée dans l’espoir de « conquérir le pays et [d’]installer leur régime féodomonarchique ». Soulignant que cette offensive avait été repoussée avec succès, cette
introduction était un avertissement lancé aux lecteurs de Kangura et se terminait par ce cri de
ralliement :
« L’ennemi est toujours là parmi nous, et n’attend que le moment propice pour tenter
encore de nous liquider.
Dès lors, Bahutu, où que vous soyez, réveillez-vous ! Soyez fermes et vigilants,
prenez toutes les mesures nécessaires pour dissuader l’ennemi d’une nouvelle
agression ».

139. La deuxième partie de cet article, sous-titrée « L’ambition des Batutsi », expliquait
que les Tutsis étaient « assoiffés de sang », parlait de leur idéologie obsessive de domination
sur les Hutus et du « rêve permanent des Batutsi » de restaurer le pouvoir tutsi minoritaire.
L’ambition des Tutsis était qualifiée de territoriale, puisqu’ils voulaient conquérir le pouvoir
en Afrique centrale. Au Rwanda, les Tutsis diviseraient les Hutus pour détruire leur cohésion
en exacerbant les divisions régionales et ethniques et en attisant les antagonismes internes.
Cet article évoquait un plan élaboré en 1962, selon lequel les Tutsis devaient se servir des
deux armes qu’ils estimaient efficaces contre les Hutus : « l’argent et les femmes
Batutsikazi ». Selon la troisième partie de l’article, consacrée à la mise en application de ce
plan, les Tutsis avaient utilisé leur argent malhonnêtement pour s’approprier des entreprises
hutues ou prendre le contrôle des autorités gouvernementales. La quatrième partie, sous-titrée
« Les Batutsikazi » expliquait que les femmes tutsies étaient vendues ou mariées à des
intellectuels ou à de hauts responsables hutus, pour mieux espionner les milieux hutus les
plus influents, arranger les dossiers de nomination dans l’administration centrale, distribuer
des licences spéciales d’importation et livrer des secrets à l’ennemi. La cinquième partie de
cet article, dans laquelle figuraient Les dix commandements, exhortait les Hutus à se réveiller,
« plus que jamais » et à prendre conscience d’une nouvelle idéologie hutue qui plongeait ses
racines dans la révolution de 1959 pour mieux la défendre. On y évoquait la servitude
historique des Hutus et on y exhortait le lecteur à « se préparer à se défendre contre ce
fléau ». L’auteur recommandait aux Hutus de « cesser d’avoir pitié des Batutsi » ! Puis
l’article exposait Les dix commandements :
1.
Tout Muhutu [Hutu] doit savoir que Umututsikazi [une femme tutsie] où
qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsie. Par conséquent, est traître tout
Muhutu :
-

qui épouse une mututsikazi ;
qui fait d’une mututsikazi sa concubine ;
qui fait d’une Umututsikazi sa secrétaire ou sa protégée.

2.
Tout Muhutu doit savoir que nos filles Bahutukazi [hutues] sont plus dignes
et plus consciencieuses dans leur rôle de femme, d’épouse et de mère de famille. Ne
sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires plus honnêtes !
3.
Bahutukazi, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos fils à la
raison.
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4.
Tout Muhutu doit savoir que tout Mututsi est malhonnête dans les affaires. Il
ne vise que la suprématie de son ethnie.
« RIZABARA UWARIRAYE »56
Par conséquent, est traître tout Muhutu :
-

qui fait alliance avec les Batutsi dans ses affaires ;
qui investit son argent ou l’argent de l’État dans une entreprise d’un
Mututsi ;
qui prête ou emprunte de l’argent à un Mututsi ;
qui accorde aux Batutsi des faveurs dans les affaires (l’octroi des
licences d’importation, des prêts bancaires, des parcelles de
construction, des marchés publics …]

5.
Les postes stratégiques tant politiques, administratifs, économiques,
militaires et de sécurité doivent être confiés aux Bahutus.
6.
Le secteur de l’enseignement (élèves, étudiants, enseignants) doit être
majoritairement Hutu.
7.
Les forces armées rwandaises doivent être exclusivement Hutu. L’expérience
de la guerre d’octobre 1990 nous l’enseigne. Aucun militaire ne doit épouser une
Mututsikazi.
8. Les Bahutu, où qu’ils soient, doivent être unis, solidaires et préoccupés du sort de
leurs frères Bahutu.

10.

-

Les Bahutu, où qu’ils se trouvent, doivent être unis, solidaires et se
préoccuper du sort de leurs frères Bahutu.

-

Les Bahutu de l’intérieur et de l’extérieur du Rwanda doivent
rechercher constamment des amis et des alliés pour la cause hutue, à
commencer par leur frères bantous.

-

Ils doivent constamment contrecarrer la propagande tutsie.

-

Les Bahutu doivent être fermes et vigilants contre leur ennemi
commun tutsi.

La Révolution sociale de 1959, le Référendum de 1961 et l’idéologie Hutu,
doivent être enseignés à tout Muhutu et à tous les niveaux. Tout Muhutu doit
diffuser largement la présente idéologie. Est traître tout Muhutu qui
persécutera son frère pour avoir lu, diffusé et enseigné cette idéologie.

140. Le témoin GO, Hutu qui assurait la revue de presse au Ministère de l’information, a
affirmé qu’il avait lu Les dix commandements et qu’ils avaient été diffusés sur les ondes de la
RTLM. Il a expliqué ainsi la raison pour laquelle il fallait les mentionner : « Pour faire
comprendre … à la population que tous les Hutus devaient s’unir », qu’ils « devaient mener
56

Traduit par : « Seul l’insomniaque peut parler de la nuit ».

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un même et seul combat, et qu’ils devaient savoir qu’il n’y avait aucune parenté entre eux et
les Tutsis ». Il a ajouté que c’était pourquoi certains hommes s’étaient mis à tuer leurs
épouses tutsies ou que des enfants d’un mariage mixte avaient tué leurs propres parents
tutsis57.
141. Le témoin à charge ABE, un Tutsi, a déclaré lire régulièrement Kangura, depuis sa
première parution en 1990. Il s’est souvenu très précisément d’avoir lu Les dix
commandements dans le numéro 6 de Kangura. Il a affirmé : « Pour moi, c’était une
incitation à la haine : on demandait aux Hutus de se dresser contre les Tutsis. » Il a ajouté que
les commandements qui l’avaient réellement ébranlé étaient ceux qui interdisait le mariage et
les relations intimes avec les femmes tutsies ainsi que leur recrutement, ce qu’il considérait
comme très grave, étant donné que les Hutus et les Tutsis partageaient la même culture et
vivaient sur le même territoire. Quant au commandement stipulant que les Hutus ne devraient
pas avoir pitié des Tutsis, il le comprenait ainsi : « En d’autres mots, ils peuvent même les
tuer - et cela est arrivé » et d’ajouter : « Et je pense, donc, qu’il s’agissait de préparer ces
tueries qui ont eu lieu 58 ». Selon le témoin à charge AHA, journaliste à Kangura, la
publication des Dix commandements avait amené les Hutus à voir dans les Tutsis des ennemis
et non plus des citoyens et les Tutsis avaient commencé à considérer que les Hutus
représentaient une menace59.
142. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin à charge MK, une Tutsie, a affirmé
qu’elle lisait parfois Kangura, que ses collègues apportaient au bureau. Elle a précisé que
c’était dans Kangura qu’elle avait lu Les dix commandements, qu’elle décrivait ainsi :
« Comment les Hutus devaient se débarrasser des Tutsis60 ». Aux dires d’Adrian Rangira,
journaliste d’ethnie tutsie, avec la publication des Dix commandements, la mission de
Kangura était devenue claire et, à son avis, donner des commandements ou des instructions
aux Hutus sur la manière de traiter les Tutsis constituait une incitation à la violence61. Le
témoin à charge Philippe Dahinden, journaliste suisse, a déclaré que quelques semaines avant
son arrivée au Rwanda en janvier 1991, Les dix commandements, article constituant une
exhortation à la haine raciale, étaient parus dans Kangura et « avaient beaucoup choqué la
population » et que tout Kigali en parlait62. Aux dires du témoin expert à charge Marcel
Kabanda, Les dix commandements étaient considérés comme un « scandale » aux yeux des
Rwandais comme des étrangers et comme « l’expression d’un racisme comme une copie du
racisme anti-juif en Europe63 ».
143. Pour sa défense, Hassan Ngeze a affirmé que bien que Kangura ait effectivement
publié Les dix commandements, il n’était pas le seul, ni même le premier journal à l’avoir
fait. Il a indiqué que Masuwera avait publié Les dix commandements avant lui, ainsi que
d’autres journaux au Rwanda, dont Intera et Umurava. Ces publications soutenaient le FPR
que Ngeze a accusé de se servir des dix commandements pour diffamer les Hutus. Dans une
57

Compte rendu de l’audience du 11 avril 2001, p. 55.
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 98 à 108.
59
Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 57 et 58.
60
Compte rendu de l’audience du 8 mars 2001, p. 79.
61
Compte rendu de l’audience du 12 mars 2001, p. 140 à 142.
62
Compte rendu de l’audience du 31 octobre 2000, p. 208.
63
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 143 à 145.
58

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lettre datée du 2 février 1995, qu’il écrivait à l’organisation Africa Rights, pour répondre à sa
critique du Kangura, Ngeze observait que Africa Rights avait elle-même publié Les dix
commandements. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin AHA a confirmé que Les dix
commandements étaient parus dans de nombreuses autres publications avant Kangura et en
particulier dans Kanguka 64 . Les témoins experts à charge Mathias Ruzindana et Marcel
Kabanda ont également confirmé que Les dix commandements avaient été publiés dans
d’autres journaux au Rwanda. Kabanda a confirmé en outre que Kangura n’était pas le
premier à publier ces commandements65.
144. Ngeze a également évoqué la publication des 19 commandements tutsis dans le
numéro 4 de Kangura, en 1990, pour tenter de prouver l’impartialité de Kangura. Les
19 commandements commençaient par cette phrase : « Nous ne sommes peut-être pas
nombreux, mais grâce aux élections de 1960, nous avons étendu notre pouvoir en profitant de
la naïveté des Bantus ». Cet article exhortait le lecteur à « recourir à tous les moyens » pour
soumettre les Hutus à « notre » autorité et qualifiait Rwabugili, le roi tutsi, de « notre héros
national ». Les 19 commandements étaient implicitement adressés aux Tutsis et les appelaient
à prendre des postes de responsabilité, à connaître ceux qui occupent de tels postes, à devenir
leurs amis avant de les remplacer. Le cinquième commandement disait par exemple :
« Comme nous pouvons remplacer à leur poste tous les Bahutus élus, il vaut mieux nous en
faire des amis ; leur donner des cadeaux, surtout de la bière. Cela nous permettra d’arriver
aisément à nos fins ». Ce texte insistait particulièrement sur l’importance de saper la
confiance des Hutus, avec des phrases comme « Utilisez la crédulité des Bahutus éduqués »,
« prouvez-leur qu’ils sont des incapables », « ridiculisez les fonctionnaires qui sont vos
collaborateurs et traitez-les de Bahutus ignares » et « faites tout ce qui est en votre pouvoir
pour confirmer le complexe d’infériorité des fonctionnaires bahutus ». Le treizième
commandement disait au lecteur : « N’oubliez pas que les Hutus ont été créés pour servir les
autres » et le seizième commandement s’adressait tout particulièrement aux « jeunes Tutsis »
en affirmant : « Si nous ne parvenons pas à atteindre notre but, nous recourrons à la
violence ».
145. Contre-interrogé, le témoin AHA a affirmé que les 19 commandements circulaient
depuis 30 ans, depuis 1962. Il a ajouté que bien que ce document ait été à nouveau publié
dans Kangura il n’était pas parfaitement fidèle au texte original, qui, selon lui, employait un
langage plus modéré, bien que la signification en fût la même66. Lors de son interrogatoire
supplémentaire, le Procureur s’est arrêté sur le commandement 19, qui se terminait ainsi :
« Nous avons beaucoup d’argent fraudé et 65 000 000 F qu’on devait aux moniteurs
catholiques », suggérant au témoin que les Tutsis n’auraient jamais écrit cela ni admis ainsi
publiquement leur fraude et qu’il mettait en doute l’authenticité de ce texte. Le témoin AHA
a maintenu que le texte différait de l’original, « mais l’idéologie de division, de haine,
d’incitation d’une ethnie contre une autre, pour les deux cas sont les mêmes ». Comme on lui
demandait d’établir une comparaison entre les deux listes de commandements, il a ajouté que
le plus important était à son avis d’analyser ce que le lecteur en avait retenu. Il a rappelé que
des gens avaient été tués et a conclu : « Mais dans les deux cas, on [peut affirmer que l’un des
64

Compte rendu de l’audience du 7 novembre 2000, p. 2 à 4.
Comptes rendus des audiences du 28 mars 2001, p. 77 à 79, et du 14 mai 2002, p. 11 et 12.
66
Compte rendu de l’audience du 7 novembre 2000, p. 31 à 33.
65

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textes est plus violent que l’autre, mais toujours est-il que lorsque des gens meurent, il n’y a
pas de mort qui vaille plus qu’une autre]67 » .
146. Selon le témoin à charge Alison Des Forges, les 19 commandements faisaient sans
doute partie de la propagande anti-tutsie, et ne constituaient pas un document authentique
produit par les auteurs étudiants auxquels il était attribué. Elle a observé à l’appui de cet
argument que comme le texte appelait les Tutsis à s’unifier au-delà des frontières nationales
et avait été écrit par des Tutsis au Congo, il était particulièrement étrange qu’il qualifiât
Rwabugili de héros national. En effet, quand il était roi du Rwanda, ce dernier avait
sévèrement puni la région du Congo où les étudiants étaient supposés résider68.
147. Dans la préface des 19 commandements publiée dans Kangura on pouvait lire :
« L’ancien plan de ceux qui ont reconquis le pouvoir est à nouveau à l’ordre du jour, le plan
de colonisation des Tutsis dans la région du Kivu et en Afrique centrale69 ». Ngeze a expliqué
que cette préface était en fait un commentaire de la part de Kangura et affirmé qu’il avait
publié les 19 commandements pour exposer un plan qu’il considérait comme activé et
déployé. Ngeze a soutenu que les 19 commandements étaient connus comme le plan de
colonisation des Tutsis et qu’il les avaient publiés au même titre que toute autre information
en soulignant : « Pour que les responsables politiques et les responsables religieux puissent
être mis au courant de tout ce qui se passait dans le pays, pour qu’ils puissent condamner
cela, en sachant de quoi il s’agissait ». Lors de son contre-interrogatoire, à la question de
savoir pourquoi, en ces temps d’instabilité ethnique, il avait publié ce document datant de
1962, il a répondu qu’il l’avait fait « pour que le public sache ce qui se passe … ce qui se
passait à l’époque ».
148. Lors de sa déposition, Ngeze a condamné aussi bien Les dix commandements que les
19 commandements. Il a affirmé que publier une information ne signifiait pas y adhérer et a
désavoué les deux textes en disant : « Nous les avons publiés pour que le public et les
autorités, le pouvoir puissent les connaître et puissent les condamner ». Lors de son contreinterrogatoire, on lui a présenté une lettre écrite par ses soins en réponse à un article signé
Marie-France Cross, journaliste belge, qui critiquait la publication des Dix commandements.
Dans cette lettre, publiée en janvier 1991 dans le numéro 9 de Kangura sous le titre : « L’art
de mentir de Marie France Cross et sa complicité avec les Inkotanyi », Ngeze écrivait :
En tant que vrai journaliste, comment oseriez-vous déclarer que vous avez senti une
atmosphère extrêmement oppressante à travers des renseignements ? Il est vrai que
Kangura a publié un article sur l’Appel à la Conscience des Bahutus, un article que
vous jugez « raciste ». Cependant, votre informateur aurait dû vous donner l’autre
article paru dans Kangura n° 4, un article que vous jugeriez sans doute plus raciste
que les « Dix commandements des Hutus »… Parmi les dix-neuf commandements
que comprend cet article, le treizième stipule, par exemple : « Sachez qu’un Muhutu
est créé pour servir … ». Alors, qu’un Hutu extrémiste, n’ayant aucun rapport avec
les vues du Gouvernement actuel, ait écrit ce commandement en réaction contre les
dix-neuf qu’il venait de lire, cela ne devait pas … vous servir de base pour attaquer le
67

Ibid., p. 121 à 133.
Compte rendu de l’audience du 28 mai 2002, p. 158 à 160.
69
Ibid., p. 150 et 151.
68

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Gouvernement rwandais … d’ailleurs, Kangura n’est pas pour les Rwandais une
bible, ils savent juger par eux-mêmes. Nous terminons cette lettre en vous priant,
chère Madame, de chercher urgemment le Kangura n° 4 et de critiquer objectivement
ledit plan de colonisation tutsie70.

149. Lors de son contre-interrogatoire, le procureur a saisi Ngeze d’un passage du
numéro 6 de Kangura, dans lequel il écrivait : « Si les Hutus se divisent, les dés seront jetés
pour eux », y voyant la preuve de son soutien à l’appel à l’unité des Hutus figurant dans Les
dix commandements. Ce que Ngeze a nié. À la question de savoir s’il n’avait pas estimé
indispensable de préciser à l’intention du lecteur que les Tutsies qui étaient leurs femmes et
leurs mères ne collaboraient pas avec l’ennemi, Ngeze a répondu que ce n’était pas les
hommes tutsis qui épousaient des femmes hutues, mais le contraire. Au cours de son contreinterrogatoire, il a rappelé que la lettre susmentionnée, qu’il avait adressée à Africa Rights et
publiée dans Kangura n° 65 [sic] condamnait Les dix commandements. Dans cette
correspondance, datée du 2 février 1995, Ngeze affirmait : « Que ce soit les commandements
des Bahutu, que ce soit ceux des Batutsi, nous ne croyons ni aux uns ni aux autres ni
partiellement, ni entièrement. Nous les avons publiés tout simplement pour que les dirigeants
et les dirigés […] condamnent ces écrits71 ».
150. Lors de son contre-interrogatoire, Ngeze a également été saisi d’un passage du
numéro 40 de Kangura, publié en février 1993, dans lequel on pouvait lire :
Les Tutsis ont des lois [qui les] régissent. Je dirais également que le Hutu a Dix
commandements qu’il doit suivre ou respecter pour se défendre, lorsqu’on l’accuse
d’être un assassin.

151. L’article dans lequel figurait ce passage était signé Kangura. Ngeze a dit qu’il
représentait l’opinion d’un de ses journalistes et qu’il était en prison lors de sa parution72. On
l’a alors interrogé sur la teneur d’un article paru dans le numéro 36 de Kangura et rédigé par
un lecteur de Kangura qui disait : « Que ceux qui ont des femmes tutsies, divorcent alors
qu’il est [encore] temps, autrement votre sort … vous allez connaître un mauvais sort à cause
de ces femmes-là que vous gardez ». En réponse à la question de savoir si, dans ce contexte,
Ngeze autorisait à utiliser les colonnes du journal pour conseiller aux Hutus de divorcer de
leurs femmes tutsies, il a répliqué que cet article avait été écrit par un lecteur et souligné qu’il
ne citait pas Les dix commandements73.
Appréciation des éléments de preuve
152. Les dix commandements, ainsi que L’Appel à la conscience des Bahutu, article dans
lequel ils avaient été reproduits dans Kangura, sont à replacer dans le contexte d’un conflit
purement ethnique entre les Hutus et les Tutsis. Les Tutsis sont définis comme l’ennemi,
malfaisant, malhonnête et ambitieux. Le texte constitue un appel au mépris et à la haine
envers la minorité ethnique tutsie et en particulier à l’encontre des femmes tutsies qualifiées
70

Compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 46.
Pièce à conviction P107/44, p. 2 ; lettre publiée dans le n° 66 de Kangura, p. 4.
72
Compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 59.
73
Ibid., p. 72 à 75.
71

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d’agents de l’ennemi. La Chambre relève que l’article visait tous les Tutsis et les Tutsis en
tant que groupe, sans aucune distinction politique ou autre. Les dix commandements et
L’Appel à la conscience des Bahutu étaient une condamnation générale des Tutsis, en raison
de leur appartenance ethnique.
153. L’Appel à la conscience des Bahutu, l’article de Kangura contenant Les dix
commandements, avertissait le lecteur que l’ennemi était « toujours là, parmi nous » et
attendait de « nous liquider ». La Chambre relève que cet article était intitulé « Appel » et
exhortait les Hutus ainsi : « [R]éveillez-vous », « Les Bahutu doivent cesser d’avoir pitié des
Batutsi » et « [p]renez toutes les mesures nécessaires pour dissuader l’ennemi d’une nouvelle
agression ». Le mode employé était l’impératif. Ce texte constituait un appel sans équivoque
aux Hutus à passer à l’action contre les Tutsis, et à l’application des Dix commandements.
154. À la barre, Ngeze a lui-même condamné Les dix commandements et s’en est distancié
en affirmant qu’il ne les avait publiés que pour qu’ils soient publiquement dénoncés et que
lui-même les avait critiqués dans les courriers, publiés, qu’il avait adressés à Marie-France
Cross et à Africa Rights et que toute forme de soutien à leur égard formulé dans Kangura
émanait d’autrui, une fois de l’un de ses journalistes et une autre fois d’un lecteur de
Kangura. Ngeze a reconnu ainsi que Les dix commandements étaient indéfendables.
155. L’assertion de Ngeze dans le numéro 6 de Kangura : « Si les Hutus se divisent, les
dès seront jetés pour eux » ne constitue pas la preuve de son soutien aux Dix
commandements. C’est une déclaration générale d’ordre politique qui ne fait aucune
référence, expresse ou tacite, à ce document ou aux idées spécifiques qu’il véhicule. La
Chambre a également étudié les deux lettres écrites par Ngeze, qu’il a invoquées pour sa
défense. Dans sa lettre à Marie-France Cross, bien qu’il qualifiât l’auteur des Dix
commandements de « Hutu extrémiste », Ngeze ne condamnait pas Les dix commandements.
Il désignait l’article de Kangura dans lequel ils étaient parus comme un article « que vous
jugez raciste », « vous » s’adressant à Marie-France Cross. Il ne disait pas qu’il partageait son
analyse. Bien au contraire, Ngeze lui demandait plus loin : « Comment osez-vous déclarer
que vous avez senti une atmosphère extrêmement oppressante à travers ces
renseignements ? » L’objet principal de cette correspondance était d’attirer l’attention de
celle-ci sur les 19 commandements, texte qu’elle « juger[ait] sans doute plus raciste que celui
des dix commandements des Hutus ». En revanche, dans sa lettre à Africa Rights, reproduite
dans le numéro 65 de Kangura, Ngeze se distançait des Dix commandements ainsi que des
19 commandements. Il écrivait dans ce courrier : « Nous n’adhérons ni aux uns ni aux autres
et à aucun d’entre eux » et soutenait que les deux textes avaient été publiés afin d’être
condamnés par les autorités et le grand public. Toutefois, lorsqu’ils ont été publiés, Les dix
commandements n’ont pas été replacés dans un contexte permettant de s’en distancier. La
lettre à Africa Rights avait été écrite en février 1995, après les événements de 1994 et la
création du TPIR, ce qui pouvait expliquer le revirement d’opinion de l’accusé. De ce fait,
cette lettre ne constitue pas la preuve que Ngeze se soit exprimé contre Les dix
commandements ou s’en soit distancié d’une manière quelconque avant ou pendant 1994.
156. S’il assumait de manière générale sa responsabilité pour le contenu du Kangura, en sa
qualité de rédacteur en chef, Ngeze a prétendu que les passages de Kangura qui, selon le
Procureur, témoignaient un appui aux Dix commandements avaient été écrits par autrui. La
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Chambre relève que l’éditorial du numéro 40 de Kangura, paru en février 1993, était signé
Kangura. Il appelait explicitement les Hutus à suivre ces dix commandements. Que cet
éditorial ait été ou non écrit par Ngeze, il est évident qu’il l’avait lui-même publié, dans les
limites de son autorité de rédacteur en chef de Kangura et qu’il représentait les opinions de
Kangura. De même, la lettre reproduite dans le numéro 36 de Kangura exhortant les hommes
à divorcer de leurs épouses tutsies, bien que signée de quelqu’un d’autre que Ngeze, avait été
publiée par ses soins. Sans évoquer expressément Les dix commandements, comme il l’avait
souligné, cette lettre faisait écho à leur contenu. Dès lors, on peut raisonnablement considérer
qu’elle soutenait Les dix commandements, sur le fond si ce n’est quant à la forme.
157. Tout comme Les dix commandements, les 19 commandements parus dans Kangura
véhiculaient le mépris et la haine ethniques, en l’occurrence envers le peuple hutu, et
constituait un appel aux Tutsis de « mett[re en œuvre] tous les moyens » pour soumettre les
Hutus et reconquérir le pouvoir perdu à la suite de la révolution de 1959. La préface ajoutée à
ce texte dans Kangura reflétait l’opinion de son rédacteur en chef que bien que les
19 commandements aient été écrits au début des années 60, ils étaient toujours d’actualité
dans les années 90 comme un projet de mobilisation des Tutsis contre les Hutus, nourri de
haine raciale. Ngeze a confirmé que c’était bien son opinion et que Kangura avait publié les
19 commandements pour alerter le public des dangers de cette mobilisation. Toutefois, la
Chambre relève qu’à l’inverse de l’Appel à la conscience des Bahutu, qui avait été présenté
par Kangura comme un appel aux Hutus à réagir, rien n’autorise à dire que les
19 commandements parus dans Kangura se voulaient ou pouvaient être pris à tort pour un
appel lancé au lecteur pour qu’il suive les commandements tutsis. Bien au contraire, ils
avaient été publiés pour montrer au lecteur de Kangura le mal incarné par le Tutsi et
l’intention qui l’habitait de s’emparer du pouvoir et d’asservir les Hutus, discours qui rejoint
celui des Dix commandements. En ce qui concerne l’affirmation que les 19 commandements
étaient une invention destinée à manipuler la peur hutue de l’oppression tutsie, bien que le
Procureur ait présenté certaines pièces tendant à établir que les 19 commandements parus
dans Kangura n’étaient pas un texte authentique, il n’y a pas assez de preuve pour conclure
en ce sens.
158. Plusieurs témoins ont parlé de l’impact de la publication des Dix commandements par
Kangura. Ces témoins ont vu un lien entre Les dix commandements et la perpétration de la
violence contre les Tutsis. Pour Adrian Rangira, ce lien était « une incitation à la violence ».
Le témoin ABE le qualifiait « d’incitation à la haine » et précisait qu’il avait effectivement eu
valeur de permis de tuer et qu’il « avait eu pour but de préparer les massacres ». Le témoin
MK a dit des Dix commandements que c’était « la manière dont les Hutus étaient supposés se
débarrasser des Tutsis » et, d’après le témoin GO, c’était pour cette raison que des hommes
avaient commencé à tuer leurs épouses tutsies et les enfants, leurs parents tutsis. Ayant étudié
le texte des Dix commandements et de l’Appel à la conscience des Bahutu, la Chambre
considère que le sentiment de ces témoins était bien fondé et témoignait raisonnablement de
ce qu’un discours de violence anti-Tutsis avait été véhiculé et suivi d’effet.
159. La Chambre retient que Les dix commandements ont été publiés ailleurs, avant leur
parution dans Kangura, mais relève qu’il s’agissait en l’occurrence des seuls Dix
commandements et non du texte intégral de l’Appel à la conscience des Bahutu, dans lequel
Les dix commandements étaient parus dans Kangura. Elle relève également que c’est le texte
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de l’Appel à la conscience des Bahutu qui exhortait ainsi les lecteurs de Kangura :
« Réveillez-vous », « Les Bahutu doivent cesser d’avoir pitié des Batutsi » et « [P]renez
toutes les mesures nécessaires pour
dissuader
l’ennemi
d’une
nouvelle
agression ». Il est clair que cet « ennemi »
était le Tutsi.
2.2.2 Page de couverture du numéro 26
de Kangura
160. Plusieurs témoins ont évoqué la
couverture du numéro 26 de Kangura, paru
en novembre 1991. Dans un encadré noir,
situé à gauche de la une, la mention
« SPÉCIAL » est suivie de la manchette :
« BATUTSI, RACE DE DIEU 74 !”. Sous
cette manchette, au milieu, on voit le
portrait de l’ancien président du Rwanda,
Grégoire
Kayibanda,
qui
occupe
pratiquement toute la page. Sous la photo
du Président Kayibanda figure la légende :
« Et si l’on recommençait la révolution de
1959 des Bahutu, pour que nous vainquions
les Inyenzi-Ntutsi »75. Juste à gauche de la photographie de Kayibanda se trouve une case
noire portant en colonne le texte suivant : « QUELLES ARMES ALLONS-NOUS
UTILISER POUR VAINCRE LES INYENZI POUR DE BON ? »76 et juste à gauche de cette
case noire, figure le dessin d’une machette. À droite de la photo de Kayibanda, on peut lire en
colonne la mention suivante : « Nous avons compris pourquoi Nzirorera a un problème avec
les Tutsis »77 et à droite de ce texte, trois photographies plus petites, alignées verticalement
sur la marge de droite, deux d’entre elles représentant des soldats en armes et la troisième un
véhicule armé d’un canon.
161. Dans son interprétation des mots et des photographies de cette page de couverture, le
témoin expert à charge Mathias Ruzindana a noté qu’aucune réponse écrite n’était donnée à
la question de savoir comment vaincre les Inyenzi-Tutsis. Selon lui, le dessin en soi
constituait la réponse. La réponse était la machette et la mention de la révolution de 1959
évoquait la guerre menée par les Hutus contre les Tutsis, au cours de laquelle des machettes
avaient été utilisées pour tuer les Tutsis78. De même, le témoin à charge AHA, journaliste
hutu qui avait collaboré à Kangura, a vu dans cette couverture un appel à une seconde
révolution semblable à celle de 1959, pendant laquelle la population avait pris les armes pour
écraser l’ennemi une fois pour toutes. Il a précisé que les photos à droite de la couverture
74

« BATUTSI, BWOKO BW’IMANA ! », pièce à conviction P7.
« Uwagarura Revolisiyo y’1959 y’abahutu kugirango dutsinde inyenzi-Ntutsi. »
76
« NI IZIHE NTWARO TUZAKORESHA KUGIRA NGO DUTSINDE INYENZI BURUNDU ? »
77
« Twamenye icyo NZIROREA apfa n’Abatutsi, »
78
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2002, p. 154 à 158.
75

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montraient d’autres types d’armes que les machettes et expliqué que cela signifiait que
l’armée devait collaborer avec le peuple pour chasser l’ennemi79.
162. Aux dires d’Hassan Ngeze, la couverture du numéro 26 de Kangura représentait la
démocratie. Il a affirmé que l’équipe de Kangura analysait les manières de mettre fin à la
guerre et qu’à l’époque, le FPR tuait bel et bien des gens. L’armée en tuait aussi et ils en
avaient déduit que la solution pour mettre un terme à cette guerre était peut-être la
démocratie. Ils voulaient voir si le régime d’Habyarimana pouvait arrêter cette guerre sans
combattre. Ngeze a précisé que lors des trois élections qui s’étaient déroulées entre 1973 et
1990, il n’y avait qu’un seul parti – le MRND – et un candidat unique, Habyarimana. Le
président Kayibanda était le seul à avoir été correctement élu par un véritable processus
démocratique. La couverture de Kangura montrait à droite le FPR et le Président
Habyarimana avec des armes, à gauche la machette et au centre le Président Kayibanda, qui
représentait les élections. En ayant choisi de placer Kayibanda au centre, cette couverture
communiquait l’idée que la démocratie était la seule solution 80 . Ngeze a dit que le titre
« Batutsi, race de Dieu » renvoyait à un article paru dans ce même numéro. Cet article dont
un passage a été cité à l’audience disait que les groupes ethniques pouvaient coexister en
harmonie si les Tutsis ne se comportaient pas avec autant d’arrogance. Il décrivait les Tutsis
comme des gens qui se vantent, qui mentent, qui ne sont jamais satisfaits, qui veulent tout
avoir, des intrigants, des hypocrites, des voleurs et des tueurs. À la question de savoir s’il
était conscient que ces affirmations engendreraient un conflit ethnique au Rwanda, Ngeze a
répliqué que cela n’avait pas été le cas. Il a été invité à lire un passage d’un autre article du
même numéro de Kangura, affirmant qu’en temps de paix, les Tutsis n’avaient jamais aimé
partager le pouvoir avec les Hutus, à cause de leur malignité et de leur vantardise innées et
insinuant qu’ils avaient décidé d’infiltrer le pays et de saper la République pour rétablir leur
monarchie. À la question de savoir pourquoi il avait dit tout cela en 1991, l’accusé a
répondu : « C’était la réalité ». Invité à dire plus précisément pourquoi il décrivait ainsi à la
population la méchanceté des Tutsis, il a répondu que, dans son pays, les Tutsis étaient
souvent assimilés à des serpents parce qu’ils étaient méchants ; les Hutus, à des gorilles et
qu’on disait des Twas qu’ils étaient sales. Ngeze a affirmé que leur société était ainsi, que
c’était peut-être mal, mais que c’était comme ça81.
163. Contre-interrogé par les conseils de Ngeze, Ferdinand Nahimana a répondu que loin
de constituer un appel à la paix, la page de Kangura montrait au contraire que le pays était en
proie à des difficultés en raison de la présence d’armes de toutes sortes. Il a fait observer que
le texte figurant dans l’encadré noir et qui demandait quelles armes employer pour vaincre les
Inyenzi une fois pour toutes, pouvait peut-être être interprété comme un appel à la paix et à la
fin de la guerre. Les conseils ayant décrit les soldats photographiés à droite comme un soldat
des FAR et un soldat du FPR et fait observer qu’au-delà de la référence à la révolution de
1959, la question posée portait sur la manière de préserver la République et que la couverture
constituait un appel dans ce sens, Nahimana s’est rallié à cette interprétation, faisant observer
que la question posée était de savoir comment mettre fin à la guerre, en revenant à la

79

Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 148 à 151.
Comptes rendus des audiences du 1er avril 2003, p. 32 à 35, et du 2 avril 2003, p. 78 et 79.
81
Compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 88 à 90.
80

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révolution de 1959 ou en consolidant la démocratie et que la photographie du Président
Kayibanda au centre représentait la démocratie82.
164. Le conseil de Ngeze a établi, en contre-interrogeant les témoins experts à charge
Chrétien et Des Forges, que dans leurs ouvrages respectifs, qui reproduisaient et analysaient
la couverture du numéro 26 de Kangura, la réplique de cette page de couverture était
incomplète et inexacte car elle n’incluait pas les photographies des soldats et des armes de la
marge de droite et était datée de façon erronée de décembre 1993 au lieu de novembre 1991,
date réelle de sa parution. Chrétien a spontanément reconnu que la date figurant sur la
reproduction de la page de couverture était inexacte dans son livre, que cette erreur avait été
rectifiée dans son rapport et le serait aussi lors de la réimpression du livre. Il a affirmé que
cette date inexacte n’avait pas joué un rôle fondamental dans l’interprétation du contenu, a
confirmé l’opinion déjà exprimée dans son rapport, soit que cette page de couverture faisait
une association entre Inyenzi et Tutsis et répondait à la question de savoir quelles armes il
fallait employer par le dessin d’une machette figurant directement en regard de cette question.
Contre-interrogé, il a affirmé que la date exacte renforçait encore cet amalgame car elle
indiquait non seulement la continuité, mais bien la nature précoce de cette propagande, et
confirmé qu’à son avis, le dessin de la machette incarnait la réponse à la question qui le
jouxtait de savoir quelles armes il fallait employer contre les Inyenzi83.
165. À propos de l’omission des photographies des soldats, Chrétien a précisé que ces
photos étaient séparées du portrait de Kayibanda par un texte qui renvoyait à un article du
journal intitulé « Nous avons compris pourquoi Nzirorera a un problème avec les Tutsis ». Il
a dit de ce titre qu’il n’avait aucun rapport avec ce qui se trouvait à sa gauche ou à sa droite,
et que les photographies de droite ne faisaient pas partie de ce qu’il voulait illustrer84. Contreinterrogé, Chrétien a reconnu que dans son livre la phrase : « La nostalgie de la révolution de
1959 : le temps des machettes » avait été ajoutée à la reproduction et n’apparaissait pas en
fait sur la couverture du numéro 26 de Kangura. C’était son propre titre, employé pour
expliquer le dessin, avec ses propres mots, qui, a-t-il ajouté, étaient en gras, alors que les
citations faites dans son livre étaient en italique et entre guillemets85.
166. À la question de savoir si Kayibanda représentait la démocratie, Chrétien a répondu
que, pour l’opinion publique du pays, il symbolisait la révolution rwandaise, qui comportait
une indéniable connotation de changement démocratique mais avait également d’autres
facettes. Il a ajouté qu’il ne pensait pas que le portrait de Kayibanda sur la couverture de
Kangura symbolisât les élections de 1961, soulignant que le dessin ne représentait pas un
bureau de vote, mais bien une machette. C’est pourquoi il considérait que l’interprétation de
Ngeze n’avait aucun sens et réitérait à nouveau que les armes modernes décrites sur la marge
de droite étaient séparées par un espace et se référaient à un autre article86.
167. Des Forges a dit avoir repris la couverture incomplète de l’ouvrage de Chrétien
qu’elle avait cité comme source, encore que le conseil ait noté que la reproduction figurant
82

Compte rendu de l’audience du 25 septembre 2002, p. 21 à 25.
Comptes rendus des audiences du 1er juillet 2002, p. 244 à 252, et du 4 juillet 2002, p. 99 à 108.
84
Comptes rendus des audiences du 1er juillet 2002, p. 244 à 252, et du 4 juillet 2002, p. 92 et 93.
85
Compte rendu de l’audience du 4 juillet 2002, p. 80 à 91.
86
Ibid., p. 90 et 91, 96 à 101.
83

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dans son propre livre n’en portait aucune mention. Tout en reconnaissant l’omission des
photographies, Des Forges a maintenu que la signification n’en était pour autant pas faussée.
Elle a estimé que la présence des soldats en page de couverture renforçait au lieu de
contredire l’interprétation donnée, car elle soulignait le contexte belliqueux et y associait des
commentaires sur les Tutsis qui avaient été vaincus87. Des Forges a ajouté que le Président
Kayibanda symbolisait la démocratie aux yeux de certains citoyens du Rwanda, mais pas de
tous. Pour d’autres, il était devenu bien au contraire emblématique d’une incitation à la
violence en raison du massacre des Tutsis des années 60 et elle a déclaré que c’était cet
héritage bien plus que tout autre qui était demeuré ancré dans leurs esprits88.
168. Le témoin expert à charge François-Xavier Nsanzuwera, ancien Procureur de Kigali, a
affirmé que la page de couverture du numéro 26 de Kangura avait été distribuée gratuitement
en février 1992 et avait joué un rôle important dans les massacres du Bugesera de mars 1992.
Il a ajouté que si cette page n’avait pas été distribuée aussi largement, le nombre de morts
n’aurait pas été significatif89. Des Forges et Chrétien ont également déclaré que cette page de
couverture de Kangura avait circulé au Bugesera dans les semaines ou les mois qui avaient
précédé les massacres qui s’y étaient déroulés. Chrétien a qualifié cette couverture de
« tract90 ». À la barre, Ngeze a contredit cette allégation en rappelant que le Procureur n’avait
pas retenu ce soit-disant « tract » comme pièce à conviction. Selon lui Kangura n’était pas un
tract, mais un journal qui se vendait et pouvait être acheté par n’importe qui91.
Appréciation des éléments de preuve
169. La Chambre relève les erreurs commises par Jean-Pierre Chrétien dans son livre et
reprises dans le sien par Alison Des Forges. Cependant, après avoir examiné dans son
ensemble la page de couverture du numéro 26 de Kangura, elle considère que les
photographies de soldats et d’armes modernes figurant dans la marge de droite n’ont dans le
principe rien à voir avec le portrait du Président Kayibanda, le dessin de la machette et la
question : « Quelles armes allons-nous utiliser pour vaincre les Inyenzi pour de bon ? » et
sont séparées par la colonne de texte : « Nous avons compris pourquoi Nzirorera avait un
problème avec les Tutsis ». Cette colonne renvoie le lecteur à un article à l’intérieur du
journal. Elle n’a aucun rapport avec d’autres textes ou illustrations de la couverture, d’ailleurs
la Défense ne le prétend pas.
170. La Chambre relève que la légende figurant sous le portrait du Président Kayibanda,
« Et si l’on recommençait la révolution bahutue de 1959 pour vaincre les Inyenzi-Ntutsi »,
avait été également omise de la reproduction de la page de couverture figurant dans les livres
respectifs des experts, traduisant sans doute l’opinion de Chrétien qu’elle ne s’intégrait pas au
collage conceptuel représenté par les autres mots et images de la couverture. La Chambre
considère ce texte utile pour l’interprétation de la page de couverture dont il est indissociable.
L’idée de « recommen[cer] la révolution de 1959 des Bahutu » expressément dans le but de
87

Compte rendu de l’audience du 28 mai 2002, p. 125 à 141.
Ibid., p. 139 à 144.
89
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 172 à 174, 181 à 183.
90
Compte rendu de l’audience du 4 juillet 2002, p. 107 et 108.
91
Compte rendu de l’audience du 27 mars 2003, p. 82 et 83.
88

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« vain[cre] les Inyenzi-Tutsis » est directement liée à la colonne de texte du dessus qui pose la
question : « Quelles armes allons-nous utiliser pour vaincre les Inyenzi pour de bon ? ».
171. Ngeze a soutenu que cette couverture proposait une alternative, les armes ou la
démocratie en réponse à la question : « Quelles armes allons-nous utiliser pour vaincre les
Inyenzi pour de bon ? ». Néanmoins, le fait que la machette constituait cette réponse ressort
clairement du texte comme de l’illustration. La révolution de 1959 n’était pas associée aux
élections de 1961. En outre, l’expression vaincre les Inyenzi-Tutsis n’évoquait pas le vote.
Vaincre est un processus plus immédiatement associé à la force qu’à la démocratie. Si
l’intention avait été d’évoquer la démocratie et les élections, elle se serait exprimée
différemment. La Chambre voit dans le portrait du Président Kayibanda et la mention de la
révolution de 1959 l’évocation du transfert de pouvoir des Tutsis aux Hutus de l’époque.
L’idée de « recommencer » la révolution, objectif affirmé dans le texte, « pour vaincre les
Inyenzi pour de bon » et la question posée sur les « armes » à choisir impliquent toutes deux
clairement le recours à la violence. Visuellement, la conception de cette page de couverture
tend à accréditer cette thèse, la question des armes et le dessin de la machette étant l’une à
côté de l’autre et tous deux à la gauche du portrait de Kayibanda. La place de la question :
« Quelles armes allons-nous utiliser pour vaincre les Inyenzi pour de bon ? » ne cadre pas
avec la thèse avancée par la Défense, qui offrirait des options militaires à droite et à gauche et
la solution démocratique au milieu. Cette lecture ne cadre pas davantage avec l’absence
apparente de rapport entre les photographies militaires à droite et les autres illustrations de la
couverture comme nous l’avons vu plus haut. Le message de la page de couverture du
numéro 26 de Kangura était bel et bien qu’il fallait utiliser la machette pour vaincre les
Inyenzi pour de bon.
172. La Chambre relève que le terme Inyenzi traduit exactement l’appartenance ethnique
dans le titre de la couverture « Et si l’on recommençait la révolution de 1959 des Bahutu pour
que nous vainquions les Inyenzi-Ntutsi ». Sur cette même page, on pouvait lire la manchette
« Batutsi, race de Dieu » et le sous-titre « Nous avons compris pourquoi Nzirorera avait un
problème avec les Tutsis ». Comme l’illustraient ces titres, Kangura assimilait effectivement
les Tutsis à l’ennemi dans tous ses numéros. Le texte de l’article « Batutsi, race de Dieu »,
rappelé sur la page de couverture du numéro 26 de Kangura, décrivait les Tutsis comme des
hypocrites, des voleurs et des tueurs. Un autre article paru dans le même numéro disait des
Tutsis qu’ils étaient de nature méchants et malhonnêtes. En outre, la Chambre relève qu’en
évoquant ces écrits lors de sa déposition, Ngeze ne s’est jamais distancié personnellement de
ces généralisations ethniques. Bien au contraire, il a maintenu qu’elles étaient exactes et qu’il
avait publié ces articles parce qu’ils correspondaient à la réalité. La Chambre considère que
dans ce contexte la référence faite aux Inyenzi sur la couverture du numéro 26 de Kangura
aurait été clairement comprise par les lecteurs comme une allusion aux Tutsis et que les
Tutsis étaient dépeints dans ce numéro de Kangura comme foncièrement maléfiques.
173. Les éléments des dépositions concernant la diffusion de la page de couverture du
numéro 26 de Kangura au Bugesera en 1992 n’ont pas été efficacement contestés par la
Défense. Cependant, peu de preuves ont été présentées concernant la distribution de cette
page de couverture et les liens qu’elle aurait eus avec les massacres du Bugesera en 1992.

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2.2.3

Éditoriaux et articles

174. La Chambre a examiné un certain nombre d’autres éditoriaux et articles parus dans
Kangura pour cerner la ligne éditoriale de cette publication.
Le Triangle qui trouble la paix
175. Paru en novembre 1990 dans le numéro 4 de Kangura, cet article affirmait que les
premiers habitants du Rwanda étaient les Twas, peuple vivant de la chasse et de la cueillette.
Les Hutus, qui étaient fermiers, s’installèrent à leur suite, les Tutsis étant le dernier groupe à
arriver. C’étaient des éleveurs de bétail dont ils consommaient le lait. Cet article disait ensuite
ceci des Tutsis :
« Ceux qui connaissent très bien cette ethnie qui est arrivée en dernier lieu disent que
cette ethnie…Les gens qui composent cette ethnie vivent comme des chats. Lorsque
vous avez du lait ils viennent vers vous, et ce qu’ils ont de mieux par rapport aux
chats, c’est que, quand ils sont rassasiés, ils cherchent une façon de vous arracher ce
lait pour vous diriger ou pour vous opprimer ; c’est cela qui s’est produit. Le Hutu a
reçu le Tutsi comme un visiteur… Le Hutu approchait le Tutsi comme un visiteur
mais, au lieu de se coucher comme un visiteur, sa mauvaise habitude a pris le dessus.
Il a fini par prendre le pouvoir, Gahutu a été soumis et a été utilisé comme serviteur.
Il a fini par se soumettre à la personne qu’il avait reçue chez lui92 ».

176. La Chambre relève que ce passage est un tissu des généralisations sur les Hutus et les
Tutsis. Les Hutus y sont dépeints comme généreux et naïfs et les Tutsis comme retors et
agressifs.
Les Hutus devraient aider Kangura à défendre les Hutus
177.

Paru en juillet 1991 dans le numéro 19 de Kangura, cet éditorial disait ce qui suit :
« Vous savez tous que, excepté de rares Hutus tels que Kanyarengwe et Bizimungu,
les réfugiés qui sont devenus « Inyenzi-Inkotanyi » sont tous des descendants des
Tutsis. Nous osons croire qu’au moment où ils sont venus en tirant sur nous aux
frontières, ils n’ont pas fait de distinction d’ethnie. Par contre, ils étaient prêts à
séparer les Hutus et les Tutsis à l’intérieur du pays. Les Hutus qui n’allaient pas
succomber sur le champ de bataille, ils sont en effet nombreux dans le pays et au sein
de l’armée, certains d’entre eux allaient se laisser prendre par les femmes du monde.
En effet, jusqu’à ce moment-ci, on compte également parmi ceux qui se sont fait
prendre, des autorités qui les fréquentent même aujourd’hui, sachant pertinemment
bien qu’il a été constaté que dans le domaine de l’espionnage, les Inkotanyi se font
aider par leurs sœurs, filles du monde. Elles sont d’ailleurs partout dans toutes les
institutions. Elles sont dans les ministères, elles sont nombreuses dans les
établissements privés, dans les débits de boisson non reconnus officiellement et dans
les cabarets, sans oublier les salons, vus que beaucoup d’entre elles se sont infiltrées
parmi nous car nous sommes devenus leurs beaux-fils. Le fait d’avoir un mari ne
l’empêchera pas d’être complice et elle vous soutirera des secrets en usant de ses

92

Pièce à conviction P115, Kangura n° 4, p. 15 ; compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 29 à 31.

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astuces de femme du monde. Le Hutu n’abuse pas des autres, il se laisse rouler. Les
Hutus doivent être convaincus qu’ils sont loin de mener cette guerre de la même
façon que les Tutsis car tout le monde peut voir que les Tutsis veulent conquérir le
pouvoir qui leur a été arraché par les Hutus. Si vous examinez bien, vous constaterez
que 85 % des Tutsis qui vivent dans le pays ont diverses relations avec les réfugiés
93
dont sont issus les Inyenzi-Inkotanyi qui nous attaquent… ».

178. La Chambre relève que ce passage établit de nouveau une distinction entre les Tutsis
rusés et sournois et les Hutus innocents et vulnérables et associe la population tutsie aux
Inyenzi-Inkotanyi. Il donne aussi fortement à entendre que les femmes tutsies utilisent
intentionnellement leur sexualité pour séduire les hommes hutus dans le but d’assurer la
domination ethnique des Tutsis sur les Hutus. L’allusion aux femmes tutsies qui piègent les
hommes hutus par les liens du mariage fait écho aux avertissements des Dix commandements
sur le danger que représentent les femmes tutsies.
Un cancrelat ne peut engendrer un papillon
179. Paru en février 1993 dans le numéro 40 de Kangura, cet article qualifie les Tutsis de
« cancrelats », traduction littérale du mot Inyenzi :
« Les savants en génétique nous disent que le mariage des Tutsis exclusivement entre
eux justifie leur minorité (partout où ils se trouvent). Imaginez-vous les personnes
issues d’une même famille qui se marient et qui se reproduisent ! Cependant, ils
devraient savoir que s’ils ne font pas attention, cette ségrégation pourrait entrainer
leur disparition de ce monde. S’il en était ainsi (et ça sera ainsi), qu’ils ne s’en
prennent à personne, car ils en auront été la cause. Serait-ce des Hutus qui les auront
exterminés à la machette ? Ils propagent en effet partout que leur minorité provient
des Hutus qui les ont exterminés à la machette. […] Tout au début, nous avons posé
un postulat qu’un cancrelat ne peut engendrer un papillon, et c’est exact. Le cancrelat
engendre un autre cancrelat. Je ne suis pas d’accord avec celui qui pense le contraire.
L’histoire du Rwanda nous prouve que le Tutsi est resté le même et n’a jamais
changé. Sa fourberie et sa méchanceté restent inchangées dans l’histoire de notre
pays. Le régime Tutsi a été caractérisé au point de vue administratif par deux
facteurs : leurs femmes et leurs vaches. Ces deux vérités ont soumis les Hutus au
servage pendant quatre cents ans. Après leur éviction du pouvoir par la révolution
sociale de 1959, les Tutsis n’ont jamais renoncé. Ils ont fait tout leur possible pour
restaurer le régime en se servant de leurs vamps et de l’argent qui a remplacé la
vache ; cette dernière était jadis le symbole de la richesse.
Nous ne nous trompons pas lorsque nous disons qu’un Inyenzi engendre un autre
Inyenzi. Et de fait, peut-on faire une distinction entre les Inyenzi qui ont attaqué le
Rwanda en octobre 1990 et ceux des années 1960 ? Ils ont tous des relations de
parenté, les uns étant les petits-fils des autres. Leur méchanceté est identique. Toutes
ces attaques ont pour objet de restaurer le régime féodo-monarchique. Les atrocités
que les Inyenzi d’aujourd’hui commettent sur la population sont les mêmes que celles
qui furent perpétrées par les Inyenzi de jadis : les tueries, le pillage, le viol des jeunes
filles et des femmes, etc… Le seul fait que le Tutsi soit surnommé serpent dans notre
langue suffit et exprime beaucoup de choses. Il a le langage mielleux et séduisant et
93

Pièce à conviction P115/19A.

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pourtant, il est d’une méchanceté extrême. Le Tutsi est perpétuellement rancunier, ne
manifeste pas ses sentiments, sourit même quand il a beaucoup de peine. Dans notre
langue, le Tutsi porte le nom de cancrelat (Inyenzi) parce que, sous le couvert de la
nuit, il se camoufle pour accomplir ses forfaits. Le mot cancrelat nous rappelle encore
un serpent terrible qui a un venin très dangereux. Ce n’est donc pas le fait d’un pur
hasard que le Tutsi a choisi d’être appelé ainsi, que celui qui veut comprendre
comprenne94 ».

180. Selon cet article, les Tutsis sont biologiquement distincts des Hutus et foncièrement
méchants et malfaisants. Comparés à des serpents, les Tutsis sont décrits comme mauvais et
revanchards et leurs armes sont à nouveau définies, comme dans Les dix commandements,
comme étant les femmes et l’argent.
Attaques de Ruhengeri et de Byumba, les Tutsis ont bu du champagne
181. Dans un autre article paru également dans le numéro 40 de Kangura et signé par
Ngeze, la guerre était clairement définie en termes ethniques :
« Lorsque Ruhengeri a été attaqué, tous les Tutsis et surtout ceux qui se trouvaient à
Kigali se sont distingués par leur arrogance et ont pris du champagne, au motif que
leurs congénères étaient rentrés au bercail. Ils ne cachent plus que cette guerre
95
oppose les Hutus aux Tutsis ».

182. Un article, paru en juillet 1993 dans le numéro 46 de Kangura, martelait à nouveau le
thème de la malice et de la méchanceté des Tutsis qui profitaient de l’innocence et de la
vulnérabilité des Hutus en déployant leurs armes : les femmes et l’argent :
Nous essayons de découvrir la méchanceté et la malice des Tutsis. Quand tu soignes
l’œil d’un Tutsi, c’est sur toi qu’il lance son premier mauvais regard. Nous avons
commencé en avançant ce proverbe afin d’attirer l’attention et de réveiller ceux qui
ne connaissent pas le sadisme, la méchanceté, la malice et l’ingratitude des Tutsis.
Les Tutsis se croient plus intelligents que tout le monde, mais à l’analyse tu
découvres que cette prétention cache la méchanceté pure.
C’est avec malice ou par intérêt qu’un Tutsi entretient une relation avec le peuple
majoritaire. Dès qu’un Tutsi veut obtenir quelque chose d’un Hutu, il est prêt à tous
les sacrifices et utilise tous les moyens y compris l’argent, ses sœurs ou sa femme …
Dès qu’un Tutsi a eu ce qu’il voulait d’un Hutu, le Tutsi lui tourne le dos et lui fait
tout le mal qu’il veut comme s’ils n’avaient jamais rien eu en commun. Toute
personne qui aurait eu une quelconque relation avec un Tutsi peut essayer de s’en
rappeler, il pourrait être le témoin de ce que je suis en train de vous dire … En
kiswahili, on dit : le petit d’un serpent est un serpent. Ainsi le MDR ne peut pas nous
convaincre que les Inyenzi qui se sont transformés en Inkotanyi sont nos frères, alors
qu’ils sont venus nous exterminer [à la machette] ... Le Hutu a fait preuve de patience
et maintenant la situation se clarifie … Nous savons qu’ils nous ont attaqués avec
l’intention de massacrer et d’exterminer 4,5 millions de Hutus et surtout ceux qui ont
été à l’école, comme cela s’est fait au Burundi, mais Dieu les en a empêchés. Cette
94
95

Pièces à conviction P117B, 27170 et P130, K0201423.
Compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 100 à 102.

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méchanceté a été démontrée dans les attaques du 8 février 1993. Ils prenaient un
Hutu, lui coupaient ses organes génitaux et les faisaient porter par sa femme quand ils
ne lui demandaient pas de les manger. Cependant leurs journaux qui sont à Kigali
prétendent que ces crimes ont été commis par l’armée nationale, que les Inyenzi sont
incapables de telles atrocités. Ils font semblant d’ignorer qu’il y a des rescapés et que
96
ceux-ci n’oublieront jamais les scènes d’horreur auxquelles ils ont assisté … .

183. Tout en réitérant que le serpent symbolisait les Tutsis, cet article ressassait la tradition
rwandaise du tambour royal de Kalinga. Selon Alison Des Forges, dans l’histoire du Rwanda,
il était coutumier que les souverains vaincus soient castrés et que leurs organes génitaux
soient attachés au tambour royal97. Hassan Ngeze y a plusieurs fois fait référence, dans le but
de replacer les idées de Kangura dans le contexte historique du Rwanda auquel il les
attribuait98. Il a récité un poème de Singayimbaga, écrit en 1870, et les vers suivants :
« La monarchie a une origine, la race de Dieu ! Le créateur t’a choisi et t’a investi du
pouvoir ! Les Hutus devenus Tutsis par ascension de classe sociale qui n’ont pas ce
droit inné, ont été décimés par cet heureux élu. Et Kalinga a été ceint de leurs
99
dépouilles génitales ».

184. La Chambre retient les antécédents historiques des différentiations ethniques
présentées par Kangura. La domination tutsie et la subordination hutue sont antérieures à la
naissance de Kangura. Néanmoins, la manière dont l’histoire était relatée dans Kangura trahit
souvent l’intention d’enflammer le ressentiment ethnique, en s’appuyant sur les faits
historiques pour mieux y parvenir.
Si l’on demandait aux généraux pourquoi ils favorisaient les Tutsis
185. Paru en novembre 1991 dans le numéro 25 du Kangura, cet article évoquait et mettait
en question le prétendu traitement préférentiel des Tutsis au Rwanda :
« Les Tutsis représentent 50% des effectifs de la fonction publique. Au sein des
sociétés privées et des organisations non gouvernementales, ils représentent plus de
70% et ils sont 90% dans les organisations internationales et dans les ambassades où
ils occupent par ailleurs des postes importants alors que leur pourcentage au sein de
la population ne dépasse pas 10% »100.

186. Le Procureur n’a produit aucun élément de preuve pour contredire les affirmations de
cet article. À l’inverse de l’article du numéro 46 de Kangura cité plus haut, dans lequel
l’évocation de l’identité ethnique était émaillée par de propos accusant les Tutsis de sadisme,
de cruauté, de malveillance, les Hutus étant voués à être exterminés à la machette, cet extrait
du numéro 25 de Kangura constitue une simple analyse de la répartition des privilèges au
sein de la société. La Chambre relève que plusieurs articles de Kangura, dont certains, tels
que ce dernier, invoqués par le Procureur, peuvent être décrits comme une analyse politique.
96

P117A, 19344.
Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 83 et 84.
98
Compte rendu de l’audience du 24 mars 2003, p. 74 et 75.
99
Compte rendu de l’audience du 25 mars 2003, p. 15.
100
Compte rendu de l’audience du 2 avril 2003, p. 92 et 93.
97

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De même, un article invoqué par la Défense que est paru en mars 1991 dans le numéro 11 de
Kangura proposait en perspective un tableau de groupes ethniques distincts coexistant dans la
paix :
« Kangura n’a pas caché qu’il veut voir naître un mouvement démocratique soutenu
en masse par tous les Bahutu du Rwanda sans exclure que d’autres groupes ethniques
puissent y adhérer. Cette grande force peut constituer une majorité écrasante qui,
avec toute sa bonne volonté et ses brumes intentions [sic], peut faire du Rwanda un
Pays démocratique fier de son présent et sûr de son avenir. Kangura ne refuse pas
aux Tutsi ni au Twa le droit de former leurs partis ou associations politiques
démocratiques … Kangura ne veut pas entendre ceux qui disent que dire qu’on est
Hutu ou Tutsi ou Twa peut faire éclater le pays … Avec notre Mouvement
démocratique Hutu que nous souhaitons voir naître, nous espérons voir naître un
nouveau slogan : Vive la Différence !!! 101».

Appréciation des éléments de preuve
187. La Chambre relève que les éditoriaux et articles examinés ci-dessus décrivent
systématiquement les Tutsis comme méchants et ambitieux, utilisant leurs femmes et leur
argent contre les vulnérables Hutus. Ces thèmes font écho au discours des Dix
commandements. Dans certains articles, notamment celui du numéro 11 de Kangura, « Si
l’on demandait aux généraux pourquoi ils favorisaient les Tutsis », on parle des privilèges des
Tutsis et des torts causés aux Hutus manifestement de manière à faire prendre conscience
d’une discrimination ethnique à l’encontre des Hutus. Dans nombre d’autres articles,
cependant, l’intention, comme en témoigne le langage au vitriol, était de véhiculer un
discours de haine ethnique et de susciter l’hostilité générale contre la population tutsie. Dans
les articles comme « Un cancrelat ne peut engendrer un papillon », les Tutsis étaient décrits
comme foncièrement mauvais.
188. En qualifiant les femmes tutsies de femmes fatales on attirait singulièrement
l’attention sur celles-ci et le danger qu’elles représentaient pour les Hutus, et ce clairement
par référence à leur sexualité. En présentant de la sorte la femme tutsie comme l’ennemi,
Kangura campait le décor qui ferait de l’agression sexuelle sur la personne des femmes
tutsies une conséquence prévisible du rôle qu’il leur avait attribué.
2.2.4

Publication de listes

189. Kangura a publié plusieurs listes de personnes nommées Inkotanyi. Le numéro 7 de
Kangura, paru en décembre 1990, comportait un article proposant plusieurs listes, sous le
titre « Les Inkotanyi et leurs complices vont être jugés ». Cet article reprenait l’annonce
diffusée par Radio Rwanda que le procès des Inkotanyi et de leurs complices devait
commencer le 28 octobre 1990. La première liste était censée comporter les noms du premier
groupe d’accusés. Puis l’article présentait les charges retenues contre eux, suivies d’une plus
petite liste de trois personnes désignées comme formant l’autre groupe ainsi que les chefs
d’accusation retenus contre ces dernières. Ensuite, on pouvait lire que les accusés avaient
demandé l’ajournement de leur procès au motif qu’ils n’avaient pas eu le temps de préparer
101

Kangura numéro 11, p. 2 ; P-115, KA02 1260

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leur défense et que l’audience avait été reportée au 9 janvier 1991. À la suite de ce texte,
figurait une liste de 12 noms, certains des prénoms et noms de famille, d’autres des noms de
famille seulement et d’autres encore rien que des prénoms, précédée de l’introduction
suivante :
« Nous saisissons cette occasion pour demander à nos lecteurs qui auraient des
informations sur les individus cités ci-après soupçonnés d’être les complices des
Inkotanyi, de nous les envoyer pour que les enquêtes les concernant puissent être
publiées dans Kangura. Ils devraient aussi joindre des éléments de preuve
complets102 ».

190. À la suite de ces noms, Kangura précisait qu’il convenait d’envoyer les informations
à son nom et aux adresses indiquées à Gisenyi et Kigali.
191. Le témoin EB s’est souvenu avoir vu, dans le numéro 7 de Kangura, cette liste qui
selon lui qualifiait les personnes mentionnées de complices des Tutsis. On demandait aux
lecteurs de trouver ces individus et d’informer l’équipe de rédaction de Kangura de l’endroit
où ils se trouvaient. Il a ajouté que Rwemalika, Semucyo, Tabaro, Dufatanye et Bwanafeza
figuraient sur cette liste et les a par la suite identifiés sur la liste de douze noms. Il a précisé
que Modeste, dont seul le prénom figurait en cinquième position sur cette liste, était Modeste
Tabaro. Le témoin EB a déclaré que, de tous ceux qu’il avait nommés, seul Ferdinand
Dufatanye était encore en vie103.
192. À la question de savoir pourquoi le nom de Modeste Tabaro figurait dans cette liste,
Hassan Ngeze a répondu dans un premier temps que Modeste Tabaro ne figurait pas dans
Kangura. Il a déclaré qu’il y avait bien un Modeste mentionné dans Kangura mais que ce
prénom était commun. Puis ayant lu le texte qui figurait au début du document et évoquait les
procédures judiciaires, il dit ignorer de quel Modeste on parlait, car il s’agissait d’un compte
rendu d’audience, publié dans un journal officiel, et d’une liste de personnes comparaissant
au tribunal. Interrogé par la Chambre précisément au sujet de la liste à la suite de l’article qui
comportait le prénom Modeste, Ngeze a répondu que, lorsqu’il était en prison, ces individus
avaient été arrêtés et déférés à la justice. Ils lui avaient affirmé qu’ils étaient innocents, mais
que le gouvernement ne les croyait pas. Comme il les connaissait et était avec eux en prison,
Ngeze demandait à ses lecteurs, par l’intermédiaire de Kangura, s’ils pouvaient fournir des
preuves de l’innocence de ces malheureux qui mouraient en prison. Interrogé à nouveau par
la Chambre au sujet de la dernière liste de 12 personnes figurant dans cet article, distincte des
deux autres listes d’individus désignés comme faisant l’objet de poursuites judiciaires, Ngeze
a réitéré que les personnes figurant sur la dernière liste étaient en prison. Il a déclaré qu’elles
faisaient partie de celles qui avaient comparu au tribunal mais se disaient innocentes, puis il a
lu le passage de l’article qui parlait de l’ajournement du procès. Interrogé sur la manière dont
il avait choisi ces noms parmi les milliers qui, selon lui, étaient en prison, Ngeze a répondu
que ces individus partageaient sa cellule. La Chambre lui ayant fait observer qu’il devait donc
savoir si le Modeste de la liste était ou non Modeste Tabaro, il a répondu qu’il s’agissait bien

102
103

Pièce à conviction P47.
Compte rendu de l’audience du 15 mai 2001, p. 122 et 123, 142 à 144, 157 et 158, 163 à 165.

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de Modeste Tabaro et d’ajouter que le Procureur aurait dû lui demander s’il s’agissait bien de
Modeste Tabaro et attendre sa réponse104.
193. La Chambre relève que cette troisième liste sur laquelle figure le nom de Modeste
Tabaro diffère sensiblement des deux autres listes d’inculpés qui font l’objet de cet article.
Ces deux autres listes, visant respectivement le premier groupe et l’autre groupe, comportent
les chefs d’accusation retenus contre les individus nommés et souvent d’autres informations
les concernant, comme leur âge et leur lieu de naissance. La troisième liste ne fait aucune
mention des charges retenues contre les individus nommés et ne donne d’autre information
que leur nom – parfois même seul un prénom ou un surnom. Dans les deux premières listes,
les informations sont présentées comme un document officiel, alors que la troisième liste de
12 noms n’y ressemble en rien. La Chambre en conclut que cette troisième liste dont
l’introduction est reprise plus haut n’avait aucun rapport avec les deux premières listes
d’individus sous le coup d’accusations ni avec l’article qui parlait de ces individus et des
poursuites judiciaires dont ils faisaient l’objet.
194. L’explication donnée par Ngeze de la raison pour laquelle il avait publié la liste des
12 noms, à savoir qu’il cherchait ainsi à obtenir des preuves disculpant ses codétenus, afin de
les aider à établir leur innocence, ne cadre pas avec le texte de l’introduction à cette liste dans
Kangura. On demandait aux lecteurs d’envoyer des informations et de joindre toutes preuves
intéressant les individus nommés « soupçonnés d’être les complices des Inkotanyis ». Après
quoi Kangura publierait les résultats de ces enquêtes. Il n’était ni question de leur innocence,
ni de leur prétention à l’innocence et le texte laissait entendre bien au contraire que Kangura
cherchait à établir la preuve de leur culpabilité. Le témoin EB a déclaré que toutes les
personnes figurant sur cette liste avaient été tuées à l’exception d’une seule. Ignorant
cependant les circonstances de leur mort, il n’a pu établir un lien de connexité entre celle-ci et
le fait que ces 12 personnes aient été désignées dans Kangura.
195. Le témoin EB a également déclaré que le nom de son père était mentionné dans le
numéro 9 de Kangura, paru en janvier 1991, dans un article intitulé « Kangura continue de
dénoncer des gens auprès du service de renseignements ». Cet article disait que Ngeze l’avait
cherché, en vain, et qu’on devrait demander à Valens Kajeguhakwa où il se trouvait. Le
témoin a précisé qu’à l’époque son père était réfugié au Congo, où il avait fui sous l’empire
de la terreur. Le témoin EB a expliqué qu’en octobre 1990, son père avait été recherché en
raison de son appartenance ethnique tutsie. On prétendait que, comme il était un marchand
puissant, il envoyait de l’argent aux Inkotanyi105. Contre-interrogé, le témoin EB a admis
qu’il n’avait pas lu l’intégralité de cet article dans Kangura, mais seulement le passage que
lui avait mentionné le Procureur. On lui a alors demandé de lire l’extrait suivant de ce même
article, ce qu’il a fait :
« Nous n’avons aucune plainte contre ces personnes. Nous mettrons simplement leurs
noms dans cette lettre que nous vous adressons et si vous constatez qu’elles sont
réellement coupables, veuillez en informer le Président de la République. Et si parmi
elles il y a un innocent, faites-le savoir. Nous faisons ceci uniquement pour vous
104
105

Compte rendu de l’audience du 7 avril 2003, p. 27 à 32.
Compte rendu de l’audience du 15 mai 2001, p. 111 et 112, 127 à 129, 140 et 141, 146 à 148.

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aider, parce que demain ou après-demain Gisenyi sera attaquée avec les armes qui
106
étaient stockées chez KAJEGUHAKWA et qui ont disparu ».

196. Après quoi, on a demandé à EB s’il considérait toujours cette liste parue dans le
numéro 7 de Kangura comme un ordre d’exécution. Il l’a confirmé, en ajoutant qu’une fois
que leurs noms avaient été publiés, tous les individus cités avaient trouvé la mort et qu’un
seul avait survécu. On lui a alors objecté que ces 12 personnes avaient fui le Rwanda et
étaient des complices du FPR. Il l’a nié en affirmant qu’aucun d’entre eux ne s’était jamais
enfui, qu’ils étaient bien restés au Rwanda où ils avaient péri107.
197. La Chambre relève que le dernier passage de cet article, souligné par la Défense,
précise clairement que les personnes citées pouvaient être innocentes et qu’en ce cas, les fait
qui leur étaient reprochés étaient sans fondement. Néanmoins, en réalité, cela constituait
également une indication qu’il y avait bien des charges pesant sur les individus nommés et la
Chambre retient que cet article était intitulé « Kangura continue de dénoncer des gens auprès
du service de renseignements ». Le père du témoin avait été nommé et il était dit que Ngeze
le recherchait, mais en vain, en relation avec une éventuelle attaque avec des armes qui se
trouvaient au domicile de Kajeguhakwa. La Chambre considère qu’en nommant de cette
manière le père du témoin EB et d’autres, tout en reconnaissant qu’ils pourraient être
innocents, Kangura désignait ces individus comme des suspects auxquels étaient reprochés
certains faits.
198. En février 1993, le numéro 40 de Kangura publiait une liste de 123 noms, précédée
d’un article, signé Kangura, intitulé « Twagiramungu a fait enrôler en masse la jeunesse dans
les rangs des Inkotanyi » ; on pouvait y lire ceci :
… Les noms suivants sont ceux des enfants, avec le nom de leurs parents, qui ont
rejoint les Inkotanyi à l’instigation de TWAGIRAMUNGU. Gens de Cyangugu, voici
ceux qui vont vous exterminer par balle. Suivez le conseil que vous a donné le
Premier Ministre, à savoir celui de l’autodéfense, car les services de sécurité
108
semblent avoir diminué d’ardeur dans leur tâche …

199. Le témoin à charge AHA a déclaré que cette liste provenait des autorités rwandaises
et plus précisément des bourgmestres. Les conseillers municipaux étaient sous les ordres des
bourgmestres, eux-mêmes sous ceux des gouverneurs, chapeautés par les Renseignements
généraux. Il a confirmé qu’il s’agissait d’un document officiel que Kangura s’était contenté
de reproduire. Ces informations étaient secrètes et n’auraient donc pas dû être rendues
publiques. Il a ajouté que Kangura était le seul journal à les avoir publiées et a reconnu que
cette liste avait pu servir à ceux qui avaient participé aux massacres. Lors de son contreinterrogatoire, le témoin AHA a confirmé que Twagiramungu recrutait pour le FPR qu’il
soutenait, mais a fait remarquer que Twagiramungu ne possédait pas d’aile armée et était
politiquement impliqué109.

106

Compte rendu de l’audience du 17 mai 2001, p. 17 à 19.
Ibid., p. 19 à 21.
108
Pièce à conviction P8.
109
Comptes rendus des audiences du 6 novembre 2000, p. 43 à 50, et du 7 novembre 2000, p. 35 et 38.
107

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200. Hassan Ngeze a également déclaré que la liste parue dans Kangura était un document
officiel. Il a ajouté qu’elle lui avait été confiée par le préfet de Cyangugu. Tous les préfets du
Rwanda avaient été priés par un comité constitué des Ministres de l’intérieur, de la justice et
de la défense, de leur fournir les listes des personnes qui s’étaient enrôlées dans les rangs du
FPR. À la question de savoir s’il ne pensait pas que la publication de cette liste, identifiant
ces individus ainsi que leurs parents qu’ils avaient laissés derrière eux, risquait de les mettre
en danger, Ngeze a ri. Il a répondu que d’autres listes avaient été publiées dans Kangura.
Selon lui, dans un pays en guerre, de telles listes étaient parfaitement normales. Il a rappelé
que le FPR recrutait à l’intérieur du pays en citant comme preuve à l’appui le livre de
Kajeguhakwa110.
201. La liste des 123 noms parue dans le numéro 40 de Kangura se voulait manifestement
une liste officielle établie par des responsables de l’État, que Ngeze était parvenu à obtenir et
publier. Le témoin à charge AHA a confirmé la déposition de Ngeze sur la manière dont la
liste avait été établie. Ceux dont le nom y figurait étaient en conséquence officiellement
suspects. La Chambre relève que l’article contenant cette liste exhortait les lecteurs de
Kangura à préparer leur autodéfense, après les avoir avertis qu’ils allaient être exterminés.
L’article affirmait qu’il fallait en cela suivre le conseil du Premier Ministre, mais ajoutait plus
loin que « les services de sécurité semblaient avoir diminué d’ardeur dans leur tâche ». Il
ressort de ces propos que la liste des 123 noms n’était pas exclusivement communiquée à titre
d’information, mais s’accompagnait d’un appel à l’action.
202. Une lettre signée du préfet de Kigali Tharcisse Renzaho, parue dans le numéro 7 de
Kangura, se lit comme suit :
Monsieur le Procureur,
J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir amorcer l’action publique contre les
personnes citées dans la présente. En effet, Monsieur le Procureur de la République,
ces personnes ont fui le pays entre le 29 septembre et le 4 octobre 1990, et il existe
des indices pouvant nous amener à considérer qu’elles ont participé directement ou
indirectement à la conspiration contre le Rwanda, leur fuite à la veille des hostilités
étant éloquente à ce sujet. Elles seraient donc à notre sens passibles des peines
prévues pour les infractions contre la sécurité de l’État. Il y a lieu de signaler aussi
qu’avant leur départ, la plupart de ces personnes avaient bloqué divers produits dans
leurs magasins et stocks, pour probablement déséquilibrer le marché national en
préparant les événements dont elles avaient probablement pris connaissance de
l’imminence. Ainsi, nous avons eu écho de transferts de fonds à l’étranger à l’adresse
probablement des fuyards fugitifs par les membres de leurs familles ou leurs amis
restés au pays en train d’exploiter leurs magasins111.

203. L’acte d’accusation de Ngeze relève au paragraphe 6.11 que cette lettre contenait les
noms et adresses de marchands tutsis ainsi que des membres de leurs familles, qui seraient
persécutés comme collaborateurs des Inyenzi. Ayant analysé le texte de la lettre
susmentionnée, la Chambre relève que les personnes nommées étaient censées avoir fui le
110
111

Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 11 et 12.
Compte rendu de l’audience du 17 mai 2001, p. 13 à 15.

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pays et être impliquées dans les hostilités contre le Rwanda. On appelait à poursuivre en
justice ces individus pour atteinte à la sécurité de l’État. On y déclarait qu’ils avaient stocké
des marchandises dans le but de déstabiliser le marché et qu’il se pouvait que ceux qui étaient
restés et géraient leurs magasins leur envoient des fonds à l’étranger. La lettre ne précisait pas
qu’ils devaient être jugés en tant que marchands tutsis, mais que leur départ du pays à la
veille des hostilités était suspect et révélateur de leur collaboration avec les Inyenzi.
Appréciation des éléments de preuve
204. La Chambre relève que certaines des listes reproduites dans Kangura étaient des listes
de suspects officielles. Il ressort clairement des deux premières listes parues dans le numéro 7
de Kangura que les personnes visées nommément avaient été accusées et allaient être jugées.
Cependant, la troisième liste de 12 noms, publiée dans le numéro 7 de Kangura, était créée de
toutes pièces par Kangura et Ngeze lui-même de son propre aveu. On demandait aux lecteurs
de Kangura d’envoyer des informations sur les personnes citées nommément et, selon le
témoin EB, presque tous ceux qui figuraient sur cette liste seront tués par la suite. La
Chambre relève que Kangura n’appelait pas explicitement à commettre des actes de violence
à l’encontre de ces individus. Ils étaient traités de suspects et on sollicitait des renseignements
à leur sujet. Ceux qui étaient nommés dans le numéro 9 de Kangura, dont le père du
témoin EB, et concernant lesquels on recherchait des informations étaient peut-être innocents
d’après le journal, encore que la Chambre relève que le titre de l’article proprement dit dans
lequel ils étaient mentionnés indiquait en soi qu’ils étaient en fait dénoncés. La plupart de ces
personnes seront tuées par la suite, mais il n’y a pas de preuve d’un lien entre la publication
de leur nom dans Kangura et leur mort.
205. De même, la lettre de Tharcisse Renzaho parue dans le numéro 7 de Kangura accuse
effectivement les personnes nommément désignées d’être des suspects et appelle les autorités
à les poursuivre. Encore qu’il ne s’agisse apparemment pas d’individus figurant sur une liste
officielle, la raison pour laquelle ils sont traités de suspects est qu’ils ont quitté le pays peu de
temps avant l’attaque du FPR. Cela étant, la Chambre ne peut assimiler cet appel à des
poursuites judiciaires à une exhortation à leur persécution, comme le prétend l’acte
d’accusation.
206. En revanche, la liste des 123 noms parue dans Kangura s’accompagne d’un appel à
passer à l’acte. Le message communiqué est que le gouvernement était incapable de protéger
la population contre la menace créée par les individus qu’il nommait. Les lecteurs étaient
exhortés à planifier leur autodéfense, manifestement contre ceux qui étaient nommés, sous
peine d’être eux-mêmes exterminés. En suscitant ainsi la peur, en donnant des noms et en
prônant ce genre d’attaque préventive, Kangura avait manifestement l’intention de mobiliser
ses lecteurs contre les individus dont les noms figuraient sur la liste. Le témoin AHA qui,
dans une certaine mesure, a justifié la publication de cette liste en expliquant qu’il s’agissait
d’un document officiel, a néanmoins reconnu qu’elle a pu servir à ceux qui avaient participé
aux massacres. Rien n’a été dit du sort des 123 personnes figurant sur la liste.

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2.2.5

Dessins humoristiques

207. Un certain nombre de dessins humoristiques parus dans Kangura ont été évoqués
pendant les débats. Le journaliste Adrien Rangira a déclaré que ces dessins visaient
principalement l’opposition. Il a évoqué une caricature présentant Agathe Uwilingiyimana, le
Premier Ministre et Faustin Twagiramungu, le Premier Ministre désigné du Gouvernement
provisoire, nus dans un même lit, et dont le but, selon lui, était de diffamer ces deux Premiers
Ministres112. Le témoin ABE a également évoqué ce dessin qui identifiait Twagiramungu
comme le président du MDR. Il a estimé que cette caricature était une honte en raison de la
position des deux personnalités représentées et de la manière dont elles s’exprimaient. Il a dit
que le langage utilisé était vulgaire citant en exemple le mot icyana, qui signifiait que la
femme était une amie de l’homme. Il a dit de ce procédé qu’il participait de la stratégie de
Kangura visant à encourager à la haine et à la persécution des Tutsis, ainsi qu’à celle des
partis politiques de l’opposition et de leurs dirigeants, en particulier d’Agathe
Uwilingiyimana. Le témoin ABE a évoqué un autre dessin de Kangura qui était la caricature
d’Uwilingiyimana nue et a déclaré qu’elle avait ainsi été discréditée113. Selon lui, la raison
pour laquelle elle était critiquée de cette manière était pour la persécuter, la terroriser et la
décourager114. Un certain nombre de caricatures représentant Agathe Uwilingiyimana nue ont
été publiées dans Kangura – en compagnie d’autres membres du Gouvernement dans le
numéro 36, sur la couverture du numéro 46, et dans un lit avec Faustin Twagiramungu dans
les numéros 55, 57 et 58. L’une d’elles la représente avec des serpents sortant de la
poitrine115.
208. À la question à lui posée lors de son contre-interrogatoire de savoir si la caricature de
Twagiramungu et d’Uwilingiyimana dans le même lit ne signifiait pas d’un point de vue
politique que cet homme d’affaires couchait avec le Premier Ministre, le témoin ABE a
répondu que Twagiramungu n’était pas homme d’affaires mais politicien et président d’un
parti politique. Uwilingiyimana était membre de ce parti et de son bureau politique. Selon le
témoin, ce dessin insinuait que ces deux personnes étaient impliquées dans des activités
honteuses pendant la période où le Gouvernement provisoire devait être installé. Cette
caricature avait pour but de persécuter et de dénigrer des personnes opposées à l’idéologie du
MRND. À la question de savoir si le but n’en était pas tout simplement de faire rire les
lecteurs, le témoin ABE a répondu qu’une caricature présentant des choses mensongères était
déstabilisante. Il s’agissait d’une personne mariée et respectable, que ce dessin accusait
d’adultère. Lorsqu’on lui a fait observer lors de son contre-interrogatoire que les caricatures
de chefs d’État sont utilisées dans la presse du monde entier et ne sont pas un manque de
respect, Rangira a fait remarquer qu’un journaliste d’un autre journal avait été condamné à
quatre ans de prison pour avoir caricaturé le Président Habyarimana 116 . Selon le
témoin AHA, collaborateur de Kangura, Ngeze ne dessinait pas lui-même ces caricatures,
mais en suggérait l’idée117. À la question de savoir pourquoi les dirigeants de l’opposition
112

Compte rendu de l’audience du 12 mars 2001, p. 154 et 155.
Pièce à conviction P6.
114
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 97 à 111, 110, 119 à 121.
115
Pièce à conviction P115: Kangura n° 36 (mai 1992), p. 4 ; Kangura n° 46 (juillet 1993), Kangura n° 55
(janvier 1994), p. 4 ; Kangura n° 57 (février 1994), p. 5 ; Kangura n° 58 (mars 1994), p. 5.
116
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2001, p. 78 ; pièce à conviction P19.
117
Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 73.
113

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étaient caricaturés nus, le témoin AHA, qui avait lui-même dessiné dans Kangura, a déclaré
que l’objectif était d’annihiler le respect qu’on leur devait et d’insinuer qu’ils n’étaient pas de
bons dirigeants118.
209. Selon le témoin ABE, Ngeze et Kangura avaient une part de responsabilité dans
l’assassinat d’Uwilingiyimana. Kangura était le journal qui l’avait toujours critiquée comme
une mauvaise personne, opposée au Président et projeté d’elle une image négative. On a fait
remarquer au témoin − ce qu’il a reconnu – que la veuve du Président Habyarimana avait
commandité l’assassinat d’Uwilingiyimana et qu’il avait été commis par des Gardes
présidentiels119.
210. Plusieurs dessins parus dans Kangura représentaient le général Dallaire de la
MINUAR en compagnie de femmes. Le numéro 53 de Kangura le figurait à genoux, en train
de téter les seins d’une femme qui disait à deux autres femmes dessinées derrière elle :
« Lorsque j’en aurais fini, je vous demanderai de faire téter, vous aussi, Dallaire120 ». Dans le
numéro 56 de Kangura, il était représenté enlaçant deux femmes, dont l’une l’embrassait. La
légende était la suivante : « Le général Dallaire et son armée sont tombés dans le piège des
femmes fatales121 ». Selon Kabanda, cette caricature voulait montrer que les femmes avaient
corrompu le chef de la MINUAR, venu pour maintenir la paix et assurer l’application des
Accords d’Arusha. Toujours selon lui, ce dessin, ainsi que d’autres parus dans Kangura
représentaient les femmes tutsies comme des espionnes122.
Appréciation des éléments de preuve
211. La Chambre relève que les dessins en question visaient des personnalités connues et
que les caricatures sont souvent utilisées dans un contexte politique pour se moquer de ceux
qu’elles représentent et les critiquer. Pour la Chambre peu importe qu’Uwilingiyimana et
Twagiramungu aient eu ou non une liaison. Cette caricature, en tant que métaphore, aurait pu
suggérer que ces deux personnalités politiques étaient impliquées conjointement dans des
activités clandestines. Mais son objectif aurait également pu être tout simplement de les
discréditer comme il ressort des témoignages. Par essence, les caricatures ne sont pas censées
représenter la vérité aux yeux du lecteur. Les caricatures politiques sont le plus souvent une
forme de commentaire éditorial. L’idée que le général Dallaire de la MINUAR avait une
relation avec les Tutsies, qualifiée de sexuelle dans ces caricatures, faisait écho aux articles
de Kangura accusant Dallaire de favoriser les Tutsis. La Chambre relève la manière dont ces
caricatures sexualisent le message politique sous-jacent.
2.2.6

Livraisons de Kangura en 1994

212. Cinq numéros de Kangura paraissent en 1994. La Chambre revient ci-après sur des
extraits de ces livraisons auxquelles elle s’est intéressée.
118

Ibid., p. 222 à 224.
Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 40 à 50.
120
Pièce à conviction P115, Kangura n° 53, p. 6 ; compte rendu de l’audience du 20 janvier 2003, p. 43.
121
Pièce à conviction P115, Kangura n° 56, p. 15 ; compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 143.
122
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 137 à 142.
119

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Le dernier mensonge123
213. Un article signé Hassan Ngeze paru en janvier 1994 dans le numéro 54 de Kangura,
sous le titre À cause de la politique du mensonge, les Inkotanyi regrettent d’être entrés en
guerre, dénonce un certain nombre de « mensonges » – le premier était qu’on avait dit aux
Inkotanyi qu’il n’y avait aucun soldat pour défendre le pays, si bien qu’ils ont cru qu’en
attaquant, ils pourraient conquérir le Rwanda en l’espace de trois jours. Selon l’article de
Ngeze, ce premier mensonge « a poussé les Inyenzi au suicide, à se faire exterminer croyant
que la population avait été vendue ».
214. Le deuxième « mensonge » était qu’on avait fait croire aux Inyenzi qu’on « avait
vraiment besoin d’eux dans le pays ; que s’ils venaient, il n’y aurait aucun problème, que
nous aurions oublié les nôtres qui ont été tués sans pitié ; qu’il n’y a pas de Hutus au
Rwanda ». Ngeze expliquait dans cet article qu’ayant compris qu’il était impossible de
conquérir le Rwanda par la force, les Inyenzi avaient déclaré « une seconde guerre contre la
démocratie » dans laquelle des « collaborateurs » hutus, tels que Mugenzi et d’autres
politiciens désignés nommément, s’étaient mobilisés pour défendre « leurs complices » et
remettre en question les acquis de la révolution de 1959. Il citait le PL et le MDR, qui, selon
lui, « travaillaient main dans la main avec les Inyenzi pour prendre le pouvoir par tous les
moyens possibles ». Après avoir rappelé que les promesses des Accords d’Arusha qui avaient
« dépouillé Habyarimana de tous ses pouvoirs » n’avaient pas été tenues, Ngeze soulignait
que Mugenzi et les autres étaient « repartis chez leurs congénères hutus ».
215. Le troisième « mensonge » était que les Inyenzi prendraient immédiatement le pouvoir
par un coup d’État. Ngeze notait qu’ils avaient en fait été emprisonnés dès leur arrivée à
Kigali et que « le peuple majoritaire avait de cette façon déjoué le coup d’État ». Dans un
paragraphe intitulé Le dernier mensonge, Ngeze avertissait le lecteur que ces prisonniers
seraient éliminés. Il écrivait : si les Inyenzi « relèvent à nouveau la tête, ce ne sera plus
nécessaire d’aller se battre contre l’ennemi qui est resté dans la brousse, mais il faudra plutôt
commencer par éliminer l’ennemi qui se trouve à l’intérieur du pays », en commençant par
ces prisonniers. Il affirmait que les complices des Inyenzi possédaient une liste de
1 600 opposants qui seraient tués durant la période de transition, dans le but de susciter la
peur et d’intimider la population pour la contraindre à suivre les Inyenzi, plan qui, à ses dires,
avait pour nom de code « Plan final ». Puis, l’article dit ce qui suit :
Que les Inyenzi aient le courage de comprendre ce qui va se passer et qu’ils sachent
que s’ils commettent une petite erreur ils vont être exterminés ; que s’ils commettent
l’erreur d’attaquer encore une fois, il n’en restera plus dans tout le Rwanda, même
plus un seul complice. Tous les Hutus sont unis …

216. À la question à lui posée lors de son contre-interrogatoire si ce n’était pas là le
présage du génocide futur, Ngeze a répondu qu’il faisait ce qu’il pouvait pour empêcher la
guerre. Il essayait d’informer le public et de dire à ses lecteurs d’éviter la guerre, car : « Si
elle éclate, quelles en seront les conséquences ? Vous devez donc choisir, si voulez sauver

123

Pièce à conviction P10.

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des personnes, ne reprenez pas la guerre ; si vous voulez tuer des gens, ouvrez les hostilités ».
Il a expliqué qu’il tentait d’éviter un bain de sang et de sauver des vies innocentes.
217. La Chambre relève que pour l’essentiel de cet article, Le dernier mensonge, évoque la
situation du Rwanda à l’époque, y compris l’offensive militaire des forces du FPR. Les mots
Inyenzi et Inkotanyi y désignaient indifféremment le FPR. Toutefois, l’expression
« complices des Inyenzi » y avait un sens plus ambigu. La menace consistant à dire que si les
Inyenzi attaquaient à nouveau il ne serait plus nécessaire de « se battre contre l’ennemi qui est
resté dans la brousse » mais qu’au contraire, les gens allaient « commencer par éliminer
l’ennemi qui se trouve à l’intérieur du pays », signifiait l’intention non seulement d’éliminer
ceux « qui restaient dans la brousse », on pense aux forces armées du FPR, mais aussi les
ennemis « à l’intérieur du pays », qui n’étaient pas précisément définis. Par la suite, le mot
« complice » était utilisé et on disait des Inyenzi qu’ « il n’en restera plus dans tout le
Rwanda, même pas un seul complice ». Le fait que ce terme renvoie aux Tutsis, et non plus
précisément à ceux qui aidaient le FPR, se déduit de la phrase suivante : « Tous les Hutus
sont unis ». À la barre, Ngeze n’a pas prétendu que ce terme ne renvoyait qu’à ceux qui
étaient associés au FPR et seraient tués. Bien au contraire, il a déclaré qu’il tentait de sauver
des innocents de la mort qui les attendait en cas d’offensive du FPR.
218. Dans la même livraison de Kangura, Ngeze rappelait à ses lecteurs que Kangura avait
appelé à l’unité hutue dans un paragraphe de son éditorial sous-titré Le rôle de Kangura dans
le salut du Rwanda. Il écrivait :
Avant que le Rwanda ne soit attaqué, Kangura en avait révélé le plan. Nous avons
commencé à demander aux Hutus d’être unis, de ne pas prêter oreille à ce que
l’ennemi leur demandait de faire, alors que c’était lui la cause des luttes parmi eux.
Depuis ce temps jusqu’à ce jour, l’évangile prêché par Kangura a joué un rôle
remarquable dans la réconciliation des Hutus et dans la récupération de ceux qui
s’étaient fourvoyés. Tous les Hutus de différents partis se rencontrent et se parlent et
partagent un verre. La preuve irréfutable, c’est le discours que Justin Mugenzi a
prononcé lors du meeting du MRND avant-hier, à Nyamirambo. Qui pouvait un jour
penser que Mugenzi pouvait devenir un Interahamwe ? Le rôle de Kangura sera
étudié dans l’histoire du Rwanda et même dans celle de la région que nous habitons
et dans laquelle on trouve beaucoup de Tutsis ; Kangura a d’ailleurs montré aux
124
enfants à naître comment le Tutsi est .

219. En 1994, Kangura se vantait d’avoir révélé aux Hutus la véritable nature du Tutsi,
avec cette simple phrase « comment le Tutsi est ». Ce membre de phrase indique clairement
que le Tutsi était l’ennemi contre lequel les Hutus étaient exhortés à s’unir.
Qui survivra à la guerre de mars ?
220. Cet article paraît en janvier 1994 dans le numéro 55 de Kangura125. Signé Kangura, il
mettait en garde ceux qui croyaient que la guerre était finie à cause des Accords d’Arusha en
123

Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 27.
Pièce à conviction P115/54/A, p. K0151342 ; compte rendu de l’audience du 16 mai 2002, p. 195 et 196.
125
Pièce à conviction P117A, p. 19339bis à 19138bis.
124

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soulignant que la guerre avait deux facettes, l’une militaire et l’autre politique. Cet article
disait que bien que les combats se soient arrêtés, la bataille politique était « loin d’être
terminée », et que le front militaire suivait le front politique. Cet article critiquait les Nations
Unies et suggérait que bien que le rôle des soldats de la MINUAR fût de maintenir la sécurité
et de garantir l’application des accords de paix, ils soutenaient en fait le FPR :
Maintenant, ces soldats se comportent comme s’ils avaient été envoyés pour aider le
FPR à prendre le pouvoir par la force. La situation demande quelques explications. Si
les Inkotanyi se sont décidés à nous massacrer, il faudra qu’on se massacre
mutuellement. Et que l’abcès crève ! Les temps que nous vivons demandent que l’on
soit vigilant parce qu’ils sont difficiles. Dire qu’il y a des forces de l’ONU
n’empêcherait pas les Inkotanyi de provoquer la guerre (…). Ces choses sont
possibles au Rwanda aussi. Lorsque les Inkotanyi auront encerclé la capitale de
Kigali, ils appelleront ceux de Mulindi et leurs complices de l’intérieur du pays et le
reste suivra. Il sera évidemment nécessaire que le peuple majoritaire et son armée se
défendent. Ce jour-là du sang sera versé. Ce jour-là il y aura beaucoup de sang versé.
Roméo Dallaire et sa MINUAR, quoiqu’ils fassent, devraient prendre en compte cette
donne126 ».

221. À la question de savoir qui Kangura appelait-il des complices de l’ennemi, le témoin
expert à charge Kabanda, qui avait analysé tout le dossier Kangura, a répondu que Kangura
identifiait un ennemi extérieur, en l’occurrence le FPR, mais également un ennemi à
l’intérieur du pays, principalement les Tutsis et les Hutus qui partageaient leurs idées. C’était
bien là l’ennemi du rubanda nyamwinshi, le peuple majoritaire, et l’ennemi du pays. Selon
Kabanda, bien que l’ennemi extérieur fasse la guerre et ait des complices à l’intérieur, tous
les Tutsis n’étaient pas nécessairement complices. Il a indiqué que Twagiramungu et
Uwingilimana, des femmes plus âgées, des jeunes gens ainsi que les Tutsis qui ne faisaient
pas la guerre n’étaient pas complices127.
222. Ngeze a commenté ce passage, faisant observer qu’à partir de janvier 1994, ils
possédaient la preuve que le FPR était parvenu à infiltrer plus de 3 000 soldats dans Kigali,
en plus de ceux basés au CND, soit les 600 soldats envoyés conformément aux Accords
d’Arusha. Il a ajouté que les autres soldats se dissimulaient en attendant le signal du combat,
puis il a lu le paragraphe suivant de cet article :
La preuve que la guerre est imminente dans Kigali, c’est que les Inkotanyi se livrent
déjà à des actes de provocation. Ils ont commencé à mener des attaques sporadiques
dans les secteurs voisins du CND où ils sont hébergés. Au cours des deux dernières
attaques des Inkotanyi dans le quartier de Remera, deux personnes au moins ont
trouvé la mort, et il y a eu des blessés. Les Inkotanyi tuent des innocents et rentrent
dans leur nouvelle base qui leur a été accordée par les Accords d’Arusha … les
Accords de paix d’Arusha. Ce qui est inquiétant, c’est que ces provocations et ces
tueries sont perpétrées au nez des forces de maintien de la paix de l’ONU, membres
128
de la MINUAR .

126

Ibid. ; voir aussi compte rendu de l’audience du 15 mai 2002, p. 46 à 48.
Compte rendu de l’audience du 15 mai 2002, p. 47 à 49.
128
Compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p. 38 et 39.
127

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223. La Chambre relève que pour l’essentiel cet article jette un regard politique sur la
situation du Rwanda à l’époque, y compris le risque d’offensive militaire des forces du FPR
et en particulier le rôle des Nations Unies et des forces de la MINUAR. Dans le contexte
militaire de crainte affichée d’attaque, la phrase « Si les Inkotanyi se sont décidés à nous
massacrer, il faudra qu’on se massacre mutuellement » désigne clairement les Inkotanyi
comme les forces du FPR. Le FPR est d’ailleurs nommé dans une phrase presque
immédiatement avant. En conséquence, cette phrase peut être comprise dans le contexte de la
défense militaire ou civile. Cependant, l’évocation de « complices » qui suit est moins claire.
Le sens du texte est que les Inkotanyi déclencheraient des hostilités et feraient appel à leurs
complices à l’intérieur du pays, ce qui conduirait à un bain de sang, car le peuple majoritaire
et son armée se défendraient. L’expression « peuple majoritaire » telle qu’employée et
comprise dans Kangura, renvoie à la population hutue, le corollaire en étant que l’expression
« complices à l’intérieur du pays » renvoie à la population tutsie.
224. S’il est vrai que l’on pourrait fort bien voir dans ce texte une menace, la dernière
phrase du premier passage cité ci-dessus, qui exhorte les Nations Unies à tenir compte de
cette donne, peut également laisser présumer que l’intention de l’article était de faire prendre
conscience du soutien que la MINUAR accordait au FPR et de préciser que ce soutien
entraînerait un bain de sang129. Tout en exprimant l’inquiétude que lui inspirait la présence
militaire non autorisée du FPR à l’intérieur du Rwanda et le parti pris politique supposé de la
MINUAR, Kangura faisait comprendre à ses lecteurs, par une vague référence aux
« complices » contre lesquels le « peuple majoritaire » devait se défendre, que tous les Tutsis
étaient complices du FPR et que si leur sang était versé, ce serait en réponse à une éventuelle
attaque du FPR.
Comment vont périr les troupes des Nations Unies ?
225. Cette question était le titre d’un paragraphe d’un éditorial signé Ngeze et paru en
février 1994 dans le numéro 56 de Kangura. Cet éditorial prévoyait l’échec des Accords
d’Arusha car ils n’apportaient pas de réponse aux problèmes du Rwanda, que l’éditorial
qualifiait d’ethniques : « un problème entre les Hutus et les Tutsis130 ». On pouvait lire dans
ce paragraphe :
« Tout comme en Somalie où près de deux cents soldats de l’ONU ont été tués en
raison de leur attitude partisane, au Rwanda, un gouvernement sera bientôt formé et
ceux qui n’en feront pas partie lutteront contre lui, tout comme ceux qui y
participeront mais sans le reconnaître. Le pays grouillera d’opposants. Les troupes de
l’ONU continueront à soutenir les Accords d’Arusha parce qu’ils justifient leur
présence ici. Ceux qui rejettent ces accords se vengeront sur ces soldats et les
massacreront ; ils leur jetteront des grenades et ils mourront chaque jour. Un jour
viendra où ces soldats en auront assez et partiront. Et c’est après leur départ que le
sang sera vraiment versé. Tous les Tutsis et les lâches Hutus seront exterminés. Les

129

La Chambre relève que cette phrase, traduite au cours du témoignage de Kabanda, a été omise de la
traduction de cette citation dans le rapport Chrétien.
130
Pièce à conviction P115/56-A, p. 8084bis.
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Inyenzi feront encore appel au soutien de Museveni pour attaquer les Hutus, qui
131
seront torturés à mort. Cette tragédie serait le résultat de ces mauvais accords ».

226. Ce texte parle clairement et explicitement des Tutsis et des Hutus qui les soutiennent
et prédit leur extermination. La conclusion de l’éditorial est que Kangura prédisait que des
gens allaient être tués dans un avenir proche. La Chambre relève le discours incendiaire. Loin
de se contenter de dire que des soldats de l’ONU pourraient être tués, l’article précise qu’ils
seront « massacrés » et ajoute qu’ils seront la cible de grenades et qu’ils mourront chaque
jour. Ce passage avertit les lecteurs que le sang sera «vraiment versé ». Alors que le contenu
se veut une analyse politique, l’objectivité dépassionnée et descriptive qui caractérise le style
journalistique est totalement absente du texte, qui, en conséquence, trahit un ton menaçant et
non analytique.
On serait porté à croire que les Tutsis ne saignent pas, que leur sang ne coule pas
227. Cet article, signé Kangura et paru en février 1994 dans le numéro 56 de Kangura,
rendait compte d’une conférence de presse à laquelle avait assisté Ngeze et où Tito
Rutaremara, délégué du FPR était intervenu. Kangura écrivait :
Ce que Kanyarengwe leur a fait, ça doit être vrai, ce que l’on a dit des Tutsis, qu’ils
sont comme des enfants, qu’ils sont puérils. Au cours de la conférence de presse que
les Inkotanyi ont récemment donnée à l’Hôtel Diplomate, ils ont déclaré des choses
qui ont surpris les gens qui étaient là. Tito Rutaremara a dit : « J’ai pris les armes
pour combattre la dictature. Je les reprendrai, pour lutter contre la dictature, la même
dictature ». Il a été très applaudi. Est-ce que les Tutsis qui ont applaudi Rutaremara se
souviennent que, eux aussi, peuvent saigner, leur sang peut couler ? Rutaremara qui
brandit la menace de la guerre sait-il qu’il serait le premier avec ses congénères à être
132
emportés par elle ? Il faut lui poser cette question .

228. À la question à lui posée lors de son contre-interrogatoire, de savoir ce qu’il en était
de cet article et pourquoi il ne faisait aucune distinction entre les Tutsis et le FPR. Ngeze a
répondu que dans une conférence de presse de la CDR, la majorité présente était hutue et que
dans une conférence de presse donnée par le FPR la majorité était tutsie. Il a ajouté que lors
de cette conférence de presse, les Tutsis avaient applaudi133.
229. Selon l’extrait cité ci-dessus, Tito Rutaremara aurait dit qu’il avait pris les armes pour
combattre la dictature. Parlant de ceux qui avaient applaudi à cette affirmation, l’article se
demandait s’ils comprenaient bien qu’en prenant les armes c’était leur propre vie qu’ils
mettaient en danger. Dans le contexte d’un soulèvement armé, une telle question – clairement
posée pour décourager tout soutien à un tel soulèvement – est raisonnable. Une action
militaire déclenchée par l’opposition aurait provoqué une réaction des forces armées, au nom
de la défense nationale ou civile. Étaient visés non pas tous les Tutsis en général, mais plutôt
les « Tutsis qui ont applaudi Rutaremara », ou, comme l’a déclaré Ngeze à l’audience, les

131

Ibid., p. 8182bis à 8081bis.
Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 28.
133
Ibid., p. 36 à 38.
132

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Tutsis qui avaient applaudi lors de la conférence de presse manifestant ainsi leur soutien à
une insurrection armée.
Appréciation des éléments de preuve
230. Les numéros de Kangura parus en 1994 ne diffèrent pas sensiblement de ses
livraisons antérieures. Les articles analysés s’intéressent davantage à la menace militaire
venant des Inkotanyi, ils réitèrent les mises en garde, avertissant qu’une attaque du FPR
entraînerait non seulement le massacre des Inkotanyi, mais aussi de tous ceux qui se
trouvaient à l’intérieur du pays, rassemblés sous le terme vague de « complices » mais
désignant clairement la population tutsie. Kangura qualifie ces futures victimes
d’« innocents » et définit à plusieurs reprises leurs complices comme ceux qui ne sont pas
Hutus. Kangura prédit également l’assassinat du personnel de la MINUAR, sous-entend que
la MINUAR soutient le FPR, que la MINUAR est un témoin silencieux des meurtres commis
par le FPR et que les forces de la MINUAR quitteraient le pays si plusieurs de ses soldats
étaient tués.
231. Il ressort clairement des articles parus dans Kangura au cours des trois premiers mois
de 1994 qu’une attaque du FPR entraînerait le massacre de Tutsis innocents dans le pays,
dont le FPR serait responsable. Ngeze a soutenu qu’il s’agissait là d’une prédiction ou d’un
avertissement, mais la Chambre y voit une menace, surtout quand on considère le caractère
virulent et outrancier du discours. Les numéros de Kangura parus en 1994 véhiculaient la
menace que le massacre des Tutsis dans le pays serait la conséquence d’une agression des
Inkotanyi, les complices des Inkotanyi étant assimilés à la population tutsie à l’intérieur du
pays.
Dépositions des témoins contre Kangura
232. Plusieurs témoins à charge ont parlé du sentiment général que Kangura leur inspirait,
de l’opinion que d’autres s’en faisaient et de ce qu’ils en pensaient personnellement. La
Chambre juge leurs dépositions éminemment utiles pour mesurer l’impact de Kangura sur ses
lecteurs et plus généralement sur la population.
233. Ayant lu tous les numéros de Kangura, le témoin expert à charge Marcel Kabanda a
été invité à identifier les idées chères à ce journal. Il en a retenu quatre : la haine du Tutsi ; la
nécessité de l’autodéfense de la majorité, menacée par la minorité ; la lutte contre les Hutus
qui se seraient fourvoyés et la mobilisation de la population hutue pour combattre ce danger.
Selon Kabanda, les ennemis étaient clairement identifiés dans Kangura comme étant ceux qui
menaçaient la population majoritaire : les Tutsis-Inyenzi. Le journal établissait une distinction
entre les Tutsis qui se trouvaient à l’intérieur et à l’extérieur du pays, mais révélait qu’en
réalité ces deux groupes étaient solidaires et collaboraient pour exterminer les Hutus et
reprendre le pouvoir, dans l’idée d’assujettir les Hutus qui survivraient 134 . Décrivant le
danger représenté par les Tutsis comme une obsession permanente de Kangura, Kabanda a
évoqué une caricature parue en janvier 1992 dans Rwanda Rushya, journal de l’opposition,
ainsi qu’un article intitulé Le Syndrome Kangura. Sur ce dessin, un patient étendu sur un
134

Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 14 à 16.

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canapé et qui ressemble à Hassan Ngeze dit : « Docteur, je suis malade ». Le médecin lui
demande : « Quel est votre problème ? » et le patient répond : « Les Tutsis, les Tutsis, les
Tutsis ». L’article qu’il accompagne explique que Kangura joue un rôle dans la promotion
d’une idéologie et affirme : « Dans ce sens donc, Kangura se veut un journal de combat135 ».
234. Le témoin AHI, chauffeur de taxi de Gisenyi d’ethnie hutue et associé de longue date
de Ngeze, a dit avoir travaillé pour Ngeze en vendant Kangura. Il a ajouté qu’il lisait
habituellement Kangura et quand on lui a demandé s’il se souvenait des numéros qu’il avait
lus, il s’est rappelé un numéro dans lequel Ngeze parlait des groupes ethniques de la
population rwandaise. Outre les Hutus, Tutsis et Twas, celui-ci avait parlé d’un quatrième
groupe, composé de personnes de père hutu et de mère tutsie qu’il appelait les Hutsis. Il disait
de ces individus qu’ils ne pouvaient être assimilés à des familles hutues et qu’ils
appartenaient aux Tutsis. Le témoin AHI a déclaré que lui-même pouvait être ainsi qualifié et
qu’il en connaissait beaucoup d’autres. Il a précisé qu’en 1994, des personnes appartenant à
ce quatrième groupe ethnique avaient été tuées et cité le cas de Mama Bruki, une voisine du
père de Ngeze, assassinée par des membres de la CDR appartenant aux Impuzamgambi alors
que son mari avait été épargné. On avait emmené son mari Muzamiru boire un verre et on lui
avait dit : « Ne t’en fais pas, nous allons te trouver une autre épouse une hutue. » Le garde du
corps de Ngeze faisait partie des assassins nommés par le témoin AHI qui a dit que c’était
Ngeze qui avait payé à boire à Muzamiru136.
235. Le témoin GO, fonctionnaire hutu au Ministère de l’information, a déclaré que de
septembre à novembre 1993, il était chargé de suivre toute la presse privée, dont Kangura,
qu’il a décrit comme « le journal le plus extrémiste ». Lors de son contre-interrogatoire,
comme on lui demandait s’il ne pensait pas que Kangura était humoristique, le témoin GO a
répondu : « Rien de ce que j’ai vu dans Kangura ne me faisait rire. Mais, par contre, cela me
faisait peur ». Lorsqu’on lui a rappelé qu’à peine 30 % de la population adulte savaient lire, le
témoin a répliqué que dans les sociétés où les gens sont illettrés, il existe une tradition orale.
Les informations sont transmises de bouche à oreille par ceux qui savent lire aux autres.
Parce que Kangura était intrinsèquement extrémiste, tout le monde en parlait, dans les
autobus et partout ailleurs. Il a précisé : « C’était des nouvelles qui [se répandaient comme
une traînée de poudre ; elles faisaient sensation137] ».
236. Selon le témoin ABE : « Kangura était le plus [virulent] de tous 138 ». S’étant vu
rappeler que le taux d’alphabétisation de la population adulte du Rwanda représentait moins
de 30 % au début des années 90, il a répondu que ceux qui savaient lire et écrire expliquaient
aux autres ce qu’ils avaient lu dans Kangura. Il a déclaré que non seulement c’était possible,
mais que c’était précisément ce qui s’était passé139. Le témoin a affirmé qu’il avait commencé
à lire Kangura dès sa parution, en 1990. Il a expliqué que la politique de ce journal consistait
à unir les Hutus dans un combat contre les Tutsis et tous les autres, les Hutus qui ne tenaient
pas le même discours qu’eux140. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin ABE a reconnu
135

Compte rendu de l’audience du 16 mai 2002, p.17 à 19, 138 à 140 ; pièce à conviction P122.
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 87 à 94.
137
Compte rendu de l’audience du 6 juin 2001, p. 122 et 123, 138 à 140, 143, 144.
138
Compte rendu de l’audience du 28 février 2001, p. 36 et 37.
139
Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 61 à 66.
140
Pièce à conviction P6.
136

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que l’on pouvait trouver des opinions divergentes même dans Kangura, mais a précisé que
les auteurs suivaient une ligne politique très précise. Interrogé au sujet des couvertures
violemment anti-Hutus de Kangura, le témoin a déclaré que, compte tenu de ce qu’il savait
de la politique générale de Kangura, ces articles étaient destinés à secouer les Hutus et à les
encourager à suivre la ligne extrémiste de Kangura, à combattre les Tutsis et les Hutus
modérés. Tout en reconnaissant que l’on y trouvait quelques articles anti-Hutus, le témoin a
fait observer que Twagiramungu était Hutu et qu’Agathe Uwilingimana et Gatabazi, tous
deux Hutus, avaient été tués. Il a ajouté qu’ils étaient tous hutus, mais n’étaient pas d’accord
avec la politique menée par le MRND et son journal, Kangura141.
237. François-Xavier Nsanzuwera, ancien Procureur de Kigali, a déclaré que, dès l’origine,
Kangura cherchait à propager un discours de haine raciale, ethniste, ciblant des individus. Le
journal reconnaissait lui-même chercher à faire prendre conscience aux Hutus des dangers qui
les menaçaient. Les termes Inkotanyi et leurs complices visaient les Tutsis et opposants hutus.
Nsanzuwera a qualifié Kangura de « glas de la mort », car, quand les colonnes du Kangura
mentionnaient quelqu’un, si c’était un ministre, il était sûr d’être limogé dans un prochain
remaniement ministériel, si c’était un simple citoyen, il était sûr d’être arrêté, et s’il s’agissait
d’une personnalité officielle, elle risquait de perdre son poste ou son emploi. Lors des
arrestations massives de 1990 et 1991, tous ceux qui avaient été cités par Kangura avaient été
arrêtés et jetés en prison. Selon Nzanzuwera, Anatole Nsengiyumva, qui était à la tête des
services de renseignements de l’armée, était le premier à aller chercher un exemplaire de
Kangura chez l’imprimeur142.
238. D’après le témoin ABE, des gens qui avaient été critiqués dans Kangura, avaient
ensuite perdu leur emploi ou la vie 143 . Prié d’en dire davantage lors de son contreinterrogatoire, le témoin ABE a cité un article daté de 1990, accusant le préfet de Gisenyi,
François Nshunjukinka, d’être le complice des Inkotanyi parce qu’il avait suspendu un souspréfet qui avait supervisé le massacre de Tutsis. Nshunjukinka avait été limogé un mois après
la parution de cet article et avait immédiatement quitté Gisenyi. Ses enfants seront tués au
cours du génocide. Si l’on avait retrouvé Nshunjukinka, on l’aurait tué aussi. À la question de
savoir comment il savait que la perte de son emploi était liée à cet article, le témoin ABE a
répondu en avoir fait le constat à plusieurs reprises. Il a cité le cas de Kajeguhakwa, considéré
comme un Inkotanyi, qui aurait été tué s’il ne s’était pas enfui. Il a également mentionné
certains hommes politiques qui avaient été tués, dont Gapyisi et Gatabazi et précisé qu’il y en
avait plusieurs autres dont les noms avaient été cités par Kangura. Ces noms n’étaient pas
tous publiés au même moment. Le rédacteur en chef se concentrait sur un individu pendant
une certaine période, affirmant qu’il était contre Habyarimana ou contre les Hutus, contre
leur politique générale, puis, quelque temps plus tard, cette personne était tuée. Pour autant
que le témoin le sache, contrairement à la norme, aucune enquête n’était alors menée. Le
témoin a parlé de Félicia Ngago qui, selon Kangura, avait participé à l’assassinat de Gatabazi
et avait été tuée à son tour, d’Agathe Uwilingimana qui avait été tuée et de Twagiramungu
qui aurait été tué si on l’avait trouvé. Le témoin ABE a reconnu que Kangura n’appelait pas
au meurtre de ces personnes. Il a expliqué qu’il suffisait d’être qualifié de complice pour se
141

Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 40 à 51.
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 158 à 160.
143
Pièce à conviction P6.
142

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mettre en danger et finir par être tué par la suite. Le témoin ABE a ajouté que Ngeze luimême avait l’habitude de dire que s’il écrivait un article contre quelqu’un, cette personne n’y
survivait pas. Ngeze terrorisait les gens, se promenait partout avec son appareil photo et
faisait du chantage144.
239. Le témoin ABE a soutenu que Ngeze était à l’origine de cette campagne de
propagande. Il a précisé que sans aller jusqu’à dire que le plan du génocide était venu de
Ngeze, celui-ci s’était vu attribuer un rôle important dans la stratégie de propagande de cette
idéologie. Bien que le témoin ABE ait dit et réitéré que Ngeze n’était pas éduqué, il a affirmé
que ce rôle lui allait à ravir et qu’il se livrait pour contaminer les esprits à une propagande
peu scrupuleuse, du type-même de celle qui ne nécessitait pas que l’on soit éduqué pour
l’entreprendre145.
240. Le témoin AHA a établi une distinction entre Kangura et ses confrères à l’époque.
Observant qu’il s’agissait d’un journal privé, il a déclaré que son style différait grandement
de celui des journaux publics qu’il a qualifiés d’ennuyeux. En revanche, il a parlé d’une
« certaine liberté d’expression [de Kangura] et peut-être aussi d’une certaine extravagance,
due peut-être au manque de connaissance de la profession ». Il l’a qualifié de journal à
sensation, autrement dit exagérant les faits et leur expression, provoquant des réactions et ne
laissant pas le public indifférent146. Le témoin AHA a rappelé qu’à un moment donné, Ngeze
avait été qualifié de prophète ou de visionnaire. Il s’est souvenu que Ngeze avait déclaré dans
une interview à la RTLM ne pas être visionnaire, mais avoir accès à des informations très
secrètes grâce auxquelles il pouvait prédire ce qui risquait de se passer. C’est pour cela qu’il
n’était guère surprenant qu’il pût faire des prévisions sur les changements ministériels et les
nominations au sein du cabinet147. Quant au terme « complices », le témoin AHA a déclaré
que ce mot désignait ceux qui collaboraient avec l’ennemi et souhaitaient un changement de
régime. Il a ajouté que certaines personnes désignées comme des complices, admettaient
volontiers aujourd’hui avoir soutenu la rébellion 148 . Interrogé sur la vérification de
l’information et la politique de rédaction suivie par Ngeze dans Kangura, le témoin AHA a
répliqué : « La vérité dans l’information, ce n’était pas […] son souci. Son souci, c’était ce
combat-là [qui devait être mené] par tous les moyens »149.
241. Lors de sa déposition, Ngeze a évoqué sa carrière de journaliste, qui avait commencé
par la création d’une agence de presse à Gisenyi. Il a décrit la manière dont il avait tissé un
réseau de contacts en payant des gens pour l’informer de ce qui se déroulait dans leur région.
Par exemple, il contactait les secrétaires d’un ministre et offrait de doubler leur salaire à
condition qu’elles lui donnent une copie de tout ce qu’elles auraient tapé pour le ministre. Il
faisait la même chose avec la personne chargée des photocopies, et a dit que c’était ainsi qu’il
avait obtenu des informations du Bureau du Procureur du TPIR 150 . Grâce à ces réseaux
d’information, Ngeze savait tout ce qui se passait. Il était en contact avec de nombreux
144

Compte rendu de l’audience du 28 février 2001, p. 9 à 16, 29 et 30, 36 et 37.
Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 61 à 66.
146
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 113 à 118.
147
Ibid., p. 61 à 66.
148
Ibid., p. 133 et 134.
149
Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 69.
150
Ibid.
145

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ambassadeurs et a déclaré s’entretenir quotidiennement avec ceux de France et des ÉtatsUnis, car ils savaient qu’il détenait des informations, bien qu’il n’ait jamais révélé ses sources
à quiconque 151 . Ngeze a soutenu qu’en général ce qu’il publiait était véridique et qu’il
prévoyait plutôt que causait des faits tels que des remaniements politiques, des attaques ou
des assassinats, illustrant ce qui s’était passé avec la métaphore suivante :
« [Permettez-moi d’insister. Disons que je vienne maintenant à savoir que du poison
a été versé … que du poison ait été versé dans l’eau que nous buvons dans cette salle
d’audience et que je dise au tribunal. Ne buvez pas cette eau, elle est empoisonnée.
J’en ai la preuve. J’ai la preuve que l’eau dans la salle d’audience est empoisonnée.
Ne la buvez pas. Et que tout le monde ici décide de ne pas tenir compte de ce que je
dis au tribunal, aux personnes présentes. Si vous décidez ensuite de boire l’eau, vous
152
mourez » .

Appréciation des éléments de preuve
242. Les dépositions des témoins établissent que Kangura véhiculait efficacement son
discours. Kangura était considéré comme une publication anti-Tutsis qui pouvait tout à fait
bouleverser la vie des individus qu’elle mentionnait. Il n’y a aucune preuve qu’il y ait eu un
lien direct entre cette publication et les faits survenus par la suite, pourtant ce lien a été très
nettement perçu par nombre de témoins, dont AHI, ABE et Nsanzuwera, qui ont été d’avis
que Kangura avait grandement contribué au climat qui avait précédé ces faits à défaut de les
avoir causés directement. Le témoin ABE, par exemple, a reconnu que le Premier Ministre,
Agathe Uwilingiyimana, avait été tué par la Garde présidentielle, sur ordre de la veuve
d’Habyarimana. Mais il a clairement relevé que la manière dont Uwilingiyimana avait été
dépeinte à plusieurs reprises dans Kangura avait fait d’elle une cible et que l’image projetée
d’elle par Kangura avait conduit aux faits ultérieurs et résulté en sa mort.
243. En revanche, le témoin à charge AHA a répété ce que Ngeze lui avait dit et qui
correspondait à ce que ce dernier avait lui-même déclaré : il avait prédit et non causé ces
faits. Ngeze a décrit en détail comment il s’y prenait pour obtenir des informations et avait
tissé un puissant réseau de sources très diverses. Ngeze avait accès à de nombreuses
informations, et pourtant le témoin AHA a également déclaré que la vérité et la quête de la
vérité lui importaient peu, ce qui cadre avec l’impression que Ngeze a produit sur le Tribunal,
encore renforcée par sa propre conduite à l’audience. Ngeze voudrait faire croire à la
Chambre que Kangura disait au peuple de ne pas boire de l’eau sous peine d’être empoisonné
et d’en mourir, autrement dit qu’il l’avertissait mais ne l’empoisonnait pas lui-même. La
haine ethnique qu’exhalait Kangura avait l’effet du poison, comme il ressort des dépositions
des témoins. Parfois, Kangura appelait explicitement ses lecteurs à passer à l’acte. Plus
généralement, son discours de parti pris de peur préparait le terrain aux massacres de la
population tutsie.

151
152

Compte rendu de l’audience du 26 mars 2003, p. 60 à 65.
Compte rendu de l’audience du 31 mars 2003, p. 18 et 19.

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Conclusions factuelles
244. La Chambre a jugé crédibles les dépositions des témoins GO, ABE, MK, AHA et
Philippe Dahinden, aux paragraphes 608, 332, 886, 132 et 546 respectivement.
245. La Chambre conclut que L’Appel à la conscience des Bahutu et Les dix
commandements des Hutus qui y étaient reproduits et étaient parus en décembre 1990 dans le
numéro 6 de Kangura, véhiculaient le mépris et la haine du groupe ethnique tutsi et en
particulier des femmes tutsies, qualifiées d’agents de l’ennemi. L’Appel à la conscience des
Bahutu décrivait les Tutsis comme des ennemis impitoyables, déterminés à vaincre les Hutus
et exhortait les Hutus à prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter l’ennemi. Kangura
avait publié les 19 commandements pour avertir ses lecteurs de la nature maléfique des Tutsis
et de leur intention de prendre le pouvoir et d’asservir les Hutus. Les dix commandements des
Hutus et les 19 commandements des Tutsis concouraient au même objectif : répandre chez les
Hutus la peur et la haine de la minorité tutsie et mobiliser les Hutus contre les Tutsis. De
février 1991 à mars 1994, cet appel aux Hutus a été ouvertement appuyé dans chaque numéro
de Kangura par le titre : « La voix qui a pour but d’éveiller et de protéger le peuple
majoritaire ».
246. D’autres éditoriaux et articles parus dans Kangura se faisaient l’écho du mépris et de
la haine des Tutsis véhiculés par Les dix commandements. Ces articles dépeignaient les Tutsis
comme foncièrement mauvais et ambitieux, dans un langage manifestement destiné à attiser
les flammes du ressentiment et de la colère à l’encontre de la population tutsie. La couverture
du numéro 26 de Kangura répondant à la question : « Quelles armes allons-nous utiliser pour
vaincre les Inyenzi pour de bon ? » montrait le dessin d’une machette. Le message transmis
par cette couverture était la violence et signifiait que la machette devait servir à vaincre les
Inyenzi pour de bon. Par ce terme Inyenzi, Kangura désignait, clairement aux yeux de tous,
les Rwandais d’appartenance ethnique tutsie, qui dans ce numéro de Kangura, étaient
stéréotypés et qualifiés de menteurs, voleurs et tueurs.
2.3

Le concours de 1994 de Kangura

247. Le numéro 58 de Kangura, paru en mars 1994, a organisé un concours en onze
questions, dont on pouvait trouver toutes les réponses dans de vieux numéros de Kangura. Ce
concours sera proposé de nouveau dans le numéro 59, paru également en mars 1994. Toute
réponse correcte valait des points à son auteur et les lots destinés aux 10 gagnants, annoncés
dans le numéro 58 de Kangura, comprenaient une somme d’argent, des billets d’avion, des
appareils électroniques, des vêtements et des denrées alimentaires. Le premier prix était de
25 000 Frw. Le numéro 59 de Kangura offrait des prix supplémentaires présentés sur la
RTLM, dont plusieurs récompenses offertes par des sponsors, l’un d’eux offrant une caisse
de bière à tout gagnant militant de la CDR. Pour participer à ce concours, le lecteur devait
détacher et envoyer à la RTLM l’original de la page de Kangura (aucune photocopie n’était
acceptée), accompagnée de ses réponses aux questions.
248.

L’introduction à ce concours précisait ce qui suit :

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À partir du numéro 58 du Kangura, la direction de ce journal, assistée par les
bienfaiteurs qui aiment ce journal, organise un concours pour sensibiliser le public
qui aime ce journal à ses idées153.

249. Presque toutes les 11 questions demandaient aux participants d’identifier le numéro
de Kangura comportant tel ou tel texte. Toutes les questions étaient liées d’une manière ou
d’une autre à Kangura, et lorsqu’il ne s’agissait pas d’identifier tel ou tel numéro,
demandaient des informations sur des journalistes de Kangura ou des personnes qui y étaient
citées. Entre autres questions, on pouvait lire : « Dans quel numéro de Kangura retrouve-on
la phrase : “Nous n’avons plus de Tutsis à cause de Kanyarengwe” ? » et « Quand est-ce que
Kangura est devenu la voix pour réveiller le peuple majoritaire et veiller à ses intérêts154 ? »
Le témoin expert à charge, Marcel Kabanda, a déclaré qu’en répondant à ces questions il était
parvenu à identifier 13 numéros de Kangura, mais que pour y répondre, il avait dû en lire
trois fois plus 155 . Le témoin a affirmé que les numéros antérieurs de Kangura étaient
disponibles, citant un renvoi dans l’édition internationale du numéro 9 de Kangura aux
anciens numéros 33 et 8 de Kangura, qui encourageait le lecteur qui avait raté ces numéros à
se rendre chez un marchand de journaux156.
250. À la suite des questions de ce concours, les numéros 58 et 59 de Kangura publieront
un sondage qui, selon Kabanda, faisait partie du concours157, et demandait aux lecteurs de
Kangura d’évaluer divers présentateurs de la RTLM, dont Kantano Habimana, Gaspard
Gahigi, Noël Hitimana et Valérie Bemeriki. On pouvait lire dans l’introduction :
Dites-nous ce que vous pensez des activités de RTLM depuis qu’elle a commencé à
émettre au Rwanda, le 28 juillet 1993. Dites-nous ce que vous souhaiteriez voir
changer. Dites-nous ce que vous considérez comme ses points forts et ses
158
faiblesses .

251. Kabanda a dit que la RTLM avait évoqué le concours de Kangura sur les ondes en
mars 1994, encourageant ses auditeurs à y participer et leur conseillant d’aller acheter les
numéros de Kangura qui leur manquaient pour pouvoir répondre à toutes les questions et
envoyer leurs réponses. Le Procureur a présenté la transcription suivante d’une émission de la
RTLM du 14 mars 1994 :
« Maintenant je voudrais […] vous parler du concours du journal Kangura… Je
voudrais alors vous dire que vous ne devez pas prendre vos stylos, parce que les
questions dont je vais vous faire part se trouvent dans Kangura… Vous les verrez
demain, dans Kangura numéro 58 qui paraîtra. Voici les prix que Kangura a pu

153

P115, Kangura no. 58, p. 7, KA022076, aussi P119.
Ibid., p. 8, KA022077, Question 7(c) et Question 8 (a). Texte original en kinyarwanda : Kanyarengwe
atumazeho abatutsi “Ibonoko mu yiho Kangura” ? ; Kangura yabaye ijwi rigamije gukangure no kurengere
rubanda nyamwinshi ryari ?
155
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 182 à 187.
156
Compte rendu de l’audience du 15 mai 2002, p. 27 à 29.
157
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 160.
158
Pièce à conviction P115, Kangura n° 58, p. 9, KA022078, également dans P119.
154

Jugement et Sentence
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trouver pour vous, avec l’aide de ceux qui le soutiennent. Voici quels sont ces
159
prix…

252. Selon Kabanda, cette émission qu’il a attribuée à Gaspar Gahigi, n’était pas la seule
fois où la RTLM aurait évoqué le concours, l’ayant fait une autre fois le même jour, par la
voix d’un journaliste non identifié. Dans une émission de la RTLM du 2 avril 1994, à la suite
de la parution du numéro 59 de Kangura, Valérie Bemeriki évoquait également le concours
en ces termes :
« Le concours de Kangura en est à sa deuxième phase. Beaucoup de prix peuvent
être gagnés. Les industriels nous en ont donné beaucoup. Achetez le n° 59 de
Kangura et envoyez-nous la feuille intercalaire qui s’y trouve et sur laquelle vous
inscrirez vos réponses aux questions posées. Vous devez également nous dire ce que
vous pensez des journalistes de RTLM. Donnez-leur des notes selon l’écoute que
vous leur consacrez. Les étudiants qui sont en vacances peuvent également participer.
Pour que votre participation soit acceptée, il vous faut envoyer trois pages attachées
160
ensemble et prises dans les numéros 58, 59 et 60 de Kangura ».

253. À la question à lui posée lors de son contre-interrogatoire, de savoir pourquoi il avait
choisi d’organiser un concours qui obligeait ses lecteurs à consulter tous les anciens numéros
de Kangura, Ngeze a répondu que les concours étaient pratique courante dans les médias et
que Kangura en avait organisé beaucoup depuis sa naissance, renvoyant en particulier à la
page 17 du numéro 2 de Kangura, de juin 1990. La Chambre a demandé à Ngeze une liste de
ces concours161, qu’il ne lui a pas remise. Elle a également demandé à Kabanda s’il y avait
déjà eu des concours dans Kangura. Ce dernier a répondu par l’affirmative, parlant d’un paru
en 1992, sans pouvoir en fournir la preuve. Selon lui, le concours en question n’était pas de
même nature et posait des questions très spécifiques au lieu de se cantonner à des questions
relatives à la lecture d’anciens numéros de Kangura162. La page 17 du numéro 2 de Kangura,
paru en juin 1990, comportait un questionnaire qui demandait aux lecteurs de livrer leurs
commentaires sur les performances de diverses personnalités de Gisenyi. Ce n’était pas un
concours et cela ne renvoyait à aucune autre information parue dans un autre numéro de
Kangura.
254. Interrogé au sujet de ce concours, Nahimana a déclaré qu’il n’avait jamais été soumis
au Comité d’initiative de la RTLM. Ce genre de concours était très commun et existait
partout dans le monde. Il a affirmé qu’il n’y avait aucun lien entre la RTLM et Kangura.163
Lors de son contre-interrogatoire, on a fait valoir à Kabanda que ce concours était une
opération de marketing conjointe, entreprise dans un but commercial. Le témoin a reconnu
que Kangura comme la RTLM avaient des bénéfices à retirer de cette opération, mais qu’il
ne pouvait pas en conclure que leur seule motivation était d’ordre commercial, évoquant
l’aspect pédagogique, selon lui significatif, de ce concours164.
159

Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 198 et 199.
Pièce à conviction P103/190, K0147064.
161
Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 18.
162
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 201.
163
Compte rendu de l’audience du 24 septembre 2002, p. 101 et 102.
164
Compte rendu de l’audience du 11 juillet 2002, p. 217 et 218.
160

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Appréciation de la preuve
255. La Chambre a étudié le texte du concours de Kangura, en s’arrêtant sur l’introduction,
les questions, le sondage concernant les présentateurs de la RTLM, les autres références à la
RTLM, ainsi que les éléments de preuve relatifs à la promotion de ce concours sur les ondes
de la RTLM. La publicité de ce concours par la RTLM, le fait que les participants aient été
invités à s’adresser à la RTLM et que les prix se soient trouvés à la RTLM, ainsi que le
sondage concernant les journalistes de la RTLM et demandant des commentaires destinés à
améliorer les prestations et programmes, sont autant de preuves que ce concours était une
initiative conjointe de Kangura et de la RTLM. La Chambre relève que de telles
collaborations au sein des médias sont très courantes et que les journaux et les radios du
monde entier prennent souvent de telles initiatives dans un objectif de rentabilité
commerciale ou de programmation. Néanmoins, elle considère que les éléments de preuve
intéressant ce concours établissent qu’il s’agissait d’une activité coordonnée entre Kangura et
la RTLM. La Chambre relève aussi que ce concours était récompensé par un prix réservé aux
seuls militants de la CDR.
256. Selon l’introduction, ce concours se voulait un effort pour sensibiliser le public aux
idées de Kangura. Le témoin expert Marcel Kabanda a déclaré qu’en cherchant les réponses
aux questions posées il avait identifié 13 numéros et que, pour ce faire, il avait dû en
consulter trois fois plus. La Chambre estime qu’il est évident que pour répondre aux
questions se rapportant à 13 numéros différents, il fallait sans doute consulter un très grand
nombre de livraisons de Kangura, ce qui – semble-t-il – était bien le but de l’opération. La
plupart des questions posées, pour ne pas dire toutes, étaient d’ordre politique. Étant donné
son objectif déclaré, cette opération tendait en fait à familiariser le lecteur avec des numéros
antérieurs et les idées de Kangura.
Conclusions factuelles
257. La Chambre conclut que le concours organisé deux fois en mars 1994, dans les
numéros 58 et 59 de Kangura était une entreprise conjointe de Kangura et de la RTLM,
destinée à familiariser les lecteurs de Kangura et les auditeurs de la RTLM avec le contenu et
les idées de Kangura, tels que véhiculés dans ses anciennes livraisons. La Chambre considère
que ce concours était conçu pour orienter les participants vers tous les numéros déjà parus du
journal et qu’ainsi Kangura les avait effectivement et délibérément remis en circulation en
mars 1994.

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3.

La CDR

3.1

Création et direction de la CDR

258. La Coalition pour la défense de la République (la CDR), ou Impuzamugambi
Ziharanira Repubulika en kinyarwanda, créée en février 1992165, a été enregistrée comme
parti politique en mars 1992166. Le préambule des statuts de la CDR évoque « la nécessité de
préserver les acquis de la Révolution sociale de 1959 » et le souci de « renforcer l’unité des
masses populaires », concluant : « Les soussignés ont convenu de créer un parti politique
pour mieux faire entendre leur voix et défendre leurs idées au sein des différents organes de
l’État, dans le respect de la Constitution et des lois et règlements167 ». Les statuts décrivent le
drapeau rouge, noir et jaune de la CDR – ces couleurs représentant respectivement, le rouge,
le sang versé pour la révolution de 1959 et la défense de la démocratie et de la République, le
noir, la République, confirmée par le référendum de 1961, expression irrévocable de la
volonté populaire, et le jaune, le soleil, symbole de la victoire sur la féodalité et la monarchie,
le cercle incarnant l’unité des masses populaires. Les statuts définissaient la devise du parti :
« Unité et Solidarité » et déclaraient que l’adhésion au parti était libre et volontaire, ouverte à
toute personne majeure de nationalité rwandaise. La structure du parti était éclatée
géographiquement, avec des assemblées communales et régionales et une assemblée générale
qui réunissait tous les membres de l’assemblée régionale, et un comité exécutif dont le
président était celui du parti. Au nombre des 51 signataires des statuts de la CDR étaient
Théoneste Nahimana, Stanislas Simbizi, Jean-Bosco Barayagwiza, Martin Bucyana, Noël
Hitimana et Hassan Ngeze168.
259. L’assemblée constituante de la CDR s’est réunie le 22 février 1992 à l’Hôtel
Urugwiro de Kigali. Il ressort du procès-verbal de cette réunion que les statuts ont été adoptés
à cette occasion. A été élu un Comité exécutif provisoire de 10 membres, dont Martin
Bucyana, Théoneste Nahimana, Antoine Rutegesha Misago, Jean-Baptiste Mugimba et
Stanislas Simbizi. Martin Bucyana est élu président, Théoneste Nahimana, Premier VicePrésident, Antoine Rutegesha Misago, Second Vice-Président, et Jean-Baptiste Mugimba,
Secrétaire Général169. Outre le procès-verbal, ont été versés au dossier une cassette vidéo de
l’assemblée constituante de la CDR ainsi qu’une note résumant cette vidéo établie par les
conseils de Nahimana 170 . Il ressort de cette note qu’après une introduction de Stanislas
Simbizi, Barayagwiza a expliqué pourquoi les fondateurs avaient créé la CDR et exposé les
165

Les statuts de la CDR sont datés du 18 février 1992 (Pièce à conviction 2D9), et les rapports de l’assemblée
constituante semblent indiquer que la réunion au cours de laquelle ces statuts ont été adoptés s’est tenue le
22 février 1992 (Pièce à conviction 2D12).
166
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 59 à 61.
167
La Chambre relève que dans la publication des statuts de la CDR dans le numéro spécial de Kangura paru en
1992, figure dans le préambule un paragraphe additionnel qui dit : « Reconnaissant les droits de chaque individu
de réclamer son appartenance à l’une des trois ethnies qui forment la société rwandaise, sans sectarisme ni
racisme ». La pièce à conviction 2D9 est le texte de ces statuts qui ont été présentés à la Chambre et, étant donné
qu’il s’agit d’une copie signée et authentifiée devant notaire, la Chambre n’a pas jugé bon de retenir ce
document supplémentaire aux fins de l’examen des statuts de la CDR.
168
Pièce à conviction 2D9.
169
Pièce à conviction 2D12.
170
Pièce à conviction 1D66B.
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objectifs du parti, déclarant que le MRND prêchait depuis 17 ans l’unité entre Hutus et
Tutsis, mais que la concorde entre ces deux groupes ethniques n’avait pas encore réussi à
s’enraciner au Rwanda. L’unité entre Hutus et Tutsis était impossible. En revanche, il fallait
établir un contrat social entre ces deux populations, pour qu’elles puissent vivre en entente et
convenir des mécanismes de gouvernement. Selon Barayagwiza, la CDR ne faisait pas de
discrimination ethnique, ne dirait jamais à quelqu’un d’aller détruire une habitation d’un
Tutsi ou d’aller le découper à la machette, et combattrait tous ceux qui voudront créer des
troubles dans le pays, qu’ils soient des Hutus, des Tutsis ou des Twas. Barayagwiza disait que
les Tutsis avaient leurs propres problèmes et avaient créé des partis qui s’occupent de ceuxci ; les Hutus avaient également besoin de leurs propres partis pour répondre aux problèmes
qui leur étaient propres et c’était là la raison pour laquelle les participants à l’assemblée
constituante avaient décidé de fonder la CDR. Après signature des statuts devant notaire,
Barayagwiza avait répondu aux questions portant sur l’idéologie de la CDR. Puis, il avait
présenté les chefs de délégations venues de toutes les préfectures du Rwanda, dont Martin
Bucyana et Stanislas Simbizi, et annoncé la future constitution du bureau national de la CDR,
faisant sans doute ainsi référence aux membres du comité exécutif nommés dans le procèsverbal de la réunion. Jean-Baptiste Mugimba avait proclamé Martin Bucyana Président du
bureau national de la CDR. Ni Barayagwiza ni Ngeze n’avaient été nommés comme chef de
préfecture ou membre du bureau national171.
260. Le témoin expert cité comme témoin à charge, Alison Des Forges, a déclaré qu’entre
1992 et 1993, il régnait une forte tension entre Bucyana et Barayagwiza. Celui-ci refusait
d’assumer publiquement la direction du parti, mais voulait en être le décideur. Cette attitude
avait conduit à une crise en juillet 1992, Bucyana suspendant sa participation au parti, ce qui
avait créé un grand embarras que le comité exécutif avait tenté de résoudre. Un an plus tard,
en août 1993, Barayagwiza partait en mission pour l’Europe pour représenter la CDR sans en
avoir référé au préalable au Président ou au Secrétaire général, initiative vivement critiquée
par le comité exécutif. Des Forges avait appris cet incident en consultant des documents
internes de la CDR. Elle a parlé d’une lettre indiquant que Bucyana n’avait pas l’impression
de contrôler le parti et considérait que le défi venait d’un nordiste, lui-même étant sudiste172.
Elle a ajouté qu’elle estimait que ce nordiste c’était Barayagwiza, que Bucyana n’osait pas
nommer173. Des Forges a déclaré que, selon l’expert en écritures qui avait étudié un discours
tapé à la machine et devant être prononcé par Bucyana à l’occasion de la reconnaissance
officielle du parti en 1992, les discours écrits par Bucyana étaient ensuite corrigés par
Barayagwiza. Ce discours était émaillé de nombreuses rectifications manuscrites, attribuées
par l’expert à Barayagwiza, et incorporées ultérieurement au discours définitif174.
261. Nombre de témoins ont déclaré que sans avoir été nommé membre du bureau de la
CDR lors de l’assemblée constituante, Barayagwiza étant le véritable chef du parti. Le témoin
X a dit de Barayagwiza qu’il était le membre le plus puissant de la CDR ajoutant que Martin
Bucyana, Président de la CDR, était un homme de paille, choisi pour démontrer qu’il y avait
au sein de la CDR des hommes puissants originaires du Sud, car la majorité des membres de
171

Id.
Pièce à conviction P138 ; compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 92 à 100.
173
Ibid., p. 92 à 100, 104 à 111.
174
Ibid., p. 113 et 114, 119 à 121 ; pièce à conviction P141 ; compte rendu de l’audience du 12 juillet 2002,
p. 186 et 187.
172

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ce parti étaient originaires du Nord175. Dans un article écrit en octobre 1995 à propos de
l’assassinat d’Habyarimana, le Colonel Bagosora qualifiait Barayagwiza de leader de la
CDR176 et, à la barre, Nahimana a parlé de Barayagwiza comme étant l’un des dirigeants de
la CDR, qui s’était tenu aux côtés de Bucyana sur le devant du podium lors d’un meeting de
la CDR 177 . Omar Serushago a déclaré que Barayagwiza était le fondateur de l’idéologie
extrémiste de la CDR178. Il a dit que personne n’avait un rang plus élevé que le président qui
n’était autre que Barayagwiza179. Des Forges a dit de Barayagwiza qu’il était le membre le
plus important de la CDR180. Elle a affirmé que lors d’une communication téléphonique,
David Rawson, ambassadeur des États-Unis au Rwanda en 1994, lui avait dit que lorsqu’il
s’entretenait avec la CDR, son interlocuteur était Barayagwiza 181 . Le témoin à charge
François-Xavier Nsanzuwera, à l’époque Procureur de Kigali, a déclaré que Barayagwiza
était l’un des dirigeants de la CDR et qu’en 1993 et 1994, c’était Barayagwiza qui l’avait
appelé en cette qualité après l’arrestation de miliciens Impuzamugambi poursuivis pour actes
criminels, en particulier des meurtres, pour lui demander d’intercéder en leur faveur et de les
remettre en liberté, avertissant le procureur qu’il en allait de sa carrière182. Dans une lettre
datée du 30 décembre 1993, adressée au Général Dallaire, signée Bucyana et réclamant une
protection spéciale de la MINUAR pour les membres du comité exécutif de la CDR,
Barayagwiza et Ngeze figuraient en fin de liste183. Ngeze a déclaré qu’il avait prié Bucyana
d’inclure son nom dans ce courrier car l’ONU ne protégeait que les dirigeants des partis
politiques. La MINUAR avait alors demandé qu’on lui communique les documents officiels
détaillant l’organigramme du parti et comme le nom de Ngeze n’y figurait pas, il n’avait pas
bénéficié de sa protection. Il a ajouté que la MINUAR avait refusé d’accorder sa protection à
Barayagwiza pour les mêmes raisons, car il n’avait pas été élu au bureau de la CDR184.
262. Plusieurs témoins ont déclaré qu’au sein de la CDR, Barayagwiza était le bras droit du
Président Martin Bucyana. Le témoin à charge LAG, un Hutu, membre de la section de
Cyangugu du PL, a déclaré que la CDR comptait parmi les partis politiques actifs de
Cyangugu et qu’il avait appris de la bouche du directeur de sa préfecture que Bucyana était le
président de la CDR et que Barayagwiza était le « numéro deux » du parti185. Le témoin à
charge ABC, Hutu employé dans un magasin de Kigali loué à Bucyana, qui avait son bureau
dans le même bâtiment, a affirmé que les réunions de la CDR se tenaient dans cet immeuble
et que Barayagwiza, qui y assistait, était l’adjoint de Bucyana dans la CDR. Ils avaient
interrompu ces réunions après la mort de Bucyana au début de 1994. Il ne connaissait pas les
noms des autres membres du bureau de la CDR, élus lors l’assemblée constituante186. Selon
le témoin expert à charge, Marcel Kabanda, Barayagwiza et Ngeze étaient tous deux

175

Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 63 et 64.
Pièce à conviction P142, p. 26 ; compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 152 à 154.
177
Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 106 à 110.
178
Compte rendu de l’audience du 20 novembre 2001, p. 76 et 77.
179
Compte rendu de l’audience du 21 novembre 2001, p. 135 à 138.
180
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 59 à 61.
181
Ibid., p. 170 à 172.
182
Compte rendu de l’audience du 24 avril 2001, p. 5 à 12.
183
Pièce à conviction P107/37 ; compte rendu de l’audience du 21 mai 2001, p. 148 à 150.
184
Compte rendu de l’audience du 28 mars 2003, p. 28 à 30.
185
Compte rendu de l’audience du 30 août 2001, p. 44 à 46, 57.
186
Compte rendu de l’audience du 28 août 2001, p. 5 à 14.
176

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conseillers de la CDR alors que Bucyana en était le Président187. Le témoin AFB a affirmé
qu’en 1993, lors d’un meeting de la CDR tenu dans le stade Umuganda, Barayagwiza et
Ngeze avaient été présentés comme délégués de la CDR et s’étaient levés188.
263. Ngeze a déclaré que Barayagwiza et lui avaient été nommés conseillers politiques de
la CDR, pour avoir participé à sa fondation. Le terme « conseiller » était attribué aux
membres fondateurs qui avaient signé les statuts lors de la cérémonie d’inauguration. Selon
Ngeze, compte tenu de ses fonctions de directeur des affaires étrangères au Ministère des
affaires étrangères, on confiait parfois à Barayagwiza la tâche de s’exprimer au nom de la
CDR à l’étranger. Comme il voyageait souvent, la CDR en profitait pour le faire parler au
nom du parti là où il se trouvait. Cependant, il ne le faisait que s’il en avait reçu
l’autorisation. Ngeze a déclaré que bien qu’il eût signé les statuts de la CDR, il n’en était pas
devenu membre pour être sûr que la CDR lui réglerait les encarts publicitaires passés dans
Kangura, ce qui n’aurait pas été le cas autrement189. Le témoin à décharge B3, militant de la
CDR, titulaire d’un doctorat et professeur à l’université, a affirmé à la barre que les membres
du bureau de la CDR étaient ceux qui avaient été nommés lors de l’assemblée constituante. Il
a ajouté que Barayagwiza n’avait jamais été Vice-Président de la CDR, mais qu’il avait été
nommé conseiller à l’échelon national. Il a affirmé qu’à sa connaissance, Ngeze n’avait été
élu ni nommé à un poste quelconque dans la CDR au niveau national190. Le numéro 41 du
Kangura, paru en mars 1993, avait publié une photographie de Barayagwiza, Ngeze et
Bucyana, avec une légende précisant que Barayagwiza et Ngeze étaient conseillers de la CDR
et que Bucyana en était le Président191.
264. Selon plusieurs témoins à charge, Barayagwiza était le Président de la section de la
CDR de Gisenyi. Parmi eux, Thomas Kamilindi a affirmé qu’il était également membre du
comité exécutif et Alison Des Forges a précisé que la section de Gisenyi était la plus
importante et la plus puissante192. Le témoin expert à charge Jean-Pierre Chrétien a dit de
Barayagwiza qu’il était un membre du comité de direction de la CDR193. Le témoin AHI,
chauffeur de taxi hutu actuellement en prison à Gisenyi et inculpé de génocide, a déclaré que
Barayagwiza avait remplacé Balthazar à la tête de la CDR à Gisenyi, à la suite de la
démission de Balthazar entre septembre et novembre 1992 194 . Le témoin à charge EB,
professeur tutsi de Gisenyi, a dit que Barayagwiza était le Président de la CDR au niveau de
la préfecture195. Le témoin à charge AFX, fonctionnaire tutsi de Gisenyi, a également déclaré
que Barayagwiza était le Président de la CDR au niveau de la préfecture et qu’Hassan Ngeze
était son adjoint. Il a ajouté que Barayagwiza organisait les réunions de la CDR à Gisenyi196.
Le témoin à charge Omar Serushago, chef Interahamwe de Gisenyi, a déclaré que
Barayagwiza était le président de la CDR dans la préfecture de Gisenyi et que Barnabé
187

Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 167 à 172.
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2002, p. 24 et 25.
189
Compte rendu de l’audience du 28 mars 2003, p. 13 à 20, 21 et 22.
190
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 24 à 26.
191
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 167.
192
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2001, p. 66 à 68 ; compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 144
et 145.
193
Compte rendu de l’audience du 3 juillet 2002, p. 288 à 291.
194
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 61 à 63.
195
Compte rendu de l’audience du 15 mai 2001, p. 151 et 152.
196
Comptes rendus des audiences du 3 mai 2001, p 7 à 9 et du 7 mai 2001, p. 38 et 39.
188

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Samvura était le Président de la section de la jeunesse CDR à Gisenyi, fonction qu’il exerçait
dans la ville de Gisenyi. Il a ajouté que Ngeze avait adhéré à la CDR dès sa constitution entre
1992 et 1993 et qu’il était l’adjoint de Samvura dans les jeunesses de la ville de Gisenyi.
Serushago a déclaré que Ngeze était le coordinateur des activités de la CDR à Kigali et à
Gisenyi et un membre influent de la CDR, proche de Barayagwiza197.
265. Ngeze a déclaré que Barayagwiza avait remplacé Samvura à la présidence de la CDR
à Gisenyi. En tant que représentant de Gisenyi, il faisait partie du comité national. 198
266. D’après nombre de témoins à charge, dont ABC, LAG, Serushago, Kamilindi,
Kabanda199 et Des Forges200, après la mort de Martin Bucyana en février 1994, Barayagwiza
lui avait succédé comme Président de la CDR. Le témoin ABC a dit qu’il savait que
Barayagwiza était devenu le Président de la CDR, parce que cette nouvelle avait été annoncée
sur les ondes de la RTLM201. Serushago a dit l’avoir entendu sur Radio Rwanda et que cette
information lui avait par la suite été confirmée lorsqu’il avait rencontré Samvura dans la ville
de Gisenyi202. Le témoin LAG a déclaré qu’à l’enterrement de Bucyana, Barayagwiza avait
été interviewé par la télévision rwandaise. C’était la seule personnalité à être ainsi
interviewée et il semblait être celle qui représentait le parti. On disait que Barayagwiza avait
succédé à Bucyana en tant que président après sa mort, bien qu’il n’eût jamais entendu parler
d’élections à ce sujet203. Le témoin AHB a dit avoir entendu dire que Barayagwiza était le
président de la CDR, mais a précisé qu’il n’avait pas été témoin de son élection à ce poste204.
Kamilindi a affirmé que Barayagwiza était également resté Président de la branche de
Gisenyi de la CDR205. À la barre, Ngeze a nié que Barayagwiza soit devenu le leader de la
CDR après la mort de Bucyana et a maintenu que Barayagwiza n’était devenu Président de la
branche de Gisenyi qu’en 1994. Le numéro 58 de Kangura, paru en mars 1994, rapportait
qu’après sa mort, Barayagwiza avait remplacé Bucyana à la tête de la CDR. Ngeze a expliqué
que Barayagwiza s’était exprimé au nom de la CDR lors des obsèques à Cyangugu et qu’en
conséquence les gens, dont son journaliste, avaient déduit que Barayagwiza avait remplacé
Bucyana à la présidence du parti. Le numéro 59 de Kangura affirmait aussi que Barayagwiza
avait remplacé Bucyana à la présidence de la CDR. Interrogé sur ce sujet, Ngeze a déclaré
que Kangura n’était ni la Bible ni le Coran. Il a réitéré que Barayagwiza n’avait jamais
remplacé Bucyana206.
267. Dans son livre, Le Sang hutu est-il rouge ?, Barayagwiza écrivait qu’il n’avait jamais
été un leader du parti à l’échelon national pas plus que Président de la CDR, bien qu’il fût fier
de reconnaître en avoir été un membre fondateur et porter le titre de conseiller du comité
exécutif. Il disait avoir été Président du comité régional de Gisenyi à partir du 5 janvier 1994.
197

Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 85 à 95.
Compte rendu de l’audience du 28 mars 2003, p. 17 et 18.
199
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 166 à 169.
200
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 59 à 61.
201
Compte rendu de l’audience du 28 août 2001, p. 5 à 14.
202
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 85 à 95.
203
Compte rendu de l’audience du 30 août 2001, p. 43 à 47, 59 et 60.
204
Compte rendu de l’audience du 27 novembre 2001, p. 158 et 159.
205
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2001, p. 66 à 68.
206
Compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p.58 à 62.
198

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Il ajoutait que conformément aux statuts, à la mort du président Bucyana en février 1994, le
Premier Vice-Président devenait automatiquement Président par intérim207.
268. Nahimana a déclaré n’avoir participé en rien à la création de la CDR, n’avoir jamais
assisté à ses réunions, si ce n’est au premier meeting public dans le stade de Nyamirambo à
Kigali entre juin et août 1992. Il a ajouté que Théoneste Nahimana et autres avaient
démissionné du MRND pour créer la CDR et que Théoneste Nahimana en était plus tard
devenu Vice-Président. Nahimana pensait que certains témoins à charge l’avaient confondu
avec Théoneste Nahimana 208 . Ngeze a affirmé que Nahimana n’était pas présent lors de
l’inauguration de la CDR et qu’à sa connaissance Ferdinand Nahimana n’était pas membre de
la CDR209. Selon le témoin à décharge I2, Nahimana n’avait jamais été membre de la CDR210.
En 1992, Nahimana, d’autres personnes et lui-même, avaient formé une association appelée
Le Cercle des Républicains progressistes, ou CRP, qui prônait la réforme du MRND et
l’intégration de tous les groupes et partis ethniques. Nahimana était le Deuxième VicePrésident du CRP et, aux dires du témoin I2, les gens faisaient souvent la confusion entre la
CDR et le CRP, qui luttaient tous deux pour des valeurs républicaines211. Selon le témoin à
décharge B3, professeur d’université titulaire d’un doctorat et membre de la CDR, Nahimana
était membre du MRND et n’avait jamais adhéré à la CDR. Bien que le témoin B3 eût tenté
de le persuader de s’inscrire, Nahimana n’avait jamais voulu rejoindre la CDR qu’il
considérait comme un parti pro-ethnique, alors que lui-même défendait la paix et l’unité212.
Le témoin à décharge D3, membre du MDR qui connaissait Nahimana, a également déclaré
que Nahimana n’avait pas participé à la création de la CDR et n’avait jamais été
officiellement ou officieusement membre de ce parti 213 . Nahimana ne figure pas sur la
cassette vidéo de la cérémonie d’inauguration de la CDR et n’est pas signataire de la
Constitution de la CDR214.
269. Dans un passage du livre d’André Guichaoua, Les Crises politiques au Burundi et au
Rwanda (1993-1994), Nahimana est identifié entre parenthèses comme membre de la
CDR215. La photographie de Nahimana, dans un groupe de gens dont certains portent un tshirt et une casquette CDR, apparaît en dernière page du numéro 35 de Kangura. Nahimana
ne porte ni t-shirt ni casquette de la CDR. Sous la photographie, on peut lire la légende : « Le
parti du peuple, la CDR, condamne ce gouvernement fait de complices … »216. Nahimana
s’est lui-même identifié sur cette photo et a dit que ce meeting avait eu lieu entre juin et août
1992. Selon lui, cette photographie n’incluait pas tous les participants. Par exemple, on n’y
voyait pas Barayagwiza, qui se trouvait dans les premiers rangs du podium, en compagnie de
207

Pièce à conviction 2D35, p. 230 et 231.
Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 74 à 84.
209
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 10 à 12.
210
Compte rendu de l’audience du 24 octobre 2002, p. 139 à 143.
211
Comptes rendus des audiences du 25 octobre 2002, p. 25 à 35, 47 et 48, 66 à 68, du 25 octobre 2002 (Fr.),
p. 30, et du 28 octobre 2002, p. 219 à 222.
212
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 17 à 19.
213
Compte rendu de l’audience du 13 Jan. 2003, p. 12 et 13.
214
Pièce à conviction 1D66A ; pièce à conviction 2D9.
215
Pièce à conviction 1D151, p. 698.
216
Le texte original en kinyarwanda dit : “Ishyaka Rya Rubanda CDR Riramagana Guverinoma Igizwe
N’Ibyitso. Byagaragariye Kuri Ministri Ngurinzira Ushinzwe Ububanyi N’Amahanga. Mu Mezi Abiri Igomba
Kuba Yeguye”.
208

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Bucyana et d’autres217. Ngeze a déclaré que cette photographie avait été prise lors d’un match
de football et a nié que la légende, qu’il avait lui-même écrite, eût exprimé leur opinion, étant
donné que Nahimana n’était pas membre de la CDR et qu’une autre personne présente sur la
photographie était membre du FPR218.
270. Le Bureau du Procureur a produit une série de photographies sur lesquelles Ngeze
porte les couleurs de la CDR (P248). Il a reconnu ces photos et admis qu’il portait bien les
couleurs de la CDR. Il a ajouté avoir assisté à un meeting du FPR à Kinihira, auquel il avait
porté un t-shirt et une casquette FPR, sans en être membre219. La Chambre l’a également
interrogé sur une photographie de la dernière page du numéro 40 de Kangura dans laquelle il
porte une cravate de la CDR. On pouvait lire sous la photo : « Nous accepterons d’aller en
prison, nous accepterons de faire couler notre propre sang, mais nous continuerons à protéger
les intérêts des Bahutu », suivi du nom de Ngeze 220 . Ngeze a affirmé qu’il s’agissait de
présenter des excuses aux Hutus du Sud qui avaient été tués en grand nombre par
Habyarimana et que c’était une manière de protéger les intérêts hutus 221 . La Chambre a
demandé à Ngeze pourquoi il arborait une cravate de la CDR dans Kangura. Il a expliqué
qu’à l’époque, il avait été emprisonné par le régime d’Habyarimana et que ses collaborateurs
avaient agi ainsi pour rassurer ses adversaires et leur prouver qu’il n’était pas un Inkotanyi222.
Cette même photographie était apposée à l’éditorial dans le même numéro, mais cette fois
Ngeze ne portait pas cette cravate.
Appréciation de la preuve
271. La Chambre s’intéresse à la crédibilité des témoins AFX, EB, AHB, X, LAG, ABC,
AFB, AHI, Kamilindi, Serushago, D3, Nahimana et Ngeze aux paragraphes 712, 812, 724,
547, 333, 331, 815, 775, 683, 816 et 334, ainsi que dans les sections 5.4 et 7.6
respectivement.
272. Il ressort clairement des éléments de preuve documentaires concernant la direction de
la CDR que Martin Bucyana avait été le premier Président du parti et que ni Barayagwiza ni
Ngeze n’avait fait partie des membres du comité exécutif nommés par l’assemblée
constituante de la CDR en février 1992. Nonobstant cet organigramme formel, il appert
également des éléments de preuve que Barayagwiza avait joué un rôle fondamental, si ce
n’est le tout premier rôle, dans la création et la direction de la CDR dès l’origine. En
l’occurrence, parmi les pièces à conviction, on retiendra le discours prononcé par Bucyana
lors de la présentation officielle du parti et corrigé personnellement de la main de
Barayagwiza, ainsi que la vidéocassette de cette réunion qui montre Barayagwiza dans un
rôle de dirigeant, présentant le parti et ses objectifs, les chefs de délégation de chaque
préfecture et répondant aux questions posées sur l’idéologie de la CDR. Il ressort également
217

Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 204 à 213.
Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 45 à 51.
219
Ibid., p. 51 à 54.
220
Traduction de Ngeze. Le texte original en kinyarwanda est le suivant : “Tuzemera Dufungwe, Twemere
Tumene Amaraso Yacu Ariko Turengere Inyungu Z’Abahutu” ; compte rendu de l’audience du 3 avril 2003,
p. 23.
221
Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 23 et 24.
222
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 34 à 36.
218

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des dépositions de témoins que Barayagwiza avait continué à assumer ce rôle de premier plan
en 1993 et 1994. L’ambassade des États-Unis le considérait comme le représentant de la
CDR dont il était le porte-parole au bureau du procureur de Kigali. Nombreux étaient ceux
qui voyaient en lui le vrai décideur qui travaillait dans l’ombre, l’adjoint ou le « numéro
deux » du président Bucyana.
273. La Chambre conclut que, sans avoir été nommé initialement Président de la CDR de
Gisenyi en 1992, à un moment donné avant la mort de Bucyana en février 1994, Barayagwiza
en avait formellement assumé les fonctions. Selon le témoin AHI, Barayagwiza avait
remplacé Balthazar. Selon Ngeze, il avait succédé à Samvura. Outre AHI et Ngeze, plusieurs
témoins, dont BI, AFX, Serushago, Kamilindi et Des Forges, ont convenu que Barayagwiza
était le chef de la CDR à Gisenyi. D’autres ont dit de Barayagwiza qu’il était membre du
comité national, parlant ainsi du comité exécutif. Chef de la CDR dans la préfecture de
Gisenyi, Barayagwiza semble avoir été par cette qualité membre du comité exécutif national
de la CDR, comme Ngeze l’a indiqué dans sa déposition. Lors de l’assemblée constituante, le
comité exécutif était constitué des délégués régionaux de la CDR nommés. Bien que la date à
laquelle Barayagwiza avait formellement pris ces fonctions ne soit pas précisée, c’était
quelque temps avant la mort de Bucyana en février 1994. Il est constant qu’après la mort de
Martin Bucyana, Barayagwiza a assumé les fonctions de Président de la CDR, officialisant
ainsi son rôle de chef au sein du parti. Le témoin ABC avait entendu cette information sur les
ondes de la RTLM et Serushago sur Radio Rwanda. Kangura s’en était également fait l’écho
à deux reprises. Vu ces archives de son propre journal, on a d’autant moins de raison
d’ajouter foi aux dires de Ngeze selon lesquelles Barayagwiza n’avait pas remplacé Bucyana.
274. Ngeze a déclaré qu’il n’était pas membre de la CDR parce qu’il voulait être payé par
la CDR pour l’achat d’espace publicitaire dans Kangura. Ngeze était présent et actif lors de
l’assemblée constituante et signataire de la constitution de la CDR. Il ne siégeait pas au
bureau du parti, même si tout porte à croire qu’il y ait joué un rôle actif, à tel point que le
témoin AFX pensait qu’il était l’adjoint de Barayagwiza. Ngeze a reconnu qu’il était l’un des
membres fondateurs de la CDR et qu’il avait été nommé conseiller de ce parti. Il ressort
clairement de sa déposition qu’il soutenait la CDR et plusieurs de ses photographies, dont une
parue dans Kangura dans laquelle il porte une cravate de la CDR, l’identifiaient à la CDR
aux yeux de l’opinion. La Chambre considère qu’il est manifeste au regard de ces
photographies que cette cravate de la CDR avait été montée en surimpression sur un ancien
cliché de Ngeze. Cependant, elle relève qu’à sa sortie de prison, si tant est qu’il ait été
emprisonné à l’époque, Ngeze n’avait pas cherché à démentir l’impression créée par cette
photographie, qu’il était militant de la CDR ou se reconnaissait dans sa ligne politique. Sans
être effectivement titulaire d’une carte de membre de la CDR, il était néanmoins considéré
comme ayant été activement associé à ce parti où il exerçait d’ailleurs des activités, ne seraitce qu’informelles. Il avait en effet soutenu et défendu ce parti.
275. Rien n’autorise à dire que Nahimana ait été présent lors de l’assemblée constituante
de la CDR ou ait participé à la fondation du parti et il n’y a guère de preuve qu’il était même
membre de la CDR. La Chambre accepte l’affirmation de Nahimana que la photographie à la
dernière page du numéro 35 du Kangura a été prise lors du meeting de la CDR auquel il avait
participé, ce qui cadre avec sa légende ; elle relève que Nahimana ne portait ni casquette ni tshirt de la CDR, à la différence d’autres personnes figurant sur ce même cliché. La Chambre
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considère que Ferdinand Nahimana a très bien pu avoir été confondu avec Théoneste
Nahimana, l’un des Vice-Présidents de la CDR, confusion à laquelle est sans doute venue
s’ajouter la qualité de Vice-Président du CRP qu’avait Nahimana Ferdinand.
Conclusions factuelles
276. La Chambre conclut que Jean-Bosco Barayagwiza était l’un des principaux fondateurs
de la CDR et a joué un rôle prépondérant dans sa fondation et son essor. Sans avoir été à
l’origine membre du bureau de la CDR, Barayagwiza était regardé comme un décideur au
sein du parti – et l’était en fait – travaillant en coulisses, dans l’ombre du président de la
CDR, Martin Bucyana, techniquement comme conseiller. À un moment donné, avant février
1994, Barayagwiza était devenu chef de la CDR de la préfecture de Gisenyi et membre du
Comité exécutif national. En février 1994, après l’assassinat de Martin Bucyana,
Barayagwiza lui a succédé.
277. La Chambre conclut que Hassan Ngeze était membre fondateur de la CDR, actif au
sein de celle-ci où il jouait le rôle de conseiller. Elle conclut que Ferdinand Nahimana n’était
pas membre de la CDR.
3.2

Politique de la CDR

278. Selon le témoin expert à charge Alison Des Forges, l’objectif de la CDR, tel qu’il
ressortait de ses communiqués de presse, des prises de position de ses dirigeants, des écrits de
Barayagwiza et du comportement de ses militants, était de rallier tous les Hutus,
indépendamment de leurs allégeances politiques antérieures, à la défense de la République. Il
s’agissait de rassembler tous les Hutus en un front commun contre les Tutsis, considérés
comme complices du FPR. Si le programme du parti et les écrits de Barayagwiza parlaient
d’user de moyens pacifiques pour atteindre ces objectifs, les textes émanant de la CDR
contenaient également une menace voilée de recours à la force. À l’appui de cette
affirmation, Des Forges a invoqué une lettre adressée par Barayagwiza au rédacteur en chef
du journal belge La Libre Belgique. Ce courrier, daté du 11 juillet 1992, était la réponse à un
article publié par ce journal qui, selon Barayagwiza, parlait de lui d’une manière inexacte et
préjudiciable. Il y évoque des négociations entre le Gouvernement et le FPR, en ces termes :
Je ne participe pas à ces négociations, mais je souhaite, comme tout bon patriote,
qu’elles aboutissent à un compromis acceptable pour le peuple rwandais et
spécialement pour la majorité HUTU, à qui la minorité TUTSI veut arracher le
pouvoir par la force et la violence223.

279. Barayagwiza disait dans cette lettre qu’il ne pouvait exercer aucune influence sur ces
négociations ni par ses fonctions au Ministère des affaires étrangères, ni comme membre de
la CDR, précisant ceci : « Par ailleurs, mon parti, la CDR, ne fait pas partie du Gouvernement
et n’a pas été associé à la préparation de ces négociations224 ». Il évoquait ensuite les tortures
et les meurtres de citoyens rwandais perpétrés par les Inyenzi-Inkotanyi et s’étonnait que leur
223
224

Pièce à conviction P136.
Id.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

chef Kagame puisse prétendre que ceux qui dénonçaient ces massacres étaient des
extrémistes, rappelant à ce propos la définition du mot extrémisme dans le dictionnaire et
faisant observer que c’étaient les bourreaux et les assassins qu’il fallait traiter d’extrémistes et
non les défenseurs de victimes innocentes. Barayagwiza concluait en ces termes :
Le parti CDR n’a jamais recouru à des moyens violents dans sa lutte politique et n’a
aucune intention d’y recourir. Il suffit de lire son Manifeste-Programme pour s’en
convaincre. Le FPR du Major KAGAME peut-il en dire autant ? Mais malgré les
méthodes pacifiques de son action politique, le Parti CDR défendra par tous les
moyens les intérêts de la majorité HUTU contre toutes les visées hégémonistes et
violentes de la minorité TUTSI225.

280. Analysant cette lettre, Des Forges a relevé l’élément ethnique caractérisant la
définition du conflit (Hutus et Tutsis), la juxtaposition de la majorité hutue à la minorité
tutsie, l’idée que les Tutsis employaient la violence pour parvenir à l’hégémonie et que la
CDR se préparait à employer tous les moyens pour s’y opposer. Selon Des Forges,
l’expression « tous les moyens » signifiait précisément à l’époque le meurtre des Tutsis. Elle
a déclaré que les militants de la CDR se posaient en ultimes défenseurs de la révolution de
1959 et étaient totalement opposés à la monarchie. La CDR regardait le conflit au Rwanda
comme essentiellement ethnique et cherchait donc à unir tous les Hutus contre les Tutsis.
Selon Des Forges, les écrits de Barayagwiza et communiqués de presse du parti présentaient
le vieux conflit ethnique comme étant dans l’ordre des choses, au lieu d’admettre que ce
conflit n’avait pris un tour ethnique que récemment. Pour eux, il y avait deux camps en
présence, sans moyen terme. On ne pouvait être que d’un côté ou de l’autre d’une ligne de
démarcation définie selon des critères ethniques226. Dans son livre Le Sang hutu est-il rouge ?
Barayagwiza affirme ceci :
Le parti CDR considère que cette guerre dirigée contre les Hutus qui auraient
« usurpé » le pouvoir aux Tutsis a malheureusement divisé la nation rwandaise en
deux pôles politico-idéologiques correspondant aux deux ethnies227.

281. Lors de son contre-interrogatoire, le conseil de Ngeze a souligné à Des Forges que le
manifeste de la CDR ne contenait aucune menace d’extermination ou de violence. Des Forges
a rétorqué qu’un parti prônant ouvertement la violence n’aurait pas été autorisé au Rwanda et
qu’en conséquence son programme devait être adapté aux prescriptions de la législation en
vigueur228. Le manifeste de la CDR était paru en 1992 dans le numéro spécial de Kangura et
la Chambre qui en a examiné le texte n’y a trouvé aucune menace d’extermination ou de
violence. Après un rappel de l’histoire du Rwanda et singulièrement des circonstances ayant
entraîné la Révolution sociale de 1959, présentée comme le renversement de siècles
d’oppression féodale exercée par les Tutsis, le manifeste envisage l’avenir et la question de
l’unité nationale. À ce propos, il précise ceci :

225

Id.
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 63 à 68 et 70 à 75.
227
Pièce à conviction 2D35, p. 211 et 212.
228
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2002, p. 25 à 31.
226

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L’examen de cette question ne peut être [serein] que dans la mesure où l’on reconnaît
clairement que la société rwandaise se compose de trois ethnies bien distinctes dont
l’importance numérique est aussi différente. Il sera difficile de trouver une solution
adéquate à cette question si l’on continue à pratiquer la politique de l’[autruche] au
lieu de prendre le taureau par les cornes. On doit reconnaître d’abord à chaque ethnie
son [existence] autonome et son rôle dans la société conformément aux principes
démocratiques reconnus. Ceci est d’autant nécessaire que le renforcement de la
démocratie a lieu au moment où les représentants de l’une des ethnies se battent les
armes à la main pour reprendre le pouvoir. Cette réalité doit être prise en compte :
l’ethnie tutsi reconnaît et impose son existence autonome et ne cache pas sa
détermination à s’approprier de nouveau le pouvoir229.

282. Selon le manifeste, les divers groupes ethniques du Rwanda pouvaient coexister en
paix dans le pays, en respectant les principes démocratiques. Avant de proposer un
programme économique intéressant l’agriculture, la population, le développement industriel
et les ressources humaines, le manifeste conclut comme suit son analyse générale de
l’avenir :
Les trois ethnies devront donc se résoudre à la coexistence pacifique, chacun
défendant ses intérêts propres mais en ayant à l’esprit l’intérêt national. L’unité
nationale ne suppose donc pas la symbiose des ethnies mais la collaboration dans la
diversité pour le développement de la nation toute entière230.

283. Un communiqué spécial non daté de la CDR consacré au protocole signé à Arusha par
le Gouvernement et le FPR le 18 août 1992 abondait dans le même sens au sujet de
l’appartenance ethnique. Ayant fait observer dans une partie traitant de l’unité nationale que
cette unité n’était pas synonyme de symbiose des divers groupes ethniques, mais plutôt de
leur collaboration honnête au développement de leur pays, le communiqué poursuivait en ces
termes :
Ceci dit, il faut reconnaître que les relations socio-politiques au Rwanda ont été
caractérisées depuis l’existence du pays par un antagonisme réel entre les ethnies
HUTU et TUTSI, qui se sont toujours disputé le pouvoir. Cette lutte a fait que
l’intérêt national a été longtemps ignoré en faveur de l’intérêt ethnique. Cela fut le
cas durant le long règne de la monarchie féodale TUTSI. Le triomphe de la
Révolution sociale de 1959 qui a rétabli la justice et a préparé le règne de la
démocratie devrait mettre fin à la lutte interethnique pour la remplacer par la
compétition électorale. Mais c’était sans compter avec l’obstination des seigneurs
féodaux TUTSI qui ont immédiatement organisé, de l’intérieur et de l’extérieur, la
contre-révolution. La guerre d’octobre n’est que le prolongement de cette contrerévolution qui vise la reprise du pouvoir par la minorité TUTSI231.

284. Ce communiqué affirmait que la lutte pour le pouvoir entre Tutsis et Hutus constituait
l’obstacle majeur à l’unité dans l’intérêt national et disait qu’il fallait l’admettre et la traiter
en tant que telle. Il exprimait son soutien à la démocratie et soulignait que le FPR, décrit
229

Édition spéciale de Kangura.
Id.
231
Pièce à conviction 2D24 ; compte rendu de l’audience du 30 mai 2002, p. 53 à 59.
230

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comme le chantre de l’idéologie tutsie, refusait de reconnaître l’existence de la majorité
hutue. La politique de la CDR était décrite comme suit :
Le Parti CDR condamne bien sûr toute idéologie politique qui substitue l’intérêt
ethnique, régional, religieux ou personnel à l’intérêt national, mais il reconnaît le droit
à chaque individu ou groupe d’individus, y compris les ethnies, de défendre par les
voies démocratiques leurs intérêts légitimes232 .

285. Ce communiqué affirmait que toute idéologie qui s’exprimait par la ruse, la violence
et la guerre devait être condamnée par toutes les forces démocratiques et doutait de
l’engagement du FPR pour la démocratie, puisqu’il était impliqué dans une lutte armée233.
286. Dans un autre communiqué spécial, n° 5, daté du 22 septembre 1992, la CDR
s’inquiétait d’apprendre qu’« il y a[vait] des gens qui continu[aient] à trahir le pays en
envoyant leurs enfants, les membres de leurs familles ou ceux qu’ils pay[aient] dans les
Inyenzi-Inkotanyi, afin que ces derniers continuent à commettre leurs méfaits et à verser le
sang de la majorité populaire234 ». Dans ce communiqué, la CDR accusait le Gouvernement
de Nsengiyaremye de détenir des preuves mais de ne rien faire, parce que certains membres
des partis participant au Gouvernement, et même certains des ministres, y avaient une part de
responsabilité. À titre d’exemple, le communiqué publiait des listes de noms, et en particulier
la liste des responsables du recrutement et de l’envoi de ces recrues aux Inyenzi-Inkotanyi, la
liste de ceux qui avaient enrôlé leurs enfants dans les rangs des Inyenzi-Inkotanyi, et la liste
de ceux qui travaillaient pour les Inyenzi-Inkotanyi. Ces listes portaient les noms d’un certain
nombre de dirigeants politiques. Le président du MDR Faustin Twagiramungu, le président
du PSD Frédéric Nzamurambaho et le président du PL Justin Mugenzi, par exemple,
figuraient tous sur la liste de ceux qui travaillaient pour les Inyenzi-Inkotanyi. Le
communiqué concluait en ces termes :
Le parti CDR appelle la population à être plus vigilante parce que le gouvernement
en place ne se soucie pas de ce problème, car la plupart de ceux qui le composent
coopèrent avec ces Inyenzi-Inkotanyi. Il faut que la population puisse contrôler ellemême la façon de travailler et le mode de vie de ces gens.
Le parti CDR, à nouveau, met en garde le gouvernement et le chef de l’État afin
qu’ils se soucient de ce problème et prennent des mesures nécessaires contre tous les
traîtres. S’il n’en est pas ainsi, qu’ils ne croient pas que la majorité populaire
continuera à le supporter. L’ennemi, c’est l’ennemi. Quiconque le soutient est luimême ennemi du Rwanda235.

287. Plusieurs communiqués de la CDR versés au dossier par la Défense exposent la
position du parti vis-à-vis des Accords d’Arusha, alors en cours de négociation. Diverses
recommandations faites dans une lettre datée du 29 septembre 1992, adressée au Premier
Ministre, signée au nom de la CDR par Bucyana, tendaient notamment à ce que la
Constitution ne soit ni modifiée ni abrogée avant la signature des Accords et la mise en place
232

Id.
Id.
234
Pièce à conviction P145.
235
Id.
233

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d’un gouvernement de transition et à voir les Accords ratifiés par le peuple, par référendum.
La lettre évoquait les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire de l’État ainsi que la durée de
la transition envisagée et la nécessité d’élections. Elle demandait la réintégration des
personnes déplacées par suite de la guerre, parallèlement au rapatriement des réfugiés. Elle
réclamait aussi une nouvelle délégation de négociateurs plus compétents et plus patriotiques.
En conclusion, la lettre avertissait que si la contribution de la CDR n’était pas prise en
considération, ce parti n’adhérerait pas aux résultats des négociations en cours236. Dans un
communiqué daté du 10 novembre 1992, la CDR dénonçait les Accords signés le 30 octobre
1992 par le Gouvernement et le FPR sur le partage du pouvoir au sein du gouvernement de
transition. Ce communiqué invitait toutes les forces démocratiques à se coaliser pour tenir en
échec ce protocole, qu’il affirmait hors de question d’accepter237.
288. Le 16 février 1993, la CDR publiait un communiqué qui condamnait les violations du
cessez-le-feu par le FPR et louait le courage exceptionnel dont avaient fait preuve les Forces
armées rwandaises pour repousser l’agression du FPR. La CDR incitait toute la population
rwandaise, et plus particulièrement les jeunes, à se mobiliser pour repousser les agresseurs.
Déplorant les massacres et exprimant son inquiétude sur le sort des personnes déplacées qui
devaient être près d’un million, ce communiqué de la CDR exhortait le Gouvernement et la
communauté internationale à aider ces personnes. Il dénonçait l’acceptation des Accords
d’Arusha par le Gouvernement et demandait la révision des dispositions de ces accords
relatives au partage du pouvoir au sein du Gouvernement provisoire238. Par communiqué daté
du 22 juin 1993 consacré aux Accords d’Arusha, la CDR rappelait au peuple rwandais les
conséquences graves que risquaient d’entraîner les accords d’Arusha si certaines de leurs
dispositions n’étaient pas modifiées et doutait que ces accords pussent garantir une paix juste
et durable. La CDR s’en prenait en particulier aux clauses sur le rapatriement des réfugiés et
le droit de ces derniers de rentrer en possession de leurs biens. Ce communiqué s’inquiétait
de ce qu’à leur retour, ces réfugiés soient mieux traités que les déplacés de guerre. En
conclusion, il affirmait que si ces clauses inacceptables n’étaient pas rectifiées, les signataires
en répondraient devant le peuple239. Dans un communiqué daté du 9 mars 1993, la CDR
regrettait que le Président Habyarimana eût signé les Accords d’Arusha, qui allaient à
l’encontre des intérêts du peuple rwandais. Ce communiqué critiquait également le Premier
Ministre pour ses promesses aux Inkotanyi et demandait leur démission pour actes de
traîtrise. Il concluait en ces termes : « [À] défaut de quoi, le peuple doit se mobiliser, toutes
les sensibilités confondues, pour les y contraindre240 ».
289. Dans un communiqué daté du 3 septembre 1993 rendu public à Bruxelles par
Barayagwiza en sa qualité de conseiller du comité exécutif, la CDR affirmait que le FPR
avait tissé un réseau dense de complices, surtout à l’intérieur du Rwanda. Ce communiqué
parlait également des liens entre le FPR et les partis politiques de l’opposition, en particulier
le MDR, le PL et le PSD, et qualifiait le partage du pouvoir envisagé par les Accords
d’Arusha d’inéquitable et d’antidémocratique. Il insinuait qu’en promettant la démobilisation,
le FPR cherchait à cacher ses visées ultimes : démanteler l’armée nationale et créer une
236

Pièce à conviction 2D16 ; compte rendu de l’audience du 30 mai 2002, p. 41 à 44.
Pièce à conviction 2D19 ; compte rendu de l’audience du 30 mai 2002, p. 46 et 47.
238
Pièce à conviction 2D22, compte rendu de l’audience du 30 mai 2002, p. 51 à 53.
239
Pièce à conviction 2D15 ; compte rendu de l’audience du 30 mai 2002, p. 34 à 41.
240
Pièce à conviction 1D122 ; compte rendu de l’audience du 11 juillet 2002, p. 166 à 168.
237

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structure hybride destinée à permettre aux éléments du FPR de phagocyter l’armée nationale
et à consolider le pouvoir de la minorité. En conclusion, le communiqué de la CDR affirmait
que le seul et unique moyen de sauver la démocratie et la République des dangers qui les
menaçaient était d’organiser les élections le plus vite possible. La CDR exhortait tous les
défenseurs de la démocratie à se mobiliser pour exiger ces élections. Des Forges a souligné la
stratégie manifeste de ce document, qui consistait à définir l’ennemi comme les Tutsis à
l’intérieur du pays. Elle a également relevé des similitudes entre ce communiqué et les écrits
postérieurs de Barayagwiza, en particulier son livre Le Sang Hutu, et les émissions de RTLM,
qui voyaient dans la population même la dernière solution et l’ultime réserve, au cas où
l’armée serait requise de démobiliser ou serait infiltrée par le FPR. À propos de l’appel aux
élections, Des Forges a déclaré que, par la suite, un pessimisme croissant entourant la
possibilité de les organiser avait conduit à la conviction que le recours à la force constituait
une alternative légitime au bulletin de vote241.
290. Le 23 novembre 1993, la CDR rendait public un communiqué condamnant le
massacre de civils par le FPR dans la zone démilitarisée de Ruhengeri les 17 et 18 novembre
1993. Selon ce communiqué, ces tueries montraient clairement que le FPR avait rejeté les
Accords d’Arusha et visait à s’emparer du pouvoir par la force, après avoir décimé les Hutus.
La CDR soutenait la décision prise par les FAR de suspendre leur participation à toutes les
réunions avec le FPR et demandait la démission du Premier Ministre Agathe Uwilingiyimana
ou son limogeage par le Président Habyarimana en raison de son incapacité de garantir la
sécurité des Rwandais. S’ils ne s’exécutaient pas, le Président et le Premier Ministre
prouveraient clairement qu’ils sont complices des Inkotanyi égorgeurs des femmes enceintes,
d’enfants, de vieillards et autres civils sans défense. Ce communiqué concluait ainsi :
À voir la situation actuelle du pays qui risque d’exploser à tout moment, le parti CDR
invite la majorité populaire à rester très vigilante pour éviter toute surprise et [à]
réagir énergiquement et sans délai à toute provocation, en neutralisant par tous les
moyens ses ennemis et leurs complices. Puisque l’Accord de paix est rendu cadu[c]
par les agissements du FPR encouragé par la présence du contingent belge à Kigali, il
ne reste plus à la majorité populaire qu’à trouver d’autres voies et moyens d’arriver à
une paix juste et durable242 ».

291. Des Forges a déclaré qu’à son avis, ce communiqué constituait une incitation au
meurtre dirigée contre l’ennemi et ses complices. Elle a ajouté qu’en kinyarwanda
l’expression « majorité populaire » (rubanda nyamwinshi) renvoyait aux Hutus, et que
l’emploi en avait coïncidé avec la naissance du mouvement Hutu Power et de l’idéologie de
coalition ethnique prônée par la CDR 243 . Dans une interview accordée à Radio Rwanda,
Hassan Ngeze disait ceci : « Lorsque le parti CDR a été créé, nous lui avons donné pour
mission de défendre les intérêts du peuple majoritaire par tous les moyens ». À la question à
lui posée lors de son contre-interrogatoire, de savoir si cette politique de la CDR visant à
défendre les intérêts de rubanda nyamwinshi par tous les moyens possibles envisageait le
recours aux moyens militaires, Ngeze a répondu que la CDR voulait discuter des problèmes

241

Pièce à conviction P107/36 ; compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 50 à 62.
Pièce à conviction P149.
243
Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 78 à 85.
242

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ethniques au Rwanda et que « par tous les moyens » signifiait éduquer et nourrir le peuple et
assurer la paix dans le pays244.
292. Selon Des Forges, entre fin 1993 et début 1994, la CDR avait changé de position sur
les Accords d’Arusha. Encore qu’elle se soit initialement opposée à ces accords et n’ait pas
signé la déclaration éthique requise pour pouvoir faire partie du Gouvernement, vers la fin de
1993, la CDR avait décidé qu’elle voulait un siège à l’Assemblée nationale. D’après Des
Forges, ce revirement était dicté par le besoin du bloc d’Habyarimana d’avoir un tiers des
voix pour bloquer une motion de destitution et que c’était le résultat d’un accord entre le
MRND et la CDR. Selon Des Forges, Barayagwiza aurait pris cette décision anticipant ainsi
son élection comme député de la CDR 245 . Le témoin GO, fonctionnaire au Ministère de
l’information, a également déclaré que si la CDR avait initialement refusé de signer une
déclaration de soutien aux Accords d’Arusha, ce qui l’avait empêché de faire partie du
Gouvernement provisoire, le parti changera d’avis par la suite246.
293. Le témoin à décharge B3 a dit avoir adhéré à la CDR parce que c’était un parti qui
défendait les principes démocratiques avec sincérité et exigeait le droit de vote pour tous. Il a
ajouté que lorsque la majorité détenait le pouvoir, elle protégeait la minorité, alors que, dans
le cas contraire, la minorité se protégeait au détriment de la majorité, comme c’était le cas
avec l’apartheid en Afrique du Sud. Il avait relevé ces mêmes principes à la lecture des statuts
de la CDR. La CDR réclamait des changements socio-politiques, en particulier la fin de la
guerre, qui ne pouvaient se réaliser qu’à travers le principe « un homme, une voix ». La CDR
voulait que la paix et l’harmonie règnent entre les deux groupes ethniques, dans le respect
mutuel des droits et des devoirs de chacun247.
294. Ngeze a déclaré qu’ayant lu les statuts de la CDR, il avait compris que ce parti voulait
analyser la crise au Rwanda, en ce qu’elle découlait spécifiquement des problèmes
d’appartenance ethnique et qu’il intitulait « Hututude » et « Tutsitude ». Il était convaincu
que la CDR était un bon parti et cherchait à mettre cartes sur table, afin de débattre des
problèmes avec le FPR, en préalable à tout autre sujet de discussion, comme le partage du
pouvoir. Ngeze a affirmé qu’il soutenait toujours la CDR car ce parti s’était engagé à
résoudre les problèmes ethniques du Rwanda, comme l’indiquaint ses statuts, et qu’il croyait
que s’il avait pu s’asseoir à la table des négociations en face du FPR, il y serait parvenu248.
Selon Nahimana, l’idéologie politique de la CDR, qu’il ne partageait pas, était que les Hutus
devaient défendre leurs propres intérêts et les Tutsis les leurs et qu’ils devaient se réunir au
sommet de la pyramide que formait la nation rwandaise249.
Appréciation de la preuve
295. La crédibilité de Ngeze et celle de B3 sont envisagées à la section 7.6 et au
paragraphe 334 respectivement.
244

Pièce à conviction P105/4H ; compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 80 et 81 ainsi que 83 à 85.
Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 124 à 127.
246
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2001, p. 62 à 64.
247
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 32 à 34.
248
Comptes rendus des audiences du 28 mars 2003, p. 13 à 17 ; et du 7 avril 2003, p. 52.
249
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 120 à 124.
245

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296. La Chambre relève que dès son origine, la CDR s’était expressément engagée à traiter
la question de l’appartenance ethnique. Il ressort clairement de l’exposé liminaire de
Barayagwiza lors de l’Assemblée constituante de la CDR, et du manifeste du parti, que ce
dernier préconisait la ségrégation ethnique et non l’unité et l’acceptation de la division
ethnique comme base de négociation d’une coexistence pacifique. Le FPR était censé
représenter les intérêts de la minorité tutsie et la CDR avait été constituée dans le but de
défendre ceux de la majorité hutue. Selon la terminologie employée, les mots « Tutsi » et
« Hutu » désignaient des groupes politiques cohérents autant que des groupes ethniques,
faisant un total amalgame entre les identités politique et ethnique. Barayagwiza a reconnu
cette fusion, qu’il décrivait dans ses écrits comme « deux pôles politico-idéologiques
correspondant aux deux ethnies ». Bien que les statuts de la CDR proclament que l’adhésion
au parti était ouverte à tous les Rwandais, la Chambre relève qu’en vertu de la législation en
vigueur, il ne pouvait en être autrement, ainsi que Des Forges l’a souligné. La devise du parti
« Unité et Solidarité » évoquait clairement l’unité et la solidarité entre les Hutus majoritaires,
qui avaient été lésés par le passé par la monarchie féodale tutsie. La symbolique du drapeau
de la CDR représentait le renversement de cette oppression en 1959, et la Révolution sociale
de 1959 constituait aux yeux de la CDR le tournant fondamental de l’histoire du Rwanda, qui
avait sonné la libération de la majorité hutue.
297. L’inquiétude latente de la CDR, que trahissent toutes ses prises de position politiques,
était que, selon les termes mêmes de la lettre de Barayagwiza de juillet 1992, « la minorité
tutsie veuille prendre le pouvoir par la force et la violence ». L’idéologie du parti était
principalement dictée par la nécessité, à ses yeux, de souligner l’ambition politique du FPR,
sa détermination à atteindre ses objectifs par le biais d’une offensive militaire et l’obligation
de s’y opposer. Mais le FPR était assimilé à la minorité tutsie comme si c’était une évidence,
et dans son communiqué spécial de septembre 1992, la CDR affirmait que quiconque
collaborait avec le FPR devait être considéré comme « un ennemi du Rwanda ». La nature de
la liste publiée dans ce communiqué, nommant quasiment tous les dirigeants politiques de
l’opposition, était une effrayante indication de ce que recouvrait la définition de l’ennemi aux
yeux de la CDR. La Chambre relève aussi l’avertissement adressé dans le communiqué de
septembre 1993, par lequel la CDR affirme que le FPR avait tissé un réseau de complices à
l’intérieur du pays.
298. Les communiqués de la CDR produits par la Défense exposent les vues du parti au
sujet des Accords d’Arusha. Il apparaît que ce qui inspirait la plus grande inquiétude à la
CDR c’étaient les clauses organisant le partage du pouvoir et celles consacrées au
rapatriement des réfugiés. Il s’agit là précisément du type de question de nature à diviser les
partis politiques. La Chambre relève que la CDR exprimait ses vues sur ce sujet à travers ses
communiqués, sans évoquer l’appartenance ethnique. La CDR dégageait ses prises de
position par référence à la démocratie, le FPR étant représenté comme une force prête à faire
usage de la violence au mépris de la démocratie. La CDR avait dénoncé à maintes reprises les
Accords d’Arusha, en exposant à chaque fois les raisons politiques qui justifiaient cette
condamnation. Elle avertissait, de façon réitérée tout au long des divers communiqués, que si
ces accords n’étaient pas modifiés, elle n’y souscrirait pas, et que les hommes politiques
auxquels on les devrait en seraient responsables devant le peuple. Ces communiqués
appelaient la population à s’opposer aux Accords d’Arusha, mais ne préconisaient pas au
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départ de recourir à la force pour y parvenir. Même le communiqué de la CDR qui dénonçait
nommément les ministres en place et d’autres comme des collaborateurs de l’ennemi, tout en
exhortant le Gouvernement à passer à l’acte, présageait davantage un retrait de soutien que la
violence comme conséquence de l’inertie.
299. La lettre adressée par Barayagwiza au rédacteur en chef de La Libre Belgique
affirmait que la CDR n’avait jamais eu recours à la violence dans sa lutte politique et qu’elle
n’entendait pas revenir sur ce choix. En revanche, il accusait le FPR de l’avoir fait, ajoutant
que « malgré les méthodes pacifiques de son action politique », la CDR défendrait les intérêts
hutus contre la violence des Tutsis « par tous les moyens ». La Chambre considère que, dans
le contexte de cette correspondance, le sens des termes « par tous les moyens », bien qu’il se
soit agi prétendument de méthodes pacifiques, évoquait clairement la violence et constituait
une menace de violence, en riposte à celle qui était perpétrée par le FPR. Écrite dans un
courrier adressé à un journal par Barayagwiza, dirigeant de la CDR, cette phrase avait valeur
de déclaration de la politique de la CDR et de justification par Barayagwiza du recours à la
force pour défendre la population majoritaire hutue face à la minorité tutsie.
300. Le communiqué de la CDR du 9 mars 1993 constituait une menace explicite proférée
contre le Président et le Premier Ministre, puisqu’il appelait publiquement la population à se
soulever et à les renverser s’ils ne démissionnaient pas. L’emploi des termes « par tous les
moyens » dans le communiqué de la CDR du 23 novembre 1993 évoquait et appelait le
recours à la force, insinuant que la majorité populaire n’avait pas d’autre alternative pour se
protéger de l’ennemi et de ses complices après les massacres condamnés par ce communiqué.
La Chambre convient avec Des Forges que l’expression « majorité populaire » renvoie aux
Hutus, retenant que dans sa lettre à La Libre Belgique, Barayagwiza parlait plus précisément
de la « majorité hutue » et que dans ses divers écrits la CDR désignait souvent ainsi les
Hutus.
Conclusions factuelles
301. La Chambre conclut que la CDR s’était donnée pour mission d’encourager l’unité et
la solidarité au sein de la majorité populaire hutue et de défendre ses intérêts politiques. La
CDR confondait intérêts politiques et identité ethnique et assimilait ainsi le FPR aux Tutsis,
définissant en fait l’ennemi comme le groupe ethnique tutsi. Elle désignait également comme
ennemis les principaux dirigeants politiques de l’opposition. Sa politique officielle, telle
qu’elle ressortait de son manifeste et de ses prises de position publiques, avait été au début de
condamner la violence ethnique et d’appeler à la coexistence pacifique entre les divers
groupes ethniques, tout en faisant valoir qu’ils avaient chacun leurs propres intérêts politiques
déterminés et que leur unité était impossible. La CDR voyait dans le FPR la représentation
politique des intérêts tutsis, déterminés à reprendre le pouvoir en leur nom par la force.
Exposant très tôt la politique de la CDR, Barayagwiza avait exprimé l’opinion que la force
pourrait être légitimement employée, si nécessaire, pour repousser cette agression. Dans un
communiqué rendu public en mars 1993, la CDR appelait la population à se soulever et à
renverser le Président et le Premier Ministre parce qu’ils avaient trahi le pays en signant les
Accords d’Arusha, et dans un communiqué paru en novembre 1993, à la suite de massacres
qu’elle imputait au FPR, la CDR, ayant défini les ennemis comme le groupe ethnique tutsi,
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avait exhorté les Hutus à « neutraliser par tous les moyens possibles [leurs] ennemis et leurs
complices ».
3.3

Méthodes de la CDR

302. Outre les statuts de la CDR et ses diverses déclarations de principe, la Chambre a
examiné les pièces renseignant sur les méthodes de la CDR, y compris ses réunions et autres
activités menées par ce parti ou reliées à celui-ci. Selon le mot du témoin GO, fonctionnaire
au Ministère de la défense, « on reconnaît l’arbre à ses fruits ». Toujours selon lui, sans avoir
lu les statuts de la CDR, il connaissait ce parti à travers ses diverses activités qui l’avaient
amené à la conclusion qu’il s’agissait d’un parti extrémiste. Saisi, lors de son contreinterrogatoire, des clauses des statuts de la CDR favorables à la démocratie pluraliste, le
témoin GO a été d’avis que le pluralisme était une bonne chose en démocratie, mais il était
opposé aux gens qui prônaient le pluralisme ou la démocratie dans le but de semer la division
au sein de la population ou de déterminer qui pouvait vivre et qui devait mourir250. Le témoin
LAG, Hutu membre de la faction Power du PL, a dit que l’objectif de la CDR était d’unir
tous les Hutus en un pouvoir commun capable de combattre les Tutsis251.
Adhésion au Parti
303. Selon Des Forges, bien que les textes de base de la CDR n’eussent pas fait usage de
langage discriminatoire, les pratiques du parti avaient conduit le conseil des ministres et le
Ministre de la justice à en réclamer la dissolution en août 1992252. Le témoin expert à charge
Mathias Ruzindana a déclaré que la CDR était considérée comme anti-tutsie et un parti des
Hutus. Il ne connaissait aucun Tutsi qui eût sa carte de la CDR253. Aux dires du témoin ABE,
Tutsi de Kigali, la CDR était exclusivement réservée aux Hutus et refusait l’adhésion de ceux
dont les parents étaient issus de deux groupes ethniques différents. Et d’ajouter que la CDR
propageait la haine raciale et que son idéologie était que les purs Hutus, dont le sang n’était
pas mêlé à celui d’autres groupes ethniques, devaient se rassembler pour combattre l’ennemi
tutsi.
304. Le témoin ABE s’est souvenu avoir un jour demandé à Ngeze s’il pouvait assister à
une réunion de la CDR. Celui-ci lui avait répondu que c’était impossible, car le parti était
exclusivement réservé à un groupe ethnique. Il avait demandé au témoin ABE de se mettre
deux doigts dans une narine, affirmant que si ses doigts y entraient, il pouvait adhérer à la
CDR. Par la suite, quand il convoquait les réunions de la CDR, Ngeze disait toujours :
« Souvenez-vous, souvenez-vous » en se mettant deux doigts près du nez. C’était sa manière
de dire que ce parti était réservé aux Hutus de sang pur254. Le témoin ABE s’est souvenu
avoir vu dans des journaux rwandais la caricature d’un gorille se mettant deux doigts dans le
nez et on disait que quiconque n’avait pas un tel nez ne pourrait être membre de la CDR255.
Comme l’a expliqué le témoin AFB, commerçant hutu, « On identifiait un Hutu en regardant
250

Compte rendu de l’audience du 6 juin 2001, p. 8 à 10 et 13 à 19.
Comptes rendus des audiences du 30 août 2001, p. 62 à 75, et du 3 septembre 2001, p. 61 à 67.
252
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2002, p. 186 à 191.
253
Compte rendu de l’audience du 10 juillet 2002, p. 114 à 116.
254
Compte rendu de l’audience du 28 février 2001, p. 162 à 165.
255
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 47 à 57.
251

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son nez. Lorsque son nez était aplati ou qu’il était gros, on disait qu’il était Hutu256 … ».
Selon le témoin MK, fonctionnaire tutsi, on prétendait que pour être membre de la CDR, il
fallait pouvoir se mettre trois doigts dans une narine257. Le témoin EB, professeur tutsi, a dit
avoir assisté à un meeting de la CDR en 1993 dans le stade Umuganda auquel, entre autres
personnalités politiques, assistaient Barayagwiza, président de la CDR à l’échelle
préfectorale, et Ngeze. Une foule immense s’était rassemblée. Le premier orateur avait été le
bourgmestre de la commune de Rubavu qui avait dit : « Chers administrés, regardez à gauche
et à droite, et regardez le nez de votre voisin ». Le témoin EB avait immédiatement quitté les
lieux. Il a déclaré : « Quand j’ai entendu ces paroles, je me suis senti visé, j’ai pris peur et,
sans trop me faire voir, j’ai mis ma main sur mon nez et je suis parti sur la pointe des pieds, et
je suis sorti de la foule258 ».
305. Le témoin AEU a déclaré avoir entendu dire que Ngeze demandait toujours à tout
futur adhérent dont il n’était pas sûr de se mettre deux doigts dans une narine afin de savoir
s’il était hutu ou tutsi lorsqu’il distribuait les cartes du parti, pour être absolument certain que
les membres soient exclusivement hutus. Elle a dit qu’il refusait même leur carte aux Hutus
qui avaient de petits nez. Le témoin, une Tutsie qui avait obtenu une carte d’identité hutue, a
dit avoir voulu adhérer à la CDR, mais n’avoir pas pu obtenir de carte du parti et avoir donc
rejoint les rangs du MRND259. Selon le témoin AGX, d’origine tutsie, aucun Tutsi n’était
membre de la CDR, les Tutsis n’avaient pas le droit d’y adhérer et on vérifiait les cartes
d’identité pour s’assurer que les candidats à l’adhésion étaient bien des Hutus et non des
Tutsis infiltrés. Le témoin a cité un proverbe kinyarwanda : « Quand l’eau refuse de vous
nettoyer, vous [ne pouvez que répondre] : “Je ne suis pas sale” ». Il n’avait jamais tenté
d’adhérer à la CDR car c’était un parti hutu. Lors de son contre-interrogatoire, il a déclaré
qu’il n’avait pas vérifié cette pratique auprès d’officiels de la CDR, car c’était Ngeze luimême qui le lui avait dit, et que ce qu’il disait était sans appel260.
306. Des témoins hutus comme tutsis ont déclaré que la CDR était un parti réservé aux
Hutus. Le témoin AHI, chauffeur de taxi hutu, a dit avoir adhéré à la CDR après une
conversation avec Ngeze qui lui avait parlé d’un parti réservé aux Hutus et l’avait recruté261.
Selon le témoin AFB, Barayagwiza avait dit que la CDR serait un parti politique qui
défendrait les intérêts de la population hutue et que les membres devaient être 100 % hutus262.
Omar Serushago, chef Interahamwe de Gisenyi, a déclaré que la CDR n’acceptait pas de
mélange ethnique pas plus que les Inyenzi, Inkotanyi ou Tutsis 263 . Lors de son contreinterrogatoire, le conseil de Barayagwiza a souligné à Serushago que ses dires sur
l’exclusivité hutue de la CDR étaient contredits par le fait que Barayagwiza lui-même avait
une femme tutsie dont il avait des enfants. À quoi Serushago a répondu qu’au Rwanda, les
questions concernant les groupes ethniques hutu et tutsi n’étaient pas claires et qu’il y avait
des gens qui avaient tué leur propre mère ou leurs enfants, et de préciser que la CDR était un
256

Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 39.
Compte rendu de l’audience du 8 mars 2001, p. 50 et 51.
258
Compte rendu de l’audience du 15 mai 2001, p. 170.
259
Compte rendu de l’audience du 26 juin 2001, p. 77 à 79.
260
Compte rendu de l’audience du 14 juin 2001, p. 100 à 104.
261
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 55 à 64 et 116 et 117.
262
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 51 et 52.
263
Comptes rendus des audiences du 19 novembre 2001, p. 49 et 106, et du 20 novembre 2001, p. 69 à 71.
257

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parti radical qui poussait au meurtre, alors que dans le même temps, la plupart des personnes
qui assumaient des postes de responsabilité au Rwanda avaient des maîtresses tutsies264. À la
question de savoir s’il connaissait la femme de Barayagwiza, Serushago a répondu que
Barayagwiza avait deux femmes et que sa première épouse, la mère de ses aînés était tutsie,
et d’ajouter que de nombreuses personnes haut placées avaient des maîtresses tutsies,
connues sous le nom de « deuxième bureau265 ». Aux dires de plusieurs témoins à charge,
Barayagwiza avait répudié sa femme en découvrant qu’elle était tutsie. Le témoin X, élément
Interahamwe, a déclaré que Barayagwiza avait essayé de le recruter au sein de la CDR, mais
lui avait dit par la suite qu’en fait il était de sang mêlé puisqu’il avait une mère tutsie et un
père hutu et que la CDR était réservée à ceux qui étaient 100 % hutus266. Selon le témoin X il
n’y avait pas de Tutsis à la CDR267.
307. Le témoin à décharge B3, militant de la CDR, a déclaré que tout le monde était le
bienvenu à la CDR, quelle que soit son appartenance ethnique, car ce parti se battait pour la
défense de la République. Il a dit qu’il y avait des Tutsis à la CDR et que ce parti n’interdisait
pas aux Tutsis de prendre leur carte. Prié par le conseil de Ngeze de nommer quelques Tutsis
membres du parti, il n’a pu le faire268. Hassan Ngeze a déclaré que la CDR comptait des
Hutus et des Tutsis parmi ses membres269. Il a dit qu’il y avait de nombreux Tutsis dans le
parti et même une femme d’origine tutsie au comité exécutif270 . Interrogé au sujet d’une
interview qu’il avait accordée à Radio Rwanda, et à l’occasion de laquelle il avait dit que les
« graines semées par la CDR avaient porté leurs fruits », les graines étant « le fait d’inviter
les Hutus à s’unir pour combattre l’ennemi », Ngeze a répondu avoir employé le mot
« Hutus » au lieu de « Rwandais » parce qu’il n’y avait que des Hutus dans l’armée du temps
de Habyarimana271. Le témoin à décharge BAZ4, militant de la CDR, qu’il décrivait comme
« le parti des Hutus », a déclaré qu’il y avait des Tutsis dans le parti et cité l’exemple d’un
boxeur du nom de Damas. Il a nié que Damas ait été contraint de prendre sa carte à la suite
d’une opération kubuhoza272. Le témoin à décharge RM117 a dit que Ngeze était membre de
la CDR, qui passait pour un parti hutu, bien que le témoin ait affirmé qu’il y avait également
des Tutsis à la CDR. Le témoin a écrit les noms de quatre Tutsis membres de la CDR de
Gisenyi273.
Meetings de la CDR
308. Le témoin à charge AFB, homme d’affaires hutu, a déclaré avoir entendu
Barayagwiza dire publiquement, lors d’un meeting de la CDR au stade Umuganda en 1993,
que la CDR était un parti destiné aux Hutus. À la question à lui posée, lors de son contreinterrogatoire, de savoir ce qu’il y avait de mal à défendre un parti politique qui représenterait
264

Compte rendu de l’audience du 22 novembre 2001, p. 100 à 104.
Compte rendu de l’audience du 20 novembre 2001, p. 76 à 79.
266
Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 70 à 76.
267
Compte rendu de l’audience du 25 février 2002, p. 108 et 109.
268
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 24 à 32.
269
Compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p. 89.
270
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 28 à 30.
271
Pièce à conviction P105/4H ; compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 85 à 87.
272
Compte rendu de l’audience du 28 janvier 2003, p. 35 à 37.
273
Pièce à conviction 3D223 ; compte rendu de l’audience du 24 mars 2003, p. 26 à 28.
265

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au mieux les intérêts des Hutus, le témoin AFB a répondu que c’était un crime de semer la
discorde et de défendre les intérêts d’un seul groupe ethnique à l’exclusion d’un autre. Le
témoin AHB a dit être allé à ce meeting parce qu’il pensait qu’on y parlerait de la
reconstruction du pays, mais que ce qu’il y avait entendu était une incitation au meurtre. Il a
ajouté que lors de ce meeting, les jeunes de la CDR, appelés les Impuzamugambi, s’étaient
mis à proférer des menaces et à scander : « Nous allons les exterminer, nous allons les
exterminer ! » Il a déclaré que le terme « tubatsembatsembe » était le même que celui que
Barayagwiza employait lors de ses meetings274. Selon le témoin AFB, l’idée d’exterminer les
Tutsis avait vu le jour avec la naissance de la CDR. Il considérait ses membres comme des
extrémistes car ils appelaient à l’extermination des Tutsis, des Inyenzi et de leurs complices.
Après la réunion, les jeunes avaient arraché les drapeaux appartenant au MDR et attaqué les
présidents des autres partis de la préfecture. En 1994, ils avaient hissé le drapeau de la CDR
et, en fin de journée, les gens étaient contraints de s’immobiliser quand on baissait les
couleurs. L’atmosphère avait dégénéré jusqu’à l’avènement du génocide au cours duquel ces
jeunes gens avaient tué des êtres humains, dont des vieillards. Selon le témoin AFB, ces
agissements avaient été le fait des Impuzamugambi et des Interahamwe. Il ne pensait pas que
l’objectif de la CDR eût été de forger un consensus électoral. Ce qu’il retenait de ces
meetings, c’était que la CDR s’employait à inciter au meurtre275.
309. Le témoin AHB, fermier hutu, a dit avoir vu Barayagwiza se rendre à un meeting de
la CDR à Mutura en 1991. Il a nommé les personnes de sa connaissance, Mbarushimana,
Kanoti et Sinanduru, qui y étaient allées et lui en avaient parlé. On leur avait demandé de
recruter des membres pour la CDR et affirmé qu’il était important de repérer les Inkotanyi,
autrement dit les Tutsis. Après le meeting, de nombreux Tutsis avaient été tués et d’autres
emmenés. Le témoin AHB ne savait pas où on les avait conduits mais, à son avis, si ceux
qu’on avait emmenés ne revenaient pas, c’était qu’ils avaient été tués. Le corps d’une femme
du nom de Mukera avait été trouvé. Elle avait été amenée de chez elle par Sinanduru, qui
avait plus tard croisé, en sa compagnie, le témoin AHB et d’autres personnes. Par la suite,
Sinanduru avait été arrêté, avait avoué ses crimes et avait été emprisonné. On avait demandé
au témoin AHB de venir au meeting de 1991 car on recrutait de nouveaux membres pour la
CDR. Il avait refusé de prendre sa carte. Il a maintenu lors de son contre-interrogatoire que
cette réunion s’était tenue en 1991 et a ajouté que, même si elle n’existait encore nulle part
ailleurs, la CDR existait déjà dans sa région276.
310. Le témoin X a déclaré avoir assisté, en février ou mars 1992, à un meeting de la CDR
dans le stade de Nyamirambo, auquel assistait Nahimana et au cours duquel Barayagwiza
avait fait un discours dans lequel il employait le terme « gutsembatsemba », ce qui voulait
dire « Exterminez les Tutsis »277. Nahimana a affirmé que, contrairement aux déclarations du
témoin X, il n’avait été nullement été fait mention de « tubatsembatsembe278 » au cours de ce
meeting. Il a ajouté que la personne qui aurait fait une telle déclaration aurait été poursuivie
en justice, à l’instar de Mugesera. Les orateurs exposaient leurs idéologies politiques et le
programme de la CDR. Nahimana était resté jusqu’à la fin du meeting car il cherchait savoir
274

Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 61.
Ibid., p. 22 à 26 et 45 à 71.
276
Compte rendu de l’audience du 27 novembre 2001, p. 133 et 134 et 160 à 175.
277
Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 81 à 87.
278
Tubatsembatsembe signifie « Exterminons les Tutsis » et gutsembatsemba « Exterminez les Tutsis ».
275

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ce qui poussait des membres du MRND à rejoindre les rangs de la CDR. Il a ajouté que de
décembre 1993 à janvier ou février 1994 il y avait eu des plaintes formulées à l’encontre de la
CDR pour avoir chanté une chanson contenant l’expression « tubatsembatsembe »,
accusation que la CDR avait contestée279.
311. Le témoin à décharge D3, banquier de son état, a affirmé que les discours prononcés
lors des meetings de la CDR illustraient la fracture irréparable entre les Hutus et les Tutsis280.
Lors de son contre-interrogatoire par le conseil de Ngeze, le témoin D3 a précisé qu’il n’avait
assisté qu’à un seul meeting de la CDR. Il ne savait plus le nombre exact d’orateurs qui
avaient pris la parole ce jour-là, mais il a dit que le meeting avait duré quatre ou cinq heures.
Prié d’indiquer combien d’orateurs avaient fait des commentaires sur la fracture séparant les
Hutus des Tutsis, il a répondu par un proverbe qu’il avait entendu lors de ce meeting : « Les
Hutus et les Tutsis partageront ce qu’ils ont à partager lorsque le soleil que vous voyez se
sera éteint ». En entendant cela, les militants de la CDR avaient applaudi en signe
d’approbation, ce qui avait convaincu le témoin D3 qu’il s’agissait bien là de l’idéologie de la
CDR. Il a déclaré que cela était conforme à tout ce qui s’était précédemment dit au cours de
ce meeting dont les orateurs étaient membres de la CDR281.
312. Le témoin à charge François-Xavier Nsanzuwera, Procureur de Kigali en 1994, a
déclaré connaître très bien la CDR qu’il décrivait comme un parti politique composé
d’extrémistes hutus. Il avait assisté à plusieurs manifestations de la CDR fin 1993 et en 1994,
dont certaines étaient pacifiques et d’autres non282. Selon le témoin, les manifestations de la
CDR visaient plusieurs institutions et individus. Il a relaté certains incidents impliquant des
militants de la CDR. Ils avaient un jour pillé le bureau du président de la Cour
constitutionnelle. Une autre fois, ils avaient attaqué des collaborateurs de Nsanzuwera et brisé
des fenêtres. En une autre occasion, ils avaient envahi le Ministère de la justice, menacé le
Ministre auquel ils avaient demandé de le limoger. Ils avaient dit au Ministre qu’ils n’avaient
aucune confiance en Nsanzuwera parce qu’il était Tutsi et ne faisait pas correctement son
travail283. Nsanzuwera a déclaré qu’il était Hutu284.
Actes de violence perpétrés par des militants de la CDR
313. Plusieurs témoins ont fait état d’actes de violence perpétrés par des militants de la
CDR. Des Forges a mentionné la plainte déposée par un prêtre de l’église de Kabarondo au
commissariat de police local à propos d’une attaque dont avait été victime son église début
août 1992. Le prêtre avait été blessé et le vicaire menacé par les assaillants de la CDR, qui
étaient entrés dans l’église après leur meeting en exigeant du prêtre qu’il leur remette les
Tutsis auxquels ils prétendaient qu’il avait donné abri285. Lors de son contre-interrogatoire,
comme on lui demandait comment le prêtre avait su que ses agresseurs étaient membres de la
CDR, Des Forges a répondu qu’il lui avait dit qu’ils revenaient d’un meeting de la CDR. Elle
279

Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 203 à 212.
Compte rendu de l’audience du 13 janvier 2003, p. 12 et 13.
281
Ibid., p. 42 à 47.
282
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 32 à 34.
283
Compte rendu de l’audience du 24 avril 2001, p. 11 à 13.
284
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 224 et 225.
285
Pièce à conviction P137 ; compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 78 à 81.
280

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a ajouté qu’elle savait que cette agression avait eu lieu car elle avait interviewé les personnes
impliquées286. Des Forges a cité d’autres exemples de violences commises par la CDR, en
particulier le cas d’un homme du nom de Nduwayezu qui avait été attaqué à Gisenyi fin
janvier 1993, et a identifié plusieurs de ses agresseurs comme des militants de la CDR. Elle a
également mentionné une manifestation qui avait eu lieu dans les rues de Kigali fin mai 1992,
et qui a fait cinq morts dont on avait accusé deux militants de la CDR, dont Katumba, un
leader bien connu de l’aile Jeunesse de la CDR de Kigali. Des Forges a dit que plusieurs
diplomates avaient mené une enquête sur les violences commises contre les Tutsis fin 1992 et
début 1993, et avaient conclu que la CDR était impliquée dans l’organisation et l’exécution
de ces massacres. La Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de
l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990, qui a mené ses investigations en janvier
1993, a entendu des témoins parler d’attaques lancées par la milice des Interahamwe et la
CDR287. Omar Serushago, un leader des Interahamwe, a déclaré avoir vu Barayagwiza et
Ngeze assister ensemble à des meetings de la CDR dans la ville de Gisenyi en 1992 et 1993.
L’un des objectifs poursuivis était de collecter des fonds pour acheter des armes288.
314. Des Forges a déclaré que fin février 1994, après que Bucyana eut été lynché à Butare
en représailles à l’assassinat, la veille, de Gatabazi, le leader du PSD, les Interahamwe et la
CDR avaient riposté en attaquant des Tutsis et des membres des partis politiques de
l’opposition à Kigali, tuant environ 70 personnes 289 . Des Forges a ajouté que Rawson,
ambassadeur des États-Unis au Rwanda en 1994, lui avait relaté la conversation téléphonique
qu’il avait eue avec Barayagwiza début 1994, et qu’il qualifiait d’ « engueulade ». Il avait
demandé à Barayagwiza de réfréner les militants de la CDR qui étaient impliqués dans des
actes de violence urbaine. Barayagwiza lui avait répondu qu’il faisait de son mieux, mais
qu’il était extrêmement difficile de les contenir car ils étaient en proie à la peur et fous de
colère290.
315. Le témoin AFX, Tutsi de Gisenyi, a déclaré que les activités principales de la CDR à
Gisenyi en 1994 consistaient à établir des barrages routiers et à tuer des gens. Ses militants
avaient dressé ces barrages en 1993 pour pouvoir identifier les Tutsis qui se déplaçaient dans
la région, et cela permettait en outre à la CDR de manifester sa présence, bien qu’il n’y eût
pas encore d’assassinats commis à ces barrages à cette époque 291 . Il a dit que ceux qui
tenaient ces barrages étaient pour la plupart des jeunes gens, des adultes et même des gamins.
Selon le témoin AFX, il y avait un barrage à deux kilomètres de chez lui. Le témoin n’y était
jamais allé en 1994, mais certains de ses amis y assuraient une permanence, et il a ajouté
qu’on avait même tué quelques personnes près de chez lui. Les tueurs se servaient de
machettes, de fusils, de grenades et de gourdins292.
316. Le témoin ABC, un Hutu qui possédait une boutique, a indiqué que la CDR était une
organisation qui avait pour objectif déclaré d’exterminer les Tutsis et des gens de Butare et
286

Compte rendu de l’audience du 29 mai 2002, p. 43 à 45.
Ibid., p. 186 à 191.
288
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 95 à 98.
289
Compte rendu de l’audience du 23 mai 2002, p. 61 à 65.
290
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 171 à 175.
291
Compte rendu de l’audience du 7 mai 2001, p. 20 à 23.
292
Compte rendu de l’audience du 3 mai 2001, p. 23 à 28.
287

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Gitarama. Il a dit qu’il le savait parce les membres de ce parti ne s’en cachaient pas et
agissaient ouvertement293. Il a décrit trois barrages établis à un kilomètre d’intervalle et a dit
qu’ils étaient tenus par les Impuzamugambi et des militants de la CDR. Il a ajouté que
Barayagwiza supervisait ces barrages294. Le témoin ABC a déclaré avoir été contraint par les
Impuzamugambi de travailler à un barrage routier établi près de l’ambassade du Canada, en
avril, mai et juin 1994. À ce barrage, on tuait tous ceux qui avaient des cartes d’identité disant
qu’ils étaient tutsis. Les Impuzamugambi étaient armés. Les Tutsis identifiés étaient mis à
l’écart et on leur disait de rester assis dans un endroit précis, jusqu’au soir où on les emmenait
ailleurs pour les tuer 295 . Il a mentionné l’assassinat de plusieurs enfants et d’un certain
nombre d’autres personnes. Il a relaté un fait qui s’était déroulé en mai : il avait entendu jeter
des gens vivants dans une fosse septique vide, qu’on avait ensuite ensevelis sous des pierres.
Le lendemain, il avait vu des traces de sang dans l’enceinte du bâtiment et des corps
recouverts de terre dans la fosse septique. Il avait vu auparavant huit Tutsis aux barrages,
mais comme ils n’étaient plus là, il avait compris qu’ils avaient été tués et jetés dans la fosse.
Les Impuzamugambi lui avaient dit de dire qu’ils étaient partis rejoindre les Inkotanyi296.
317. Le témoin à décharge B3, militant de la CDR, a reconnu que celle-ci possédait une
milice, les Impuzamugambi297. Il a déclaré ne pas être fier des excès commis par la CDR qui
allaient à l’encontre des droits de l’homme298. Il devait y être mis fin et il a reconnu que la
CDR avait sa part sombre comme les autres partis, mais il était toujours fier des aspects
positifs de ce parti. Il a défini ces excès comme des conflits internes et a admis que toutes les
manifestations de haine ainsi que le meurtre de Tutsis et de Hutus devaient être inclus dans
cette définition299. À la question à lui posée en contre-interrogatoire de savoir si la CDR était
le parti politique le plus à même d’unir les Hutus et les Tutsis, le témoin B3 a répondu que
cela n’avait manifestement pas été le cas300.
318. Hassan Ngeze a déclaré n’avoir vu aucun militant de la CDR à ces barrages et ne pas
se rappeler que des leaders de ce parti aient demandé que l’on fournisse des armes aux
hommes qui les gardaient. Il a affirmé qu’il ne voyait rien de répréhensible pour ces leaders
de demander au Gouvernement d’armer les militaires et d’autres personnes, et non ceux qui
tenaient les barrages, pour protéger le pays et arrêter l’avancée du FPR301. Lors de son contreinterrogatoire, on a demandé à Ngeze ce qu’il entendait par « nos gens aux barrages »,
expression qu’il avait utilisée lors d’une interview accordée à Radio Rwanda : visait-il la
milice des Interahamwe et les Impuzamugambi ? Ngeze l’a nié et a affirmé qu’il voulait
parler des Rwandais de l’intérieur qui n’étaient pas favorables au FPR. Le texte de cette
émission ne fait aucune référence à la milice. L’expression « nos gens » n’est pas précisée302.
293

Comptes rendus des audiences du 28 août 2001, p. 55 à 60, et du 29 août 2001, p. 104 et 105.
Compte rendu de l’audience du 28 août 2001, p. 27 à 29 et 96 et 97.
295
Comptes rendus des audiences du 28 août 2001, p. 87 à 91, et du 29 août 2001, p. 42 et 43.
296
Comptes rendus des audiences du 28 août 2001, p. 30 à 48 et 92 et 93, du 29 août 2001, p. 15 et 16, et du
30 août 2001, p. 8.
297
Compte rendu de l’audience du 4 décembre 2002, p. 20 et 21.
298
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 53.
299
Compte rendu de l’audience du 4 décembre 2002, p. 14 et 15.
300
Ibid., p. 14.
301
Pièce à conviction P105/4D ; compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 65.
302
Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 70 à 73.
294

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Les Impuzamugambi : L’aile jeunesse de la CDR
319. Plusieurs témoins à charge ont mentionné l’existence d’une aile jeunesse de la CDR,
faisant office de milice du parti. Les témoins à charge AHI, AFB, AGX et Serushago ainsi
que le témoin à décharge ASI ont tous déclaré que la CDR avait une aile jeunesse dont les
membres s’appelaient les Impuzamugambi303. Le témoin à charge AHI, aujourd’hui en prison
à Gisenyi, accusé de génocide, était membre de la CDR depuis 1992. Il a déclaré faire partie
de l’aile jeunesse, les Impuzamugambi. Ils étaient chargés de protéger les responsables de la
CDR au niveau de la préfecture, ce qu’ils ont fait de mai 1992 à 1994. Il a ajouté qu’en 1994,
cependant, leur mission était de tuer les Tutsis. Le témoin AHI les avait vus, en compagnie
des Interahamwe, tuer à la machette, au fusil, à la grenade et avec des gourdins cloutés, armes
qu’ils avaient obtenues dans les camps militaires et qui étaient distribués par des gradés dont
il a cité les noms304. Le témoin AFB a déclaré que Barayagwiza et d’autres membres de la
CDR avaient créé cette aile jeunesse, les Impuzamugambi, qu’il connaissait parce qu’ils
reprenaient l’expression « tubatsembatsembe », employée par Barayagwiza lors de ses
meetings. Il jugeait acceptable de constituer une aile jeunesse d’un parti politique en lui
inculquant le besoin de mener une guerre politique culturelle, mais ajoutait qu’on apprenait
aux Impuzamugambi à tuer305.
320. Lors de son contre-interrogatoire, Des Forges a contredit l’allégation du conseil de
Barayagwiza que la CDR n’avait jamais eu de milice. Elle a déclaré qu’il y avait un groupe
de jeunes gens parfaitement identifiables liés à la CDR, dotés d’une organisation et de
dirigeants élus, dont l’existence était connue de dizaines de milliers de Rwandais. Elle a cité
le livre de Barayagwiza, Le Sang Hutu est-il rouge ? qui mentionnait que l’aile jeunesse de la
CDR avait organisé des élections début 1994, mais s’est elle-même corrigée par la suite en
reconnaissant que ces élections étaient en fait celles de la CDR. Elle a également rappelé que
Katumba était président de l’organisation de la jeunesse de la CDR dans un secteur de Kigali.
Elle a en outre fait état des comptes rendus des réunions du comité exécutif de la CDR en
novembre 1993 où il était dit que l’aile jeunesse avait dépassé les bornes, se mêlait des
décisions politiques et qu’il fallait la réorganiser pour protéger les membres du parti et
s’assurer qu’elle ne s’immisce plus dans les décisions politiques. Par la suite, début 1994, il y
avait eu un effort pour restructurer l’aile jeunesse du parti. Des Forges a également souligné
que le nom « Impuzamugambi » était employé dans les communiqués de presse de la CDR et
peut-être dans le livre de Barayagwiza et que tout le monde comprenait qu’il visait l’aile
jeunesse et non le parti lui-même. Comme preuve supplémentaire de l’existence d’une milice
au sein de la CDR, elle a cité un passage du livre de Barayagwiza, dans lequel celui-ci
écrivait : « Notre aile jeunesse n’a pas reçu les mêmes armes avant début avril et alors qu’elle
était en pleine réorganisation306 ». Plusieurs autres extraits du livre ont été cités, dont celui
qui mentionnait que les Impuzamugambi combattaient aux côtés des Interahamwe, faisant
ainsi allusion, selon le Procureur, aux milices, affirmation contredite par les conseils de

303

Comptes rendus des audiences du 4 septembre 2001, p. 55 à 64 et 135 à 138, du 6 mars 2001, p. 59 à 62, du
13 juin 2001, p. 38, du 4 novembre 2002, p. 90 à 92, et du 21 novembre 2001, p. 116 et 117.
304
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 55 à 64 et 116 et 117.
305
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 45 à 71 ; voir plus haut note 114.
306
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2002, p. 197 à 204.
Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Barayagwiza qui soulignaient que ce texte qualifiait les Impuzamugambi et Interahamwe de
« jeunesses » et non de « milices307 ». Voici la phrase en question et celle qui suit :
African Rights devrait savoir par ailleurs faire la différence entre les « milices » qui
ont combattu vaillamment contre le FPR, ses alliés et ses complices et les
Interahamwe ou les Impuzamugambi, jeunesses respectivement des partis MRND et
CDR. Si certains parmi ces jeunes gens ont pris les armes pour défendre la patrie, ils
ne l’ont pas fait en tant que membres des jeunesses de partis, mais en tant que
308
patriotes rwandais .

Le conseil de Barayagwiza a insisté sur un autre passage du livre où il était dit que la CDR
n’avait pas de milice309.
321. Hassan Ngeze a déclaré ne pas savoir si les dirigeants de la CDR avaient encouragé
l’aile jeunesse à tuer l’ennemi, les Tutsis, et ne pas savoir non plus si ces dirigeants avaient
appelé à armer les Interahamwe ou les Impuzamugambi pour combattre l’ennemi310.
Relations entre la CDR et le MRND
322. Plusieurs témoins ont parlé des relations entre la CDR et le MRND. Des Forges a
déclaré que les Interahamwe et la milice de la CDR opéraient conjointement de 1992 à la fin
janvier 1993. Par la suite, il y avait eu une rupture si grave que Barayagwiza avait écrit dans
son livre, Le Sang Hutu est-il Rouge ? que, s’il y avait jamais eu un moment où la CDR aurait
pu éliminer le Président, cela aurait été en mars 1993. En août 1993, la CDR commençait à
s’aligner sur le MRND, pour finir par collaborer très étroitement avec ce parti fin octobre
1993, lors de la création du mouvement Hutu Power. [Barayagwiza écrit dans son livre :
« Les milices de ces partis ont fusionné et sont devenues une force unique, après le 6 avril
1994311 »].
323. Le témoin AHA, ami et collègue de Ngeze, qui avait assisté aux réunions entre celuici et Baryagwiza au moment de la création de la CDR, a dit qu’ils craignaient que les Tutsis
eussent commencé à infiltrer le MRND et que la CDR était considérée comme un parti des
Hutus, protégé de ce type d’infiltration, et créé par des membres du MRND qui avaient quitté
ce parti 312 . Le témoin ABE a également déclaré que la CDR résultait d’une scission du
MRND, mais l’a décrite comme une fille du MRND, en ajoutant que le MRND supervisait
les activités de la CDR313. La CDR avait été fondée pour pouvoir dire ce que le MRND ne
pouvait pas déclarer, car celui-ci se présentait comme le parti de tous les Rwandais, par
exemple tenir des propos semant la discorde en attisant les différences régionales ou
ethniques. Le témoin ABE a dit que les bailleurs de fonds et les partis de l’opposition
exhortaient le Président Habyarimana et ses collaborateurs à introduire le multipartisme. La
307

Compte rendu de l’audience du 9 juillet 2002, p. 111 à 114.
Pièce à conviction P148, p. 99.
309
Ibid., p. 245 ; compte rendu de l’audience du 9 juillet 2002, p. 112 à 114 et 261 à 263.
310
Compte rendu de l’audience du 4 avril 2003, p. 14 et 15.
311
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2002, p. 191 à 193.
312
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 194 à 196.
313
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 47 et 48.
308

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CDR était le porte-parole extrémiste du MRND, qui, a-t-il conclu, approuvait la CDR
puisqu’il n’avait jamais critiqué ce parti pour ses propos qui fomentaient la haine entre les
groupes ethniques314. Lors de son contre-interrogatoire, il a affirmé que le communiqué de la
CDR du 9 mars 1993, qui demandait la démission de Habyarimana, avait été écrit pour duper
la population et n’avait jamais eu de suite. Il a ajouté que Habyarimana avait bataillé ferme
pour que la CDR intègre le Gouvernement315. Pour le témoin ABC, le MRND et la CDR ne
faisaient qu’un, c’étaient des organisations qui voulaient exterminer les Tutsis et ce jusqu’au
dernier316.
324. Le témoin AAY a déclaré que les Impuzamugambi de la CDR et les Interahamwe du
MRND collaboraient317. Il a dit que la CDR et le MRND étaient les partis qui dirigeaient le
pays et qu’en conséquence un Interahamwe pouvait être plus puissant qu’un militaire318. Le
témoin AHI, membre de la CDR et de son aile jeunesse les Impuzamugambi, était chargé de
hisser et d’amener le drapeau de la CDR à Gisenyi. On lui avait dit que seuls les drapeaux du
MRND et de la CDR pouvaient être hissés, mais aucun de ceux des autres partis. Il a déclaré
que les Impuzamugambi avaient les mêmes objectifs que l’aile jeunesse du MRND, les
Interahamwe, et qu’ils avaient tous participé aux meurtres319. Le témoin AAM, paysan tutsi
de Gisenyi, a déclaré qu’entre 1990 et 1994, des Tutsis avaient été tués par des militants de la
CDR et du MRND simplement parce qu’ils étaient tutsis320. Le témoin ABC, Hutu qui tenait
un magasin à Gisenyi, a déclaré avoir entendu, le 7 avril 1994, vers 5 heures du matin, des
coups de feu, ainsi que le bruit causé par l’explosion de bombes et de grenades. Il avait vu les
Interahamwe et les Impuzamugambi utiliser des sifflets. À Kimihurura, il avait vu des gens
armés de machettes et de fusils poursuivre les Tutsis du coin. Comme ils essayaient de
s’enfuir vers Gikondo, ils ont été tués à coups de machettes, et quelques membres de la CDR
et des Interahamwe leur avaient tiré dessus avec des fusils. Les Tutsis étaient également
pourchassés en d’autres endroits. Les militants de la CDR et les Impuzamugambi qui tenaient
les barrages routiers interdisaient aux Tutsis de passer. Il y avait beaucoup de cadavres de
Tutsis sur la route et dans les marécages321. Il a ajouté que le MRND et la CDR étaient des
organisations qui voulaient exterminer les Tutsis et ce jusqu’au dernier322.
325. Le témoin BI a déclaré qu’après que la RTLM eut cité son nom, une pierre avait été
lancée sur sa maison par deux personnes coiffées de bérets de la CDR et une autre qui
appartenait aux Interahamwe. Le témoin avait essayé à deux reprises d’informer la police
qu’elle avait été victime de menaces, mais en vain, car les Impuzamugambi et les
Interahamwe étaient les outils des hommes au pouvoir. Une autre fois, elle avait été attaquée
dans la rue. Certains de ses agresseurs portaient des uniformes et des bérets de la CDR et
d’autres étaient en civil. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin BI a dit que la violence
314

Comptes rendus des audiences du 26 février 2001, p. 47 à 57 ainsi que 150 et 151, et du 27 février 2001,
p. 36 et 37 ainsi que 157 à 161.
315
Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 161 à 164.
316
Comptes rendus des audiences du 28 août 2001, p. 55 à 60, et du 29 août 2001, p. 95.
317
Compte rendu de l’audience du 19 mars 2001, p. 158 et 159.
318
Compte rendu de l’audience du 20 mars 2001, p. 23 et 24.
319
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 55 à 64 et 116 et 117.
320
Compte rendu de l’audience du 13 février 2001, p. 11 à 13.
321
Compte rendu de l’audience du 28 août 2001, p. 22 à 29.
322
Comptes rendus des audiences du 28 août 2001, p. 55 à 60, et du 29 août 2001, p. 104 et 105.
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qui régnait dans plusieurs régions du pays entre octobre 1990 et le 6 avril 1994 était
imputables aux Interahamwe et aux Impuzamugambi, qui étaient parfois accompagnés de
soldats, et que les Tutsis en étaient la cible323.
326. Le témoin LAG, détenu à Cyangugu depuis 1995 en raison de sa participation aux
événements de 1994, a déclaré que le 7 avril 1994, à 10 heures du matin, s’était tenue une
réunion de sécurité à la préfecture de Cyangugu, à laquelle avaient assisté des dirigeants du
MRND et de la CDR. Ils lui avaient ordonné, à lui et aux autres, de débusquer les Tutsis de
leurs cachettes, de dresser des barrages routiers pour empêcher ceux qui avaient des voitures
de s’enfuir, et d’organiser des patrouilles. C’étaient les leaders du MRND et de la CDR, et en
particulier les Interahamwe et les Impuzamugambi, qui avaient mis le témoin LAG en charge
du barrage. Il a ajouté que les dirigeants du MRND et de la CDR composaient le
gouvernement de l’époque. Ils avaient reçu l’ordre de ces dirigeants de rechercher les
membres des partis de l’opposition. Ils étaient censés mettre le feu à leurs maisons et à leurs
drapeaux. Le témoin a confirmé qu’ils avaient bien fait ce qu’on leur avait ordonné de faire :
arrêter des Tutsis et brûler leurs maisons et leurs drapeaux. Ils avaient établi des barrages
dont l’un était tenu par le témoin LAG avec l’aide d’une trentaine de personnes. Ils avaient
des grenades, des machettes, des gourdins, et le témoin avait une Kalachnikov. Leur mission
était d’éliminer les Tutsis qui essayaient de franchir les barrages pour se rendre au Zaïre. Des
militaires les avaient formés à l’emploi des armes et des grenades sous couvert de défense
civile, terme qui, selon le témoin LAG, était employé pour les étrangers. Il a ajouté : « Ces
entraînements n’étaient pas effectués dans le cadre de la défense civile, parce qu’après cela,
les personnes allaient tuer des Tutsis ». Si la défense civile avait été l’objectif, a-t-il dit, ces
gens n’auraient pas été tués. Il a ajouté : « Les barrières qui ont été érigées n’avaient pas pour
but de défendre ou de se défendre de quoi que ce soit, contre quoi que ce soit. Ces barrières
avaient pour but d’empêcher les Tutsis de fuir et de leur faire du mal324 ».
327. Omar Serushago a parlé de deux réunions qui s’étaient tenues entre janvier et avril
1994, à quelques jours l’une de l’autre. Des militants de la CDR et du MRND y assistaient,
dont Barayagwiza et Ngeze. Ces réunions étaient destinées aux hommes d’affaires et aux
intellectuels, et Barayagwiza avait pris la parole lors de la seconde, pour dire qu’il n’y avait
qu’un seul ennemi, le Tutsi, et qu’il fallait rapidement lutter contre lui. Le but de cette
réunion était de collecter des fonds pour acheter des armes, des fusils ou des machettes.
Barayagwiza et Ngeze avaient tous deux donné de l’argent au cours de cette réunion 325 .
Serushago a également déclaré qu’au moment de la mort de Bucyana en février 1994, il avait
vu un fax envoyé par Barayagwiza un jour où il se trouvait devant le kiosque de Ngeze à
Gisenyi. Il était dit dans ce fax, adressé à l’aile jeunesse de la CDR et au MRND, que
maintenant que les Inyenzi avaient tué le président de la CDR, il fallait que tous les Hutus
soient vigilants et suivent les Tutsis jusque dans leurs cachettes. Il ajoutait qu’il fallait les
pourchasser et les tuer, même s’ils se réfugiaient dans des églises. Serushago a déclaré que
d’avril à juin 1994, la CDR et des groupes d’Interahamwe s’étaient réunis chaque soir pour
faire rapport du nombre de Tutsis tués326 . Les dirigeants des partis, dont Barayagwiza et
323

Comptes rendus des audiences du 8 mai 2001, p. 119 et 120, 146 à 148, et du 14 mai 2001, p. 169 à 174.
Comptes rendus des audiences du 30 août 2001, p. 62 à 75, et du 3 septembre 2001, p. 61 à 67.
325
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 123 à 128.
326
Ibid., p. 132 à 142.
324

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Ngeze, assistaient à ces réunions. Il était d’usage pour les six groupes d’Interahamwe et
d’Impuzamugambi de Gisenyi d’intégrer à leurs groupes respectifs des membres du MRND et
de la CDR327. À Gisenyi, les partis dominants étaient le MRND et la CDR328. Serushago a
déclaré qu’ils formaient en quelque sorte un parti unique et partageaient les mêmes objectifs
qu’il qualifiait de haine et d’extrémisme329. Un autre membre des Interahamwe, le témoin X,
a déclaré que le MRND et la CDR avaient des liens étroits et que les Interahamwe assistaient
aux meetings de la CDR et vice versa. Il a dit avoir appris du comité exécutif du MRND
qu’ils étaient sur le point de créer un parti strictement réservé aux Hutus330. Il a décrit la CDR
comme l’aile radicale du MRND, le mot « radical » signifiant qu’elle ne comprenait qu’un
seul groupe ethnique331.
328. Nahimana a déclaré que plusieurs membres du MRND avaient quitté ce parti pour
créer la CDR dont ils partageaient l’idéologie et les a décrits comme deux partis distincts332.
Ngeze les a également qualifiés de partis distincts, précisant que Nahimana était au MRND et
n’avait aucun lien avec la CDR333. Le témoin à décharge I2 a déclaré que la CDR avait été
créée car certains pensaient que le MRND n’était pas assez ferme à l’encontre du FPR et
faisait preuve de laxisme à son égard. Le MRND était en effet supposé avoir fait trop de
concessions au FPR lors des négociations des Accords d’Arusha. Selon le témoin I2, la CDR
estimait que les Hutus, étant majoritaires dans la population, devraient l’être aussi dans les
institutions nationales. Lui-même ne partageait pas cette opinion, car il pensait qu’ils devaient
se définir dans le cadre d’une démocratie majoritaire, sans rapport avec l’appartenance
ethnique, mais a nié que la CDR ait employé la force pour atteindre ses objectifs334.
329. Plusieurs témoins à décharge appelés par les conseils de Ngeze, dont les témoins
RM118 et BAZ1, ont déclaré que les Impuzamugambi étaient l’aile jeunesse de la CDR335. Le
témoin BAZ15 a affirmé que, quels que soient leur âge et leur sexe, les Tutsis étaient en
danger en 1994 car les Interahamwe et les Impuzamugambi les tuaient 336 . Les
Impuzamugambi portaient des uniformes rouge, jaune et noir et des bérets lors des meetings
de la CDR. Il avait vu les milices emmener des gens, et une fois même les tuer. Ceux qui
tenaient les barrages routiers en 1994 portaient des uniformes militaires et non les uniformes
de leur parti si bien que le témoin ne pouvait identifier à quel parti ils appartenaient337 Le
témoin BAZ1 a déclaré avoir simplement vu les Interahamwe porter les couleurs de leur
parti, mais jamais les Impuzamugambi à Gisenyi338.

327

Compte rendu de l’audience du 16 novembre 2001, p. 44 à 46, 60 et 61.
Comptes rendus des audiences du 19 novembre 2001, p. 49 et 106, et du 20 novembre 2001, p. 69 à 71.
329
Compte rendu de l’audience du 21 novembre 2001, p. 27 et 28, 31 et 32.
330
Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 71 à 76.
331
Compte rendu de l’audience du 25 février 2002, p. 108 à 119.
332
Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 79 à 83.
333
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 10 à 12.
334
Compte rendu de l’audience du 28 octobre 2002, p. 293 à 296.
335
Comptes rendus des audiences du 3 mars 2003, p. 41 et 42, du 16 janvier 2003, p. 69 à 71, et du 13 mars
2003, p. 87 et 88.
336
Ibid., p. 40 à 42.
337
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 61 à 63.
338
Compte rendu de l’audience du 27 janvier 2003, p. 90 à 92.
328

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Crédibilité des témoins
330. La Chambre a porté des appréciations sur la crédibilité des témoins GO, LAG, AFB,
MK, EB, AEU, AGX, X, AHB, AFX, AHA, AAY, AHI, BI, Nsanzuwera, Serushago,
Nahimana et Ngeze aux paragraphes 608, 333, 815, 886, 812, 814, 813, 547, 724, 712, 132,
774, 775, 465, 545 et 816, ainsi qu’aux sections 5.4 et 7.6.
331. Le témoin ABC a été contre-interrogé sur plusieurs points de son témoignage. On lui
a demandé comment il avait pu déterminer à partir de ce qu’il avait entendu que les gens
étaient attaqués à la machette plutôt qu’avec d’autres armes. Il a répondu qu’il pouvait
entendre les cris de ceux qui avaient été attaqués à la machette mais n’étaient pas morts. On
lui a aussi demandé sur quoi il se fondait pour affirmer avoir été contraint de collaborer avec
les Impuzamugambi. Il a déclaré qu’ils ne lui avaient pas mis un fusil sur la tempe, mais
qu’ils lui avaient dit qu’il n’était pas question qu’il reste chez lui pendant qu’eux étaient à
l’extérieur. Il a ajouté qu’il avait bu en leur compagnie, précisant plus tard que c’était la seule
fois, parce qu’il croyait qu’ils allaient le tuer. Le témoin ABC a également été interrogé sur sa
déclaration écrite, dans laquelle il affirmait ne savoir ni lire ni écrire, alors qu’il prétendait
être capable de lire Kangura et avait dit que Kabanabake écrivait dans Kangura. Il a répondu
avoir déclaré aux enquêteurs qu’il n’avait pas été à l’école et expliqué qu’il avait entendu
parler de la collaboration de Kabanabake à Kangura sur les ondes de la RTLM. On lui a
demandé s’il ne confondait pas Kabanabake avec Kabonabake, un autre journaliste, mais il a
maintenu sa déposition, disant qu’il connaissait bien ce journaliste. On lui a fait observer
qu’il témoignait pour sauver sa peau étant donné qu’on l’avait identifié comme l’un des
Impuzamugambi sur les barrages. Il a maintenu qu’il témoignait sous serment de ce qu’il
avait vu. La Chambre estime qu’aucune des questions soulevées lors du contre-interrogatoire
n’a effectivement porté atteinte à la crédibilité du témoin. Elle tient par conséquent la
déposition du témoin ABC pour crédible.
332. Le témoin ABE a été contre-interrogé sur ses opinions politiques en ce qui concerne
la guerre et la situation des réfugiés rwandais 339 . On l’a également interrogé sur son
emprisonnement au Rwanda en 1991 et 1992 sous l’inculpation de complicité avec le FPR. Il
a reconnu avoir été emprisonné pour cette raison, mais a nié être un complice du FPR340. On
l’a aussi questionné sur ses affiliations institutionnelles et sur les relations que lui-même ou
l’organisation à laquelle il appartenait, Humura, entretenait avec le Gouvernement rwandais.
Il a répondu que ni lui ni cette organisation n’avait de lien avec ce gouvernement341. Invité à
dire pourquoi il avait parlé d’une réunion avec le MRND en 1993 qu’il n’avait pas
mentionnée dans sa déclaration, le témoin ABE a expliqué que, lorsqu’il avait été entendu
dans le cadre de cette déclaration, il avait répondu aux questions posées et qu’il était possible
qu’il se fût remémoré d’autres incidents par la suite 342 . La Chambre considère que la
crédibilité du témoin n’a pas été entamée lors du contre-interrogatoire et retient son
témoignage comme crédible.
339

Comptes rendus des audiences du 26 février 2001, p. 16 à 133, du 27 février 2001, p. 13 à 18 et 27 à 29, et du
28 février 2001, p. 2 à 9.
340
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 156 à 159.
341
Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 75 à 82.
342
Ibid., p. 153 à 155.
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

333. Le témoin LAG a été condamné pour complicité de génocide et purge actuellement
une peine de onze ans d’emprisonnement au Rwanda, après avoir plaidé coupable et accepté
de coopérer avec les procureurs de la République au Rwanda. Il n’avait pas été accusé d’avoir
personnellement commis de meurtre. Il a été questionné de manière approfondie sur son
emprisonnement et l’accord qu’il avait conclu avec le Procureur, en particulier sur sa
négociation. Il a nié avoir témoigné pour aider certains de ses parents qui étaient détenus et
devaient répondre de divers chefs d’inculpation et a également nié avoir bénéficié d’une
sentence relativement clémente parce qu’il avait accepté de témoigner contre Barayagwiza et
Ngeze 343 . Contre-interrogé sur les circonstances au cours desquelles il avait entendu
Barayagwiza et Ngeze prendre la parole lors des funérailles de Bucyana, le témoin a affirmé
qu’il pouvait les voir et les entendre tous les deux344. Questionné sur des éléments de son
témoignage que les conseils jugeaient contradictoires, par exemple s’il avait réellement vu
brûler des maisons tutsies ou s’il avait assisté au début de l’incendie, le témoin LAG a fourni
des explications et des éclaircissements cohérents et les détails supplémentaires qu’il a
donnés ont établi, aux yeux de la Chambre, l’absence effective de contradictions 345 . La
Chambre relève que le témoin LAG n’était pas communicatif lors de son contreinterrogatoire. Les questions devaient souvent être répétées à plusieurs reprises avant qu’il
n’y réponde. La Chambre considère que cette réticence, bien qu’elle n’ait pas aidé au bon
déroulement de l’audience, n’a pas affecté la véracité de son témoignage. En conséquence
elle conclut que la déposition du témoin LAG est crédible.
334. Les témoins à décharge BAZ1 et RM118 n’ont pas été contre-interrogés plus avant
sur les Impuzamugambi. La Chambre considère que leurs témoignages sur ce point n’ont pas
été mis en doute et conclut que leurs déclarations à ce sujet sont crédibles. Le témoin BAZ4
n’a pas été contre-interrogé sur la CDR. La Chambre considère que son témoignage à ce sujet
n’a pas été mis en doute et conclut que ses déclarations sont crédibles. Le témoin RM117 n’a
pas non plus été contre-interrogé sur la CDR. La Chambre considère que son témoignage à ce
sujet n’a pas été mis en doute et conclut que ses déclarations sont crédibles. Le témoin
BAZ15 n’a pas été contre-interrogé sur les Impuzamugambi. La Chambre considère que son
témoignage à ce sujet n’a pas été mis en doute et conclut que ses déclarations sont crédibles.
Le témoin B3 a fait preuve de clarté et de franchise dans sa déposition sur la CDR,
soulignant même que celle-ci n’avait pas respecté les principes démocratiques auxquels elle
aspirait. En conséquence, la Chambre considère que son témoignage sur la CDR est crédible.
Le témoin D3 n’a pas été contre-interrogé plus avant sur la CDR. La Chambre considère que
son témoignage à ce sujet n’a pas été mis en doute et conclut que ses déclarations sur la CDR
sont crédibles. La déposition du témoin I2 sur la CDR n’a pas été effectivement mise en
doute, aussi la Chambre considère-t-elle que ses déclarations à ce sujet sont crédibles. Les
témoins se sont corroborés les uns les autres au cours de leurs dépositions sur la CDR et les
Impuzamugambi. Le témoin ASI a refusé d’admettre que la CDR était un parti extrémiste. Il
n’avait personnellement participé à aucune réunion de la CDR 346 . Son témoignage sur la
CDR étant limité, la Chambre ne s’appuiera pas sur ses déclarations à ce sujet.
343

Comptes rendus des audiences du 30 août 2001, p. 90 à 119 (huis clos), du 3 septembre 2001, p. 118 à 143, et
du 4 septembre 2001, p. 1 à 4, 37 et 38.
344
Compte rendu de l’audience du 3 septembre 2001, p. 13 à 23 et 32 à 34.
345
Ibid., p. 94 à 104.
346
Compte rendu de l’audience du 4 novembre 2002, p. 91 et 139.
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Appréciation des éléments de preuve
335. Bien que l’adhésion à la CDR était théoriquement ouverte à tous les Rwandais, il
ressort clairement de la preuve que les membres de ce parti, censé défendre les intérêts hutus,
étaient exclusivement des Hutus en pratique, mais qu’il s’agissait aussi d’une décision de
principe. La perception largement répandue et illustrée par des caricatures publiées dans des
journaux était que la CDR était 100 % hutue, et la déposition du témoin X donne même à
entendre qu’un mariage mixte faisait obstacle à l’adhésion à la CDR. La description par le
témoin EB de sa fuite du stade sur la pointe des pieds, effrayé et cachant son nez, illustre bien
l’impact que ces critères d’adhésion fondés sur l’appartenance ethnique avaient sur le public
et la manière dont l’attention des participants était attirée sur les traits physiques de ceux qui
assistaient à un meeting de la CDR. La Chambre relève que la politique d’adhésion de la
CDR était de ne recruter que des membres hutus, ce qui a été confirmé par les dépositions des
témoins hutus autant que tutsis, et expliqué personnellement au témoin X par Barayagwiza et
au témoin AGX par Ngeze. Le témoin AFB avait entendu Barayagwiza dire publiquement
lors d’un meeting de la CDR que ce parti était réservé aux Hutus, affirmation cadrant avec la
politique générale de la CDR, fondée sur le principe que chaque groupe ethnique avait ses
propres intérêts et devait avoir son propre parti pour les défendre. Bien que le témoin B3 ait
déclaré que l’adhésion à la CDR était ouverte à tous, sans distinction d’appartenance
ethnique, il a été incapable de nommer des Tutsis qui en auraient été membres. La Chambre
ne juge pas Ngeze crédible lorsqu’il affirme qu’il y avait de nombreux membres tutsis au sein
de la CDR et une femme tutsie au comité exécutif et relève qu’il avait déclaré, lors d’une
interview à Radio Rwanda, que les graines semées par la CDR, invitation explicite à la
population hutue de s’unir pour combattre l’ennemi, avaient porté leurs fruits. Il y avait peutêtre eu quelques Tutsis présents lors des meetings de la CDR, voire considérés comme
membres de ce parti, mais la Chambre estime, au vu des preuves qu’on lui a fournies, que
leur nombre aurait été négligeable et ne frappait pas d’inexactitude la qualification de parti
hutu pour la CDR.
336. Des témoignages ont été apportés sur les actes de violence perpétrés par des militants
de la CDR. En ce qui concerne certains de ceux-ci, comme l’agression du témoin BI par des
personnes portant l’uniforme ou la casquette de la CDR, rien n’indique que celle-ci les ait
planifiés. En fait, le témoin BI a précisé qu’une émission de la RTLM devait être à l’origine
de cette agression et que ses agresseurs n’étaient pas exclusivement des militants de la CDR.
S’agissant de l’attaque d’une l’église par des militants de la CDR en août 1992, la Chambre
relève que les assaillants sortaient d’un meeting de la CDR et exigeaient qu’on leur remette
les Tutsis cachés dans l’église. Bien que tous les actes de violence perpétrés par des militants
de la CDR ne puissent être directement liés à une directive de la CDR, il y a des preuves que
ce parti prônait la violence, et le fait que de telles brutalités aient été commises à la sortie
d’un meeting de la CDR suggère qu’elles étaient liées au message transmis lors de cette
réunion. Le message véhiculé lors des meetings, selon plusieurs témoins, était non seulement
que la CDR était un parti pour les Hutus, mais aussi que les Tutsis devaient être exterminés,
« tubatsembatsembe » ou « exterminons-les », expression employée par Barayagwiza luimême, selon le témoin X. Nahimana a nié que ce terme ait été mentionné lors de la réunion
de la CDR à laquelle il avait participé, mais d’autres témoins, dont AFB et X, ont déclaré le
contraire. Le témoin AFB a affirmé, plus généralement, que c’était une expression que
Barayagwiza employait dans ses meetings. Même Nahimana a confirmé que la CDR avait fait
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l’objet de plaintes, fin 1993 et début 1994, pour avoir chanté une chanson contenant
l’expression « tubatsembatsembe ». La Chambre relève qu’une enquête sur les violences
commises contre les Tutsis, fin 1992 et début 1993, menée par plusieurs diplomates, avait
conclu que la CDR était impliquée dans l’organisation et l’exécution de ces massacres.
Lorsqu’on lui avait demandé de calmer certains militants de la CDR et de les empêcher de
commettre des violences, Barayagwiza avait apparemment répondu à l’ambassadeur des
États-Unis qu’il était extrêmement difficile de les contenir car ils étaient en proie à la peur et
fous de colère. Il avait affirmé faire de son mieux, mais cette conversation avait été décrite
comme une « engueulade », ce qui donne à penser qu’il justifiait en fait cette violence. Selon
Serushago, Barayagwiza et Ngeze collectaient des fonds pour la CDR, auxquels ils
contribuaient aussi personnellement, pour acheter des armes, bien que la Chambre relève que
cette affirmation n’est pas corroborée. Dans sa déposition, le témoin précisait que les actes de
violence perpétrés par la CDR en 1994 étaient de mieux en mieux organisés. La description
faite par le témoin ABC du meurtre de Tutsis par les Impuzamugambi en charge d’un barrage
routier illustre clairement les efforts systématiques déployés par ceux-ci pour tuer les Tutsis.
337. La Défense a mis en doute les preuves avancées par le Procureur de l’existence d’une
milice de la CDR constituée de jeunes gens. Bien que la structure formelle de l’aile jeunesse
de la CDR ne se dégage pas clairement des éléments de preuve produits, les témoins à
décharge ont reconnu que la CDR possédait une aile jeunesse dénommée Impuzamugambi.
La Chambre relève qu’il y a une certaine confusion due au fait que le mot Impuzamugambi
fait également partie du nom de la CDR en kinyarwanda, Impuzamugambi Ziharanira
Repubulika. Néanmoins, il ressort clairement des éléments de preuve produits que
l’expression Impuzamugambi visait l’aile jeunesse de la CDR et que c’est ainsi que la plupart
des gens l’entendaient. Dans son livre Le Sang Hutu est-il Rouge ? Barayagwiza avait
employé les termes Interahamwe et Impuzamugambi pour décrire les ailes jeunesse
respectives du MRND et de la CDR. Ces termes avaient toutefos été considérés à tort par le
Procureur comme une admission que l’aile jeunesse était une milice. Or l’auteur disait
clairement dans la phrase suivante que la CDR n’avait pas de milice et que si certains jeunes
parmi les Impuzamugambi prenaient les armes, ils le faisaient de manière indépendante, et
non parce qu’ils étaient membres du parti. Pourtant, le témoin à décharge B3, militant de la
CDR, a reconnu que celle-ci avait une milice et qu’elle était formée des Impuzamugambi. Il a
également reconnu ce qu’il qualifiait d’excès commis par la CDR. Plusieurs témoins à
charge, dont le témoin AHI, lui-même membre des Impuzamugambi, ont déclaré qu’on
apprenait à ceux-ci à tuer et que c’était leur rôle. Certains témoins ont attribué ces meurtres à
la CDR en général, et d’autres aux Impuzamugambi en particulier ; mais ces meurtres ont
clairement été attribués à la CDR, et leur cible était clairement définie comme étant la
population tutsie, aux dires des témoins BI, AAM, ABC, AHI, LAG et Serushago. Le témoin
AFX a déclaré qu’en 1994, la CDR à Gisenyi avait pour activités principales de dresser des
barrages routiers et de tuer. Serushago, l’un des leaders des Interahamwe de Gisenyi, a
déclaré qu’il y avait des militants de la CDR dans chaque section de la milice à Gisenyi.
Ngeze n’est pas crédible lorsqu’il affirme n’avoir vu aucun militant de la CDR aux barrages.
338. La Chambre considère que le lien entre la CDR et le MRND découlait de ces actes de
violence, commis aussi bien dans les rues qu’aux barrages, ce lien s’établissant tout
particulièrement entre les jeunes militants de ces partis, les Impuzamugambi et les
Interahamwe, et leurs leaders qui organisaient les actions visant à débusquer de leur cachette
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et à attaquer ou à tuer les Tutsis. Il ressort des dépositions des témoins AHI et LAG et de
Serushago, qui avaient tous participé à ces activités, qu’il existait entre eux une étroite
collaboration, confirmée par d’autres témoins qui avaient vu les deux groupes attaquer
ensemble. Le témoin LAG et Serushago ont tous deux déclaré que des réunions conjointes
CDR/MRND étaient organisées pour coordonner et analyser les actions. La preuve d’un lien
officiel aux plus hauts niveaux de ces partis est moins évidente. D’après tous les
témoignages, il est clair que la CDR avait été fondée par d’anciens membres du MRND. Mais
Nahimana et Ngeze ont tous deux déclaré que ces partis étaient distincts, et il est clair que
Nahimana militait pour le MRND alors que Ngeze soutenait la CDR. Le témoin ABE a laissé
entendre que la CDR avait été créée pour agir dans l’ombre au nom du MRND et pour dire ce
que celui-ci ne pouvait dire publiquement. Ces propos ne concordent pas totalement avec
ceux du témoin AHA qui a dit que la création de la CDR était le fruit de l’insatisfaction
générale au sein du parti qui pensait que les Tutsis avaient infiltré le MRND, mais cela ne
cadre pas non plus avec la déposition d’Alison Des Forges qui a parlé d’une cassure nette
entre ces partis au premier semestre 1993 pour ajouter cependant que dès le mois d’août
1993, les différends s’aplanissaient et qu’en octobre 1993 les deux partis collaboraient de
manière très étroite. Les dépositions de témoins tels que ABE selon lesquelles les deux partis
ne faisaient qu’un semblent donner l’impression d’un objectif commun de ces partis, plutôt
que d’un lien organisationnel, d’une relation de symbiose au sein de laquelle ils partageaient
un même objectif : exterminer la population tutsie.
Conclusions factuelles
339. La Chambre conclut que la CDR était un parti hutu et que les Rwandais
d’appartenance ethnique tutsie ne pouvaient y adhérer. Cette politique générale a été
explicitement communiquée aux militants et au grand public par Barayagwiza et Ngeze.
340. Au cours de 1994, et plus particulièrement entre le 6 avril et le 17 juillet, Barayagwiza
a continué de diriger effectivement la CDR et les militants de celle-ci. La CDR prônait le
meurtre des Tutsis, comme le prouvent les mots « tubatsembatsembe » ou « exterminonsles » scandés par Barayagwiza et les militants de la CDR présents lors de meetings publics.
341. La CDR avait une aile jeunesse appelée les Impuzamugambi, qui allait devenir sa
milice. Les militants de la CDR et les Impuzamugambi étaient supervisés par Barayagwiza et
agissaient sous sa direction lorsqu’ils perpétraient meurtres et autres actes de violence. Les
Impuzamugambi avaient établi des barrages qu’ils gardaient, dans le but d’identifier et de tuer
les civils tutsis. Barayagwiza leur avait ordonné de ne pas laisser passer les Tutsis et de les
tuer sauf s’ils possédaient une carte de la CDR ou du MRND. Barayagwiza a fourni aux
Impuzamugambi les armes utilisées pour tuer les Tutsis. Les Impuzamugambi et les
Interahamwe ont tué un grand nombre de civils tutsis dans la préfecture de Gisenyi.
4.

LA RTLM

4.1

Les émissions de la RTLM

342. Selon de nombreux témoins, la radio jouait un rôle important dans la vie des
Rwandais. Le témoin expert à charge Alison Des Forges a déclaré qu’au cours des années
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1980, le gouvernement MRND avait subventionné la production d’appareils radios qui étaient
vendus à prix réduit, voire distribués gratuitement à ceux qui appartenaient à la structure
administrative du parti. Selon Des Forges, la radio prenait de plus en plus d’importance en
tant que source d’information et moyen de divertissement et dominait la vie sociale347. La
RTLM a commencé à émettre en juillet 1993348. Le témoin à charge BI a évoqué la popularité
de la RTLM lors de son lancement en remarquant qu’il y avait toujours des jeunes dans les
rues en train de l’écouter sur leurs radios et que ses émissions constituaient un sujet commun
de conversation dans les maisons, les bureaux ou dans la rue. Elle a déclaré que presque tout
le monde possédait une radio et écoutait la RTLM 349 . Le témoin FY a dit que les gens
écoutaient la RTLM dans les bars et au travail et qu’on pouvait l’entendre dans les taxis et au
marché. Il a également déclaré qu’elle était populaire à Kigali, que les jeunes appréciaient
particulièrement la musique et que les émissions n’étaient pas ennuyeuses350.
343. Selon le témoin à charge François Xavier Nsanzuwera, qui était Procureur à Kigali en
1994, la RTLM était constamment écoutée et, au cours des derniers mois de 1993 et au début
de 1994, on trouvait des petites radios dans les bureaux, les cafés, les bars et autres lieux de
rassemblement publics, même dans les taxis, où les gens écoutaient la RTLM. Il a déclaré
qu’après le 6 avril 1994, les milices postées aux barrages routiers écoutaient la RTLM. Il a dit
avoir passé au moins quatre barrages routiers le 10 avril et avoir remarqué que tous ceux qui
les tenaient écoutaient la RTLM. Il a observé cela à de nombreuses occasions et a déclaré que
les radios et les armes constituaient les deux objets clés se trouvant aux barrages routiers351.
Le témoin LAG, qui était posté à un barrage routier à Cyangugu, a déclaré qu’ils étaient
informés de la situation dans le pays et des instructions de leurs dirigeants par l’intermédiaire
de la RTLM352. Le témoin ABC, qui était également posté à un barrage routier, a dit qu’il
n’écoutait que la RTLM parce que c’était la radio que les autres écoutaient 353 . Il a été
présenté à la Chambre la vidéo d’un barrage routier tenu par des hommes écoutant la RTLM.
344. Plusieurs centaines de cassettes des émissions de la RTLM ont été versées au dossier
et certaines de ces émissions ont fait l’objet de discussion à l’audience. La Chambre s’est
concentrée principalement, mais non exclusivement, sur les émissions ainsi mises en exergue
en considérant qu’elles représentaient, de l’avis des parties, les éléments de preuve les plus
incriminants et les plus disculpatoires. Lors de son examen, la Chambre a identifié différents
domaines d’investigation. Elle s’est plus particulièrement intéressée aux émissions évoquant
la question de l’appartenance ethnique et à celles appelant la population à agir.
4.1.1

Avant le 6 avril 1994

345. Certaines émissions de la RTLM portaient essentiellement sur l’appartenance
ethnique dans son contexte historique, dans le but manifeste de sensibiliser les gens à la
dynamique politique des relations entre les Hutus et les Tutsis. Au cours d’une de celles-ci en
347

Compte rendu de l’audience du 20 mai 2002, p. 196 à 200.
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 143 à 147.
349
Compte rendu de l’audience du 8 mai 2001, p. 89 à 91.
350
Compte rendu de l’audience du 9 juillet 2001, p. 14 à 19.
351
Comptes rendus des audiences du 23 avril 2003, p. 62 à 69 et 106 à 114, et du 24 avril 2003, p. 52 à 54.
352
Comptes rendus des audiences du 30 août 2001, p. 60 à 77, et du 3 septembre 2001, p. 61 à 68.
353
Compte rendu de l’audience du 28 août 2001, p. 67 à 73.
348

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date du 12 décembre 1993, par exemple, Barayagwiza a partagé avec les auditeurs sa propre
expérience en tant que Hutu, de manière à illustrer le rôle joué par l’éducation et la culture
dans le développement de la conscience ethnique :
Un enfant Hutu … je prends mon exemple parce que je suis né d’un Hutu, mon père
est Hutu, mon grand-père est Hutu, mon arrière-grand-père est Hutu et ceux de la
famille de ma mère sont tous Hutu ; je peux dresser la généalogie de ma famille
jusqu’au neuvième degré à peu près. Ils sont Hutu. Ils m’ont éduqué à la manière des
Hutu, j’ai grandi dans une culture Hutu. Je suis né avant la révolution de cinquanteneuf, mon père faisait les travaux forcés comme Monsieur Charles l’a dit. Ma mère
allait sarcler dans les champs des Tutsi qui étaient au pouvoir. Mon grand-père payait
le tribut. J’ai assisté à tous ces événements, et quand je leur demandais pourquoi ils
allaient cultiver pour les autres, sarcler pour les autres alors que nos plantes n’étaient
pas bien entretenues ! Ils répliquaient : « c’est ainsi, nous devons travailler pour les
Tutsi ».
Dans son éducation, le Tutsi devait savoir qu’il est chef, que l’enfant Hutu est sous
son autorité. Aucun Hutu ne partageait son repas avec un Tutsi, c’était interdit. On
inculquait aux Tutsi qu’ils ne devaient pas partager les repas avec les Hutu, et à nous,
on nous inculquait d’avoir peur des Tutsi. Ce n’est pas parce que nous ne voulions
pas partager les repas avec eux, d’autant plus qu’ils amenaient de la nourriture
délicieuse, des pommes de terre cuites à l’huile de palme, alors que nous, nous
apportions de grains de maïs cuits, nous souhaitions (en riant) sans succès manger
avec eux parce que c’était interdit. Je sais que vous n’ignorez pas que je travaille au
Ministère des affaires étrangères354.

346. Le témoin expert à charge Alison Des Forges a décrit ce passage comme étant
révélateur de « l’insistance [de Barayagwiza] sur le fait que les groupes ethniques constituent
une réalité fondamentale ». Elle a suggéré que s’il n’y avait aucun mal à être fier de ses
origines ethniques, dans le contexte d’une époque où le pouvoir hutu se définissait comme
une idéologie s’opposant à un groupe minoritaire et comportant une menace de violence à
l’encontre de ce dernier, de telles déclarations étaient susceptibles d’accroître les tensions
ethniques. Ultérieurement, elle a précisé qu’elle ne parlait pas de la notion même
d’appartenance ethnique, mais de la « réinterprétation de l’ensemble des problèmes et des
conflits existant au sein de la société rwandaise en termes ethniques355 ». La Chambre relève
que quand bien même les Tutsis étaient numériquement minoritaires au Rwanda, c’est
l’histoire de leur domination politique et culturelle qui sous-tendait les déclarations de
Barayagwiza qui décrit les Hutus, d’une manière qui n’est pas inexacte, comme étant
politiquement et socialement subordonnés. Par conséquent, la Chambre estime que ces
déclarations ne constituent pas une réinterprétation.
347. Le même passage a été décrit par le témoin expert à charge Jean-Pierre Chrétien
comme un exemple de « réduction simpliste, le plus souvent du passé du Rwanda en fonction
de cette volonté d’opposer radicalement Hutus et Tutsis », ainsi que comme « une
mobilisation politique ethniste 356 ». Cette formulation suggère que la situation était
354

Pièce à conviction P103/101B ; CD66, K0164066-67.
Comptes rendus des audiences du 22 mai 2002, p. 195 à 203, et du 27 mai 2002, p. 35.
356
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 150 à 154.
355

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fondamentalement politique (politique au sens de relations dictées par l’exercice du pouvoir),
susceptible ou non d’être présentée dans un contexte ethnique. La Chambre retient que les
déclarations de Barayagwiza, souvenirs apparemment fidèles de sa propre expérience, sont
conformes au modèle historique documenté des relations ethniques au Rwanda. Dans le cadre
de l’émission, Barayagwiza a présenté une analyse politique d’une situation ethnique, c’est-àdire d’une situation dans laquelle l’appartenance ethnique faisait partie intégrante de la
dynamique.
348. Plus tard au cours de la même émission, un débat animé par Gaspard Gahigi,
rédacteur en chef de la RTLM, relatif à la signification de l’appartenance aux ethnies hutue et
tutsie, Vincent Ravi Rwabukwisi, le rédacteur hutu 357 du journal Kanguka, a déclaré que
l’identification ethnique et l’éducation des enfants en tant que Hutus ou Tutsis constituaient
la cause première du conflit. Gahigi a suggéré que « les gens [voulaient] dissimuler le
problème ethnique pour cacher aux autres qu’ils recherch[aient] le pouvoir » et a passé
ensuite la parole à Barayagwiza qui a déclaré être du même avis et a développé ce point :
Oui, parmi ceux-là, il y a surtout ceux du F.P.R. qui demandent à tout le monde
d’accepter par force que les ethnies n’existent pas. Et celui qui en parle, ils affirment
« qu’il n’est pas patriote », « qu’il est l’ennemi de la paix » et « qu’il veut diviser le
pays en deux camps ». Cependant, dès le début de nos débats, il apparaît que nous
avons prouvé que les ethnies existent, que le problème ethnique existe mais il est
basé aujourd’hui … d’ailleurs ce n’est pas aujourd’hui seulement, même depuis
longtemps, il est basé sur la recherche du pouvoir.
Les gens du FPR. disent qu’ils représentent les Tutsi mais ils constatent que ceux-ci
sont peu nombreux. Ils sont neuf pour cent. Les Hutu sont quatre-vingt pour cent. Ils
concluent ainsi : « si nous acceptons que nous sommes Tutsi et que nous acceptons le
jeu démocratique, si nous passons par la voix des urnes, les Hutu nous gouverneront
toujours et nous, nous ne gouvernerons jamais ». Voyez ce qui s’est passé au
Burundi ; eux aussi pensaient de la sorte, ils pensent ainsi ceux-là qui ont fait le coup
d’État. Ils pensent comme ces Inyenzi qui ne cherchent que le pouvoir mais tout en
sachant qu’aujourd’hui, accéder au pouvoir sans passer par la voie démocratique
n’est plus toléré. (inaudible) Ils se demandent : « comment ferons-nous pour accéder
au pouvoir » ? Et d’ajouter : « le mieux est de réfuter l’existence des ethnies ; alors si
nous conquérons le pouvoir, personne ne pourra dire qu’une seule ethnie s’en est
approprié ». Tel est notre problème actuel358.

349. Interrogée sur l’apparente ouverture du débat dans cette émission à laquelle était
invité le rédacteur du journal Kanguka, Des Forges a reconnu que de temps en temps la
RTLM présentait des points de vue opposés dans le cadre de ses émissions. Toutefois, elle a
précisé que de telles occasions étaient très rares et exceptionnelles, suggérant qu’elles
répondaient à une nécessité politique immédiate et non pas à un changement de la politique
fondamentale359. La Chambre relève que l’animateur de ce débat, Gaspard Gahigi, rédacteur
en chef de la RTLM, a donné son avis sur les problèmes débattus, laissant entendre que la
question de l’appartenance ethnique était occultée de manière à dissimuler les ambitions
357

Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 201et 203 à 205.
CD66 K0164076-77.
359
Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 207 et 218.
358

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politiques des Tutsis. Ce débat constitue, aux yeux de la Chambre, une réflexion sur la nature
de l’appartenance ethnique au Rwanda et sur son importance politique.
350. Le 31 octobre 1993, Landouald Ndasingwa, vice-président du PL tutsi et Ministre des
affaires sociales, a été interviewé sur les ondes de la RTLM. Au cours de cette interview,
Ndasingwa a fait l’éloge de la RTLM :
Je tiens d’abord à remercier la radio RTLM qui m’offre moi aussi l’occasion de
réagir à certains propos proférés à mon sujet par des personnes avec lesquelles nous
dirigeons les destinées du Parti Libéral. Il est donc louable de la part de la RTLM de
donner la parole à toutes les parties protagonistes. Cela concorde avec la culture
démocratique dans laquelle nous sommes engagés actuellement. Mon propos sera axé
sur les [propos] de Madame Ntamabyariro et Monsieur Mugenzi tenus à mon sujet au
cours de la conférence de presse de vendredi dernier. D’une manière générale, je
dirais que ce discours véhicule un seul message : c’est que chaque fois que le pouvoir
est aux abois, il invoque les déchirements inter-ethniques. Ainsi, au lieu de résoudre
les problèmes, ils s’accrochent au pouvoir en montant une ethnie contre une autre.
Cela est un vieux jeu que nous devons dépasser, particulièrement en ce moment où
360
nous venons de signer les accords de paix et de réconciliation nationale .

351. Dans une autre émission présentant la RTLM comme un forum de discussion libre, le
5 janvier 1994, Kantano Habimana a interviewé un dirigeant du FPR, Tito Rutaremara. Dans
l’introduction de son interview, Habimana a décrit sa rencontre avec les Inkotanyi :
… Les Inkotanyi ont dit : « Kantano déteste tellement les Inkotanyi ; il déteste les
Tutsis. Nous devons absolument l’avoir. Nous devons avoir ce Kantano de la RTLM.
Nous devons discuter avec lui afin de le faire changer d’avis. Il doit devenir un
supporter de l’idéologie Inkotanyi ». Tous les Inkotanyi voulaient voir ce Hutu qui
« déteste les Tutsis ». Je ne déteste pas les Tutsis ! Je ne pense pas que ce soit
vraiment ce qu’ils pensent. Non. Pourquoi haïrais-je les Tutsis ? Pourquoi haïrais-je
les Inkotanyi ? Il y a seulement eu malentendu que parce les Inkotanyi nous ont
[bombardés]. Ils nous ont chassés de nos terres et nous ont forcés à vivre dans le
dénuement sur des terres arides comme Nyacyonga. C’est la seule raison du
malentendu. Il n’y a plus de raisons de les détester. Ils ont maintenant compris que le
dialogue est essentiel. Ils ont abandonné leur méchanceté et ont déposé les armes …
Ensuite, j’ai rencontré le Dr Rutaremara Tito .... Ce Tutsi de grande taille, de ceux
que l’on décrit généralement comme des « prototypes », cet homme originaire de
Murambi est de ces gens fiers qui ont l’habitude de dire : « Shehe yewe sha » (« Hey,
petit Sheickh ! »). Il [Rutaremara] m’a alors demandé de prendre une bière avec lui.
Je l’ai informé de la situation de notre côté. Ensuite, nous sommes allés à son hôtel.
Leur hôtel grouillait d’Inkotanyi [hommes] et d’Inkotanyikazi [femmes]. … C’était
une grande foule de personnes qui allaient et venaient en buvant. La plupart d’entre
eux buvaient du lait … (inaudible). Certains d’entre eux buvaient du lait par
nostalgie. C’est surprenant de voir quelqu’un boire deux à trois litres du lait
provenant de Nyabisindu ou de Rubilizi etc … il y aurait dû y avoir pénurie de lait

360

Pièce à conviction 1D4B ; compte rendu de l’audience du 1er novembre 2000, p. 58 à 60.

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dans les laiteries. Quelqu’un m’a écrit ceci : « Au secours ! Ils ont vidé la laiterie ! »
361
j’ai vu cela de mes propres yeux. Ils possèdent un très grand stock de lait .

352. Après avoir décrit sa discussion avec Rutaremara et d’autres personnes, Kantano
Habimana a déclaré : « On sent vraiment qu’ils veulent également accéder au pouvoir. Ils
veulent le pouvoir ». Habimana a indiqué qu’il allait diffuser une interview avec Rutaremara
et a fait observer :
Il pensait que ses idées ne pouvaient pas être diffusées sur les ondes de la RTLM. Je
veux lui prouver le contraire. Les idées d’un individu ou d’un Inkotanyi peuvent être
diffusées sur les ondes de la RTLM. Oui. Ils sont aussi Rwandais. Leurs idées
seraient au moins connues d’autres personnes. Si nous ne savons pas ce qu’ils
362
pensent, nous ne les connaîtrons pas non plus .

353. À la suite de l’interview au cours de laquelle Rutaremara a critiqué le MRND, le
qualifiant de régime dictatorial responsable de la mort de plusieurs personnes, Kantano
Habimana a conclu en ces termes :
J’espère qu’il a maintenant compris que même les Intokanyi peuvent s’exprimer sur
les ondes de notre radio. Nous ne souhaitons museler personne. Même les Inkotanyi
peuvent s’exprimer sur les ondes de notre radio. […]
Ainsi donc, ceux qui pensent que notre station radio sème la discorde entre les gens
seront surpris. Vous vous rendrez compte que vous vous êtes trompés. En définitive
elle (la RTLM) s’avèrera être le médiateur entre les populations. C’est une radio qui
ne garde pas de rancune. Même ses journalistes ne nourrissent pas de rancune. La
vérité se dit sur le ton de la blague. Elle n’est pas comme on le croit une radio qui
crée des tensions. Ceux qui croient qu’elle « échauffe » les esprits sont ceux qui ont
perdu la tête. Ils ne peuvent pas continuer à dire des mensonges363.

354. Des Forges a déclaré se souvenir de cette émission de la RTLM mais n’avoir
connaissance d’aucune autre occasion au cours de laquelle un membre du FPR avait eu la
possibilité de parler sur les ondes de la RTLM. Elle a également dit que cette interview et le
débat dont il est question plus haut avec Rwabukwisi, le rédacteur du journal Kanguka,
constituaient à sa connaissance les deux seules occasions au cours desquelles la RTLM avait
autorisé d’autres voix à se faire entendre. Elle a également fait observer que Rutaremara a été
ridiculisé au cours de l’émission de la RTLM en tant que Tutsi de grande taille buveur de lait
et a expliqué l’association entre le lait et les Tutsis qui étaient de tradition pastorale364.
355. Dans le premier passage cité plus haut, Kantano Habimana a assimilé les Inkotanyi
aux Tutsis à plusieurs reprises, demandant, par exemple : « Pourquoi haïrais-je les Tutsis ?
Pourquoi haïrais-je les Inkotanyi ? » La Chambre relève le ton sarcastique de la réponse et
retient qu’il y a eu seulement malentendu parce que les Inkotanyi « nous » avaient bombardés
et chassés, faisant sans doute référence aux Hutus. Habimana a raillé le « Tutsi de grande
361

Pièce à conviction 1D9, fin, p. 1 à 4 ; CD44, K198097-98 ; 1er novembre 2000, p. 72.
Pièce à conviction 1D9, fin, p. 6 et 7 ; CD44, K198100.
363
Pièce à conviction 1D9, fin, p. 18 et 19, CD 44, K198106.
364
Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 214 à 217.
362

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taille » et a longuement tourné en dérision les Inkotanyi comme buvant de grandes quantités
de lait, assimilant de fait ceux-ci aux Tutsis. De plus, la Chambre relève qu’Habimana a
exprimé sa propre opinion au cours de l’émission en déclarant que l’on « sent[ait] vraiment
qu’ils [voulaient] également accéder au pouvoir ».
356. Après l’interview, louant la RTLM pour avoir donné la parole au FPR, Habimana a
mentionné à plusieurs reprises que la RTLM était perçue comme une radio qui « [semait] la
discorde entre les gens », « cré[ait] des tensions » et « échauff[ait] les esprits ». Bien qu’il ait
traité avec dédain ces prétendus « mensonges », l’émission dénote une parfaite connaissance
de ce qui se disait de la RTLM à cette époque et de l’impression qu’il donnait, lui, le
journaliste de la RTLM, de haïr les Tutsis.
357. Au cours d’une interview réalisée par Gaspard Gahigi, diffusée le 20 novembre 1993,
Nahimana a expliqué les origines du terme Inyenzi et son rapport avec le FPR de la manière
suivante :
Il n’y a pas de différence entre le FPR et les Inyenzi parce que ces derniers sont des
réfugiés qui ont fui le Rwanda après la révolution de la majorité en 1959, la chute de
la monarchie et l’instauration d’une République démocratique. Ceux qui ont refusé la
République et la démocratie se sont exilés d’eux-mêmes. Peu après, entre 1962 et
1967, ces réfugiés ont tenté de remplacer la nouvelle République par l’ancienne
monarchie. Ils ont lancé des attaques qui ont fait des victimes. Toutefois, le Rwanda
possédait alors une armée nationale, la garde nationale. Ces fils de la nation ont fait
de leur mieux et ont repoussé ces attaques et, en 1967, les Inyenzi ont mis un terme à
leurs attaques …Vous comprenez que le FPR qui nous a attaqués est composé de ces
gens, a pour origine ces Tutsis qui ont fui en 1959, ceux qui nous ont attaqués
jusqu’en 1967. Par conséquent, ils se sont organisés et se sont donnés le nom de FPR.
Au début de la guerre en 1990, nous avions l’habitude de dire : « Les Inyenzi nous
ont attaqués ». Le terme « Inyenzi » a été récemment abandonné lorsque nous avons
commencé à négocier. Kanyarengwe et les siens ont déclaré : « Nous ne voulons pas
être appelés Inyenzi … Les Inyenzi et les Inkotanyi sont des gens qui attaquent et qui
tuent365 » [traduction].

358. Dans un certain nombre d’émissions de la RTLM, les termes Inyenzi et Inkotanyi ont
été explicitement associés ou assimilés à la population tutsie, et la lutte pour le pouvoir a été
décrite en termes ethniques. Au cours d’une émission de la RTLM en date du 30 novembre
1993, Noël Hitimana a déclaré :
Vous avez entendu tout à l’heure une femme Inkotanyi qui m’appelé au téléphone
pour m’insulter. Vous avez noté qu’elle m’a sévèrement mis en garde, mais je ne
peux jamais supporter les atrocités des Inkotanyi. Ce sont des gens comme les autres.
Nous savons que la plupart d’entre eux sont des Tutsi et tous les Tutsi ne sont pas
méchants, mais ces derniers, au lieu de nous aider à les condamner, au contraire, ils
les soutiennent. Mais je pense qu’en fin de compte, ils seront découverts et qu’ils
recevront une sanction appropriée366.

365
366

Pièce à conviction C7, CD 64, RTLM, Index 0099, K0146481-82.
Pièce à conviction C7, CD 104, K0159514.

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359. Au cours d’une émission de la RTLM en date du 1er décembre 1993, Gaspard Gahigi
a fait observer : « Inkotanyi est une organisation des réfugiés qui sont partis en cinquanteneuf et même d’autres qui les ont suivis par la suite. Mais cette organisation revêt surtout un
caractère ethnique367 ».
360. Certaines émissions de la RTLM ne font même pas mention des Inkotanyi ou des
Inyenzi, ne parlant que des « Tutsis » en termes politiques. Lors d’une émission de la RTLM
du 4 décembre 1993, Kantano Habimana a déclaré :
Alors les Américains et leurs Tutsi et les Belges se sont insurgés menaçant d’aller
placer leurs dollars ailleurs au cas où le Rwanda refuserait le pouvoir aux Tutsi.
Laissons-les de côté et on verra entre-temps ce qui arrivera. Que les Tutsi s’en aillent,
qu’ils s’en aillent en paix, nous résoudrons nos problèmes nous-mêmes368.

361. Pendant une émission de Kantano Habimana et Noël Hitimana, le 23 mars 1994, les
journalistes de la RTLM ont averti les auditeurs d’un plan de longue date en cours
d’exécution par le FPR et de leur promesse « de combattre tout ce qu’on appelle “Power”,
c’est-à-dire de combattre tout Hutu, tout Hutu qui dit : “le Rwanda est à moi, je suis
majoritaire. C’est moi qui décide d’abord, ce n’est pas vous” ». L’émission s’est conclue de
la manière suivante :
Tout cela fait partie d’un plan qui existe, comme Kagame l’a dit lui-même, même si
on fusionne les armées, le projet des Inkotanyi est unique : reprendre le pouvoir que
les Hutus ont arraché aux Tutsis, en 1959, le récupérer et le garder aussi longtemps
qu’ils voudront. On te dit que la période de transition sera de deux ans mais elle
369
pourrait durer cent ans. Ce qui se passe au Burundi devrait nous servir de leçon .

362. Chrétien remarque, s’agissant de cette émission, l’accent mis sur la peur que doivent
ressentir les Hutus qui ont été soumis par les Tutsis370. Les Hutus ont pris le pouvoir aux
Tutsis en 1959, et ces derniers allaient le leur reprendre. Le contexte politico-historique était
décrit entièrement en termes ethniques, et les termes « Hutu » et « Tutsi » étaient utilisés pour
désigner des groupes politiques luttant pour le pouvoir. Lors d’une émission de la RTLM, le
1er février 1994, Kantano Habimana a assimilé non seulement le FPR mais également le PL,
un parti politique, aux Tutsis en disant : « On ne peut pas se fier au PL Lando. Le PL Lando
est Tutsi et les Tutsis et le FPR, c’est la même chose371 ».
363. Les émissions de la RTLM se sont mises à véhiculer des stéréotypes ethniques
d’ordre aussi bien économique que politique. Au cours d’une émission de la RTLM du
25 octobre 1993, Noël Hitimana a évoqué le nombre disproportionné de Tutsis propriétaires
de taxis :

367

Pièce à conviction C7, CD 104, C5/K 95, RTLM 0142, K0159515.
Pièce à conviction C7, CD 4, RTLM 0004, K0161629.
369
P36/73C.
370
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 137 et 138.
371
Compte rendu de l’audience du 11 avril 2001, p. 89 ; P36/44C.
368

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Ce monsieur m’a dit que le problème qui existe est un problème connu que beaucoup
de gens négligent : c’est le problème Hutu-Tutsi. Pourquoi les Hutus et les Tutsis ne
peuvent-ils pas se mettre d’accord afin que chacun sache qui il est. Je vais vous parler
d’un petit détail qui inquiète les gens. Quelqu’un m’a appelé ce matin, c’était une
femme. Elle m’a demandé de ne pas dire à notre radio RTLM que 70 % des
propriétaires de taxis dans ce pays sont des Tutsis […] Je lui ai répondu que personne
ne peut empêcher que ces statistiques soient connues lorsqu’elles existent. Les gens
les plus riches du monde font l’objet de livres et le monde les connaît alors que l’on
mentionne les plus pauvres du monde et qu’on les traite de clochards. Cela existe à
Paris ou à Kigali. Par conséquent je ne vois pas de problème à dire que les gens
possèdent de telles richesses372 [traduction].

364. Lors d’une émission de la RTLM en décembre 1993, Kantano Habimana a parlé de la
richesse des Tutsis, il a dit ce qui suit :
Cela me rappelle Shamukiga qui a entendu des gens réunis à l’hôtel Méridien
Umubano pour la création de cette radio, la RTLM. Ils étaient donc plus de cent
personnes réunies et il a appris qu’elles avaient collecté deux millions de francs
[rwandais], je pense, et il a dit : « C’est vraiment incroyable ! Vous les Hutus vous
verrez le jour où nous déciderons de créer une radio des Tutsis. Je vais réunir cinq
Tutsis et nous allons récolter cent millions » ! Hein ! Ecoutez-moi cela ! Mais cela est
vrai (il claque sa langue contre la gencive). Même s’ils disaient qu’ils sont victimes
d’injustice, ce sont eux qui ont [tout l’argent]. Il y a des gens qui ont pu voir la liste
des débiteurs de la Caisse d’épargne et ils ont constaté que la plupart étaient des
Tutsis, ou des femmes tutsies ! Quant aux Hutus, les enfants de Sebahinzi, ils sont
373
vraiment distraits !

365. Dans sa déposition, Des Forges a expliqué la référence faite lors de l’émission à
Charles Shamukiga, homme d’affaires tutsi de Kigali engagé dans des actions de défense des
droits de l’homme. Des Forges a déclaré qu’alors qu’il n’y avait qu’un petit nombre de
Tutsis, principalement dans les affaires, qui étaient riches, la grande majorité des Tutsis
étaient aussi pauvres que leurs voisins hutus. Elle a relevé que la RTLM a fréquemment
affirmé que les Tutsis étaient riches, de même que le journal Kangura ainsi que Barayagwiza,
pensait-elle, dans son livre. On mentionnait parfois le chiffre de 70 % de Tutsis parmi les
personnes fortunées du Rwanda. Lors de son contre-interrogatoire, Des Forges a qualifié ce
chiffre de dénaturation inopportune des faits établis. Selon elle, ces efforts visant à décrire les
Tutsis comme étant scandaleusement riches dans un pays d’une très grande pauvreté avaient
contribué à l’hostilité dirigée à leur encontre. Elle a également rappelé qu’à l’époque de
l’Holocauste, les Juifs avaient fréquemment été accusés de posséder une proportion
injustifiable des richesses de l’Allemagne374.
366. Prié de dire s’il était exact que les Tutsis possédaient toutes les richesses au Rwanda,
le témoin à charge François Xavier Nsanzuwera, ancien Procureur de Kigali, a répondu qu’il
n’avait pas effectué de recherches sur ce point, mais qu’à son avis la majorité des hommes
d’affaires qui étaient très riches étaient hutus, alors que le nombre de riches hommes
372

Pièce à conviction C7, CD61, K0146471.
Pièce à conviction P36/14F.
374
Comptes rendus des audiences du 22 mai 2002, p. 220 à 224, et du 27 mai 2002, p. 39 et 40.
373

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d’affaires tutsis se comptait sur les doigts de la main. Nsanzuwera a déclaré que Charles
Shamukiga l’avait appelé après cette émission et lui avait dit qu’il se sentait menacé par
celle-ci. Shamukiga avait été souvent mentionné sur les ondes de la RTLM au cours des
premiers mois de 1994 parce qu’il était un homme d’affaires tutsi connu comme étant un ami
du Président Habyarimana. Le 7 avril 1994, Shamukiga a appelé Nsanzuwera pour savoir s’il
était vrai que le Président avait été assassiné. Pendant qu’ils étaient au téléphone, des soldats
de la garde présidentielle ont enfoncé la porte de la maison de Shamukiga. Il a alors dit à
Nsanzuwera : « Ça y est, je vais mourir ». Il a ensuite été tué375.
367. Contre-interrogé au sujet de cette émission, Nahimana a d’abord fait abstraction de la
phrase « Ce sont eux qui ont tout l’argent » et a commencé par contester la traduction lorsque
cette omission a été portée à son attention, puis la signification de cette phrase dans son
contexte. Pressé de donner son avis sur l’émission, il a finalement dit qu’il n’aurait pas utilisé
un tel langage mais qu’il aurait décrit la même réalité de manière différente. Nahimana a
évité de se prononcer sur l’exactitude de cette affirmation, et lorsqu’on lui a dit qu’elle était
fausse et avait été diffusée dans l’intention de fabriquer un bouc émissaire et de créer des
dissensions ethniques, il a indiqué qu’il ne connaissait pas l’intention qui animait le
journaliste quand il a prononcé ces mots. Lorsqu’il lui a été demandé s’il serait acceptable en
l’Allemagne nazie qu’un journaliste dise que les Juifs détenaient tout l’argent, Nahimana a dit
ne pas avoir suffisamment d’informations pour répondre à la question376.
368. Les émissions de la RTLM se sont également mises à véhiculer des stéréotypes
ethniques fondés sur des caractéristiques physiques. Lors d’une émission de la RTLM du
9 décembre 1993, Kantano Habimana a évoqué les accusations selon lesquelles la RTLM
haïssait les Tutsis :
Tous les Tutsi ne sont pas méchants, il y en a parmi eux qui sont méchants. Tous les
Hutu ne sont pas tous bons, il y en a qui sont méchants. Parmi les ethnies, parmi les
Twa, il y en a qui ne sont pas bons … c’est dire donc que parmi toutes les ethnies du
Rwanda, parmi tous les hommes, l’homme reste homme. Mais quel type d’homme
est cette personne qui s’est mise en tête que la RTLM déteste les Tutsi ? Un Tutsi, (il
sourit) qui donc … de quelle manière détester les Tutsi ? Qu’a fait le Tutsi pour que
vous le détestiez ? Le seul fait de voir un Tutsi déambuler vous pousse à dire qu’il a
un joli nez, qu’il a une taille élancée, [et que sais-je encore] ? Et vous [lui en] voulez
à cause de cela ? S’il a un joli, long et mince nez, vous avez vous aussi le vôtre qui
est gros et qui vous permet d’inspirer assez d’air et de respirer de façon à aérer vos
poumons.
La Radio RTLM ne déteste pas les Tutsi. Elle n’a aucun litige avec eux, ne les nourrit
pas et [ils ne sont pas às sa] charge ; […] alors qui de la RTLM déteste les Tutsi ?
[…] Personne parmi eux ne m’a ni hébergé ni nourri. S’en trouverait-il un parmi eux
que j’aurais nourri ? … d’autant plus qu’ils passent leur chemin et que je passe le
mien ! Hein ? Lorsque je circule là-bas au marché au quartier Mateus, ils m’entourent
et font je ne sais quoi etc … (il sourit) Tiens-je des propos qui ne leur plaisent pas ?
C’est possible (incompréhensible). C’est leur affaire. Je ne peux néanmoins taire les
atrocités commises par les Inkotanyi par peur d’altercations avec les Tutsi. Cela n’est
375
376

Comptes rendus des audiences du 23 avril 2001, p. 148 à 153, et du 24 avril 2001, p. 35 à 47.
Compte rendu de l’audience du 16 octobre 2002, p. 13 à 37.

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pas possible ! Je ne peux pas taire les atrocités commises par les Hutu de peur de
provoquer des altercations avec eux. Toutes les mauvaises personnes sont à
désapprouver. En effet, si le monde ne comprenait que de mauvaises personnes, les
377
Rwandais serais mauvais peu importe [leur origine ethnique] .

369. Malgré les efforts déployés par Habimana pour faire preuve d’impartialité, la
Chambre relève l’hostilité et le ressentiment à l’encontre des Tutsis qui émanent de cette
émission ainsi que la reconnaissance du fait que certains pensaient que la RTLM haïssait les
Tutsis. Les dénégations n’emportent guère la conviction. Lors d’une autre émission de la
RTLM du 1er janvier 1994, Kantano Habimana a de nouveau fait état des préoccupations
exprimées par d’autres et selon lesquelles la RTLM encourageait la haine ethnique :
Vraiment de petits enfants - de petits enfants tutsis, qui sont venus me tenir ces
propos : « Bonjour Kantano. Nous vous apprécions, mais de grâce, [n’échauffez pas
nos esprits] ». Il rit. Alors, j’ai eu un fou-rire : « Eh, petits enfants, [comment est-ce
que j’échaufferai vos esprits]? » Ils ont répliqué que lorsqu’ils sont en train de se
promener en petit nombre, et que je parle de Tutsis, ils ont peur des agressions des
membres de la CDR. Ils m’ont prié de ne plus en parler, de peur de les énerver. «
Non, [c’est] que vous êtes encore des enfants. Là n’est pas mon propos. Mais, dans
cette guerre que nous menons, dans ce tournant difficile que nous traversons, où les
Hutus et les Tutsis se trompent mutuellement et se battent les uns contre les autres,
pour se piéger et s’entretuer, je ne peux pas m’empêcher d’expliquer la situation et de
pointer du doigt les menteurs. Aussi, du moment que les Tutsis veulent reconquérir le
pouvoir par ruse, il est un devoir pour chacun d’aviser le peuple majoritaire, de le
prévenir de la menace qui pèse sur eux, et des acquis pour lesquels il s’est battu en
1959 […] Chers enfants, ne m’en voulez pas outre mesure; je n’ai rien contre les
Tutsis, ni contre les Twas, ni contre les Hutus. Je suis Hutu, mais je n’ai rien contre
les Tutsis. Cependant, dans l’état actuel de la politique nationale, je ne peux
m’empêcher d’expliquer, de prévenir, en disant : « Faites attention, les Tutsis
veulent, par force ou par ruse, s’approprier les biens des Hutus ». Mes propos n’ont
aucun rapport avec une quelconque haine contre les Tutsis. Il s’agit plutôt de donner
des explications, et puis, tout événement appelle des commentaires378.

370. À nouveau dans cette émission, il n’a pas été question d’Inkotanyi ou d’Inyenzi. Les
adversaires étaient présentés comme étant les Hutus et les Tutsis. On disait des Tutsis qu’ils
voulaient reprendre le pouvoir par la force ou par la ruse, et Habimana a répété de manière
peu convaincante : « Je n’ai rien contre les Tutsis », affirmation démentie par le reste de ses
propos. La Chambre relève qu’Habimana lui-même a raconté avoir été pris d’un fou rire
devant la peur que les émissions de la RTLM avaient suscitée chez de très jeunes enfants
tutsis. L’émission démontre clairement l’impact de la RTLM sur le public : « elle échauffait
les esprits ». Cela démontre aussi que ces préoccupations ont été portées à l’attention de la
radio qui les a rejetées d’emblée, les taxant de ridicules.
371. La volonté des émissions de la RTLM d’ « échauffer les esprits » est démontrée par
celles qui appelaient la population à prendre les armes. Lors d’une émission de la RTLM du
16 mars 1994, Valérie Bemeriki a transmis un appel au « soulèvement » :
377
378

Pièce à conviction C7, CD108 K0163480-81.
Pièce à conviction P36/38, p. 13 à 17.

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Nous connaissons la sagesse de nos Forces armées. Elles sont prudentes. Ce que nous
pouvons faire, c’est de les aider, les aider sans réserve. Il y a quelques instants, des
auditeurs ont appelé pour me le confirmer en disant : « nous serons derrière notre
armée et si besoin est, nous prendrons n’importe quelle arme, des lances, des arcs …
Traditionnellement tout homme en possède chez lui, mais nous aussi nous nous
lèverons ». Selon notre compréhension, les Inkotanyi doivent savoir que quoi qu’ils
fassent, destruction des infrastructures, verser le sang des innocents, ils ne pourront
pas prendre le pouvoir au Rwanda. Qu’ils sachent que cela est impossible. Qu’ils
sachent cependant qu’ils font du tort à leurs enfants et à leurs petits-enfants car un
jour ils pourraient avoir à en rendre compte379.

372. Chrétien a déclaré en commentant cette émission que l’on doit comprendre que le
terme Inkotanyi utilisé dans ce passage fait référence aux Tutsis 380 . La Chambre relève
qu’aucun passage de cette émission ne justifie une telle interprétation. Dans le contexte
d’autres émissions, par contre, dont beaucoup assimilent implicitement ou explicitement les
Inkotanyi aux Tutsis, le terme Inkotanyi a bien pu être généralement compris comme faisant
référence à la population tutsie dans son ensemble.
373. Au cours d’une émission en date du 20 mars 1993, Kantano Habimana a raconté
l’incident suivant :
D’autres personnes viennent de nous téléphoner. Ils téléphonent parce que la radio
RTLM est en perpétuelle interaction avec vous. Tout à l’heure, nous avons parlé d’un
individu portant un béret de … de l’armée … un béret qui ressemble à celui des
militaires de l’ONU. Cet individu est passé à Kacyiru. Quand les gens l’ont aperçu, il
est tout de suite monté à bord d’un bus. Je viens de connaître le nom de cet homme ;
il s’appelle Félicien Nkusi. Il est venu me voir et m’a dit … [?] Au fait, il portait un
béret bleu sur lequel il y avait un insigne avec la mention « SECURIC ». Il m’a dit :
« Monsieur Kantano, je vous ai entendu parler de moi sur vos antennes. Je ne
voudrais pas que les gens me lapident. En effet, je m’appelle Félicien Nkusi ». Il m’a
montré sa carte de service et m’a dit : « Je travaille pour la société SECURIC, une
société offrant des services de sécurité ». Les agents de cette société portent des
bérets bleus et blancs. Sur ce point, et peut-être pour se protéger, pour que ces gens
ne créent pas la confusion, ils pourraient modifier leur béret. Ils peuvent ajouter juste
un petit rien. Même quelque chose de bleu ferait l’affaire … Ils peuvent y ajouter un
autre pan de tissu. Mais que leur béret ne ressemble pas à celui des casques bleus de
l’ONU ; afin que l’on ne les confonde pas. Dans tous les cas, Monsieur Félicien
Nkusi, je crois que personne ne te lancera des pierres. Cependant, si votre patron est à
l’écoute, dites-lui de vous changer de bérets, car ceux que vous avez ressemblent à
ceux des casques bleus de l’ONU. Quoi qu’il en soit, il est plus facile de dire à votre
service de sécurité de changer de béret que de le dire à ceux de l’ONU. Vous
comprenez que cela nous coûterait cher de dire aux gens de l’ONU de changer. Que
votre société change cette tenue qui ressemble à celle de l’ONU381.

379

P36/60C.
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 95 et 96.
381
Pièce à conviction 1D50C, p. 21.
380

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374. En contre-interrogatoire, on a fait valoir à Nahimana que cette émission, qui faisait
immédiatement suite à sa propre interview réalisée par Gaspard Gahigi, démontrait le pouvoir
de la RTLM, que la simple mention d’une personne et de la casquette qu’elle portait pouvait
l’exposer à des jets de pierres. Nahimana a dit que son interview avait été préenregistrée et
qu’il n’avait pas connaissance de l’émission. Il a ajouté qu’il en aurait parlé au Comité
d’initiative comme il l’avait fait au sujet d’une autre émission. Il a déclaré que ce genre
d’erreur n’était pas acceptable et devrait être sanctionné 382 . La Chambre retient que
l’émission révèle l’absence de toute inquiétude liée à la possibilité pour la RTLM de
provoquer la lapidation d’un représentant de l’ONU, qui est ainsi implicitement considérée
comme étant acceptable, le but étant d’empêcher que d’autres innocents arborant une tenue
semblable subissent un tel traitement. En fait, cette émission démontre que la RTLM était
consciente que la mention du nom d’un individu pouvait avoir pour celui-ci des conséquences
préjudiciables.
375. Un grand nombre des émissions de la RTLM examinées par la Chambre ont
publiquement désigné par leur nom des individus comme étant les complices du FPR et ont
appelé les auditeurs à être vigilants quant au risque que présentaient ces individus pour la
sécurité. Lors d’une émission de la RTLM en date du 15 mars 1994, Noël Hitimana a
déclaré :
Mais à Bilyogo j’y ai fait une enquête, il y a des personnes alliées aux Inkotanyi, la
fois passée on y a attrapé le Lt Eric, je lui dis que s’il veut, qu’il vienne voir où est
son béret parce qu’il y a même son matricule, on l’a attrapé chez Nyiranuma à
Kinyambo. Il y a d’autres qui sont devenus Inkotanyi, Marc Zuberi, bonjour Marc
Zuberi (il rit ironiquement), Marc Zuberi était transporteur de bananes à Kibungo.
Avec l’argent des Inkotanyi, il vient de s’y construire une immense maison, donc il
ne pourra pas faire semblant, seulement des fois il ment qu’il est Interahamwe ;
mentir que tu es interahamwe et quand les gens viennent te contrôler constatent que
tu es Inkotanyi. Ceci est un problème, ce sera comme à Ruhengeri quand ils
(Inkotanyi) sont descendus des volcans en se surnommant des membres de la CDR, la
population les a accueillis avec joie en croyant que ce sont des CDR qui descendaient
et ils les ont exterminés. Lui aussi ment qu’il est Interahamwe et pourtant il est
Inkotanyi, c’est connu. Comment est ce qu’il s’y prend quand on attrape son confrère
Nkotanyi Tutsi ? Qu’il exprime sa douleur.
Passons à Gitega, je salue le conseiller, qu’il continue à garder l’œil sur les gens
parce qu’à Gitega il y a beaucoup de personnes et même les Inkotanyi. Il y a même
un vieux qui va souvent au CND, il habite tout près des personnes du MDR, près de
Mustafa, aucun jour qui passe sans qu’il aille au CND, il porte une robe (robe
musulmane), il a un œil (umuturi) presque sorti de son orbite, je ne veux pas citer son
nom, mais les gens de Gitega le connaissent. Il y va tous les jours, et quand il vient de
là, il amène les nouvelles à Bilyogo chez ses confrères, que je les nomme ? Chez
383
Gatarayiha Seleman, chez l’homme qui boite « Ndayitabi » .

376. La Chambre relève que les gens nommément désignés dans cette émission étaient
manifestement des civils. Les raisons pour lesquelles la RTLM a fait publiquement peser sur
382
383

Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 151 à 155.
Pièce à conviction C7, CD 126, K0146968-69.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

eux la suspicion ont été précisées dans le cadre de l’émission. Elles sont vagues, hautement
spéculatives et n’ont apparemment aucun rapport avec une activité militaire ou une
insurrection armée.
377. Au cours d’une émission de la RTLM du 14 mars 1994, Gaspard Gahigi a
nommément désigné un Inkotanyi et a donné, à l’issue de l’émission, les noms de l’ensemble
des membres de sa famille :
À la RTLM, nous avons décidé de demeurer éveillés. Je voudrais vous dire aux
habitants de Biryogo qui nous écoutent, qu’ils doivent rester vigilants, savoir qu’un
charançon s’est introduit parmi eux, qu’ils sont infiltrés, qu’ils doivent dès lors
redoubler de vigilance afin de pouvoir se défendre et se protéger. Vous pouvez dire :
« Gahigi, n’es-tu pas en train de chercher à nous effrayer ? ». Ce n’est pas pour vous
effrayer, moi j’affirme qu’il faut dire la vérité aux gens, que c’est cela qui est utile,
beaucoup plus que de leur mentir. Je voudrais vous dire à vous, habitants de Biryogo,
qu’un de vos voisins, du nom de Manzi Sudi Fadi, alias, Bucumi, vous a quittés, et
qu’il travaille aujourd’hui comme technicien à la radio Muhabura. Nous avons saisi
une lettre qu’il a adressée à Hitimana Ismaël, alias Safari, . . . Ce Hitimana Ismaël
alias Safari, dirige une brigade des Inkotanyi là-bas dans le quartier de Biryogo, une
brigade qu’on appelle Abatiganda, il en est coordinateur. Cette brigade regroupe ces
Inkotanyi qui se trouvent là-bas à Biryogo.
Selon nos investigations, des brigades comme celle-là seraient aussi bien dans
d’autres endroits à Kigali, que ceux qui habitent dans d’autres quartiers de Kigali
soient donc aussi vigilants... Mais, pour qui penserait que cela n’est pas vrai,
normalement je ne peux pas donner lecture de cette lettre sur les antennes de la
RTLM car nous respectons le caractère confidentiel des documents, mais je voudrais
vous dire que, dans sa lettre (je ne vous lirais que quelques extraits juste pour vous
donner la preuve que ladite lettre n’est pas une invention de ma part), le dénommé
Manzi Sudi Fadi alias Bucumi Higo écrit : « aux jeunes qui constituent la brigade
Abatiganda, je vous salue encore une fois, . . . jeunesse qui aspire au changement
dans notre pays, et qui est rassemblée dans la famille du FPR Inkotanyi, je vous dis,
« ayez de l’amour entre vous, l’ambition et le courage ». Il dit : « comment allezvous à Biryogo ? » C’est en ces termes que ce Manzi Sudi Fadi alias Bicumbi salue
ces jeunes qui constituent la brigade de Biryogo. Notez donc que cette brigade existe
bel et bien dans le quartier de Biryogo, sachez aussi que le dénommé Manzi Sudi
vous a quitté, que cette brigade est dirigée par un homme du nom de Hilimana
Ismaël, coordinateur de la brigade Abatiganda de Biryogo. Alors, cet homme Manzi
Sudi dit : « soyez forts, je pense beaucoup à vous, gardez courage dans la guerre de
libération, même si le temps qui reste est très bref. Je salue Juma, et papa Juma, je
salue aussi Espérance, Clarisse, Cintré et sa petite sœur, … Umutoni384 ».

378. Chrétien a relevé que cette émission accusait nommément une personne d’être
complice du FPR et donnait lecture d’une lettre privée, avec mention notamment des noms
des membres de la famille. Il a déclaré qu’un enquêteur du TPIR avait été en mesure de
localiser Manzi Sudi Fahdi à Kigali et qu’il avait appris que toute sa famille, y compris les
enfants Espérance, Clarisse, Cintré et d’autres, avaient été tués au cours du génocide385.
384
385

P36/54C.
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 204 à 206.

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379. Interrogé au sujet de cette émission et, en particulier, au sujet de la lecture des noms
des sœurs figurant à la fin de la lettre, Nahimana a déclaré que cette dernière prouvait
l’existence des brigades du FPR. Il a demandé pourquoi le FPR constituait des brigades et
recrutait des gens alors que les Accords d’Arusha devaient être appliqués. Il a dit que ces
brigades avaient tué des civils et des familles entières et qu’il fallait utiliser la lettre pour
retrouver leurs membres. Interrogé à nouveau sur le point de savoir si l’émission de la RTLM
ne mettait pas en danger les sœurs dont les noms y figuraient, Nahimana a répondu qu’il ne
pouvait accepter que le Procureur ne dise rien des crimes commis par le FPR. Il a ajouté que
cet aspect de la lettre était celui sur lequel il fallait insister. Interrogé une nouvelle fois par la
Chambre sur ce qu’il pensait de la diffusion des noms des sœurs, il a répondu n’avoir jamais
apprécié la pratique consistant à diffuser le nom des gens, surtout lorsque cela pouvait
provoquer leur mort386. Tout en reconnaissant que la lettre constitue effectivement la preuve
de l’existence des brigades du FPR, la Chambre estime néanmoins qu’il est significatif qu’il
ait fallu poser trois fois la question à Nahimana pour que ce dernier se prononce enfin
clairement contre cette pratique.
380. Lors d’une émission de la RTLM diffusée entre le 1er et le 3 avril 1994, Noël
Hitimana a énuméré en passant une série de noms de gens dont il a dit qu’ils étaient les
complices des Inkotanyi :
Voilà les gens que nous voyons collaborer avec les Inkotanyi, ils les ont notés, voici
les gens que nous voyons collaborer avec les Inkotanyi : Sebucinganda de Butete à
Kidaho, Laurence la femme de Gakenyeri, le dénommé Kura de Butete. Le conseiller
de Butete collabore également avec les Inkotanyi et Haguma, un Inkotanyi qui a un
cabaret à la commune Kidaho dans la maison de la femme de Gakenyeri et elle qui
parle l’anglais avec les gens de la MINUAR pour dérouter la population, c’est
Haguma qui parle l’anglais. Et les jeunes du secteur Gitare, là où on appelle Rusizi,
et les jeunes de Burambi, il semble qu’ils se connaissent387.

381. Hitimana n’a fourni aucune preuve au soutien de son affirmation faisant de ces gens
des complices des Inkotanyi. Lors d’une émission de la RTLM diffusée le 1er avril 1994, Noël
Hitimana a raconté une série de faits, spéculant sur le rôle de plusieurs docteurs dans le récent
meurtre d’un Hutu :
Parlons maintenant de la mort de Katumba qui suscite beaucoup d’inquiétude ...L’on
rapporte qu’hier, la ville de Kigali a été paralysée suite à sa mort ... À part que les
gens trompent l’opinion publique, était-ce seulement Katumba qui est mort dans cette
ville de Kigali ? Ou n’est-ce pas au contraire suite à la mort du Tutsi Maurice ? Estce vraiment la mort de Katumba, un Hutu, qui a provoqué l’arrêt de toutes les
activités à Kigali? La mort d’un Tutsi ne peut-elle pas provoquer une telle situation ?
Qu’ils ne trompent personne. Les assassins de Katumba ne sont-ils pas les mêmes
que ceux qui ont tué Maurice pour semer la confusion, c’est-à-dire pour donner
l’impression qu’un Tutsi et un Hutu ont perdu leurs vies dans les mêmes conditions.
On n’est pas dupe, qu’ils ne sèment pas la confusion car des rumeurs qui viennent de
me parvenir disent que le Docteur Nyirasanyiginya André, un radiologue qui travaille
386
387

Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 144 à 151.
Pièce à conviction C7, CD 91, K0198752.

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à l’hôpital Roi Fayçal, l’hôpital le plus moderne du pays ... II travaille même de
temps en temps à mi-temps au C.H.K. ... Et les gens de dire : « Du reste, tel que nous
le connaissions, ha ! Il n’a jamais cesse de dire, même quand il était encore à
Bruxelles, qu’il serait «le sympathisant des Inkotanyi ». Il se pourrait que ce soit des
rumeurs mais si c’est vrai, ses voisins peuvent maintenant nous téléphoner à nouveau
pour nous dire que le Docteur et sa famille ne sont plus chez eux.
Hum! Le Docteur Iyamuremye Pierre est originaire de Cyangugu hum, sa mère est
Hutue, son père est Tutsi, n’est-ce pas ? Mais alors (rire), il travaille à l’ORL (Otorhino-laryngologie) au C.H.K. (rire). Par conséquent, la fuite des gens qui avaient
l’habitude de parler de Katumba … peut servir de piste à une enquête pour connaître
son vrai assassin. Cette même enquête pourrait révéler si les docteurs, au cas où il y
aurait des personnes qui peuvent attester que Katumba les gênaient dans leur service
... or Katumba était chauffeur, hum! au [Ministère de la santé], que ces docteurs
parlaient de lui en ces termes : « Ce salaud de la CDR, qui nous gêne ». Si donc ils se
sont [enfuis] suite à la mort de Katumba, ce sont eux par conséquent qui en
connaissent la cause et celui qui l’a tué, hum ! (rire).
Aussi, Monsieur André, si vous vous trouvez au CND388 et que vous êtes en train
d’écouter la Radio RTLM, sachez bien que vous répondrez de la mort de Katumba
puisque vous n’étiez pas en bons termes avec lui et tout le monde en est au courant à
votre lieu de travail. Si, par conséquent, vous vous êtes enfui ... mais si jamais vous
êtes chez vous, téléphonez-nous ou venez ici et demandez-nous de vous donner la
parole pour prouver que vous étiez en bons termes avec Katumba et déclarez vousmême, Docteur André Iyamuremye, que vous êtes physiquement présent.
II s’agissait du Docteur Ngirabanyiginya, quant à Iyamuremye, son prénom est
Pierre. Hum! Tous les deux avaient donc des problèmes particuliers avec Katumba et
ils se seraient, paraît-il, enfuis. S’ils sont alors partis, ils se sont automatiquement
trahis. Ils se sont trahis et par conséquent, la situation qui entoure la mort de Katumba
389
serait sur le point de se clarifier .

382. Des Forges a déclaré qu’à la fin du mois de mars 1994, Alphonse Ngabire, un
dirigeant de la CDR surnommé Katumba, avait été tué, meurtre que la RTLM avait attribué
au FPR. Elle a reconnu qu’il était de pratique courante de diffuser à la radio des indices de
culpabilité apparente relevés à charge de certaines personnes mais elle a maintenu que les
reportages de la RTLM n’étaient pas formulés de manière prudente et que ces indices étaient
présentés comme des conclusions définitives. Elle a indiqué que de tels meurtres étaient
généralement liés par la RTLM à une campagne plus vaste d’assassinats à l’encontre des
Hutus en tant que groupe, mettant l’accent sur l’appartenance ethnique et visant à intensifier
la peur. Des Forges a relevé que n’a été fournie aucune preuve de la responsabilité des
docteurs nommés dans l’émission dans le cas du meurtre de Katumba390.
383. La Chambre retient qu’il est question au cours de cette émission du docteur
Iyamuremye, fils d’une Hutue et d’un Tutsi, qu’il est considéré dès lors comme Tutsi et que
ce fait est présenté comme un élément incriminant. Il ressort clairement de l’émission
388

Les casernes à Kigali où les troupes du FPR étaient logées.
Pièce à conviction P103/189C, K0162236-38.
390
Compte rendu de l’audience du 23 mai 2002, p. 64 à 68 et 77 à 80.
389

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qu’Hitimana n’avait aucune information sur les responsables du meurtre de Katumba. Il a
laissé entendre que le docteur Ngirabanyiginya en était responsable parce qu’ils étaient en
mauvais termes. Par leur absence, les docteurs s’étaient « automatiquement trahis », a déclaré
Hitimana, incluant finalement, de manière apparemment spontanée, le docteur Iyamuremye
parmi les responsables du meurtre de Katumba. La Chambre prend acte de la demande
invitant les voisins, si les rumeurs selon lesquelles le docteur Ngirabanyiginya soutient les
Inkotanyi sont vraies, à « nous téléphoner à nouveau pour nous dire que le docteur et sa
famille ne sont plus chez eux », demande qui, selon elle, invite à prendre des mesures à
l’encontre du docteur et de sa famille.
384. Lors d’une émission de la RTLM du 3 avril 1994, Kantano Habimana a insisté sur une
réunion de Tutsis à Cyangugu :
Habimana : À Cyangugu se trouve un groupuscule, un groupuscule de Tutsis qui sont
venus d’un peu partout, certains sont venus de Bujumbura. Hier le 2 avril 1994, à
partir de 10 heures à l’hôtel Izuba, plutôt, Izuba que dis-je. Il s’agit de l’hôtel Ituze,
c’est à l’hôtel Ituze où s’est déroulée une réunion importante, à cet endroit s’est tenue
une réunion importante de Tutsis dont certains venaient de Bujumbura, sous la
direction du Médecin Directeur de la région sanitaire de Cyangugu. C’est lui qui a
dirigé cette réunion, qu’il ne le réfute pas ... en compagnie d’Emilien, hum, oui, il
était avec Emilien, Emilien venait en cachette de Bujumbura. ... Qu’il s’inscrive en
faux s’il n’était pas en compagnie de Vénuste, Kongo, Kongo le fils de Kamuzinzi, et
certaines personnes prétendent que c’est un Hutu. Qu’il ose dire qu’il n’était pas avec
eux. Toutes ces personnes s’étaient réunies pour soutenir les objectifs du FPR, hum.
Elles étaient avec d’autres nombreuses personnes que je pourrais citer, comme
Karangwa, les contrôleurs des finances et ceux des impôts. Hum! Ces ressortissants
de Cyangugu me disent : « Mettez en garde ces gens pour qu’ils ne salissent pas notre
région. Ils continuent à salir notre région en organisant des réunions. Qu’ils cherchent
un autre lieu pour abriter leurs réunions, qu’ils aillent à Bujumbura ou ailleurs, mais
pas à Cyangugu ... ». Si je cite les noms de ceux qui m’ont informé, on risquerait de
mettre Cyangugu à feu et à sang. Ce n’est pas bon, ce n’est pas bon mais l’œil du
391
peuple est vigilant .

385. Lors de sa déposition, Chrétien a fourni des informations complémentaires au sujet du
directeur médical de Cyangugu et d’autres personnes dénoncées dans cette émission en tant
que complices du FPR. Il a mentionné le livre de Wolfgang Blam, médecin allemand vivant à
Kibuye à l’époque, qui a écrit qu’il connaissait l’honnêteté de ce directeur médical et que les
accusations formulées contre lui étaient « totalement absurdes ». Blam a rapporté que trois
jours après l’émission, le directeur médical avait été brûlé vif devant sa maison, et dans son
livre il établit un lien entre ce meurtre et l’émission de radio392.
386. Contre-interrogé au sujet de cette émission, Nahimana a fait observer que les brigades
du FPR existaient. Il a relevé que le témoin à charge DM avait déclaré que Modeste Tabaro
représentait le FPR à Gisenyi et organisait des réunions. Il a déclaré ne pas savoir où le
journaliste avait obtenu les informations mais que ces listes avaient pu être fournies par les
autorités. Tout en reconnaissant qu’il s’agissait d’une simple spéculation, Nahimana a
391
392

Pièce à conviction P103/192E.
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 167 à 170, 210 et 211 ainsi que 212 à 214.

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suggéré qu’une telle réunion était possible et que les services de renseignement avaient pu en
avoir connaissance par infiltration et fait passer l’information à un journaliste. Il a déclaré que
de telles choses n’étaient pas rares au Rwanda. Lorsqu’on lui a fait remarquer que l’émission
avait fait allusion à un « groupuscule de Tutsis » et pas au FPR, il a déclaré qu’en
l’occurrence il aurait pu s’agir d’une brigade du FPR. Il a toutefois indiqué que s’il avait été
le rédacteur en chef de la RTLM, il n’aurait pas autorisé la diffusion de ce reportage parce
que l’atmosphère de l’époque était tendue et que les auditeurs auraient pu penser que ces
personnes préparaient une attaque, ce qui n’aurait pas été bien393.
387. La Chambre relève les références ethniques faites dans cette émission à une « réunion
de Tutsis » ainsi qu’au directeur médical dont il est dit qu’il avait présidé la réunion et qu’il
était considéré par certains comme étant hutu. Durant l’émission, il lui a été vivement
conseillé plusieurs fois de nier ces accusations et de dénoncer les autres personnes
nommément désignées. Abstraction faite des références ethniques, les raisons permettant de
conclure qu’il s’agissait d’une réunion du FPR n’ont pas été indiquées au cours de l’émission.
388. Lors d’une émission du 3 avril 1994, Noël Hitimana a prédit une attaque imminente
du FPR :
Ils veulent faire un petit quelque chose au cours de ces jours de Pâques. Ils disent
d’ailleurs : « nous avons des dates ». Ils ont des dates, nous les connaissons aussi. Ils
devraient faire attention, nous avons des complices au sein du FPR … qui nous
communiquent des informations. Ils nous disent ceci : « les 3, 4 et 5, quelque chose
doit se produire dans la ville de Kigali ». À partir d’aujourd’hui la journée pascale,
demain et après demain, un petit quelque chose est prévu dans la ville de Kigali et
d’ailleurs les 7 et 8 également. Ainsi donc vous entendrez les coups de feu ou bien les
déflagrations de grenades. Toutefois, j’espère que les forces armées rwandaises sont
vigilantes. Il y a des Inzirabwoba, oui, elles sont divisées en plusieurs unités! Je ne
peux pas les citer toutes. Les Inkotanyi qui ont été confrontés à elles les connaissent
... S’agissant de la protection de Kigali, oui, oui, nous le savons, nous le savons, les 3,
4 et 5 un petit quelque chose était prévu dans la ville de Kigali. Et d’ailleurs, ils
devaient encore ... se reposer le 6 pour faire un petit quelque chose les 7 et 8 ... avec
des balles et des grenades. Cependant ils avaient prévu une attaque de grande
envergure et se disaient : « après avoir opéré ce désordre dans la ville, nous allons
394
lancer une attaque de grande envergure, ensuite …» .

389. Chrétien a fait observer que cette émission avait donné de la crédibilité au « règne de
la rumeur » fondé sur la peur que tout le monde partageait à l’époque en raison de la nonapplication des Accords d’Arusha395.
4.1.2

Après le 6 avril 1994

390. Au cours des jours suivant immédiatement le 6 avril 1994, Noël Hitimana a déclaré à
la radio que Kanyarengwe et Pasteur Bizimungu étaient morts, laissant entendre que ceux-ci,
ayant souhaité et provoqué le malheur, avaient été frappés par ce dernier, et demandant ce qui
393

Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 133 à 141.
P103/192C.
395
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 166 à 170.
394

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les avait poussés à signer un pacte du sang avec ceux qui « nous » extermineraient, faisant
ainsi apparemment référence, d’après le contexte, aux Hutus396. Il a ensuite demandé aux
auditeurs de rechercher les Inyenzi :
Vous la population résidant là-bas à Rugunga, ceux qui habitent là-bas dans le
Kanogo, ceux qui habitent le Kanogo, en fait ceux qui habitent Mburabuturo,
regardez dans ce bois de Mburabuturo, regardez bien, regardez bien s’il n’y a pas
d’Inyenzi dedans, regardez bien, contrôlez, voyez si des Inyenzi ne sont pas
397
dedans …

391. Mis lors de son contre-interrogatoire devant le fait que l’information de la mort de
Kanyarengwe et de Bizimungu était fausse, Nahimana a répondu que Kanyarengwe était le
chef du FPR et Bizimungu le porte-parole. Il a indiqué qu’il pouvait comprendre que l’armée
puisse demander à des journalistes de démoraliser les adversaires. « Quand il y a la guerre, il
y a la guerre, et la propagande en fait partie », a-t-il déclaré. S’agissant de la recherche de
gens dans la forêt, Nahimana a estimé que si ces gens étaient des civils qui s’étaient réfugiés
dans la forêt par peur, il n’accepterait pas ces mots. Par contre, si le renseignement militaire
avait conclu à la présence d’agents armés infiltrés du FPR, il pouvait comprendre une
annonce telle que celle qui avait été faite au cours de l’émission398.
392. Les émissions de la RTLM ont continué après le 6 avril à désigner les Tutsis comme
étant les ennemis, parfois explicitement. Lors d’une émission diffusée le 15 mai 1994, par
exemple, le rédacteur en chef de la RTLM, Gaspard Gahigi a dit :
La guerre que nous menons donc, surtout dans ses débuts en 1990 … l’on disait
qu’elle concernait des gens qui voulaient instaurer la « démocratie » … Nous l’avons
plusieurs fois répété, cela s’est avéré un mensonge … Ces derniers temps, ils
claironnent, ils disent que les Tutsi sont en train d’être exterminés, qu’ils sont
décimés par les Hutu, et autres choses. Ici, je voudrais vous dire, chers auditeurs de la
RTLM, que la guerre que nous menons [oppose] effectivement […] ces deux ethnies,
celles des Hutu et des Tutsi399.

393. De même, lors de la diffusion par la RTLM le 29 mai 1994 d’un échange entre des
habitants et des soldats, un habitant a déclaré :
Une personne qui n’a pas de papiers devrait rester là ou même y laisser sa tête.
Toutefois, en réalité, je pense que la vérification devrait être nécessaire parce que tout
le monde devrait avoir ses papiers avec lui pour certifier qu’il est vraiment rwandais
et vraiment un fils de « Sebahinzi » qu’il n’est pas un ennemi, ou un complice ou un
Inkotanyi. Je pense que tous ceux qui restent dans ce pays, nous nous connaissons,
400
nous sommes tous les fils du « même homme » [traduction].

396

P103/122C.
Id.
398
Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 120 et 121.
399
Pièce à conviction P163C, 19023.
400
P103/14B, K0143702.
397

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394. Par l’expression « fils de Sebahinzi », utilisée pour qualifier les Hutus 401 de vrais
Rwandais, l’émission assimile en effet « un ennemi ou un complice ou un Inkotanyi » à tous
ceux qui ne sont pas Hutus.
395. Au cours d’une émission de la RTLM en date du 30 mai 1994, Kantano Habimana402
a assimilé les Inkotanyi aux Tutsis, qualifiant plusieurs fois l’ennemi d’abord d’Inkotanyi
puis de Tutsis :
Si tout le monde, si tous les 90 % des Rwandais, se lèvent comme un seul homme et
se tournent vers une même chose qu’on appelle Inkotanyi, une chose qu’on appelle
Inkotanyi uniquement, ils le chasseront jusqu’à ce qu’il [disparaisse] et ne songe plus
à revenir au Rwanda. S’ils continuent de se suicider de cette façon, ils vont
disparaître. Regarde, le jour où tous ces jeunes auront reçu des fusils, dans toutes les
communes, tout le monde veut avoir un fusil, et tous ces gens sont des Hutu,
comment les Tutsis qui constituent 10 % vont-ils trouver un nombre de jeunes, même
en faisant appel aux réfugiés, égal à celui des 90 %.
Comment les Inkotunyi vont-ils mener cette guerre à terme ? Si tous les enfants hutus
se levaient comme un seul en disant, nous ne voulons plus de descendants des Tutsi
dans notre pays, que feraient-ils ? J’espère qu’ils comprennent les conseils que même
403
les étrangers leur prodiguent .

396. Lors d’une émission de la RTLM diffusée le 4 juin 1994, Kantano Habimana a
assimilé de manière plus explicite les Inkotanyi aux Tutsis, en décrivant les caractéristiques
physiques de ce groupe ethnique comme moyen de choisir les cibles contre lesquelles diriger
la violence. Il a déclaré :
Que cent mille jeunes soient donc rapidement recrutés, qu’ils se lèvent tous et
qu’ensuite nous tuions les Inkotanyi, que nous les exterminions d’autant plus
facilement que ... la [raison pour laquelle] nous les exterminerons, c’est qu’il s’agit
d’une seule ethnie. Regardez donc une personne et voyez sa taille et son apparence
physique, regardez seulement son petit nez et ensuite cassez-le. Ensuite après,
marchons sur Kibungo, sur Rusumo, sur Ruhengeri, sur Byumba, partout, et ne nous
404
reposons qu’une fois que nous aurons libéré notre pays .

397. Kantano Habimana a explicitement assimilé l’appel à l’extermination des Inkotanyi à
l’extermination des Tutsis au cours d’une émission de la RTLM diffusée le 13 mai 1994 :
Je soupçonne donc que parmi ces gens, ces Inkotanyi, il s’y cache « un taurillon de
malheur qui exterminera le troupeau de vaches et qui est né dans ce troupeau »
[akamasa kabi kazaca inka kazivukamo]… il y a quelqu’un qui doit avoir signé le
contrat de faire exterminer les Inkotanyi … de les faire disparaître pour de bon
(burundu) … de les rayer de la mémoire des gens … de faire exterminer les Tutsi [de
401

Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 94 et 95 (déposition de Chrétien).
Ibid. Chrétien identifie le présentateur comme étant Kantano Habimana, et non pas Gaspard Gahigi comme
cela est mentionné dans le compte rendu d’audience.
403
Pièce à conviction P103/16C ; compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 105 à 107.
404
Pièce à conviction P95I, compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 127 à 130.
402

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la surface de la terre] (akamarisha abatutsi kw’isi) … de les faire disparaître pour de
405
bon … .

398. Au cours d’autres émissions, les termes Inkotanyi et Inyenzi ont été utilisés pour
qualifier l’ennemi. Lors d’une émission, le 14 mai 1994, Kantano Habimana a évoqué la
relation entre les Inkotanyi et les Tutsis en ces termes :
En kinyarwanda encore que malheureusement les Inkotanyi ne comprennent pas cette
langue, en effet, ils ont de mauvais conseillers. Oui, les Inkotanyi sont têtus. En
kinyarwanda donc, on dit qu’une famille numériquement faible se bat en s’appuyant
sur une termitière derrière laquelle elle se replie en cas de débordement. Ce proverbe
est je crois compréhensible. Quelle est la famille numériquement faible au Rwanda ?
Ce sont les Inkotanyi car c’est un groupuscule qui est issu de ceux qu’on appelle les
Tutsis. Les Tutsis sont très peu nombreux. On les estimait à 10 %, la guerre doit406
avoir ramené ce taux à 8 %. Ces gens vont-ils vraiment continuer à se suicider ? Ne
risquent-ils pas de disparaître s’ils continuent de vouloir se suicider en se jetant
407
contre des gens de loin plus nombreux ?

399. Lors de sa déposition, Chrétien a suggéré au sujet de cette émission que le journaliste
faisait référence aux Inkotanyi en évoquant « la famille numériquement faible au Rwanda » et
a utilisé le terme gateko pour désigner un petit groupe (traduit ci-dessus par « groupuscule »),
mot dont il a dit qu’il était souvent utilisé pour les Tutsis408. Après avoir juxtaposé ces mots,
Habimana a déclaré explicitement que la famille des Inkotanyi « est issu[e] » des Tutsis. Les
statistiques qu’il cite font clairement référence au groupe des Tutsis dans son ensemble qui
serait passé de 10 % à 8 % et, lorsqu’il a demandé s’« ils » allaient continuer de vouloir se
suicider en se jetant contre des gens de loin plus nombreux, il faisait clairement allusion au
groupe des Tutsis dans son ensemble, assimilant ainsi ceux-ci aux Inkotanyi.
400. Au cours d’une émission similaire de la RTLM diffusée le lendemain, le 15 mai 1994,
par un présentateur non identifié, les mêmes statistiques ont été citées et l’assimilation des
Inkotanyi aux Tutsis était explicite :
Nous les combattrons et nous les vaincrons, cela est plus qu’une certitude … S’ils ne
font pas attention, ils seront exterminés. Je l’ai remarqué, ils appartiennent à la
minorité. Les Inkotanyi forment un groupe minoritaire au Rwanda. Les Tutsis sont
très peu nombreux. Même si on les évaluait dans les 10 %, de toute manière cette
guerre en a peut-être emporté 2 %. Elle en a retranché 2 %. Il ne reste donc que 8 %.
Comment ces gens ne disparaîtraient-ils pas s’ils continuent à se suicider et à se
battre contre plus nombreux qu’eux ? Je crois que parmi … ces Inkotanyi, il doit
nécessairement y avoir « un taurillon qui décimera les vaches dont il est né ». Je ne
sais pas s’il s’agit de Kagame alias Kagome, je ne sais s’il s’agit de Rutarema, de
Mazimpaka Patrick, mais parmi les Inkotanyi, il y a … je ne sais pas si c’est
Kanyarengwe, ce Kanyamurengwe là, mais parmi eux, il y a sûrement quelqu’un qui
405

Pièce à conviction P163A, 19016-17.
Nahimana a protesté contre la traduction « doit avoir », avançant qu’il conviendrait de la remplacer par « a
peut être ». Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 110 et 111.
407
P103/268C.
408
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 111 et 112.
406

Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

est décidé à les faire exterminer et à faire tomber leur nom dans l’oubli, à faire
disparaître les Tutsis de la surface de la Terre. Personne ne sait qui est cet individu,
qu’il continue, mais je pense qu’il subira lui-même les conséquences de ses actes et
409
ce sera trop tard .

401. Certaines émissions de la RTLM ont parlé des Inkotanyi ou des Inyenzi ou des deux à
la fois sans faire explicitement référence à la population tutsie dans son ensemble, ni même à
la composition tutsie du FPR. Lors d’une émission de la RTLM du 1er juillet 1994, par
exemple, Kantano Habimana a déclaré ce qui suit :
Si nous combattons et vainquons définitivement les inyenzi-inkotanyi, personne ne
nous jugera, car nous serons considérés comme des guerriers qui en plus gagnent ; si
nous sommes vaincus, cela va de soi, même si tu t’enfonces dans le lac Kivu, ils
feront tout pour te repêcher et te juger, pour ensuite te pendre ... Je ne sais pas où ils
vous pendront, mais lorsqu’on est vaincu, tout le monde vous tâte ... comme on le dit
d’une vache qui est à terre : n’importe quelle autre essaie sa corne ! Nous ne pouvons
pas nous y prendre autrement pour vaincre ces gens qui tentent de nous décourager
en brandissant la menace de nous déférer devant le Tribunal international, ou je ne
sais plus où ... Tous ceux-là qui essaient de nous démoraliser, nous devons les
combattre ... pour enfin poursuivre l’objectif que nous nous sommes fixé ...
L’objectif que nous nous sommes fixé, c’est de combattre les inyenzi-inkotanyi qui
veulent réinstaurer le système féodo-monarchique que nos aïeux ont banni il y a plus
de trente ans ... Ces gens qui donc ne désarment pas et qui veulent restaurer la
monarchie pour nous écraser, nous piétiner, nous émasculer, nous opprimer, nous
410
devons les combattre .

402. Il n’est aucunement question de l’ethnie tutsie dans cette émission. L’ennemi y est
défini en termes politiques comme étant ceux qui veulent restaurer la monarchie. Dans
d’autres émissions, le terme « tutsi » a été utilisé pour décrire un parti politique. Par exemple,
lors d’une émission de la RTLM diffusée le 13 avril 1994, Kantano Habimana a dit :
Ceci ne s’est jamais vu nulle part au monde, que des individus, une clique
d’individus (agatsiko k’abantu) qui veut le pouvoir … qui veut le pouvoir … qui
ment en disant qu’elle défend les intérêts de gens peu nombreux … qui, par soif de
pouvoir, les fait exterminer. Ces choses ne se sont jamais vues nulle part au monde
… au Burundi, cela est arrivé. Les tutsis minoritaires (bake) à Bujumbura voulaient
prendre le pouvoir et cela a fait que de nombreux Tutsi, dans la campagne, ont été
exterminés. C’est donc exactement cela que la bande des Inkotanyi vient d’attirer sur
les Tutsi du pays411.

403. Lors d’une émission de la RTLM du 2 juillet 1994, Kantano Habimana s’est réjouit de
l’extermination des Inkotanyi :
Mais où sont donc allés les Inkotanyi qui avaient l’habitude de me téléphoner hein?
Ils doivent avoir été exterminés. Chantons plutôt. « Venez, réjouissons-nous, les
Inkotanyi ont été exterminés. Venez, réjouissons-nous chers amis, le Bon Dieu est
409

CD 46, K0237783.
Pièce à conviction P103/214C ; compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 239 à 241.
411
Pièce à conviction P163A, 19015-14.
410

Jugement et Sentence
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juste. » Le Bon Dieu est vraiment juste, ces malfaiteurs, ces terroristes, ces
suicidaires finiront par être exterminés. Quand je me rappelle le nombre de cadavres
que j’ai vus gisant à Nyamirambo pour la journée d’hier seulement où ils étaient
venus défendre leur major qui venait d’être tué. Il y a aussi certains Inkotanyi qui
sont allés s’enfermer dans la maison de Mathias, ils y sont restés et n’ont pas pu
trouver une issue à tel point que maintenant ils crèvent de faim et d’autres ont été
brûlés. Mais leur méchanceté est si grande que même si un Inkotanyi qui a été brûlé
et ressemble à un cadavre calciné, il essaie quand même de se positionner derrière
son fusil et tire dans toutes les directions et après il se soigne lui-même je ne sais
avec quel médicament. Ils ont été très nombreux à avoir été brûlés, mais ils
continuent quand même à appuyer sur la détente avec leurs pieds et tirent. Je ne sais
comment ils sont créés. Je ne sais pas. Quand on les observe, on se demande quel
genre de gens ils sont. Mais tout simplement tenons bien ferme et exterminons-les
pour que nos enfants et petits-enfants n’entendent plus parler du nom
412
« Inkotanyi » .

404. Lors de sa déposition, Chrétien a donné à entendre que lorsque Kantano Habimana
avait parlé des Inkotanyi il s’agissait d’une façon d’évoquer les Tutsis413. La Chambre relève
qu’il n’était pas expressément question des Tutsis et qu’il n’a été établi, au cours de cette
émission, aucun lien avec l’appartenance ethnique. En fait, les Inkotanyi ont été décrits
comme mourant l’arme au poing, appuyant sur la détente quand bien même ils avaient été
brûlés et ressemblaient à des cadavres carbonisés. Ces descriptions évoquent des combattants
et non des civils. Pour cette raison, elles évoqueraient davantage le FPR que la population
tutsie dans son ensemble, bien que le terme « extermination » s’emploie généralement pour
les civils plutôt que pour des opérations militaires.
405. Certaines émissions ont fait le lien entre le FPR et sa large composante tutsie, sans
dire que tous les Tutsis étaient membres du FPR mais plutôt que tous les membres de ce
dernier étaient tutsis. Lors d’une émission de la RTLM en date du 5 juin 1994, par exemple,
Ananie Nkurunziza a déclaré :
Notre pays donc, cette clique de Tutsi l’a endeuillé, mais je crois que nous
approchons de plus en plus [de] ce que j’appellerais l’aurore ... l’aurore, pour les
jeunes enfants qui ne le sauraient pas, il s’agit du petit matin. Donc au petit matin ... à
la naissance du jour ... nous sommes en train de nous acheminer vers des lendemains
meilleurs, où nous dirons : « il n’y a plus un seul inyenzi dans le pays » ... le nom
inyenzi sera oublié, pour s’éteindre à jamais ... cela ne sera donc possible que si nous
continuons à les exterminer avec le même élan. Et, comme nous ne cessons de vous
le dire, il ne serait pas imaginable que cette clique d’individus qui ne totalisent même
pas 1 % nous chasse du pays pour le diriger414.

406. Chrétien a déclaré que la juxtaposition de membres de phrase relatifs aux « Inyenzi »
et à la « clique tutsie » amène à conclure que dans ce contexte « Inyenzi » désigne les civils
tutsis et la « clique » le FPR415. La Chambre ne relève pas dans le compte rendu de l’émission
412

Pièce à conviction P103/40E.
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 171 à 174.
414
Pièce à conviction P103/249C.
415
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 120 à 125.
413

Jugement et Sentence
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d’éléments clairs au soutien de l’interprétation qu’en fait Chrétien. Le chiffre de 1 % ne
pourrait pas se rapporter à la population tutsie dans son ensemble qui était généralement
estimée à 10 % ainsi que cela a été mentionné dans d’autres émissions. Il a été dit de la clique
tutsie, moins de 1 %, qu’elle était en train d’essayer de reprendre la direction du pays. Le
terme Inyenzi aurait pu s’appliquer à la population tutsie dans son ensemble, mais il aurait
également pu viser le FPR, ou la « clique tutsie » ainsi qu’il a été désigné au cours de
l’émission.
407. La Chambre considère que, dans le contexte de ce qui se passait à l’époque, et vu le
nombre de civils tutsis qui avaient alors été effectivement tués, le terme Inyenzi, dont on
disait qu’il pourrait être oublié pour toujours, « si nous continuons à les exterminer avec le
même élan », pouvait aussi s’appliquer à la population tutsie dans son ensemble. Une telle
interprétation serait cependant basée non pas sur le texte lui-même mais plutôt sur la mise en
relation du membre de phrase où il est question de l’extermination des Inyenzi avec le
contexte externe, le fait que la population tutsie était en train d’être exterminée et que
d’autres émissions assimilaient le terme Inyenzi aux Tutsis.
408. Certaines émissions de la RTLM ont établi un lien entre la guerre et ce qui était perçu
ou présenté comme les traits de caractère ethnique propres aux Tutsis. Au cours d’une
émission du 31 mai 1994, par exemple, Kantano Habimana a déclaré :
Ce mépris, cet orgueil, ce sentiment d’être insurpassable ont très souvent caractérisé
l’ethnie tutsi. Ils se sont considérés comme étant plus intelligents, plus forts par
rapport aux Hutu. C’est cet orgueil et ce mépris qui ont engendré tant de malheurs
aux Inyenzi-Inkotanyi et à leurs congénères tutsi qui ont été décimés. Voilà que ces
Inyenzi-Inkotanyi aussi sont en train d’être décimés à tel point que l’on ne comprend
416
pas comment raisonnent ces fous .

409. Lors de l’interview d’un certain Simbomana réalisée par Gaspard Gahigi, diffusée sur
la RTLM le 20 juin 1994, la nature fourbe et prédatrice des Tutsis et celle, innocente et
vulnérable des Hutus, ont été évoquées :
Simbomana : Ainsi donc la ruse, vous savez depuis longtemps que les Tutsis sont très
rusés, ce sont des gens qui sourient toujours, qui clignent de l’œil toujours. C’est un
sourire qui nous ravit les membres de la famille, il vous sourit mais en pensant à autre
chose. Les Hutu nous sommes des gens innocents qui pensent que toutes les choses
sont bonnes que personne ne peut nous faire du mal. Quant aux Tutsi, s’il vous sourit
ou vous cligne de l’œil c’est pour arriver à un but. Et c’est pourquoi leur ruse a fait
que les Hutu n’ont pas pu voir plus loin et savoir que derrière cette ruse il y avait
quelque chose d’autre que les Tutsi voulaient. La première chose à faire dès
aujourd’hui et même quand nous vaincrons est que nous connaissions dès aujourd’hui
toute la ruse des Tutsi.
Gahigi : Je rappellerais à nos auditeurs qu’à présent vous dites que ce qui a
compliqué cette guerre est la méchanceté et la ruse des Tutsi. Donc pour nous en
sortir, il faut que cette ruse et cette méchanceté soient bien dégagées pour que les
gens les connaissent, et que c’est cette ruse qui met la population dans la confusion.
416

Pièce à conviction P103/17E (00178 bis).

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Et puis que ces Tutsi extrémistes formant le front des Inyenzi ont menti à la
population. Ce sont donc trois points ou bien deux que vous venez de dire : la
méchanceté, la ruse, et cette ruse a touché la population. Je voudrais donc que nous
continuions et que vous passiez au troisième point, vous pouvez dire ce qui a
compliqué cette guerre et qui permettrait d’y mettre fin417.

410. Les émissions de la RTLM ont conseillé à maintes reprises aux auditeurs d’être
vigilants et de prendre garde à la fourberie de l’ennemi. Lors d’une de ces émissions diffusée
le 20 mai 1994, Valérie Bemeriki a qualifié d’ennemis plusieurs prêtres qu’elle a décrits
comme étant impliqués dans le conflit armé, mettant en garde les Hutus en ces termes :
Le père Ngoga n’est pas le seul. Et le père Muvaro, est-ce que Linda et les petites
réunions qui se déroulaient chez elle ne signifient rien pour lui ? Puisque
habituellement nous savons que dans le palais de Dieu, il existe un endroit où l’on
conserve le corps du Christ qui s’appelle tabernacle. Et alors ? Le père Ntagara peutil expliquer aux Rwandais la raison pour laquelle les eucharisties ont été remplacées
par des munitions ? Et la sacristie ? N’est-ce pas là où les prêtres honnêtes, ceux que
nous louons beaucoup, qu’ils mettent leurs habits consacrés lorsqu’ils vont dire la
messe, et conservent également tous le matériel consacré ? Depuis quand donc ce
matériel a été mêlé à des fusils ? Vous père Mungwarareba Modeste, je vous vois du
temps où vous étiez encore recteur du petit séminaire de Karubanda. Dieu vous a
regardé et a dit : « Non, ce qui m’appartient ne va jamais de pair avec tous ces
instruments destinés à faire couler le sang ! » Ne pouvez-vous donc pas nous parler
un petit peu de ces petits secrets de la sacristie ? Alors tous les Hutu, nous devons
rester vigilants. Vous venez d’entendre ce qui se passe chez les prêtres, ce que font
les religieux, certains prêtres et d’ailleurs, j’ai dernièrement appris que les Evêques se
sont réunis. Dans le communiqué qu’ils ont publié, ils disent que certains prêtres
seraient morts, auraient été assassinés, mais également certaines religieuses.
Toutefois, je voudrais leur demander de mener des enquêtes d’abord, étant donné
qu’il y a des choses qui se déroulent au bas niveau, que l’on ignore dans les hautes
sphères. A titre d’exemple, on ne savait pas que ces Tutsis se mettaient ensemble et
brûlaient la maison d’un Tutsi pour ensuite fuir tous en même temps en disant qu’ils
sont attaqués par les militaires de la garde présidentielle et des Interahamwe. Vous
comprenez qu’ils tiennent le même discours que la fameuse radio, c’est le discours
des Inyenzi. Ils se mettent à faire un tel discours et les autres, sans réfléchir, mettent
leurs jambes au cou. Mais quand ils atteignent une autre colline, les Tutsis se mettent
à l’écart et sont rejoints par ceux qu’ils ont trouvé sur cette colline. Et du coup, les
Hutus se retrouvent isolés. Lorsqu’ils se rendent compte que leur nombre s’est accru,
les Tutsis qui prennent normalement quelques effets sur eux qui souvent contiennent
des armes, se saisissent immédiatement de leurs armes et attaquent les Hutus et les
domiciles des Hutus. Les Hutus ont fini par le comprendre ... On ne pouvait donc pas
imaginer qu’un prêtre oserait prendre un fusil, se mettre à tirer et même distribuer des
fusils aux personnes réfugiées dans l’église, celles-ci se mettant ensuite à mener des
attaques sporadiques pour liquider le Hutu pour ensuite se replier dans l’église ... en
osant profaner la demeure de Dieu418.

417
418

Pièce à conviction C7, RTLM /48, 0033 à K0114069-72.
Pièce à conviction P103/132E.

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411. Chrétien a déclaré que ces émissions qualifiaient de complices les Tutsis qui avaient
peur et se réfugiaient dans les églises. Il a fait état des massacres qui avaient eu lieu en mai
dans l’église de Kibayho et a rappelé que les pères Ngoga et le Ntaraga avaient été
ultérieurement tués. Le père Ngoga a d’abord réussi à fuir mais a été tué à Butare 11 jours
après l’émission. Il avait été arrêté après avoir été dénoncé, puis relâché, et a été tué juste à la
sortie de la prison419. Nahimana a déclaré qu’il connaissait le père Muvaro, qui avait été son
élève, et qu’il avait inclus l’œuvre de cet homme dans un livre qu’il avait publié. Il savait que
le père Muvaro était mort parce qu’il était tutsi, ce qui l’a attristé, mais il a déclaré qu’il serait
audacieux de sa part d’affirmer qu’il était mort à la suite de l’émission de la RTLM420.
412. Lors de l’émission, Bemeriki a dit qu’il y aurait lieu d’enquêter sur les prétendus
meurtres de certains prêtres et religieuses, laissant entendre que ces allégations étaient
fausses. Par exemple, elle a attribué l’incendie de la maison d’un Tutsi à d’autres Tutsis, qui
en ont ensuite rejeté la responsabilité sur les soldats de la garde présidentielle et sur les
Interahamwe. Tout au long de l’émission, Bemeriki a parlé des Hutus et des Tutsis, appelant
les Hutus à rester vigilants et décrivant comment les Tutsis « saisiss[ai]ent immédiatement
leurs armes et attaqu[ai]ent les Hutus et les domiciles des Hutus ».
413. Au cours d’une émission de la RTLM du 5 juin 1994, Kantano Habimana a décrit sa
rencontre avec un enfant Inkotanyi :
Il y a quelques instants, j’étais en retard à cause d’un petit Inkotanyi capturé à
Kimisagara, un jeune Inkotanyi âgé de 14 ans. Je ne sais même pas s’il a atteint cet
âge. Des Inkotanyi de Gatsata ou Gisozi utilisaient ce jeune Inkotanyi sale, aux
grandes oreilles, qui se promenait avec un jerrican en faisant semblant d’aller puiser
de l’eau pour pouvoir observer l’armement de nos militaires, le lieu d’implantations
des barrages routiers ainsi que ceux qui les tiennent et faire ainsi son rapport. Il est
donc clair – nous l’avons toujuors dit – que les Inkotanyi ont recours à cette tactique
qui consiste à se servir d’un enfant qui ne connaît pas leur objectif, en le
convainquant qu’ils vont lui payer des études, qu’ils lui achèteront une voiture si
l’enfant les aide dans leurs activités militaires en transportant des cartouches pour
eux sur la tête. Et ils lui donnent une mitraillette pour tirer sur la route, sur tout
passant qui est allé ramasser des pommes de terre. Se servir des enfants dans une
guerre est vraiment d’une vilénie incroyable car, comme vous le savez, un enfant ne
sait rien421 [traduction].

414. Cette émission reproche à un petit enfant de faire de l’espionnage sans fournir la
moindre preuve que ce jeune faisait autre chose que d’aller chercher de l’eau et de regarder
aux alentours. L’allusion ultérieure aux armes donne aux auditeurs l’impression que tout
garçon allant chercher de l’eau pourrait être suspect et aider secrètement l’ennemi. La RTLM
a promu l’idée que les complices étaient partout. Lors d’une émission de la RTLM du 14 juin
1994, un orateur non identifié a dit :
Mais est-ce que les complices ne se trouvent que parmi la population ? Ça c’est une
question dont j’ai toujours parlé. Est-ce que réellement les complices ne se trouvaient
419

Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 157 à 161 et 217 à 221.
Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 102 à 105.
421
Pièce à conviction C7, CD 96, K0113935.
420

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que parmi la population ? Est-ce vrai qu’il n’y a pas de complices parmi les forces
armées rwandaises ? La question est si grave parce que ce sont les complices qui sont
au sein de l’armée qui permettent aux Inyenzi d’investir notre pays. Ce sont eux qui
permettent aux Inyenzi de marcher sur Gitarama, qu’ils sont en train de se battre à
Budhanda422.

415. De nombreuses émissions de la RTLM ont utilisé le terme « extermination » ; d’autres
ont reconnu, comme plusieurs émission citées plus haut, que les exterminations avaient cours.
Le 9 juin 1994, lors d’une émission de la RTLM, Kantano Habimana a déclaré :
Je vais vous parler également de Kivugiza où je me suis rendu hier et où j’ai vu des
Inkotanyi dans la Mosquée de Kaddafi ; il y en avait plus d’une centaine qui avaient
été tués, mais d’autres sont arrivés. Lorsqu’ils ont atteint l’endroit, je suis allé y jeter
un coup d’œil et j’ai constaté qu’ils ressemblaient à des vaches qui se trouvent à
l’abattoir. J’ignore si on les a abattus aujourd’hui ou si on les abattra cette nuit. Mais,
en réalité, celui qui a jeté un mauvais sort sur ces enfants rwandais (ou étrangers si
c’est le cas) n’y est pas allé de main morte. Ils sont en train d’affronter de manière
suicidaire les balles tirées par des enfants rwandais. Je pense qu’ils vont tous périr
423
s’ils ne font pas attention .

416. La Chambre relève l’indifférence frappante manifestée à l’égard de ces massacres
dans l’émission ainsi que la déshumanisation des victimes. Bien qu’il ne soit pas question
d’appartenance ethnique dans le texte, vu le contexte dans lequel les Tutsis fuyaient et se
réfugiaient dans les lieux de culte et vu d’autres émissions dans lesquelles les Inkotanyi et les
Tutsis ont été assimilés, il se pourrait bien que les auditeurs aient compris que le terme
Inkotanyi visait les civils tutsis. L’affirmation d’Habimana selon laquelle un groupe
nouvellement arrivé avait déjà été massacré ou était sur le point de l’être revenait à accepter,
à admettre et à présenter le meurtre de centaines de gens dans une mosquée comme étant
chose normale.
417. Au cours d’une émission de la RTLM du 31 mai 1994, un interlocuteur non identifié a
décrit le matraquage d’un enfant tutsi à coups de gourdin :
Ils ont trompé des enfants tutsis en leur promettant des choses irréalisables. Hier soir,
j’ai été voir un enfant [tutsi] qui avait été blessé et qui a été jeté dans un trou de
15 mètres. Il est parvenu à sortir de ce trou, après, il a été achevé avec un gourdin.
Avant de mourir, il a été interrogé. Il a répondu que des Inkotanyi [lui] ont promis
qu’ils paieront ses études jusqu’à l’université. Cependant, cela peut se faire sans
risquer sa vie et sans ravager le pays. On ne comprend pas cette attitude des
Inkotanyi. Ils n’ont pas, plus que nous, d’armes tant légères que lourdes. Nous
sommes plus nombreux qu’eux. Je crois qu’ils seront annihilés s’ils ne se [retirent]
424
pas .

422

Pièce à conviction C7, CD 73, K0146599.
Pièce à conviction P103/28G ; compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 177 à 180.
424
Pièce à conviction C7, CD 17, K0143727.
423

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418. La Chambre ne relève dans cette émission aucun élément indiquant que l’enfant tutsi
était armé ou dangereux. Sa mort brutale est décrite sans émotion, l’émission insistant que les
Inkotanyi ne semblaient pas avoir compris qu’ils allaient être anéantis.
419. Plusieurs émissions de la RTLM ont pris acte de la réaction de la communauté
internationale devant les preuves du massacre et ont alerté le public en conséquence. Par
exemple, lors d’une émission diffusée le 25 juin 1994, Gaspard Gahigi a déclaré :
Ce que je voudrais demander aux Rwandais, pour montrer aux Français que nous
soutenons leur action et que nous soutenons la paix, c’est [qu’il faut cesser de
regarder son voisin et de le tuer à cause de sa physionomie, de sa manière d’être].
C’est ainsi, je pense, que nous pouvons aider les Français. Passer la journée à courir,
à piller, ça c’est fini ... Que cela cesse. À mon avis, c’est ainsi que nous pouvons
aider les Français, et aspirer à la paix. À mon avis, si les Français disent qu’ils
viennent apporter secours pour que le pays recouvre la paix, celle-ci doit provenir de
nous. Pour que la paix soit rétablie, il faut que, comme l’a dit une fois Monsieur Jean
Kambanda, vous connaissez nos adversaires, les Inkotanyi. Notre adversaire n’est pas
ton voisin, parce qu’il est comme ceci ou comme cela. Nos adversaires vous les
connaissez. Personne ne devrait être victime de sa physionomie, personne ne devrait
être victime de sa taille, on devrait uniquement répondre de ses propres actes. Si tu as
mal agi, sois condamné pour cela et non à cause de ton ethnie ou de ta région. À mon
avis, si ce pays a été frappé par un malheur, nous devrions tout faire pour nous en
dégager. Si les Français viennent nous aider, apportons-y notre contribution. Que
partout les tueries cessent. Quant à nous, de notre côté, que personne ne soit victime
de sa physionomie, de sa région, mais plutôt des ses propres actes. C’est une idée que
je soutiens. Et quand les Français vont arriver, apportons-leur notre soutien et
montrons-leur que nous cherchons la paix. Que ceux qui ont arboré les drapeaux les
gardent, que les inscriptions sur les barrières restent, mais que tout soit traduit dans
les faits concrets. Disons aux Français « soyez les bienvenus », mais sans leur
montrer qu’il y a des criminels, même s’il y a eu des crimes, moi j’ai dit que c’est un
425
malheur, lorsqu’il y a la guerre, il y a aussi de tueries, c’est comme ça ... .

420. Chrétien a laissé entendre que ces appels au changement de comportement
correspondaient à un discours « politiquement correct », utilisé de façon cynique au bénéfice
des Français qui allaient envoyer des troupes. La Chambre en convient, elle relève que cette
intention sous-jacente était assez explicite. Gahigi a mentionné les Français à sept reprises au
cours de ce bref programme, déclarant qu’il fallait cesser de tuer les gens en raison de leur
apparence « pour montrer aux Français que nous soutenons leur action ». Un peu plus tard, il
a déclaré : « Si les Français viennent nous aider, apportons-y notre contribution. Que partout
les tueries cessent », donnant ainsi à entendre que l’arrêt des massacres constituait une
contribution qui ne serait apportée que si – ou qu’à la condition que – les Français viennent à
leur aide. L’émission a reconnu et admis la réalité de ce qui se passait à l’époque et qui a été
décrite comme cette façon « de regarder son voisin et de le tuer ».
421. Lors d’une émission de la RTLM du 18 mai 1994, Kantano Habimana a évoqué la
même préoccupation, en mâchant moins ses mots. Il a déclaré :

425

P103/302C, compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 236 à 238.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Voici ensuite … une bonne information, une bonne information pour les Rwandais.
Nous commençons à recevoir de bonnes, bonnes informations. Après la décision de
l’ONU d’envoyer cinq mille cinq cents hommes issus de pays africains, la France a
accepté d’envoyer également des troupes ... elle nous apporte une fois de plus son
assistance, [une] assistance substantielle, et elle a promis de l’accroître. Toutefois,
pour continuer à recevoir ce genre de bonnes informations, ils demandent [qu’on ne
voie plus de] cadavre au bord de la route ou que plus personne ne se mette à tuer
pendant que les autres observent la scène en riant, au lieu de le remettre aux
autorités426.

422. La Chambre relève qu’Habimana demande aux auditeurs de s’assurer qu’on ne voie
plus de cadavre sur les bords des routes et présente cette demande comme émanant de la
France, en faisant pratiquement une condition préalable à l’envoi des troupes. Commençant
par la bonne nouvelle de l’aide française, laquelle constituait le message principal, l’émission
ne mentionne les massacres que dans ce contexte. Au cours de l’émission, Habimana ne
condamne pas les massacres, bien qu’il appert de celle-ci qu’il avait connaissance de la
présence de cadavres gisant au bord des routes. Ce qui génait, c’était la visibilité des
massacres et non pas leur survenance.
423. Ces émissions de la RTLM n’ont pas toutes mentionné les préoccupations de la
communauté internationale comme une raison d’arrêter les massacres commis aveuglément
en fonction de l’appartenance ethnique. Au cours d’une émission de la RTLM du 15 mai
1994, un intervenant non identifié a déclaré :
L’ennemi qui a attaqué le Rwanda est connu. C’est le FPR-Inkotanyi. Je voudrais
bien m’expliquer pour que cela soit bien compris ; qu’on ne dise plus qu’il s’agit de
rumeurs ; que le FPR ne pense plus qu’il pourra encore être considéré comme un
frère tant qu’il continuera à se battre. Le FPR sera l’ennemi du Rwanda et des
Rwandais tant qu’il continuera à nous attaquer, à nous combattre. Un ennemi qui
vous attaque, qui vous apporte la guerre, vous devez le considérer ainsi et vous aussi,
vous devez vous défendre. Le FPR sera l’ennemi tant qu’il continuera à se battre,
cela n’est pas un secret, lui aussi, il doit le comprendre. … Je dis que l’ennemi est le
FPR, pour pouvoir le distinguer des autres que certains veulent considérer comme des
ennemis alors que ce n’est peut-être pas le cas. Il vous est donc demandé …
d’expliquer à la population qu’elle doit éviter tout ce qui peut la conduire à des
troubles interethniques. Certains pensent que quiconque appartient à un groupe
ethnique différent du sien est un ennemi. Pour qu’il soit considéré comme un ennemi,
il faut qu’il soit du FPR … Un Tutsi, un Hutu ou un Twa qui n’est pas [un soldat] du
FPR, n’est pas notre ennemi. Nous ne pouvons … dire que quiconque est d’un
groupe ethnique différent ou d’une région différente est un ennemi. [Le FPR se sert
souvent] de ce prétexte pour [essayer de s’infiltrer]427.

424. Selon Des Forges, cette émission avait pour but de parer aux critiques internationales.
La Chambre relève que d’autres émissions, comme celle qui est citée plus haut, pourraient
conforter cette interprétation, bien que la communauté internationale n’ait pas été mentionnée
dans cette émission là. Il a également été reconnu que « [c]ertains pensent que quiconque
426
427

P103/9C.
Pièce à conviction C7, CD 46, K0237794-95.

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appartient à un groupe ethnique différent du sien est un ennemi », mais il est ensuite précisé :
« Pour qu’il soit considéré comme un ennemi, il faut qu’il soit du FPR » et : « Nous ne
pouvons […] dire que quiconque est d’un groupe ethnique différent […] est notre
ennemi … » La Chambre estime que la dernière phrase : « Le FPR se sert souvent de ces
éléments pour essayer de s’infiltrer », affaiblit le message apparent de l’émission, peut-être
intentionnellement, en suggérant que l’infiltration par le FPR se faisait sur une base ethnique.
L’insinuation est subtile, mais l’émission, prise isolément, ne dénote pas un manque de
sincérité sur le fondement du texte lui-même, à l’exception éventuelle de cette dernière
phrase. Ce n’est que lorsqu’elle est lue dans le contexte d’autres émissions diffusées à la
même époque que l’on peut en déduire une intention cynique.
425. Certaines émissions, par contre, ont explicitement appelé au massacre de civils. Lors
d’une émission de la RTLM du 23 mai 1994, Kantano Habimana a déclaré :
Mes félicitations aux milliers et milliers de jeunes gens que j’ai aperçus ce matin [sur
la route de Kigali] en train de faire leurs entraînements militaires pour combattre les
Inkotanyi … En tout cas, tous les Inkotanyi doivent être exterminés dans toutes les
régions de notre pays. Nous [les] laissons occuper certains endroits comme
l’aéroport, ou n’importe quel autre endroit, mais ils doivent laisser leur vie sur-lechamp. C’est comme ça que les choses doivent se passer … Quelques passagers se
font passer pour des réfugiés, d’autres comme des malades, d’autres comme des
gardes-malades. Contrôlez-les bien, car la ruse des Inkotanyi est infinie … Est-ce que
cela veut dire que nous devons aussi aller aux camps des réfugiés, chercher les gens
qui ont des enfants au sein [de l’APR] et les tuer ? Je pense qu’on devrait agir ainsi.
Nous devons aller également aux camps de réfugiés dans les pays limitrophes et tuer
ceux qui ont envoyé leurs enfants dans les rangs [de l’APR]. Je pense que ce n’est
pas possible de le faire. Cependant, si les Inkotanyi continuent à agir de la sorte, nous
chercherons ceux qui ont des enfants au sein [de l’APR] parmi ceux qui reviendront
de l’exil et les tueront. Car, si nous devons appliquer le principe de l’œil pour l’œil
428
nous réagirons. [Il n’y a pas d’autre solution] .

426. La Chambre retient l’appel à l’extermination lancé dans cette émission et, bien qu’il
existe une certaine différenciation entre le terme Inkotanyi et la population tutsie, l’émission
n’en a pas moins appelé au massacre de ceux qui ne sont pas des Inkotanyi, au massacre de
ceux dans les camps de réfugiés dont les enfants ont rejoint l’APR. L’émission a également
conseillé aux auditeurs d’être vigilants aux barrages routiers et de se méfier des passagers qui
« prétendent » être des réfugiés, appelant en fait la population à attaquer les réfugiés.
427. Lors d’une émission de la RTLM diffusée le 28 mai 1994, Kantano Habimana a
clairement déclaré que même les Hutus dont les mères étaient Tutsies devraient être tués :
[Il en est de même d’un individu prénommé Aloys, un Interahamwe de Cyahafi. On
s’est croisé hier au marché. Il s’était déguisé et portait un uniforme militaire et une
arme à feu. Il est arrivé et a appréhendé un jeune homme nommé Eustache
YIRIRWAHANDI … Sa carte d’identité indique qu’il est du groupe ethnique hutu
quoiqu’il déclare que sa mère est tutsie … Aloys et d’autres Interahamwe de Cyahafi
ont pris Eustache YIRIRWAHANDI et lui ont fait signer une reconnaissance de dette
428

Pièce à conviction C7, CD 93, K0146719-22.

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de cent cinquante mille francs [rwandais] … [Il me dit maintenant qu’ils vont le tuer
et qu’il va emprunter ce montant …] [Il a peur d’être tué par eux]. Si vous êtes un
Inyenzi429, qu’on vous tue ; il n’est pas question de vous racheter. De même, si vous
êtes un Inkotanyi, vous l’êtes et vous n’avez pas à vous racheter. [On ne peut affirmer
avoir capturé un Inienzi et dire ensuite qu’il vous a donné de l’argent pour prix de sa
vie]. Cela n’est pas possible … Si un individu possède une fausse pièce d’identité et
qu’il est un Inkotanyi [un complice connu du FPR, n’acceptez rien en échange. Il faut
430
le tuer] .

428. Il ressort clairement de cette émission qu’Eustache Yirirwahandi était considéré
comme un Inyenzi et Inkotanyi puiqu’il avait reconnu que sa mère était tutsie. Le message
effrayant que véhiculait cette émission était que tout complice du FPR, implicitement défini
comme toute personne possédant du sang tutsi, ne peut acheter sa vie. Elle doit être tuée.
429. De nombreuses émissions de la RTLM ont nommément désigné et dénoncé des
individus, les qualifiant de complices ou de menaces pour la sécurité. Lors d’une émission de
la RTLM du 2 juin 1994, Valérie Bemeriki a dit :
Et pourtant, on ne pourrait pas manquer de critiquer ce qui doit l’être dans cette
commune, mais je ne dis pas…, ils ne sont pas nombreux, ce n’est qu’une seule
personne qui s’appelle, … une dame qui s’appelle Jeanne. Cette Jeanne enseigne en
sixième année à Mamba. Il s’agit de Mamba dans la commune de Muyaga. La Jeanne
en question ne fait pas de bonnes choses dans cette école. En effet, on constate
qu’elle est la source de la mauvaise atmosphère qui règne dans les classes où elle
enseigne. Elle avait donc un mari, du nom de Gaston, un Tutsi, qui s’est réfugié au
Burundi. Il est donc parti, mais une fois arrivé de l’autre côté, il a commencé à
comploter contre les Hutu de sa commune ; il les fait tuer par le biais de cette femme
qui est son épouse, Jeanne. Il fait tout son possible pour lancer des attaques dans la
commune de Muyaga en passant par cette femme qui s’appelle Jeanne et qui est
enseignante à Mamba dans la commune de Muyaga. Elle ne s’arrête pas là, elle
l’apprend à ses élèves ; elle leur demande de détester les Hutu. Ces enfants passent la
journée à ne faire que cela et cela leur donne un mauvais esprit. Nous lançons un
avertissement à cette dame du nom de Jeanne et d’ailleurs les habitants de la
commune de Muyaga dont nous connaissons le courage doivent la mettre en garde.
431
Vous comprenez donc qu’elle menace la sécurité de cette commune .

430. Selon Chrétien, le mari de Jeanne, un Tutsi, a dû se cacher. À la suite de l’émission de
la RTLM, Jeanne, une Hutue, s’est plainte auprès du bourgmestre qu’elle recevait des
menaces. Il lui a répondu de rester calme, mais elle n’a pas cru son conseil et s’est cachée elle
aussi432. Contre-interrogé expressément au sujet de cette émission, Nahimana a déclaré qu’il
la désapprouvait433.
431. La RTLM a également diffusé des listes de noms d’individus. Lors d’une émission
diffusée le 31 mars 1994, par exemple, Mbilizi a annoncé, parmi les grands titres de
429

Dans le texte anglais de la traduction, le terme « Inyenzi » a été rendu par « cockroach » (cafard, cancrelat).
Pièce à conviction, C7, CD11, K023-682.
431
Pièce à conviction P103/20C.
432
Compte rendu de l’audience du 1er juillet 2002, p. 222 à 226.
433
Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 105 à 107.
430

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l’information, « 13 élèves de Nyanza qui forment une brigade dénommée Inziraguteba [“les
personnes qui ne sont jamais en retard”] seront bientôt enrôlés par le FPR ». Peu de temps
après, Mbilizi a commencé sa présentation de cette information en disant que 13 élèves de
Nyanza venaient tout juste d’être enrôlés par le FPR. Il a nommément désigné cinq écoles et
a ensuite lu la liste des noms des 13 personnes dont il avait déclaré qu’elles appartenaient à la
brigade Inziraguteba. Le nom, l’âge, le nom de l’école et le nom de code FPR de chacun de
ces jeunes gens étaient accompagnés de leurs postes respectifs dans la brigade. Les âges
mentionnés allaient de 13 à 18 ans. Après avoir lu la liste des noms, Mbilizi a déclaré :
Donc chers auditeurs, vous avez remarqué que ces élèves sont très jeunes et peuvent
être très dangereux. Nous devons dire que ceci confirme assez l’information qui a été
diffusée sur les ondes de la RTLM, et selon laquelle le FPR aurait infiltré les
écoles434.

432. Chrétien a indiqué que les émissions de la RTLM attaquaient également la MINUAR
et plus particulièrement les Belges et le général Dallaire435. Le 31 mai 1994, par exemple,
Kantano Habimana a accusé Dallaire de favoriser les Tutsis :
Je me suis entretenu avec le Général Roméo Dallaire sur cette situation quand je l’ai
croisé hier à Nyabugogo. J’ai cru comprendre que ce Dallaire (en souriant) se
confond à la MINUAR II, croit que si on le renvoyait la MINUAR n’aurait plus de
place au Rwanda. C’est un type prétentieux. Tout simplement je lui ai fait
comprendre que son ethnie préférée appelée Inyenzi-Inkotanyi, des Tutsi436, finira par
disparaître de la planète. Nous avons alors discuté et un militaire sénégalais qui était
là, nous a départagés mais je leur ai confirmé qu’une ethnie minoritaire, qui se
suicide en déclarant la guerre à une ethnie majoritaire finit par disparaître une fois
pour toute parce qu’elle procède au suicide collectif. Je ne sais pas si Dallaire le dira
à ses amis mais c’est incontournable437.

433. Plusieurs émissions sont destinées à ceux qui tiennent les barrages routiers, au soutien
de leurs activités. Lors d’une émission diffusée entre le 26 et le 28 mai, Kantano Habimana a
directement encouragé ceux qui gardaient les tranchées contre les Inyenzi à prendre des
drogues :
J’aimerais entre-temps dire bonjour aux jeunes qui sont près de l’abattoir, l’abattoir
qui est près de Kimisagara … Hier je les ai trouvés en train de danser le zouk. Ils
avaient même abattu un petit cochon. J’aimerais vous dire que ... que Ah ! Ah !, ce
que vous m’avez donné à fumer ... cela a produit un mauvais effet sur moi. J’ai tiré
trois bouffées. C’est fort, c’est [très] fort, mais il paraît que ça vous donne du courage
vraiment. Alors, gardez bien [les tranchées], pour que demain aucun cafard [Inyenzi]
n’y passe. Fumez donc cette petite chose et réservez-lui un mauvais sort438.

434

Pièce à conviction C7, CD 148, C.54/K 95, K0113774, 77 et 78.
Compte rendu d’audience du 1er juillet 2002, p. 122 à 125.
436
Nahimana a contesté cette traduction, soutenant que le terme tutsi était un adjectif et que la traduction aurait
dû être « les Inyenzi-Inkotanyi tutsi ». Compte rendu d’audience du 1er juillet 2001, p. 118 à 120.
437
Pièce à conviction P103/17E (0017e ter).
438
Pièce à conviction P103/239C.
435

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Témoignages concernant la programmation de la RTLM
434. Pour son étude des émissions de la RTLM, la Chambre s’est essentiellement fondée
sur celles qu’ont sélectionnées le Procureur et la Défense. Les émissions de la RTLM ne sont
cependant pas toutes disponibles. Afin de déterminer dans quelle mesure celles qui ont été
soumises sont représentatives de la programmation de la RTLM dans son ensemble, la
Chambre a tenu compte des dépositions de témoins qui écoutaient régulièrement la RTLM ou
la suivaient à l’époque, dépositions qui complètent de manière capitale la preuve relative à la
teneur des émissions elles-mêmes.
435. Le témoin à charge GO, fonctionnaire du Ministère de l’information, dont le travail
consistait à écouter la RTLM avant le 6 avril 1994, a décrit les premières émissions de la
RTLM de la manière suivante :
La RTLM a d’abord procédé par la fidélisation des auditeurs, en les attirant par de la
musique, la musique qu’on appelait « branchée »; c’était surtout de la musique
congolaise … Et petit à petit, les émissions ont progressé, et à partir des événements
qui se sont produits au Burundi, en octobre, la RTLM a commencé à présenter à la
population un problème, notamment que les Tutsis constituaient un danger vis-à-vis
de la majorité hutue, mais toute la façon de présenter ce problème était diluée, de
façon à ce que cela ne constitue pas une faute aux yeux des autorités qui risquaient de
prendre des sanctions contre la RTLM. Et lorsque les Accords de paix d’Arusha ont
été adoptés, la RTLM a été plus claire dans ses déclarations, en s’adressant à ce
qu’elle appelait « la masse populaire » : que désormais, le pouvoir leur avait échappé,
qu’ils allaient maintenant être réduits [en servitude]. [À partir] de janvier - date à
laquelle le gouvernement de transition à base élargie devait être mis en place -, cette
question a été mise en exergue [et ce discours] s’adressai[t] à ce qu’ils appelaient « la
masse populaire ». Effectivement, la population a suivi ces messages comme un
chien auquel on aurait appris à mordre, et on a vu, partout, des manifestations des
Interahamwe et des Impuzamugambi. Il y avait beaucoup d’insécurité, ces groupes
scandaient « Exterminons-les! Exterminons-les! », il y avait un climat de peur dans la
population, et on voyait que […] toute la population avait entendu, écouté et suivi ce
qu’enseignait la RTLM439.

436. Le témoin GO a décrit la montée progressive en charge en relevant : « J’ai suivi la
RTLM pratiquement depuis sa création jusqu’à la fin du génocide et, en tant que témoin des
faits, j’ai constaté que la préparation du génocide n’a pas été une œuvre d’une seule
journée440 ». Il a décrit l’impact de la RTLM de la manière suivante :
Ce que la RTLM a fait, c’est comme si elle versait de l’essence petit à petit, dans tout
le pays pour que, à un moment donné, […] elle puisse embraser tout le pays441.

437. Le témoin a fait le résumé suivant de ce qu’il a entendu après le 6 avril de sa maison
où il est resté après le meurtre de beaucoup d’autres personnes du Ministère de
l’information :
439

Compte rendu de l’audience du 10 avril 2001, p. 53 à 55.
Ibid., p. 48 et 49.
441
Compte rendu de l’audience du 4 juin 2001, p. 42.
440

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La radio RTLM passait le temps à demander aux personnes de tuer d’autres
personnes, de rechercher celles qui étaient cachées, et d’ailleurs, de dire les cachettes
où se trouvaient les personnes qui étaient qualifiées de complices. Je me souviens
également des émissions de la radio RTLM, là où il était manifeste que les personnes
qui parlaient étaient contentes [de dire] que les Inyenzi étaient morts en masse. En
fait, pour eux, il n’y avait pas de différence entre un Inyenzi et un Tutsi, et ils disaient
qu’ils devaient continuer à rechercher ces personnes-là et à les tuer, pour que les
générations futures puissent demander à quoi ressemblait un Inyenzi - cela voulait
442
dire aussi, à quoi ressemblait un Tutsi .

438. À l’époque, le témoin GO avait également entendu la diffusion sur la RTLM des Dix
Commandements des Hutus dont il croyait se souvenir qu’ils avaient été mentionnés par
Valérie Bemeriki et Kantano Habimana. Le témoin FW a également déclaré avoir entendu
une émission de la RTLM évoquant Les Dix Commandements443. Le témoin GO a décrit
l’impact de cette émission de la manière suivante :
L’objectif, en donnant ces commandements – ces Dix Commandements des Hutus –,
était de faire comprendre [...] à la population que tous les Hutus devaient s’unir,
qu’ils devaient mener un même et seul combat, et qu’ils devaient savoir qu’il n’y
avait aucune parenté entre eux et les Tutsis. Et c’est pour cette raison que certains
hommes se sont mis à tuer leurs épouses qui étaient tutsies. Dans d’autres cas, des
enfants – qui étaient issus d’une union d’une mère tutsie et d’un père hutu, mais qui
se sentaient plus Hutus que Tutsis – se sont mis à tuer leur propre mère. Tout comme
on faisait comprendre à des veuves hutues – c’est-à-dire des femmes hutues qui
étaient mariées à des hommes tutsis – dont on avait tué les maris et tous les enfants,
que cela n’était pas un problème, que l’on venait seulement de se débarrasser des
ennemis, et que [les seules qui avaient] des liens de parenté avec eux [étaien ces
444
femmes]. C’est, effectivement, la manière dont les choses se sont déroulées .

439. Le témoin AGX, Tutsi de Gisenyi, a déclaré qu’il écoutait la RTLM en 1993. D’une
manière générale, il a dit que les journalistes donnaient des nouvelles de la guerre et des
groupes ethniques. Il a indiqué que Kantano Habimana parlait souvent de l’appartenance
ethnique et affirmait que les Tutsis étaient les ennemis des Hutus, que les Tutsis constituait
une minorité représentant 15 % de la population et ne cherchaient qu’à prendre le pouvoir, et
qu’il fallait éviter les Tutsis. Selon le témoin AGX, les enseignements qu’ils dispensaient aux
gens étaient destinés à semer la discorde entre les Hutus et les Tutsis445. Le témoin ABE,
Tutsi de Kigali, a déclaré que contrairement aux journaux qui utilisaient l’expression FPRInkotanyi, la RTLM a toujours fait usage de l’expression Inyenzi-Inkotanyi et et que celle-ci
était utilisée pour signifier que le FPR était l’ennemi et qu’il s’agissait des Tutsis446 . Le
témoin ABC, Hutu de Kigali, a déclaré qu’il était à Rugunga lorsque la radio RTLM a
annoncé vers 20 heures qu’on avait tiré sur l’avion du Président Habyarimana. Après cette
annonce, le témoin a entendu des coups de feu et des explosions de grenades qui ont continué
442

Compte rendu de l’audience du 10 avril 2001, p. 63 et 64.
Compte rendu de l’audience du 1er mars 2001, p. 144 à 146.
444
Compte rendu de l’audience du 11 avril 2001, p. 54 à 56.
445
Compte rendu de l’audience du 11 juin 2001, p. 67 à 69.
446
Compte rendu de l’audience du 28 février 2001, p. 43 et 44.
443

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toute la nuit. Le lendemain matin, la RTLM a déclaré que certains opposants au régime
avaient été tués, à savoir, Kavaruganda, Agathe Uwilingiyimana et Frédéric Nzamurambaho.
À 5 heures du matin ce jour-là, la RTLM a annoncé que personne ne devait quitter sa maison
et qu’il fallait rechercher les Tutsis puisqu’ils étaient responsables de l’attaque perpétrée
contre l’avion447.
440. Un certain nombre de témoins à charge, y compris le témoin BI et Nsanzuwera, ont
mentionné la musique de Simon Bikindi, Hutu dont la chanson « Nanga Ba-Hutu » ou « Je
hais les Hutus », a été diffusée à maintes reprises sur la RTLM. Au dire de tous, la mélodie de
cette chanson était extrêmement populaire. De l’avis de Nsanzuwera, les paroles « diffusaient
la haine ethnique » et étaient devenues « l’hymne » des massacres448. Lors de sa déposition,
Nsanzuwera s’est souvenu de la chanson décrivant les Hutus comme des imbéciles
ventripotents et attaquant les complices Hutus comme étant « les Hutus qu’on achète pour
tuer449 ». La Chambre a relevé dans les transcriptions des émissions de la RTLM l’indication
que les chansons de Bikindi ont été diffusées de nombreuses fois. Un certain nombre de
témoins ont déclaré que la musique diffusée sur la RTLM était très populaire et que, surtout
au début, c’était l’une des raisons pour lesquelles les gens écoutaient la RTLM.
441. Le témoin à charge BI, Hutue militante des droits de l’homme, a déclaré que peu de
temps après le début de la RTLM, elle est devenue inquiète. Le discours des présentateurs
avait changé, ils ont lancé une campagne de promotion de l’idée selon laquelle tous les Tutsis
étaient des Inkotanyi et des ennemis de la nation, et que tous les Hutus mariés à des Tutsies
étaient naïfs ainsi que des complices de l’ennemi450. La conclusion assimilant tous les Tutsis
à des Inkotanyi a été répétée maintes fois au cours des programmes de la RTLM par Noël
Hitimana, Kantano Habimana et Valérie Bemeriki, entre autres451. Le témoin BI a déclaré
qu’elle écoutait la RTLM en tant de militante des droits de l’homme, afin de savoir ce que
préparaient les Impuzamugambi et les Interahamwe. La RTLM désignait des quartiers et des
personnes nommément, et quelques heures après ces quartiers étaient mis à sac et ces
personnes étaient victimes d’attaques. Elle s’est souvenue de l’évocation du quartier de
Gatega où l’on disait que les femmes tutsies se croyaient invincibles et faisaient perdre la tête
aux hommes hutus. Elle a déclaré que le matin suivant, une jeune femme du nom de Kate a
été tuée dans sa maison par une grenade.
442. Le témoin BI a indiqué qu’elle-même avait été mentionnée sur les ondes de la RTLM
en décembre 1993 et qualifiée de nuisible ayant décidé de travailler pour l’ennemi. D’autres
personnes dont il a été dit qu’elle les avait emmenées dans son sillage ont également été
nommément désignées au cours de l’émission. Lorsqu’elle est rentrée chez elle, le gardien de
nuit lui a montré une grosse pierre qui avait été jetée dans son complexe par de jeunes
miliciens en uniforme. À celle-ci était attaché un message disant qu’ils la rattraperaient et la
tueraient en la crucifiant, en l’écorchant et en la laissant se faire manger par les oiseaux,
espérant ainsi qu’avant qu’elle ne meurt elle comprenne qu’elle était une traîtresse. Le témoin
BI a déclaré qu’elle avait été mentionnée sur les ondes de la RTLM plusieurs fois. L’émission
447

Compte rendu de l’audience du 28 août 2001, p. 13 à 16.
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2003, p. 127.
449
Compte rendu de l’audience du 24 avril, p. 221.
450
Compte rendu de l’audience du 8 mai 2001, p. 91 à 93.
451
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2001, p. 147 à 150.
448

Jugement et Sentence
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qu’elle a elle-même entendue a été diffusée en janvier ou en février 1994 par Valérie
Bemeriki qui a dit qu’il n’était pas surprenant de voir le témoin BI travailler pour les
Inkotanyi parce que sa mère était une Tutsie qui avait épousé un Hutu pour lui faire perdre la
tête. Après cette émission, une autre pierre a été jetée dans son complexe avec le dessin d’une
calebasse entourée d’un serpent. Le message était que de la même manière qu’elle avait
écouté sa mère, ses enfants l’écouteraient elle aussi et subiraient le même sort. On lui a dit
que la pierre avait été jetée par deux hommes portant des bérets de la CDR ainsi que par un
autre qui était un Interahamwe. En mars, elle s’est souvenue que Kantano Habimana a parlé
d’elle sur les ondes de la RTLM, en disant qu’il ne comprenait pas comment ce petit bout de
femme comme elle pouvait créer le chaos, et il a demandé s’il n’y avait pas un nombre
suffisant d’hommes pour s’occuper d’elle. Ultérieurement, elle a précisé qu’Habimana avait
suggéré qu’elle ne pouvait être sexuellement satisfaite que par des hommes tutsis 452 .
Immédiatement après cette émission, elle a été poursuivie par trois hommes qui ont dit :
« [C]’est elle ». Quand ils l’ont rattrapée, l’un d’eux a sorti son pénis de son pantalon et lui a
demandé si ça n’était pas suffisant pour la faire taire. Deux jours après, elle a été attaquée
dans la rue et son véhicule a été bombardé de pierres et endommagé453.
443. Le témoin BI a déclaré qu’en mars 1994, les jeunes Interahamwe et Impuzamugambi
en uniforme et la radio collée à l’oreille étaient omniprésents et chantaient des chansons à
tue-tête, des chansons de Bikindi, pendant que d’autres disaient : « Les ennemis du
pays, nous les exterminerons ». Le 7 avril au matin, le témoin a vu des soldats de la garde
présidentielle, liste en main, en train d’exécuter des gens. À midi, ils sont venus chez elle.
Elle était au téléphone avec Alison Des Forges lorsque les soldats ont commencé à tirer et ont
ouvert sa porte à coups de pied. Elle a réussi à s’enfuir et s’est cachée dans les fourrés et, plus
tard, dans le plafond de sa maison où elle est restée cinq jours. Elle s’est ensuite enfuie et a
quitté le pays le 12 avril 1994454.
444. Un certain nombre de témoins à charge ont déclaré que les personnes mentionnées au
cours des émissions de la RTLM ont été ultérieurement tuées du fait desdites émissions.
Nsanzuwera, le Procureur de Kigali à l’époque, a qualifié de « condamnation à mort » le fait
d’être nommément désigné sur les ondes de la RTLM, même avant le 7 avril455. Il a déclaré
qu’un certain nombre de meurtres avaient fait suite aux émissions de la RTLM et a cité
différents cas concernant des gens qu’il connaissait personnellement, outre Charles
Shamukiga, mentionné ci-dessus. L’un de ces faits qui s’est déroulé le 7 ou le 8 avril a été le
meurtre de Désiré Nshunguyinka, un ami du Président Habyarimana, qui a été tué avec sa
femme, sa sœur et son beau-frère après la diffusion par la RTLM de la plaque minéralogique
de la voiture dans laquelle ils circulaient. L’émission de la RTLM a alerté les barrages
routiers, situés à Nyamirambo, et les a appelés à la vigilance car une voiture possédant ce
numéro et transportant des Inkotanyi allait arriver. Lorsque la voiture s’est présentée au
barrage routier, presque immédiatement après l’émission, ces quatre personnes ont été tuées
par ceux qui tenaient le barrage. Nsanzuwera a indiqué que les émissions de la RTLM
s’adressaient à ceux qui se trouvaient au barrage routier et que le message était très clair : il
452

Comptes rendus des audiences du 15 mai 2001, p. 77, et du 8 mai 2001, p. 123 à 125.
Compte rendu de l’audience du 8 mai 2001, p. 124 à 127.
454
Ibid., p. 118 à 128 et 139 à 145.
455
Compte rendu de l’audience du 24 avril 2003, p. 119 à 123.
453

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fallait garder la radio à proximité car la RTLM allait fournir des informations sur les
mouvements de l’ennemi. Beaucoup de gens écoutaient la RTLM par peur car ses messages
poussaient à la haine ethnique et à la violence. Nsanzuwera a déclaré que cette station était
surnommée « Radio rutswitsi » par certains, ce qui signifie « qui brûle », en référence à la
violence ethnique. Après le 6 avril, certains l’ont surnommée « Radio machette456 ».
445. Le témoin à charge FS, homme d’affaire de Gisenyi, a déclaré qu’il avait entendu le
nom de son frère, parmi d’autres, sur la RTLM le 7 avril 1994 et que peu de temps après,
celui-ci avait été tué avec sa femme et ses sept enfants. Il a indiqué que son frère n’était pas le
seul et que plusieurs personnes avaient été tuées à la suite d’émissions de radio457.
446. Le témoin à charge FY, de Kigali, a déclaré avoir commencé à écouter la RTLM fin
1993, début 1994. Il était à Goma de février à la mi-mars et n’a pas écouté la RTLM au cours
de cette période. À partir de la mi-mars 1994, la RTLM a commencé à désigner nommément
et à accuser des gens d’être des Inkotanyi ou de financer ceux-ci. Parmi les noms cités, il a
entendu Noël Hitimana mentionner celui de Daniel Kabaka, propriétaire de la maison qu’il
louait, qui était accusé de donner de l’argent au FPR et de tenir des réunions chez lui. Kabaka
avait figuré dans une liste de sécurité de l’État et avait été arrêté en 1990 avec d’autres,
principalement des Tutsis, dont on disait qu’ils étaient des complices des Inkotanyi. Il avait
été détenu pendant six mois et était ressorti de prison handicapé, ayant reçu une balle dans la
jambe. Selon le témoin, Kabaka, qui était Tutsi, n’appartenait à aucun parti politique458.
447. Le témoin FY a déclaré que Kabaka ne cachait personne chez lui. Après la diffusion
de cette information à la radio, sa maison a été prise pour cible et les gens réfléchissaient à
deux fois avant de s’y rendre. Il a indiqué avoir envisagé de déménager parce qu’il craignait
qu’une attaque fasse suite à l’émission. Au cours de la semaine suivant le 7 avril 1994, le
témoin FY a de nouveau entendu le nom de Kabaka cité sur la RTLM, et dans la nuit du 7 ou
du 8 avril, sa résidence a été attaquée à la grenade. Le plafond a été détruit et Kabaka, qui
était déjà handicapé, s’est cassé la jambe et n’a pu fuir. Alors que le reste de sa famille a fui,
sa fille de 12 ans nommée Chine est restée avec lui en disant qu’elle voulait mourir avec son
père. Le témoin a indiqué que quelques jours plus tard, des membres d’un comité de crise
chargé de suivre la situation sont venus chez lui. Trente minutes plus tard, huit gendarmes
sont arrivés et sont entrés dans la maison. Ils ont trouvé Kabaka allongé et ont tenté de
l’abattre, mais sa fille l’a aidé à sortir dans la cour. Atteint de trois balles dans la poitrine, il
est mort sur le coup. Sa fille a également été touchée deux fois mais n’est pas morte
immédiatement. Elle a été emmenée à la Croix-Rouge et y est morte une semaine plus tard.
Le témoin FY, Tutsi de son état, faisait partie d’un groupe de gens qui ont assisté à ces faits
et qui se sont ensuite cachés chez des voisins459.
448. Le témoin FY s’est souvenu des noms d’autres voisins qui avaient été cités sur les
ondes de la RTLM, parmi lesquels un maçon, un médecin et une femme qui travaillait à
l’ambassade de Belgique. Il a déclaré avoir entendu ces noms en mars et en avril 1994, et
456

Comptes rendus des audiences du 23 avril 2003, p. 62 à 69 et 106 à 114, et du 24 avril 2003, p. 52 à 54.
Compte rendu de l’audience du 7 février 2001, p. 74 à 78.
458
Compte rendu de l’audience du 9 juillet 2001, p. 10 à 20.
459
Ibid., p. 34 à 42.
457

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qu’à chaque fois les mêmes mots étaient utilisés, accusant ces personnes d’être des complices
et de cacher des Inkotanyi. Il a indiqué que la plupart des gens mentionnés sur les ondes de la
RTLM étaient tutsis ou ne soutenaient pas le gouvernement de l’époque. Ceux qu’il
connaissait, le maçon et le médecin, par exemple, étaient des personnes âgées dont il ne
pensait pas qu’elles s’intéressaient à la politique ou participaient à des activités politiques. Le
témoin FY a déclaré que la programmation de la RTLM avait eu deux phases. Au cours de la
première, de la musique populaire avait été diffusée, et au cours de la seconde, les
programmes avaient cherché à diviser les Rwandais et, ainsi qu’il le décrit, « les Hutus ont
désigné aux Rwandais qui était l’ennemi ». En réponse aux questions de la Chambre, le
témoin FY a déclaré que d’autres Tutsis, en plus de Kabaka, avaient été massacrés à l’époque
et que, lorsque le comité de crise se rendait de maison en maison, il vérifiait les cartes
d’identité dans le but de sélectionner les gens à abattre. Il a déclaré qu’ils avaient une liste de
noms mais qu’il n’était pas suffisamment proche pour pouvoir lire les noms qui y
figuraient460.
449. Les témoins à charge ont également décrit les émissions de la RTLM comme étant
apparemment conçues pour manipuler le déplacement des Tutsis afin de faciliter leur
massacre. Un épisode relaté par Nsanzuwera concernait le professeur Charles Kalinjabo tué à
un barrage routier en mai 1994 après la diffusion par la RTLM d’un appel invitant l’ensemble
des Tutsis qui n’étaient pas des Inkotanyi mais plutôt des patriotes à rejoindre leurs
camarades hutus aux barrages routiers. Charles Kalinjabo a fait partie de ceux qui sont en
conséquence sortis de leurs cachettes et il s’est rendu à un barrage routier où il a été tué après
que la RTLM eut diffusé un message informant ses auditeurs de ne pas chercher les ennemis
chez eux puisqu’ils se trouvaient aux barrages routiers461. Le témoin FW a déclaré avoir
entendu, le 11 avril 1994, une émission de la RTLM disant à tous les Tutsis qui avaient fui
leurs maisons d’y retourner parce que des fouilles destinées à trouver des armes devaient y
être effectuées et que les maisons de ceux qui ne reviendraient pas seraient détruites. Le
témoin FW a indiqué que certaines personnes étaient rentrées chez elles après avoir entendu
cette émission et a nommé parmi elles Rubayiza Abdallar ainsi qu’une autre personne
nommée Sultan, deux de ses voisins tutsis, qui ont été tués lorsqu’ils sont rentrés chez eux le
jour même, le 11 avril. Le témoin FW a déclaré que la plupart de ceux qui sont rentrés chez
eux à la suite de cette émission ont été tués. Il n’est pas rentré chez lui et a cherché une
cachette parce qu’il ne faisait pas confiance à la RTLM462.
450. Le témoin FW a également évoqué un épisode qui s’est déroulé au Centre culturel
islamique le 13 avril 1994. Le témoin a estimé qu’il y avait 300 hommes, 175 femmes et de
nombreux enfants, tous des Tutsis, qui s’y étaient réfugiés. Il a décrit des conditions
désastreuses et a dit que des jeunes Hutus pénétraient à l’intérieur du complexe et apportaient
de la nourriture à ceux qui s’y trouvaient. Il a déclaré y avoir vu le présentateur de la RTLM
Noël Hitimana le 12 avril et l’avoir entendu demander à ces jeunes pourquoi ils apportaient
de la nourriture aux Inyenzi qui se trouvaient dans le centre culturel. Le témoin FW a indiqué
avoir dit à Hitimana que ces gens qu’ils appelaient Inyenzi étaient ses voisins et lui avoir
demandé pourquoi il les appelait ainsi. Le témoin FW a déclaré qu’environ une heure plus
460

Comptes rendus des audiences du 9 juillet 2001, p. 23 à 33, et du 10 juillet 2001, p. 7 à 10.
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2003, p. 66 à 69 et 94 à 105.
462
Compte rendu de l’audience du 1er mars 2001, p. 52 à 57 et 143 à 146.
461

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tard il avait entendu Kantano Habimana dire sur les ondes de la RTLM qu’il y avait des
Inyenzi armés à l’intérieur du Centre culturel islamique et que les Forces armées rwandaises
devaient en être informées. Selon le témoin, aucun des réfugiés qui se trouvaient à l’intérieur
du complexe n’était armé ; ils étaient tous sans défense. Le lendemain matin, le 13 avril, le
complexe a été attaqué par des soldats et des Interahamwe qui ont encerclé et tué les réfugiés.
De sa cachette, le témoin FW a pu voir ce qui se passait. Il a décrit la réticence de certains
Interahamwe à tuer des gens à l’intérieur d’une mosquée, ce qui les a amenés à ordonner à
tout le monde de sortir, y compris les femmes âgées et les enfants. Ils ont été ensuite conduits
dans des maisons voisines où ils ont presque tous été tués. Le lendemain matin, le témoin a
trouvé six survivants dont trois étaient grièvement blessés et sont morts ultérieurement. Ils lui
ont dit qu’une fois que les réfugiés avaient été mis dans les maisons, des grenades y avaient
été jetées et qu’ils étaient les seuls survivants de l’attaque. Parmi ceux qui ont été tués se
trouvait la cousine du témoin FW, une petite fille de 7 ans463.
451. Le témoin FW a déclaré avoir entendu en mai une émission de la RTLM qu’il a
qualifiée de « programme incendiaire ». Gahigi interviewait Justin Mugenzi qui disait qu’en
1959 ils avaient expulsé les Tutsis mais que cette fois-ci ils allaient les tuer, que les Hutus
devaient tuer tous les Tutsis – hommes, femmes et enfants – et que s’ils étaient revenus
c’était parce qu’ils n’avaient pas été tués la fois précédente. La même erreur ne devait pas se
reproduire, ils devaient tuer tous les Tutsis. Le témoin FW a indiqué que cette déclaration
leur a fait très peur parce qu’ils ont compris que leurs chances de survie étaient très minces et
que s’ils étaient en vie, ils ne le resteraient pas longtemps464.
452. Le témoin à charge Thomas Kamilindi, journaliste rwandais, a déclaré avoir été
menacé lors d’une émission de la RTLM, à la suite d’une interview qu’il avait donnée à
l’hôtel des Mille Collines. Au cours de cette interview, il avait affirmé que des miliciens,
avec l’aide d’une partie de l’armée, étaient responsables des massacres et que les FAR
perdaient du terrain sur le FPR. Le lendemain, la RTLM a mentionné la présence de Thomas
Kamilindi à cet hôtel qui était un sanctuaire des Inyenzi. Kantano Habimana a déclaré à
l’antenne : « Thomas, écoute, reviens à la maison. Viens travailler avec nous. Ce que tu fais
n’est pas bien. Tu as pris une mauvaise direction ». Il a déclaré avoir interprété ce message
comme donnant instruction à la milice d’aller le chercher. D’autres réfugiés lui ont dit que
Valérie Bemeriki avait déclaré à l’antenne : « Kamilindi, tu peux dire tout ce que tu veux. Tu
peux vendre le pays comme tu le souhaites, mais sache que l’Hôtel des Mille Collines n’est
pas un bunker ». Le directeur de l’hôtel a ultérieurement dit à M. Kamilindi que l’armée avait
décidé de bombarder l’hôtel et qu’il avait été informé par un capitaine de la MINUAR que le
général Dallaire était en contact avec le général Bizimungu afin de sauver l’hôtel. Trois
heures après l’émission de Bemeriki, un obus a été tiré sur l’hôtel, qui a ensuite été déclaré
site de l’ONU où des véhicules blindés ont été envoyés pour assurer sa protection. Lorsque
M. Kamilindi, parmi 40 réfugiés, a été évacué par la MINUAR, ils ont été arrêtés à un
barrage routier et presque exécuté par la milice Interahamwe et des soldats. Kamilindi a
déclaré que, pendant les négociations relatives au convoi, les Interahamwe criaient son nom
et disaient : « Kamilindi, descend, nous allons te tuer. Les autres seront épargnés465 ».
463

Ibid., p. 66 à 96 et 103 à 106.
Ibid., p. 96 à 98.
465
Compte rendu de l’audience du 21 mai 2001, p. 109 à 127.
464

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453. Le témoin à charge X, membre des Interahamwe, a déclaré qu’il écoutait
régulièrement la RTLM depuis sa création. Au cours de la période antérieure au 6 avril 1994,
il a indiqué avoir entendu la RTLM diffuser de fausses informations. À titre d’exemple, il a
cité l’information selon laquelle des grenades avaient été jetées par le FPR, alors qu’en fait
elles l’avaient été par le MRND. Il a également cité l’exemple d’une liste que la RTLM avait
rendue publique en disant qu’elle avait été établie par le FPR et qu’il s’agissait des personnes
que ce dernier allait tuer, ce qui était faux. Le témoin X a dit qu’il avait vu cette liste deux
jours avant qu’elle ne soit rendue publique en janvier 1994. Un ami, également proche de
Nahimana, lui a dit que la liste allait être rendue publique. Elle avait été produite par un
groupe de personnes, dont Nahimana et Bagosora466. En contre-interrogatoire, les conseils de
Nahimana ont relevé que le témoin X avait signé en février 1994 un communiqué
condamnant les listes d’extermination du FPR, indiquant que ces listes étaient considérées
comme authentiques. Le témoin X a maintenu que la liste était fausse 467 . Le conseil de
Barayagwiza a relevé que plusieurs des personnes qui figuraient sur la liste, y compris
Gatabazi et Bucyana, avaient été effectivement tuées, laissant ainsi entendre que cette
information n’était pas fausse. Le témoin X a insisté sur le fait qu’il n’y avait aucun lien entre
la liste et ces meurtres469. Il a cité comme autre exemple de fausse information une émission
de la RTLM du mois d’avril 1994 qualifiant nommément des gens d’Ibyitso, y compris une
personne dénommée Bomboko, dont la RTLM a dit qu’il se faisait passer pour un
Interahamwe mais qu’il travaillait en fait pour le FPR. Un responsable de la RTLM qui était
avec le témoin X a entendu cette émission et s’est rendu au studio pour exiger qu’une
rectification soit faite, afin de dire que Bomboko était des leurs et non pas un Ibyitso470.
454. Le témoin à charge Colette Braeckman, journaliste belge, a déclaré qu’après la mort
du Président Ndadaye au Burundi, elle avait commencé à entendre parler des émissions de la
RTLM. Des journalistes et des membres du corps diplomatique disaient que la RTLM jetait
de l’huile sur le feu471. Après l’enterrement de Ndadaye en décembre 1993, elle s’est rendue à
Kigali où elle a rencontré la Première Ministre Agathe Uwilingiyimana qui l’avait contactée
pour lui faire part de ses préoccupations au sujet de la RTLM. Elle lui a dit que la radio était
en train de monter une campagne de haine ethnique et que des menaces de mort étaient
proférées, particulièrement à son encontre. Les troupes belges de l’ONU étaient dénigrées, de
même que les Accords d’Arusha et les membres de l’opposition. Cette interview, publiée par
le journal belge Le Soir, a cité une déclaration de la Première Ministre selon laquelle : « la
Radio des mille collines qui appartient au chef de l’État, a déclaré que le président et moimême étions condamnés à mourir. Le président de mon parti et moi-même étions condamnés
à mourir ». Lors de son contre-interrogatoire, le conseil de Barayagwiza a donné à entendre
que la RTLM s’était bornée à dire qu’ils étaient condamnés à mourir, ce qui ne constituait pas
une menace472.

466

Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 127 à 141; pièce à conviction P88.
Compte rendu de l’audience du 21 février 2002, p. 93 à 97.
469
Ibid., p. 78 et 79.
470
Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 127 et 141.
471
Compte rendu de l’audience du 29 novembre 2001, p. 24 et 25.
472
Ibid., p. 62.
467

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455. Parmi les autres membres de l’opposition à avoir été attaqués par la RTLM se trouvait
Alphonse Nkubito, le Procureur général, dont le nom, selon Nsanzuwera, a été cité de
nombreuses fois à l’antenne de la RTLM. Nkubito a été accusé en mars 1994 de préparer
l’assassinat du Président dans une émission de la RTLM à l’encontre de laquelle il a entamé
une procédure judiciaire. Nsanzuwera a déclaré que lorsqu’il a été arrêté le 3 mai 1994 à un
barrage routier, on lui a demandé : « Est-ce Nkubito ou Nsanzuwera ? » Il a indiqué qu’ils
disaient toujours la même chose et que lui-même et Nkubito n’avaient pas été tués parce
qu’ils étaient protégés par l’ONU. La RTLM avait dit que Nkubito et Nsanzuwera faisaient
partie de ceux qui étaient encore vivants, et les Interahamwe demandaient toujours s’il
s’agissait de Nsanzuwera ou de Nkubito parce qu’ils avaient écouté l’émission de la RTLM
au cours de laquelle il avait été dit que Nkubito préparait l’assassinat du Président473. Le
témoin GO a déclaré que Faustin Rucogoza, le Ministre de l’information, était souvent
mentionné sur les ondes de la RTLM et critiqué pour ses efforts visant à empêcher cette
dernière de diffuser des messages de division ethnique. Le 7 avril 1994, le Ministre a été tué à
sa résidence, de même que sa femme et huit de leurs enfants. Le témoin GO a entendu cette
information sur la RTLM qui a rapporté que Rucogoza avait été tué avec d’autres
complices474.
456. Le témoin à charge Colette Braeckman a déclaré qu’il y avait eu un vif débat sur le
rôle des médias et la différence entre une approche activiste et une approche objective, lors
d’un séminaire relatif aux médias organisé au Rwanda en mars 1994 par l’ambassade belge.
Elle a indiqué que des inquiétudes avaient été exprimées au sujet des médias qui à l’époque
étaient susceptibles de promouvoir la violence et elle s’est souvenue d’un journaliste
rwandais, François Byabyibwanzi, qui avait dit qu’un certain type de presse attisait la haine et
pouvait amener des Rwandais à s’armer de grenades et de machettes et à tuer. Il avait
particulièrement visé la RTLM, ce qu’avait fait également un certain nombre d’autres
journalistes présents. Au cours du débat, Nahimana et Gahigi ont soutenu le droit à
l’existence de la presse d’opinion, mais d’autres ont contesté cette position en disant qu’il ne
s’agissait pas seulement d’opinions mais d’incitations à la haine et à la violence ethniques.
Nahimana a défendu la presse d’opinion en disant qu’elle ne menait pas nécessairement à la
violence et qu’elle était protégée par la liberté d’expression. Radio Muhabura a été critiquée
de manière similaire comme diffusant des informations susceptibles d’inciter des Rwandais à
la haine. Les représentants de radio Muhabura ont pris la parole et ont défendu la presse
d’opinion, mais se sont différenciés de la RTLM et ont récusé l’incitation à la haine ethnique.
Lors de son contre-interrogatoire, les conseils de Nahimana ont cité un reportage relatif au
séminaire publié dans Dialogue, qui ne faisait pas état du débat mentionné par Braeckman.
Elle a affirmé que cette revue ne publiait que les présentations écrites et n’avait pas repris les
discussions plus informelles de la réunion qui étaient les plus vives et les plus accusatrices475.
457. Le témoin à charge Philippe Dahinden, journaliste suisse qui a suivi la RTLM depuis
ses débuts, a fait une déclaration devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU le
25 mai 1994, appelant à la condamnation du rôle joué par la RTLM depuis le début des
massacres et demandant que l’ONU exige la fermeture de cette station. Il a notamment dit :
473

Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 55 à 59 et 111 à 114.
Compte rendu de l’audience du 10 avril 2001, p. 4 à 11.
475
Compte rendu de l’audience du 29 novembre 2001, p. 144 à 151 ; pièce à conviction P76.
474

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« Avant même le début des événements sanglants d’avril 1994, RTLM appelait à la haine et à
la violence contre les Tutsis et contre les opposants hutus. Les ressortissants belges et les
casques bleus figurent également parmi les cibles et victimes de la « radio qui tue ».
Qualifiant la RTLM d’« arme essentielle de propagande » des extrémistes hutus et des
milices dans le déclenchement et la perpét[ra]tion des massacres, Dahinden a déclaré que
depuis le 6 avril 1994, la RTLM « n’a eu de cesse d’attiser la haine et d’inciter à la violence
contre les Tutsis et les opposants hutus, en clair contre les supporters des Accords de paix
d’Arusha d’août 1993 »476.
458. Le témoin expert à charge Des Forges a déclaré que ce qu’elle entendait de la vaste
majorité des gens auxquels elle avait parlé à l’époque des massacres c’était de : « fermer la
RTLM ». Elle a indiqué que les victimes potentielles écoutaient cette station autant qu’elles
le pouvaient, par peur, et la prenaient très au sérieux, tout comme les assaillants qui
l’écoutaient aux barrages routiers, dans les rues, dans les bars et même sur ordre des autorités.
Elle a raconté qu’un bourgmestre enjoignait à la population « [d’écouter la radio et de
considérer ce qu’elle disait comme venant de lui] ». Sa conclusion, fondée sur les
informations qu’elle avait rassemblées, était que la RTLM avait un énorme impact sur la
situation, encourageant le massacre de Tutsis et de ceux qui les protégeaient477.
459. Interrogé sur ce qu’il pensait de manière générale de la programmation de la RTLM
de juillet à décembre 1993, Nahimana a déclaré qu’il était satisfait des débats et des
discussions, que l’appartenance ethnique, le partage du pouvoir et les Accords d’Arusha
faisaient l’objet de discussions et qu’aucun sujet n’était considéré comme étant tabou. Il a dit
que les objectifs de la RTLM mis de l’avant lors de la première assemblée des actionnaires
étaient les discussions politiques sur des thèmes d’actualité, la commercialisation de la radio
et le besoin de parler des problèmes résultant de la guerre. On a également parlé, lors de cette
assemblée, de la nécessité de contrer Radio Muhabura, et il a qualifié de regrettable que tout
ce qui avait été dit contre le FPR ait été considéré comme une mobilisation des Hutus. Les
conseils de Nahimana ont produit plusieurs émissions, mentionnées plus haut, afin de
contester l’affirmation selon laquelle la RTLM n’était pas ouverte à l’ensemble des partis
politiques. Nahimana a déclaré qu’à la suite de l’assassinat du Président Ndadaye du Burundi
Ndadaye en octobre 1993, les choses avaient pris un tour négatif et que cet événement avait
servi de catalyseur pour une discussion en profondeur des problèmes ethniques. La RTLM a
été perçue comme une radio extrémiste appartenant au Hutu Power parce qu’elle diffusait des
informations relatives aux massacres commis par le FPR. Nahimana a indiqué avoir entendu
une émission qualifiant nommément un individu d’Inkotanyi et que le problème avait été
évoqué par le Comité d’initiative, faisant ainsi part de sa désapprobation de telles
émissions478.
460. S’agissant des émissions postérieures au 6 avril 1994, Nahimana s’est dit révolté par
celles qui donnaient aux auditeurs l’impression que les Tutsis devaient d’une manière
générale être tués. Il s’est distancé de ces programmes qu’il a qualifiés d’« inacceptables »,
déclarant que les extrémistes s’étaient emparés de la RTLM. Il a dit que celle-ci incitait
476

Pièce à conviction P2A.
Compte rendu de l’audience du 23 mai 2002, p. 303 à 306.
478
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 168 à 175 et 194 à 201.
477

Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

effectivement les gens à débusquer l’ennemi. Tout en affirmant qu’il ne pensait pas qu’elle
« ait systématiquement appelé au meurtre de gens », il s’est déclaré choqué d’apprendre en
détention que des présentateurs soulignaient les caractéristiques physiques des Tutsis qui,
ainsi qu’il l’a reconnu, risquaient en conséquence d’être tués aux barrages routiers. Nahimana
a conjecturé que s’il avait tenté d’empêcher la RTLM de diffuser des renseignements sur des
individus désignés comme étant des Inkotanyi, il aurait pu lui-même faire l’objet d’une
émission de la RTLM et mettre ainsi sa vie en danger. Lors de son contre-interrogatoire, il a
expressément condamné plusieurs émissions sur lesquelles il était interrogé et a demandé que
sa condamnation soit considérée comme une condamnation globale de l’ensemble de ces
émissions. Il a condamné l’ensemble des émissions qui donnaient l’impression qu’il fallait
tuer des personnes, commettre des viols, se livrer au pillage et perpétrer des actes de violence.
À la question de savoir pourquoi il n’avait pas dénoncé ces émissions plus tôt, il a répondu
qu’il n’avait eu l’occasion de les examiner pour la première fois que depuis qu’il avait reçu
leurs enregistrements en détention479.
461. En réponse aux questions relatives aux journalistes de la RTLM posées par la
Chambre qui avait relevé que les mêmes journalistes étaient à l’antenne avant et après le
6 avril 1994, Nahimana a attribué leur changement de comportement à une défaillance de la
direction qui a permis à un certain nombre de radicaux de se rendre maître de la RTLM. Il a
déclaré que pendant sa détention il s’était familiarisé avec la programmation de la RTLM
après le 6 avril qu’il a de nouveau dénoncée, en particulier les émissions de Kantano
Habimana dont il a dit qu’il prenait souvent de la drogue, ce qui lui faisait tenir à l’antenne
des propos inacceptables. Il a relevé que celui-ci avait perdu une jambe dans le
bombardement de la RTLM en avril et a déclaré que la colère qu’il manifestait dans ses
émissions pouvait se comprendre en partie, sans qu’elle soit justifiée, par le fait que toute sa
famille avait été tuée par les forces du FPR. Selon Nahimana, Kantano était un journaliste
formé et de qualité, et ce n’est qu’en détention qu’il avait appris que les journalistes prenaient
de la drogue, ce qui n’était pas le cas avant le 6 avril480.
462. Nahimana a fermement rejeté l’idée selon laquelle il n’y avait qu’une différence de
degré entre les émissions de la RTLM avant et après le 6 avril 1994. Il a déclaré que le type
de débat diffusé antérieurement n’était plus possible après le 6 avril. Il a fait l’éloge de
Gaspard Gahigi comme étant « la crème de la crème de la crème de la presse écrite »,
relevant qu’il avait formé des journalistes dans la région des Grands Lacs. Il a reconnu que
des erreurs avaient été commises, mais a ajouté que des erreurs se produisent partout, tout en
les déplorant, et a rappelé que la personne offensée devrait bénéficier d’un droit de réponse. Il
a déclaré qu’après le 6 avril certains journalistes étaient comme fous, soit à cause des
drogues, soit en raison de ce qui était arrivé à leurs collègues. Il a affirmé n’avoir jamais vu
de journaliste drogué et a dit de Kantano Habimana qu’il avait rejoint « le camp des
criminels »481.

479

Comptes rendus des audiences du 24 septembre 2002, p. 83 à 96, et du 27 septembre 2002, p. 89 à 98 et 105
à 112.
480
Compte rendu de l’audience du 18 octobre 2002, p. 70 à 77.
481
Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 151 à 158.
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463. Dans son livre, Rwanda : Le sang hutu est-il rouge ? Vérités cachées sur les
massacres, Barayagwiza a écrit ce qui suit à propos du rôle de la RTLM : « Il est plus que
probable que la RTLM a appelé la population à la résistance contre le FPR, et à la lutte contre
les infiltrés et les traîtres, ce qui, en soit, relève de la légitime défense »482.
Crédibilité des témoins
464. La Chambre a jugé crédibles les dépositions des témoins à charge François-Xavier
Nsanzuwera, Thomas Kamilindi, Philippe Dahinden et Colette Braeckman, ainsi que celles
des témoins GO, X et ABC, ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 545, 683, 546, 546, 608,
547 et 331 respectivement.
465. Le témoin BI a longuement été contre-interrogée sur les circonstances matérielles de
sa résidence, sur sa participation aux investigations menées sur les faits qui se sont déroulés à
Bugesera, sur ses premières rencontres avec Nahimana, ainsi que sur ses déplacements en
1993 et 1994. Elle a également été interrogée au sujet d’une déclaration qu’elle a signée en
décembre 1995 dont elle a dit qu’elle avait été préparée sur la base d’une audition qui s’était
déroulée dans un couloir d’hôtel dans des conditions qu’elle a décrites comme étant peu
professionnelles. Dans sa déclaration, elle a indiqué que Bemeriki avait parlé d’elle à
l’antenne de la RTLM en août 1993 et février 1994. Ella a dit qu’elle pensait que c’était en
décembre 1993 plutôt qu’en août, et qu’elle ne se souvenait pas avoir parlé du mois d’août.
Elle a dit avoir mentionné le mois de février 1994 dans sa déclaration, ce qui correspondait à
l’émission qu’elle avait entendue elle-même, et elle a évoqué les conditions difficiles de son
audition pour expliquer l’erreur. Selon la déclaration, le témoin BI avait écouté la RTLM
« plusieurs fois », alors qu’elle a dit à l’audience qu’elle l’écoutait régulièrement, affirmation
jugée comme exagérée par les conseils de Nahimana. Le témoin BI a soutenu que
« plusieurs » signifiait plus de deux et pouvait s’entendre de n’importe quel chiffre compris
entre trois et un million. Elle a signalé que le français n’était pas sa langue maternelle et, tout
en reconnaissant qu’elle était souvent partie à l’étranger pendant plusieurs semaines d’affilée,
elle a maintenu qu’elle écoutait la RTLM lorsqu’elle était au Rwanda. Contre-interrogée, le
témoin BI a reconnu s’être rendue en territoire contrôlé par le FPR, mais a dit ne pas en être
membre, relevant que même les émissions de la RTLM avaient dit qu’elle était un instrument
du FPR plutôt que l’un de ses membres. Invitée à dire pourquoi elle n’avait pas mentionné les
menaces de mort qu’elle avait reçues et les pierres jetées dans son complexe, que ce soit au
cours d’interviews données à l’époque ou dans le cadre de sa déclaration, elle a répondu que
les messages ne comportaient pas son nom et qu’elle ne voulait pas mettre en danger ses
enfants qui y étaient mentionnés. Le témoin BI a reconnu qu’elle avait été critiquée par
plusieurs organisations, y compris African Rights, particulièrement en raison de déclarations
qu’elle avait faites au sujet de sa famille dont il a été dit qu’elles n’étaient pas fiables. Ces
déclarations auraient été contestées par son père, mais le témoin BI a déclaré qu’African
Rights n’avait pas parlé à celui-ci483. La Chambre a jugé la déposition du témoin BI claire et
cohérente et accepte les réponses qu’elle a données aux questions posées. Pour ces raisons, la
Chambre estime que sa déposition est crédible.

482
483

Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 66 à 69.
Comptes rendus des audiences du 14 mai 2001, p. 131 à 147, et du 15 mai 2001, p. 28 à 42 et 60 à 66.

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466. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin FW a été questioné au sujet de sa
déclaration de novembre 1995, selon laquelle l’émission de la RTLM qu’il avait entendue
était destinée aux gens qui avaient fui leurs maisons et non pas à l’ensemble des Tutsis. Le
témoin FW a déclaré que ce qu’il avait entendu à la radio était adressé aux Tutsis et qu’il
avait demandé que sa déclaration soit corrigée. Il ne savait pas pourquoi elle n’avait pas été
corrigée. Il avait également demandé d’y corriger l’affirmation selon laquelle la RTLM
n’avait pas parlé d’appartenance ethnique avant le mois de juin, ce qui était faux. En fait la
RTLM parlait d’appartenance ethnique depuis qu’il avait commencé à l’écouter en 1993. Il
figurait dans la déclaration à côté de cette phrase un point d’interrogation manuscrit dont le
témoin FW a dit qu’il avait été placé là en sa présence par un enquêteur canadien du TPIR qui
a dit que la correction serait effectuée484. La Chambre accepte ces explications et estime que
la déposition du témoin FW est crédible.
467. Le témoin FY a été contre-interrogé sur les dates et l’enchaînement des faits se
rapportant à l’attaque de la maison de Daniel Kabaka. Il n’était pas certain des dates précises
de cette attaque, de la diffusion du nom de celui-ci sur les ondes de la RTLM et de son
exécution. En réponse aux questions, le témoin a précisé qu’il avait entendu le nom
à l’antenne après l’attaque initiale de la maison et avant le meurtre de Kabaka. Il a réaffirmé
avoir entendu le nom de Kabaka à la radio avant le 6 avril 1994, et ce sur la RTLM plutôt que
sur toute autre station de radio. Interrogé sur la question de savoir pourquoi Kabaka avait été
suspecté de soutenir le FPR et figurait sur une liste de sécurité de l’État en 1990, le témoin
FY a répondu que c’était parce que, contrairement à lui, Kabaka était un membre influent de
la communauté tutsie et que les Tutsis d’un certain niveau social et économique, les
personnes influentes, avaient été inscrits sur cette liste de suspects. Il a reconnu que certains
Tutsis influents n’avaient pas été arrêtés mais a suggéré qu’ils avaient bénéficié d’une
protection spéciale. Les conseils de Ngeze ont suggéré que c’était parce que Kabaka avait
figuré sur cette liste et avait été précédemment arrêté qu’il avait été tué par la police qui le
connaissait pour cette raison. Le témoin FY a affirmé que Kabaka avait été tué par la police
ou par des gendarmes. Il a reconnu qu’à l’époque du meurtre, la RTLM n’avait pas été
mentionnée. Le témoin FY a déclaré n’avoir jamais été membre d’un parti politique. Il a dit
qu’il soutenait le FPR ainsi que tout autre parti qui œuvrait en faveur de l’unité 485 . La
Chambre relève que le contre-interrogatoire du témoin FY n’a comporté aucune question
relative à sa crédibilité. Aussi estime-t-elle sa déposition crédible.
Appréciation des éléments de preuve
468. La Chambre relève que les émissions de la RTLM sur lesquelles l’attention a été
appelée plus haut témoignent d’une interaction complexe entre les dynamiques ethnique et
politique. Cette interaction n’est pas l’œuvre de la RTLM. Elle reflète, dans une certaine
mesure, l’histoire du Rwanda. La Chambre considère que l’émission de Barayagwiza du
12 décembre 1993 est un exemple classique des efforts déployés pour éveiller la conscience
des gens au sujet d’un passé de discrimination à l’encontre de la majorité hutue par la
minorité privilégiée tutsie486, fondé sur une répartition historiquement inéquitable du pouvoir
484

Compte rendu de l’audience du 1er mars 2001, p. 120 à 129 et 146 à 148.
Compte rendu de l’audience du 9 juillet 2001, p. 35 à 44, 53 à 56, 60 et 61, 80 à 88 ainsi que 103 et 104.
486
Paragraphe 345.
485

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au Rwanda. Dans la mesure où cette répartition du pouvoir s’est effectuée en fonction d’un
clivage ethnique, elle possède nécessairement une composante ethnique. La présentation de
Barayagwiza était personnelle et clairement destinée à transmettre un message politique, à
savoir que les Hutus avaient historiquement été traités comme des citoyens de seconde classe.
La Chambre prend acte de l’inquiétude exprimée dans toutes les émissions de la RTLM de
voir l’insurrection armée du FPR menacer les progrès accomplis au Rwanda après 1959 pour
remédier à cette inégalité historique. À la lumière de l’histoire du Rwanda, la Chambre
reconnaît qu’il s’agissait là d’une préoccupation légitime considérée comme justifiant le
besoin d’un débat public.
469. Le FPR était considéré par beaucoup comme représentant les intérêts des Tutsis et
comme l’héritage d’un mouvement politique commencé par les réfugiés tutsis qui ont quitté
le pays à partir de 1959. Lors de l’émission de la RTLM du 20 novembre 1993, Nahimana a
assimilé le FPR ou les Inkotanyi au mouvement des Inyenzi de la génération précédente487.
Cette analyse véhiculait l’idée selon laquelle les Inkotanyi et les Inyenzi possédaient des traits
ethniques ainsi que politiques. La Chambre relève que cette réalité historique se traduit
souvent dans le langage utilisé pour exposer l’histoire du Rwanda. Ainsi que cela a été
indiqué ailleurs, la première phrase des actes d’accusation établis contre les accusés énonce
en l’espèce : « La révolution de 1959 marque le début d’une période d’affrontements
ethniques entre les Hutus et les Tutsis au Rwanda … » Les émissions de la RTLM
démontrent que ce raccourci peut être dangereux et même meurtrier, mais la Chambre estime
que la mention des « Hutus » et des « Tutsis » dans leur sens politique peut être considérée
comme traduisant la réalité historique et ne promeut pas en soi la division entre ethnies. Dans
certains cas, comme dans les émissions de Barayagwiza et de Nahimana, elle peut être vue
comme promouvant l’éducation du public sur la dimension ethnique du contexte social et
politique de l’époque. Dans d’autres émissions, comme celle qui a été citée plus haut et qui
parle du pouvoir que les Hutus ont arraché aux Tutsis en 1959, ces termes n’ont été utilisés
que pour décrire des mouvements politiques par leur composition ethnique, description qui
correspond à la réalité.
470. Sous cet éclairage, la Chambre a examiné les émissions qui font état de la richesse
disproportionnée dont bénéficierait la population tutsie au Rwanda. Le Procureur a produit
des éléments de preuve récusant cette affirmation. Toutefois, la Chambre n’est pas en mesure
de se prononcer sur la répartition des richesses au Rwanda et ne peut déterminer, par
exemple, sur la base des moyens de preuve dont elle dispose, si 70 % de l’ensemble des
propriétaires de taxis au Rwanda étaient tutsis488. Si cela était vrai, l’émission pourrait être
considérée comme constituant un effort d’information du public sur les inégalités sociales.
Dans le cas contraire, on pourrait y voir une tentative visant à manipuler l’opinion publique et
à engendrer hostilité et ressentiment sans fondement à l’encontre de la population tutsie. La
Chambre note que le discours utilisé est révélateur des objectifs de ces émissions. Par
exemple, même s’il était vrai que les Tutsis du Rwanda possédaient une part disproportionnée
des richesses en raison de leurs privilèges historiques, dire comme l’a fait Kantano Habimana
lors d’une émission de la RTLM en décembre 1993 que « ce sont eux qui ont tout l’argent »
pourrait être considéré comme étant incendiaire, c’est-à-dire comme étant présenté dans le
487
488

Paragraphe 357.
Paragraphe 363.

Jugement et Sentence
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but de promouvoir la haine ethnique. La manière dont cette émission a parlé de Shamukiga,
homme d’affaire tutsi, et a évoqué les Tutsis en tant que groupe, affirmant qu’ils possédaient
« tout » l’argent, véhicule plus qu’une simple information 489 . Il n’est pas surprenant que
Shamukiga se soit senti menacé par cette émission.
471. De l’avis de la Chambre, l’émission de Kantano Habimana du 5 janvier 1994 à propos
de l’interview qu’il avait réalisée du dirigeant du FPR, Tito Rutaremara, constitue un autre
exemple de discours incendiaire490. Après avoir affirmé six fois en onze phrases consécutives
qu’il « détestait » ou « haïssait » les Tutsis ou Inkotanyi, Habimana a déclaré de manière
sarcastique que le seul « malentendu » était dû au fait qu’ils avaient procédé à des
bombardements et à des expulsions. L’intention évidente de ces propos était de susciter la
colère contre les Tutsis, la même que celle exprimée au cours de l’émission. La façon dont il
s’est ensuite moqué des Inkotanyi comme buvant d’énormes quantités de lait visait à dénigrer
les Tutsis dans leur ensemble. De même, lors de l’émission du 9 décembre 1993 abordant la
question de savoir si la RTLM haïssait les Tutsis, Habimana a décrit de manière sarcastique
le grand et mince Tutsi qui « se promène nonchalamment » avec son joli « nez ». Ce genre de
descriptions des Tutsis ne relève pas de l’ordre du commentaire politique mais exprime plutôt
de purs préjugés ethniques qui ont été efficacement transmis en dépit de protestations
contraires manifestement peu sincères. La Chambre relève qu’un grand nombre des émissions
citées plus haut révèlent que les présentateurs savaient parfaitement que la RTLM était
perçue comme haïssant les Tutsis.
472. La Défense a attiré l’attention sur quelques émissions de la RTLM qui témoignaient,
selon elle, de l’ouverture des débats diffusés sur les ondes de cette station et de la variété des
points de vue exprimés. L’interview de Landouald Ndasingwa du PL en est un exemple.
L’émission animée par Gaspard Gahigi le 12 décembre 1993 en constitue un autre.
L’interview du dirigeant du FPR, Tito Rutaremara, en est sans doute un troisième exemple,
encore qu’elle ait été, comme cela a été indiqué plus haut, truffée de commentaires antitutsis
tellement dépréciatifs que l’ouverture à la contradiction qu’elle était censée représenter en a
été sérieusement amoindrie. La Chambre relève que, même en faisant l’éloge de la RTLM
pour avoir permis aux Inkotanyi de s’exprimer, Kantano Habimana a suggéré, lors de cette
émission, que Rutaremara pensait que ses idées ne pourraient pas être diffusées sur la RTLM
et a déclaré : « Ainsi donc, ceux qui pensent que notre station radio sème la discorde entre les
gens seront surpris », reconnaissant ainsi que l’émission causerait la surprise et révélant aussi
à quel point elle était inhabituelle. Le témoin à charge Alison Des Forges a reconnu
l’existence de plusieurs de ces types d’émissions de la RTLM mais a déclaré qu’elles étaient
très exceptionnelles. La Chambre convient que tel était le cas, tant sur le fondement des
dépositions des témoins que sur celui de l’échantillon des émissions qu’elle a examiné, qui
indique que la RTLM possédait un point de vue bien défini pour lequel elle était bien connue.
La RTLM n’était pas considérée comme un forum de discussion libre ouvert à la
contradiction, et ne l’était d’ailleurs pas.
473. De nombreuses émissions de la RTLM ont explicitement identifié l’ennemi comme
étant les Tutsis, ou assimilé les Inkotanyi et les Inyenzi à la population tutsie dans son
489
490

Paragraphe 364.
Paragraphe 351.

Jugement et Sentence
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ensemble. D’autres l’ont sous-entendu. Bien que certaines émissions aient fait référence aux
Inkotanyi ou aux Inyenzi en les distinguant des Tutsis, l’identification répétée de l’ennemi
comme étant les Tutsis a été efficacement communiquée aux auditeurs, ainsi que les
dépositions des témoins le prouvent. Sur cette toile de fond, les appels au public à prendre les
armes contre les Inkotanyi ou les Inyenzi ont été interprétés comme des appels à prendre les
armes contre les Tutsis. Même avant le 6 avril 1994, de tels appels ont été diffusés, non
seulement en termes généraux, comme dans l’émission de Valérie Bemeriki du 16 mars 1994
déclarant : « Nous prendrons n’importe quelle arme, des lances, des arcs », mais aussi en
termes spécifiques en qualifiant nommément des individus d’Inkotanyi du FPR.
474. La Chambre relève que lors de sa déposition, Nahimana a affirmé à plusieurs reprises
que la question de savoir si ces individus étaient effectivement membres du FPR ou étaient
légitimement considérés comme en faisant partie constituait un facteur essentiel pour porter
un jugement sur ces émissions. La Chambre reconnaît qu’en temps de guerre, les médias sont
souvent utilisés pour avertir la population des mouvements de l’ennemi et qu’ils sont même
susceptibles d’être utilisés pour demander à la population civile de participer à la défense de
la nation. Toutefois, il ressort de l’examen des émissions de la RTLM et d’autres moyens de
preuve que les individus nommément désignés n’étaient pas membres du FPR ou que la
RTLM n’avait aucune raison de conclure qu’ils en faisaient partie, mais qu’elle les a plutôt
pris pour cible uniquement en fonction de leur appartenance ethnique. L’émission de Noël
Hitimana du 15 mars 1994, par exemple, a qualifié d’Inkotanyi un transporteur de bananes
nommé Marc Zuberi. Bien qu’il ait été dit dans le cadre de l’émission qu’il avait « menti » en
affirmant qu’il était un Interahamwe, Hitimana a déclaré qu’en raison de l’immense maison
qu’il s’était construite, il ne pouvait s’en tirer avec cette excuse, laissant entendre que la
maison de Zuberi justifiait la conclusion de la RTLM qu’il était un Inkotanyi. De même,
l’émission d’Hitimana du 1er avril 1994 a reproché nommément à plusieurs docteurs d’avoir
tué le dirigeant de la CDR Katumba, apparemment parce qu’ils le connaissaient à l’hôpital et
avaient tenu des propos cavaliers à son égard. Par leur absence, à supposer qu’ils fussent
effectivement absents, il a été dit qu’ils « [s’étaient] automatiquement trahis ». De plus, la
Chambre relève qu’il a été fait référence, lors de l’émission, à l’appartenance ethnique de l’un
des docteurs.
475. Les preuves testimoniales confirment que la RTLM a accusé à tort des civils
innocents d’être des Inkotanyi. Le témoin BI a déclaré avoir été accusée à tort lors d’une
émission de Valérie Bemeriki, en février ou en mars 1994, de travailler pour les Inkotanyi, ce
qui a engendré menaces et attaques contre sa personne. Le témoin FY a déclaré que plusieurs
de ses voisins avaient été nommément désignés sur les ondes de la RTLM comme étant des
complices des Inkotanyi en mars et en avril 1994, et notamment un maçon et un médecin dont
il savait qu’ils étaient tous les deux âgés et n’avaient aucun intérêt pour la politique ou ne
participaient à aucune activité politique. Il a déclaré que la plupart des personnes nommément
désignées étaient tutsies ou ne soutenaient pas le Gouvernement. Le témoin X a déclaré qu’il
était en compagnie d’un responsable de la RTLM en avril lorsqu’une émission de cette
station a accusé un homme appelé Bomboko d’être un complice du FPR se faisant passer
pour un Interahamwe, ce qui a incité ledit responsable à se rendre au studio pour exiger la
rétractation de cette accusation. Nahimana lui-même a relaté lors de sa déposition un incident
au cours duquel la RTLM avait diffusé une fausse information reprochant à un homme de
transporter des Inkotanyi dans son véhicule.
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476. On trouve dans les éléments de preuve des exemples d’actions violentes, y compris de
meurtres, faisant suite à des émissions de la RTLM. Le témoin BI a évoqué une allusion à
caractère sexuelle faite à son propos sur les ondes de la RTLM, après laquelle un homme
s’était exhibé devant elle et avait fait un commentaire menaçant manifestement lié à ce qui
avait été dit lors de l’émission. Le témoin s’est également souvenu qu’une émission avait
dénigré les femmes tutsies de Gatega et que l’une d’entre elles avait été tuée le lendemain
matin par une grenade jetée dans sa maison. Lors de sa déposition, Chrétien a fourni des
informations provenant d’un médecin allemand qui a dit que le directeur médical de
Cyangugu, désigné nommément lors d’une émission du 3 avril 1994 pour avoir organisé la
réunion d’un petit groupe de Tutsis, avait été brûlé à mort devant sa maison quelques jours
plus tard. Nahimana a laissé entendre qu’il avait pu s’agir de la réunion d’une brigade du
FPR, allégation que le médecin allemand, qui connaissait ce directeur médical, a rejetée
comme étant « totalement absurde ». Nahimana a reconnu qu’il s’agissait purement d’une
hypothèse.
477. Nahimana a soutenu, au sujet de l’émission du 14 mars 1994 au cours de laquelle
Gaspard Gahigi a donné lecture d’une lettre écrite par un Inkotanyi, que ladite lettre prouvait
l’existence des brigades du FPR. Si elle est authentique, il est vrai que cette lettre a été écrite
par un membre du FPR qui s’était lui-même identifié comme tel, mais la RTLM a diffusé les
noms de ses enfants qui, selon Chrétien, ont ensuite été tués. Même Nahimana a fini par
reconnaître, lors de sa déposition au sujet de cette émission, qu’il n’aimait pas la pratique
consistant à diffuser le nom des gens, particulièrement lorsque cela pouvait provoquer leur
mort. La Chambre prend acte de la frustration exprimée par Nahimana en raison de ce qu’il
n’a pas été remarqué ou qu’il a été à peine reconnu que la lettre avait été écrite par un
membre du FPR et qu’elle prouvait l’existence des brigades du FPR. Toutefois, de nombreux
témoins à charge ont reconnu à la barre que ces brigades existaient, et la Chambre relève que
plusieurs témoins à charge tels que les témoins AEN et WD ont déclaré qu’ils étaient à
l’époque eux-mêmes membres du FPR au Rwanda. Ce qui importe en l’occurrence, ce n’est
pas la question de savoir si l’auteur de la lettre était ou non membre du FPR mais le fait que
ses enfants ont été nommément désignés lors d’une émission de la RTLM. Nahimana a
reconnu dans le cadre de sa déposition qu’il s’agissait d’une pratique déplorable.
478. Un certain nombre des Tutsis nommément désignés au cours d’émissions de la RTLM
diffusées avant le 6 avril 1994 ont été ultérieurement tués. Parmi eux se trouvait Charles
Shamukiga, homme d’affaires tutsi tué le 7 avril 1994, dont le nom avait été fréquemment
mentionné à l’antenne selon Nsanzuwera à qui il avait fait part des inquiétudes qu’il
nourrissait du fait de ces émissions. Le témoin FY a relaté le meurtre de son propriétaire tutsi,
Daniel Kabaka, tué après avoir entendu son nom diffusé deux fois à l’antenne de la RTLM à
la fin mars et en avril 1994. La Défense conteste le lien de causalité établi entre les émissions
de la RTLM et ces actes de violence. La Chambre a examiné cette question à la lumière des
éléments de preuve. Parmi les membres de l’opposition politique hutue visés par la RTLM et
ultérieurement assassinés se trouvaient la Première Ministre Agathe Uwilingiyimana, qui
avait fait part à la journaliste belge Colette Braeckman de ses inquiétudes au sujet des
menaces de mort diffusées par la RTLM, le Ministre de l’information Faustin Rucogoza, qui
avait pris une série de mesures pour empêcher la RTLM de diffuser des messages de haine
ethnique, et le Procureur général Alphonse Nkubito, qui avait engagé des poursuites
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judiciaires contre la RTLM pour l’avoir accusé de préparer l’assassinat du Président. Bien
qu’il se soit échappé, Nkubito a été activement recherché après le 6 avril 1994 par les
Interahamwe selon Nsanzuwera qui a attribué ces efforts aux émissions de la RTLM. Le
Ministre Rucogoza a été tué le 7 avril 1994, ainsi que la Première Ministre Agathe
Uwilingiyimana.
479. En ce qui concerne la Première Ministre Agathe Uwilingiyimana et le Ministre
Faustin Rucogoza, personnalités publiques et politiques, la Chambre considère que les
éléments de preuve ne permettent pas d’établir un lien de causalité clair entre les émissions et
leur meurtre. Même si les émissions ont bien pu constituer un facteur, la Chambre n’est pas
en mesure de déterminer leur degré d’importance parmi les nombreux autres facteurs qui ont
conduit à leur assassinat. S’agissant de personnes moins connues, le rôle de la RTLM dans la
provocation des violences dirigées contre elles a été inévitablement plus grand, en rendant
public leurs noms et les lieux où elles se trouvaient ainsi que d’autres informations les
concernant et qui autrement n’auraient pas été mises à la disposition du public. Daniel
Kabaka avait été arrêté en 1990, mais rien n’indique que depuis lors, et après avoir été
relâché sans procès, il ait été suspecté ou visé par quelqu’un avant l’émission en cause.
L’expérience du témoin BI, accostée dans la rue à la suite d’une émission de la RTLM par
une personne ayant expressément fait allusion au contenu de celle-ci, démontre clairement
que les émissions poussaient les auditeurs à passer à l’acte.
480. La menace perçue par les personnes nommément désignées lors des émissions de la
RTLM constitue une autre indication de ce lien de causalité. Lors de celle du 20 mars 1993
où il a été question de Félicien Nkusi, qui portait un béret bleu décrit à cette occasion comme
ressemblant à celui de l’ONU, la peur d’être lapidé à cause de l’émission l’a poussé à se
rendre en personne à la station de radio afin de se laver de tout soupçon. Dans l’émission ellemême, Kantano Habimana a reconnu que les auditeurs étaient susceptibles de le lapider du
fait de celle-ci, en lui conseillant de changer la couleur de son béret afin d’empêcher que cela
ne se produise. Même Nahimana a reconnu lors de sa déposition que les émissions de la
RTLM avaient entraîné la commission d’actes de violence, il a déclaré que s’il avait tenté
d’empêcher la RTLM de diffuser des informations au sujet de personnes nommément
qualifiées d’Inkotanyi, lui-même aurait bien pu faire l’objet d’une émission de la RTLM
mettant ainsi sa vie en péril.
481. Après le 6 avril 1994, la fureur et l’intensité des émissions de la RTLM ont augmenté,
particulièrement en ce qui concerne les appels à la population à agir contre l’ennemi. La
RTLM a continué à définir les Inkotanyi et les Inyenzi comme étant les Tutsis de la même
manière qu’avant cette date. Cela ne veut pas dire que toutes les émissions de la RTLM ont
établi ce parallèle, mais beaucoup l’ont fait, et l’impression générale donnée aux auditeurs
était clairement, comme le démontrent les dépositions des témoins, que la définition de
l’ennemi englobait la population civile tutsie. Nahimana a encore affirmé, dans le contexte
d’une émission diffusée juste après le 6 avril, que la question de savoir si l’ennemi, que les
auditeurs se devaient de débusquer, était ou non en fait le FPR constituait un facteur essentiel
pour porter un jugement sur les émissions. La Chambre relève que cette émission là a appelé
le public à rechercher méthodiquement les Inyenzi dans les bois de Mburabuturo. Dans le
contexte d’autres émissions qui avaient explicitement assimilé les Inyenzi à la population
tutsie, et sans qu’il soit dit dans cette émission que les Inyenzi étaient armés ou avaient été
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d’une quelconque façon clairement identifiés comme étant des combattants, la Chambre
estime qu’un appel tel que celui-ci a bien pu être pris par les auditeurs comme les invitant à
rechercher les réfugiés tutsis qui s’étaient enfuis dans la forêt. L’émission de la RTLM du
23 mai 1994 présentée par Kantano Habimana a donné à entendre que les Inkotanyi se
faisaient passer pour des réfugiés, indiquant aux auditeurs que même si ces gens atteignaient
l’aéroport, sans doute pour fuir, « ils devaient laisser leurs vies sur-le-champ ». L’émission
d’Habimana diffusée le 5 juin 1994 sur les ondes de la RTLM a attiré l’attention sur un jeune
garçon qui allait chercher de l’eau en le décrivant comme un ennemi potentiel, sans qu’il soit
expliqué en quoi il aurait été suspect. Lors de l’émission du 15 mai 1994, Gaspard Gahigi, le
rédacteur en chef de la RTLM, a déclaré aux auditeurs : « la guerre que nous menons oppose
effectivement ces deux ethnies, celles des Hutu et des Tutsi ». Lors de l’émission de la
RTLM du 29 mai 1994, un habitant a raconté qu’il vérifiait les papiers d’identité afin de faire
la différence entre les Hutus et les complices des Inkotanyi, et lors de l’émission de la RTLM
du 4 juin 1994, Kantano Habimana a conseillé aux auditeurs d’identifier l’ennemi en fonction
de sa taille et de son apparence physique. « [R]egardez seulement son petit nez et ensuite
cassez-le », a-t-il déclaré à l’antenne.
482. Un grand nombre de ceux qui ont été nommément désignés dans les émissions de la
RTLM diffusées après le 6 avril 1994 ont été ultérieurement tués. Lors de celle diffusée le
20 mai 1994, Valérie Bemeriki a nommément désigné plusieurs prêtres, dont les pères
Ngoga, Ntagara et Muvaro, qui ont tous été plus tard tués. Nahimana a reconnu à la barre que
le père Muvaro, qu’il connaissait, était mort parce qu’il était tutsi. Nsanzuwera a déclaré que
Désiré Nshunguyinka avait été tué avec sa femme, sa sœur et son beau-frère à un barrage
routier après la diffusion par la RTLM de la plaque minéralogique de sa voiture. Le témoin
FS a déclaré que le nom de son frère avait été mentionné sur les ondes de la RTLM le 7 avril
1994 et que celui-ci avait été tué peu de temps après avec sa femme et ses sept enfants. Il a
déclaré que plusieurs personnes avaient été tuées à la suite de ces émissions de radio. Sur une
plus grande échelle, plusieurs émissions de la RTLM étaient apparemment destinées à
manipuler le déplacement des Tutsis et à faciliter ainsi leur massacre en grand nombre.
Nsanzuwera a déclaré que Charles Kalinjabo avait été tué à un barrage routier après avoir
quitté sa cachette à cause d’une émission de la RTLM appelant les patriotes tutsis à rejoindre
leurs camarades hutus aux barrages routiers. Par la suite la RTLM a lancé un appel à ses
auditeurs les invitant à identifier l’ennemi aux barrages routiers. De même, le témoin FW a
déclaré qu’à la suite d’une émission de la RTLM ordonnant aux Tutsis qui avaient fui de
retourner chez eux afin d’éviter la destruction de leurs maisons, la plupart de ceux qui étaient
rentrés chez eux à cause de cette émission, y compris plusieurs de ses voisins, avaient été tués
le même jour. Même si la mesure dans laquelle ces massacres ont été causés par les émissions
de la RTLM est susceptible de varier quelque peu d’un cas à l’autre, la Chambre estime que
les éléments de preuve établissent l’existence d’un lien de causalité du fait de la perception
très répandue de ce lien parmi les témoins, comme l’indiquent très bien les appels
téléphoniques urgents que Des Forges a reçus, à l’époque, de différentes personnes au
Rwanda, cherchant désespérément à faire « fermer cette radio ».
483. De nombreuses émissions de la RTLM ont explicitement appelé à l’extermination.
Lors de l’émission de la RTLM du 13 mai 1994, Kantano Habimana a parlé de
l’extermination des Inkotanyi dans le but de « les rayer de la mémoire des gens » et de
l’extermination des Tutsis « de la surface de la terre … pour les faire disparaître pour de
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bon ». Au cours de l’émission de la RTLM du 4 juin 1994, Habimana a parlé de
l’extermination des Inkotanyi, ajoutant : « [l]a raison pour laquelle nous les exterminons,
c’est qu’il s’agit d’une seule ethnie ». Lors de l’émission du 5 juin 1994, Ananie Nkurunziza
a reconnu que l’extermination était en cours et a exprimé le souhait « que nous continuions à
les exterminer avec le même élan ». En se fondant sur toutes les émissions qu’il avait
écoutées après le 6 avril 1994, le témoin GO a déclaré que la RTLM passait son temps à
demander aux gens de tuer d’autres personnes, qu’il n’y avait pas de différence entre un
Inyenzi et un Tutsi et que les auditeurs étaient encouragés à continuer de les tuer afin que les
générations futures aient à demander à quoi les Inyenzi ou les Tutsis ressemblaient.
484. La Chambre a examiné la mesure dans laquelle les émissions de la RTLM appelant
les auditeurs à agir contre l’ennemi tutsi constituaient une caractéristique de la
programmation. Bien que quelques-unes des émissions dont il a été question aient demandé
aux auditeurs de ne pas tuer au hasard et se soient apparemment efforcées de distinguer
l’ennemi de l’ensemble des Tutsis, la plupart d’entre elles ont été diffusées dans la crainte de
la réaction de la communauté internationale et de la nécessité en résultant de masquer les
preuves des massacres, dont il est d’ailleurs question dans presque toutes ces émissions. Les
nombreuses dépositions des témoins relatives à la programmation de la RTLM confirment le
sens du message véhiculé par la totalité des émissions de la RTLM dont la Chambre dispose,
qui montre que ces quelques émissions n’étaient que de rares exceptions au plan bien établi
de la RTLM d’encourager le massacre de l’ennemi, explicitement ou implicitement défini
comme étant la population tutsie.
485. La Chambre a également examiné la progression de la programmation de la RTLM au
fil du temps, marquée par l’exacerbation de l’hostilité entre ethnies et la multiplication des
appels à la violence à l’encontre de la population tutsie. À la lumière des éléments de preuve
examinés plus haut, la Chambre voit cette progression comme un phénomène continu ayant
débuté par la création de la RTLM dans le but de débattre des problèmes de l’appartenance
ethnique et s’étant graduellement transformé en un appel apparemment ininterrompu à
l’extermination des Tutsis. Certains événements, comme l’assassinat du Président Ndadaye
au Burundi en octobre 1993, ont eu des répercussions au dire de tous sur la programmation de
la RTLM, et il est évident que ce qui s’est passé le 6 avril 1994 a eu sur celle-ci un impact
brutal et immédiat. Il ne s’agissait cependant pas de dates charnières, mais plutôt de phases
d’aggravation provoquées par les mêmes journalistes et suivant le même schéma de
programmation antérieurement établi, mais qui ont élevé très considérablement le niveau de
danger et de destruction.
Conclusions factuelles
486. La Chambre estime que les émissions de la RTLM se sont mises à véhiculer des
stéréotypes ethniques d’une façon qui a encouragé le mépris et la haine de la population
tutsie. Elles ont appelé les auditeurs à débusquer l’ennemi et à s’armer contre lui. L’ennemi a
été désigné comme étant le FPR, les Inkotanyi, les Inyenzi et leurs complices, les émissions
les assimilant tous au groupe ethnique des Tutsis. Après le 6 avril 1994, les émissions de la
RTLM qui propageaient la haine ethnique et appelaient à la violence se sont accrues en
virulence et en intensité. Elles ont explicitement appelé à l’extermination du groupe ethnique
des Tutsis.
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487. Tant avant qu’après le 6 avril 1994, la RTLM a diffusé les noms de Tutsis et de
membres de leurs familles, ainsi que ceux d’opposants politiques hutus. Dans certains cas,
ces personnes ont été ultérieurement tuées, et la Chambre estime qu’à des degrés différents,
un lien de causalité a pu être établi entre leur mort et la diffusion de leurs noms. La RTLM a
également diffusé des messages encourageant les civils tutsis à sortir de leur cachette et à
rentrer chez eux ou à se rendre aux barrages routiers où ils ont ensuite été tués conformément
aux consignes données dans des émissions ultérieures qui décrivaient au fur et à mesure leurs
déplacements.
488.
La radio constituait le moyen de communication de masse disposant du plus vaste
auditoire au Rwanda. De nombreuses personnes possédaient une radio et écoutaient la
RTLM, chez eux, dans les bars, dans les rues et aux barrages routiers. La Chambre conclut
que les émissions de la RTLM ont exploité l’histoire des privilèges des Tutsis et des
désavantages des Hutus, ainsi que la peur d’une insurrection armée pour mobiliser la
population et l’entraîner dans un délire de haine et de violence largement dirigé contre le
groupe ethnique des Tutsis. Les Interahamwe et autres milices écoutaient la RTLM et
agissaient en fonction des informations qu’elle diffusait. La RTLM les a activement
encouragés à tuer, transmettant sans cesse le message selon lequel les Tutsis étaient les
ennemis et devaient être éliminés pour de bon.
4.2

Propriété et contrôle de la RTLM

Avant le 6 avril 1994
489. Un certain nombre de témoins à charge ont déposé au sujet de la création, de la
propriété et de la direction de la RTLM, ainsi que du rôle de deux des accusés, Nahimana et
Barayagwiza, au sein de la RTLM. Nahimana lui-même a aussi longuement témoigné au
sujet de l’organigramme de la RTLM, de son propre rôle au sein de la société RTLM SA et
de sa première entreprise, la station de radio RTLM. La Chambre débute son examen de ces
questions par les moyens de preuve produits par l’accusé, dans la mesure où ils sont
extrêmement détaillés et complets.
490. Nahimana a déclaré que c’étaient Joseph Serugendo et Vénuste Nshimiyimana, deux
anciens collègues qui étaient devenus ses amis, qui lui avaient fait part pour la première fois
en septembre ou en octobre 1992 de l’idée de créer la RTLM. Ils voulaient créer une station
de radio afin de contrer Radio Muhabura qui diffusait de la propagande pour le FPR.
Nahimana avait trouvé l’idée intéressante. Il a déclaré qu’à l’époque Radio Rwanda était aux
mains du MDR et que les auditeurs, y compris lui-même, estimaient que l’opposition au
Gouvernement n’avait pas accès à la radio nationale. Nahimana souhaitait s’assurer que la
voix de son parti, le MRND, fût entendue, mais a déclaré que Radio Muhabura constituait la
raison première de la création de la RTLM491.
491. Serugendo et Nshimiyimana ont dit à Nahimana qu’ils s’étaient adressés à lui à cause
de son passé au sein de l’ORINFOR et de ses nombreux contacts. Ils avaient besoin de
491

Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 105 à 107 et 115 à 118.

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financement et espéraient que Nahimana s’adresserait à ses connaissances au sein du MRND,
du fait qu’il faisait partie du comité préfectoral du MRND et qu’il était un partisan convaincu
de son parti. Le même soir, en leur présence, Nahimana a appelé Félicien Kabuga, un homme
d’affaires qu’il connaissait. Le lendemain, ils se sont réunis avec Kabuga et lui ont demandé
de contacter ses amis et collègues. Ils ont commencé à se réunir régulièrement, le vendredi
soir. Dès la seconde réunion du vendredi, ils étaient déjà 15, et ils ont créé une petite
structure, le Comité d’initiative, qui est demeurée opérationnelle jusqu’au 6 avril 1994.
Kabuga a été nommé président et Ignace Temahagari secrétaire. Les responsabilités ont été
réparties afin de préparer la création d’une société. Nahimana et Serugendo ont formé le
comité chargé des aspects techniques et de la programmation, lequel était présidé par
Nahimana, qui a dit avoir été choisi pour ce poste en raison de ses fonctions antérieures de
directeur de l’ORINFOR. Barayagwiza présidait le comité juridique chargé de rédiger les
statuts492.
492. Selon Nahimana, le Comité d’initiative était composé de six personnes. Nahimana et
Barayagwiza en étaient tous deux membres. Ce comité s’est réuni au moins une fois toutes
les deux semaines le vendredi après-midi jusqu’à la constitution de la société en avril 1993.
Décrivant son propre rôle au cours de cette période, Nahimana a déclaré qu’il avait décidé
que la priorité de la société était la création de la station de radio, et qu’une fois cette priorité
examinée et adoptée par le Comité d’initiative, la sélection des équipements techniques avait
constitué la phase suivante. Il a alors contacté plusieurs fournisseurs en Allemagne et en
Belgique et a bouclé le dossier technique le 8 avril 1993, de même que Barayagwiza
s’agissant des documents juridiques. À cette date, une liste d’actionnaires potentiels avait
également été établie493.
493. L’assemblée constitutive de la RTLM s’est réunie le 8 avril 1993 à l’hôtel Urugwigo.
Des journalistes de la presse privée et de l’ORINFOR avaient été invités, et l’assemblée a été
présidée par Kabuga, président du Comité d’initiative. Une cinquantaine de membres
fondateurs étaient présents et ont signé les statuts de la société RTLM SA. L’assemblée a
également approuvé les structures qui avaient été établies, tout particulièrement le Comité
d’initiative, qui a été chargé de préparer la première assemblée générale des actionnaires de la
RTLM494.
494. Lorsqu’il lui a été demandé de décrire ces 50 membres fondateurs de la RTLM,
Nahimana a passé la liste en revue et a compté 39 membres du MRND, deux membres de la
CDR et neuf autres appartenant à des partis qu’il n’a pu identifier. Il a également identifié six
des fondateurs comme étant des dirigeants des Interahamwe, parmi lesquels Georges
Rutaganda et Joseph Serugendo, expliquant leur intérêt pour la RTLM par leur qualité de
membre du MRND, comme lui-même. Nahimana a reconnu comme « indéniable » que même
si la société n’était pas une société du MRND, elle était, dès sa création, entre les mains de ce
dernier, au niveau politique. Il a toutefois précisé que ces personnes y avaient contribué en
tant qu’individus et que la RTLM ne s’était jamais considérée comme une société du

492

Ibid., p. 105 à 113.
Ibid., p. 128 à 132.
494
Ibid., p. 132 à 143.
493

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MRND495. Il s’est souvenu de deux membres fondateurs qui n’appartenaient pas au MRND.
S’agissant de Barayagwiza, qui était membre de la CDR, Nahimana a déclaré que la
présidence du comité juridique lui avait été attribuée parce qu’il était un juriste renommé au
Rwanda. Il était également connu du Gouvernement et possédait de nombreux contacts qui
pourraient se révéler utiles afin de trouver des actionnaires pour la société 496 . L’autre
personne figurant sur la liste, et dont Nahimana a dit qu’elle n’appartenait pas au MRND,
était Stanislas Simbizi, un membre fondateur de la CDR. La Chambre relève que Stanislas
Simbizi a été identifié lors d’une émission de la RTLM du mois de janvier 1994 comme étant
un membre du comité central de la CDR. Il a été identifié par le témoin X comme étant un
responsable de la CDR au niveau national497.
495. Nahimana a déclaré qu’entre le 8 avril et le 11 juillet 1993, le Comité d’initiative avait
loué un immeuble et accompli toutes les démarches pour obtenir et installer les équipements
de la station de radio, et avait également créé une infrastructure administrative et financière et
recruté un comptable et du personnel d’appoint. Le Comité d’initiative a donné à trois de ses
membres, Kabuga, Barayagwiza et Nahimana, le pouvoir de signer des chèques au nom de la
société. Ce mandat est constaté dans un extrait du procès-verbal d’une réunion du Comité en
date du 21 mai 1993498. Le Comité d’initiative a également retenu les services de Gaspard
Gahigi, qui est devenu rédacteur en chef de la RTLM, afin de préparer la programmation de
la future station de radio. Nahimana a déclaré que Gahigi avait proposé au Comité d’initiative
de recruter Kantano Habimana et Noël Hitimana, ses anciens collègues à Radio Rwanda, afin
de l’assister. Gahigi est venu à la réunion, à laquelle Nahimana était présent, pour défendre sa
proposition que le comité a approuvée. Kabuga, en sa qualité de président, a autorisé ce
recrutement499.
496. Les statuts de la RTLM prévoient la nomination d’un directeur général à qui le conseil
d’administration délègue des pouvoirs généraux de direction. Nahimana a expliqué que la
nomination du directeur général était l’une des prérogatives du conseil d’administration dont
les membres étaient élus par l’assemblée générale des actionnaires. Bien qu’aucune
assemblée générale des actionnaires n’ait été réunie et qu’aucun conseil d’administration
n’ait été élu, Nahimana a déclaré que dans la mesure où la société avait besoin d’une
personne capable de la diriger, le Comité d’initiative, en particulier Kabuga, avait pris contact
avec des personnes connues pour avoir dirigé de grandes sociétés et que, lors d’une réunion
du Comité tenue peu avant la fin du mois de juin, Kabuga avait proposé Phocas Habimana500.
497. Nahimana a déclaré avoir été lui-même très actif au cours de la période comprise
entre avril et juillet 1993. Sa commission de la technique et des programmes devait établir
qu’elle se conformait aux exigences du Gouvernement pour ce qui est de la grille des
programmes et des équipements. La Défense a produit une lettre envoyée au Ministre de
l’information le 17 juin 1993, accompagnée d’une annexe intitulée « Politique, programme et
495

Ibid., p. 132 à 141.
Ibid., p. 113 à 124.
497
Compte rendu de l’audience du 25 février 2002, p. 136 et 137 ; émission de la RTLM du 26 janvier 1994,
pièce à conviction 1D53D, p. 14.
498
Pièce à conviction P107-1, p. 9.
499
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 143 à 155.
500
Id.
496

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équipements de la RTLM ». Cette annexe donne notamment des précisions sur les types de
programmes envisagés pour la station de radio, que Nahimana a qualifiées à la barre de
directives données au rédacteur en chef et à ses collègues, afin qu’ils sachent ce que la société
souhaitait que les émissions reflètent. La liste des programmes comprenait des informations,
des débats, des interviews, de la musique et des émissions didactiques. Les domaines
d’intervention énumérés dans l’annexe incluaient la politique, la démocratie, le patrimoine
culturel, les droits de l’homme et le développement501. Nahimana a déclaré avoir également
signé plusieurs chèques, notamment pour le paiement des équipements et de tout ce qui était
nécessaire à l’établissement de l’infrastructure de la société502.
498. Nahimana a déclaré qu’à l’époque de la première assemblée générale, tenue le
11 juillet 1993, la RTLM SA comptait plus de 100 actionnaires. Parmi les actionnaires les
plus importants se trouvaient le Président Habyarimana et Joseph Nzirorera. L’assemblée
s’est tenue à l’hôtel Amahoro à Kigali et a été présidée par Kabuga. À l’ordre du jour figurait
la création des organes statutaires de la société mais, selon Nahimana, un débat a alors surgi
quant à la question de savoir si chaque actionnaire devait ou non disposer d’un droit de vote
ou si celui-ci devait dépendre du nombre d’actions détenues. Les documents juridiques ne
prévoyaient pas de mode d’élection mais renvoyaient plutôt au règlement intérieur pour ces
questions. Celui-ci n’ayant pas encore été rédigé, il n’a pas été procédé à l’élection du conseil
d’administration. Le mandat du Comité d’initiative a été prolongé, à condition qu’il rédige le
règlement intérieur au plus tard pour décembre 1993 afin de régler les questions juridiques
laissées en suspens par les statuts. Selon Nahimana, Kabuga a mentionné Phocas Habimana,
qui était présent lors de l’assemblée en sa qualité d’actionnaire, et a demandé à l’assemblée
générale s’il pouvait faire fonction d’administrateur provisoire de la société. Habimana a pris
la parole et s’est dit prêt à diriger la société. L’assemblée générale y a consenti pour la
gestion quotidienne mais a maintenu que le Comité d’initiative devait continuer de se charger
de l’ensemble des tâches qui lui avaient été préalablement assignées503.
499. À la suite de l’assemblée du 11 juillet 1993, Nahimana a déclaré qu’a été créée une
nouvelle commission des finances relevant du Comité d’initiative, présidé par un certain Silas
Mucunkinko. Selon Nahimana, la gestion quotidienne recouvrait les services administratifs et
financiers ainsi que le service de la radiodiffusion. Au fur et à mesure que la société a dû faire
face à une pénurie grandissante de main-d’œuvre, le Comité d’initiative, qu’il appelait le
« conseil d’administration provisoire », au cours des dernières semaines de 1993, a donné au
directeur de la société le feu vert pour effectuer des recrutements. Nahimana a déclaré avoir
assisté à toutes les réunions du Comité d’initiative, qui se tenaient une ou deux fois par mois,
et avoir présidé les réunions de la commission de la technique et des programmes. Il a
également continué à exercer le mandat qui lui avait été donné pour signer des chèques au
nom de la société. Quand bien même Phocas Habimana s’était occupé pendant cette période
de la gestion quotidienne de la société comme tout autre directeur l’aurait fait, le pouvoir de
signer des chèques ne lui a pas été transféré à cause du caractère provisoire de ses fonctions
d’administrateur. Nahimana a déclaré que cette question avait été débattue lors d’une des
réunions, et qu’Ephrem Nkezabera, banquier nommé au Comité d’initiative le 21 mai 1993,
501

Pièce à conviction 1D7-7, p. 4.
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 154 à 160.
503
Ibid., p. 159 à 170.
502

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avait dit qu’une banque ne pouvait accepter la délégation de pouvoir au profit d’une personne
occupant des fonctions provisoires. Nahimana a déclaré que Phocas Habimana assistait
régulièrement aux réunions du comité et préparait des informations financières destinées à
Kabuga, telles que les salaires des employés, sur la base desquelles des liquidités étaient
retirées ou des chèques établis504.
500. Nahimana a déclaré que Gahigi, en tant que rédacteur en chef, avait organisé le travail
des journalistes au cours de cette période. Le chef de section constituait le premier niveau de
contrôle disciplinaire sur le personnel, et le rédacteur en chef, le niveau suivant. Au dessus du
rédacteur en chef se trouvait Phocas Habimana qui a exercé les fonctions de directeur à
compter de juillet 1993. S’agissant de la politique éditoriale, Nahimana a déclaré qu’il n’avait
aucune influence sur le rédacteur en chef ou sur les journalistes, ou même sur Phocas
Habimana, et qu’il n’était jamais intervenu pour influencer la ligne éditoriale de la RTLM.
Nahimana écoutait la RTLM avec beaucoup d’intérêt, mais était pris par ses fonctions de
maître de conférence à temps plein à l’université nationale du Rwanda. Pour cette raison, il
écoutait la RTLM surtout le dimanche ou le soir505.
501. Lors de sa déposition, Nahimana a relaté un incident à l’occasion duquel le Comité
d’initiative a pris des mesures à la suite d’une émission diffusée en février ou en mars 1994,
signalant qu’un homme qui avait quitté Kigali pour Cyangugu transportait des Inkotanyi dans
son véhicule. Cette émission a été entendue par au moins trois membres du Comité
d’initiative, et Kabuga a insisté pour que Kantano Habimana et Noël Hitimana, ainsi que
Gaspard Gahigi et Phocas Habimana soient présents pour discuter de cette affaire lors d’une
réunion du Comité. Nahimana a déclaré que le Comité avait décidé que ce type d’émission,
surtout pendant une période d’instabilité politique et de risque d’attaques, ne devait pas être
toléré. Il a déclaré que le Comité d’initiative avait ordonné à Habimana et à Gahigi de
s’assurer que la personne mentionnée au cours de cette émission soit retrouvée. Il a appris
plus tard qu’une réclamation écrite avait été formulée au sujet de cette émission et qu’il avait
été accordé un droit de réponse à l’intéressé506. Un certain nombre de préoccupations liées à
la programmation de la RTLM ont été évoquées par le Ministre de l’information durant cette
période et, ainsi qu’il est précisé ci-dessous à la section 4.3, Nahimana et Barayagwiza ont
représenté la RTLM lors de réunions convoquées par le Ministre pour en discuter.
502. Lors de son contre-interrogatoire, il a été soutenu à Nahimana que l’incident
radiophonique qu’il avait décrit à la barre était un exemple du contrôle exercé par le Comité
d’initiative sur la programmation. Il a expliqué qu’il s’était souvenu de l’incident comme
d’un exemple de la position adoptée par le Comité d’initiative, qu’il a de nouveau qualifié de
« conseil ». Il a déclaré que cela démontrait que le conseil n’intervenait pas directement au
niveau des journalistes, comme l’avait fait Kabuga qui avait convoqué Gaspard Gahigi et
Phocas Habimana pour leur dire qu’il n’était pas acceptable de traiter des gens de complices
du FPR et qu’il fallait apporter des changements à l’émission afin de donner à ces gens un
droit de réponse. Il a été demandé à Nahimana de donner d’autres exemples de mesures
disciplinaires prises par lui-même et les autres responsables de la RTLM. Il a répondu qu’il
504

Ibid., p. 173 à 190.
Ibid., p. 190 à 198.
506
Ibid., p. 202 et 203.
505

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existait plusieurs autres exemples mais a encore répété que de telles mesures auraient relevé
de la responsabilité de Gahigi, en sa qualité de rédacteur en chef, et du directeur, Phocas
Habimana. Nahimana était au courant de quelques sanctions prises, notamment contre
Hitimana pour absentéisme ou pour d’autres fautes, mais il n’en savait pas plus car il n’était
pas chargé de la gestion quotidienne de la station de radio507.
503. Nahimana a déclaré qu’une assemblée d’actionnaires devait se tenir la dernière
semaine du mois de décembre 1993, mais que l’insécurité, particulièrement à Kigali, était
telle que le Comité d’initiative n’avait pas été en mesure de la convoquer. Ils avaient décidé
d’attendre la mise en place des institutions prévues par les Accords d’Arusha, en espérant que
cela ramènerait le calme nécessaire pour permettre la tenue d’une assemblée de plus de mille
personnes à Kigali 508 . Lors de sa déposition, Nahimana a ostensiblement utilisé la
dénomination sociale RTLM SA, faisant une distinction entre la société et la radio509. Il a
déclaré à plusieurs reprises que le mandat dont il disposait pour signer les chèques au nom de
la société était très restreint et se limitait aux seules nécessités de sa gestion. Il a maintenu
qu’il ne s’occupait pas de la gestion de la radio mais de celle de RTLM SA et a précisé qu’il
fallait les distinguer510.
504. Lors de son contre-interrogatoire, Nahimana a été prié de donner son avis sur une
émission télévisée enregistrée alors qu’il était directeur de l’ORINFOR, dans laquelle il avait
déclaré ce qui suit :
Cela n’est pas acceptable, même en dehors de la radio nationale, même pour
toute personne qui va créer sa propre radio, car le propriétaire de la radio,
qu’il s’agisse d’une personne privée ou d’une société, [peut acquérir sa propre
radio ou ses propres journaux]… Et lorsque ces entités sont mises en place les
propriétaires ne devraient [jamais accepter qu’lles publient] quelque chose qui
soit contraire [à la ligne] que les propriétaires eux-mêmes ont [définies]511.
505. Nahimana a reconnu avoir tenu ces propos mais a rappelé à nouveau que la radio
RTLM était détenue par la RTLM SA et que les membres du conseil ne déterminaient pas la
programmation exacte. Il a maintenu que la programmation et la politique éditoriale de tout
organe de presse étaient déterminées par le rédacteur en chef. Il a admis que le propriétaire de
tout organe de presse doit s’assurer que la programmation ne contrevient pas à la politique
établie et a déclaré qu’ils s’assuraient, au niveau du Comité d’initiative, que cela ne se
produise pas. Il s’est souvenu qu’ils s’étaient mis d’accord avec le Ministre de l’information
au sujet de certaines réclamations qui avaient été formulées et qui avaient été envoyées à la
direction accompagnées d’une demande visant à ce que des mesures soient prises. Nahimana
a déclaré que d’autres erreurs commises par des journalistes ne contredisaient pas ce qu’il
avait dit ou ce qu’il pensait à ce sujet. Il a également précisé qu’alors que le directeur et le
rédacteur en chef sont les responsables, le propriétaire doit également intervenir pour
s’assurer que les objectifs de la société sont respectés et a déclaré que c’était à ce niveau qu’il
507

Compte rendu de l’audience du 26 septembre 2002, p. 19 à 26.
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 188 à 193.
509
Ibid., p. 128 à 130.
510
Compte rendu de l’audience du 15 octobre 2002, p. 16 et 17.
511
Ibid., p. 24 et 25.
508

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envisageait la responsabilité du conseil. Interrogé par la Chambre sur le point de savoir si la
programmation de la RTLM ne violait pas les principes de la radiodiffusion, Nahimana a
répondu que toutes les émissions de la RTLM ne violaient pas ces principes, que certaines les
violaient et que, lorsque le conseil en avait eu connaissance, ils s’étaient élevés contre cellesci et s’étaient directement adressés à la direction512.
506. Le Procureur a produit à titre de preuve un certain nombre de documents pour
démontrer le rôle joué par Nahimana et Barayagwiza au sein de la RTLM. Il s’agit
notamment de formulaires de dépôt bancaire signés par Barayagwiza en avril, mai, juin,
juillet et novembre 1993, de récépissés de dépôt correspondant à des actions de la RTLM
signés en juin, juillet et octobre 1993513, ainsi que de formulaires de dépôt bancaire et de
récépissés de dépôt correspondant à des actions de la RTLM signés par Nahimana en mai,
juin, juillet et décembre 1993514. Sont également inclus plusieurs ordres de paiement de la
RTLM et plusieurs récépissés d’importants dépôts correspondant à des actions de la RTLM
signés conjointement par Nahimana et Barayagwiza en juillet 1993 et des chèques de la
RTLM également conjointement signés par ces derniers en décembre 1993, janvier et février
1994515. Une lettre en date du 11 mai 1993, adressée « À qui de droit » et autorisant deux
représentants belges de la RTLM à gérer un compte de la RTLM à Bruxelles, porte le nom
dactylographié de Félicien Kabuga en tant que signataire au nom du Comité d’initiative, mais
est en fait signée par Barayagwiza qui a écrit à la main son propre nom à côté de sa signature,
en dessous du nom de Kabuga516. Une lettre en date du 5 août 1993 adressée à la banque
Bacar autorisant un comptable à accéder aux informations afin de suivre le compte est signée
conjointement par Nahimana et Barayagwiza, de même qu’une lettre similaire datée du
7 février 1994517. Une circulaire de la RTLM en date du 15 mai 1993 donne des informations
sur les comptes en Belgique et au Rwanda pour acheter des actions de la RTLM. Deux
personnes figurent sur la circulaire à titre de contacts de coordination pour la RTLM en
Belgique, et la circulaire nomme Nahimana comme étant la personne au Rwanda auprès de
qui toutes les informations relatives à la RTLM peuvent être obtenues 518 . Une lettre du
coordinateur de la RTLM en Belgique, en date du 27 août 1993, invite les actionnaires de la
RTLM à une réunion le 5 septembre 1993 en présence de Barayagwiza pour une mise à jour
relative à la Radio Mille Collines en particulier et à la société en général. Dans cette lettre,
Barayagwiza est présenté comme le membre du Comité d’initiative « qui a mis sur pied la
RTLM SA et continue à présider à sa destinée »519.
507. Un document intitulé « Organisation et structure du Comité d’initiative élargi » a été
versé au dossier, il y est indiqué dans son préambule qu’en attendant la prochaine assemblée
générale devant se tenir en décembre 1993 afin de mettre en place les organes de la société,
l’assemblée générale a demandé au Comité d’initiative de poursuivre ses activités et de
procéder à son élargissement. Le Comité d’initiative existant comptait huit membres, Kabuga
512

Ibid., p. 50 à 62.
Pièces à conviction P107/5, K0035784-86, 793, 797 et 803 ; P107/4, p. 14, 25, 67, 78 et 86, et P104/4, p. 86.
514
Pièces à conviction P107/4, p. 36, 50, 89 et 111 et P107/5, K0035791-2.
515
Pièces à conviction P107/6, P107/4, p. 128 et 129, et 107/1, p. 20 et 21.
516
Pièce à conviction P107/15.
517
Pièce à conviction P107/1, p. 6 et 7.
518
Pièce à conviction P107/16.
519
Pièce à conviction P107/17.
513

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figurant en tête de la liste en tant que président et Nahimana et Barayagwiza étant
respectivement second et troisième. Y figurent également les noms de 22 personnes invitées à
faire partie du Comité d’initiative, dont Stanislas Simbizi 520 . Ce document mentionne
également quatre commissions, notamment celle chargée de la préparation de l’assemblée
générale, dirigée par Barayagwiza, et celle chargée de la technique et des programmes,
dirigée par Nahimana. Les attributions de chaque commission y sont indiquées, celle chargée
de la technique et des programmes se voyant assigner sept fonctions. Elle est notamment
chargée d’« examine[r] et améliore[r] éventuellement la politique des programmes de la
RTLM », d’« élabore[r] la grille des programmes radio d’essai de la RTLM qui va du 1er août
au 31 décembre 1993 » et d’« élaborer un projet de grille des programmes radio et TV de la
RTLM à soumettre aux organes issus de l’Assemblée générale ». Il est précisé en dessous de
cette énumération de fonctions que le rédacteur en chef de la RTLM participe aux activités de
cette commission521.
508. Deux listes d’actionnaires de la RTLM ont été versées au dossier, l’une étant une liste
manuscrite de 218 actionnaires, que le témoin à charge François Xavier Nsanzuwera a
déclaré avoir établie en 1994, et l’autre consistant en une série de listes d’actionnaires
dactylographiées de différentes banques rwandaises obtenue dans le cadre d’une investigation
belge et totalisant 1 177 noms. Pratiquement tous les noms figurant sur la liste de
Nsanzuwera se retrouvent sur les listes des banques et, dans les deux cas, les adresses d’un
certain nombre d’actionnaires indiquent « Aux bons soins de Nahimana ». Les listes des
banques les plus longues débutent par Nahimana dont il est dit qu’il détient 10 actions d’une
valeur de 50 000 francs. Les listes mentionnent que Juvénal Habyarimana (le Président) est
l’actionnaire le plus important possédant 200 actions (1 000 000 francs). Parmi les autres
actionnaires importants figurent Félicien Kabuga – 100 actions (500 000 francs), Joseph
Nzirorera – 100 actions (500 000 francs) et le colonel Théoneste Bagosora – 50 actions
(250 000 francs). Barayagwiza/Serugendo y figurent ensemble comme possédant 15 actions
(75 000 francs). Kangura y est mentionné comme titulaire d’une action (5 000 francs)522.
509. Le témoin X, un actionnaire de la RTLM et l’un de ses 50 membres fondateurs, a
indiqué qu’il avait rencontré Nahimana pour la première fois lorsque celui-ci était directeur
de l’ORINFOR et qu’ils se rencontraient parfois pour un verre après le travail. Il a déclaré
que, fin 1992 ou courant 1993, Nahimana lui avait demandé de participer à la RTLM en tant
qu’actionnaire. Nahimana lui a dit que la RTLM allait permettre au MRND, qui avait perdu
sa station de radio, de continuer à transmettre des messages et qu’il s’agirait d’une station de
radio commerciale diffusant de la publicité. Le témoin X a acquis des actions et reçu un
récépissé signé par Barayagwiza523. Il a indiqué qu’aucune des personnes qu’il connaissait
parmi les membres fondateurs de la RTLM n’était tutsie. Il en a identifié deux, Barayagwiza
et Stanislas Simbizi, comme étant membres de la CDR524. Le témoin X a déclaré qu’il savait
que la personne responsable de la création de la station de radio était Nahimana depuis
l’assemblée générale des actionnaires qui s’était tenue à l’hôtel Amahoro au cours du premier
520

Pièce à conviction P53, p. 1.
Ibid., p. 4
522
Pièces à conviction P39 et P107/2 ; comptes rendus des audiences du 23 avril 2001, p. 128 à 132, et du
13 mars 2002, p. 80 à 88.
523
Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 42 et 43 et 89 à 91.
524
Compte rendu de l’audience du 19 février 2002, p. 54 (huis clos).
521

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trimestre de 1993. Environ mille personnes étaient présentes à cette assemblée présidée par
un groupe assis sur un podium leur faisant face, parmi lequel se trouvaient Nahimana et
Barayagwiza, ainsi qu’Ephrem Nkezabera, Joseph Serugendo, Phocas Habimana et Félicien
Kabuga. Le témoin X a indiqué que l’assemblée avait été ouverte par Kabuga qui était le plus
gros actionnaire. Kabuga a remercié Nahimana d’avoir eu l’idée de la création de la RTLM, a
déclaré que celui-ci était un homme d’expérience et avait exercé les fonctions de directeur de
l’ORINFOR. Le témoin X a indiqué que Nahimana avait alors pris la parole et avait évoqué
le fonctionnement de la radio, ses objectifs et ses perspectives futures. Phocas Habimana, que
le témoin X a décrit comme étant le coordinateur de la station de radio, a également pris la
parole et a présenté les autres membres se trouvant sur le podium. Habimana a décrit
Nahimana comme étant le « chef [des promoteurs] de la radio RTLM » et a présenté
Barayagwiza comme étant la personne responsable des relations publiques 525 . Kabuga a
demandé à l’assemblée générale d’autoriser le comité siégeant sur le podium à continuer de
diriger la station de radio, ce qu’elle a accepté. Le témoin X a déclaré qu’une autre assemblée
d’actionnaires était prévue pour le mois d’avril 1994 mais qu’elle n’avait pas eu lieu. Il a dit
que le personnel de la RTLM avait été recruté par Nahimana, que Serugendo était
responsable des questions techniques et avait commandé les équipements à la réception
desquels Nahimana avait participé et que Serugendo et Nahimana s’étaient rendus en
Allemagne au sujet des équipements526. Contre-interrogé, le témoin X a confirmé qu’aucun
titre n’avait été attribué à Nahimana lorsqu’il avait été présenté à l’assemblée des actionnaires
et a fait référence à Phocas Habimana comme étant le directeur de la RTLM lorsqu’il a relaté
la visite qu’il avait rendue à cette dernière en avril 1994527.
510. Le témoin à charge Thomas Kamilindi, journaliste rwandais ayant travaillé de 1984 à
1994 à Radio Rwanda, a déclaré qu’il avait envisagé d’acheter deux actions de la RTLM à sa
création parce qu’il appréciait l’idée d’une radio commerciale et celle de briser le monopole
de l’État sur les médias. Il est allé voir Gaspard Gahigi, qu’il a décrit comme un bon
journaliste qui l’avait formé à ce métier, pour en savoir plus sur les fondateurs. Gahigi lui a
dit que Nahimana était « le cerveau principal » à l’origine du projet, ou son « leader », et
qu’il l’assistait pour les questions éditoriales et que Serugendo en faisait autant pour les
questions techniques. Gahigi a également mentionné Kabuga comme ayant acheté le plus
grand nombre d’actions, ainsi que Barayagwiza et Stanislas Simbizi. Kamilindi a décidé de
ne pas acheter d’actions parce qu’il considérait ces personnes comme des extrémistes hutus.
Il a déclaré avoir parlé trois fois à Gahigi de la RTLM – la première fois parce qu’il était
intéressé par l’achat d’actions et voulait en savoir plus, et les deuxième et troisième fois parce
que Gahigi essayait de le recruter pour travailler pour la RTLM. Contre-interrogé, Kamilindi
a reconnu avoir dit, lorsqu’il a été entendu en octobre 1995, que Nahimana n’avait aucune
fonction officielle à la RTLM, mais il s’est souvenu l’avoir qualifié à cette époque de
« cerveau du projet ». Kamilindi avait décrit Barayagwiza comme un conseiller, Phocas
Habimana comme le directeur général et Kabuga comme l’actionnaire principal, ce qu’il a
confirmé de nouveau en déclarant qu’Habimana était le directeur et que, bien qu’ils n’aient
pas eu de fonctions officielles dans la société, Nahimana et Barayagwiza étaient tous deux
considérés comme « les véritables idéologues de la RTLM ». Réinterrogé, Kamilindi a
525

Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 118 et 119.
Ibid., p. 113 à 125.
527
Compte rendu de l’audience du 25 février 2002, p. 37 et 38 (huis clos).
526

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déclaré qu’il n’y avait eu aucune assemblée générale pour la création des organes statutaires
et qu’il était par conséquent exact que Nahimana, en particulier, n’avait aucune fonction
officielle au sein de la structure provisoire. Kamilindi a répété que Nahimana était le véritable
idéologue et le cerveau de ce projet, déclarant que « cela faisait de lui le patron qui donnait
des ordres, des ordres qu’on ne pouvait pas contester »528.
511. Le témoin à charge Philippe Dahinden, journaliste suisse, a déclaré avoir visité la
RTLM quelques semaines à peine après le début de ses programmes, en août 1993. Il a
cherché Nahimana qu’il avait rencontré antérieurement mais ne l’a pas trouvé
immédiatement. Il a vu Gaspard Gahigi, le rédacteur en chef, et lui a parlé. Il a demandé à ce
dernier qui avait pris l’initiative de la création de la radio. Gahigi lui a répondu que c’était
Nahimana, ainsi que ses amis Barayagwiza et Kabuga. Lorsqu’il a posé des questions
relatives au financement, Gahigi l’a renvoyé vers Nahimana et a organisé un rendez-vous
entre eux. Lorsqu’ils se sont rencontrés, Nahimana lui a déclaré qu’il était à l’origine de toute
l’organisation pour ce qui est de la promotion et de la création de la radio, laquelle était
privée et commerciale. Dahinden a demandé à Nahimana si celle-ci était affiliée à un
quelconque parti politique, ce à quoi ce dernier a répondu par la négative tout en indiquant
que parmi les actionnaires se trouvaient des gens appartenant au MRND et à la CDR, ce qui a
été confirmé par Gahigi529. Un enregistrement vidéo effectué par Dahinden de ses entretiens
avec Gahigi et Nahimana a été produit à titre de preuve. Dans celui-ci, Gahigi appelle
Nahimana « le grand ténor » et Barayagwiza « le numéro deux » 530 . Gahigi y déclare
également qu’alors que les fondateurs sont principalement issus de deux partis, le MRND et
la CDR, il serait difficile à la RTLM d’être le reflet d’une quelconque politique en raison de
sa nature d’entreprise commerciale, et que si un parti voulait diffuser une déclaration, celle-ci
serait diffusée et signée par son auteur531.
512. Le témoin à charge Colette Braeckman, journaliste belge, a déclaré avoir vu
Nahimana lors d’un séminaire sur les médias organisé par l’ambassade de Belgique au
Rwanda, en mars 1994. Nahimana a été présenté comme le directeur de la RTLM et a pris la
parole lors du séminaire. Il a été écouté avec beaucoup d’attention et traité avec respect.
Braeckman a déclaré que les personnes présentes dans la salle le connaissaient en sa qualité
de directeur de la RTLM et de personne disposant d’une grande autorité532. Contre-interrogée
au sujet de la fiabilité de ses souvenirs, Braeckman a déclaré qu’elle ne pouvait pas être sûre
à cent pour cent que Nahimana se fût identifié lui-même comme directeur de la RTLM, mais
qu’elle avait la certitude que tout le monde le connaissait en cette qualité, soit parce que
l’animateur l’avait présenté comme tel, soit parce que lui-même s’était présenté ainsi. Elle a
déclaré qu’il n’y avait aucun doute dans l’assistance qu’il s’était exprimé en cette qualité533.
À la barre, Nahimana a confirmé avoir participé à ce séminaire mais en tant que spectateur et
non pas en tant qu’invité. Il a déclaré ne pas se souvenir de la façon dont il avait été présenté

528

Comptes rendus des audiences du 22 mai 2001, p. 65 à 79 et 152 à 156, et du 23 mai 2001, p. 32 et 33 ainsi
que 67 et 68.
529
Compte rendu de l’audience du 24 octobre 2000, p. 88 à 92.
530
Compte rendu de l’audience du 31 octobre 2000, p. 56, pièce à conviction P3.
531
Ibid., p. 168 à 175.
532
Compte rendu de l’audience du 29 novembre 2001, p. 20 et 21 et 130 à 132.
533
Compte rendu de l’audience du 30 novembre 2001, p. 128 à 130.
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mais a dit qu’au Rwanda personne ne lui donnait le titre de directeur de la RTLM. Il a
soutenu ne pas avoir été présenté ou désigné comme tel à cette occasion534.
513. Le témoin GO, le fonctionnaire du Ministère de l’information chargé de surveiller les
émissions de la RTLM, a déclaré qu’il était généralement entendu que Nahimana était
responsable de la RTLM :
Je le répète, nous savions, au départ, que Nahimana était [le] directeur de [la] RTLM.
Et dans les discussions qui avaient lieu au sein du ministère, on parlait de la
responsabilité de Nahimana Ferdinand, en tant que la personne responsable de la
gestion journalière de [la] RTLM535.

514. Ainsi que cela est précisé plus loin, le témoin GO a déclaré que lors des deux réunions
organisées entre la RTLM et le Ministère de l’information, auxquelles il avait participé,
Nahimana avait été présenté comme étant le directeur de la RTLM536.
515. Dans un rapport écrit établi par les services de renseignement belges sur l’état de la
sécurité au Rwanda, en date du 2 février 1994 et versé au dossier par le Procureur, Nahimana
est identifié comme le directeur de la RTLM 537 . Dans son livre publié en 1994, Helmut
Strizek, témoin expert à décharge pour Nahimana, a qualifié ce dernier d’« historien
rwandais, 1993, [d’]idéologue principal de la RTLM ». Le témoin expert a précisé à la barre
que cette description figurait dans son livre entre guillemets, indiquant par là qu’il s’agissait
de la manière dont Nahimana était décrit par d’autres personnes. Il a déclaré ne pas savoir si
Nahimana était ou non l’idéologue principal de la RTLM538.
516. Le témoin à charge François-Xavier Nsanzuwera, procureur au Rwanda de 1990 à
1994, a déclaré que lors d’une émission de la RTLM en mars 1994, Kantano Habimana avait
mentionné Alphonse Nkubito, le Procureur général, comme faisant partie d’un complot visant
à tuer le Président et pour lequel une importante somme d’argent lui serait versée. Nkubito a
demandé à Nsanzuwera de convoquer Kantano Habimana. La décision avait été prise au
bureau du Procureur de ne poursuivre la radio en justice que si des plaintes étaient déposées.
Nsanzuwera a déclaré que quand bien même la RTLM diffusait des messages de haine
ethnique et de violence, les gens n’osaient pas porter plainte. Lorsque Nkubito à déposer sa
seule et unique plainte, Nsanzuwera a profité de cette occasion pour convoquer Noël
Hitimana et Kantano Habimana afin de leur poser des questions au sujet d’autres émissions
au cours desquelles la RTLM appelait les Hutus à massacrer les Tutsis. Nsanzuwera a dit que
l’émission ayant mentionné Nkubito comme faisant partie d’un complot visant à tuer le
Président aurait pu faire l’objet de poursuites pour diffamation, mais qu’il s’intéressait
également à l’article 166 du code pénal qui réprimait l’incitation à la violence entre
citoyens539.

534

Compte rendu de l’audience du 27 septembre 2002, p. 12 à 15.
Compte rendu de l’audience du 10 avril 2001, p. 164.
536
Ibid., p. 159 à 163.
537
Pièce à conviction P153, p. 15.
538
Comptes rendus des audiences du 6 mai 2003, p. 75 et 76, et du 7 mai 2003, p. 2 à 4.
539
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 53 à 62.
535

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517. Lorsque Nsanzuwera a appelé Kantano Habimana pour l’informer de la convocation,
celui-ci a initialement refusé de se déplacer. Toutefois, lorsque Nsanzuwera lui a dit qu’il
devrait alors dépêcher les gendarmes pour se saisir de lui, Kantano Habimana a finalement
accepté de venir. La convocation de Kantano Habimana et de Noël Hitimana a été envoyée et
Nsanzuwera a déclaré qu’ils se sont tous les deux déplacés le jour même. Kantano Habimana
lui a fait savoir qu’il n’avait fait que lire le télégramme que lui avait donné son directeur,
Ferdinand Nahimana. Il lui a également dit que les journalistes de la RTLM étaient du
« menu fretin » et que, s’agissant de certains éditoriaux, c’était Nahimana qui les écrivait et
que les journalistes ne faisaient que les lire. Nsanzuwera a rapporté cette conversation à
Nkubito qui lui a dit que si Nahimana en était à l’origine, cela signifiait que l’Akazu était
derrière la RTLM et qu’il devrait oublier cet incident sous peine d’être tués tous les deux540.
518. Contre-interrogé, Nsanzuwera a confirmé sa déposition selon laquelle Kantano
Habimana et Noël Hitimana s’étaient déplacés le jour même de l’envoi de leur convocation.
Il a déclaré qu’ils avaient été interrogés par un substitut du Procureur et que la seule personne
à qui il avait parlé dans son bureau était Kantano Habimana. À l’antenne, Kantano Habimana
a informé les auditeurs qu’il avait été convoqué par le bureau du Procureur et qu’ils
« demeureraient vigilants ». Lors d’une émission ultérieure, Kantano leur a dit que la réunion
n’avait pas porté sur des choses graves, la qualifiant de « ragots de femmes »541. Les conseils
de Nahimana ont contesté le souvenir de Nsanzuwera selon lequel Habimana et Hitimana
s’étaient rendus au bureau du Procureur le même jour, produisant à titre de preuve une
émission de la RTLM du 30 mars 1994 que Noël Hitimana avait commencée en déclarant :
« [J]’en reviens », faisant ainsi allusion à la visite qu’il venait d’effectuer au bureau du
Procureur 542 . Dans cette émission, Hitimana décrit son entretien avec un substitut du
Procureur qui, selon lui, a déclaré que Noël et Kantano auraient dû se présenter ensemble
le 14, date à laquelle Kantano s’était présenté543.
519. Lors de l’émission de la RTLM du 30 mars, Noël Hitimana et Kantano Habimana
discutent de l’entretien qu’Hitimana a eu avec le substitut du Procureur, et Hitimana prétend
avoir dit à ce dernier de noter qu’il travaillait pour la RTLM mais qu’il n’était pas la RTLM,
qu’il était un employé chargé d’accomplir le travail qui lui était assigné et que « [celui qui
s’estimait lésé devait] porter plainte par écrit auprès du directeur de la RTLM » et qu’il
devrait le poursuivre en justice. Hitimana y déclare que celui qui veut se plaindre de lui
devrait écrire à la direction sous l’autorité de laquelle il est placé. Kantano Habimana en
convient avec Hitimana : « En ce qui concerne [les erreurs commises par la presse], puisque
nous travaillons pour RTLM, nous avons des responsables, nous avons la direction. [C’est à
la RTLM et non aux individus qu’il faut demander des comptes]544 ».
520. Le témoin à charge Georges Ruggiu, ressortissant belge, a travaillé pour la RTLM en
1994. Le 15 mai 2000, devant répondre devant le Tribunal des accusations d’incitation
directe et publique à commettre le génocide et de crime contre l’humanité (persécution),
Ruggiu a décidé de reconnaître sa culpabilité après avoir plaider non coupable. Il a conclu un
540

Id.
Compte rendu de l’audience du 25 avril 2001, p. 71 à 77.
542
Ibid., p. 94 à 96 ; pièce à conviction 1D40C.
543
Pièce à conviction 1D40C.
544
Id.
541

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accord de reconnaissance de culpabilité avec le Procureur, dans lequel il a notamment admis
ce qui suit : « Les journalistes de la RTLM en ce compris lui-même, ainsi que les cadres et la
direction éditoriale de la RTLM, ont une part de responsabilité réelle et entière dans les
massacres des Tutsis et des hommes politiques rwandais hutus membres de partis
d’opposition qui ont été commis en 1994 545 ». Le 1er juin 2000, Ruggiu a été reconnu
coupable et condamné à une peine de 12 ans d’emprisonnement qu’il est actuellement en
train de purger 546 . Il a déclaré avoir décidé de plaider coupable parce qu’il s’était rendu
compte de l’ampleur et de la gravité de ce dans quoi il s’était engagé, et que ce à quoi il avait
participé n’était pas un massacre spontané mais bien un génocide planifié. Il a dit que plaider
coupable constituait la seule façon d’essayer de réparer les fautes et crimes qu’il avait
commis547.
521. Ruggiu a déclaré qu’il avait été embauché par Nahimana en décembre 1993 grâce à
l’intervention du Président Habyarimana qui avait appelé Nahimana et lui avait obtenu un
poste à la RTLM. Il a été recruté le 31 décembre 1993 et a commencé à travailler le 6 janvier
1994. Il a reçu une lettre d’engagement de Nahimana qui l’avait signée en qualité de directeur
et, après la période d’essai prévue par cette lettre, en a reçu une autre fin janvier signée par
Phocas Habimana en tant que directeur général de la RTLM. Ruggiu a indiqué avoir perdu la
lettre signée par Nahimana au cours de son évacuation de Kigali. Celle signée par Habimana,
en date du 6 janvier 1994, a été versée aux débats. Elle ne fait mention ni d’une période
d’essai, ni d’aucune lettre antérieure. Selon Ruggiu, tous ceux qui ont été embauchés par la
RTLM à cette époque, notamment Nkomati, Rucogoza et Bemeriki, l’ont été par Nahimana,
quand bien même leurs lettres d’engagement avaient été signées par Habimana548.
522. Contre-interrogé, Ruggiu a déclaré que la question de savoir s’il avait ou non
rencontré Nahimana pour la première fois à la RTLM le jour même où il avait vu le
Président, ainsi qu’il l’a dit à la barre, ou si sa rencontre avec le Président avait plutôt été
suivie d’une conversation avec Jean Hategekimana, comme l’indique son interrogatoire de
1997, ou s’il avait été convoqué par Nahimana à la RTLM le lendemain de sa rencontre avec
le Président, comme le précise l’accord de reconnaissance de culpabilité, ne constituait qu’un
point de détail549. Il a dit que ces incohérences n’étaient pas des mensonges intentionnels ou
des omissions volontaires, mais simplement des erreurs qu’il n’avait pas relevées. Il lui a
également été demandé d’expliquer un certain nombre de contradictions dans sa description
de la lettre d’engagement émanant de Nahimana. Dans une déclaration faite en août 1999,
Ruggiu a dit que la lettre de Nahimana était datée du 6 janvier, date de la lettre d’Habimana,
et non pas du 31 décembre. Il a indiqué à la barre ne pas avoir d’explication précise sur ce
point. Dans une déclaration faite en août 1999, Ruggiu a dit que Nahimana avait signé la
lettre en tant que membre du Comité d’initiative et, dans une autre, effectuée en novembre
1999, il a indiqué que Nahimana avait signé cette lettre en tant que responsable de la RTLM.
Interrogé au sujet de la contradiction existant entre ces déclarations et sa déposition à la barre
selon laquelle Nahimana avait signé en tant que directeur de la RTLM, Ruggiu a reconnu
545

Paragraphe 212 de l’Accord de reconnaissance de culpabilité, cité dans le compte rendu de l’audience du
28 février 2002, p. 156 et 157.
546
Le Procureur c. Ruggiu, affaire n° ICTR-97-32-I, jugement, 1er juin 2000.
547
Compte rendu de l’audience du 28 février 2002, p. 153 à 158.
548
Pièce à conviction 1D39.
549
Compte rendu de l’audience du 27 février 2002, p. 11 à 23.
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qu’il avait donné trois versions du titre de Nahimana mais a maintenu que sa déposition était
exacte. Plusieurs autres différences relevées entre les déclarations et sa déposition au sujet
des lettres d’engagement de Nahimana et d’Habimana ont été évoquées au cours de son
contre-interrogatoire, y compris la déclaration qu’il avait faite le 26 avril 1999 à un magistrat
italien dans le cadre d’une commission rogatoire et selon laquelle Nahimana n’était pas le
directeur de la RTLM et que c’était pour cette raison qu’il avait eu besoin d’une seconde
lettre signée par Habimana qui était le directeur 550 . De même, de multiples incohérences
relevées entre sa déposition et diverses autres déclarations qu’il a faites au sujet de la
procédure d’entretien et de recrutement de la RTLM ont été mentionnées lors de son contreinterrogatoire.
523. Ruggiu a déclaré que la personne qui occupait le poste le plus élevé à la direction de
la RTLM était Félicien Kabuga, sous lequel se trouvait le Comité d’initiative qui avait créé la
RTLM, ensuite venait un conseil d’administration composé de Nahimana, Barayagwiza et
Serugendo. Placé en dessous de ce conseil, se trouvait Phocas Habimana qui exerçait les
fonctions de directeur général 551 . Ruggiu a déclaré que Phocas Habimana était devenu
directeur général à partir de janvier 1994 mais qu’il pensait que Nahimana avait néanmoins
conservé ses fonctions de directeur dans la mesure où il n’avait pas démissionné ou n’était
pas parti. Il a indiqué que Nahimana lui avait dit en janvier 1994 qu’en tant que ministre
nommé au futur gouvernement, il lui avait été demandé d’être moins visible à la RTLM.
Ruggiu a déclaré que même lorsqu’Habimana était présent, les journalistes s’adressaient à
Nahimana, principalement pour les questions de salaires, et que si ce dernier n’était pas là, ils
s’adressaient à Barayagwiza. Nahimana venait plus fréquemment et régulièrement à la RTLM
que Barayagwiza ; Ruggiu a estimé que ce dernier y était venu approximativement une
quinzaine de fois entre janvier et avril 1994. Il a déclaré que Gahigi et Habimana se
réunissaient une fois par semaine pour discuter de la politique éditoriale et qu’ils étaient
rejoints par Nahimana et Barayagwiza lorsque ceux-ci étaient présents, et qu’il y avait une
réunion chaque matin entre Gahigi et les journalistes afin de leur donner des instructions552.
524. Ruggiu a dit avoir fait des déclarations incriminantes au Procureur à l’encontre de
Phocas Habimana et de Gaspard Gahigi parce que, d’après ce qu’il savait, ils n’étaient plus
en vie et qu’il pouvait donc « rejeter la responsabilité sur les morts ». Les conseils de
Nahimana ont donné à entendre que Ruggiu avait plaidé coupable deux ans après son choix
initial uniquement parce qu’il savait que le Procureur envisageait de modifier l’acte
d’accusation et d’y ajouter quatre chefs d’accusation, dont celui de génocide qui n’avait pas
été précédemment retenu, et qu’il avait accepté de témoigner dans le cadre du jugement des
médias en échange d’un abandon de ces modifications par la Procureur. Ruggiu a nié avoir
conclu un tel accord ou que l’éventuelle modification de l’acte d’accusation ait joué un
quelconque rôle dans sa décision. Il a déclaré que la décision qu’il avait prise de plaider
coupable lui était venue après deux années de profonde réflexion553.

550

Compte rendu de l’audience du 4 mars 2002, p. 66 à 98.
Compte rendu de l’audience du 27 février 2002, p. 31 à 35.
552
Ibid., p. 61 à 66 et 74 à 82.
553
Comptes rendus des audiences du 28 février 2002, p. 151 et 152, du 1er mars 2002, p. 44 et 45, et du 4 mars
2002, p. 39 et 40.
551

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525. Le témoin à décharge Valérie Bemeriki, détenue au Rwanda et devant répondre de
l’accusation d’incitation à commettre des meurtres par l’intermédiaire d’émissions de la
RTLM, a déclaré avoir été engagée à la RTLM en tant que journaliste en janvier 1994. Elle
avait répondu à une offre d’emploi diffusée sur les ondes de la RTLM et avait passé un
examen à la station de radio en même temps que 12 à 15 autres candidats. Parmi ceux qui
avaient passé et réussi cet examen se trouvait Ruggiu. Les examinateurs étaient Gaspard
Gahigi, Kantano Habimana et Noël Hitimana, sous les auspices de Phocas Habimana, le
directeur. Bemeriki n’a pu préciser la date, mais a déclaré qu’il s’agissait du tout début du
mois de janvier. Phocas Habimana leur a transmis par téléphone les résultats de l’examen le
même jour, et ils ont été embauchés la même semaine. Bemeriki a déclaré qu’elle-même ainsi
que les autres avaient reçu une lettre d’engagement ainsi qu’un contrat de travail à l’essai,
signés par Phocas Habimana, en sa qualité de directeur, et que celui-ci lui avait remis ces
documents dans son bureau554.
526. Lors de sa déposition, Bemeriki a mentionné ceux qui travaillaient dans les locaux de
la RTLM, parmi lesquels se trouvait Phocas Habimana, en tant que directeur. Il possédait un
bureau séparé, de même que Gaspard Gahigi, le rédacteur en chef, et Kantano Habimana, le
rédacteur en chef adjoint. Elle a décrit la structure hiérarchique de la radio en commençant
par Phocas Habimana, le directeur, et a dit qu’il supervisait l’ensemble des employés,
évaluait leur travail et payait leurs salaires. C’était lui qui donnait les ordres, mais s’il avait
besoin d’une information particulière concernant le travail des journalistes il devait s’adresser
au rédacteur en chef. Elle a déclaré qu’Habimana était responsable de la discipline et l’a
décrit comme une personne autoritaire, très sévère et sérieuse mais en même temps douce et
équitable. En tant que rédacteur en chef, Gahigi établissait le programme sur la base de
réunions hebdomadaires avec l’ensemble des journalistes. Selon Bemeriki, le travail était
assigné aux journalistes par Phocas Habimana, en collaboration avec Gahigi. Les journalistes
se réunissaient chaque semaine avec Gahigi et Habimana, et tous les jours avec Gahigi
seul555.
527. Bemeriki a déclaré qu’aucune personne extérieure ne participait aux réunions du
personnel. Elle n’avait jamais entendu dire que Nahimana participait à des réunions avec
Gahigi et Habimana. Les salaires étaient payés aux journalistes par Habimana en liquide.
Bemeriki a dit qu’entre le moment de son engagement en janvier et le 6 avril 1994, elle
n’avait vu Nahimana à la RTLM qu’à deux occasions. Elle a précisé qu’elle ne pouvait pas
dire de quelles occasions il s’agissait parce que, même s’il était effectivement venu, il se
rendait habituellement au bureau du directeur, Phocas Habimana. Elle a déclaré ne pas être au
courant d’appels téléphoniques entre Nahimana et la station de radio, ou d’une quelconque
déclaration à l’antenne de ce dernier. Elle a dit ne l’avoir jamais interviewé. Elle a déclaré
que tout ce qu’elle savait c’était que Nahimana était un membre fondateur de la station de
radio et siégeait au Comité d’initiative. Elle avait rencontré quatre membres de ce comité,
Kabuga, Nahimana, Habimana et Barayagwiza, lors d’une réunion entre la RTLM et le
Ministère de l’information le 10 février 1994556.

554

Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 59 à 64.
Ibid., p. 64 à 68.
556
Ibid., p. 67 à 69.
555

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528. En contre-interrogatoire, Bemeriki a été questionnée au sujet de ses entretiens en 1999
avec le Bureau du Procureur du TPIR et le bureau du Procureur du Gouvernement rwandais,
de celui qu’elle a eu en 2000 avec les conseils de Nahimana et d’autres entretiens avec des
journalistes. Elle a déclaré ne pas avoir dit toute la vérité en 1999 et que ce qu’elle avait dit
au Bureau du Procureur à l’époque n’était que partiellement vrai. Elle a indiqué que ce
qu’elle avait dit aux conseils de Nahimana en 2000 était vrai. Bien qu’elle ait menti en 1999,
elle n’avait dit depuis janvier 2000 que la vérité à ceux qui l’avaient interrogée. Elle a affirmé
à plusieurs reprises qu’elle avait menti en 1999 pour sauver sa vie, qu’elle avait été arrêtée et
qu’elle avait adapté ses réponses de manière à satisfaire les enquêteurs du TPIR qui
l’interrogeaient557. Dans une déclaration faite aux enquêteurs du TPIR en septembre 1999, où
elle était censée avoir décidé de dire toute la vérité, Bemeriki a dit : « Lorsque j’ai parlé aux
Rwandais, je ne leur ai pas tout dit, mais ce que je veux que vous sachiez c’est qu’à présent je
suis disposée à parler, maintenant je vous dis tout ». Contre-interrogée au sujet de cette
déclaration, Bemeriki a répondu l’avoir effectuée en 1999 en pensant qu’il était dans son
intérêt de le faire et a ajouté : « Mais alors lorsque j’ai remarqué qu’il s’agissait de
mensonges, j’ai décidé de dire la vérité »558.
529. Lors de son contre-interrogatoire, il a été présenté à Bemeriki un certain nombre de
déclarations qu’elle avait faites au Procureur en 1999, et il lui a été demandé de préciser
lesquelles étaient fausses. S’agissant de la CDR, parti dont elle avait dit dans sa déclaration
qu’il était fondé sur l’appartenance ethnique et exécutait les ordres du MRND, Bemeriki a
indiqué que cela était faux et nécessitait une rectification. Elle a indiqué que la CDR et le
MRND étaient deux partis différents n’ayant rien en commun et qu’elle n’était pas membre
de la CDR qu’elle ne connaissait pas et qu’elle ne savait pas si elle était fondée sur
l’appartenance ethnique 559 . Bemeriki a déclaré ne pas considérer Kangura comme une
publication extrémiste. Mise en présence de sa déclaration de 1999 dans laquelle elle avait
affirmé que Kangara était la publication la plus extrémiste qu’elle connaissait, elle a dit qu’il
s’agissait d’une fausse déclaration dont elle se souvenait très bien parce qu’elle avait donné la
réponse que les enquêteurs attendaient. Par la suite, elle a dit ne pas se souvenir de cette
déclaration560. Quand bien même elle avait admis dans sa déclaration que les Tutsis avaient
été victime d’un génocide, que la RTLM avait été utilisée comme une arme dans le cadre du
massacre des Tutsis et que les gens avaient été encouragés à tuer les Tutsis aux barrages
routiers, Bemeriki a déclaré qu’elle ne se souvenait pas d’avoir tenu ces propos, qu’en tout
cas ils étaient faux et qu’elle ne pouvait pas en parler en raison des accusations pesant à son
encontre dans le cadre de son propre procès. Il lui a été demandé si elle n’avait pas dit que la
RTLM avait appelé à l’extermination des Tutsis qui se cachaient dans les églises, en laissant
entendre qu’ils étaient les complices du FPR. Elle a initialement nié l’avoir dit, puis a déclaré
qu’elle ne savait pas et qu’il lui faudrait voir cette déclaration. Lorsque sa déclaration lui a été
présentée, elle a dit qu’elle était fausse et qu’elle ne pouvait pas répondre en raison des
accusations pesant contre elle561.

557

Compte rendu de l’audience du 9 avril 2003, p. 8 à 14 ainsi que 34 et 35.
Compte rendu de l’audience du 10 avril 2003, p. 26 et 27 – cassette n° 6, K0117731, p. 35.
559
Compte rendu de l’audience du 9 avril 2003, p. 31 à 35.
560
Comptes rendus des audiences du 9 avril 2003, p. 54 et 55 ainsi que 58 et 59 et du 10 avril 2003, p. 57 et 58.
561
Comptes rendus des audiences du 9 avril 2003, p. 38 à 48, et du 10 avril 2003, p. 58 à 66.
558

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530. Bemeriki a répondu de cette manière à la vaste majorité de questions qui lui ont été
posées en contre-interrogatoire, répétant souvent de façon mécanique en réponse à une série
de questions qu’elle ne savait pas ou ne se souvenait pas. Saisie de listes d’actionnaires de la
RTLM émanant de banques, il lui a été demandé de désigner les noms des personnes dont
elle savait qu’elles faisaient partie de l’armée, et sept noms lui ont été lus : Bagasora,
Renzaho, Murenzi, Sagatwa, Habyarimana, Mugengararo et Hategekimana. Elle a déclaré
qu’elle ne savait pas qu’ils étaient actionnaires et s’ils appartenaient à l’armée, à l’exception
de Bagosora, la liste précisant qu’il était colonel. Lorsqu’elle a été interrogée au sujet de
quelques uns de ces noms, Bemeriki a déclaré qu’elle connaissait deux hommes dénommés
Tharcisse Renzaho, l’un faisant partie de l’armée et l’autre non. Elle a dit connaître de
nombreuses personnes nommées Juvénal Habyarimana et Élie Sagatwa562. Lorsque les statuts
de la RTLM lui ont été soumis, Bemeriki a été interrogée au sujet de certains des
50 signataires, y compris Déogratias Nsabimana qui a été identifié par le témoin X comme
étant colonel des forces armées, et qui se trouvait à bord de l’avion du Président Habyarimana
et avait péri avec lui lorsque l’appareil avait été abattu le 6 avril 1994563. Elle a déclaré
connaître de nombreuses personnes portent ce nom mais ne pouvoir préciser laquelle parmi
celles-ci était la plus connue564. Lorsqu’il lui a été demandé s’il était vrai que la RTLM avait
appris aux gens comment se comporter et avait réveillé tous les Rwandais, y compris les
forces armées, elle a répondu que cela était faux. Mise devant les propos qu’elle avait tenus
sur les ondes de la RTLM en mars 1994, elle a déclaré qu’il n’y avait rien d’inconvenant dans
ce message et qu’il répondait au besoin de sécurité de la population.
Après le 6 avril 1994
531. Ruggiu a déclaré qu’après le 6 avril 1994, le conseil d’administration de la RTLM
avait continué à contrôler la politique éditoriale de cette dernière. Au cours de cette période,
il avait eu personnellement quatre contacts avec Nahimana. Il a indiqué que Nahimana était
venu de l’ambassade de France à la RTLM le 8 ou le 9 avril, que celui-ci lui avait envoyé une
lettre de Cyangugu fin avril ou début mai, qu’il l’avait rencontré à Gitamara fin mai et que
Nahimana était venu à la RTLM début juin 1994 et y avait rencontré Phocas Habimana.
Ruggiu a indiqué que la lettre qu’il avait reçue de Nahimana encourageait ceux de la RTLM à
continuer et que celui-ci lui avait dit lors de leur rencontre à Gitarama qu’il était content du
travail accompli par la RTLM. Ruggiu a déclaré que la lettre reçue de Nahimana a été perdue
et qu’il n’en avait parlé à personne565.
532. Lors du contre-interrogatoire, les conseils de Nahimana ont soumis à Ruggiu une
déclaration qu’il avait faite en juillet 1997, selon laquelle, après la mort d’Habyarimana,
Nahimana n’était venu qu’une fois à Kigali pour une demi-journée et ne s’était même pas
rendu à la RTLM. Il y disait aussi qu’il n’y avait eu aucun appel, télégramme ou message de
la part de Nahimana au cours de cette période et que la RTLM était dirigée par deux
personnes : Phocas Habimana et Gaspard Gahigi. Ruggiu a déclaré qu’il avait menti au
Procureur dans le cadre de cet interrogatoire566 . Il a indiqué : « Je [voyais bien ce qu’ils
562

Compte rendu de l’audience du 9 avril 2003, p. 59 à 66.
Compte rendu de l’audience du 21 février 2002, p. 58 et 59.
564
Ibid., p. 80 à 82.
565
Compte rendu de l’audience du 27 février 2002, p. 65 à 70.
566
Compte rendu de l’audience du 5 mars 2002, p. 51 et 52.
563

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voulaient obtenir]. Je ne leur ai pas répondu la vérité »567. À cette époque, il ne savait pas s’il
allait plaider coupable ou non coupable et n’avait voulu ni s’incriminer ni incriminer
Nahimana 568 . Ruggiu a déclaré en contre-interrogatoire qu’après le 6 avril 1994, Phocas
Habimana a joué un rôle plus important à la RTLM. Selon lui, Gahigi n’y était pas aussi
souvent non plus mais a poursuivi son travail de rédacteur en chef jusqu’à leur évacuation en
juillet. Il a indiqué qu’un journaliste, Nkomati, avait été licencié en mai 1994 par Phocas
Habimana569.
533. Ruggiu a dit qu’après le 6 avril 1994, il y avait eu tous les matins un briefing des
médias au Ministère de la défense. Il a déclaré qu’il leur était donné des informations et des
instructions pour les émissions, ainsi que des « avis de recherche » de l’armée qui désignaient
nommément les personnes qui devaient être arrêtées et qui contenaient des informations à
leur sujet telles que les endroits où elles avaient été aperçues, les personnes qui les
accompagnaient, la plaque d’immatriculation et la couleur de leur véhicule. Il a précisé que
ces informations étaient diffusées sur les ondes de la RTLM. D’après lui, la RTLM recevait
également des « avis de recherche » des Interahamwe et des informations relatives à leurs
activités. Ruggiu a déclaré que la RTLM ne vérifiait pas les informations reçues des
Interahamwe avant de les diffuser. Ils n’en avaient pas les moyens en raison de l’insécurité
qui régnait à l’époque. Il a indiqué qu’en tout cas, ils n’avaient pas à vérifier les informations
mais seulement à diffuser des informations favorables à la cause du Gouvernement570. Il a
déclaré que d’avril à juillet 1994, le Gouvernement intérimaire avait payé les salaires des
journalistes de la RTLM et leur avait donné accès à un générateur du Ministère du tourisme
voisin lorsque la RTLM avait été bombardée en avril 1994. L’armée avait mis un véhicule, de
l’essence, une escorte et une chambre à l’hôtel des Diplomates à sa disposition. Il a indiqué
que plusieurs autres journalistes, y compris Gahigi et Habimana, avaient reçu une aide
similaire. Des armes à feu avaient été demandées pour l’ensemble des journalistes de la
RTLM, mais sans succès, bien qu’il en ait demandé et obtenu une. Gahigi portait une
mitraillette Uzi et avait participé aux combats, de même que plusieurs journalistes571.
534. Bemeriki a déclaré avoir travaillé pour la RTLM jusqu’au 14 juillet 1994. Entre le
6 avril et le 14 juillet, le directeur, Phocas Habimana, était encore présent. Il était la personne
qui donnait les instructions et à qui les journalistes rendaient compte. Bemeriki a indiqué
qu’il exerçait les pouvoirs disciplinaires et a cité à titre d’exemple le licenciement de
Nkomati et la déduction de 10 000 francs rwandais de son salaire à la suite d’une émission
qu’il n’avait pas appréciée et au cours de laquelle elle avait commis une faute. Il ne lui avait
pas expliqué pourquoi il n’avait pas apprécié l’émission. Bemeriki a indiqué qu’Habimana
avait continué à payer les salaires et que, selon lui, l’argent provenait de l’état-major de
l’armée572.
535. Bemeriki a pris connaissance de l’attaque de l’avion du Président le 6 avril au soir.
Elle a appelé Phocas Habimana qui s’est rendu à la RTLM et a passé toute la nuit à rédiger
567

Compte rendu de l’audience du 28 février 2002, p. 198.
Ibid., p. 179 à 182 et 197 à 201.
569
Compte rendu de l’audience du 4 mars 2002, p. 153 et 154 ainsi que 156 et 157.
570
Compte rendu de l’audience du 27 février 2002, p. 83 à 98.
571
Ibid., p. 112 à 115 et 116 à 119.
572
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 77 à 79.
568

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des communiqués qu’elle a diffusés sur la RTLM. Elle a déclaré qu’ils y étaient restés du
6 au 9 avril. Le 8 avril, elle est allée enquêter à la résidence de la Première Ministre Agathe
Uwilingiyimana et le 9 avril elle est allée couvrir la prestation de serment du Gouvernement
Kambanda. Elle n’y a pas vu Nahimana. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas vu Nahimana entre
le 7 avril et le 4 juillet 1994 et qu’elle n’avait connaissance d’aucun contact entre lui et un
quelconque membre de l’équipe de la radio au cours de cette période573. Contre-interrogée,
elle a déclaré avoir vu une fois Barayagwiza à Kigali après le 6 avril mais ne pouvoir se
souvenir de la date, même approximativement. Elle revenait de chez Phocas Habimana
lorsqu’elle a vu le petit frère de Barayagwiza qui les a arrêtés sur la route et leur a dit que
celui-ci voulait les voir. Elle a déclaré qu’ils se sont rendus chez lui, ce qui n’avait pris que
quelques minutes, mais qu’ils étaient repartis immédiatement574.
536. Selon Bemeriki, les journalistes de la RTLM étaient armés au cours de la période
allant du 4 avril au 14 juillet 1994. Ces armes provenaient de l’armée. Celle-ci avait fourni un
véhicule à La RTLM et à Phocas Habimana ainsi que de l’essence gratuitement. Elle a
déclaré qu’au cours de cette période, certains journalistes, y compris Ruggiu, séjournaient à
l’hôtel des Diplomates dans lequel était installé le gouvernement Kambanda. Selon elle,
Gahigi et Habimana avaient des contacts avec les Forces armées rwandaises. À compter du
7 avril 1994, il y avait eu des réunions chaque matin avec le personnel militaire auxquelles
Gahigi devait participer. Bemeriki a indiqué qu’elle tenait toutes ces informations de Phocas
Habimana575.
537. Bemeriki a déclaré que le 3 juillet 1994, la RTLM avait interrompu ses programmes
et que des préparatifs avaient été faits pour une évacuation de Kigali vers Gisenyi. La
décision du déménagement à Gisenyi avait été prise par le directeur, Phocas Habimana, avec
les responsables des Forces armées rwandaises. Elle a indiqué que du 3 au 14 juillet, l’équipe
de journalistes ainsi que Gahigi et Habimana avaient continué à travailler et que ce dernier,
qui était responsable de l’équipe, avait continué à payer les salaires, l’argent correspondant
venant, selon elle, du quartier général des FAR. Les émissions ont repris le 8 juillet ou juste
après cette date, conformément à la décision de Phocas Habimana et des chefs militaires. Les
programmes se sont terminés le 14 juillet 1994 parce qu’ils se préparaient à franchir la
frontière du Zaïre. L’armée a pris cette décision et l’a transmise à Habimana. Bemeriki a
déclaré avoir vu Nahimana le 8 juillet 1994 à Gisenyi, par hasard, à l’hôtel Palm Beach et
l’avoir salué. Elle ne l’a pas revu depuis lors. Du 4 au 14 juillet 1994, Bemeriki n’a jamais
reçu l’ordre de mettre un terme aux programmes qui critiquaient la MINUAR576.
538. Nahimana a déclaré qu’après le 6 avril et jusqu’à la fin du mois de juillet, le Comité
d’initiative n’existait plus et qu’il y avait eu un « dysfonctionnement total ». Il a indiqué qu’il
n’avait plus de contact avec la société et qu’à sa connaissance les membres du Comité
d’initiative n’en avaient également plus577. Le 8 avril 1994, il s’est rendu à la RTLM et y a vu
Phocas Habimana ainsi que certains journalistes, y compris Ruggiu. Il y est resté de quinze à
vingt minutes et a indiqué qu’il s’y était rendu parce qu’il voulait savoir ce qui se passait à la
573

Compte rendu de l’audience du 8 avril 2002, p. 78 à 81.
Compte rendu de l’audience du 9 avril 2003, p. 92 à 95.
575
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 82 à 85.
576
Compte rendu de l’audience du 9 avril 2003, p. 4 à 8.
577
Compte rendu de l’audience du 15 octobre 2002, p. 82.
574

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station de radio, rappelant qu’il était membre du Comité d’initiative. Nahimana n’a donné
aucune instruction lors de son passage à la RTLM. Lorsqu’il en est reparti, il leur a dit d’être
courageux. Il a déclaré n’être pas retourné à la RTLM après cette visite 578 . Nahimana a
indiqué que le contrôle de la RTLM avait été repris par l’armée, qu’elle avait été séquestrée
par des gens qui n’avaient pas les mêmes objectifs que ceux qui l’avaient fondée et qu’ils
l’avaient transformée en un « outil de tueries »579.
539. Le 25 avril 1994, Nahimana a été interviewé à Cyangugu sur Radio Rwanda. Il a parlé
de lui-même en tant que « l’un des fondateurs de la RTLM » et a relaté un échange qu’il avait
eu avec l’ancien Ambassadeur du Burundi à Kigali. L’Ambassadeur l’avait accueilli et lui
avait dit : « J’espère que vous n’avez pas apporté avec vous votre fichue radio, la RTLM – je
regrette d’avoir même prononcé le mot RTLM. J’espère que vous n’avez pas apporté la
RTLM avec vous ». Nahimana avait répondu en lui demandant pourquoi il avait l’air d’avoir
aussi peur de la RTLM et l’ambassadeur avait déclaré : « Si elle venait au Burundi, je crois
que le Burundi disparaîtrait le jour suivant ». Nahimana lui avait alors dit : « Je suis très
content parce que j’ai compris que la RTLM jouait un rôle-clé dans l’éveil du peuple
majoritaire ». Nahimana a déclaré au cours de l’émission : « [L]es guerres d’aujourd’hui ne
sont pas uniquement menées à l’aide de balles, il y a aussi la guerre des médias, des mots, des
journaux et des stations de radio ». Nahimana a dit qu’à Bujumbura ils ne pouvaient écouter
la RTLM mais qu’à Bukavu ils pouvaient écouter à la fois Radio Rwanda et la RTLM. Lors
de l’interview du 25 avril, il a déclaré : « Nous étions satisfaits des deux stations de radio
parce qu’elles nous ont informés de la façon dont les gens des quatre coins du pays se sont
mobilisés et ont collaboré avec nos forces armées, les forces armées de notre pays dans le but
d’arrêter l’ennemi »580.
540. Nahimana a déclaré avoir été invité à rencontrer le Président Sindikubwabo le 25 ou
le 26 mai 1994 à Gitarama. Le Président lui a demandé de l’accompagner au Sommet de
l’OUA à Tunis en juin, ce qu’il a fait 581 . Selon le témoin à charge Alison Des Forges,
Nahimana a été nommé conseiller politique du Président Sindikubwabo, ce que l’intéressé a
nié. Dans un hôtel de Tunis, Nahimana a signé le livre d’un reporter de l’Associated Press en
tant que « conseiller advisor » du Président. Contre-interrogé sur cet élément de preuve,
Nahimana a déclaré n’avoir utilisé ce titre que pour obtenir une audience auprès de
fonctionnaires français et a maintenu qu’il n’assumait pas en réalité cette fonction, au sens
administratif du terme 582 . Barayagwiza avait également accompagné le Président
Sindikubwabo au Sommet de l’OUA à Tunis583. Selon Des Forges, Barayagwiza était chargé
de répondre au seul téléphone qui reliait le Gouvernement rwandais à la communauté
internationale après le 6 avril 1994. Au cours de cette période, il s’est rendu en France, aux
États-Unis et ailleurs pour défendre le Gouvernement rwandais, accompagnant même le

578

Compte rendu de l’audience du 24 septembre 2002, p. 32 à 38.
Ibid., p. 95 à 97 et p. 154 à 156.
580
Pièce à conviction P105/2 B (K0149117-19) en anglais uniquement.
581
Compte rendu de l’audience du 24 septembre 2002, p. 62 à 64, 84 à 86 et 100 à 110.
582
Compte rendu de l’audience du 17 octobre 2002, p. 85 à 87.
583
Comptes rendus des audiences du 24 octobre 2000, p. 184 à 201, et du 1er novembre 2000, p. 117 à 119 ;
pièce à conviction P158B, p.67 (19475 bis).
579

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Ministre des affaires étrangères Bicamumpaka à une réunion du Conseil de sécurité des
Nations Unies sur le Rwanda584.
541. Dahinden a déclaré que vers le 11 avril 1994, il avait reçu un appel d’une personne
qui s’était présentée comme le responsable ou le directeur de la RTLM. Il n’a pas reconnu la
voix de cette personne qui n’a pas donné son nom, mais Dahinden a indiqué qu’il pensait
qu’il s’agissait de Phocas Habimana. Il a déclaré avoir eu l’impression que cette personne
avait pris l’initiative de l’appeler parce qu’elle voulait envoyer un message, à l’étranger, au
nom de la RTLM. Dahinden s’est rendu au Rwanda du 1er au 13 mai 1994 et a appris que
Nahimana s’était réfugié à l’ambassade de France et avait été évacué par les troupes
françaises à Bujumbura585. Dahinden est rentré de son voyage au Rwanda très préoccupé par
le rôle de la RTLM dans les massacres et a effectué le 25 mai 1994 une déclaration à la
Commission des droits de l’homme de l’ONU entièrement axée sur la RTLM. Dans sa
déclaration, Dahinden a mentionné Barayagwiza, qu’il a décrit comme un « responsable du
parti extrémiste de la CDR » et comme l’un des bailleurs de fonds initiaux de la RTLM, et a
décrit Nahimana comme « le père spirituel et la cheville ouvrière de la [RTLM] » ainsi que
comme « le principal idéologue de l’extrémisme hutu ». Il a demandé que tous les
présentateurs et les promoteurs de la RTLM soient poursuivis, mentionnant tout
particulièrement parmi ceux-ci Nahimana, Kabuga, Gahigi et d’autres, à l’exclusion de
Barayagwiza586.
542. Dahinden a déclaré avoir vu Nahimana deux fois, le 9 et le 15 juin, à Genève. Il avait
demandé un rendez-vous avec le Président du Gouvernement intérimaire et s’était vu
répondre que cela n’était pas possible et qu’il serait reçu par Nahimana. Ils se sont rencontrés
le 9 juin à l’hôtel Noga et il a demandé à Nahimana s’il était au courant de la déclaration qu’il
avait faite, le mentionnant, devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU.
Nahimana a répondu qu’il en avait connaissance et qu’il n’était pas responsable de la RTLM.
Ils n’ont pas parlé plus longuement de cette question. Lors du deuxième rendez-vous au
même hôtel le 15 juin, Nahimana était accompagné de Barayagwiza. Dahinden avait
demandé un rendez-vous avec le Président. Nahimana lui a dit que ce dernier était fatigué et
indisposé et a proposé de discuter de la situation au Rwanda. Ils ont parlé pendant environ
deux heures au cours desquelles Dahinden a demandé si la RTLM émettait toujours.
Nahimana et Barayagwiza lui ont répondu que la RTLM était sur le point d’être transférée de
Kigali à Gisenyi. Barayagwiza a déclaré, de manière joviale, que si Dahinden décidait de
créer une station de radio dans la région, ce qu’il espérait faire, cela ferait de la concurrence à
la RTLM587.
543. Selon le rapport du témoin à charge Des Forges, au début du mois de mai 1994,
Nahimana a été vu entrant au Ministère de la défense en compagnie de Phocas Habimana588.
Son rapport fait également état de ce que fin juin, un diplomate français, l’Ambassadeur
Yannick Gérard, a dit à Nahimana que les émissions de la RTLM étaient déplorables et
devaient cesser, particulièrement celles qui menaçaient le général Dallaire et la MINUAR.
584

Pièce à conviction P158B, p. 72 (19470 bis).
Comptes rendus des audiences du 24 octobre 2000, p. 120 à 124, et du 1er novembre 2000, p. 111 à 114.
586
Pièce à conviction P2A, PK0104484.
587
Compte rendu de l’audience du 24 octobre 2000, p. 182 à 197.
588
Pièce à conviction P158B, p. 67 (19475 bis).
585

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Nahimana a promis d’intervenir auprès des journalistes et Gérard a rapporté ultérieurement
que les attaques de la RTLM contre le général Dallaire et la MINUAR s’étaient alors
rapidement arrêtées. La source citée pour étayer cette information est une interview
téléphonique du 28 février 2000 de Jean-Christophe Belliard du Ministère français des
affaires étrangères, sur la base d’un télégramme diplomatique français dont il avait lu le
contenu. Des Forges a déclaré que Belliard accompagnait Gérard lorsqu’il avait rencontré
Nahimana589. À la barre, Nahimana a nié que des responsables français s’étaient entretenus
avec lui de la RTLM. Il a reconnu les avoir rencontrés mais a déclaré qu’ils n’avaient parlé
que de l’Opération Turquoise. Il a insisté sur le fait qu’il n’avait parlé de la RTLM avec
personne. Il a également nié être allé au Ministère de la défense avec Phocas Habimana,
déclarant qu’il n’avait pas vu ce dernier entre avril et juillet 1994, avant de revenir sur ses
propos et de mentionner une réunion qui avait eu lieu entre le 8 et le 10 juillet à Gisenyi. Il a
indiqué qu’ils s’étaient rencontrés à la banque et qu’ils avaient parlé un moment. Habimana
lui avait fait part des problèmes auxquels il faisait face pour la production des émissions et
Nahimana lui a demandé comment il pouvait encore émettre. Ils se sont ensuite séparés590.
544. Lors de différentes séances de l’Assemblée nationale française consacrée au Rwanda,
dont des extraits ont été versés aux débats, l’Opération Turquoise a été évoquée et il a été fait
mention de la rencontre entre Belliard et Nahimana. Dans le compte rendu de ces séances,
Nahimana apparaît trois fois en qualité de directeur de la RTLM591.
Crédibilité des témoins
545. Lors du contre-interrogatoire de Nsanzuwera, les conseils de Nahimana ont examiné
le cours de sa carrière au Rwanda et la Chambre prend acte des dires de Nsanzuwera à la
barre selon lesquels il avait été muté de Gisenyi à Kigali parce qu’il refusait de se conformer
à la demande du Ministère de classer certains dossiers impliquant des membres de la famille
du Président, bien qu’il ait été établi qu’il était un partisan et un admirateur de ce dernier. Il a
déclaré avoir demandé cette mutation parce que s’il avait fait ce qui lui avait été demandé, il
aurait perdu toute autorité à Gisenyi. Nsanzuwera a indiqué qu’il n’avait jamais voulu faire
une carrière politique et qu’il n’était intéressé par aucun parti. Il était fondateur et membre
actif de plusieurs associations de défense des droits de l’homme créées en 1990 qui
dénonçaient les abus du Gouvernement, particulièrement les atteintes portées par celui-ci à
l’indépendance de la justice. Contre-interrogé par le conseil de Barayagwiza, Nsanzuwera a
expliqué sa décision de quitter le Rwanda en mars 1995 à cause des ingérences du FPR dans
les affaires judiciaires et des difficultés liées aux milliers de personnes entassées dans les
prisons, dont beaucoup n’avaient pas été identifiées et mouraient du fait de leurs conditions
de détention extrêmes. Selon l’estimation de Nsanzuwera, 20 % des détenus étaient
innocents. Ses inquiétudes au sujet du sort de ces détenus sont révélatrices de son
engagement impartial en faveur de la justice592 . La Chambre estime que Françoix-Xavier
Nsanzuwera est un témoin crédible.
589

Ibid., P158B p. 67 à 69 (19475 bis à 19473 bis) ; compte rendu de l’audience du 23 mai 2002, p. 241 à 245.
Compte rendu de l’audience du 24 septembre 2002, p. 97 à 100 et 127 à 129.
591
Compte rendu de l’audience du 23 mai 2002, p. 242 à 253 ; pièce à conviction P154, p. 283, 284 et 288.
592
Comptes rendus des audiences du 24 avril 2001, p. 95 et 96, 120 et 121, du 25 avril 2001, p. 125 et 126 et
156 à 158, et du 2 mai 2001, p. 7 à 12.
590

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546. La Chambre tient la déposition de Philippe Dahinden pour crédible. Celle-ci n’a été
en aucune façon remise en question lors du long contre-interrogatoire auquel il a été soumis
concernant la logistique de ses déplacements et le lieu d’où il a vu les corps dériver le long de
la rivière. De même, les questions qui lui ont été posées au sujet de ce qu’il pensait des
relations entre les Rwandais et les Belges ou du sens de divers termes kinyarwanda ne
mettaient pas en cause la crédibilité de sa déposition. Journaliste étranger et sans parti pris,
Dahinden était présent au Rwanda et a eu directement accès aux individus-clés à différents
moments critiques. La Chambre tient également la déposition de Colette Braeckman pour
crédible. Journaliste étrangère, sans parti pris et dotée d’une longue expérience en Afrique
centrale, Braeckman a fait preuve d’une grande connaissance de la culture et de l’histoire
politique du Rwanda dans le cadre de sa déposition. On lui a opposé lors de son contreinterrogatoire un reportage publié dans la revue Dialogue relatif au séminaire du mois de
mars 1994 à propos duquel elle avait témoigné. La Défense a donné à entendre que les propos
tenus à la conférence par Gaspard Gahigi tels qu’ils avaient été rapportés dans cette
publication différaient de ce qu’elle en avait dit et qu’il n’y était nullement question de ceux
qu’avait tenus Nahimana lors du séminaire. L’explication fournie par Braeckman – la
publication n’avait repris que les interventions officielles et non pas les échanges informels
auxquels Nahimana avait participé et au cours desquels la discussion avait été plus vive – est
raisonnable. La Défense n’a pas réellement remis en question sa déposition que ce soit en
invoquant cette publication ou de toute autre manière. La Chambre estime également que le
témoin GO et Thomas Kamilindi sont crédibles, ainsi que cela est indiqué aux paragraphes
608 et 683 respectivement.
547. En ce qui concerne le témoin X, la Chambre retient que celui-ci a accepté de
témoigner à condition de recevoir une lettre lui garantissant effectivement l’immunité de
poursuites, qui lui a été remise peu de temps avant sa déposition. Il a soutenu que cette lettre
était importante pour sa crédibilité. La Chambre estime qu’il est plus probable qu’elle
constituait la contrepartie de son témoignage. Toutefois, la crédibilité de sa déposition n’est
pas en cause pour cette raison. Les conseils de la Défense ont donné à entendre qu’il avait été
rémunéré pour sa déposition, mais les éléments de preuve produits indiquent qu’il n’a été
payé que pour ses frais au cours de nombreuses années et qu’il a bénéficié de services de
protection de témoin. Le témoin X, dont la mère est tutsie, a déclaré à plusieurs reprises lors
de son contre-interrogatoire que, bien qu’il ait été comme ses amis membre des Interahamwe,
il n’avait participé à aucun massacre. Il a reconnu que ses amis avaient avoué avoir participé
à des massacres et qu’il avait accepté une caisse de bière provenant d’un pillage mais il n’a
cessé d’afficher une certaine ambivalence vis-à-vis de ses amis Interahamwe et a répété à
plusieurs reprises qu’il ne pouvait tout simplement pas rompre ses relations avec eux sans se
mettre en danger, voire sans éventuellement risquer sa vie à l’époque. Contre-interrogé, le
témoin X a été mis en présence de plusieurs contradictions relevées entre sa déposition et ses
déclarations antérieures. Il a pu en expliquer certaines, un grand nombre d’entre elles étant
par ailleurs relativement mineures. La Chambre a été satisfaite de ses explications et estime
que le témoin X est crédible d’une manière générale.
548. S’agissant de Georges Ruggiu, la Chambre relève que les conseils de la Défense ont
attiré l’attention sur un nombre impressionnant de contradictions entre ses déclarations
antérieures au procès et sa déposition. Ces contradictions sont remarquables à la fois par leur
importance et l’incapacité du témoin à les expliquer. Dans plusieurs cas, il existe bien plus de
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deux versions des mêmes faits. Les différences ne sont pas négligeables et ne relèvent pas,
selon la Chambre, de la catégorie des détails qui s’altèrent au fil du temps. La Chambre
retient par exemple qu’en avril 1999, Ruggiu a déclaré qu’il avait rencontré le colonel
Bagosora pour la première fois en détention au quartier pénitentiaire des Nations Unies et
qu’il ne l’avait jamais vu auparavant. Cependant, à peine six mois plus tard, dans une
déclaration faite en novembre 1999, il a indiqué l’avoir rencontré plusieurs fois entre avril et
juillet 1994 à l’hôtel des Diplomates, afin de lui demander de l’aide pour obtenir une chambre
et il a fait état de réunions entre Bagosora, Dallaire et des responsables des Interahamwe,
auxquelles il était présent. Contre-interrogé, Ruggiu a soutenu que sa déclaration du mois
d’avril 1999 n’était pas un mensonge mais plutôt une erreur involontaire, faisant remarquer
que Bagosora n’était pas quelqu’un qu’il rencontrait fréquemment593. La nature de la relation
décrite avec une personnalité telle que le colonel Bagosora conduit la Chambre à mettre en
doute la véracité de l’affirmation de Ruggiu selon laquelle sa déclaration du mois d’avril
1999 avait été faite de bonne foi.
549. La Chambre relève en outre que Ruggiu a reconnu à la barre avoir menti plusieurs
fois dans les déclarations qu’il a faites avant le procès et qu’il a modifié son récit de
différents faits de manière radicale et fondamentale. En de telles circonstances, la Chambre
ne peut différencier sur la base de sa déposition ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas – s’il dit
à présent la vérité lorsqu’il déclare qu’il avait antérieurement menti ou s’il disait avant la
vérité et ment à présent. À l’audience, Ruggiu n’a pas fait preuve de franchise dans sa
manière de répondre et n’a pas fait beaucoup d’effort pour expliquer ou concilier les
nombreuses contradictions qui lui ont été signalées pendant son contre-interrogatoire. La
Chambre constate que la Défense et le Procureur citent tous les deux différentes parties de la
déposition de Ruggiu au soutien de leurs thèses respectives. La Chambre n’est pas disposée à
faire un tel usage sélectif de son témoignage. Ruggiu étant complice des crimes reprochés
aux accusés, la Chambre doit examiner sa déposition avec une prudence accrue, à la lumière
des motifs qu’il aurait pu avoir de mentir, ainsi que l’a dit la Défense au sujet de l’accord de
reconnaissance de culpabilité conclu entre le Procureur et Ruggiu. Pour ces raisons, la
Chambre rejette intégralement sa déposition.
550. En ce qui concerne Valérie Bemeriki, la Chambre a pris en compte le fait qu’elle a
elle-même admis que de nombreuses choses qu’elle avait dites en 1999 aux enquêteurs du
TPIR étaient fausses. La Chambre a également pris en compte la déclaration qu’elle a faite en
1999 à ces enquêteurs en leur disant que quand bien même un grand nombre des déclarations
qu’elle avait faites antérieurement au Gouvernement rwandais étaient fausses, elle disait cette
fois-ci toute la vérité au TPIR. Il s’agissait manifestement d’un mensonge qui ressemble à ce
qu’elle a déclaré lors de sa déposition devant la Chambre, à savoir qu’elle disait désormais
toute la vérité. Les mensonges en question concernent des points d’une importance essentielle
en l’espèce. Ils ne se rapportent pas seulement à des détails mais à la question de savoir si des
Tutsis ont été délibérément visés à des fins d’extermination et, dans l’affirmative, quel a été
le rôle de la RTLM. Comparée à ses précédentes déclarations, sa déposition actuelle constitue
une volte-face qui sert la défense de Nahimana. Compte tenu du fait qu’elle a explicitement
menti aux enquêteurs du TPIR à propos de son intention de dire la vérité, en leur déclarant en

593

Comptes rendus des audiences du 1er mars 2002, p. 53 à 65, et du 4 mars 2002, p. 37 à 47.

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1999 qu’elle leur disait toute la vérité, alors qu’elle dit à présent qu’elle mentait, la Chambre
estime que tout ce que Bemeriki déclare comme étant vrai est par nature sujet à caution.
551. La Chambre reconnaît que les accusations pesant contre Bemeriki, passibles de la
peine de mort, limitent la mesure dans laquelle elle peut répondre aux questions qui lui sont
posées. Toutefois, les réponses fournies au cours de son contre-interrogatoire laissaient
transparaître quelque chose de plus que la limite susmentionnée. Elle a déclaré à plusieurs
reprises en réponse à des questions précises qu’elle ne connaissait pas la réponse alors qu’elle
aurait manifestement dû la connaître. Son assertion, par exemple, selon laquelle il existe de
nombreuses personnes dénommées Juvénal Habyarimana au Rwanda, sans pour autant
reconnaître que l’une d’entre elles était le Président de la République, témoigne de son
absence de volonté de dire toute la vérité. En revanche, Bemeriki s’est empêtrée dans ses
réponses, souvent en répondant à la même question, affirmant par exemple qu’elle se
souvenait bien d’avoir déclaré que Kangura était une publication extrémiste avant de
prétendre peu de temps après ne pas se rappeler avoir fait une telle déclaration. Bemeriki a
démontré, dans le cadre de sa déposition, qu’elle croyait qu’en reconnaissant le caractère
mensonger de ses déclarations précédentes elle se rachèterait automatiquement une certaine
crédibilité. À la barre, elle a menti à plusieurs reprises, niant bon nombre de ses déclarations,
y compris celles faites au cours de sa propre émission, jusqu’à ce qu’elles lui soient
produites. Evasive au point d’être mal à l’aise, sa voix atteignant souvent le ton fiévreux de
ses émissions qui ont été écoutées dans la salle d’audience, le témoin a fait une impression
déplorable à la Chambre. Pour ces raisons, la Chambre rejette intégralement la déposition de
Bemeriki.
Examen des preuves relatives au contrôle de la RTLM avant le 6 avril 1994
552. La Chambre relève que les preuves produites au sujet de la création de la RTLM, de
ses premières réunions, de ses actionnaires, de sa structure organisationnelle et hiérarchique
sont en grande partie compatibles et concordent avec les documents produits. Elles
concordent avec un grand nombre des éléments produits par Nahimana à ce sujet. Il n’est pas
contesté que Nahimana et Barayagwiza étaient membres du Comité d’initiative constitué en
vue de créer la RTLM, que cet organe a été autorisé par l’assemblée constituante de la RTLM
à continuer son travail et que les mêmes responsabilités que celles d’un conseil
d’administration lui ont été ultérieurement déléguées par la première assemblée générale des
actionnaires. Nahimana lui-même qualifie ce comité de conseil d’administration provisoire.
De même, il n’est pas contesté que trois membres du Comité d’initiative, Kabuga, Nahimana
et Barayagwiza, ont été autorisés à signer des chèques au nom de la société, que Nahimana a
présidé la commission de la technique et des programmes et que Barayagwiza a présidé la
commission juridique, celles-ci constituant deux des quatre commissions créées par le Comité
d’initiative afin de faire avancer ce projet.
553. Ce qui est contesté, au cours de la période antérieure au 6 avril 1994, c’est l’étendue
du pouvoir et de la responsabilité découlant des structures mises en place. C’est aussi le cas
du rôle exact de Nahimana, et plus précisément la question de savoir s’il était ou non le
directeur de la RTLM. Phocas Habimana a manifestement joué un rôle dans la direction de la
RTLM, au dire de tous. Les dépositions des témoins à charge X et Kamilindi corroborent les
déclarations de Nahimana concernant Phocas Habimana. Le témoin X l’a décrit comme étant
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le coordinateur de la station de radio, qui a pris la parole et a joué un rôle de direction lors de
la première assemblée générale des actionnaires à l’hôtel Amahoro. Dans la suite de sa
déposition, le témoin X a qualifié Phocas Habimana de directeur de la RTLM. Lors de sa
déposition, Kamilindi l’a traité à plusieurs reprises de directeur de la RTLM. Toutefois,
malgré la présence de Phocas Habimana, un certain nombre de témoins à charge, notamment
le témoin GO, François-Xavier Nsanzuwera, Philippe Dahinden et Colette Braeckman, ont
affirmé que Nahimana était le directeur de la RTLM, qu’il était désigné comme tel et qu’il se
désignait lui-même comme tel. Les services de renseignement belges et l’Assemblée
nationale française l’ont également identifié comme tel.
554. Compte tenu du fait qu’aucun directeur général de la RTLM n’a été officiellement
nommé, ainsi que cela ressort de ses documents constitutifs, lesquels prévoyaient la
délégation d’un pouvoir général de direction, la Chambre estime que la question du titre est
quelque peu artificielle. Nahimana et Barayagwiza apparaissent à l’examen des preuves
comme étant les deux membres du Comité d’initiative les plus actifs. C’est le nom de
Nahimana qui figure dans une circulaire du mois de mai 1993 comme étant l’unique personne
à contacter au Rwanda pour obtenir des informations complémentaires sur la RTLM. C’est
Barayagwiza, dont il est dit qu’il a mis sur pied la RTLM et a continué à présider à sa
destinée, qui a rencontré des actionnaires en Belgique en septembre 1993 afin de les mettre
au courant des dernières informations relatives à la RTLM. Lors de sa rencontre avec
Dahinden, Gaspard Gahigi a mentionné Nahimana comme étant « le grand ténor » et
Barayagwiza comme étant « le numéro deux ». Kamilindi a décrit Nahimana et Barayagwiza
comme étant tous deux « les véritables idéologues de la RTLM », a appelé plusieurs fois
Nahimana « le cerveau de l’opération » et a déclaré que cela faisait de lui « le patron qui
donnait des ordres ». Même Strizek, le témoin expert de Nahimana, l’a décrit dans son livre
comme étant l’ « idéologue principal de la RTLM ». En tant que membres du conseil
d’administration, Nahimana et Barayagwiza dirigeaient tous les deux la RTLM et, comme
c’est souvent le cas s’agissant des membres fondateurs du conseil d’administration au cours
des phases initiales de constitution d’une société, ont tous les deux ainsi joué un rôle très
actif, exerçant les fonctions de surveillance et d’administration généralement dévolues au
président directeur général.
555. Bien qu’il ait déclaré que l’idée de la RTLM lui avait été suggérée par deux anciens
collègues, Nahimana a reconnu qu’il était le fondateur de la RTLM et s’est lui-même
identifié comme tel, par exemple, lors de l’émission de Radio Rwanda du 25 avril 1994.
Selon ses propres dires, c’est lui qui a décidé que la première priorité de la RTLM SA serait
la création de la station de radio et qui l’a soumise au Comité d’initiative, lequel l’a
approuvée. Selon lui, le Comité d’initiative a approuvé le recrutement non seulement de
Gaspard Gahigi et de Phocas Habimana, mais aussi de Kantano Habimana et de Noël
Hitimana. Toujours selon ses dires, même après le recrutement de Phocas Habimana,
Nahimana et Barayagwiza ont continué à signer des chèques, à effectuer des dépôts ainsi que
d’autres opérations financières au nom de la société.
556. Nahimana a affirmé qu’il n’avait joué aucun rôle dans la programmation de la RTLM
et que même en tant que président de la commission de la technique et des programmes, son
travail relevait plus de l’administration que de la programmation. Cependant, la Chambre
relève que le document versé aux débats, qui décrit les différentes commissions et leurs
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attributions respectives, indique, parmi les responsabilités de la commission de la technique
et des programmes, l’examen et l’amélioration de la politique des programmes de la RTLM,
et précise que le rédacteur en chef participe aux activités de cette commission. Aucune autre
des quatre commissions travaillant sous l’autorité du Comité d’initiative n’avait de
responsabilité touchant à la programmation de la RTLM. La Chambre estime qu’il est
raisonnable dans ces circonstances d’en conclure que cette commission, présidée par
Nahimana, disposait du pouvoir, qui lui avait été délégué par le conseil d’administration ou la
structure en tenant lieu, de superviser la programmation de la RTLM.
557. La Chambre retient la déposition du témoin à charge Nsanzuwera qui a déclaré que
Kantano Habimana lui avait dit que Nahimana lui avait donné un télégramme à lire qui
accusait Nkubito de comploter contre le Président et que Nahimana écrivait des éditoriaux lus
par les journalistes de la RTLM. Sur la base de cette conversation, Nsanzuwera a rapporté à
Nkubito que Nahimana était derrière la RTLM, ce qui a poussé Nkubito à abandonner la
plainte qu’il avait déposée, par peur du pouvoir de Nahimana. Bien qu’elle ne mentionne pas
nommément Nahimana, l’émission de la RTLM du 30 mars 1994 animée par Kantano
Habimana et Noël Hitimana confirme en substance les informations dont Nsanzuwera
prétend avoir été le destinataire, c’est-à-dire qu’il devrait poursuivre le directeur de la RTLM
plutôt que ses journalistes. L’incapacité du témoin à se souvenir précisément si Hitimana
s’était rendu au bureau du Procureur à une date ultérieure plutôt qu’avec Habimana se
comprend si l’on tient compte du fait que Nsanzuwera n’avait parlé dans son bureau qu’avec
ce dernier, alors qu’il pensait qu’ils avaient été tous les deux interrogés par un substitut du
procureur.
558. Nahimana a affirmé n’être jamais intervenu pour influencer la politique éditoriale de
la RTLM. Or, selon sa propre déposition, le Comité d’initiative a convoqué Kantano
Habimana et Noël Hitimana, ainsi que Gaspard Gahigi et Phocas Habimana, pour discuter
d’une émission de la RTLM qui le préoccupait. Nahimana a clairement déclaré lors de sa
déposition que le Comité d’initiative interdisait ce type d’émission et avait ordonné à
Habimana et à Gahigi de prendre des mesures correctives. Lors de réunions avec le Ministre
de l’information, Nahimana et Barayagwiza ont joué un rôle similaire, en défendant la
programmation de la RTLM et en s’engageant à corriger les erreurs que les journalistes
avaient commises. Lors de son contre-interrogatoire, Nahimana a mentionné cet engagement
lorsqu’on lui a donné à entendre que ces incidents démontraient son contrôle de la
programmation. Sa réponse, selon laquelle le Comité d’initiative n’était pas intervenu
directement auprès des journalistes mais plutôt par l’intermédiaire de la direction de la
RTLM, ne nie pas l’existence de ce contrôle. Elle fait simplement passer son expression par
l’intermédiaire de la hiérarchie. Structurellement, le Comité d’initiative était celui qui, en
définitive, était responsable de la société et qui, ainsi que le démontrent ces exemples,
contrôlait en dernier ressort ses activités, y compris la programmation.
559. La Chambre n’attache aucune importance à la distinction opérée par Nahimana entre
la société RTLM SA et la station de radio RTLM. La radio était intégralement détenue et
contrôlée par la société d’un point de vue structurel. Confronté à la déclaration publique qu’il
avait faite en 1992 sur la responsabilité du propriétaire d’un média au titre de la politique
diffusée par ce média, Nahimana n’a pas nié cette responsabilité. Il a déclaré que lorsque le
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conseil de la RTLM avait eu connaissance d’émissions violant les principes acceptés de
l’audiovisuel, ils avaient réagi et fait part de leurs préoccupations à la direction.
560. En ce qui concerne les actionnaires, Nahimana reconnaît que la grande majorité
d’entre eux étaient membres du MRND et que la RTLM avait été créée en partie pour
diffuser l’idéologie de celui-ci. La Chambre relève que même si quelques-uns seulement des
membres fondateurs étaient membres de la CDR, ils étaient des hauts responsables de celle-ci
et disposaient d’un pouvoir important à la RTLM. Barayagwiza, le « numéro deux » de la
RTLM, occupait une position similaire dans la CDR. Stanislas Simbizi, identifié comme un
membre du comité central de la CDR, a rejoint le Comité d’initiative de la RTLM lorsque
celui-ci a été élargi à la suite de la première assemblée générale des actionnaires.
Appréciation des éléments de preuve relatifs au contrôle de la RTLM après le 6 avril 1994
561. La Chambre relève que la structure organisationnelle et hiérarchique de la RTLM n’a
pas changé après le 6 avril 1994. Il n’est pas contesté que la RTLM a continué à fonctionner
avec le même personnel interne, y compris Phocas Habimana. À la barre, Nahimana a luimême mentionné à l’occasion de sa visite à la RTLM du 8 avril qu’il était membre du Comité
d’initiative, révélant son propre sentiment de responsabilité vis-à-vis de la RTLM. Bien qu’il
n’existe aucun élément indiquant que le Comité d’initiative s’est réuni, il n’existe non plus
aucune preuve de sa dissolution. De l’avis de la Chambre, dans la mesure où la RTLM a
continué à fonctionner, le Comité d’initiative, en tant qu’organe statutaire, a continué à
détenir de jure le pouvoir de diriger les activités de celle-ci.
562. Aucun élément n’a été produit quant à ce qui est arrivé à Félicien Kabuga après le
6 avril 1994 ni quant à l’endroit où il pouvait se trouver. En sa qualité de président de la
RTLM et de son Comité d’initiative, il détenait probablement le pouvoir de principe de réunir
ce comité. Ni les actionnaires, ni le Comité d’initiative ne semblent avoir adopté un
règlement intérieur visant à définir et à régir le rôle des membres du conseil ou de ce comité.
Toutefois, de l’avis de la Chambre, en tant que membres les plus actifs de cet organe de
direction, Nahimana et Barayagwiza, que Gahigi appelait le « grand ténor » et le « numéro
deux », auraient pu agir au nom du Comité d’initiative dans le cadre des attributions qui
étaient juridiquement les leurs. En sa qualité de président de la commission chargée des
programmes, Nahimana avait une obligation particulière d’agir, de même que Barayagwiza
en sa qualité de président de la commission juridique.
563. Aucun élément ne permet d’établir que Barayagwiza a fait le moindre effort pour
prendre des mesures concernant les émissions de la RTLM après le 6 avril 1994. Il est prouvé
que Nahimana, à la demande de fonctionnaires français, a effectivement pris des mesures
concernant des émissions de la RTLM fin juin ou début juillet et que son intervention à mis
un terme aux attaques dirigées par la RTLM contre le général Dallaire et la MINUAR. Début
mai, selon le rapport du témoin expert à charge Des Forges, Nahimana a été vu entrant au
Ministère de la défense accompagné de Phocas Habimana. La Chambre relève que le
témoignage de Des Forges n’est pas de première main. Comme aucune source n’est citée et
que, par conséquent, l’on ne sait pas qui a vu Nahimana et Habimana et comment cette
information a été transmise à Des Forges, la Chambre n’en tiendra pas compte vu les
dénégations de Nahimana. En revanche, Des Forges précise que sa source d’information
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concernant les relations de Nahimana avec le Gouvernement français est un diplomate qui
était lui-même présent lors de rencontres entre Nahimana et l’Ambassadeur de France
Yannick Gérard, et qui avait gardé trace de ces relations sous la forme d’un télégramme
diplomatique. La Chambre considère que cet élément d’information est fiable.
564. Nahimana a déclaré que lorsqu’il a rencontré Phocas Habimana en juillet à Gisenyi, il
lui avait demandé comment il pouvait faire ce qu’il faisait à la RTLM. Selon la déposition de
Nahimana, des gens ont fait main basse sur la RTLM et l’ont transformée en un « outil de
tueries ». Cette déposition contraste fortement avec les autres éléments de preuve relatifs à ce
que Nahimana avait déclaré à l’époque. Aucun témoin, mis à part Nahimana lui-même, n’a
déclaré que ce dernier était préoccupé par les émissions de la RTLM entre avril et juillet 1994
ou avait exprimé de telles préoccupations. Le 25 avril 1994, lors d’une émission publique de
Radio Rwanda, Nahimana a déclaré être l’un des fondateurs de la RTLM et être content que
celle-ci ait joué un rôle-clé dans l’éveil des gens. Il a indiqué qu’il avait écouté la radio. Il
était manifestement conscient des inquiétudes des autres, dans la mesure où il a rapporté les
propos de l’ancien Ambassadeur du Burundi qui avait relayé ces inquiétudes. La Chambre
relève que les émissions de la RTLM étaient particulièrement véhémentes au cours des
semaines suivant immédiatement le 6 avril et que Nahimana a fait état dans l’émission
d’informations diffusées à la radio décrivant la population comme ayant « travaillé » avec les
forces armées, le verbe « travailler » étant un euphémisme utilisé par la radio pour signifier
« tuer ». En juin, lorsqu’il a rencontré Dahinden à Genève pour la première fois, Nahimana a
indiqué qu’il avait connaissance de la déclaration de celui-ci aux Nations Unies le
mentionnant. Il a déclaré qu’il ne contrôlait pas la RTLM. Il n’a pas indiqué à Dahinden qu’il
avait essayé de mettre un terme aux émissions. En fait, il ne les a même pas condamnées.
Lors de la deuxième rencontre, Nahimana et Barayagwiza ont dit à Dahinden que la RTLM
était sur le point d’être transférée à Gisenyi, indiquant ainsi qu’ils étaient en contact avec la
RTLM et qu’ils connaissaient ses projets futurs. De nouveau, aucune préoccupation n’a,
semble-t-il, été exprimée et Dahinden s’est en fait rappelé que Barayagwiza lui avait dit de
manière joviale que la station de radio qu’il voulait créer ferait de la concurrence à la RTLM.
Cette remarque suggère que Barayagwiza s’identifiait à la RTLM plutôt qu’il ne s’en
dissociait.
565. Nahimana laisse entendre dans sa déposition qu’il était impuissant et craignait le
danger que représentait la RTLM. Cette affirmation contraste fortement avec les éléments de
preuve relatifs au rôle que Nahimana jouait à l’époque au Rwanda. Il était conseillé politique
du Président. D’une manière qui rappelle son opposition à la qualité de directeur de la
RTLM, Nahimana a contesté ce titre en disant qu’il ne correspondait à aucune réalité.
Nahimana a manifestement utilisé ce titre et joué un rôle important au sein du Gouvernement,
de même que Barayagwiza. Ils se sont tous les deux rendus à Tunis en compagnie du
Président à l’occasion d’une réunion de l’OUA. La Chambre relève que Nahimana et
Barayagwiza occupaient tous les deux des postes d’influence. Ils avaient autorité de jure sur
la RTLM, mais rien n’indique qu’ils ont pris l’initiative d’exercer cette autorité. Nahimana
prétend que des gens avaient fait main basse sur la RTLM et qu’il ne disposait pas de facto du
pouvoir de mettre un terme aux émissions. Toutefois, la seule fois où il est bien intervenu, il a
effectivement empêché la RTLM de diffuser des attaques contre Dallaire et la MINUAR, ce
qui semble indiquer que Nahimana disposait de facto du pouvoir de mettre un terme aux
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émissions mais qu’il ne l’a exercé qu’une fois. Barayagwiza se trouvait dans une situation
similaire mais rien n’indique qu’il soit jamais intervenu afin d’arrêter la RTLM.
Conclusions factuelles
566. La Chambre conclut que la RTLM appartenait dans une large mesure à des militants
du MRND, Juvénal Habyarimana, le Président de la République étant le plus gros
actionnaire, et à un certain nombre d’actionnaires importants venant des Forces armées
rwandaises. La direction de la CDR était représentée aux échelons supérieurs de la RTLM par
Barayagwiza, membre fondateur siégeant au Comité d’initiative, et par Stanislas Simbizi qui
a ultérieurement rejoint ce comité.
567. La Chambre conclut que Nahimana et Barayagwiza, par leurs rôles respectifs au sein
du Comité d’initiative de la RTLM, qui fonctionnait comme un conseil d’administration, ont
effectivement contrôlé la direction de la RTLM à compter de sa création jusqu’au 6 avril
1994. Nahimana était le fondateur et le directeur de la société et Barayagwiza était son
second, et tous deux étaient considérés comme tels. Nahimana et Barayagwiza ont représenté
la RTLM à l’extérieur à titre officiel. En interne, ils avaient la haute main sur les opérations
financières de la société et supervisaient l’ensemble des activités de la RTLM, prenant des
mesures correctrices lorsqu’ils l’estimaient nécessaire. Nahimana a également joué un rôle
actif dans la détermination du contenu des émissions de la RTLM, rédigeant des éditoriaux et
donnant aux journalistes des textes à lire.
568. La Chambre conclut qu’après le 6 avril 1994, Nahimana et Barayagwiza ont continué
à exercer une autorité de jure sur la RTLM. Ils n’ont exprimé aucune préoccupation au sujet
des émissions de celle-ci, alors qu’ils étaient au courant de l’existence de telles
préoccupations, exprimées par d’autres. Nahimana est intervenu fin juin ou début juillet 1994
pour mettre un terme à la diffusion d’attaques dirigées contre le général Dallaire et la
MINUAR. Le succès de son intervention est révélateur du contrôle de facto dont il disposait
mais qu’il n’a pas exercé après le 6 avril 1994.
4.3

Connaissance des infractions

Accord entre la RTLM et le Ministère de l’information
569. Le 30 septembre 1993, une convention d’établissement et d’exploitation de
radiodiffusion ou de télévision conclue entre le Gouvernement rwandais et la RTLM a été
signée par Faustin Rucogoza, le Ministre de l’information, et Félicien Kabuga, le président de
la RTLM. À l’alinéa 2 de l’article 5 de celle-ci, la RTLM s’engageait à « ne pas diffuser les
émissions de nature à inciter à la haine, à la violence et à toute forme de division 594 ».
L’article 6 de la convention prévoyait ce qui suit : « Le diffuseur s’interdit de faire une
publicité mensongère, fallacieuse, celle qui présente un caractère de concurrence déloyale,
qui exploite la crédulité des incapables ainsi qu’une publicité subliminale595 ».

594
595

Pièce à conviction P30C.
Pièce à conviction P30C, p. 2.

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570. Le témoin à charge GO, Hutu de son état, était fonctionnaire au Ministère de
l’information en 1993 et 1994. Son travail consistait à surveiller les médias indépendants de
la presse écrite et de la radio. La RTLM était à l’époque la seule radio privée et le témoin GO
devait, au titre de ses diverses responsabilités, s’assurer du respect de la convention qui avait
été conclue entre le Gouvernement rwandais et la RTLM. À cette fin, il fournissait
régulièrement au Ministre de l’information des rapports sur les émissions de la RTLM. Il a
déclaré que son travail consistait également à s’assurer que rien n’était diffusé dans les
médias à l’encontre des Accords d’Arusha, ceux-ci ayant été signés et intégrés à la
Constitution rwandaise. À un certain stade, la situation s’est détériorée et il a été considéré
que la RTLM provoquait les Rwandais, ce qui a conduit le Ministre à ordonner au témoin de
concentrer tous ses efforts sur la RTLM et d’écouter ses émissions tous les jours. Le témoin
GO a déclaré qu’il avait également enregistré les émissions pour prouver que la RTLM ne
respectait pas la convention596.
La lettre du 25 octobre 1993
571. Le 25 octobre 1993, le Ministre de l’information, Faustin Rucogoza, a adressé une
lettre au président du Comité d’initiative de la RTLM, dans laquelle il constatait que cette
dernière avait pris prétexte du putch perpétré au Burundi le 21 octobre « pour diffuser des
communiqués et des émissions qui peuvent inciter à la violence et saper la voie de l’unité et
de la réconciliation nationales prônée par les Accords de paix d’Arusha ». Cette lettre
mentionnait que ce comportement violait la convention d’établissement et d’exploitation
entre la RTLM et le Gouvernement rwandais, en particulier l’alinéa 2 de l’article 5. La lettre
concluait en ces termes :
De ce fait, la présente constitue une mise en demeure car vous êtes sans ignorer que
même si le droit à l’information est un principe largement reconnu par la législation
nationale et concrétisé par la politique nationale en matière d’information, il est du
devoir de l’exploitant d’un organe de presse de se laisser guider par les principes
déontologiques de responsabilité, d’honnêteté, d’objectivité, d’intégrité et de vérité.
Il faudrait par conséquent avoir à l’esprit que la reconnaissance effective et concrète
du droit à l’information connaît certaines limitations édictées par l’intérêt commun. Il
s’agit entre autres limitations du Secret d’Etat, de l’Unité Nationale et de l’Ordre
Public.
Dès lors il vous est demandé de mesurer les conséquences possibles des émissions
diffusées sur les antennes de votre station597.

572. Le témoin GO a déclaré qu’il travaillait pour le Ministère de l’information lorsque
cette lettre a été envoyée. Le Ministre l’a informé qu’il avait envoyé la lettre qui était revêtue
de la mention « Confidentiel ». Le témoin GO a déclaré qu’à l’époque la RTLM avait
largement commenté les événements du Burundi, ainsi que les massacres dans les préfectures
de Kirambo et de Ruhengeri, d’une manière qui montrait clairement que la radio cherchait à
596

Compte rendu de l’audience du 5 avril 2001, p. 95 à 99.
Pièce à conviction P27, K0013950, voir compte rendu de l’audience du 5 avril 2001, p. 110, où une
correction a été apportée à la traduction en anglais.

597

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encourager les divisions ethniques. Il s’est souvenu d’avoir entendu Noël Hitimana déclarer à
l’antenne de la RTLM que le FPR avait tué des gens à Kirambo et à Ruhengeri, donnant à
entendre que ce qui se passait au Burundi allait également se dérouler au Rwanda et appelant
les Hutus à être vigilants. Le témoin GO a déclaré que la RTLM diffusait des programmes sur
le Burundi tous les jours et établissait des parallèles. Il a indiqué qu’il avait été rapporté
qu’un Tutsi du Burundi avait tué le Président hutu et avait ensuite mutilé son corps, traitant le
meurtrier de Barayambwa, ce qui signifie littéralement « mangeur de chiens »598.
La réunion du 26 novembre 1993
573. Le 26 novembre 1993, le Ministre de l’information a tenu une réunion avec la RTLM.
Le témoin GO a déclaré qu’il avait été informé de cette réunion la veille et qu’il lui avait été
dit que le président et les directeurs de la RTLM viendraient expliquer pourquoi ils avaient
continué à ignorer la convention conclue avec le Gouvernement rwandais. Le témoin GO a
participé à la réunion. Il a indiqué que Félicien Kabuga, Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco
Barayagwiza avaient représenté la RTLM à la réunion et que Kabuga avait présenté
Nahimana comme étant le directeur de la RTLM et Barayagwiza comme un membre
fondateur. Le Ministère était représenté par le Ministre Faustin Rucogoza, le directeur de
cabinet Eugène Ndahayo, le directeur général Pie Nzeyimana, le directeur de la presse privée
Jean-Pierre Kagubari et Jenette Mukasafari, une conseillère politique du Ministre, ainsi que
par le témoin GO. Le Ministre a pris la parole le premier lors de la réunion, qui a duré de
9 heures du matin jusque dans l’après-midi. Il a déclaré que la RTLM semait la discorde par
ses programmes et leur a demandé d’arrêter de provoquer le FPR dans la mesure où cela
pouvait entraîner la reprise de la guerre. Kabuga a répondu que la RTLM ne faisait que dire la
vérité et décrire la situation telle qu’elle était et qu’elle continuerait à le faire. En réaction à
un commentaire du Ministre selon lequel la RTLM se concentrait trop sur l’appartenance
ethnique qui ne devrait pas être présentée comme le seul problème existant dans le pays,
Kabuga a répondu que le problème existait et qu’il fallait en parler. Il a déclaré qu’ils ne se
tairaient pas alors que les gens utilisaient l’appartenance ethnique pour en mépriser d’autres.
Le Ministre a dit qu’il fallait tenir compte des conséquences et Kabuga a déclaré que certains
journalistes avaient pu faire des erreurs, auquel cas ils changeraient de comportement. Au
cours de la réunion, il a été demandé au témoin GO d’aller chercher des enregistrements des
émissions de la RTLM qui ont ensuite été écoutés. Il a déclaré qu’ils corroboraient la position
du Ministre et que les dirigeants de la RTLM avaient alors reconnu que les journalistes
étaient fautifs599.
574. Selon le témoin GO, Nahimana a pris la parole lors de la réunion, affirmant lui aussi
que les questions d’appartenance ethnique existaient et devaient être débattues. Il a accusé le
Ministre d’utiliser leurs accords pour museler la presse indépendante et a déclaré qu’il avait
l’impression que le Ministre était tombé dans le piège de l’ennemi, avertissant que les Tutsis
étaient très intelligents et que les Hutus devaient être vigilants. Le témoin GO a déclaré que le
message transmis était que les Hutus ne devaient pas s’opposer à ceux qui défendaient les
intérêts de la majorité bien que Nahimana ait effectivement reconnu que certains journalistes
avaient pu faire des erreurs et qu’il ait déclaré qu’il allait leur dire de modifier leur
598
599

Compte rendu de l’audience du 5 avril 2001, p. 100 à 133.
Ibid., p. 133 à 151.

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comportement. Le témoin a dit que Barayagwiza avait également pris la parole lors de la
réunion et fait des remarques similaires mais qu’à la différence de Nahimana qui leur avait
fait la leçon comme s’ils étaient des étudiants, il avait été surpris de la divergence d’opinion
et il argumentait comme si le Ministre s’était égaré du droit chemin et devait être remis sur
celui-ci pour défendre la majorité de la population, qui, cela allait de soit, était les Hutus. Le
témoin GO s’est souvenu que Pie Nzeyimana du Ministère avait évoqué l’exemple de la
diffusion de l’information de la mort du père d’un enfant, distinguant cela de la diffusion de
l’information selon laquelle le père d’un enfant allait mourir le lendemain, ce qui selon lui
soulèverait des problèmes si cela se réalisait. Le témoin GO a déclaré que cet exemple était
censé faire allusion à la diffusion de l’information d’une attaque du FPR qui avait été suivie
de l’extermination de Tutsis. Le témoin GO a déclaré que la réunion s’était terminée sur un
consensus et par la décision de se réunir régulièrement pour discuter des problèmes éventuels
et les résoudre. Il a décrit l’ambiance comme étant « positive » et a déclaré qu’il avait
l’impression que la RTLM allait changer600.
575. Le témoin GO a exercé la fonction de secrétaire de cette réunion et a reçu pour
instruction du Ministre de prendre des notes. À l’issue de la réunion il a rédigé un compte
rendu pour le Ministre, ayant reçu pour consigne d’omettre les propos choquants qui avaient
été tenus lors de la réunion, par exemple le fait que les représentants du Ministère avaient été
traités de complices, de manière à être constructif et à trouver un moyen d’aider la RTLM à
changer son comportement, sans faire état des conflits. Le témoin GO a identifié un texte
manuscrit en date du 26 novembre 1993 comme étant le premier projet de son compte rendu,
un document dactylographié portant le même titre et accompagné d’une mention manuscrite
comme étant son deuxième projet, et un document dactylographié portant la même date et le
même titre, sans mention manuscrite, comme constituant son compte rendu final 601 . Le
témoin a mentionné que Nahimana avait demandé, ce qui figure également dans le compte
rendu, que toutes les parties approuvent la teneur du compte rendu. Après avoir lu le projet
dactylographié, le Ministre a donc demandé d’ajouter des lignes de signatures pour lui-même
ainsi que pour un représentant de la RTLM. Le témoin GO a déclaré que le compte rendu
final avait été envoyé à la RTLM pour signature. Le projet et le compte rendu final
dactylographiés mentionnent tous les deux Nahimana comme « directeur de la RTLM » et
Barayagwiza comme « membre fondateur de la RTLM ». Les deux accusés figurent
également en ces qualités sur la dernière page non numérotée du projet de compte rendu
dactylographié. Le compte rendu est signé par le témoin GO mais ni par le Ministre de
l’information, ni par le président de la RTLM. Le témoin a expliqué qu’il n’était pas signé
parce qu’il devait d’abord être approuvé par la RTLM602.
576. Le compte rendu de la réunion rédigé par le témoin GO mentionne le mot d’ouverture
du Ministre qui a évoqué la lettre qu’il avait écrite à la RTLM et les préoccupations que lui
causait la violation par cette dernière de l’alinéa 2 de l’article 5 de la convention qu’elle avait
conclue avec le Gouvernement. Il y est indiqué que Kabuga a pris la parole ensuite, il a
reconnu que certaines erreurs avaient été commises par des journalistes, mais a déclaré
qu’aucune violation de la convention n’avait été intentionnelle. Il a nié que la programmation
600

Ibid., p. 150 à 161.
Pièce à conviction P28 A-F.
602
Ibid., p. 159 à 184.
601

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de la RTLM encourageait la discorde mais a dit, selon le compte rendu, que « les gens
n’appréciaient pas les mêmes choses [de même qu’ils ne s’aiment pas de la même façon] », et
que « la RTLM pouvait satisfaire une ethnie et pas l’autre, et que de cette même façon elle ne
pouvait pas satisfaire tous les Rwandais603 ».
577. Le compte rendu indique que Nahimana a pris la parole et a défendu la liberté de la
presse, laissant entendre que le Gouvernement imposait la censure. Selon le compte rendu,
« il a soutenu que toute information devrait être immédiatement diffusée telle quelle quitte à
être démentie par celui qui se sentirait lésé ». Concernant « le problème entre Hutus et Tutsis
ou celui entre le Gouvernement et le FPR », Nahimana a déclaré que « le problème ethnique
devrait être débattu tel qu’il est de telle sorte que si un Hutu faisait du tort à un Tutsi ou viceversa, cela devrait être dit et qu’ainsi le problème serait résolu604 ». Les représentants du
Gouvernement auraient confirmé le droit à l’information mais ont rappelé les principes du
journalisme et le besoin de traiter les informations afin d’éviter les malentendus et la
désinformation605.
578. Barayagwiza a également pris la parole lors de la réunion, selon le compte rendu, et a
affirmé que le Gouvernement harcelait la RTLM parce qu’il n’était pas du même avis. Il a
déclaré à plusieurs reprises que le Gouvernement ne devait pas leur dire ce qu’ils avaient à
faire. Barayagwiza a également dit, au sujet de la question ethnique, qu’il fallait en parler et
s’en occuper afin de la résoudre. Rien ne devrait être dissimulé hormis les secrets et les
mensonges. Il a également reconnu que des journalistes avaient fait des erreurs mais a déclaré
qu’il existait un droit de réponse606.
579. Le compte rendu mentionne que Kabuga a demandé la preuve de ce que la RTLM
mettait en danger les accords de paix et que des exemples tirés d’émissions récentes avaient
été fournis. Selon le compte rendu, la réunion s’est conclue par l’engagement de la RTLM de
faire en sorte que ses programmes se gardent d’inciter à la reprise des hostilités et d’attiser la
haine entre Rwandais, que les journalistes traitent et vérifient les informations et que ses
programmes ne devraient pas mettre en danger la mise en application des accords de paix607.
580. Contre-interrogé, le témoin GO a déclaré que tous les participants à la réunion du
26 novembre 1993 s’y étaient exprimés, sauf lui-même. Il a indiqué sans en être certain qu’il
pensait que son supérieur immédiat, Théoneste Rutayisire, n’assistait pas à la réunion.
Confronté à ses déclarations écrites du 22 novembre 2000, dans lesquelles il avait dit de
Rutayisire qu’il était présent, le témoin a répondu qu’il était possible qu’il l’ait mentionné en
tant que participant bien qu’il n’ait pas été présent à la réunion. Il a déclaré avoir étroitement
travaillé avec Rutayisire et l’avoir souvent accompagné à des réunions et qu’il avait pu
mentionner son nom pour cette raison. On lui a également présenté une déclaration non
signée et non datée que le Procureur avait répertoriée comme étant du 22 novembre 1996,
dans laquelle il avait indiqué que Phocas Habimana était présent à la réunion et accompagné
de Nahimana et de Kabuga. Le témoin a déclaré qu’il se souvenait de cette déclaration, qu’il
603

Pièce à conviction P28F, p. 2.
Pièce à conviction P28D, p. 3.
605
Ibid., p. 3 et 4.
606
Ibid., p. 4 et 5.
607
Ibid., p. 5 à 7.
604

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pensait qu’elle datait de 1996 mais qu’elle pouvait être entachée d’erreurs parce qu’il n’avait
pas eu la possibilité de la corriger. Il a confirmé son affirmation à la barre selon laquelle
Habimana n’était pas présent à la réunion du 26 novembre 1993 et a indiqué qu’il devait
s’être trompé parce qu’il se souvenait d’Habimana dans le cadre d’une autre réunion tenue à
une autre date. Dans une déclaration signée du 4 septembre 1996, le témoin GO y a indiqué
que Kabuga, Nahimana, Barayagwiza et Habimana avaient assisté à la réunion du
26 novembre 1993 et a précisé plus loin que la même délégation avait participé à la réunion
ultérieure du 10 février 1994. La déclaration du 22 novembre 2000 précise également que
Phocas Habimana a assisté à ces réunions608.
581. Contre-interrogé, le témoin GO a confirmé qu’il avait lui-même numéroté les pages
de son projet manuscrit et il a été relevé que la dernière page n’était pas numérotée, de même
que la troisième page. Il a maintenu que la liste des participants de la RTLM figurant sur la
dernière page était la continuation de la page précédente qui énumérait les participants du
Ministère de l’information. Les conseils de Nahimana ont fait remarquer au témoin GO que
la mention de Nahimana en tant que directeur de la RTLM et de Barayagwiza en tant que
membre fondateur de la RTLM dans les comptes rendus dactylographiés ne figurait pas dans
le premier projet de compte rendu manuscrit. Le témoin a répondu qu’il l’avait ajoutée en
corrigeant le projet afin que leurs titres apparaissent dans le compte rendu609.
582. Nahimana a déclaré avoir assisté à la réunion avec le Ministre de l’information du
26 novembre 2003. Kabuga avait reçu une invitation et avait appelé le Comité d’initiative. Il
voulait que Barayagwiza assiste à la réunion parce qu’il pensait qu’il serait peut-être question
de la convention conclue avec le Ministère. Nahimana a participé à la réunion parce qu’il
connaissait bien les rouages du Ministère de l’information. Il a déclaré que Phocas Habimana
y assistait également au cas où des questions relatives aux émissions auraient été abordées
afin qu’il puisse y répondre et aider le Comité d’initiative représenté par Kabuga, Nahimana
et Barayagwiza. Nahimana a nié avoir été présenté en tant que directeur de la RTLM,
déclarant qu’à cette époque la RTLM possédait déjà son propre directeur, Phocas Habimana,
depuis quatre ou cinq mois. Nahimana a affirmé n’avoir pas eu connaissance du compte
rendu de la réunion avant d’être détenu par le TPIR, mais que d’une manière générale il
rendait fidèlement compte des propos qu’il y avait tenus et que c’était « bien résumé ». Il a
nié avoir traité les membres du Ministère de complices ou avoir déclaré qu’ils étaient tombés
dans le piège des Inkotanyi. Il a indiqué que de tels propos n’avaient pu sortir de sa bouche,
particulièrement devant un Ministre610.
583. Nahimana a confirmé que le témoin GO était présent lors de la réunion du
26 novembre 2003, précisant ultérieurement qu’il ne l’avait pas reconnu à la barre mais qu’il
se souvenait qu’un secrétaire du Ministère en charge des comptes rendus avait participé à la
réunion. Il a confirmé que Kabuga y avait participé en tant que président mais a insisté sur le
fait que Barayagwiza n’y était pas présent en qualité de membre fondateur de la RTLM mais
plutôt en tant que président de la commission juridique. Il a déclaré qu’il n’avait pas assisté à
la réunion en tant que directeur et qu’il ne s’y était pas présenté comme tel et qu’il n’avait
608

Compte rendu de l’audience du 28 mai 2001, p. 21 à 50.
Ibid., p. 48 à 83.
610
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 203 à 209.
609

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jamais été le directeur de la RTLM. Il a dit que personne ne lui avait donné ce titre au cours
de la réunion. Nahimana a également relevé que la liste des participants énumérés sur la
dernière page non numérotée du projet de compte rendu ne figurait pas dans le compte rendu
final et a suggéré que cette page avait été ajoutée ultérieurement. Il a confirmé plusieurs
autres noms et titres figurant dans le compte rendu mais a déclaré que celui-ci ne mentionnait
pas Phocas Habimana qui, selon lui, s’était exprimé plusieurs fois au cours de la réunion611.
La réunion du 10 février 1994
584. Le témoin GO a déclaré qu’à la suite de la réunion du 26 novembre 1993, il avait
continué à surveiller la RTLM et à rendre compte au Ministre quotidiennement. Il a indiqué
qu’il était manifeste que la RTLM avait continué à semer la discorde et à inciter la population
rwandaise à la violence. Le témoin a dit avoir saisi toutes les occasions pour exprimer ses
inquiétudes à ses supérieurs et les informer de ce qu’il entendait à la radio. La RTLM disait
que certaines personnes avaient l’intention de prendre le pouvoir par la force et que les gens
seraient à nouveau réduits en servitude. Ils prétendaient que certaines autorités organisaient
des réunions du FPR dans leurs secteurs et, pendant ce temps, les Interahamwe et les
Impuzamugambi scandaient : « Exterminons-les, exterminons-les ». Le témoin GO a déclaré
que les gens avaient peur et étaient démoralisés, particulièrement les Tutsis et les Hutus qui
étaient accusés d’être des complices. Il a évoqué l’émission de Kantano Habimana décrivant
sa rencontre avec des enfants tutsis à Nyamirambo et plusieurs autres exemples d’émissions
qui avaient suscité des inquiétudes612.
585. Le témoin GO a déclaré que le 10 février 1994, une autre réunion avait été organisée
par le Ministre de l’information avec les responsables de la RTLM. Il a indiqué qu’en plus du
Ministre Rucogoza, Eugène Ndahayo, Pie Nzeyimana, Jean-Pierre Kagubari et lui-même
étaient présents et représentaient le Ministère. Il a affirmé que la RTLM était représentée par
Kabuga, Nahimana, Barayagwiza et Phocas Habimana, la journaliste de la RTLM Valérie
Bemeriki était également présente mais, selon le témoin GO, elle avait quitté la réunion avant
qu’elle ne commence. Elle n’était pas partie de son propre chef mais à la suite d’une
discussion au cours de laquelle le Ministre avait dit qu’elle n’avait pas été invitée et que la
réunion ne concernait que les responsables de la RTLM. La délégation de la RTLM avait
initialement fait pression pour qu’elle reste afin de prendre des notes, mais le Ministre avait
insisté pour qu’elle parte. Le témoin GO a également dit qu’ils craignaient qu’un journaliste
de la RTLM ne diffuse un compte rendu de la réunion afin d’exciter la population contre le
Ministère613. Lors de son contre-interrogatoire, les conseils de Nahimana ont fait valoir au
témoin GO que Valérie Bemeriki était présente à la réunion en raison des préoccupations
relatives à l’émission de la RTLM concernant Gishushu et qu’elle-même et Georges Ruggiu
avaient été les deux reporters qui avaient couvert cette histoire pour la RTLM. Le témoin GO
a indiqué qu’elle avait été présentée en tant que journaliste et que la raison de sa présence
n’avait pas été expliquée à la réunion et il a réitéré qu’on lui avait demandé de partir614. Il a

611

Compte rendu de l’audience du 14 octobre 2002, p. 102 à 147.
Compte rendu de l’audience du 9 avril 2001, p. 15 à 41.
613
Ibid., p. 42 à 69.
614
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2001, p. 32 et 33.
612

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ultérieurement réaffirmé que les faits survenus à Gishushu ne constituaient que l’un des
points à l’ordre du jour de la réunion615.
586. Le témoin GO a déclaré qu’après le départ de Bemeriki, la réunion avait commencé
par les présentations et que Nahimana avait été présenté comme le directeur de la RTLM et
Barayagwiza comme l’un de ses membres fondateurs. Phocas Habimana avait également été
présenté comme l’un des membres fondateurs de la radio. Le témoin a dit que tous les
participants s’étaient exprimés lors de la réunion qui avait été très tendue entre les deux
délégations et qui avait commencé par un discours du Ministre que celui-ci avait également
préparé.
587. La cassette vidéo d’une émission de l’ORINFOR produite par le Procureur documente
l’ouverture de la réunion du 10 février. La séquence commence par le résumé du conflit entre
la RTLM et le Ministre de l’information décrit par le reporter de la manière suivante :
« C’est chaud-chaud, pour certains d’ailleurs ça chauffe du coup leur tête, la radio
RTLM fait l’objet d’adoration, mais en même temps, elle est dans le collimateur ces
derniers jours, pendant que bon nombre (de gens) continuent à demander que ses
émissions leur parviennent, d’autres la dénoncent en poussant des clameurs,
prétendant qu’elle crée la tension particulièrement entre les Hutus et les Tutsis. Lors
de la précédente réunion avec les responsables de la RTLM, le ministre de
l’Information leur a fait savoir ce qu’il pensait de cette radio. Il a dit ceci : « Votre
radio pratique la désinformation au sein de la population et par ailleurs ses émissions
sont de nature à provoquer l’affrontement ethnique ». Il a encore dit : « Qu’elle cesse
de faire croire aux Rwandais que les problèmes actuels du Rwanda ont pour auteurs
les Tutsis parce que c’est faux. » Il a ajouté : « Qu’elle cesse de traîner dans la boue
et de harceler les gens. » Si la RTLM ne prend pas garde donc, elle s’exposera à de
graves mesures (sanctions)616 ».

588. La cassette inclut ensuite les propos liminaires du Ministre de l’information, Faustin
Rucogoza, qui critique sévèrement la RTLM en disant qu’il n’y a pas de place au Rwanda
pour une presse qui dresse une ethnie ou une région contre une autre. Le Ministre énonce les
quatre principes suivants applicables aux journalistes :
1.
2.
3.
4.
589.

Premier principe : éviter de diffamer quelqu’un.
Deuxième principe : se garder d’accuser quelqu’un sans preuve.
Troisième principe : diffuser une information sans la déformer.
Quatrième principe : ne pas diffuser des mensonges.

Le Ministre déclare ensuite :
Pourtant, il a souvent été constaté que ces principes, les journalistes de la RTLM ne
les respectent pas, et c’est du reste ce sujet qui sera débattu dans cette réunion. Alors
que, lors de la dernière réunion, nous [avions] convenu que [les programmes de la
RTLM adopteraient une position neutre vis-à-vis des partis politiques et des groupes
ethniques]. Ce qui est regrettable, c’est de constater que la RTLM affiche qu’elle est

615
616

Compte rendu de l’audience du 4 juin 2001, p. 110 à 115.
Pièce à conviction P177B, p. 1.

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une formation politique, qu’elle est la voix du MRND et de la CDR et que c’est la
617
voix des Hutus .

590. Le Ministre fait observer qu’il s’agit là d’une violation de la convention conclue entre
la RTLM et le Gouvernement et déclare que si ces problèmes ne sont pas résolus, des
mesures seront prises en vertu de la convention. L’émission se poursuit par la réponse faite
par Félicien Kabuga aux commentaires du Ministre, défendant la RTLM en disant qu’elle
rapporte des faits qui se sont réellement produits de manière à éclairer la population. Il
mentionne les faits survenus à Gishushu, mais sans citer le nom de cet endroit, comme un
exemple de relation des faits618.
591. Le témoin GO a déclaré que Nahimana avait dit lors de la réunion qu’il ne voulait
entendre personne affirmer que la RTLM divisait les Rwandais ou que les Accords d’Arusha
constituaient un accord de paix. Il a indiqué sans ambiguïté qu’il continuerait à donner la
possibilité à tous de témoigner sur les ondes de la RTLM à propos de la ruse des Tutsis et des
complices hutus et a ajouté que les Accords d’Arusha étaient un piège destiné à neutraliser
les progrès accomplis en 1959. Il a déclaré que le Ministre n’avait toujours pas compris qu’ils
étaient tombés dans un piège. Le témoin GO a rapporté que Barayagwiza avait également
parlé au cours de la réunion, dans le même esprit que Nahimana, mais avec beaucoup de
colère et d’intensité. Le Ministre s’est dit attristé par l’attitude de la RTLM qui n’avait pas
montré la moindre intention de changer de cap. Il leur a fait savoir que la RTLM devait cesser
de s’opposer aux Accords d’Arusha parce qu’ils étaient bénéfiques pour le pays et que la
majorité des gens en étaient partisans. Le Ministre les a appelés à arrêter de diffuser de
mauvaises émissions et à ne plus diffuser de chansons porteuses de messages de haine. Il a dit
qu’il était impossible de construire la paix pendant qu’ils prêchaient la haine. Il a indiqué que
le Ministère n’avait pris aucun parti et n’était guidé que par la loi qui devait être respectée par
les journalistes de la RTLM619.
592. Le témoin GO a déclaré qu’avant la réunion du 10 février 1994, il avait préparé un
document de travail qui comprenait les questions à étudier au cours de la réunion. Le
document, versé au dossier, commence par renvoyer à la réunion du 26 novembre 1993 en en
citant les conclusions. Il indique que le compte rendu de cette réunion n’est pas encore
terminé, ce que le témoin explique par le fait que la RTLM n’avait pas répondu au compte
rendu qui lui avait été adressé par le Ministère de l’information dans les semaines qui avaient
suivi la réunion. Selon le témoin GO, lors de la réunion du 10 février 1994, les responsables
de la RTLM ont déclaré qu’ils n’avaient pas eu le temps d’examiner le document mais qu’il
le ferait et répondrait620.
593. Le document de travail donne un certain nombre d’exemples d’émissions de la RTLM
qui sapaient les Accords d’Arusha. Le témoin GO en a cité une, celle relative aux massacres
de Gishushu, dont la RTLM avait dit qu’ils avaient été commis par les Inkotanyi. Selon le
témoin GO, il avait été ultérieurement révélé qu’une seule personne avait été tuée, non pas
par les Inkotanyi mais par des manifestants. Il a déclaré que cette dénaturation des faits était
617

Ibid., p. 1 et 2.
Ibid., p. 2.
619
Compte rendu de l’audience du 29 mai 2001, p. 73 à 79.
620
Compte rendu de l’audience du 9 avril 2001, p. 73 à 78.
618

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typique et engendrait de l’animosité. Les deux autres exemples dont il a dit qu’ils avaient été
donnés pour la même raison, provenaient d’une émission du 3 février 1994 au cours de
laquelle la RTLM avait déclaré qu’il y avait eu des mutineries parmi les soldats du FPR à
Nkumba, et d’une émission du 31 janvier 1994 dans laquelle la RTLM avait prétendu que
deux Hutus avaient été tués par la MINUAR, information que la RTLM avait rétracté en
catimini quelques instants plus tard621.
594. Le document de travail donne des exemples de violations de la loi sur la presse, dont
un communiqué de presse émanant de membres hutus du FPR, lu à l’antenne de la RTLM le
22 novembre 1993, et disant que le FPR avait prévu, après la mise en place des institutions de
transition et la fusion de son armée avec celle du Gouvernement, d’assassiner le Président et
de le remplacer par un Tutsi. Il précise que le FPR avait révélé ce complot à des complices
qui étaient membres de divers partis, la majorité d’entre eux étant des Tutsis, et que des
réunions étaient organisées pour préparer ces événements. Le témoin GO a déclaré que le
contenu des émissions citées dans ces exemples était faux et qu’elles constituaient un moyen
de détourner l’attention des auditeurs de la RTLM et de semer la discorde parmi eux622. Le
document de travail mentionne également, à titre de violation de la convention conclue entre
le Gouvernement et la RTLM, que celle-ci a tendance, dans ses programmes à caractère
politique :
-

à assimiler tous les membres du FPR aux Tutsis iniques ;
à assimiler l’opposition politique de l’intérieur au FPR ;
à réduire les problèmes politiques du Rwanda à la haine ethnique entre Hutus
et Tutsis ;
à assimiler les Tutsis de l’intérieur aux Inkotanyi ;
à faire comprendre à la population que les maux dont souffre le pays sont
causés par les Tutsis623.

595. Le document de travail cite à titre d’exemple l’émission de la RTLM relative à des
faits survenus à Gishushu dont il est dit qu’ils ont été suivis cette nuit-là par l’attaque d’une
famille tutsie à Kichiro au cours de laquelle un groupe de personnes a tué le chef de la famille
et blessé sa femme et son enfant624.
596. Le témoin GO a déclaré que les problèmes mentionnés dans le document de travail
ont été débattus lors de la réunion du 10 février 1994, de même que les autres points
mentionnés par le Ministre dans l’intervention qu’il a faite au début de la réunion. Selon le
témoin GO, le Ministre avait envoyé des exemplaires du document de travail à la RTLM
accompagnés d’une lettre de couverture, afin de leur donner la possibilité d’en prendre
connaissance avant la réunion. Il a indiqué que Nahimana et Kabuga disposaient
d’exemplaires du document au cours de la réunion, de même qu’un supplément au document
de travail qu’il avait préparé pour la réunion et qui contenait d’autres exemples d’émissions
de la RTLM considérées comme constituant des insultes, des calomnies ou des violations de
621

Ibid., p. 77 à 85, pièce à conviction P29B, p. 1.
Pièce à conviction P29B/C, compte rendu de l’audience du 9 avril 2001, p. 116 à 119.
623
Pièce à conviction P29A, p. 3.
624
Ibid.
622

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la loi sur la presse. Le témoin GO a déclaré que la délégation de la RTLM était en colère lors
de la réunion et avait nié les faits qui lui étaient présentés. Chaque membre de celle-ci les a
niés. De même que lors de la réunion précédente, le témoin GO a passé certaines émissions
de la RTLM afin de fournir la preuve des violations alléguées. Contrairement à la première
réunion, le témoin GO a déclaré que les engagements pris par la RTLM lors de la deuxième
réunion manquaient de sincérité. Lorsque les représentants du Ministère ont critiqué la
RTLM au cours de la réunion, celle-ci a commencé à brandir des menaces et à les mettre au
défi : « Si vous croyez que vous êtes suffisamment forts, allez-y, fermez la radio625 ».
597. À la suite de la réunion, le Ministre a demandé au témoin GO de préparer un compte
rendu, sans rien omettre, et de continuer à écouter les émissions de la RTLM et à réunir des
preuves. Il a déclaré que des mesures appropriées devaient être prises et qu’ils ne pouvaient
pas tolérer cet état de choses indéfiniment. Après l’établissement du compte rendu, les
supérieurs du témoin GO lui ont donné pour instruction de rencontrer Barayagwiza, qui
préparait lui aussi un compte rendu, afin qu’ils puissent se mettre d’accord sur le texte d’un
seul compte rendu de la réunion. Barayagwiza a pris son rapport, l’a lu puis l’a jeté à la figure
du témoin en le menaçant et en voulant l’attaquer. Il a dit qu’il ne voulait plus voir un
Inkotanyi dans son bureau et que s’ils continuaient dans cette voie, ils verraient ce qui allait
se produire. Effrayé par ces menaces, le témoin GO est allé voir le Ministre qui lui a dit de
continuer son travail.
598. Selon le témoin GO, le Ministre Rucogoza a été souvent mentionné sur les ondes de la
RTLM, avant et après la réunion du 26 novembre 1993, de même que la lettre qu’il avait
adressée à la RTLM. Le Ministre était critiqué et il était affirmé qu’il n’avait pas le pouvoir
de fermer la RTLM et qu’il n’y était pas parvenu626. La cassette de l’une de ces émissions
diffusée le 18 mars 1994 et enregistrée par le témoin GO a été versée aux débats. Au cours de
cette émission, Kantano Habimana parle du Ministre en ces termes :
… [N]ous nous sommes rencontrés et il m’a demandé : « Kantano, pourquoi parlezvous de moi ? Dites-moi pourquoi. » Ah ! En fait les gens m’auraient dit qu’il était
devenu sage. Notre pomme de discorde était qu’il voulait fermer la RTLM, la Radio
du peuple. Il s’est probablement rendu compte que ce n’était pas chose facile, que
c’était comme une croix qu’il voulait transporter. Il a alors abandonné. Il n’en parle
même plus. L’on sait bien sûr qu’il ne fait que véhiculer les propos de ses chefs, mais
il s’est rendu compte que l’idée de fermer la RTLM, la Radio populaire pouvait lui
causer de sérieux ennuis et il l’a abandonnée. Je lui ai dit : « Si cette fois-ci vous nous
laissez en paix, nous allons faire autant pour vous. Nous allons alors vous laisser
tranquille puisqu’il n’y a pas d’autre différend entre nous. Nous n’avons pas de haine
ici, mais nous ne supportons pas le mépris ou les gens qui nous irritent. C’est tout. »
Nous n’avons rien contre qui que ce soit. Rucogoza peut alors se tranquilliser. S’il
nous laisse tranquille, nous ne pouvons que faire autant pour lui627.

599. Le témoin GO a déclaré qu’au cours de la première semaine d’avril, le Ministre
Rucogoza était en train de constituer un dossier sur la RTLM à présenter au Conseil des
625

Compte rendu de l’audience du 9 avril 2001, p. 129 à 165.
Ibid., p. 160 à 165.
627
Pièce à conviction P36/65C, compte rendu de l’audience du 11 avril 2001, p. 72 et 73.
626

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ministres pour que les mesures appropriées soient prises. Le 7 avril 1994, il a été assassiné à
sa résidence avec sa femme et huit de leurs enfants. Le témoin GO avait entendu à l’antenne
de la RTLM que Rucogoza avait été tué avec d’autres complices628.
600. Nahimana a déclaré avoir assisté à la réunion du 10 février 1994 avec Kabuga,
Barayagwiza, Habimana et Bemeriki. À son arrivée au Ministère, on leur a dit que l’ordre du
jour serait consacré aux événements de Gishushu. Un certain nombre de journalistes avaient
été invités, le Gouvernement voulant faire connaître sa position officielle, et il avait été
demandé à Gahigi d’envoyer un journaliste de la RTLM. Bemeriki était présente en cette
qualité. Selon Nahimana, ils allaient partir mais le Ministre leur a demandé de rester et a dit
que les journalistes n’assisteraient qu’au début de la réunion et seraient rappelés à son issue.
La réunion s’est ouverte de manière publique par l’intervention du Ministre et la réponse de
Kabuga. Les journalistes ont été ensuite priés de sortir. Nahimana a déclaré qu’ils avaient
demandé au Ministre si Bemeriki pouvait rester pour prendre des notes, dans la mesure où il
y avait eu des problèmes lors de la réunion de novembre. Phocas Habimana a déclaré que s’il
existait des préoccupations au sujet de Gishushu, lui-même et les autres n’étaient pas en
mesure de fournir des explications et que Bemeriki, qui s’était trouvée sur les lieux, devrait
rester pour les aider. Il a dit qu’elle était restée pour ces raisons et que Gishushu avait été
discuté. Bemeriki a décrit à la minute près ce qui s’était passé, après quoi le Ministre a
déclaré que le compte rendu qui lui avait été donné était incorrect et qu’il allait contacter la
MINUAR pour obtenir des explications. Nahimana a déclaré que la seule question qui avait
été débattue lors de la réunion du 10 février 1994 était celle de ce qui s’était passé à
Gishushu. Il a affirmé n’avoir rien dit au cours de la réunion629.
601. Valérie Bemeriki a déclaré que Phocas Habimana, le directeur de la RTLM, l’avait
chargée de couvrir les débats de la réunion organisée au Ministère de l’information le
10 février 1994. Elle a été informée de cette réunion le jour même à huit heures du matin.
Elle s’est rendue avec Habimana au Ministère où elle a retrouvé Kabuga, Nahimana et
Barayagwiza. Bemeriki y a également vu des journalistes de Radio Rwanda qui n’étaient
présents que pour les exposés introductifs et à qui il a ensuite été demandé de se retirer.
Bemeriki a déclaré avoir assisté aux exposés introductifs en tant que journaliste, et être
demeurée à la séance à huis clos de la réunion en qualité de secrétaire de celle-ci pour le
compte de la RTLM630. Elle ne figurait pas avec les autres autour de la table de la réunion sur
l’enregistrement vidéo qui en a été réalisé.
602. Bemeriki a déclaré que le Ministre avait mentionné dans son exposé introductif les
débordements des émissions de la RTLM et s’était attardé sur le conflit que celles-ci avaient
créé à propos des différences ethniques. Selon elle, il a dit que c’était la première fois que ces
problèmes avaient été portés à leur connaissance et que la réunion avait été organisée à la
suite des événements de Gishushu. Lors de son contre-interrogatoire, la déclaration du
Ministre faisant état de la réunion antérieure du mois de novembre 1993 lui a été soumise.
Elle a affirmé n’avoir connaissance d’aucune réunion antérieure631 . Elle a indiqué que le
628

Compte rendu de l’audience du 10 avril 2002.
Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 222 à 233.
630
Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 68 à 70.
631
Compte rendu de l’audience du 9 avril 2003, p. 20 à 24.
629

Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Ministre n’avait pas mentionné le nom de la RTLM mais qu’il l’avait clairement visée et
qu’il avait dit que si elle annonçait simplement à l’antenne le fait que des gens avaient été
blessés par le FPR, elle serait considérée comme ayant causé ces blessures.
603. Bemeriki a visionné la déclaration enregistrée du Ministre et a confirmé qu’elle
correspondait à ce qu’elle avait entendu lors de la réunion. Elle a indiqué que les événements
de Gishushu ont été le principal sujet de discussion de la réunion à huis clos. Selon la relation
qu’elle en a faite, des manifestations avaieut eu lieu à Gishushu. Des éléments armés du FPR
étaient sortis du bâtiment du CND et avaient fait régner une atmosphère d’insécurité cette
nuit-là, dans la cellule, avec pour conséquence des blessés et des morts. Les habitants
participant aux patrouilles de nuit avaient combattu les éléments du FPR et le lendemain les
habitants de la cellule avaient été attaqués. L’un d’entre eux avait été tué et enterré cette nuitlà. Le lendemain, les habitants de la cellule ont manifesté à nouveau, bloquant la route entre
le CND et le quartier général de la MINUAR. Bemeriki a indiqué qu’un soldat du FPR avait
ouvert le feu depuis un véhicule qui était sorti du CND et qu’un manifestant avait été touché
au coude et emmené à l’hôpital. Bemeriki était arrivée avant le début de la fusillade et avait
interviewé les manifestants. Elle est rentrée au studio et rendait compte de la situation
lorsqu’elle a reçu un appel l’informant de ces nouveaux éléments. Bemeriki y est alors
retournée et a vu des taches de sang. On lui a dit que le blessé avait été emmené à l’hôpital
mais, lorsqu’elle s’y est rendue, il était au bloc opératoire. Bemeriki est retournée diffuser ces
informations, mais il y avait erreur sur le nom, elle avait par erreur diffusé le nom de la
personne tuée à la place de celui de la personne blessée. Après avoir reçu des appels
d’auditeurs l’informant que le nom qu’elle avait mentionné était celui d’une personne qui
avait été tuée, elle est retournée à Gishushu et a obtenu des manifestants qui s’y trouvaient le
nom de la personne qui avait été blessée. Bemeriki s’est rendue à l’hôpital et a remarqué que
le nom qu’elle avait donné était différent de celui qui figurait sur le lit. Elle est alors
retournée à la station, a corrigé son erreur et a donné le nom exact du blessé. Elle a soutenu
qu’à ce moment-là ils pouvaient affirmer que le communiqué de la MINUAR était erroné
parce qu’ils avaient le nom du blessé, le numéro de son lit, le médecin et l’hôpital où il se
trouvait. Bemeriki a déclaré que le Ministre avait alors dit que la MINUAR leur avait donné
des informations selon lesquelles cela ne s’était pas produit et que les éléments du FPR
avaient tiré en l’air. Bemeriki a indiqué qu’elle lui avait alors expliqué ce qui s’était passé et
qu’il avait été très surpris, avait accepté ses dires et s’était excusé auprès des responsables de
la RTLM et d’elle-même, les remerciant des éclaircissements fournis632.
604. Selon Bemeriki, aucune émission de la RTLM n’a été passée lors de la réunion, le
Ministre de l’information n’a jamais été traité d’Inyenzi par la délégation de la RTLM, les
Accords d’Arusha n’ont pas été qualifiés de piège et le Ministre n’a pas été mis au défi de
fermer la RTLM. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais entendu le Ministre dire que la réunion
constituait la dernière mise en garde avant la prise de mesures appropriées. Bemeriki a dit que
la réunion s’était terminée de manière positive. Elle a déclaré qu’après la réunion elle devait
rédiger un communiqué devant être rendu public conjointement avec le secrétaire du
Ministère et qu’ils y avaient travaillé ensemble au Ministère mais qu’il n’avait jamais été
signé ou rendu public. La délégation du Ministère avait demandé des changements qu’elle

632

Ibid., p. 87 à 92.

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n’était pas autorisée à effectuer. Elle en a informé Phocas Habimana qui a refusé ces
changements de sorte que tout a été abandonné.
605. Le Procureur a soumis à Bemeriki, pendant son contre-interrogatoire, l’enregistrement
de son entretien de 1999 au Bureau du Procureur au cours duquel elle avait évoqué la réunion
organisée au Ministère de l’information sans indiquer que Nahimana y était présent, ne
mentionnant que Kabuga, Barayagwiza et Habimana comme y ayant assisté. Bemeriki a
maintenu qu’elle avait toujours mentionné Nahimana comme ayant été présent à la réunion et
a donné à entendre que cela avait pu ne pas être consigné par écrit. Après avoir examiné la
transcription de la cassette, Bemeriki a déclaré que si elle n’avait pas mentionné son nom ce
n’était pas délibérément, qu’elle ne savait même pas qui il était à l’époque et qu’elle avait
simplement oublié 633 . Elle a été ensuite réinterrogée sur le même entretien de 1999 pour
confirmer que la réunion du 10 février avait concerné les événements de Gishushu. Elle avait
alors déclaré que le Ministre de l’information avait convoqué la réunion et critiqué la RTLM
pour le compte rendu qu’elle en avait fait, en donnant les explications qu’il avait reçues de la
MINUAR. Bemeriki a indiqué qu’elle lui avait raconté ce qui s’était réellement passé et qu’il
s’était excusé. Elle a déclaré que le Comité d’initiative de la RTLM était présent, nommant
Kabuga, Barayagwiza et Habimana. Elle avait également mentionné au cours de son entretien
ce qu’elle a déclaré à la barre, à savoir qu’elle était restée après le départ d’autres journalistes
pour servir de secrétaire de la réunion634.
606. Le témoin à charge François-Xavier Nsanzuwera, alors procureur de Kigali, a déclaré
avoir été convoqué à une réunion au Ministère de l’information au cours des deux premières
semaines du mois de février 1994. Il n’a pu se rappeler les noms de toutes les personnes
présentes mais a indiqué que Nahimana était présent, ainsi que André Kameya, le directeur
du conseil des ministres, le Ministre lui-même et peut-être deux autres personnes. Il a déclaré
que le Ministre avait organisé cette réunion parce qu’il pensait que des émissions de la
RTLM et des articles de presse incitaient à la haine et à la violence ethniques. André Kameya
s’est présenté comme le rédacteur en chef de Rwanda Rushya et Nahimana comme le
directeur de la RTLM. Le témoin a indiqué ne pas bien se souvenir de la réunion mais s’est
rappelé que le Ministre avait dit ne pas pouvoir rester indifférent face à ce genre de média. Il
avait convoqué cette réunion dans l’espoir d’obtenir l’assurance qu’il serait mis un terme à
ces émissions et à ces articles. Selon Nsanzuwera, il y avait eu une altercation entre
Nahimana et Kameya lors de la réunion. Ce dernier avait dit que même si son journal
critiquait le régime, il n’incitait pas à la haine ethnique, alors que la RTLM diffusait des
messages de haine et qu’il considérait les journalistes de la RTLM comme des criminels.
Nahimana s’est mis en colère et a répondu que Rwanda Rushya n’était pas différent de la
RTLM dans la mesure où il produisait la propagande du FPR et que Kameya se conduisait
comme un agent du FPR. Nsanzuwera a déclaré que le Ministre lui avait demandé quelle était
la position du Bureau du Procureur et qu’il avait répondu qu’il n’était pas nécessaire d’avoir
une politique de censure des médias. Nahimana l’a interrompu pour dire qu’il espérait que le
Procureur ne continuerait pas à arrêter les journalistes. Nsanzuwera a déclaré qu’ils étaient en
train d’examiner la loi sur la presse et d’envisager la possibilité d’infliger des amendes aux
journalistes plutôt que de les arrêter. Le Ministre a dit qu’il n’avait pas l’intention de fermer
633
634

Compte rendu de l’audience du 10 avril 2003, p. 1 à 4.
Ibid., p. 69 à 72.

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les médias mais qu’il voulait qu’ils adhèrent à une certaine éthique et qu’ils cessent de
promouvoir la haine et la violence ethniques. Nsanzuwera a déclaré que la réunion s’était
terminée par la promesse de chacun de respecter ses engagements, bien qu’aucun n’ait
reconnu que les médias avaient tort, en insistant sur le fait qu’ils étaient des professionnels.
Contre-interrogé, Nsanzuwera n’a pas pu se souvenir de la durée de la réunion mais a dit
qu’elle avait duré plus de deux heures car il y avait eu de nombreux échanges vifs. Il n’a pu
se rappeler si elle avait eu lieu le matin ou l’après-midi. Il ne se souvenait pas d’avoir vu un
secrétaire prendre des notes de la réunion mais a présumé qu’il avait dû y en avoir un. Il n’a
pas reçu le procès-verbal de la réunion. Il a été soumis à Nsanzuwera une déclaration rédigée
en 1995 dans laquelle il avait indiqué que Higiro était présent à la réunion. Il a été incapable
de confirmer que Higiro y avait assisté mais a soutenu que s’il l’avait dit, cela devait
correspondre à ses souvenirs de l’époque, lorsqu’ils étaient plus récents. Il n’a pu dire si
d’autres représentants des médias privés que ceux de la RTLM et de Rwanda Rushya étaient
présents à la réunion. Il se souvenait du nom de Kameya parce que celui-ci s’était querellé
avec Nahimana au cours de la réunion635.
607. Nsanzuwera a déclaré que le Ministre l’avait appelé avant la réunion pour lui
demander ce qu’il pensait des émissions de la RTLM et qu’ils avaient également discuté
après la réunion parce que la RTLM n’avait pas mis un terme à ses émissions incitant à la
haine et à la violence ethniques. En fait le ton avait monté, avait-il dit, comme si la réunion
n’avait eu aucune signification. Nsanzuwera a déclaré qu’à un certain moment il avait parlé
au Ministre, qu’il lui avait dit qu’il était temps de fermer la RTLM et celui-ci lui avait
répondu que s’il le faisait, ils seraient massacrés636.
Appréciation des éléments de preuve
608. La Chambre a examiné les dépositions et les documents relatifs aux réunions
organisées entre la RTLM et le Ministre de l’information. Le témoin GO est un témoin-clé
de ces faits et la Chambre estime qu’il est crédible. Sa déposition était claire, cohérente et
constante tout au long de son contre-interrogatoire et elle est confirmée par des documents.
La Chambre relève que le contre-interrogatoire du témoin GO par plusieurs conseils de la
Défense a été marqué par une longue discussion avec celui-ci sur des questions d’opinion
politique qui ne concernaient pas sa crédibilité et qui n’ont établi aucun parti pris. Le témoin
GO, qui se décrit lui-même comme un sympathisant du MDR, n’était membre d’aucun parti
politique. C’était un fonctionnaire qui avait pour mission au sein du Ministère de
l’information à compter du mois de septembre 1993 de rassembler de manière systématique
des preuves concernant la RTLM d’une pertinence exceptionnelle au regard des accusations
pesant sur les accusés.
609. Pour ce qui est de la réunion du 26 novembre 1993, le témoin GO soutient que Phocas
Habimana n’y assistait pas. Ce témoignage est corroboré par les divers projets de compte
rendu produits à l’époque, dont aucun ne mentionne Phocas Habimana. Nahimana a déclaré
que Habimana était présent à cette réunion et a laissé entendre que les comptes rendus avaient
été ultérieurement modifiés par l’ajout d’une dernière page non numérotée donnant la liste
635
636

Compte rendu de l’audience du 25 avril 2001, p. 35 à 41 et 47 à 49.
Compte rendu de l’audience du 23 avril 2001, p. 40 à 51.

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des participants. La Chambre relève que Nahimana et Barayagwiza figurent dans le corps des
deux versions dactylographiées du compte rendu, de même que leurs titres, sur une page
numérotée. La Chambre accepte les explications du témoin GO selon lesquelles les titres
avaient été ajoutés au projet manuscrit, elle estime qu’il n’est pas inhabituel d’omettre les
titres dans un premier projet manuscrit et de les y ajouter ensuite.
610. En ce qui concerne Phocas Habimana, la Chambre observe que la seule preuve de sa
présence lors de la réunion du 26 novembre 1993, mis à part le témoignage de Nahimana,
réside dans les déclarations écrites du témoin GO, dont l’une d’entre elles n’est ni signée, ni
datée et ne mentionne pas la présence de Barayagwiza qui avait, lui, manifestement participé
à la réunion. La Chambre prend acte des hésitations du témoin GO relativement à ses
déclarations, non seulement concernant Habimana mais aussi au sujet de la présence de
Rutayisira qui avait été mentionné dans une déclaration comme ayant assisté à la réunion, ce
qui, de l’avis de tous, n’était pas le cas. La Chambre a également pris en compte la confusion
possible mentionnée par le témoin entre cette réunion et une autre à laquelle Habimana était
présent. Les dires du témoin GO sont confirmés par le compte rendu de la réunion, que
Nahimana a qualifié de « bon résumé », avant de remarquer plus tard à la barre l’absence de
toute mention de Phocas Habimana dans celui-ci, alors qu’il a prétendu qu’il avait non
seulement participé à la réunion mais y avait aussi pris la parole. La Chambre tient pour exact
la déposition du témoin GO selon laquelle Phocas Habimana n’était pas présent à la réunion
du 26 novembre 1993.
611. S’agissant des propos tenus au cours de la réunion du 26 novembre 1993, la Chambre
relève que Nahimana a reconnu que le compte rendu du témoin GO en donnait un reflet
fidèle. Le niveau accru de tension et d’hostilité qui, selon la déposition du témoin GO, a été
passé sous silence dans le compte rendu, ne concerne guère que le ton de la réunion. Il ressort
clairement du compte rendu que le Ministre de l’information a fait part de ses préoccupations
aux responsables de la RTLM, y compris Nahimana et Barayagwiza, et qu’elles concernaient
l’alinéa 2 de l’article 5 de la convention conclue entre la RTLM et le Gouvernement
rwandais. Organisée après l’envoi par le Ministre de la lettre adressée à la RTLM, la réunion
du 26 novembre révèle clairement la préoccupation grandissante du Ministre qui a été
communiquée à la RTLM, à savoir que ses émissions encourageaient les divisions ethniques
en violation de la convention conclue entre elle et le Gouvernement. Le compte rendu de la
réunion confirme notamment les déclarations du témoin GO selon lesquelles Nahimana et
Barayagwiza avaient reconnu au cours de la réunion que des erreurs avaient été commises par
des journalistes de la RTLM et que lorsque la question de l’appartenance ethnique avait été
évoquée, Kabuga, tout en niant que la RTLM encourageait les divisions, avait effectivement
dit qu’il était possible que la RTLM plaise à un groupe ethnique et pas à un autre et qu’elle ne
pouvait peut-être pas plaire à tous les Rwandais. Nahimana et Barayagwiza ont tous les deux
soutenu au cours de la réunion qu’il fallait aborder le problème ethnique.
612. En ce qui concerne la réunion du 10 février 1994, les récits de ce qui s’y est passé
divergent. Selon l’une de ces versions, la réunion a porté sur les événements de Gishushu.
Bemeriki et Nahimana ont déclaré que l’examen de cet incident constituait le seul objet de la
réunion. Ils ont soutenu qu’au cours de cette réunion, les événements de Gishushu avaient été
clarifiés et que le Ministre s’était excusé. La version du témoin GO est plus large, abordant la
programmation de la RTLM dans son ensemble et utilisant à titre d’exemples des incidents
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tels que ce qui s’est passé à Gishushu. Les documents versés au dossier, à savoir le document
de travail produit par le témoin GO et l’émission de l’ORINFOR couvrant l’ouverture de la
réunion, font tous les deux état des événements survenus à Gishushu mais corroborent la
déposition du témoin GO selon laquelle la réunion avait eu une portée plus large que ce seul
cas et qu’elle avait constitué une nouvelle initiative du Ministère de l’information pour
aborder les préoccupations liées à la diffusion par la RTLM d’émissions qui encourageaient
les divisions ethniques en violation de la convention qu’elle avait conclue avec le
Gouvernement.
613. Tout en admettant que les événements de Gishushu ont été évoqués lors de la réunion
du 10 février, la Chambre ne peut conclure, à la lumière de toutes les preuves dont elle
dispose, qu’il s’agissait du seul sujet de discussion et que la réunion s’était terminée par une
réconciliation et par les excuses du Ministre. Le ton sur lequel le Ministre a exprimé ses
préoccupations et la diversité de celles-ci, ainsi qu’en témoigne l’enregistrement de son
exposé introductif, sont compatibles avec la description que le témoin GO a donnée de la
réunion à huis clos qui s’en est suivie, au cours de laquelle ont été examinés plus à fond les
problèmes qui avaient été publiquement évoqués. Le fait que Valérie Bemeriki ait été
incapable de se souvenir de la réunion antérieure entre la RTLM et le Ministère, bien qu’il en
ait été question dans l’exposé introductif du Ministre, que sa présence à la réunion n’est pas
établie par l’enregistrement vidéo et qu’il apparaît qu’elle a caché dans ses déclarations
antérieures la présence de Nahimana à la réunion, sape sa crédibilité en tant que témoin de
cette réunion. De même, le récit qu’en a fait Nahimana est contredit par les éléments établis
par l’enregistrement vidéo. Le résumé de la réunion, présenté non seulement par le Ministre
mais aussi par Kabuga dans sa réponse, également enregistré sur cassette, indique clairement
que la réunion s’inscrivait dans le prolongement de la discussion du 26 novembre. L’objet de
cette réunion antérieure n’est guère contesté et l’enregistrement vidéo versé au dossier, qui
corrobore la déposition du témoin GO, témoigne clairement des préoccupations grandissantes
exprimées par le Ministre de l’information ainsi que de l’attitude de défi de plus en plus
marquée des cadres supérieurs de la RTLM.
614. La Chambre relève que l’émission diffusée sur les ondes de la RTLM par Kantano
Habimana le 18 mars 1994 confirme le ton hostile et menaçant de la réunion qui avait été
rapporté par le témoin GO. Habimana y exprime clairement son opinion personnelle selon
laquelle le Ministre de l’information était revenu sur sa décision de fermer la RTLM parce
qu’il avait compris que ce serait trop difficile et que cela pourrait lui causer beaucoup de
problèmes. Rien n’indique que les différends avaient été résolus à l’amiable et que le
Ministre s’était excusé pour le malentendu que la RTLM avait dissipé lors de la réunion.
615. Le témoignage du témoin à charge Nsanzuwera donne à penser que la réunion à
laquelle il a assisté au début du mois de février 1994 n’était pas celle du 10 février mais
plutôt une autre réunion de nature similaire ayant réuni des participants différents.
Nsanzuwera ne signale pas la présence à la réunion d’autres représentants de la RTLM que
Nahimana, et aucun des témoins qui ont déposé au sujet de la réunion du 10 février ne
mentionne la présence de Nsanzuwera. Cependant, la déposition de Nsanzuwera, que la
Chambre considère comme un témoin crédible, constitue une preuve supplémentaire des
préoccupations du Ministre de l’information concernant la promotion par les médias de la
division ethnique, de la communication de ces préoccupations à la RTLM et du rôle central
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de Nahimana dans la direction de celle-ci. Selon Nsanzuwera, il a été présenté à la réunion en
question comme étant le directeur de la RTLM et il était le seul représentant de la radio à y
assister.
616. La Défense a donné à entendre que l’initiative prise par le Ministère de l’information
était motivée par des considérations politiques animant le Ministre Rucogoza qui était
membre du MDR. Cette affirmation ne trouve aucun appui dans les éléments de preuve qui
mettent d’ailleurs clairement en évidence le dialogue engagé entre la RTLM et le Ministère
sur la convention conclue entre la RTLM et le Gouvernement et plus particulièrement sur son
alinéa 2 de l’article 5 qui interdit l’incitation à la haine ou à la violence. Le Ministère a
reproché à la RTLM diverses violations de cette convention et, quand bien même les
éléments de preuve indiquent une certaine attitude de défi de la part de la RTLM, ils
n’établissent pas que les allégations dirigées contre la RTLM étaient sans fondement. Par
conséquent, la Chambre ne trouve aucune trace de mobiles politiques déplacés dans les
activités du Ministère de l’information visant à s’assurer que les émissions de la RTLM
respectent la convention conclue entre celle-ci et le Gouvernement.
Conclusions factuelles
617. Les préoccupations que suscitait la programmation de la RTLM ont été formellement
exprimées pour la première fois dans une lettre en date du 25 octobre 1993 adressée par le
Ministre de l’information à la RTLM. Ces préoccupations se sont accrues, conduisant à une
réunion le 26 novembre 1993, organisée par le Ministre, à laquelle Nahimana, Barayagwiza
et Félicien Kabuga ont participé. Lors de cette réunion, Nahimana et Barayagwiza ont été
informés de l’inquiétude croissante, antérieurement exprimée dans une lettre adressée à la
RTLM par le Ministre, que suscitait le fait que celle-ci violait l’alinéa 2 de l’article 5 de la
convention conclue avec le Gouvernement, encourageait les divisions ethniques et
l’opposition aux Accords d’Arusha et diffusait des informations d’une manière non conforme
aux règles du journalisme. Nahimana et Barayagwiza ont tous les deux reconnu que des
erreurs avaient été commises par les journalistes de la RTLM. Divers engagements ont été
pris lors de la réunion au sujet des émissions de la RTLM. Nahimana a été décrit comme
étant « le directeur » de celle-ci et Barayagwiza comme en étant « un membre fondateur ». Ils
faisaient tous les deux partie de l’équipe de direction qui représentait la RTLM à la réunion,
avec Félicien Kabuga, et ils y ont tous les deux activement participé, montrant par là qu’ils
considéraient qu’ils étaient effectivement maîtres et responsables de la programmation de la
RTLM et que c’était l’impression qui était communiquée au Ministère.
618. Une deuxième réunion a été tenue le 10 février 1994 au cours de laquelle les
engagements de la réunion précédente ont été évoqués et le Ministre a exprimé ses
préoccupations selon lesquelles la programmation de la RTLM continuait à promouvoir les
divisions ethniques en violation de la convention qu’elle avait conclue avec le
Gouvernement. Le discours prononcé publiquement et retransmis à la télévision était fort et
clair et la réponse de la RTLM, par l’intermédiaire de Kabuga, indiquait tout aussi fortement
et clairement que la RTLM maintiendrait le cap et défendrait sa programmation en dépit de
ce qu’avait dit le Ministère de l’information. L’émission de la RTLM, au cours de laquelle le
Ministre a été mentionné de même que sa lettre adressée à la RTLM, a publiquement tourné
en ridicule ses efforts en vue de soulever ces problèmes ainsi que son incapacité à arrêter la
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RTLM. Selon le témoin GO, Barayagwiza a menacé le Ministère. Selon Nsanzuwera, le
Ministre était tout à fait conscient de ces menaces. Néanmoins, il a dit au témoin GO de
poursuivre son travail et a continué à constituer un dossier contre la RTLM qu’il préparait
pour le conseil des ministres peu de temps avant d’être assassiné avec sa famille le
7 avril 1994.
619. Il ressort manifestement de la lettre du 26 octobre 1993, de la réunion du 26 novembre
1993 et de celle du 10 février 1994 que les préoccupations que suscitait la diffusion par la
RTLM de messages de haine ethnique et de propagande mensongère ont été clairement et à
maintes reprises portées à la connaissance de l’intéressée et que celle-ci était représentée par
ses cadres supérieurs lors des discussions avec le Gouvernement portant sur ces
préoccupations. Nahimana et Barayagwiza ont participé aux deux réunions. Chacun a
reconnu que des erreurs avaient été commises par des journalistes et s’est engagé à les
corriger, et chacun a également défendu la programmation de la RTLM, sans donner à
entendre qu’ils n’en étaient pas entièrement responsables.
5.

Ferdinand Nahimana

620. Un certain nombre de témoins à charge ont fait état à l’audience de pratiques
discriminatoires auxquelles s’était livré Ferdinand Nahimana, en tant qu’étudiant à l’encontre
de ses condisciples tutsis, en tant que professeur à l’encontre de ses élèves tutsis, pour ce qui
est des admissions à l’université et des nominations du personnel enseignant, et en tant que
Directeur de l’ORINFOR à l’encontre des employés tutsis. La Défense a produit un certain
nombre de témoins pour réfuter ces allégations qui, pour certaines d’entre elles, remontent
aux années 1970. La Chambre considère que les faits allégués n’ont pas un lien assez étroit
avec les faits reprochés à Nahimana. Aussi ne tirera-t-elle pas de conclusions quant à ces
allégations. La Chambre a examiné les allégations concernant le rôle joué par Nahimana, en
tant que Directeur de l’ORINFOR, dans les massacres qui se sont déroulés dans le Bugesera
en 1992. Bien que ces faits ne relèvent pas de la compétence temporelle du Tribunal, la
Chambre estime que la conduite de l’accusé, en cette qualité et relativement à ces faits, est en
rapport avec les charges retenues contre lui et a donc tiré des conclusions relativement à ces
faits.
5.1

Meetings du 29 mars et du 12 avril 1994

621. Le Procureur reproche à Ferdinand Nahimana d’avoir organisé entre janvier et juillet
1994 des meetings avec les Interahamwe dans la préfecture de Ruhengeri. Deux de ces
meetings sont plus particulièrement visés, celui du 29 mars 1994 à la sous-préfecture de
Busengo, pendant lequel Nahimana aurait donné l’ordre aux Interahamwe de tuer les Tutsis
de la commune de Nyarutovu, et celui du 12 avril 1994 au bureau de la commune de
Gatonde, à la suite duquel les massacres de Tutsis auraient immédiatement commencé. Le
Procureur n’a produit qu’un seul témoin pour étayer ces allégations, le témoin AEN. La
Chambre examinera donc en même temps ces deux meetings.
622. Le témoin AEN, fermier hutu de Gatonde, a déclaré avoir vu pour la première fois
Ferdinand Nahimana chez le frère de celui-ci en 1985. Contre-interrogé, le témoin a expliqué
qu’il n’avait pas rencontré Nahimana à cette occasion, mais qu’il l’avait simplement vu entrer
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dans la maison, et qu’il était alors âgé de 13 ou 14 ans. Selon le témoin AEN, il avait revu
Nahimana le 29 mars 1994, à un meeting du parti à la sous-préfecture de Busengo, auquel
assistaient des militants du MRND, des Interahamwe, des militants de la CDR et des
Impuzamugambi. Le témoin AEN a déclaré que Nahimana avait pris la parole au cours du
meeting, qu’il avait désigné comme ennemis communs les Tutsis et les Inkotanyi. Il avait
insisté sur la haine qu’il éprouvait pour les Tutsis et avait invité les Interahamwe de la
commune de Nyarutovu à tuer tous les Tutsis et ceux qui n’appartenaient pas aux
Interahamwe637.
623. Selon le témoin AEN, il y avait eu d’autres discours du même genre, appelant à
attaquer les Tutsis, également en présence de Nahimana. Le témoin a ajouté que, au cours du
meeting, les Interahamwe avaient entonné des chants du parti, avec les paroles
« Exterminons-les » et il a indiqué que c’étaient les Tutsis qui devaient être exterminés.
D’après le témoin, Nahimana était présent et avait chanté lui aussi. Contre-interrogé, le
témoin a reconnu que le mot « Tutsis » ne figurait pas dans la chanson, mais il a déclaré que
la référence aux Tutsis était claire et que cela avait été dit pendant les meetings. Il a ajouté
que le meeting avait duré entre deux heures et demi et trois heures en présence de plus d’un
millier de personnes. Selon le témoin AEN, Nahimana y était le principal orateur et la
personne la plus influente à Gatonde entre 1990 et 1994. Il a déclaré que, par la suite, des
Tutsis avaient été tués à Nyarutovu entre le 8 et le 10 avril.
624. Le témoin AEN avait revu Nahimana à Gatonde le 12 avril 1994 au bureau de la
commune. Il y tenait un meeting et parlait de la nécessité d’éliminer les Tutsis. Les chefs de
la CDR et du MRND assistaient au meeting, qui avait duré une heure, les Interahamwe et les
Impuzamugambi se trouvant à l’extérieur, chacun dans la tenue de son parti. Le témoin a
déclaré qu’à la suite de ce meeting, des massacres avaient commencé à Gatonde le
lendemain. En contre-interrogatoire, le témoin AEN a expliqué qu’il ne se trouvait pas à
l’intérieur mais à l’extérieur de la salle où se tenait le meeting, à une distance d’environ
13 mètres et qu’il n’avait pas pu entendre ce qui s’y était dit. Il a déclaré avoir déduit les
propos qui s’y étaient tenus du massacre de Tutsis et d’opposants hutus qui s’en était suivi.
Le témoin n’a pu indiquer le nombre des participants à ce meeting mais a affirmé qu’il y
avait à peu près 200 jeunes gens à l’extérieur, qui semblaient attendre des ordres, et qu’il
avait entendu deux hommes près de lui dire qu’ils aimeraient bien recevoir l’ordre de tuer les
Tutsis.
625. Selon le témoin AEN, Sebastian Kazigirwa, le chef du MRND du secteur, avait
assisté aux deux meetings. Il a déclaré que Kazigirwa était chargé de l’entraînement militaire
des Interahamwe en vue de mettre en œuvre le plan d’élimination des Tutsis et d’autres
opposants du parti. Le témoin AEN a ajouté que, le 6 juillet 1994, Kazigirwa, qui était armé,
avait incité les Interahamwe à tuer les complices, les Tutsis ayant déjà été éliminés. Il a
demandé au témoin AEN de se lever et a demandé de le tuer, en le désignant comme
complice. Le témoin a déclaré avoir nié appartenir au FPR, alors qu’il en était membre, parce
qu’il avait peur d’être tué. Il n’avait pas été tué parce que les autres l’avaient cru.

637

Comptes rendus des audiences du 7 novembre 2000, p. 163 à 167, et du 8 novembre 2000, p. 68 à 71.

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626. Comme il l’a lui-même reconnu, le témoin AEN avait adhéré au FPR en mai 1993,
après avoir écouté une émission de Radio Muhabura. Il était auparavant membre du MDR,
mais avait quitté ce parti pour entrer au FPR. Il avait pour tâche de propager l’idéologie du
parti, de recruter de nouveaux membres et de rendre compte au FPR des activités des partis
politiques, et plus particulièrement du MRND. En 11 mois, le témoin AEN a dit avoir recruté
60 membres pour le FPR à Gatonde. Les membres du FPR au Rwanda se réunissaient en
groupes, secrètement, et le FPR comptait 180 membres à Gatonde, tous des civils non armés ;
ils avaient tous été tués, sauf lui.
627. Ferdinand Nahimana a déclaré que le 29 mars 1994, il était chez lui à Kigali, souffrant
et alité. Il a indiqué qu’il se soignait pour une crise de paludisme et pour des problèmes
d’estomac depuis la veille et que ce traitement s’était prolongé jusqu’au 7 avril, date à
laquelle il avait fui et s’était rendu à l’Ambassade de France. Il a déclaré avoir vu son
médecin traitant le 29 mars, qui s’était déjà rendu à son chevet la veille au soir. Le docteur
était arrivé vers 11 heures et était revenu dans la soirée. Nahimana a déclaré qu’il avait passé
la journée chez lui, que sa femme était partie travailler le matin, qu’elle était rentrée vers
12 heures et qu’elle était retournée au travail à 14 heures. Il a ajouté que ses enfants étaient à
la maison pour les vacances de Pâques. Interrogé sur la déposition du témoin AEN,
Nahimana a déclaré qu’il n’y avait pas eu de meetings du MRND dans la commune de
Gatonde ni en préfecture de Ruhengeri après l’offensive du FPR du 8 février 1994. Il a
déclaré avoir été malade le 29 mars et n’avoir pas pu se rendre à Gatonde, ni n’être allé dans
la sous-préfecture de Busengo entre le 23 mars et le 7 avril 1994638.
628. Le témoin à décharge Laurence Nyirabagenzi, l’épouse de Nahimana, a déclaré que le
29 mars celui-ci était resté à la maison, souffrant de paludisme et d’une gastrite. Le médecin
qui s’était rendu à son chevet le 28 mars dans la soirée, était revenu le 29 mars. Nahimana ne
pouvait alors plus avaler ses comprimés, de sorte que le médecin l’avait placé sous perfusion.
Le témoin avait travaillé ce jour-là, et avait amené les enfants à l’école. Elle s’était servie de
la voiture, la seule voiture dont ils disposaient. De janvier à mars, Nahimana ne s’était pas
rendu à Gatonde ni à Ruhengeri, pour des raisons de sécurité. Il avait été nommé Ministre, il
y avait de nombreux barrages routiers, et une partie de la route était contrôlée par le FPR.
Elle a également déclaré que le voyage aller-retour de Kigali prenait au moins cinq heures et
que, entre le 27 mars et le 7 avril, Nahimana ne s’était jamais absenté de chez lui pendant
cinq heures d’affilée. Du 7 au 12 avril, elle s’était trouvée à l’Ambassade de France avec son
mari et ses enfants. Le 12 avril, tôt le matin, ils avaient été évacués sur Bujumbura par les
Français639.
629. Le témoin à décharge B3, le médecin de Nahimana, a déclaré que le 27 mars, il s’était
rendu en visite au domicile de Nahimana et qu’il avait trouvé celui-ci souffrant d’une crise de
paludisme et de douleurs gastriques. Il lui avait prescrit des comprimés et était revenu pour
une visite de contrôle le 28 mars au soir ; il avait alors constaté une aggravation de son état.
Nahimana étant incapable de prendre par voie orale les médicaments prescrits, il avait alors
prescrit une perfusion, mais lorsqu’il était revenu le 29 mars, cette perfusion n’avait pas été
administrée à Nahimana et son état s’était encore aggravé, avec une fièvre élevée, de
638
639

Compte rendu de l’audience du 20 septembre 2002, p. 19 à 23.
Compte rendu de l’audience du 30 octobre 2002, p. 27 à 48.

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violentes douleurs gastriques et des vomissements. Le témoin a déclaré être arrivé entre 7 h
30 et 8 heures le 29 mars au matin. Il avait placé Nahimana sous perfusion et, lorsqu’il était
revenu le 30 mars au matin, il avait conseillé une autre perfusion, Nahimana n’étant pas
encore remis. Lorsqu’il était revenu le 31 mars au matin, l’état de santé de Nahimana s’était
amélioré, et il avait retiré la perfusion et prescrit des comprimés. Lors de sa visite suivante, le
4 avril, Nahimana était convalescent et le médecin avait constaté que le traitement avait fait
son effet. Il avait brièvement revu Nahimana le 5 avril, et l’avait trouvé en meilleure forme.
Selon le témoin, la perfusion, qui était un traitement en deux parties, prenait quatre heures et
obligeait le patient à garder le lit pendant six à huit heures. Il a ajouté qu’il était impossible
pour Nahimana de quitter le lit et de se rendre où que ce soit en voiture640.
630. La pièce à conviction 1D151 produite par la Défense, un extrait du livre « L’Afrique
des Grands Lacs en crise » du professeur André Guichaoua, contient une liste des personnes
qui ont été évacuées sur Bujumbura par l’Ambassade de France le 12 avril 1994, et le nom de
Nahimana y figure. Le témoin F3 a déclaré s’être rendu à l’aéroport de Bujumbura le 12 avril
1994, pour rencontrer la veuve de Déogratias Nsabimana, qui avait été évacuée de Kigali par
avion. À l’aéroport, il avait vu Nahimana et sa famille. Il connaissait Nahimana et sa femme
depuis très longtemps et Nahimana avait reconnu le témoin et lui avait indiqué où se trouvait
la femme de Nsabimana.641
Crédibilité du témoin
631. Lors du contre-interrogatoire, le témoin AEN a précisé qu’il ne se trouvait pas à
l’intérieur mais à l’extérieur du Bureau de la commune de Gatonde dans lequel s’était tenu le
meeting du 12 avril. Il n’avait pas entendu les propos de Nahimana. Lors de l’interrogatoire
principal, il avait déclaré :
Je l’ai vu à l’intérieur du bureau communal, il tenait une réunion. Il parlait de
l’objectif d’éliminer les Tutsis. Il incitait à ce que l’on mette en oeuvre cet objectif –
642
objectif qui avait été déclaré le 29 mars 1994 .

632. Ce passage de la déposition du témoin AEN donne clairement à entendre qu’il a
entendu les propos de Nahimana. Le conseil de Nahimana a déposé une requête demandant
une enquête à ce sujet en vue d’une inculpation pour faux témoignage, ce que la Chambre a
rejeté, le témoin n’ayant pas effectivement déclaré avoir entendu les propos tenus par
Nahimana. Le témoin a expliqué que c’était la déduction qu’il avait tirée du fait des tueries
qui avaient immédiatement suivi la réunion et des déclarations qu’il avait entendu Nahimana
faire au cours du meeting du 29 mars. Cette déduction, et la manière dont elle a été rapportée
à la Chambre par le témoin AEN au cours de l’interrogatoire principal, si elle ne peut donner
lieu à une inculpation pour faux témoignage, empêche toutefois de considérer comme fiable
la déposition du témoin. C’est pourquoi la Chambre conclut que celle-ci n’est pas digne de
foi.

640

Comptes rendus des audiences du 3 décembre 2002, p. 14 à 17, et du 4 décembre 2002, p. 8 à 11.
Compte rendu de l’audience du 2 décembre 2002, p. 6 à 10.
642
Compte rendu de l’audience du 7 novembre 2000, p. 185.
641

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Appréciation des éléments de preuve
633. Le Procureur s’appuie entièrement sur la déposition du témoin AEN pour étayer ses
allégations concernant la présence et la participation de Nahimana au meeting du
29 mars 1994 à la sous-préfecture de Busengo et à celui du 12 avril 1994 dans le bureau
communal de Gatonde. La Chambre ayant conclu que le témoin AEN n’est pas digne de foi,
le Procureur n’a pas rapporté la preuve de ces allégations.
5.2

Le Rwanda : Problèmes actuels, solutions

634. En février 1993, Nahimana a publié un essai intitulé Le Rwanda : Problèmes actuels,
solutions, qu’il a rediffusé le 28 mars 1994, accompagné de la lettre de couverture suivante,
intitulée « Chers amis » :
Cette réflexion a été achevée en février 1993. Quelques personnes en ont pris
connaissance. Un an après sa sortie, ce texte paraît encore d’actualité, que ceux qui
l’ont lu me demandent de le diffuser encore une fois.
Je me fais le devoir de le mettre à votre disposition en vous priant de m’apporter vos
commentaires et surtout en vous demandant de vous en inspirer pour aider le Rwanda
643
à trouver une solution définitive aux problèmes actuels .

635. La première partie de l’essai, la plus longue, était une analyse de l’histoire du Rwanda
depuis 1959, dans laquelle Nahimana décrivait l’émergence i) du régionalisme, distinction
faite entre les personnes originaires du sud, connues sous le nom de Nduga, et celles
originaires du nord, connues sous le nom de Kiga ; ii) du « collinisme », régionalisme
cantonal entraînant le favoritisme ou la préférence en fonction de la colline d’origine de la
personne ; et iii) de l’ethnisme qu’il présentait comme ayant été pratiqué dans toute l’histoire
du Rwanda. S’ensuivait une longue discussion de l’ethnisme, qui est largement historique et
politique. Nahimana déclarait dans cet essai que l’ethnisme avait toujours été « au centre des
querelles intestines qui ont culminé dans la révolution de 1959 » et que les tenants du pouvoir
monarchique, « à majorité les Tutsis », avaient considéré la révolution de 1959 comme ayant
été « majoritairement conduite par les membres de l’ethnie hutue ». Ces partisans, ajoutait-il,
ont décidé de se battre pour reconquérir leur suprématie traditionnelle, au niveau du pouvoir
politique ainsi qu’au niveau du pouvoir économique et social644.
636. Dans sa discussion de l’ethnisme, Nahimana identifiait plusieurs étapes de cette lutte
pour la reconquête du pouvoir après la révolution de 1959. La première étape, de 1960 à
1967, avait pris la forme de raids armés menés par des réfugiés se dénommant Inyenzi.
Chaque attaque avait provoqué une réaction des populations de l’intérieur du pays, qui s’était
traduite par l’incendie de maisons et le meurtre de Tutsis considérés comme complices des
agresseurs. Nahimana en décrivait ainsi les conséquences :
Les rancœurs réciproques s’instaurèrent au Rwanda et y empêchèrent l’existence
d’une unité de vue sur l’avenir du pays. Cet avenir fut perçu ou conçu par les uns
643
644

Pièce à conviction P25A, lettre de couverture.
Ibid., p. 1 à 4.

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comme une occasion de reprise du pouvoir et de vengeance sur ceux qui ont fait la
révolution, tandis que pour les autres, il fut perçu comme un temps de
l’affermissement du pouvoir dans une république dirigée à majorité par les membres
de l’ethnie hutue. D’où cette conception de l’avenir fut une véritable préparation des
heurts interethniques et de la destruction même de la république car pour les uns
c’était la préparation à la revanche et pour les autres c’était la préparation à la
domination perpétuelle ; bref, c’était pour tout le monde la préparation à
645
l’instauration de l’exclusion radicale .

637. La seconde étape, de 1968 à 1990, était décrite par Nahimana comme caractérisée par
le travail de minage en profondeur contre le pouvoir en place, période d’organisation à
l’intérieur comme à l’extérieur du Rwanda visant à élargir le cercle, en « recrutant des
adeptes essentiellement au sein de l’ethnie tutsie » et par des interventions auprès des
gouvernements étrangers et des organisations internationales pour trouver l’appui nécessaire
au renversement du Gouvernement rwandais. Dans ce contexte, l’essai mentionnait d’abord
une « ligue tutsie », dont la formation était décrite de la façon suivante :
À l’intérieur comme à l’extérieur du Rwanda, beaucoup de Tutsis furent amenés à
être convaincus qu’ils avaient été exclus du pouvoir politique et administratif,
économique et socio-culturel et que le moment était venu pour conquérir ce pouvoir,
et l’enlever, même de force, aux mains de ceux qui étaient supposés le détenir seuls –
646
les Hutus ! Dès lors il y eut une sorte de ligue tutsie contre ces derniers .

638. Stratégiquement parlant, « cette ligue » selon l’essai, ne pouvant affronter tous les
Hutus en même temps, opta pour la division. L’ethnisme revit alors le jour sous un angle
nouveau, une certaine sensibilité s’étant fait jour autour de l’identification ethnique des
Tutsis. Nahimana ajoutait dans l’essai qu’un Hutu traitant un Tutsi de Tutsi serait accusé
d’ethnisme, et que par cette tactique, « il y eut intimidation du Hutu par le Tutsi et,
perceptiblement ou imperceptivement [sic], ce dernier réussit à se faire passer partout (mais
faussement) comme victime de son ethnie minoritaire … »647 . En dehors du Rwanda, les
Hutus en étaient ainsi arrivés à être perçus comme les éternels oppresseurs des Tutsis et l’on
estimait que « tout [devait] changer pour sauver l’ethnie écrasée, celle des Tutsis »648.
639. Nahimana prétendait dans son essai que cette stratégie consistait en partie à exploiter
le régionalisme et le collinisme, et il soutenait que dès les années 1968 à 1970, « des plans
bien élaborés » visant à renverser la République en tirant parti de ces divisions
« commencèrent à circuler parmi les membres de la ligue tutsie ». Selon lui, « les membres
de cette ligue furent les premiers à réclamer le départ du Président Grégoire Kayibanda,
l’accusant d’avoir refusé le retour des réfugiés tutsis au Rwanda et d’avoir mis le pouvoir
dans les mains d’un groupe de gens natifs de Gitarama ... » 649 . C’est ainsi que « l’union
sacrée entre la majorité populaire, qui a combattu pour la République fut cassée et remplacée
par la division », division entre les Hutus Nduga et Kiga. Le coup d’État du 5 juillet 1973,
considéré comme une victoire des Kiga sur les Nduga, avait achevé de diviser les Hutus et
645

Ibid., p. 4 et 5.
Id.
647
Id.
648
Pièce à conviction P25A, p. 5.
649
Ibid., p. 6.
646

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avait été salué par les Tutsis. Il qualifiait ce coup d’État de « tremplin par lequel la ligue
tutsie parvint à affaiblir dangereusement le pouvoir rwandais »650.
640. Nahimana laissait entendre dans cet essai que « les membres de cette ligue [tutsie] »
s’employaient à créer la division entre les Nduga et les Kiga, en étant les amis des uns et des
autres tout en étant les acteurs actifs « de la division et de l’exacerbation des tensions ». Il
affirmait qu’il existait une alliance implicite « entre les Tutsis et les Hutus du Nduga contre
les originaires du nord » et que « ceux de la ligue tutsie lièrent l’ethnisme avec le
régionalisme chaque fois que ce dernier signifiait la haine du Kiga contre le Nduga, et non le
contraire », en utilisant ces divisions pour isoler les Hutus Kiga du nord. Nahimana déplorait
ces divisions et ajoutait :
[L]a République ne pouvait plus compter sur son ancienne force, l’unité de la
majorité populaire, pour survivre et tenir fortement face aux attaques menées contre
elle par la ligue tutsie dont les membres ont paralysé l’action unitaire de cette
République. De fait, la République faillit être emportée ... par les flots revanchards
des anciens monarchistes, leurs descendants et leurs adhérents regroupés aujourd’hui
dans ce qu’ils ont appelé le Front Patriotique Rwandais (le FPR) Inkotanyi651.

641. Cet exposé, qui constituait plus de la moitié de l’essai, s’achevait par la proposition
que les divisions dues au régionalisme, au collinisme et à l’ethnisme avaient été transmises
aux nouveaux partis créés à la suite de l’introduction du multipartisme, et que le FPR était le
bénéficiaire de ce manque de cohésion nationale. Nahimana avançait que considérer le FPR
comme « porteur de la démocratie » au Rwanda était une illusion, que le « FPR, composé
majoritairement de membres de la ligue tutsie et de quelques adhérents hutus de recrutement
récent, utilis[ait] et manipul[ait] même les partis de ceux qui ont choisi de travailler avec lui
en les enlisant dans la haine et la division contre les partis qui n’ont aucune relation avec lui,
et en cachant ses desseins politiques véritables652 ». Ses desseins véritables, d’après cet essai,
étaient de prendre le pouvoir par la force.
642. Nahimana introduisait le concept de défense civile dans la dernière partie de son essai,
après ce rappel historique, en expliquant d’abord ce qu’il considérait comme important dans
l’histoire :
Constat amer ? Oui.
Mais constat qui doit faire réfléchir même les plus rivés sur leur position. Le Rwanda
qui vient de souffrir pendant plus de deux ans de la guerre doit s’en sortir. Il doit s’en
sortir grâce à la reprise de conscience de tous ses fils et de toutes ses filles. Pour ce
faire, il faut un nouvel élan amenant la majorité populaire rwandaise et, de préférence
tous les Rwandais à cristalliser leur attention sur une préoccupation commune : la
653
défense du pays dans l’intégralité de son territoire et de son peuple .

650

Id.
Pièce à conviction P25A, p. 7.
652
Ibid., p. 8 et 9.
653
Ibid., p. 9.
651

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643. L’essai indiquait que la défense du pays « exigeait de chacun des Rwandais » qu’il
prit sa part de responsabilité, et précisait ensuite : « La défense du pays dans l’intégrité de son
territoire et de son peuple exige la mise en contribution des forces physiques, morales et
intellectuelles de tous les Rwandais ou du moins de la grande majorité de la population ».
Pour y parvenir, les attitudes devaient changer et la force du peuple devait être reconnue.
Selon Nahimana, il fallait faire appel à « la population rwandaise, essentiellement la
jeunesse » pour défendre le Rwanda. Il insistait notamment sur la jeunesse dans les zones qui
avaient été touchées par la guerre du FPR et qui connaissaient la tactique du combattant FPR
et déclarait que « tout le monde [devait] intervenir pour qu’ils aient un entraînement militaire
approprié à la contre-guerilla et pour qu’ils aient des armes à suffisance ». Le rôle de ces
jeunes serait d’ « appuyer les militaires de carrière en veillant sur la sécurité des déplacés de
guerre ou en veillant sur la sécurité dans les zones libérées par les forces armées
rwandaises »654.
644. Appelant cela « la défense civile », Nahimana écrivait ce qui suit dans son essai à
propos de la nécessité de l’unité :
Pour réussir, cette opération doit bénéficier de la conviction de l’ensemble de la
société qui doit se tenir comme un seul homme contre toute forme de menace ou
d’agression collective. Cette prise de conscience répudie alors automatiquement la
haine et la division basées sur les origines ethniques et régionales …655.

645. La nécessité de s’organiser rapidement était mentionnée, ainsi que la nécessité de
« donn[er] des conseils aux autorités des Ministères de l’intérieur et de la défense sur
notamment les modalités de recrutement et d’organisation des jeunes à intégrer dans cette
défense »656.
646. Dans son essai, Nahimana appelait à l’union les leaders des partis politiques et les
invitait, « sans distinction d’appartenance politique » à travailler à la réussite de l’action des
forces armées contre « l’ennemi du pays ». Il qualifiait le FPR d’« ennemi n° 1 du Rwanda et
de la démocratie »657 et le désignait à nouveau à plusieurs reprises comme « l’ennemi ». Il
appelait également les responsables des églises et des confessions religieuses à organiser des
réunions pour l’unité d’action et pour soutenir la réinstallation des déplacés de guerre et il
demandait à l’élite rwandaise de se défaire de ses schémas d’exclusion, de se ressouder et
d’« user de ses talents, de ses connaissances, de ses contacts et de ses amitiés pour montrer au
monde le véritable agresseur du Rwanda ». Dans son essai, Nahimana demandait : « Qu’estce que le FPR-Inkotanyi ? Est-ce un mouvement armé de guerrilleros ou est-ce un
mouvement politique de réfugiés ? » Il chargeait l’élite de se lancer dans des actions
diplomatiques de grande envergure afin de « remettre le FPR [à] sa juste place et de lever les
confusions qu’il a su entretenir » et « pour amener le FPR à se convertir à demander pardon
pour ses crimes et à laisser les réfugiés rwandais regagner leur pays (le Rwanda) en paix »,

654

Ibid., p. 10.
Id.
656
Pièce à conviction P25A, p. 11.
657
Ibid., p. 11 et 12.
655

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ajoutant : « C’est à cette élite de préparer les Rwandais de l’intérieur à accepter le retour des
réfugiés et de demander à ces derniers de vivre en paix avec leurs voisins658 ».
647.

Et l’essai se terminait ainsi :
[C]es actions soutiendront le travail des forces armées rwandaises et les
accompagneront dans leur victoire finale sur Museveni et ses « boys » du FPRInkotanyi.
-

-

Unis, nous vaincrons.
Ensemble, nous préparerons notre avenir
Dans la communauté nationale en paix et dans la prospérité, nous vivrons et
659
pratiquerons une véritable démocratie .

648. Nahimana a précisé que lorsqu’il a écrit Le Rwanda : Problèmes actuels, solutions,
c’était dans le contexte d’une nouvelle déclaration de guerre par le FPR le 8 février 1993, en
violation de l’accord de cessez-le-feu. Il a déclaré avoir eu le sentiment que la nation était en
danger et que la démocratie ne pouvait survivre si un groupe armé venait à prendre le
pouvoir. Il avait mis tous les acteurs en demeure de se battre contre l’ennemi. Il avait insisté
sur l’existence de la ligue tutsie, en disant qu’il ne s’agissait pas d’un groupe mais bien de
plusieurs groupes. Il la décrivait en termes idéologiques, en mentionnant plusieurs groupes,
publications ou individus particuliers issus de la communauté tutsie qui s’employaient à
renverser le Gouvernement. Il a déclaré avec une grande fermeté que tous les Tutsis n’étaient
pas membres du FPR et que l’on ne pouvait absolument pas considérer tous les Tutsis comme
des ennemis de la nation660.
649. S’agissant de sa proposition de défense civile, Nahimana a maintenu que son intention
était de proposer quelque chose qui serait encadré, et non pas quelque chose de sauvage,
échappant à tout contrôle. Il a signalé que de nombreux pays, comme la Suisse, disposaient
d’unités de défense civile et a dit qu’il était nécessaire d’armer la défense civile pour qu’elle
puisse servir à lutter contre l’ennemi. Il a ajouté qu’il n’était pas le père de la défense civile
au Rwanda, que la défense civile avait été mise en place depuis le début de la guerre en 1990,
avec des barrages routiers, et que cela participait de ce dont il parlait. Selon lui, ses idées
avaient été mal interprétées, il ne pensait pas aux Interahamwe dans son essai parce que la
défense civile devait relever de la compétence des pouvoirs publics, alors que les
Interahamwe et d’autres milices de ce type relevaient des partis politiques. Il a déclaré qu’il
soutenait toujours les idées-clés de son essai661.
650. Lors du contre-interrogatoire, des questions ont été posées à Nahimana sur la RTLM
et sur l’absence de toute mention de ce média dans son essai. Il a déclaré qu’il ne pensait pas
à la RTLM à ce moment-là. Lorsqu’il a écrit son essai en février 1993, la RTLM n’avait pas
encore été créée, encore qu’il reconnaissait qu’elle était en projet depuis novembre 1992. Il a
indiqué que si ce média n’était pas mentionné dans l’appel lancé dans son essai à tous les
658

Ibid., p. 12 et 13.
Ibid., p. 14.
660
Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 138 à 148.
661
Ibid., p. 148 à 160.
659

Jugement et Sentence
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224

Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

segments de la société, y compris la jeunesse, les responsables religieux et les leaders
politiques, pour qu’ils adhèrent à la défense civile, il n’avait rien vu de mal à associer ce
média aux activités de la population. L’idée centrale, c’était que la défense civile ne pouvait
l’emporter que si tous les Rwandais sans distinction y participaient. Il a déclaré que cet essai
lui avait été inspiré par la guerre. Ce qui le préoccupait, c’était la pénétration progressive des
troupes du FPR au Rwanda, et les solutions qu’il proposait visaient à arrêter cette
pénétration662.
651. Pour ce qui est de l’expression « ligue tutsie », Nahimana, lors de son contreinterrogatoire, a répété que la ligue tutsie était un éventail de petits groupes qui s’étaient
constitués à l’extérieur, composés de Tutsis, mais la ligue n’était pas synonyme de la
communauté tutsie à l’extérieur du Rwanda. Il a affirmé qu’en 1993, des leaders de ce groupe
avaient essayé de recruter au Rwanda des gens qui appuyaient l’idée d’un renversement du
régime. Ces recrues au Rwanda même faisaient également partie de la ligue tutsie. On lui a
représenté qu’il avait prétendu dans l’essai que de nombreux Tutsis avaient été amenés à
croire qu’ils avaient été exclus du pouvoir social, économique et politique et qu’il ne parlait
pas simplement en fait des membres de la ligue tutsie, mais de tous les Tutsis. Nahimana a
soutenu que le fait d’isoler une phrase de son contexte changeait complètement le sens de ce
qu’il avait dit. Il a déclaré qu’il ne parlait pas d’une communauté, mais plutôt d’une attitude.
Il a dit que la ligue tutsie existait et était constituée de plusieurs groupes, et qu’il n’avait fait
que décrire la réalité lorsqu’il en avait parlé dans son essai663.
652. Priée de faire part de ses observations sur l’essai de Nahimana, le témoin expert à
charge Alison Des Forges a noté dans sa déposition les références faites dans cet essai à la
« ligue tutsie », qu’elle considérait comme capitales pour indiquer qui, pour l’auteur, était
l’ennemi. Elle a fait observer que dans cet essai, on constatait un aller retour constant entre
l’appel à en finir avec les divisions dans la population et, d’une part, la nécessité de s’unir, et,
d’autre part, la restriction apportée, selon laquelle à défaut de tous les Rwandais, au moins
« la majorité de la population » devait contribuer à la défense du pays, ce qui donnait à
entendre que ce n’était peut-être pas tous les Rwandais qui prenaient part à cet effort. Elle a
avancé qu’il était également significatif que dans cet essai, l’utilisation proposée de la force
de défense civile n’avait pas été envisagée seulement le long de la frontière mais également
dans des zones éloignées des combats pour assurer la paix intérieure.
653. Dans sa déposition, Des Forges a établi une distinction entre la situation au Rwanda
en février 1993, au moment de la rédaction de l’essai, et celle qui y régnait en mars 1994, au
moment où Nahimana l’a rediffusé. Elle a expliqué que, dans le premier cas, l’essai avait été
publié dans les semaines qui avaient suivi une avancée importante du FPR, qui avait
provoqué d’importants dommages dans le nord du pays et avait abouti au mouvement des
troupes du FPR vers Kigali, avancée qui n’avait été bloquée qu’à la dernière minute sous la
pression internationale et notamment celle du Gouvernement français. Le pays avait été
frappé de stupeur et beaucoup, dont la CDR, Kangura et le président Habyarimana, ainsi que
Nahimana, avaient demandé à ce moment-là le lancement d’un mouvement d’autodéfense.
En mars 1994, point d’avance militaire rapide qui venait de se produire et point non plus de
662
663

Compte rendu de l’audience du 26 septembre 2002, p. 75 à 82.
Ibid., p. 180 à 195.

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stupeur. Au contraire, les Accords d’Arusha avaient été signés et des progrès étaient censés
être faits vers leur mise en œuvre. Le contexte était donc extrêmement différent, ce qui a
amené le témoin Des Forges à se demander pourquoi un effort de recrutement aurait dû être
fait à ce moment-là. Elle a ajouté que, s’il était possible d’interpréter la rédaction initiale de
l’essai en février 1993 comme une réaction à une menace militaire directe et immédiate, il
n’y avait aucune raison de ce genre d’appeler à l’autodéfense en mars 1994, sauf s’il
s’agissait d’appuyer la préparation, alors organisée dans certains cercles civils et militaires,
d’une mobilisation à grande échelle de la population civile en vue d’attaquer les Tutsis et des
membres de l’opposition politique hutue664.
654. Lors de son contre-interrogatoire, Des Forges a été questionnée sur l’appel adressé
dans cet essai aux autorités religieuses désignant le FPR comme l’ennemi du peuple, sur le
passage mentionnant que la République était menacée par les anciens monarchistes, assimilés
au FPR, ainsi que sur le passage à la fin de l’essai invitant les puissances qui appuyaient la
démocratie à faire pression sur Museveni et l’Ouganda afin qu’ils cessent d’alimenter en
armes et en hommes le FPR-Inkotanyi, cause même des problèmes du Rwanda. Elle a
également été interrogée sur le passage indiquant que les actions de défense civile
soutiendraient le travail des Forces armées rwandaises et leur permettraient de l’emporter sur
Museveni et le FPR-Inkotanyi. Priée de confirmer que le FPR était clairement identifié dans
ce texte comme l’ennemi, Des Forges a fait remarquer qu’il y avait également de nombreuses
références dans cet essai à la « ligue tutsie » et a laissé entendre que puisque le FPR avait été
clairement identifié comme l’ennemi, il était difficile de comprendre pourquoi l’expression
« ligue tutsie » était utilisée aussi fréquemment dans cet essai665. Tout en reconnaissant à
nouveau que, dans cet essai, l’appel à la création d’une force de défense civile devait être
interprété comme résultant en partie de la menace militaire planant au moment de sa
rédaction, Des Forges a déclaré qu’elle avait le sentiment que le texte de l’essai ne désignait
pas comme ennemi le seul FPR soutenu par Museveni, à cause des références faites à la
« ligue tutsie ». À l’issue d’une discussion sur la signification du mot « ligue », elle a estimé
que ce mot pouvait désigner l’ensemble ou une partie d’un groupe, suivant le contexte.
655. Des Forges a confirmé que l’essai condamnait vigoureusement l’ethnisme mais a fait
observer qu’il était essentiel de le lire attentivement pour bien comprendre ce que ce terme
signifiait. Selon elle, au-delà de la première impression que l’on pouvait avoir – tout
sentiment ethnique était condamné – une lecture attentive montrait que la responsabilité de la
division ethnique était d’un côté et non pas de l’autre, que les Tutsis étaient responsables du
problème ethnique. Lorsqu’on lui a fait remarquer que le passage qui commence ainsi : « Les
rancœurs réciproques s’instaurèrent au Rwanda et y empêchèrent l’existence d’une unité de
vue sur l’avenir du pays »666 indiquait que Nahimana parlait d’une responsabilité partagée
dans les tensions interethniques, Des Forges en a convenu, mais a cité les précédents
paragraphes, qui identifiaient les Inyenzi comme les initiateurs du processus. Elle a observé
que cela posait un problème lorsqu’il y avait, dans un même document, des déclarations
contradictoires, mais que c’était le propre de nombreuses publications et émissions pendant
cette période, et qu’il était donc difficile de se faire une idée de l’intention sous-jacente.
664

Compte rendu de l’audience du 21 mai 2002, p. 273 à 287.
Compte rendu de l’audience du 30 Mai 2002, p. 241 à 245.
666
Pièce à conviction P25A.
665

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656. Contre-interrogée, Des Forges a reconnu l’existence d’un passage dénonçant
clairement dans l’essai la haine et les divisions basées sur l’appartenance ethnique, mais a
observé que d’autres passages énonçaient un point de vue différent ; elle a cité à cet égard le
passage de l’essai définissant la « ligue tutsie » et les paragraphes suivants, dans lesquels
cette ligue tutsie était clairement désignée comme étant à l’origine des divisions ethniques
ainsi que du régionalisme et du collinisme parce qu’elle avait entrepris de diviser le peuple
rwandais. Des Forges a convenu que, d’après l’essai, le FPR était issu de cette ligue tutsie,
mais s’est dite préoccupée par la généralisation du lien suggéré par le conseil de Nahimana
quand il désigne la diaspora tutsie comme la source commune de deux mouvements
historiquement distincts. Elle a déclaré que le FPR se distinguait, par son programme et ses
intentions, du groupe qui avait attaqué le Rwanda dans les années 1960, qu’il s’agissait de
deux organisations différentes opérant à des époques historiquement différentes, mais elle a
admis que les deux groupes trouvaient leur base ou leur appui essentiellement dans la même
population des réfugiés se trouvant en dehors du pays667.
Appréciation des éléments de preuve
657. La Chambre a soigneusement étudié dans sa totalité le texte de l’essai Le Rwanda :
Problèmes actuels, solutions, qui est essentiellement une analyse politique de l’histoire du
Rwanda. Cette analyse n’était ni impartiale ni objective. Elle adoptait une position claire,
raisonnée, sur les points de désaccord. Son intention déclarée était d’amener les gens à
réfléchir et à comprendre l’histoire et le contexte politique du Rwanda à l’époque, comme
son auteur.
658. Dans la description de l’ethnisme au Rwanda donnée dans cet essai, la Chambre
relève qu’initialement, Nahimana indiquait que les forces à l’origine de la révolution de 1959
étaient considérées par les sympathisants de la monarchie, « à majorité les tutsis », comme
« une opposition majoritairement conduite par les membres de l’ethnie hutue ». Il faisait un
peu plus loin allusion à « une république dirigée à majorité par les membres de l’ethnie
hutue » et au recrutement de partisans par l’opposition « essentiellement au sein de l’ethnie
tutsie ». Ces références, qui se trouvent toutes en quatrième page de l’essai, témoignent d’un
certain souci d’identifier les personnes concernées en fonction de l’appartenance ethnique
sans toutefois les définir par celle-ci. Un tel souci semblait pourtant s’estomper au fur et à
mesure de la suite de l’essai, avec la disparition progressive d’adjectifs comme « nombreux ».
À partir du bas de la quatrième page, les mots « Hutus » et « Tutsis » étaient utilisés à la fois
pour décrire l’appartenance ethnique et politique. « Dans ce dernier cas [Si un Hutu appelait
un Tutsi Tutsi] » par exemple, fait référence à l’appartenance ethnique, alors que la phrase
suivante, « ce dernier [le Tutsi] réussit à se faire passer partout (mais faussement) comme
victime de son ethnie minoritaire » ne vise probablement pas tous les Tutsis, mais plutôt ceux
qui, selon l’essai, manipulaient l’appartenance ethnique à des fins politiques. Nahimana
condamne ostensiblement l’ethnisme, tout en utilisant pour son analyse les appelations Hutus
et Tutsis comme points fixes de référence politique, qu’il perpétue. De plus, comme l’a
souligné Des Forges dans son analyse de l’essai, Nahimana rendait les Tutsis responsables

667

Compte rendu de l’audience du 30 mai 2002, p. 8 à 15.

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des problèmes auxquels se trouvait confronté le Rwanda, et présentait les Tutsis comme les
agresseurs et les Hutus comme les victimes.
659.
Le Procureur a insisté sur le nombre de fois dont il est question d’une « ligue tutsie »
dans cet essai, et la Chambre a cité plus haut tous les passages mentionnant cette ligue.
L’explication de sa formation, selon laquelle de nombreux Tutsis avaient été amenés à penser
que les Hutus les avaient exclus du pouvoir qui devait être reconquis par la force, indique que
cette expression visait un groupement très peu structuré. Le membre de phrase : « Dès lors, il
y eut une sorte de ligue tutsie contre ces derniers [les Hutus] » suggère, par le caractère vague
de l’expression « une sorte de » que la ligue tutsie n’était pas un groupe officiel ou
expressément défini mais un regroupement identifié par l’appartenance ethnique. L’essai
faisait plus loin allusion à des plans utilisant l’arme du régionalisme et du collinisme qui
commençaient « à circuler parmi les membres de la ligue tutsie ». Il était dit que « les
membres de cette ligue [tutsie] » avaient été les premiers à réclamer le départ de Kayibanda,
que « des membres de cette ligue » travaillaient à convaincre l’opinion que les Tutsis et les
Hutus Nduga étaient exclus du pouvoir et que « ceux de la ligue tutsie lièrent l’ethnisme avec
le régionalisme chaque fois que ce dernier signifiait haine du Kiga contre le Nduga, et non le
contraire ». Il était également question d’attaques menées contre le « peuple majoritaire » par
la « ligue tutsie dont les membres ont paralysé l’action de cette République ». Enfin, une
référence était faite au FPR qui est « constitué majoritairement de membres de la ligue tutsie
et de quelques adhérents hutus de recrutement récent ... ».
660. Il est clair que les « membres de la ligue tutsie » mentionnés dans l’essai de Nahimana
avaient une orientation politique particulière et agissaient en conséquence. Il n’était pas
expressément mentionné que tous les Tutsis étaient visés, mais il était sous-entendu que tous
les Tutsis partageaient cette orientation et prenaient part à ces agissements. Aucune
distinction n’était effectivement établie entre « la ligue tutsie » et la population tutsie dans
son ensemble. La Chambre retient que le danger réside dans ce flou qui autorisait ou
encourageait le lecteur à conclure que tous les Tutsis, du seul fait qu’ils étaient Tutsis,
partageaient ces opinions politiques et étaient membres de cette ligue mal définie. La
Chambre relève que l’on peut appliquer le même raisonnement aux nombreuses mentions
dans ce texte de la « majorité populaire », qui pouvait être interprétée comme visant les
Hutus. Discutant de la nécessité d’une participation globale à la défense civile, Nahimana
mentionnait à plusieurs reprises « la majorité populaire du Rwanda et, de préférence, tous les
Rwandais », ou la mise à contribution des forces de « tous les Rwandais ou, du moins, de la
grande majorité de la population ». Après qu’eut ainsi été clairement brossé le tableau
historique de la domination tutsie et de la subordination hutue, situation qui a commencé à
s’inverser en 1959, il est difficile d’imaginer que ces références vagues à « la majorité
populaire » pouvaient s’interpréter autrement que comme visant la population hutue du
Rwanda.
661. Cet amalgame entre les identifications ethnique et politique n’est pas surprenant à la
lumière de l’histoire du Rwanda. Le pouvoir politique ayant historiquement été défini au
Rwanda par l’appartenance ethnique, les intérêts politiques des différents groupes ethniques
divergeaient d’une manière liée, au moins en partie, à l’origine ethnique. La Chambre estime
qu’il faut s’attendre à ce que des groupes politiques se définissent en fonction de
l’appartenance ethnique dès lors qu’il existait de fait une corrélation effective entre les
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intérêts politiques et l’identité ethnique. Le FPR était en fait principalement constitué de
Tutsis.
662. Pourtant, il importait tout particulièrement, dans le contexte, d’être clair et d’éviter le
danger d’amalgame entre origine ethnique et appartenance politique. L’essai, tout en
définissant clairement et à plusieurs reprises le FPR comme « l’ennemi », ainsi que l’a
souligné la Défense, faisait en même temps clairement et à plusieurs reprises référence à la
« ligue tutsie », expression visant un large groupement de Tutsis défini de façon si vague
qu’elle pouvait être utilisée ou interprétée comme désignant l’ensemble de la population
tutsie. Ce groupement était présenté comme ayant une orientation politique particulière, et
défini comme sympathisant du FPR et vivier de recrutement pour celui-ci. La Chambre relève
que Nahimana lui-même décrivait dans la partie historique de son essai les représailles –
l’incendie des maisons et le massacre de Tutsis – menées par la population en réponse aux
attaques armées des Inyenzi. Il n’ignorait manifestement pas le risque présenté par la
formulation « une sorte de ligue tutsie contre les Hutus ».
663. Selon le Procureur, l’essai et sa lettre de couverture de mars 1994 ont incité la
jeunesse à s’organiser en milices d’autodéfense pour combattre le FPR. La Chambre relève
que la lettre de couverture et l’essai ne s’adressaient pas spécialement à la jeunesse. La lettre
ne mentionnait pas la jeunesse, et rien ne prouve qu’elle ait été distribuée aux jeunes. Dans
l’essai, Nahimana proposait la création d’une défense civile, mais l’essai n’appelait pas
directement la jeunesse à organiser des milices d’autodéfense. Il préconisait plutôt qu’elles
soient créées par des structures en place. À cet égard, la Chambre retient qu’il est dit qu’il
faut conseiller les autorités des Ministères de l’intérieur et de la défense « sur notamment les
modalités de recrutement et d’organisation des jeunes à intégrer dans cette défense » et le
passage dans cet essai où il est dit que ces jeunes viendraient prêter main forte aux Forces
armées rwandaises. Selon Nahimana, il n’appelait pas, dans cet essai, à l’organisation de la
jeunesse en milices armées par des partis politiques mais plutôt par le Gouvernement luimême, en vue de renforcer sa puissance militaire pour affronter l’insurrection armée du FPR.
664. La Chambre estime que cette affirmation doit être appréciée dans le contexte de
l’époque à laquelle l’article a été publié. Le témoin expert à charge Des Forges a reconnu
qu’en février 1993, au moment où Nahimana rédigeait son essai, le besoin d’une défense
civile pour faire obstacle à l’avance des troupes du FPR a pu se faire sentir, mais elle a
déclaré qu’il n’existait aucun besoin apparent de ce type en mars 1994. La Chambre retient,
toutefois, que les Accords d’Arusha ont provoqué dissensions et agitation au début de 1994,
ainsi qu’une présence de plus en plus importante et visible des Interahamwe et d’autres
jeunes organisés par les partis politiques hutus au pouvoir, le MDR, le MRND et la CDR. Ces
jeunes, de plus en plus armés, étaient envisagés comme une force d’opposition au FPR et à
ses complices. Dans ce contexte, la rediffusion de l’essai de Nahimana en mars 1994 pouvait
être considérée, et voulue, comme un soutien à cette initiative. Rien n’indique, dans la lettre
de Nahimana de mars 1994, qu’il se soit opposé à l’organisation de la jeunesse en milices
armées par les partis politiques. Dans son essai, pourtant, Nahimana appelait à l’unité des
partis politiques et envisageait sa proposition de défense civile comme une initiative devant
être coordonnée par le Gouvernement et l’armée. Dans ces circonstances, même si Nahimana
avait le motif inavoué de soutenir l’organisation de la jeunesse en milices armées telle qu’elle
a été mise en œuvre autour de lui en mars 1994, l’absence dans son texte de toute indication
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en ce sens et la présence de propos préconisant une autre approche empêchent la Chambre de
conclure qu’en faisant référence dans son essai à l’organisation de la jeunesse en milices
armées, il cherchait à soutenir les milices armées telles qu’elles étaient mises en oeuvre au
Rwanda à ce moment-là.
665. Selon le Procureur, la lettre de couverture rédigée par Nahimana en mars 1994
appelait la population à trouver une « solution finale » au problème du Rwanda. La Chambre
relève que la lettre de couverture parle d’une « solution définitive » et non d’une « solution
finale ». Même si ces propos se voulaient peut-être une allusion voilée au langage de
l’holocauste, tout comme l’expression « la ligue tutsie » se voulait une allusion voilée à la
population tutsie dans son ensemble, la Chambre ne peut conclure en ce sens. Les mots
« solution définitive » ont un sens différent de celui des mots « solution finale » en ce qu’ils
n’englobent pas de manière évidente la notion d’extermination ou de génocide. La solution
proposée dans l’essai est de vaincre l’ennemi par les armes et définitivement. L’ennemi est
explicitement désigné comme le FPR et implicitement désigné comme la population tutsie
dans son ensemble, par l’emploi de l’expression la « ligue tutsie ». Mais l’essai lui-même ne
fait pas explicitement référence à l’extermination ou au génocide.
666. Pour déterminer le sens véritable de l’essai, la Chambre doit examiner le texte luimême et les circonstances dans lesquelles il a été écrit. Le message à double sens, sur lequel
le témoin expert Des Forges a attiré l’attention, donne une indication du sens véritable. Le
contexte dans lequel l’essai a été écrit et diffusé en donne une autre. La Chambre reconnaît
que l’objet et le sens véritable de cet essai peuvent être implicites. Toutefois, elle ne peut
ignorer la signification et l’objet explicites des termes utilisés par Nahimana.
Conclusions factuelles
667. L’essai, Le Rwanda : Problèmes actuels, solutions a été écrit par Nahimana en
février 1993 et appelait à l’organisation d’une défense civile, constituée de groupes armés de
jeunes, afin de combattre « l’ennemi », défini explicitement comme le FPR et implicitement
comme la « ligue tutsie », référence voilée à la population tutsie. En mars 1994, Nahimana a
remis cet essai en circulation alors que l’on s’employait à ce moment-là à pousser des
organisations de jeunes armés, comme les Interahamwe, à attaquer la population tutsie dans
le cadre des efforts déployés pour vaincre le FPR. Mais l’essai mentionnait qu’une telle
initiative devait être coordonnée par des membres du Gouvernement et par l’armée. La lettre
de couverture, publiée en mars 1994, ne s’adressait pas expressément à la jeunesse. Si elle
appelait bien les lecteurs à aider le pays à trouver une « solution définitive » à ses problèmes,
cet appel – tel qu’il est reflété dans l’essai – s’adressait à différents secteurs de la population,
il leur demandait de prendre diverses initiatives, en majeure partie non violentes. Si l’essai
appelait à vaincre « l’ennemi », ce n’était pas un appel direct à la violence, mais simplement
une initiative de défense civile devant être coordonnée par l’armée rwandaise.
5.3

Les événements du Bugesera

668. Le témoin à charge Thomas Kamilindi a travaillé comme journaliste à Radio Rwanda
en 1992, lorsque Nahimana était directeur de l’ORINFOR. Il a déclaré qu’en mars 1992, au
cours d’une réunion de la rédaction, le rédacteur en chef Jean-Baptiste Bamwanga avait
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apporté une télécopie en provenance de Nairobi et avait expliqué qu’on devait décider s’il
fallait ou non la radiodiffuser. La télécopie disait que l’ennemi, les Inyenzi, se préparait à
assassiner un certain nombre de leaders hutus. Le plan devait être mis en œuvre par la
branche intérieure du FPR ou l’ennemi Inyenzi, qui était le PL ou Parti libéral. Il a ajouté qu’à
partir de 1990, le terme « Inyenzi » avait commencé à être utilisé pour désigner les Tutsis et
également l’opposition, indépendamment de l’appartenance ethnique. Un ou deux jours
auparavant, le PL avait organisé un meeting dans le Bugesera, dans la ville de Nyamata, et
avait dénoncé les agissements de celui qui était alors bourgmestre et membre du MRND, le
parti au pouvoir à ce moment-là. La télécopie avait été discutée longuement et les personnes
assistant à la réunion avaient trouvé impossible d’en garantir l’authenticité. L’organisation
qui avait envoyé cette télécopie était inconnue, de même que son signataire. La rédaction
avait donc décidé de ne pas diffuser le contenu de la télécopie. Peu de temps après, alors que
la rédaction avait déjà commencé à préparer le journal de la mi-journée, le rédacteur en chef
était arrivé avec une bande audio, qu’il avait lui-même enregistrée, contenant une
introduction qui devait précéder la radiodiffusion du texte de cette même télécopie. Dans cet
enregistrement, il était dit que, en tant qu’organe public d’information, il était de son devoir
de porter ces informations capitales à la connaissance du public. Le témoin Kamilindi a
déclaré qu’ils avaient reçu des instructions selon lesquelles le directeur de l’ORINFOR avait
ordonné de rediffuser le message dans la soirée et le lendemain matin. Ils avaient reçu
l’instruction de diffuser la bande en totalité, sans rien supprimer. Il a déclaré que la bande
avait été diffusée au moins quatre fois sur Radio Rwanda avec les nouvelles de la mi-journée
et celles du soir, et, le lendemain, avec celles du matin et de la mi-journée. Juste après, des
massacres avaient commencé dans la région du Bugesera, visant les Tutsis668.
669. Kamilindi a déclaré qu’en mars 1993, une charte de déontologie à l’usage des
journalistes avait été adoptée au Rwanda par l’association nationale des journalistes et par le
Ministère de l’information. Parmi les prescriptions de cette charte, il a cité les suivantes :
Article 7 : S’engager à respecter la vie privée des personnes, leur intégrité morale,
leur honorabilité et leur dignité, pour autant que ce principe soit compatible avec
l’intérêt public. S’interdire les accusations anonymes et gratuites, de même que la
délation ; s’interdire la diffamation, la calomnie, l’injure, l’offense, l’insinuation
malveillante ; respecter la discrétion et la décence des mœurs.
Article 14 : S’abstenir de s’impliquer dans une cause partisane, politique, sociale, qui
pourrait compromettre leur capacité de rendre compte et de traiter les événements
avec équité et impartialité.
Article 16 : S’interdire rigoureusement tout acte, attitude ou production graphique,
parlée ou filmée, de nature à inciter aux dissensions ethniques, raciales, régionales ou
religieuses, au bellicisme, à la xénophobie et à toute autre forme d’exclusion669.

670. Bien que cette charte n’ait été officiellement adoptée qu’en 1993, Kamilindi a déclaré
que l’esprit de ces trois articles avait été constamment discuté tout au long de sa carrière à la
station de radio nationale. Il a déclaré que, lors de la discussion de la télécopie venue de
668
669

Compte rendu d’audience du 22 mai 2001, p. 19 à 54.
Ibid., p. 41 à 98 ; pièce à conviction P51.

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Nairobi en conférence de rédaction, des craintes avaient été exprimées que sa diffusion ne
contribue à diviser les ethnies. À la suite de cet incident, Nahimana à quitté l’ORINFOR, et
Kamilindi a appris qu’il avait été limogé sous la pression du public, et notamment de celle
d’organisations de défense des droits de l’homme, qui lui reprochaient d’être l’instigateur de
cette télécopie qui avait déclenché les massacres du Bugesera. Kamilindi a reconnu qu’il y
avait eu plusieurs actes de terrorisme commis avec des mines terrestres dans la région et que
le PL avait organisé une réunion à Nyamata au début du mois de mars, au cours de laquelle
Justin Mugenzi avait déclaré que le bourgmestre devrait être révoqué. Il a aussi reconnu qu’il
n’avait pas été question du Bugesera au cours de l’émission, mais a souligné que le PL y avait
été qualifié de branche interne du FPR670.
671. François-Xavier Nsanzuwera, l’ancien procureur de Kigali, a déclaré que Radio
Rwanda avait diffusé le 3 mars 1992 un communiqué qui avait été lu à l’antenne par le
journaliste Bamwanga. Ce communiqué indiquait qu’une télécopie était arrivée de Nairobi,
d’une certaine Commission africaine pour la non violence, qui avisait les Rwandais que le
FPR préparait des actes terroristes. Le communiqué mentionnait des noms d’hommes
politiques et d’hommes d’affaires du pays qui allaient être assassinés par le FPR et précisait
que celui-ci allait utiliser son antenne de l’intérieur, à savoir le PL ou Parti libéral. La nuit du
4 mars, ont commencé au Bugesera des massacres de Tutsis qui ont duré plus d’une semaine.
Nsanzuwera, qui a enquêté sur ces massacres, a déclaré que 300 Tutsis au moins avaient été
tués selon le décompte officiel. Il n’avait pas été possible de recenser toutes les victimes
parce que des cadavres avaient été jetés dans des fosses sceptiques ou dans des latrines, et
d’autres dans des trous. Le Parquet a arrêté au moins 513 personnes pour ces tueries mais
c’est un dossier qui a connu beaucoup de difficultés. Lorsque Nsanzuwera était arrivé au
Bugesera le 6 mars, des maisons étaient encore en feu. Les massacres se sont poursuivis
jusqu’à ce qu’on ait envoyé des renforts de gendarmes de Kigali. La plupart des personnes
qui avaient participé à ces massacres n’avaient pas été appréhendées parce que le
bourgmestre avait pris la décision d’expulser de la commune tous les travailleurs saisonniers
venus d’autres préfectures, dont un grand nombre avait pris part aux attaques. De ce fait, ceux
qui avaient été arrêtés étaient en majeure partie originaires de la région, sauf quelques-uns qui
avaient été arrêtés avant que le bourgmestre ne prenne cette décision. Nsanzuwera a ajouté
que des sanctions avaient été prises à l’encontre du sous-préfet de Nyamata et du premier
substitut du Procureur de la sous-préfecture671.
672. Interrogé sur le rôle joué par les médias dans le massacre du Bugesera, Nsanzuwera a
répondu que si Radio Rwanda n’avait pas diffusé cinq fois le communiqué et s’il n’y avait
pas eu une large distribution de la page de couverture du numéro 26 de Kangura dans la
région, le nombre des tués n’aurait pas été aussi élevé. Il se souvenait d’avoir parlé à des
personnes âgées qui étaient restées chez elles et n’avaient pas participé aux massacres. Il était
accompagné de gendarmes et ces personnes pensaient qu’il venait pour les aider, elles lui
avaient dit que c’était bien qu’il soit venu à temps parce qu’ils allaient être massacrés par les
Tutsis. Le témoin a déclaré que la diffusion de ce communiqué avait provoqué une sorte de
psychose parmi les Hutus. Les gens pensaient qu’ils étaient en légitime défense parce qu’on
leur avait dit qu’ils allaient être massacrés. Il n’y avait eu aucun massacre de civils hutus par
670
671

Compte rendu d’audience du 22 mai 2001, p. 41 à 98 et 121 et 122.
Compte rendu d’audience du 23 avril 2001, p. 172 à 187.

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des Tutsis au Bugesera pendant cette période, mais les Hutus qui avaient été arrêtés pour
avoir participé au massacre de Tutsis avaient déclaré qu’ils avaient fait cela pour ne pas être
eux-mêmes massacrés. C’était le message qui leur avait été transmis par les autorités et par le
communiqué diffusé. Il a décrit l’état dans lequel ces gens s’étaient trouvés comme une
« intoxication ». Les organisations de défense des droits de l’homme et les partis d’opposition
ont demandé que des sanctions fussent prises contre Nahimana, qui était directeur de
l’ORINFOR à ce moment-là672.
673. En contre-interrogatoire, il a été demandé à Nsanzuwera pourquoi il n’avait pas
mentionné le rôle de Radio Rwanda dans ces événements dans le livre qu’il avait écrit en
1993, La magistrature rwandaise dans l’étau du pouvoir exécutif. Dans cet ouvrage, il citait
comme les deux principales causes du massacre du Bugesera la distribution de la page de
couverture du journal Kangura plusieurs semaines auparavant et la manipulation de
travailleurs saisonniers originaires d’autres régions. On lui a également fait observer que dans
sa déposition dans le procès Rutaganda, il avait cité parmi les causes des massacres du
Bugesera les discours prononcés par des conseillers locaux pour pousser la population à
attaquer les Tutsis, la réunion du PL et certains attentats. Il a déclaré que cela ne se voulait
pas une liste exhaustive mais a reconnu que c’était la première fois qu’il évoquait le rôle de
Radio Rwanda dans ces massacres. Il a également reconnu que les Tutsis n’étaient pas
spécifiquement mentionnés dans l’émission mais a rappelé qu’on disait que le FPR disposait
d’une base à l’intérieur du pays, le Parti libéral, et que le communiqué avait été diffusé après
la réunion du PL à Nyamata le 1er mars. Il a relevé qu’on disait que le Parti libéral était le
parti des Tutsis673.
674. Le témoin à charge Philippe Dahinden, journaliste suisse, s’est rendu au Rwanda en
janvier 1993 en tant que membre de la Commission d’enquête internationale qui avait été
créée conjointement par quatre organisations de défense des droits de l’homme, dont la
Fédération internationale des droits de l’homme et Human Rights Watch. La Commission
d’enquête internationale s’était rendue dans le Bugesera et y avait entendu de nombreux
témoins et victimes des événements. Dahinden a déclaré que certains de ceux qu’il avait
rencontrés, qui avaient fui le Bugesera et s’étaient réfugiés à Kigali, lui avaient dit qu’en un
seul jour, Radio Rwanda avait diffusé à cinq reprises un éditorial faisant état d’actes de
violence commis par des personnes qui avaient infiltré le PL, que beaucoup au Rwanda
considéraient à ce moment-là comme un parti constitué en majorité de Tutsis. Dahinden a
indiqué que le communiqué, qui, selon lui, avait été diffusé le 3 et le 4 mars, émanait d’une
organisation appelée « Commission pour la non-violence au Rwanda ou dans la Région des
Grands Lacs ». Le communiqué mettait en garde les Rwandais contre une tentative de
déstabilisation du pays et des actes de terrorisme qui allaient être perpétrés par des personnes
infiltrées de l’étranger, qui s’apprêtaient à attaquer les Hutus. Il comprenait une liste d’une
vingtaine de personnalités qui devaient être tuées prochainement dans le cadre de cette
tentative de déstabilisation du pays. Également diffusé à la radio, d’après Dahinden, un
éditorial de l’ORINFOR signé par Nahimana reprenait ce communiqué pour avertir la
population du danger, et mentionnait le PL comme éventuel complice de ces opérations674.
672

Id.
Compte rendu d’audience du 24 avril 2001, p. 148 à 176.
674
Compte rendu d’audience du 24 octobre 2000, p. 45 à 84.
673

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675. L’enquête menée par Dahinden a montré que le communiqué émanait d’une
organisation qui n’existait pas. Cette enquête a permis d’établir que la même machine à écrire
avait servi pour la télécopie censée être envoyée de Nairobi et pour le communiqué adressé
par la « Commission pour la non-violence au Rwanda » appelée par Dahinden
le « destinataire fictif » à Kigali. Dahinden a déclaré qu’il ne savait pas qui avait rédigé ce
communiqué. Il a critiqué Radio Rwanda et son directeur pour avoir diffusé un faux
communiqué qui avait incité le peuple à la violence. Au cours de sa mission d’enquête,
Dahinden n’avait pas rencontré Nahimana, mais il était retourné au Rwanda en août 1993 et
avait eu un entretien avec lui à ce moment-là sur la diffusion de ce communiqué, ainsi que sur
la création de la RTLM. Il voulait que Nahimana lui explique pourquoi il avait autorisé, voire
ordonné, la diffusion de cet éditorial. Nahimana lui avait répondu que de nombreux tracts
circulaient à cette époque et avait ajouté qu’il avait demandé à ses journalistes de critiquer ce
texte. Nahimana lui avait dit avoir demandé une évaluation de ces documents, mais que, cette
information lui étant parvenue dans le cadre de l’ORINFOR, il l’avait diffusée en tant que
journaliste. Dahinden avait demandé à Nahimana s’il ne voyait pas un lien entre la diffusion
de ce communiqué et les événements qui s’étaient déroulés par la suite. Nahimana avait
répondu qu’il avait plutôt établi un rapport avec le discours prononcé par le leader du Parti
libéral. Selon lui, le communiqué diffusé ne pouvait avoir déclenché les événements qui
s’étaient déroulés quelques jours plus tard. Lorsque Dahinden lui avait demandé s’il pensait
que cette diffusion avait été utile au public, ayant déclenché des tueries et des persécutions,
déplacé 15 000 personnes, entraîné l’incendie de nombreuses habitations, Nahimana avait
répondu que c’était précisément le rôle d’un service public de mettre en garde la population
et que, en dehors du PL, qui était responsable de tout ce qui était arrivé, tout le monde au
Rwanda avait compris que c’était là le rôle de la radio. Il a ajouté qu’en temps de guerre, la
radio devait être utilisée pour avertir les gens du danger existant afin de les en protéger675.
676. Lors de son contre-interrogatoire, Dahinden a expliqué le contexte politique des
événements du Bugesera. Il a déclaré que le bourgmestre de Kanzenze avait ordonné en
octobre 1991 une vague d’arrestations de jeunes Tutsis dans la commune, accusés d’avoir
passé la frontière pour rejoindre le FPR. Le 11 novembre 1991, au marché de Nyamata au
Bugesera, le même bourgmestre avait dénoncé le représentant tutsi du PL, Gahima, le
qualifiant de recruteur du FPR. Au cours des semaines suivantes, plusieurs mines avaient
explosé dans cette région. Le 1er mars 1992, au cours d’une réunion politique tenue dans la
commune de Gizensi au Bugesera, Gahima avait critiqué ce bourgmestre, qui a ensuite
riposté violemment et a distribué des tracts disant qu’il ne devait pas échapper. C’est alors
que le communiqué était arrivé, diffusé cinq fois sur Radio Rwanda les 3 et 4 mars 1992. La
Défense a produit le texte d’une émission de la RTLM du 31 octobre 1993 dans laquelle
Landouald Ndasingwa, le vice-président du Parti libéral, commentait les déclarations faites à
son sujet en conférence de presse par Justin Mugenzi, le Président du Parti libéral, entre
autres676. Dans cette interview, Ndasingwa déclarait que le rassemblement politique organisé
par Mugenzi au Bugesera avait été à l’origine des tueries qui y avaient été perpétrées.

675

Comptes rendus des audiences du 24 octobre 2000, p. 45 à 84 et du 30 octobre 2000, p. 147 à 156 ; pièce à
conviction P3.
676
Pièce 1D4B.
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Répondant à cette interview, Dahinden a noté que le Parti libéral s’était scindé en deux
factions, le mouvement Power de Mugenzi et une aile modérée677.
677. Dahinden a déclaré que les événements du Bugesera avaient provoqué un tollé général
au Rwanda et dans la communauté internationale. Nombre d’ambassadeurs avaient envoyé
des émissaires au gouvernement en mars 1992, et en avril, lorsqu’un nouveau gouvernement
avait été mis en place, Nahimana avait quitté ses fonctions. Selon Dahinden, c’est un décret
présidentiel qui avait mis fin à ses fonctions. Nahimana a déclaré à Dahinden qu’il avait parlé
avec le Premier Ministre, qui lui avait fait des reproches et avait dit que la radio avait servi de
catalyseur au déclenchement de ces événements. Il lui a aussi dit que c’était le Premier
Ministre qui était responsable de l’ordre public, et que c’est lui qui aurait dû faire quelque
chose. Nahimana a maintenu que la radio avait fait son devoir en diffusant le communiqué678.
678. Le témoin expert à charge Alison Des Forges a déclaré qu’elle était coprésidente de la
délégation internationale qui s’était rendue au Rwanda en 1992 pour enquêter sur les tueries
dans le Bugesera. Elle a décrit l’attaque comme le premier cas dans lequel la radio a été
utilisée dans le cadre d’une action de propagande visant à inciter le peuple à la violence. Dans
les jours qui ont précédé cette attaque, Radio Rwanda avait diffusé un communiqué qui avait
ensuite été reconnu comme un faux. Celui-ci alertait les auditeurs sur un prétendu complot du
FPR visant à perpétrer une série d’assassinats de leaders de partis politiques hutus, ainsi que
d’autres actes terroristes au Rwanda, et en rendait notamment responsable le Parti libéral. Le
communiqué avait été diffusé à plusieurs reprises – à cinq reprises, lui semblait-elle – dans la
journée, alors même que des actes de violence commençaient à être commis. Chaque
diffusion avait été précédée par un commentaire de Radio Rwanda, expliquant que la radio se
sentait dans l’obligation de faire quelque chose lorsqu’elle apprenait ce genre de choses. Des
Forges a déclaré que le communiqué ne faisait pas référence au Bugesera, mais que les
références au PL étaient suffisamment claires, et que le PL et le MRND étaient en lutte à ce
moment là. Le PL était présenté comme la branche du FPR à l’intérieur du Rwanda679.
679. Des Forges a déclaré qu’elle avait compris, en se basant sur des documents et sur des
échanges avec le Gouvernement et des organismes de défense des droits de l’homme à ce
moment là, que Nahimana avait été obligé de démissionner de Radio Rwanda parce qu’il
avait été tenu pour personnellement responsable de l’utilisation de la radio pour inciter le
peuple à la violence à l’occasion des massacres commis au Bugesera. Elle a ajouté ce qui s’y
est passé a également conduit l’Allemagne à refuser la nomination de Nahimana comme
Ambassadeur du Rwanda. Des Forges a indiqué qu’il y avait cinq organisations de défense
des droits de l’homme au Rwanda qu’elle considérait comme sérieuses et fiables, qui avaient
publié collectivement un rapport sur les massacres du Bugesera. Dans leur rapport, ces
organisations déploraient tout particulièrement le rôle du faux communiqué et d’autres tracts,
qu’elles tenaient pour « coresponsables » de pertes de vies humaines dans le Bugesera680.

677

Compte rendu de l’audience du 1er novembre 2000, p. 12 et 13, 20 à 25 et 54 à 64.
Comptes rendus des audiences du 24 octobre 2000, p. 45 à 84 et du 31 octobre 2000, p. 186 à 187 et 193 à
196.
679
Compte rendu de l’audience du 20 mai 2002, p. 279 et 280.
680
Compte rendu de l’audience du 20 mai 2001, p. 281 et 282.
678

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680. Selon Ferdinand Nahimana, la population du Bugesera a été invitée à se soulever
contre François Gahima, Tutsi qui était le président local du PL. Au cours d’un
rassemblement dirigé par Justin Mugenzi, le président du PL, le 1er mars 1992, Gahima avait
été proclamé par le PL bourgmestre de la commune de Kanzenze. Rwambuka, le bourgmestre
officiellement nommé, était présent681. Lors de son contre-interrogatoire, il a été demandé à
Nahimana si le communiqué qui avait été lu cinq fois à l’antenne de Radio Rwanda dans les
jours précédents n’était pas de nature à aggraver les tensions et à encourager la population à
attaquer le bastion le plus visible du PL dans le Bugesera. Nahimana a déclaré que l’on savait
déjà en mars 1992 que le PL collaborait avec le FPR, ce qui s’était concrétisé deux mois plus
tard. Il a ajouté que des actes de sabotage et de désobéissance civile étaient régulièrement
commis dans ces communes, et que le Parti libéral était montré du doigt à ce propos. Comme
elle tentait de dénoncer les manœuvres de déstabilisation de l’ennemi et que les informations
confirmaient que le PL était de connivence avec l’ennemi, Radio Rwanda l’avait dit à
l’antenne. Il a maintenu que même si le PL était un parti agréé au Rwanda, il était clair que ce
parti, ou tout au moins certains de ses membres, participaient à la déstabilisation du pays682.
681. Appelé à dire s’il avait vérifié ou s’il avait demandé à un journaliste de vérifier s’il
existait une Commission interafricaine pour la non-violence ou s’il avait vérifié le nom du
signataire de la télécopie, il a répondu qu’ils n’avaient pas attaché tant d’importance à ce
document. Il avait été transmis par quelqu’un de connu à Kigali, aussi n’avait-il pas eu à
s’inquiéter lui-même de contrôler l’existence du signataire. Il a déclaré que ce n’était pas
pour eux le document central. Ils avaient obtenu des informations par des interviews et des
enquêtes sur le terrain menées par leurs journalistes. Dans de nombreuses communes, le
bourgmestre ou d’autres autorités étaient intervenus à la suite du travail de journalistes, aussi
ce document n’était pas d’une telle importance. Dans de nombreux endroits, y compris dans
le Bugesera, des actes de déstabilisation avaient été commis. Lorsqu’on lui a demandé
comment il pouvait affirmer que ce document était sans importance, alors qu’il avait été
diffusé cinq fois, Nahimana a expliqué que c’est le document qui était sans importance et pas
l’éditorial. Il a rappelé qu’aucun nom n’avait été mentionné à l’antenne et a déclaré que
l’éditorial n’avait pas été diffusé dans l’intention de provoquer un massacre quelque part. Il a
ajouté que si des massacres avaient été commis dans le Bugesera, c’est qu’il y avait d’autres
raisons plus profondes. Nsanzuwera avait enquêté ainsi que la commission internationale et il
était dit dans leur rapport que la cause des massacres était la mésentente entre les autorités
locales, et notamment entre Rwambuka et Gahima683.
682. Interrogé sur la déposition de Kamilindi selon laquelle les journalistes s’opposaient à
l’utilisation de ce communiqué car tous avaient le sentiment que, n’en connaissant pas
l’origine, ils ne devaient pas l’utiliser, il a déclaré que la question n’était pas de savoir si la
lettre était fausse ou authentique, mais de savoir si elle devait être utilisée, si elle devait être
lue. Selon lui, le document n’a pas été utilisé : il n’a pas été lu. Interrogé par la Chambre,
Nahimana a reconnu que tout le monde posait des questions à propos du document. Il a dit
que certains le croyaient authentique, et d’autres pas. Il a de nouveau fait observer que le
document n’avait pas été lu à l’antenne, seulement l’éditorial. Nahimana a déclaré à maintes
681

Compte rendu de l’audience du 23 septembre 2002, p. 17 à 26.
Compte rendu de l’audience du 26 septembre 2002, p. 153 à 159.
683
Ibid., p. 153 à 168.
682

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reprises que le document lui-même n’était pas important, et que l’éditorial avait été préparé à
partir de plusieurs documents. Il a dit que l’éditorial n’avait pas incité la population du
Bugesera, soulignant que le Bugesera n’avait pas été mentionné une seule fois, et que les
Tutsis n’avaient pas été mentionnés non plus. Quand les massacres ont éclaté dans la région,
le Parti libéral - sachant que son représentant Gahima était en conflit avec Rwambuka et que
ce dernier avait réussi à soulever la population contre Gahima et ses partisans, en particulier
les Tutsis - s’est hâté, pour être le premier, de publier un communiqué disant que le Bugesera
brûlait parce que Radio Rwanda avait diffusé des rapports sur les ondes684.
Crédibilité des témoins
683. Thomas Kamilindi, journaliste d’expérience, a témoigné avec beaucoup de prudence,
selon la Chambre. Il a expliqué, par exemple, qu’on lui avait dit que Nahimana avait été
limogé sous la pression de l’opinion publique, mais qu’il n’avait pas une connaissance
personnelle de ce fait. Il a pris soin de dire ce qu’il savait et ce qu’il ne savait pas. Il n’était
pas en mesure de préciser la date exacte de la télécopie en provenance de Nairobi, mais il
était en mesure de la situer dans le temps par référence à d’autres événements. La Chambre
retient que Gaspard Gahigi a tenté de recruter Kamilindi pour la RTLM. Kamilindi n’a
montré aucune animosité personnelle envers Nahimana, et son contre-interrogatoire n’a pas
permis de mettre en doute sa crédibilité. Pour toutes ces raisons, la Chambre conclut que la
déposition de Kamilindi est digne de foi.
684. La Chambre a conclu que les dépositions des témoins à charge François-Xavier
Nsanzuwera et Philippe Dahinden aux paragraphes 545 et 546 étaient dignes de foi. Celle de
Ferdinand Nahimana est discutée à la section 5.4.
Appréciation des éléments de preuve
685. D’après les éléments versés au dossier, une série d’événements politiques dans le
Bugesera, trouvant leur aboutissement dans un meeting du PL le 1er mars 1992, a déclenché
dans les jours suivants une frénésie meurtrière dans cette région, qui a coûté la vie à des
centaines de civils tutsis. La Chambre a examiné le rôle joué par Radio Rwanda dans les
événements qui se sont déroulés, et plus particulièrement le rôle de Ferdinand Nahimana, en
tant que directeur de l’ORINFOR, organe d’information de l’État dont Radio Rwanda faisait
partie. À cinq reprises environ ont été diffusés par Radio Rwanda, le 3 et le 4 mars, un
communiqué et/ou un éditorial concernant un communiqué envoyé par une organisation de
défense des droits de l’homme au Rwanda, basés sur une télécopie adressée à cette
organisation par une organisation à Nairobi. Le communiqué indiquait que le PL, qualifié
d’antenne intérieure du FPR, était en train d’organiser l’assassinat d’un certain nombre de
leaders hutus, dont les noms étaient mentionnés. Le communiqué ne parlait pas du Bugesera.
Il a par la suite été techniquement établi que la télécopie de Nairobi, sur laquelle était fondé le
communiqué, était un faux. Ni l’organisation qui l’aurait envoyée ni celui qui l’aurait signée
n’ont pu être retrouvés.

684

Id.

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686. La Chambre a examiné un document reproduit dans le livre Les crises politiques au
Burundi et au Rwanda, d’André Guichaoua, versé au dossier par le conseil de Nahimana685.
Dans leur déposition, plusieurs témoins à charge ont indiqué avoir reconnu dans cette pièce à
conviction certaines parties du message diffusé. Le texte n’est pas lui-même un communiqué
mais il mentionne l’organisation basée au Rwanda qui a repris l’information reçue de
l’organisation de Nairobi, et il en résume le contenu. La Chambre accepte les affirmations de
Nahimana selon lesquelles Radio Rwanda n’avait pas diffusé le communiqué lui-même, mais
relève que la station avait toutefois diffusé le contenu du communiqué ainsi que précisé sa
provenance.
687. De l’avis de la Chambre, la déposition de Thomas Kamilindi est particulièrement
importante, puisqu’il a assisté aux discussions internes de Radio Rwanda concernant la
diffusion de la télécopie. Sa déclaration selon laquelle, pendant cette conférence de rédaction,
les journalistes s’étaient opposés à l’utilisation de la télécopie ou du communiqué a été
confirmée à contrecœur par Nahimana qui, en réponse à des questions qui lui étaient posées
par la Chambre, a reconnu que certains pensaient qu’elle n’était pas authentique et a fait
observer qu’elle n’a pas été lue à l’antenne. Dans sa déposition, Nahimana n’a pas défendu
l’authenticité du document. Il a plutôt tenté d’en minimiser l’importance. Sa suggestion que
les journalistes disposaient d’autres sources d’information pour l’émission en question n’est
pas confirmée par celle-ci même, qui cite exclusivement ces sources, ni par la déposition de
Kamilindi. Selon celui-ci, il avait été décidé, en raison du manque de fiabilité de ces sources,
de ne pas diffuser l’information. Cette décision a été annulée sur instructions de Nahimana et
une bande préenregistrée a été diffusée à quatre reprises au moins.
688. L’impact des communiqués diffusés par Radio Rwanda a été tangible, comme il
ressort des dépositions des témoins. Le souvenir conservé par Nsanzuwera de sa rencontre
avec des personnes âgées de la région, restant chez elles de crainte d’une attaque tutsie, et sa
description de l’ « intoxication » délirante de ces Hutus qui pensaient qu’ils devaient se
défendre sans quoi ils seraient massacrés par les Tutsis, disent bien la frayeur engendrée par
la radiodiffusion de ce communiqué. La Chambre relève que l’enquête internationale ne s’est
pas concentrée sur la radio et que Nsanzuwera, malgré les descriptions dramatiques qu’il a
faites, n’a pas mentionné dans son propre livre le rôle joué par Radio Rwanda dans ces
massacres. De l’avis de la Chambre, cela ne veut pas dire que la radio n’a eu aucun rôle dans
les manifestations de peur suscitée et dans l’escalade de la violence. Nahimana nie tout lien
de cause à effet entre la radio et les événements, il affirme que ce sont les événements
politiques du 1er mars 1992 qui ont été à l’origine de ce qui s’est passé, et que la
responsabilité incombait au Gouvernement qui n’était pas intervenu pour arrêter cette
violence. La Chambre reconnaît que ces deux causes ont également joué un rôle dans ce qui
est arrivé, mais fait observer qu’elles n’excluent pas la radio comme ayant été un autre
facteur dans le déclenchement des tueries. Nsanzuwera a déclaré que le nombre de morts
n’aurait pas été aussi élevé sans l’intervention de la radio. Cet impact a été identifié à ce
moment-là dans le rapport conjoint publié par cinq organisations de défense des droits de
l’homme au Rwanda à propos de ces massacres, qui tenait la diffusion de fausses
informations comme « coresponsable ». La non-mention du Bugesera dans la télécopie

685

Pièce à conviction 1D37.

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n’enlève rien au fait que l’objectif visé était le PL, qui était engagé dans une partie de bras de
fer politique dans le Bugesera. La conclusion est évidente.
689. En ce qui concerne le rôle joué par Nahimana dans ce qui s’est passé à Radio
Rwanda, la Chambre retient qu’il reconnaît lui-même, dans sa propre déposition, avoir été
activement impliqué dans le processus. Pour sa défense, il ne prétend pas n’avoir rien eu à
voir avec ce qui s’est passé. Il soutient aujourd’hui encore qu’il n’y avait rien à redire à tout
cela. Il a confirmé le rôle de la radio en attirant l’attention du public sur la menace que le FPR
faisait peser sur le pays et a fait état du rapprochement ultérieur entre le FPR et le PL. C’est
en ces termes qu’il a été question du rôle de la radio dans l’émission qui appelait la
population à la vigilance. Nahimana a déclaré à Dahinden dans une interview ultérieure que
la radio avait fait son devoir, qui consistait à mettre en garde la population par la diffusion du
communiqué. En tant que directeur de l’ORINFOR, Nahimana était responsable de cette
décision, qui avait été prise contre l’avis de la rédaction et qui était incompatible avec la
charte de déontologie à l’usage des journalistes ultérieurement adoptée au Rwanda. Lorsque
la question lui a été posée, il a déclaré qu’il n’avait pas contrôlé l’information et il a ajouté
qu’il ne pensait pas qu’il y avait lieu de le faire. Son commentaire – selon lequel la discussion
en conférence de rédaction portait non sur l’authenticité ou non du document mais sur son
utilisation – indique également que pour Nahimana, la vérité n’avait qu’une importance
secondaire. Sa déposition laisse penser qu’il prendrait la même décision aujourd’hui.
690. Le Procureur soutient que Nahimana a été limogé de son poste de directeur de
l’ORINFOR en raison de sa décision de diffuser le contenu du communiqué en provenance
de Nairobi et des conséquences désastreuses qu’elle a eues et il a apporté des preuves à
l’appui de cette affirmation. Nahimana conteste que ceci ait été la cause de son départ de
l’ORINFOR. La Chambre n’estime pas nécessaire de se prononcer sur ce point.
Conclusions factuelles
691. La Chambre constate que Ferdinand Nahimana, en tant que directeur de l’ORINFOR,
a ordonné la diffusion sur les ondes de Radio Rwanda du contenu d’un communiqué basé sur
une télécopie en provenance de Nairobi, un faux dans lequel il était mentionné que le PL était
le bras du FPR à l’intérieur du pays et qu’il projetait d’assassiner des leaders hutus. Cette
diffusion, intervenue quelques jours après un meeting du PL tenu dans le Bugesera le
1er mars 1992, a entraîné le massacre de centaines de civils tutsis. Le communiqué a été
rediffusé à quatre ou cinq reprises le 3 et le 4 mars 1992. En sa qualité de directeur de
l’ORINFOR, Nahimana a annulé la décision prise par l’équipe de rédaction de ne pas diffuser
le communiqué parce qu’elle se trouvait dans l’incapacité d’en confirmer l’authenticité.
Nahimana n’a fait aucun effort pour vérifier l’authenticité du communiqué diffusé par Radio
Rwanda, qui a provoqué la peur chez les Hutus et les a conduits à commettre des actes de
violence contre la population tutsie parce qu’ils avaient été amenés faussement à croire qu’ils
étaient sur le point d’être attaqués.
5.4

Appréciation de la déposition de Nahimana

692. La Chambre a examiné la déposition de Nahimana, et y a relevé un certain nombre de
constantes dans sa façon de répondre aux questions posées. Nahimana est un homme qui joue
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avec les mots, il les manipule en fonction des circonstances. Dans la discussion de diverses
émissions sensibles diffusées par la RTLM sur lesquelles il a été contre-interrogé, Nahimana
a souvent tergiversé, cherchant d’abord une réponse ou une défense fondée sur le texte, puis,
s’il n’arrivait pas à convaincre, reconnaissant alors en partie le problème tout en laissant la
place pour d’autres manœuvres. Interrogé par exemple sur l’émission de décembre 1993 dans
laquelle Kantano Habimana avait dit à propos des Tutsis : « Ce sont eux qui ont tout
l’argent », Nahimana a d’abord omis de mentionner cette phrase. Il a ensuite mis en cause sa
traduction, lorsque son attention a été attirée sur cette omission, puis il a mis en cause le sens
même de cette phrase dans le contexte. Enfin, il a déclaré qu’il n’aurait pas parlé ainsi, mais
qu’il aurait exprimé la même réalité de façon différente. De même, interrogé à propos de
l’émission du 3 avril 1994 sur les ondes de la RTLM, accusant le directeur médical de
Cyangugu d’avoir organisé une réunion du FPR, Nahimana a d’abord noté que des brigades
du FPR existaient. Il a ajouté qu’il était fort possible que le docteur ait organisé cette réunion,
mais a reconnu que cela relevait de la spéculation. Lorsqu’on lui a fait observer que
l’émission avait fait allusion à un « groupuscule de Tutsis » et non au FPR, il a déclaré qu’il
n’en aurait pas autorisé la radiodiffusion mais que, dans le contexte, il aurait pu s’agir d’une
brigade du FPR. La déposition de Nahimana est empreinte d’une ambiguïté intentionnelle.
693. Dans sa déposition, Nahimana a pris ses distances avec les programmes diffusés après
le 6 avril 1994, indiquant qu’il était révolté par ceux qui avaient donné aux auditeurs
l’impression que c’était l’ensemble des Tutsis qu’il fallait tuer, mais il a pris soin de dire qu’il
ne croyait pas que la RTLM eût systématiquement appelé au massacre des gens. Il a
globalement condamné de telles émissions et a déclaré avoir été choqué lorsqu’il en avait pris
connaissance en détention, lorsqu’il avait reçu les enregistrements et qu’il avait eu pour la
première fois l’occasion de les écouter. La Chambre n’accepte pas que c’est en détention que
Nahimana avait pris pour la première fois connaissance de ces émissions. Dans une interview
sur Radio Rwanda en date du 25 avril 1994, il avait déclaré : « Je suis très content parce que
j’ai compris que la RTLM jouait un rôle-clé dans l’éveil du peuple majoritaire » au plus fort
de la folie meurtrière qui s’était emparée du Rwanda. Nahimana avait également pris
connaissance de la déclaration faite par Dahinden à l’ONU en mai 1994, condamnant les
émissions de la RTLM ; Dahinden en avait discuté avec lui lorsqu’ils s’étaient rencontrés en
juin 1994.
694. Une autre constante relevée par la Chambre dans la déposition de Nahimana était sa
tendance à nier sa position d’autorité, malgré les preuves du contraire, puis à se réfugier dans
une interprétation formaliste minimisant son propre rôle. Nahimana a nié avoir été nommé
« conseiller advisor » du Président Sindikubwabo. Mis devant sa propre signature en tant que
« conseiller advisor » du Président dans le livre d’un reporter de l’Associated Press, il a
déclaré qu’il n’avait utilisé ce titre que pour obtenir une audience auprès de fonctionnaires du
Gouvernement français, soutenant qu’il n’assumait pas en réalité cette fonction au sens
administratif. De même, Nahimana a insisté à plusieurs reprises sur la distinction entre la
RTLM S.A., la société, et la RTLM, la station de radio, distinction que la Chambre juge
artificielle dans la mesure où la station de radio RTLM était le seul objet de la RTLM S.A., et
était entièrement détenue et contrôlée par celle-ci. Étant donné le grand nombre de preuves
établissant que Nahimana était souvent désigné publiquement comme directeur de la RTLM,
la Chambre ne peut accepter le refus de Nahimana de reconnaître ce fait.
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695. Avec une grande sophistication, Nahimana a souvent adopté dans sa déposition
plusieurs lignes d’argumentation successivement, voire simultanément. Interrogé sur le
communiqué de l’ORINFOR relatif au Bugesera et confronté à la déposition de Kamilindi
selon laquelle tous les journalistes s’étaient opposés à l’utilisation du document d’origine
inconnue qu’ils avaient reçu, il a déclaré que la discussion ne tournait pas autour de
l’authenticité du document, mais autour de son utilisation, de sa lecture à l’antenne.
Nahimana a déclaré que le document n’a pas été utilisé, qu’il n’a pas été lu. La Chambre
retient que, si la télécopie elle-même n’a pas été lue, ce qui a été lu à l’antenne sur ordre de
Nahimana rendait exactement le contenu de cette télécopie. Après beaucoup de
tergiversations relativement à la déposition de Kamilindi, selon laquelle les journalistes de
l’ORINFOR étaient hostiles à l’utilisation du document, Nahimana, interrogé par la Chambre,
a fini par reconnaître que tout le monde dans cette réunion a posé des questions à propos de
ce document. Il a déclaré que certains le croyaient authentique, et d’autres pas. Il a de
nouveau fait observer que le document n’avait pas été lu sur les ondes, que seul l’éditorial
avait été lu. Nahimana a déclaré à plusieurs reprises que le document lui-même n’était pas
tellement important. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi, s’il n’était pas important, avait-il été
diffusé à cinq reprises, il a répondu que ce n’était pas le document mais l’éditorial qui avait
été diffusé. La Chambre relève à nouveau que ce qui a été lu rendait exactement le contenu
du document.
696. Nahimana n’a pas fait preuve de franchise à la barre. Même s’il n’a pas toujours pris
des libertés avec la vérité, de l’avis de la Chambre, il s’est montré évasif et manipulateur, et
sa déposition manquait souvent de crédibilité. C’est pourquoi, la Chambre s’est montrée
prudente dans son appréciation de la déposition de Nahimana sur certains points de fait
particuliers, et n’accepte généralement pas la version des faits donnée par Nahimana.
6.

Jean-Bosco Barayagwiza

6.1

Réunions, manifestations et barrages routiers

697.
Plusieurs témoins à charge ont attesté la présence et la participation de Barayagwiza
aux réunions, manifestations et activités de barrages routiers de la CDR. Ainsi qu’il a été dit
plus haut, Barayagwiza était membre fondateur de la CDR et un de ses dirigeants.
L’assassinat de Tutsis a été encouragé par la CDR, comme en témoignent les cris de
« Tubatsembatsembe » ou « exterminons-les » scandés par des membres de la CDR en
présence de Barayagwiza et par celui-ci même.
698. Le témoin AGK, un Hutu qui travaillait dans le bâtiment abritant le Ministère des
affaires étrangères, a décrit dans sa déposition une manifestation de la CDR qui a eu lieu en
mai 1993. Les manifestants, dont certains portaient des casquettes ou des habits de la CDR,
ont encerclé le Ministère des affaires étrangères, hissé le drapeau de la CDR et enfermé le
personnel dans le bâtiment. Les manifestants étaient armés de bâtons, de gourdins et de
pierres. Ils ont dit qu’ils ne laisseraient pas sortir ceux qui se trouvaient dans le bâtiment, que
ceux-ci passeraient la nuit au Ministère. Il y avait environ 800 manifestants qui scandaient
des slogans comme « Tubatsembatsembe » et dansaient. Le témoin a expliqué que
« Tubatsembatsembe » signifiait « exterminez les Tutsis », et ils voulaient dire qu’il fallait
exterminer tous les Tutsis et tous ceux qui ne partageaient pas leurs idées. Les manifestants
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sont arrivés au Ministère à 15 heures. À 17 heures, à l’heure de rentrer chez soi, ils ont
empêché ceux qui étaient à l’intérieur de sortir. Barayagwiza put pourtant sortir, ce qu’il a
fait à 17 h 15. Le témoin AGK, qui l’a vu par la fenêtre, dit qu’il est resté avec ceux qui
étaient dehors et qu’il a parlé avec les manifestants pendant 15 minutes avant de s’en aller.
Les autres fonctionnaires du Ministère, et notamment le chef de cabinet et le directeur des
services généraux, ont été retenus par les manifestants dans le bâtiment et empêchés de sortir.
La manifestation a duré de 15 heures à 1 heure du matin lorsque les soldats de la MINUAR
ont dispersé la foule avec des gaz lacrymogènes après que les manifestants ont lancé des
grenades dans leur direction. La MINUAR a libéré ceux qui se trouvaient au Ministère et s’en
est allée686.
699. Le témoin AGK a déclaré que Barayagwiza était membre de la CDR et y occupait des
fonctions importantes. Il ignorait quel était le poste de Barayagwiza mais savait qu’il était
important parce que Barayagwiza donnait des ordres, distribuait des bérets de la CDR et que
de nombreux membres de la CDR lui rendaient visite. Le témoin se trouvait à l’entrée de
l’immeuble et pouvait donc voir qui entrait et où ils allaient. Il a déclaré que Barayagwiza
pratiquait une discrimination sur une base régionale et ethnique au travail, il a évoqué un
incident survenu en mai 1993 où Barayagwiza l’a appelé à son bureau afin de lui faire tenir
une lettre à remettre à quelqu’un. Barayagwiza lui a alors demandé d’où il était et, lorsqu’il
lui a répondu qu’il était de Kibuye, Barayagwiza lui a dit de partir parce qu’il ne travaillait
pas avec des Banyenduga qui travaillaient avec les Inyenzi-Inkotanyi. Barayagwiza a alors
appelé une autre personne afin qu’elle remette cette lettre. Le témoin a dit que Barayagwiza
avait l’habitude de demander aux personnes qui travaillaient au Ministère quelle était leur
origine. Si l’on voulait voir Barayagwiza au Ministère, il fallait passer par sa secrétaire qui
demandait qui on était, d’où on venait et ce qu’on faisait. Si l’on venait d’une région qui
n’était pas acceptable, Barayagwiza ne vous recevait pas687. Le témoin AGK a rapporté avoir
entendu Barayagwiza dire qu’il fallait se battre contre les Inkotanyi pour empêcher les Tutsis
de prendre le pouvoir. Il avait entendu Barayagwiza tenir ces propos alors que celui-ci se
tenait devant le Ministère, à environ cinq mètres de l’entrée de l’immeuble, en train de parler
avec deux personnes, le colonel Baransaritse et Jean de Marchel Mungadanutsa688.
700. Le témoin AHI, Impuzamugambi de Gisenyi, a indiqué qu’il avait vu Barayagwiza
pour la première fois en 1992. Il le connaissait pour l’avoir vu sur une cassette vidéo de
l’assemblée fondatrice de la CDR qu’il avait visionnée en mars 1992 chez Ngeze. Vers la fin
du mois d’août 1992, il avait vu Barayagwiza au bureau de la préfecture de Gisenyi, en
compagnie de Hassan Ngeze, du colonel Anatole Nsengiyumva et d’autres personnes. Ils
participaient à une importante réunion afin de résoudre un problème urgent qui était de
décider ce qu’il fallait faire des cadavres de Tutsis qui avaient été tués par des militants de la
CDR et du MRND dans la commune de Mutura. Les corps avaient été chargés dans une
camionnette Daihatsu de couleur jaune et emmenés à la préfecture où le témoin AHI les a
vus. Il connaissait le chauffeur de la Daihatsu qui lui a dit que les Bagogwe, qui étaient des
Tutsis, avaient été tués à Kabare par les Impuzamugambi de la CDR. Le témoin AHI a
expliqué qu’à cette époque-là les combats se limitaient à la préfecture de Ruhengeri. Aucun
686

Compte rendu de l’audience du 21 juin 2001, p. 100 à 110.
Ibid., p. 50 à 70 ainsi que 141 et 142.
688
Ibid., p. 69 à 73.
687

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Inkotanyi n’avait attaqué Gisenyi ni mis les pieds dans aucune des trois communes, y compris
Mutura. Les corps de Mutura étaient censés être ceux d’Inkotanyi qui auraient essayé
d’attaquer Gisenyi. Le témoin AHI a affirmé que ce n’était pas vrai, que c’étaient les corps de
civils qui avaient été tués. Le chauffeur de la camionnette a soulevé le linceul qui couvrait les
corps. Il y en avait plus de trente. Le témoin a dit que c’étaient des gens âgés et des jeunes,
des civils qui avaient été tués avec des lances, des gourdins et des machettes. Il n’y avait pas
de trace de fusils et il n’y avait pas de matériel militaire. Les corps ne sont pas restés
longtemps au bureau de la préfecture de Gisenyi. Ils ont été transférés en ville mais lorsque le
propriétaire du véhicule a vu les corps, il a refusé de reprendre le véhicule et a dit au
chauffeur de ramener les corps à la préfecture, ce qu’il a fait. Le témoin AHI et d’autres l’ont
suivi. Le témoin n’a pas su ensuite ce qui était arrivé et n’a pu dire comment ces corps
avaient finalement été enterrés689.
701. Le témoin AAM, fermier tutsi Abagogwe de Gisenyi, a déclaré qu’en 1991, après
l’assassinat de Tutsis Bagogwe et alors qu’ils pleuraient encore leurs morts, Barayagwiza
était venu avec le sous-préfet qui était à ce moment Raphael Bikimbi. Ils avaient convoqué
une réunion dans la commune de Mutura, à laquelle tout le monde s’était rendu. Barayagwiza
avait alors déclaré que tous les Hutus devaient se mettre d’un côté et les Tutsis de l’autre. Les
gens avaient dansé pour souhaiter la bienvenue à Barayagwiza et Bikimbi. Barayagwiza avait
alors demandé que les Tutsis dansent pour lui et ils avaient exécuté une danse appelée
Ikinyemera. Selon le témoin AAM, Barayagwiza avait alors dit : « Vous dites que vous êtes
morts, que beaucoup de personnes d’entre vous sont mortes, mais je vous vois là – vous êtes
très nombreux – alors que vous dites que beaucoup d’entre vous ont été tués … Nous
entendons tout cela à la radio, mais si vous continuez …, si nous entendons cela encore une
fois, nous allons vous tuer parce que vous tuer n’est pas une chose difficile pour nous690 ».
702. Le témoin AAM a déclaré que, vers la fin de 1992, la CDR et le MRND avaient
organisé des manifestations dans la ville de Gisenyi, non loin de l’endroit où il demeurait. Il a
dit qu’ils avaient fait bien de mauvaises choses, comme barrer les routes, piller les Tutsis qui
habitaient les environs et battre les Hutus qui ne partageaient pas leurs idées. Cela a duré
deux semaines, vers la fin desquelles le témoin a vu Barayagwiza portant une casquette de la
CDR et accompagné par des Impuzamugambi. Ils criaient et scandaient Tuzatsembatsembe ou
« exterminons-les », en parlant des Tutsis. Il a indiqué que les manifestants portaient du
rouge, du jaune et du noir et qu’ils avaient des gourdins et terrorisaient les gens. Prié de dire
qui d’autre était là, il a nommé quelques personnes qu’il avait reconnues et notamment
Hassan Ngeze. En 1993, vers la fin de l’année, il y avait eu un meeting de la CDR et on avait
dit aux gens de se rendre au stade de Gisenyi. Le témoin AAM a déclaré que lorsqu’ils étaient
arrivés là-bas, Barayagwiza avait dit que tous ceux qui ne faisaient pas partie de la CDR ne
devaient pas assister au meeting. Il avait dit aussi que, si un Hutu avait du sang tutsi dans les
veines, il n’avait pas besoin de lui. Le témoin était rentré chez lui, si bien qu’il n’avait pas vu
ce qui s’y était passé, mais, un peu plus tard, des membres de la CDR qui y étaient s’étaient
livrés à des actes de violence aveugle contre les Tutsis. Il se souvenait particulièrement de

689
690

Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 93 à 108.
Compte rendu de l’audience du 12 février 2001, p. 97 à 99.

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Ruhura, le jeune frère de Barayagwiza, dans ce déferlement de violence. Le témoin AAM a
affirmé avoir également vu Hassan Ngeze à ce meeting691.
703. Le témoin AAM a déclaré qu’avant d’adhérer à la CDR, Barayagwiza avait des amis
tutsis. Il a donné les noms de quatre de ces personnes692. Omar Serushago a témoigné que
Barayagwiza avait deux épouses et que son épouse principale, la mère des aînés de ses
enfants, était une Tutsie693. Le témoin X a dit que Barayagwiza avait une maîtresse tutsie, de
laquelle il avait eu des enfants et que, pour montrer que la CDR devait être cent pour cent
hutue, Barayagwiza s’était séparé de cette maîtresse. Le témoin ABE a indiqué qu’il
connaissait l’épouse de Barayagwiza, qui était la mère de ses trois enfants. Elle lui avait dit
que Barayagwiza l’avait chassée lorsqu’il avait découvert qu’elle était tutsie, ce qu’il ne
savait pas, il lui avait dit que c’était pour cela qu’elle devait s’en aller694.
704. Le témoin AFX, Tutsi de Gisenyi, a déclaré que Barayagwiza, qui était président de la
CDR au niveau de la préfecture, avait le pouvoir de convoquer des réunions et d’ordonner la
mise en place de barrages routiers. Le témoin a dit avoir assisté à trois réunions convoquées
par Barayagwiza à Ngororero, à Mutura et au stade Umuganda. La réunion de Ngororero
avait eu lieu en 1993, et de nombreux militants de la CDR y avaient assisté. Barayagwiza
avait déclaré aux gens présents qu’il était grand temps que les Hutus sachent qui étaient leurs
ennemis et sachent comment se comporter et trouver des moyens de combattre l’ennemi. Il a
dit que les gens devaient comprendre que la CDR représentait le peuple majoritaire. Le
meeting dans la commune de Mutura a eu lieu trois semaines plus tard et des responsables de
la CDR y avaient assisté, parmi lesquels Barayagwiza. À ce meeting, celui-ci avait demandé
que les Bagogwe exécutent leur danse traditionnelle appelée Ikinyemera. Le témoin AFX
était près de Barayagwiza. Après la danse des Bagogwe, ce dernier a déclaré : « On dit que
les Bagogwe ont été tués, mais d’où sortent ceux-ci, et que font-ils ? » Le troisième meeting
auquel avait assisté le témoin AFX avait eu lieu entre juillet et août 1993 au stade Umuganda.
Barayagwiza et Hassan Ngeze y étaient. Pendant le meeting, il avait été dit qu’il était grand
temps que les Hutus sachent à quelle époque ils vivaient et qu’ils devaient donc combattre
leurs ennemis qui étaient les Tutsis. Quelques jours plus tard, des barrages routiers avaient été
mis en place695.
705. Le témoin AAJ, jeune homme d’origine tutsie de Gisenyi, a déclaré qu’il connaissait
Barayagwiza, son voisin, comme une personnalité très importante qui travaillait à Kigali, et
était un responsable de la CDR au niveau national. Il avait vu Barayagwiza pour la première
fois en 1992 à une réunion que celui-ci avait convoquée pendant la journée au Centre Kabari
et à laquelle plus de 150 personnes avaient assisté. Barayagwiza avait dit à cette réunion
qu’aucun Tutsi ne devait être admis à y participer parce qu’ils étaient les complices des
Inkotanyi. Les Tutsis de cette région avaient alors connu des moments difficiles à cause de
ces propos. Le témoin AAJ a raconté que quelques-uns des Impuzamugambi qui étaient
utilisés par Barayagwiza avaient emmené un ouvrier nommé Gafashi et un professeur appelé
691

Ibid., p. 104 à 110.
Compte rendu de l’audience du 15 février 2001, p. 28 à 36.
693
Compte rendu de l’audience du 20 novembre 2001, p. 77 à 79.
694
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 42 à 49, 164 à 169.
695
Compte rendu de l’audience du 3 mai 2001, p. 7 à 19.
692

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Kabogi, tous les deux Tutsis et qu’ils n’étaient jamais revenus696. Il a dit que Barayagwiza
avait fourni toutes les armes qui ont été utilisées dans la région par les Impuzamugambi et
qu’il leur avait donné des instructions pour tout ce qu’ils faisaient697. En outre, Barayagwiza
avait participé à toutes les réunions et c’était la personne la plus importante pour tout ce qui
concernait la propagande de la CDR dans leur région 698 . Le témoin AAJ avait vu
Barayagwiza de nouveau à une seconde réunion au même endroit où avait eu lieu la première.
Cette fois, des Tutsis étaient là. Barayagwiza avait séparé les Hutus des Tutsis et les avait fait
asseoir séparément. Il avait demandé aux Tutsis de danser pour eux, puis avait dit : « [O]n dit
que les Tutsis sont en train de mourir ; mais alors qui sont ces personnes qui sont en train de
danser pour moi 699 ». Le témoin AAJ a vu Barayagwiza au début de 1993 chez lui, en
compagnie de Ruhura, Biyigomba et Aminadabu. Ce jour-là, il avait vu Ruhura en uniforme
de la CDR, tandis qu’Aminadabu et Biyigomba avaient des armes à feu qu’ils avaient prises
chez Barayagwiza700.
706. Le témoin a déclaré que, le 7 avril 1994, des Impuzamugambi étaient venus dans leur
région dans des véhicules, avec des gourdins, des armes à feu et des grenades, et qu’ils
avaient commencé à brûler les maisons des Tutsis qui habitaient dans la région. Le témoin
s’était enfui avec d’autres Tutsis. Lorsqu’ils étaient arrivés à un barrage, les militaires qui
étaient là leur avaient dit que leur sécurité serait garantie. Ils avaient été groupés ensemble et
emmenés dans un des bâtiments d’une laiterie. Les Impuzamugambi et les Interahamwe
étaient arrivés ensuite avec les militaires qui les avaient mis dans la pièce, en criant
« exterminons-les » 701 . Le témoin AAJ et quelques autres avaient monté une rampe
métallique et s’étaient cachés dans le plafond. De là, ils avaient vu les Impuzamugambi et les
Interahamwe venir avec des couteaux pour achever ceux qui n’étaient pas morts. Du même
endroit, le témoin avait vu Iragana et Ruhura, qui étaient des Impuzamugambi de
Barayagwiza. Dans la pièce, il y avait une femme qui était enceinte mais pas encore morte.
Ruhura a dit : « [Va chercher] un couteau pour que nous coupions le ventre de cette femme
pour y enlever le bébé, et après, nous la mettrons avec les autres dans la fosse ». Le témoin a
dit qu’il savait qu’ils éventraient la femme lorsqu’il l’avait entendue hurler. Lorsqu’ils sont
descendus du plafond après la tombée de la nuit, ils ont vu beaucoup de sang et des traces de
sang laissés par les cadavres qui avaient été traînés jusqu’à la fosse. Ils avaient aussi vu des
corps dans celle-ci702.
707. Le témoin ABC, Hutu de Kigali, a déclaré que, vers le milieu d’avril 1994, il avait vu
Barayagwiza sur la route en contrebas de l’hôtel Kiyovu qui mène à l’école française, où se
trouvait un barrage routier tenu par des Impuzamugambi. Barayagwiza était dans un véhicule
Pajero blanc avec un militaire de la garde présidentielle, qui était son garde du corps, et il
parlait aux Impuzamugambi. Le témoin ABC se tenait à 2 ou 3 mètres environ de
Barayagwiza et l’a entendu leur dire de ne pas laisser les Tutsis ou les personnes originaires
696

Comptes rendus des audiences du 21 mars 2001, p. 6 à 12 et 31 à 35, et du 22 mars 2001, p. 5 à 8, 14 à 19,
29 à 33, 36 à 41, 47 à 51.
697
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2001, p. 30 à 32.
698
Ibid., p. 31 et 32.
699
Comptes rendus des audiences du 21 mars 2001, p. 16 ainsi que 19 et 20, et du 22 mars 2001, p. 73 à 81.
700
Comptes rendus des audiences du 21 mars 2001, p. 22 à 24, et du 22 mars 2001, p. 100 à 105.
701
Comptes rendus des audiences du 21 mars 2001, p. 24 à 26, et du 22 mars 2001, p. 130 à 137.
702
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2001, p. 26 à 29.
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de Nduga franchir le barrage routier à moins que ces personnes ne montrent qu’elles avaient
des cartes de la CDR ou du MDR à défaut de quoi elles devaient être tuées. Le témoin a
expliqué que Nduga désignait la région de Gitarama et de Butare703. Il a dit qu’il y avait une
quinzaine de personnes qui tenaient le barrage routier, elles avaient des machettes, des
grenades et des armes à feu et étaient équipées d’une radio branchée sur la RTLM, qui les
encourageait à pourchasser les Tutsis. Le témoin était au barrage routier parce que son
employeur se cachait et l’avait envoyé lui acheter une boisson. Il y était resté à peu près cinq
minutes. Barayagwiza était là avant que le témoin arrive et était parti avant que le témoin ne
s’en aille. Le témoin ABC avait pu franchir le barrage parce que sa carte d’identité spécifiait
qu’il était Hutu et parce qu’il travaillait et était réfugié. Il a déclaré qu’il y avait trois barrages
routiers sur cette route à des intervalles estimés à un kilomètre704. Le témoin a dit que les
barrages routiers étaient tenus par les Impuzamugambi et des membres de la CDR et que
Barayagwiza supervisait les barrages routiers à cet endroit. Après cet incident, le témoin
ABC avait vu Barayagwiza passer dans son véhicule, supervisant les barrages. Il avait déduit
que Barayagwiza supervisait les barrages car ils étaient tenus par des membres de la CDR et
qu’il était le chef de la CDR dans ce district. Il a dit que son observation selon laquelle
Barayagwiza surveillait l’exécution du travail pour voir si des Tutsis étaient tués, avait été
confirmée par les Impuzamugambi705.
708. Le témoin à charge AFB, homme d’affaires hutu, a déclaré que Barayagwiza avait
utilisé l’expression « tubatsembasembe », ou « Exterminons-les » dans des meetings. Lors
d’un meeting de la CDR auquel le témoin AFB a assisté en 1993 au stade Umuganda, au
cours duquel Barayagwiza avait pris la parole, les Impuzamugambi scandaient cette phrase706.
Le témoin X a déclaré que, en février ou en mars 1992, il avait assisté à un meeting de la
CDR au stade Nyamirambo, pendant lequel Barayagwiza avait pris la parole et usé du terme
« gutsembatsemba » qui, dit-il, signifiait « [Exterminez] les Tutsis »707. Nahimana, qui était
aussi à ce meeting, a affirmé n’avoir jamais entendu qui que ce soit y employer l’expression
« tubatsembatsembe »708, mais il a confirmé qu’il y avait eu des plaintes contre la CDR à la
fin de 1993 et au début de 1994 leur reprochant d’avoir chanté une chanson utilisant
l’expression « tubatsembatsembe »709.
Crédibilité des témoins
709. La Chambre a jugé les dépositions des témoins AHI, ABC, X et ABE dignes de foi,
ainsi qu’il est dit aux paragraphes 775, 331, 547 et 332 respectivement. La Chambre a
examiné aussi le témoignage d’Omar Serushago et l’a accepté avec prudence, n’en tenant
compte que dans la mesure où il était corroboré, ainsi qu’il est dit au paragraphe 816.

703

Comptes rendus des audiences du 28 août 2001, p. 3 et 4 ainsi que 24 à 27, et du 29 août 2001, p. 44 à 46.
Compte rendu de l’audience du 28 août. 2001, p. 27 à 29.
705
Ibid., p. 28 à 31.
706
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 19 à 26 ainsi que 37 et 38.
707
Compte rendu de l’audience du 18 février 2002, p. 81 à 87.
708
Tubatsembatsembe signifie « Exterminons les Tutsis » et gutsembatsemba « Exterminez les Tutsis » à la
forme impérative.
709
Compte rendu de l’audience du 19 septembre 2002, p. 206 à 208.
704

Jugement et Sentence
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710. Le témoin AGK a été contre-interrogé par l’avocat de Ngeze sur l’emplacement du
bureau de Barayagwiza, lequel selon lui, se trouvait au premier étage du bâtiment du
Ministère des affaires étrangères, et sur son propre lieu de travail, lequel, selon lui, se trouvait
au rez-de-chaussée à la réception. Il lui a demandé comment il savait que des visiteurs se
rendaient au bureau de Barayagwiza. Le témoin a dit qu’il était à l’entrée et indiquait aux
gens où se rendre lorsqu’ils arrivaient. Il a reconnu que des gens d’autres partis politiques
ainsi que du FPR venaient aussi dans ce bâtiment, mais il a dit que la plupart de ceux qui
venaient voir Barayagwiza étaient de la CDR710. L’avocat de Barayagwiza a interrogé AGK
sur plusieurs points de détail concernant son travail au bureau ainsi que sur le nombre de
personnes qui travaillaient avec lui. Il a été interrogé sur l’épisode où il avait été appelé au
bureau de Barayagwiza pour délivrer une lettre et sur le point de savoir si cela faisait partie
de ses responsabilités. Le témoin a dit qu’il ne pouvait pas refuser de se rendre au bureau de
Barayagwiza lorsqu’il y était appelé 711 . Il lui a aussi été demandé comment il avait pu
entendre les propos que, d’après lui, Barayagwiza avait tenus concernant les Inkotanyi. Il a
répondu que cela s’était passé à l’extérieur et qu’il avait pu entendre parce qu’il se trouvait à
l’entrée du bâtiment. On lui a demandé pourquoi Barayagwiza aurait tenu ces propos et,
quand il a dit qu’il ne savait pas, on lui a fait observer que, dans sa déclaration, il avait
mentionné que le FPR avait atteint Mulindi. Il a admis avoir dit cela et expliqué qu’il
s’agissait là d’un point de repère dans le temps dont il s’était servi, non d’une explication des
propos tenus par Barayagwiza712. Le témoin a donné des détails supplémentaires au cours du
contre-interrogatoire sur la distribution de casquettes de la CDR par Barayagwiza – l’endroit
où elles étaient conservées et comment elles avaient été distribuées 713 . Le témoin a été
interrogé sur ce qu’il a dit à la barre concernant la manifestation, et il a confirmé les
renseignements qu’il a donnés ainsi que le passage de sa déposition où il avait indiqué que
Barayagwiza était la seule personne qui pouvait quitter le bâtiment à ce moment-là. Il a dit
qu’il ne connaissait pas la raison de la manifestation. Il a également été interrogé sur la date
de celle-ci et a affirmé qu’il se souvenait que c’était en mai 1993. La Chambre a conclu que
la déposition du témoin AGK était claire et cohérente. Il a répondu aux questions directement
et le contre-interrogatoire n’a pu remettre en question ses dires. Pour ces raisons, la Chambre
conclut que la déposition du témoin AGK est digne de foi.
711. Le témoin AAM a été contre-interrogé sur le point de savoir s’il connaissait bien
Barayagwiza et combien de fois il l’avait vu. Il a également été interrogé à propos de Ngeze
et sur les circonstances dans lesquelles il avait vu celui-ci à la manifestation ainsi qu’il l’avait
dit. Le témoin a répondu de manière adéquate aux questions qui lui étaient posées et a fourni
des détails supplémentaires. On lui a fait remarquer qu’il avait peut-être confondu Ngeze
avec un de ses frères. Le témoin AAM a répondu qu’il connaissait deux des frères de Ngeze
et il a confirmé que c’était bien Ngeze qu’il avait vu714. Il a été interrogé sur ses déclarations,
en particulier sur le fait que Ngeze n’était pas mentionné dans celles datées du 11 avril 1996
et du 18 novembre 1997. Il a expliqué qu’on ne lui avait alors pas posé de question sur
Ngeze715. La Chambre remarque qu’il avait effectivement mentionné Ngeze dans ses deux
710

Compte rendu de l’audience du 21 juin 2001, p. 145 à 150.
Compte rendu de l’audience du 25 juin 2001, p. 9 à 15.
712
Ibid., p. 14 à 21.
713
Ibid., p. 22 à 27.
714
Compte rendu de l’audience du 12 février 2001, p. 139 à 163.
715
Compte rendu de l’audience du 13 février 2001, p. 13 à 53.
711

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autres déclarations. Le témoin a été interrogé sur les événements politiques au Rwanda aussi
bien avant qu’après 1994. Il a nié qu’il était membre du FPR. On lui a demandé ce qu’il
savait et ce qu’il pensait du FPR et de ses activités. Le témoin a décrit le FPR comme des
militaires qui luttaient pour leurs droits et leur propre cause, et s’est demandé pourquoi la
population civile avait été attaquée en représailles de l’attaque du FPR du 1er octobre 1990716.
Il a confirmé son témoignage selon lequel il ne savait pas à l’époque que l’attaque du
1er octobre avait été lancée par le FPR, et non pas par des étrangers ougandais, ce qui lui avait
été dit à l’époque et qu’il avait cru717. Le témoin a déclaré qu’il n’avait rien contre les Hutus
malgré les meurtres de Tutsis par des Hutus dont il a été témoin, et il a ajouté qu’il y avait des
mariages interethniques dans sa famille 718 . Le témoin a également confirmé qu’il ne
témoignait pas par peur de son Gouvernement ou pour plaire719. Il a reconnu appartenir à
Ibuka. Le témoin AAM a répondu de manière adéquate aux questions qui lui ont été posées
en contre-interrogatoire, dont aucune n’a remis réellement en question sa déposition. Pour ces
raisons, la Chambre juge la déposition du témoin AAM digne de foi.
712. Le témoin AFX a soutenu en contre-interrogatoire qu’il avait assisté à trois meetings
de la CDR bien qu’il fût d’ethnie tutsie. Il a dit que personne n’avait été empêché d’y assister
à l’époque et qu’il y était allé par intérêt personnel. Le témoin a nié être membre ou
sympathisant du FPR. Contre-interrogé par l’avocat de Barayagwiza, il a dit qu’il n’avait pas
entendu parler des activités militaires ou politiques du FPR en 1993 et au début de 1994720.
Contre-interrogé par contre par l’avocat de Nahimana, le témoin a reconnu qu’il était au
courant des attaques du FPR depuis octobre 1990721. Il avait déclaré qu’avant le génocide, il
travaillait pour l’État sans salaire comme secrétaire, bien qu’il fût payé par son patron de
temps en temps. Il a nié que ce paiement lui fût accordé à titre de rémunération d’activités
d’espionnage722. Le témoin a été interrogé sur le fait qu’il avait dit à la barre avoir vu des
armes chez Ngeze. Il a expliqué que Ngeze lui avait montré les armes parce qu’ils étaient
parents et que celui-ci ne lui cachait rien. Le témoin a décrit le plan de la maison et l’endroit
où se trouvaient les armes dans la pièce et il a indiqué l’heure à laquelle il les avait vues et
comment était la lumière à ce moment. Lorsqu’il lui a été demandé combien de pièces il y
avait dans la maison, il a dit qu’il n’était pas sûr du nombre exact mais qu’il savait qu’il y en
avait au moins quatre parce que c’étaient les pièces dans lesquelles il était allé723. Le témoin
dit que ce fait n’avait pas été mentionné dans sa déclaration du 24 septembre 1999 parce qu’il
n’avait pas été interrogé à ce sujet à l’époque. Il en est question dans sa déclaration du
20 avril 2001 parce que les enquêteurs lui ont posé des questions à cette occasion concernant
ses visites chez Ngeze724. Ayant déclaré qu’il se souvenait en particulier du numéro 35 de
Kangura, le témoin a expliqué, lorsqu’il a été interrogé sur son souvenir de cette revue et de
son numéro, qu’il avait trouvé le contenu relatif à l’éloge de Habyarimana par lui-même
716

Compte rendu de l’audience du 12 février 2001, p. 168 à 171.
Comptes rendus des audiences du 13 février 2001, p. 68 à 71, et du 15 février 2001, p. 54 à 62.
718
Compte rendu de l’audience du 13 février 2001, p. 51 à 59.
719
Compte rendu de l’audience du 15 février 2001, p. 59 à 62.
720
Compte rendu de l’audience du 7 mai 2001, p. 19 et 20 ainsi que 34 à 38.
721
Compte rendu de l’audience du 8 mai 2001, p. 9 à 12.
722
Compte rendu de l’audience du 7 mai 2001, p. 52 à 55 (huis clos).
723
Comptes rendus des audiences du 7 mai 2001, p. 73 à 78, 83 à 91 et 92 à 96, et du 8 mai 2001, p. 40 à 48
(huis clos).
724
Compte rendu de l’audience du 7 mai 2001, p. 91 à 93 (huis clos).
717

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intéressant. Il a dit qu’il se souvenait du numéro de la revue parce qu’il l’avait lu plusieurs
fois. L’avocat a fait observer au témoin qu’il s’était trompé en identifiant l’homme assis dans
la rangée du haut à l’extrême droite d’une photographie de cette revue comme étant
Barayagwiza. Le témoin a maintenu ses dires. La Chambre observe que, bien que la personne
identifiée ne soit pas Barayagwiza, le témoin a dit plusieurs fois, lorsqu’il a fait
l’identification, que la photographie n’était pas claire 725 . Le témoin a été interrogé sur
plusieurs contradictions concernant ses déclarations. Il a expliqué que, dans celle du 20 avril
2001, il s’était décrit comme étant « retraité » bien qu’il ne touchât aucune retraite, il voulait
dire qu’il avait cessé de travailler au début des massacres. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi,
dans cette déclaration de 2001 et dans une autre du 24 septembre 1999, sa mère était inscrite
sous deux noms différents, il a dit qu’il n’avait donné qu’un seul nom pour les deux
déclarations726. Le témoin a reconnu son association avec Ibuka. La Chambre considère que
le témoin AFX a donné des réponses raisonnables aux questions qui lui ont été posées au
cours du contre-interrogatoire. Dans sa déposition, Hassan Ngeze a allégué que ce témoin
était incité à témoigner par le désir de le faire sortir de sa maison et de s’en emparer. Le
témoin n’a pas été questionné sur cette allégation, qui ne se rapporte pas directement à sa
déposition concernant Barayagwiza ; elle ne sera donc pas retenue. La Chambre juge la
déposition du témoin AFX digne de foi.
713. Le témoin AAJ a d’abord déclaré qu’il avait entendu parler de Barayagwiza par les
jeunes frères de ce dernier pour ensuite dire que c’étaient aux enfants de ces frères qu’il avait
parlé de Barayagwiza et pour finir par dire qu’il avait aussi entendu les épouses de ces frères
parler de Barayagwiza, indiquant ensuite pour préciser qu’il faisait seulement allusion à
l’épouse d’un frère727. Le témoin a déclaré en interrogatoire principal qu’il avait 15 ans en
1990. En contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il avait 15 ans en 1991. Il n’a pu indiquer
quelle était sa date de naissance ou même le mois, mais seulement qu’il était né au début de
1976. Il a dit que sa date de naissance figurait sur ses documents mais qu’il ne s’en souvenait
pas728. Au début, il a déclaré qu’il avait été surpris que les Tutsis fussent exclus du meeting
puisqu’ils étaient tous Rwandais, mais plus tard, il a dit qu’Aminadabu avait prévenu que les
Tutsis n’étaient pas autorisés à y assister. Par la suite, il a dit que ce n’était pas le cas, que
deux Tutsis étaient allés au meeting et n’avaient pas été admis et que c’était après cela que
d’autres Tutsis dans la région avaient été prévenus de ne pas y assister. Prié par la Chambre
de dire comment il avait reconnu Barayagwiza lors de ce premier meeting s’il ne l’avait
jamais rencontré et n’avait jamais vu de photographie de lui, le témoin a expliqué qu’après le
meeting il avait été identifié par Aminadabu. Le témoin a précisé qu’il n’avait pas su, au
moment où il avait entendu le discours, que c’était Barayagwiza qui parlait. Toutefois, il a
ajouté qu’il savait que le meeting avait été organisé par Barayagwiza et que, comme
organisateur, il se tiendrait devant l’audience, et c’était là qu’il se tenait. Il a déclaré ensuite
qu’il avait entendu dire qu’il était l’organisateur du meeting parce qu’il ne l’avait jamais vu
dans la région auparavant. Le témoin a dit que, après le premier meeting, les Tutsis ne
pouvaient pas sortir de chez eux à cause de l’insécurité pour ensuite indiquer plus tard que
c’est après le second meeting que les Tutsis ne pouvaient pas sortir de chez eux. Il a expliqué
725

Compte rendu de l’audience du 8 mai 2001, p. 15 à 30 ainsi que 35 et 36 ; 57 à 59 (huis clos).
Compte rendu de l’audience du 7 mai 2001, p. 55 à 57 (huis clos).
727
Compte rendu de l’audience du 22 mars 2001, p. 15 à 19 et 23 à 25.
728
Comptes rendus des audiences du 21 mars 2001, p. 6 et 7, et du 22 mars 2001, p. 19 à 23.
726

Jugement et Sentence
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qu’ils ne se sentaient pas en sécurité depuis le premier meeting et que le second meeting avait
renforcé ce sentiment, et il a précisé que l’insécurité résultant du premier meeting avait duré
un ou deux jours 729 . La Chambre a examiné le témoignage d’AAJ à la lumière de ses
nombreuses réponses variées aux questions qui lui étaient posées au cours du contreinterrogatoire et de son incapacité à se rappeler les événements avec exactitude. Son
témoignage est contradictoire et peu fiable. En conséquence, la Chambre juge la déposition
du témoin AAJ non digne de foi.
Appréciation des éléments de preuve
714. Se fondant sur la déposition du témoin AGK, la Chambre constate que Barayagwiza
était sorti librement du Ministère des affaires étrangères après le travail à 17 h 15, alors que le
bâtiment était assiégé par la CDR en mai 1993, et que personne d’autre n’avait pu en sortir
entre 15 heures et 1 heure du matin. Il s’était arrêté dehors et avait parlé aux manifestants qui
scandaient « Tubatsembatsembe » ou « exterminons-les » à l’extérieur du bâtiment. S’il
n’avait pas d’une manière ou d’une autre participé à la planification de cet événement, il
ressort de ce témoignage qu’il n’en restait pas moins qu’il agissait de concert avec les
manifestants ou exerçait un contrôle sur eux de sorte qu’il avait pu quitter le bâtiment. Sa
participation à la planification de la manifestation pourrait se déduire de la preuve de son rôle
de dirigeant de la CDR. Le témoin AGK a dit que Barayagwiza recevait de nombreux
visiteurs de la CDR dans son bureau, distribuait des bérets de la CDR et donnait des ordres.
715. Les témoins AHI et AAM ont relaté à la barre les activités de Barayagwiza à l’époque
du massacre de Tutsis Bagogwe en 1991 et en 1992. Le témoin AHI a dit qu’il avait vu les
cadavres de 30 civils tutsis à l’extérieur du bureau de la préfecture de Gisenyi et qu’une
réunion s’y était tenue, à laquelle avaient assisté notamment Barayagwiza et Ngeze et qui
avait pour objet, selon le témoin, les cadavres. Prié de dire comment il savait que tel était
l’objet de la réunion, le témoin AHI a dit qu’un problème a surgi entre la population et
l’armée, rendant nécessaire de savoir qui avait tué ces Bagogwe. Il a affirmé que la question
n’avait jamais été éclaircie730. Il est malaisé de déterminer à partir de cette réponse comment
le témoin savait que la réunion concernait les cadavres. Bien que cela puisse s’inférer des
circonstances décrites par le témoin, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas donné à la barre
d’informations sur ce qui s’était éventuellement passé à la réunion. Son témoignage n’établit
pas le rôle que Barayagwiza pourrait avoir eu dans ces massacres ou par la suite, il indique
seulement que Barayagwiza et Ngeze étaient présents à une réunion à laquelle il a pu être
question des massacres.
716. Le témoin AAM a parlé d’un meeting tenu après le massacre de Tutsis Bagogwe, qui
avait été organisé par Barayagwiza et le sous-préfet dans la commune de Mutura en 1991. À
ce meeting, Barayagwiza avait ordonné aux Hutus et aux Tutsis présents de se mettre à part.
Il avait demandé aux Tutsis de danser, et ils avaient exécuté une danse appelée Ikinyemera, il
leur avait ensuite fait savoir qu’ils devaient cesser de dire qu’on les tuait, comme il l’avait
entendu à la radio. Il avait déclaré : « [S]i nous entendons cela encore une fois, nous allons
vous tuer, parce que vous tuer n’est pas une chose difficile pour nous ». Le témoin AFX avait
729
730

Compte rendu de l’audience du 22 mars 2001, p. 29 à 36, 37 à 40, 95 à 99 et 151 à 153.
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 94 à 110.

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assisté à un autre meeting au cours duquel Barayagwiza avait demandé aux Tutsis qui étaient
présents de danser l’Ikinyemera, qui, a-t-il expliqué, était leur danse traditionnelle. À ce
meeting qui avait eu lieu en 1993, également dans la commune de Mutura, il avait demandé
d’où venaient ces Bagogwe, puisqu’on disait qu’ils avaient été tués. L’ordre donné par
Barayagwiza aux Tutsis de se metter à part des Hutus et sa demande que les Tutsis Bagogwe
dansent dans une expression publique de leur tradition témoignent de son intention de
rabaisser et d’humilier les Tutsis, cet ordre ou cette demande étant chaque fois suivie d’une
menace de les tuer. Au cours du meeting dont a parlé le témoin AAM, Barayagwiza avait
explicitement menacé de les tuer.
717. Le témoin AAM s’est souvenu d’une autre déclaration faite par Barayagwiza au cours
d’un meeting dans un stade en 1993, à savoir que si un Hutu avait du sang tutsi dans les
veines, il n’avait pas besoin de lui. Le témoin AFX a rapporté que, lors d’un meeting à
Ngororero en 1993, Barayagwiza avait dit qu’il était grand temps que les Hutus sachent qui
étaient leurs ennemis et sachent comment trouver des moyens de les combattre. Il a dit aussi
qu’il était grand temps que les Hutus sachent comment se comporter. La Chambre prend acte
de la déposition du témoin selon laquelle Barayagwiza avait des amis tutsis avant de rejoindre
la CDR, et de celles des témoins X et ABE selon lesquelles Barayagwiza a chassé son
épouse, la mère de trois de ses enfants, lorsqu’il a appris qu’elle était d’origine tutsie.
Barayagwiza suivait lui-même Les dix commandements des Bahutu et, selon le témoin X,
s’efforçait de montrer l’exemple aux autres.
718. Le témoin AAM a également vu Barayagwiza lors de manifestations en 1992, portant
une casquette de la CDR et accompagné par des Impuzamugambi qui étaient armés de
gourdins et terrorisaient les gens. Ils criaient et scandaient Tuzatsembatsembe (?) ou
« Exterminons-les », ce qui, pour le témoin, visait les Inyenzi et les Tutsis. Le témoin AFX a
déclaré que Barayagwiza avait le pouvoir d’organiser des meetings et d’ordonner la mise en
place de barrages routiers. Le témoin ABC a dit qu’il avait vu Barayagwiza à un barrage
routier, intimant aux Impuzamugambi de tuer les Tutsis ou les Nduga qui essaieraient de
passer sauf s’ils étaient porteurs de cartes de la CDR ou du MDR. Le témoin a dit que
Barayagwiza supervisait les trois barrages routiers à cet endroit, et que les Impuzamugambi
lui avait confirmé le rôle joué par Barayagwiza pour s’assurer que les Tutsis étaient tués.
Conclusions factuelles
719. Jean Bosco Barayagwiza a organisé des meetings de la CDR et y a pris la parole ; il a
ordonné aux Hutus et Tutsis qui assistaient à un meeting dans la commune de Mutura en
1991 de se mettre à part, et a demandé aux Tutsis Bagogwe d’exécuter leur danse
traditionnelle à ce meeting et à un autre tenu dans la commune de Mutura en 1993, les
humiliant, usant d’intimidations à leur égard et menaçant publiquement de les tuer.
Barayagwiza supervisait des barrages routiers tenus par les Impuzamugambi, mis en place
pour arrêter et tuer les Tutsis. Il était présent et a participé à des manifestations où des
manifestants de la CDR armés de gourdins scandaient « Tubatsembatsembe » ou
« Exterminons-les », le pronom « les » s’entendant des Tutsis. Barayagwiza a lui-même dit
« tubatsembatsembe » ou « Exterminons-les » à des meetings de la CDR.

Jugement et Sentence
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6.2

Distribution d’armes

720. Le témoin AHB, fermier hutu, a déclaré avoir vu Barayagwiza en 1994 à Gisenyi, une
semaine après l’écrasement de l’avion. Barayagwiza était arrivé vers midi dans un véhicule
rouge, en même temps qu’un autre véhicule, un Daihatsu blanc, et s’était arrêté devant la
maison de Ntamaherezo, le président du MRND dans la commune, qui avait distribué des
armes en 1994. Ce matin-là, Ntamaherezo leur avait dit que Barayagwiza viendrait avec des
outils pour tuer les Tutsis. Lorsqu’il est arrivé, Barayagwiza est descendu de son véhicule.
Des Impuzamugambi portant des casquettes de la CDR sont descendus du Daihatsu et ont
déchargé des armes à feu et des machettes qu’ils ont mises dans la maison de Ntamaherezo.
Le témoin AHB connaissait ces Impuzamugambi dont il a donné les noms : Sinanrugu et
Nzabandora, tous deux des responsables de cellule. Pendant ce temps, Barayagwiza parlait à
Ntamaherezo, le témoin AHB se tenant à vingt pas d’eux. Barayagwiza et quelques-uns des
Impuzamugambi sont partis au bout de dix minutes. D’autres Impuzamugambi ainsi que
d’autres personnes qui attendaient ont emporté les armes et s’en sont servis pour tuer. Ce
même jour, le témoin AHB a vu Sinanrugu et Nzabandora tuer 30 personnes, dont des enfants
et des personnes âgées. Il a nommé huit de ces personnes qui ont été tuées, ainsi que leurs
familles et beaucoup d’autres gens, qui étaient tous des Tutsis. Les victimes n’étaient pas
armées, Sinanrugu et Nzabandora les ont tuées avec des fusils et des machettes731.
721. Lors du contre-interrogatoire, le témoin AHB a donné d’autres détails sur la
distribution des armes que Barayagwiza avait apportées. Il a dit que le véhicule transportant
les armes était une camionnette et a nommé ceux qui ont déchargé les armes comme étant
Sinanrugu, Nzabandora, Mbarushimana et Kinoti. Il les a entendus dire qu’ils laissaient des
armes dans le véhicule pour les distribuer à d’autres personnes. Ils étaient venus vers le
groupe dans lequel le témoin AHB se tenait et leur avaient dit que ceux qui voulaient des
armes devaient aller les chercher, et que les autres armes seraient amenées à Kabari pour être
distribuées à d’autres personnes. Le témoin AHB a déclaré qu’il y avait beaucoup de gens
avec lui dans le groupe et que la population de trois secteurs s’était rassemblée là pour
prendre les outils afin d’aller tuer les Tutsis. Il a dit que ce matin-là, vers 8 heures, les chefs
de la CDR et du MRND avaient fait passer le message que les gens devaient se rendre chez
Ntamaherezo pour y prendre des armes. Prié de dire qui avait fait cette annonce, le témoin
AHB a nommé les Interahamwe Barabwiriza et Semagori, ainsi que les Impuzamugambi
Mbarushimana et Kinoti. Mbarushimana est celui qui était venu chez lui le lui dire. Le témoin
AHB est parti de chez lui avec un groupe de trente personnes de sa cellule. Ils étaient tous
Hutus. Il a dit qu’il était allé voir si les gens qu’il avait cachés allaient être tués. Prié de
nommer les trente personnes de sa cellule, le témoin AHB a donné sept noms et dit qu’il ne
pouvait pas se les rappeler tous. Il a déclaré qu’il n’avait pas lui-même pris d’armes parce
qu’il avait décidé de protéger les personnes qu’il cachait732.
722. Le témoin AHB a aussi été contre-interrogé sur le lieu où se trouvait Mizingo et prié
de fournir d’autres détails concernant cet endroit où se trouvait la maison de Ntamaherezo. Il
a décrit Mizingo comme un parc situé entre Gisenyi et Ruhengeri, et comme un centre où les
gens s’arrêtaient et se rassemblaient pour chercher du travail. Il y avait des bars, et les gens y
731
732

Comptes rendus des audiences du 27 novembre 2001, p. 133 à 159, et du 28 novembre 2001, p. 135 et 136.
Compte rendu de l’audience du 28 novembre 2001, p. 13 à 19.

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apportaient des légumes. La porte de la maison de Ntamaherezo donnait sur la route asphaltée
et le centre. Lorsque Barayagwiza était arrivé, le témoin AHB était près de la route, du côté
où se trouvait la maison, à 20 pas de lui. En réponse à une question concernant sa déclaration,
le témoin AHB a dit que certaines des armes apportées par Barayagwiza avaient été laissées
chez Ntamaherezo et les autres armes, qui avaient été laissées dans le véhicule, avaient été
amenées chez Aminadab à Kabari et chez Ruhura, le jeune frère de Barayagwiza qui était le
président de la CDR dans le secteur de Kanzenze. Il a mentionné que Sinanrugu et
Nzabandora avaient admis qu’ils avaient obtenu des armes, avaient plaidé coupable et étaient
actuellement en prison. Le témoin a dit que les gens qui étaient venus et avaient pris des
armes chez Ntamaherezo étaient aussi en prison. Il a également mentionné que Ruhura avait
lancé une attaque contre sa maison parce qu’il y cachait des Tutsis. Il a dit que c’est la seule
fois en 1994 où il avait vu Barayagwiza distribuer des armes. On a demandé au témoin ce
qu’il voulait dire lorsqu’il avait affirmé dans sa déclaration que Barayagwiza était à l’origine
des tueries dans la commune de Mutura. Il a répondu que les Tutsis qui avaient réussi à
échapper aux massacres qui avaient eu lieu le 7 avril auraient survécu si Barayagwiza n’avait
pas distribué d’armes pour les tuer. C’est pourquoi de nombreux massacres avaient eu lieu à
Mutura, et les Tutsis qui avaient réussi à avoir la vie sauve avaient été tués là-bas733.
723. Omar Serushago, chef Interahamwe, a déclaré qu’en 1992 et en 1993, ainsi qu’entre
janvier et avril 1994, il avait vu Barayagwiza et Ngeze ensemble à des réunions de la CDR,
auxquelles il avait aussi assisté, à l’hôtel Regina et à l’Institut Saint-Fidèle. Ces réunions, qui
étaient présidées par Barayagwiza, servaient à réunir des fonds pour l’achat d’armes734. Il a
été dit au cours de ces réunions que ces armes étaient destinées à combattre l’ennemi, les
Inyenzi, c’est-à-dire les Tutsis. Serushago a indiqué que Barayagwiza et Ngeze avaient fait
des contributions financières pour l’achat d’armes. Il a précisé en outre que ces armes avaient
été effectivement achetées735.
Crédibilité du témoin
724. Il a été demandé en contre-interrogatoire au témoin AHB pourquoi Barayagwiza, un
responsable de la CDR, livrerait des armes pour les Impuzamugambi à la maison du président
du MRND. Il a répondu que la CDR et le MRND collaboraient et poursuivaient le même
objectif. Il a été interrogé sur une déclaration qu’il avait faite en juin 2000, dans laquelle il
avait dit que Barayagwiza avait déposé des armes chez Ruhura, Aminadab, Sinanrugu et
Nzabandora, ainsi que chez Ntamaherezo. Il a confirmé sa déclaration et donné de nombreux
autres détails, y compris le compte rendu d’une conversation qu’il avait surprise ce jour-là
entre ceux qui déchargeaient les armes. Quand on le lui a demandé, il a fourni de nombreux
noms, dont ceux de dirigeants de la CDR et du MRND qui avaient annoncé la distribution
d’armes ce jour-là, de celui qui était venu chez lui pour l’informer ainsi que de sept personnes
de sa cellule faisant partie du groupe qui était allé chercher des armes. On lui a demandé si,
en indiquant qu’il y avait 30 membres de sa cellule dans ce groupe, il ne confondait pas ce
chiffre avec les 30 personnes qui, selon lui, avaient été tuées ce jour-là. Il a nié que ce fût le
cas et confirmé à nouveau ce qu’il avait dit à la barre. Prié de dire pourquoi il avait
733

Compte rendu de l’audience du 28 novembre 2001, p. 14 à 26 ainsi que 71 et 72.
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 95 à 101.
735
Ibid., p. 102 à 120.
734

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mentionné les Interahamwe dans sa déposition mais pas dans sa déclaration, le témoin AHB a
répondu qu’on ne lui avait posé aucune question à ce sujet736.
725. Le témoin AHB a également été interrogé sur les éléments de sa déclaration
concernant les massacres de Tutsis le 7 avril 1994, on lui a demandé où ils avaient été tués et
combien avaient été tués. Il a nommé plusieurs églises – Bweramana, Nyamirango,
Cyambara – où des Tutsis avaient été tués et estimé à 30 000 le nombre de ceux qui avaient
été tués ce jour-là. Il a précisé qu’il avait seulement été témoin des massacres qui avaient eu
lieu dans son coin, à l’église de Cyambara. Prié de dire comment il était au courant de
l’attaque de l’église du 7 avril, le témoin AHB a expliqué que sa maison était proche de
l’église. Il a entendu les gens attaqués crier, et il a vu des gens les attaquer avec des
machettes737. On lui a demandé s’il faisait partie des tueurs et il a répondu que si cela avait
été le cas, il n’aurait pas caché les gens dont il avait parlé et il n’aurait pas été élu à un poste
de responsabilité dans sa communauté738. Il a nommé 7 personnes qui ont été tuées sous ses
yeux tandis qu’il se tenait devant chez lui pour protéger les gens qu’il avait cachés. Il a aussi
nommé plusieurs Tutsis qu’il avait sauvés739. Le témoin a été interrogé sur l’attaque dont il
avait été victime de la part de Ruhura et sur ses déclarations aux autorités rwandaises en 2000
concernant les activités de ce dernier. Il a expliqué pourquoi il n’avait rien dit concernant
Ruhura et pourquoi il n’avait pas parlé de l’attaque commise par ce dernier sur lui dans sa
déclaration740. Le témoin a aussi été interrogé sur la fois où il avait vu Barayagwiza en 1993
quand il était venu à Muhe pour l’installation de l’antenne de la RTLM. Il a décrit l’endroit
d’où il avait vu Barayagwiza et indiqué la distance à laquelle il se trouvait du véhicule dans
lequel celui-ci se déplaçait. Il lui a été fait observer que l’antenne avait été installée en 1994
et que Barayagwiza n’était pas là, mais le témoin a confirmé ses dires, insistant qu’il parlait
de choses qu’il avait vues 741 . Il a aussi été interrogé sur ce qu’il avait dit à l’audience
concernant une réunion de la CDR en 1991. Il a confirmé que la réunion avait bien eu lieu en
1991 et que la CDR existait, du moins dans sa région, en 1991742.
726. La Chambre a examiné le contre-interrogatoire approfondi auquel le conseil de
Barayagwiza et celui de Ngeze ont soumis le témoin AHB. En ce qui concerne la déclaration
faite par celui-ci selon laquelle certaines armes avaient été déchargées et certaines étaient
restées dans le véhicule pour être livrées à d’autres personnes que Ntamaherezo, la Chambre
observe qu’il avait immédiatement confirmé à la barre ce qu’il avait dit dans sa déclaration et
fourni des détails supplémentaires à ce sujet. La Chambre note également qu’au cours de
l’interrogatoire principal, le témoin n’a pas dit que toutes les armes avaient été déchargées.
Le fait qu’il ait déclaré que des armes avaient été déchargées chez Ntamaherezo n’empêche
pas que certaines armes aient pu rester dans le véhicule, et il a effectivement dit au cours de
l’interrogatoire principal que le véhicule était parti avec Barayagwiza et quelques
Impuzamugambi, tandis que d’autres Impuzamugambi étaient restés. Aussi la Chambre
estime-t-elle que la déclaration du témoin n’est pas en contradiction avec sa déposition à la
736

Compte rendu de l’audience du 28 novembre 2001, p. 11 à 35 et 161 à 164.
Ibid., p. 14 et 15, 48 à 58, 60 à 62 et 125 à 127.
738
Ibid., p. 116 et 117.
739
Ibid., p. 68 et 69.
740
Ibid., p. 102 à 118.
741
Ibid., p. 74 à 90.
742
Comptes rendus des audiences du 27 novembre 2001, p. 162 à 170, et du 28 novembre 2001, p. 116 à 122.
737

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barre. Le témoin a répondu aux nombreuses questions qui lui ont été posées, fournissant les
détails et éclaircissements supplémentaires demandés. Il s’est montré coopératif et clair dans
ses réponses qui étaient compatibles avec ce qu’il avait dit antérieurement à la barre. Il a été
précis lorsqu’il mentionnait des noms, des lieux ou des distances ou fournissait d’autres
informations spécifiques, et les réponses qu’il a données lors de son contre-interrogatoire ont
considérablement précisé ce qu’il avait dit lors de l’interrogatoire principal. Pour ce qui est
du fait qu’il aurait vu Barayagwiza du bord de la route en 1993 lors de l’installation d’une
antenne de la RTLM, la Chambre note que la Défense, bien qu’elle ait élevé des doutes quant
à la date de cet événement et à la présence de Barayagwiza à celui-ci, n’a produit aucune
preuve que l’antenne n’avait pas été installée en 1993 ou que Barayagwiza n’était pas
présent. En ce qui concerne la réunion de la CDR en 1991, la Chambre prend acte de ce que
le témoin a dit que l’objectif de la réunion était le recrutement de membres du fait qu’il a
affirmé catégoriquement que la réunion avait eu lieu en 1991. Comme Barayagwiza était de
cette préfecture, la Chambre estime possible qu’une réunion préliminaire du parti dans un but
de recrutement ait eu lieu avant son lancement officiel. Pour ces raisons, la Chambre juge la
déposition du témoin AHB digne de foi.
Appréciation des éléments de preuve
727. La Chambre accepte le récit clair que le témoin AHB a fait de la venue de
Barayagwiza à Gisenyi avec un chargement d’armes en vue de les distribuer. Barayagwiza
accompagnait la camionnette dans un autre véhicule. Le témoin AHB l’a décrit en train de
parler à Ntamaherezo, dont la maison était le point central de distribution, tandis que d’autres,
des Impuzamugambi, déchargeaient les armes. Il ressort de ces faits que Barayagwiza
supervisait les opérations, ce qui est confirmé par la preuve qui a été rapportée de son rôle de
dirigeant de la CDR. La consigne donnée à la population dans trois secteurs, un peu plus tôt
ce matin-là, de se rassembler devant la maison de Ntamaherezo pour y prendre des outils
avec lesquels tuer les Tutsis, indique un niveau élevé de planification et de coordination des
massacres, dans lesquels la distribution d’armes a joué un rôle important. Trente personnes
ont été tuées avec ces armes en présence du témoin AHB. Toutes les victimes étaient des
Tutsis. Les huit qu’il a nommées ont été tuées avec leurs familles et, parmi ceux qui ont été
tués, figuraient des enfants et des personnes âgées. Les victimes n’étaient pas armées.
728. La Chambre prend acte de la remarque faite par le témoin AHB dans sa déclaration
selon laquelle Barayagwiza « était à l’origine des tueries » dans la commune de Mutura, et de
son explication de ce qu’il voulait dire par là. La commune avait été le théâtre d’une attaque
massive contre les Tutsis le 7 avril. Le témoin a parlé de 30 000 tués ce jour-là. Les Tutsis
qui ont réussi à survivre à ce massacre ont été de nouveau attaqués une semaine plus tard
avec les armes apportées à la commune par Barayagwiza. Ce matin-là, un Impuzamugambi
nommé Mbarushimana, un de ceux qu’il mentionne comme ayant aussi déchargé les armes,
est venu chez le témoin pour lui dire de venir chercher les armes destinées à tuer les Tutsis.
Ce recrutement de tueurs fait de porte en porte, de cellule en cellule, auxquels on disait où
aller et auxquels on donnait des armes, est à l’origine des tueries qui ne se seraient pas
produites autrement, selon le témoin AHB.
729. En ce qui concerne le fait que Barayagwiza aurait levé des fonds pour l’achat
d’armes, la Chambre observe que la déposition d’Omar Serushago n’est pas corroborée. Elle
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ne permet pas à elle seule de conclure que Barayagwiza a levé des fonds pour l’achat
d’armes.
Conclusions factuelles
730. La Chambre conclut que Barayagwiza est venu à Gisenyi en avril 1994, une semaine
après la destruction de l’avion le 6 avril, avec un chargement d’armes devant être distribuées
à la population locale. Les armes ont été utilisées pour tuer des civils Tutsis, et il y a eu
coordination préalable des efforts de mobilisation dans trois cellules pour recruter des
assaillants parmi les habitants de ces cellules et les rassembler pour aller chercher les armes.
Ce même jour, au moins 30 civils Tutsis, dont des enfants et des personnes âgées, ont été tués
avec les armes apportées par Barayagwiza. Celui-ci a joué un rôle de direction dans la
distribution de ces armes.
6.3

Les tueries et l’escadron de la mort

731. Le témoin à charge Omar Serushago a dit qu’il avait appris par sa sœur, qui travaillait
au secrétariat de la CDR à Kigali, que Barayagwiza faisait partie de l’escadron de la mort et
finançait des groupes de jeunes gens, notamment Katumba et Mutombo, qui tuaient des
Tutsis. Serushago était souvent en compagnie de Mutombo et d’autres qui venaient de
Gisenyi. Lui-même avait assisté à de nombreuses réunions de l’escadron de la mort qui, dit-il,
était une organisation créée au cours des années 1990 pour combattre les Tutsis riches et
éduqués. Serushago se souvenait de deux de ces réunions, l’une en 1993 et l’autre au début de
1994, auxquelles assistait aussi Barayagwiza et qui eurent lieu à Kigali, à Kiyovu, quartier
habité par les ministres et d’autres fonctionnaires de haut rang et autorités du régime de
Habyarimana. Parmi les hauts responsables qui assistaient aux réunions de l’escadron de la
mort, Serushago a nommé les colonels Rwendeye et Buregeye. À la réunion, tout le monde
savait, selon lui, que l’ennemi était les Tutsis. Barayagwiza faisait partie de ceux qui ont pris
la parole à la réunion, et il avait dit qu’il n’y avait qu’un seul objectif, lever des fonds pour
pouvoir tuer les Tutsis. Serushago a dit qu’il ne faisait pas directement partie de l’escadron de
la mort mais qu’il en était proche743.
732. Serushago a témoigné que le colonel Élie Sagatwa dirigeait l’escadron de la mort. En
contre-interrogatoire, il a précisé que le lieutenant Bizumerenye, qu’il avait qualifiée dans
une déclaration de responsable de l’escadron de la mort, était connu dans tout le pays,
particulièrement à Kigali, comme étant celui qui avait opéré une rafle et tué des Tutsis. Il a
dit que Barayagwiza était membre de l’escadron de la mort mais qu’il n’était pour rien dans
cette rafle. Ce sont les hommes de Barayagwiza, Katumba et Mutombo, qui ont effectué les
tueries. Ils ont tué en collaboration avec le lieutenant Bizumerenye, mais Barayagwiza a
donné les ordres, tout comme Sagatwa 744 . En réponse aux questions de la Chambre,
Serushago a dit qu’il savait que Barayagwiza avait donné à Katumba et à Mutombo l’ordre de
tuer parce qu’il en avait beaucoup parlé avec eux et qu’ils le lui avaient dit. Il a mentionné les
noms de trois Tutsis qui ont été tués en 1993 sur l’ordre de Barayagwiza. Il a dit qu’il n’avait
pas entendu Barayagwiza donner l’ordre de tuer à Katumba et à Mutombo. En réponse à
743
744

Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 158 à 180.
Compte rendu de l’audience du. 22 novembre 2001, p. 8 à 34 et 47 à 53.

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d’autres questions, il a déclaré que ces noms avaient été mentionnés lors des réunions de
1993 et 1994, et qu’aux deux réunions, il avait entendu Baryagwiza donner l’ordre de tuer ces
personnes745.
733. Omar Serushago a déclaré qu’après que Bucyana eut été tué en février 1994, il avait
vu un fax envoyé par Barayagwiza alors qu’il se trouvait devant le kiosque de Ngeze à
Gisenyi. Le fax était adressé à l’aile jeunesse de la CDR et du MRND, et il y était demandé à
tous les Hutus, maintenant que les Inyenzi avaient tué le président de la CDR, d’être vigilants,
de surveiller de près les Tutsis où qu’ils se cachent. Il disait que, même s’ils étaient dans des
églises, il fallait les poursuivre et les tuer746. Serushago a indiqué que d’avril à juin 1994, la
CDR et les groupes Interahamwe avaient tenu des réunions chaque soir pour rendre compte
du nombre de Tutsis qui avaient été tués. Les chefs, parmi lesquels Barayagwiza et Ngeze,
assistaient à ces réunions747.
734. Serushago a vu Barayagwiza à Gisenyi en juin 1994 lors d’une réunion à l’hôtel
Méridien, à laquelle assistaient des ministres, des officiers et des hommes d’affaires, et qui
avait duré toute la journée. Il a été question d’une liste – que Serushago avait vue – de Tutsis
et de Hutus qui avaient l’intention de passer par Kigali pour fuir vers le Zaïre. Celui qui était
le plus recherché était un Hutu modéré nommé Stanislas Simbizi, directeur d’une imprimerie
scolaire, dont on disait qu’il coopérait avec le FPR et imprimait des cartes d’identité pour les
Tutsis qui voulaient se faire passer pour des Hutus748. Serushago a précisé qu’il ne parlait pas
de Stanislas Simbizi, militant de la CDR qu’il connaissait et qui était sur la liste des
personnes recherchées par le TPIR, et, au cours de son contre-interrogatoire, il a précisé en
outre que le nom du directeur d’école était Stanislas Sinibagwe749. À la réunion, Barayagwiza
avait mentionné le nom de ce directeur, que Serushago avait ensuite arrêté à la fin du mois de
juin au poste frontière de La Corniche. Il avait entendu le signalement de l’homme sur les
ondes de la RTLM, et Zigiranyirazo, le beau-frère de Habyarimana, l’avait identifié près du
bureau de l’immigration à La Corniche. Serushago l’avait livré aux Interahamwe qui
l’avaient emmené à la Commune rouge et l’avaient tué750.
Appréciation des éléments de preuve
735. Serushago a été soumis à un contre-interrogatoire approfondi sur son témoignage
concernant ces réunions et les activités de l’escadron de la mort. Il a déclaré n’avoir pas
entendu Barayagwiza donner à Katumba et à Mutombo l’ordre de tuer, mais avoir obtenu
cette information de ces derniers. Il a dit également qu’il avait entendu Barayagwiza donner
l’ordre de tuer aux réunions. Il a nommé trois personnes que Barayagwiza avait ordonné de
tuer aux réunions de 1993 et 1994 et, lorsqu’on lui a fait observer que ces personnes avaient
déjà été tuées en 1994, il a dit que la réunion de 1994 avait fait d’autres victimes751. Il a aussi
indiqué que le colonel Rwendeye était présent à ces réunions et, lorsqu’on lui a montré un
745

Compte rendu de l’audience du 27 novembre 2001, p. 81 à 92.
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 131 à 138.
747
Compte rendu de l’audience du 16 novembre 2001, p. 44 à 46 ainsi que 60 et 61.
748
Ibid., p. 53 à 57.
749
Compte rendu de l’audience du 26 novembre 2001, p. 129 à 131
750
Compte rendu de l’audience du 16 novembre 2001, p. 45 à 61.
751
Compte rendu de l’audience du 27 novembre 2001, p. 81 à 92.
746

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numéro de Kangura daté de 1990 qui faisait état de la mort de Rwendeye, il a dit que celui-ci
était mort en 1992, et il a ensuite déclaré que les deux réunions pouvaient avoir eu lieu en
1992 et en 1993, plutôt qu’en 1993 et 1994752. Ainsi qu’il est exposé en détail au paragraphe
816, la déposition de Serushago est confuse, et la Chambre n’en tiendra compte que dans la
mesure où elle sera corroborée. Ses dires selon lesquels Barayagwiza était membre de
l’escadron de la mort, avait ordonné à Katumba et Mutombo de tuer des gens à deux réunions
en 1993 et 1994, avait envoyé un fax aux ailes jeunesse de la CDR et du MRND leur
ordonnant de tuer des Tutsis et avait aussi ordonné de tuer le directeur d’une imprimerie
scolaire à une réunion en juin 1994, ne sont pas corroborés. La Chambre ne peut se prononcer
sur ces allégations sur la foi uniquement de la déposition d’Omar Serushago.
6.4

Le Sang hutu est-il Rouge?

736. La Chambre a examiné le livre de Barayagwiza, Le sang hutu est-il rouge ? afin de
comprendre le point de vue de l’accusé sur des questions qui intéressent le procès. Le livre,
qui a été versé au dossier par l’avocat de Barayagwiza, ne se substitue pas à la déposition de
l’accusé, et la Chambre ne le considère pas comme tel.
737. Dans son livre, Barayagwiza soutient que le FPR est responsable de la destruction de
l’avion et que son principal objectif était de s’emparer totalement du pouvoir par la force, en
mettant un terme au mouvement républicain et en provoquant des représailles contre les
Tutsis. Il signalait que des milliers de civils hutus avaient été tués par les envahisseurs du
FPR, lesquels étaient empreints d’un esprit de vengeance et voulaient réaliser le rêve de la
minorité tutsie qui était de ramener le nombre de Hutus à celui des Tutsis ou même à moins.
Le FPR prétendait mener une guerre de libération, mais c’était en réalité une guerre visant à
remettre les Tutsis au pouvoir. Barayagwiza accusait le FPR de commettre des crimes
d’agression illégale en violation de la Charte des Nations Unies, du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques et de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il
énumérait les actes de violence commis par le FPR contre les Hutus, qu’il qualifiait de
génocide, et citait un rapport d’Amnesty International critiquant le FPR pour ces meurtres753.
738. Barayagwiza récusait les constatations et les conclusions du rapport du Rapporteur
spécial des Nations Unies, il lui reprochait de ne pas s’être attaché à déterminer les intentions
du FPR et de n’avoir pas conclu qu’il y avait eu génocide des Hutus. Il rappelait que sur
1,5 million de personnes tuées à la date du rapport, 1,2 million étaient des Hutus. Les Tutsis,
selon lui, étaient responsables des massacres des Hutus ; mais, lorsque les Hutus ont tué des
Tutsis, c’était soit en légitime défense, soit par représailles immédiates non préméditées.
Barayagwiza faisait une distinction entre les Tutsis du FPR, leurs complices et les civils
tutsis. Il soutenait qu’il n’y avait aucune intention de détruire le groupe des Tutsis, et donc
qu’il n’y avait pas de génocide. Les autorités rwandaises n’avaient commis aucun crime en
distribuant des armes à la population dans les zones de combat ou aux jeunes participant à la
défense du pays, étant donné que l’autodéfense est légitime au regard du droit international.
La levée des masses est le droit et le devoir de tout État agressé. Il déplorait cependant
l’usage abusif des armes par certains. Les agents et les complices armés du FPR étaient des
752
753

Compte rendu de l’audience du 16 novembre 2001, p. 75 à 79.
Pièce 2D35, p. 16 à 35, 59 et 75.

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combattants, et non des civils innocents. Barayagwiza déplorait les massacres de Hutus et de
Tutsis innocents et d’enfants754.
739. Barayagwiza demandait qui le Tribunal jugerait après que le FPR aurait exécuté tous
les « génocideurs », qui serait encore là pour la réconciliation. En effet les Nations Unies
étaient manipulées par des puissances parrainant par le FPR. Le sang hutu, à côté du sang
tutsi, n’est point rouge. Il est noir. Il peut donc être versé sans conséquences graves. Toutes
les personnes qui se sont rendues coupables de crimes au cours de la guerre déclenchée le
1er octobre 1990 et des massacres interethniques doivent être déférées devant la justice755.
740. Barayagwiza écrivait que le sentiment national excluait l’ethnisme et le régionalisme
qui ont été les plaies de la société rwandaise ces dernières années, mais qu’il ne fallait pas les
confondre avec le sentiment noble d’appartenir à telle ou telle ethnie ou à telle ou telle
région. Ce sentiment ne devient mauvais que lorsqu’il sert de prétexte pour nier les droits de
ceux qui n’appartiennent pas à votre groupe et vise à s’assurer des avantages sociopolitiques.
Le sentiment noble d’appartenir à telle ou telle ethnie ou région peut légitimement inciter où
défendre les intérêts du groupe auquel on appartient lorsque ceux-ci sont ignorés ou bafoués.
Aucune démocratie véritable ne peut se construire sans le respect des droits de l’homme tels
qu’ils sont définis dans les instruments internationaux756.
741. Barayagwiza a décidé de participer à la création d’un parti politique, la CDR, par
désir de servir son pays et son peuple. Face à la coalition des partis alliés au FPR, la CDR
s’est résolue à coopérer avec le MRND et d’autres partis, ce qui a conduit à la conclusion
d’un accord de collaboration en novembre 1992, appelé l’Alliance pour le Renouveau
Démocratique (ARD). La CDR n’était pas une émanation du MRND et n’y était pas liée. Ni
ses dirigeants ni ses militants n’avaient de liens avec d’autres partis, bien que nombre de ses
militants appartinssent à divers partis politiques tels que le MRND avant la création de la
CDR. Lorsque le MRND a accepté les Accords d’Arusha le 30 octobre 1992, la CDR n’a eu
d’autre choix que de quitter l’ARD, ce qu’elle a fait officiellement en mars 1993. La CDR est
un parti pacifiste, attaché aux principes de la démocratie libérale, ouverte et pluraliste. C’est
un parti national et nationaliste, engagé dans la lutte contre la dictature de la minorité
ethnique ou politique. Barayagwiza a écrit qu’il était un des membres fondateurs de la CDR
et qu’il en était fier : « Je n’en rougirais donc pas si j’étais idéologue de la CDR, pas plus que
je ne me sens nullement coupable d’être traité comme tel ». Barayagwiza a affirmé que la
CDR n’était pas extrémiste parce qu’elle excluait l’emploi de la force et de la violence
comme moyens de prise du pouvoir. La CDR n’a ni prôné ni pratiqué une politique de
violence757.
742. Barayagwiza était un fondateur de la RTLM. Il a écrit que la liberté de presse est un
moyen essentiel pour l’épanouissement de la démocratie. Ceux qui étaient au pouvoir se sont
appropriés la radio et la télévision nationales. La RTLM était le fruit d’une idée ingénieuse
qui a mûri au sein du groupe « Républicain », regroupant diverses sensibilités politiques dont
754

Ibid., p. 83 et 84, 89 et 90, 100, 143 et 148.
Ibid., p. 168 et 169.
756
Ibid., p. 206.
757
Ibid., p. 132, 208 à 213, 230, 232, 234 et 236.
755

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le souci premier était de trouver le moyen d’informer correctement le public rwandais sur les
enjeux de la guerre provoquée par le FPR et sur les bienfaits de la démocratie républicaine.
La RTLM n’a pas été créée pour préparer les massacres758.
7.

Hassan Ngeze

7.1

Interviews données à l’antenne de Radio Rwanda et de la RTLM

743. L’acte d’accusation allègue que, dans des émissions radiophoniques, Hassan Ngeze a
appelé à l’extermination des tutsis et des opposants politiques hutus, et qu’il défendait
l’idéologie extrémiste hutue de la CDR. La Chambre a examiné ces émissions et les
explications qu’en a données Ngeze.
Radio Rwanda
744. Le 12 juin 1994, Ngeze a été interviewé sur Radio Rwanda par Charles Semivumba.
Huit extraits de l’interview ont été versés au dossier, dans lesquels Ngeze discutait de ce qui
se passait aux barrages routiers. Il a dit que, comme Ruhengeri et Byumba étaient occupées
par les Inkotanyi, les militaires considéraient les gens de ces régions comme des complices, et
il a jouté : « [T]u trouves que nos hommes se trouvant aux [barrages routiers] arrêtent les
leurs et les tuent comme Ibyitso »759. C’était un piège tendu par le FPR, pour faire tuer ceux
qu’il n’avait pas pu tuer. Ceux qui sont aux barrages et vérifient les identités devraient
examiner avec attention les gens qui viennent de ces régions et les présenter aux autorités.
Ngeze avertissait les auditeurs :
… Parce que tu vois qu’au cours de ces derniers jours il y a des [barrières] où tu
arrivais, tu as une taille de guêpe, un nez mince, tu es né comme ça, et ils disaient que
tu es Tutsi, même si tu possèdes une carte d’identité prouvant que tu es Hutu. Ou
bien ils disaient que tu es Icyitso. Alors, si tu es Hutu, né ayant une taille svelte,
élancée, un nez mince … il te montre sa carte d’identité qu’il est Hutu, il te dit sa
commune et tu refuses en disant : « c’est pas possible, il n’y a pas un Hutu semblable
à toi ». Tu le prends et le mets à mort, souviens-toi qu’il y a des Hutus aux gros nez,
760
dont Kanyarengwe et Bizimungu qui sont devenus des Ibyitso .

745. Ngeze a observé que, quelquefois, un militaire sort sans permission et a dit : « [N]e le
prends pas pour le brûler vif ou pour le tuer, parce qu’en le tuant, tu donnes un coup de main
à l’ennemi ». Il faut plutôt l’arrêter et le conduire devant les autorités qui pourront l’emmener
au camp militaire le plus proche où ils décideront si ce militaire est un ennemi. « En le tuant,
tu fais disparaître toutes les traces », disait Ngeze. Donc, le militaire devrait être arrêté et
conduit devant les autorités. Certaines personnes aux barrages routiers pourraient être des
ennemis : « Il arrivera le moment où nous les traiterons comme les autres »761. Ces gens aux
barrages, « qu’ils ne se pressent pas à tuer le militaire, déserteur ; […] c’est pas ça la solution
du problème ». Ce genre de tuerie pourrait inciter à la vengeance, et il demandait ce qui aurait
758

Ibid., p. 216 et 217 et 220.
Pièce P104/4D.
760
Pièce P105/4F.
761
Pièce P105/4I.
759

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été obtenu si cela arrivait. « Qu’ils n’arrêtent pas ces gens ayant des cartes d’identité sur
lesquelles on a écrit “FPR” au verso pour les tuer tout de suite762 ».
746. Dans l’interview du 12 juin, Semivumbi demandait à Ngeze de dire quelque chose
aux militaires pour les encourager. Ce dernier a répondu que les forces armées le soutenaient
et a dit qu’ils devaient garder le moral. Même s’il y avait des complices parmi eux, il y en
avait très peu. « Nous allons neutraliser les Ibyitso », a-t-il dit. « Luttons pour le pays, luttons
pour nos mamans, nos pères, nos petits frères, luttons pour nos propriétés foncières … nous
restons avec eux, le courage de Kangura est toujours là, nous allons travailler pour
eux …763 ». Quand il a été interrogé sur Kibungo, Ngeze a répondu que là-bas on devrait
donner des armes et des militaires à la défense civile. Remarquant que le FPR utilisait peu de
soldats mais était capable de déstabiliser, il a préconisé d’envoyer 20 soldats à Kivyue, et non
500 et qu’ils « observ[ent] pour nous ce qui s’y passe …764 ».
747. Lorsque Semivumbi a interrogé Ngeze sur la situation à Gisenyi, ce dernier a dit que
certains agissements devraient être condamnés et qu’il y avait des gens aux barrages routiers
qui travaillaient pour l’ennemi, sans que l’ennemi leur ait demandé de le faire. « Qui sont ces
gens ? », a-t-il demandé. « C’est ceux-là dont je te parlais qui se pressent à tuer les gens qui
ressemblent aux Tutsis 765 ». En prenant un véhicule rempli de pommes de terre comme
exemple, Ngeze a expliqué que de Kigali à Gisenyi via Gitarama, il y avait 713 barrages
routiers et que, si le véhicule devait vider et décharger les pommes de terre à chaque barrage
routier, cela prendrait trente jours pour atteindre Kigali. Cela serait décourageant pour le
vendeur de pommes de terre. Les contrôles doivent être raisonnables et ceux qui tiennent les
barrages routiers doivent se souvenir que leur but est de rechercher l’ennemi et les complices
de l’ennemi. Il a dit :
Tu dois comprendre que [l’ennemi] a beaucoup de ruse. [L’ennemi] ne passe pas par
le barrage. L’ennemi, une fois qu’il te trouve au barrage, il te déborde, il passe à côté.
Je profite de l’occasion pour dire à tous ceux qui se trouvent aux barrages qu’on
n’attend pas l’ennemi au barrage, au barrage seulement. Il faut aussi le chercher sur
de petits sentiers près du barrage, puisque, lorsque l’ennemi arrive au barrage, il
descend du véhicule et emprunte d’autres sentiers, si bien que l’ennemi peut arriver à
Gisenyi sans rencontrer un seul barrage. Je me souviens, ce matin, nous avons arrêté
un Inyenzi. Nous avons arrêté le petit enfant d’Inyenzi que tu as entendu à la Radio
RTLM, ce matin. Mais c’est un gamin que tu ne peux pas soupçonner d’être un
Inyenzi. Il avait toutes les pièces766.

748. Contre-interrogé sur le point de savoir si l’expression « [n]os hommes aux barrages »
qu’il a utilisée dans son émission ne visait pas les Interahamwe et les Impuzamugambi,
Ngeze a expliqué que le FPR avait capturé Ruhengeri et Byumba. Ils ont pris les cartes
d’identité de ceux qu’ils avaient capturés et écrit « FPR » dessus pour s’assurer un contrôle
sur eux. Certains de ces gens ont décidé de partir, et lorsqu’ils sont arrivés à la zone contrôlée
762

Id.
Pièce P105/4K.
764
Pièce P105/4L.
765
Pièce P105/4M.
766
Id.
763

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par le Gouvernement, ils ont été tués aux barrages routiers parce que leur carte portait la
mention « FPR ». Ngeze essayait d’expliquer à ceux qui étaient aux barrages routiers que
ceux-ci étaient des gens innocents, principalement des Hutus, qui fuyaient le FPR. Ngeze a
déclaré avoir évoqué ce problème avec le Ministre de la défense qui avait dit être au courant
du problème, mais ne faisait rien. Ngeze avait donc décidé d’en parler à la radio pour dire à
ceux qui étaient aux barrages d’arrêter de tuer ces gens, que c’était un piège du FPR. Ngeze a
répondu que par « [n]os hommes », il entendait les Rwandais, par opposition au FPR, et il a
fait remarquer qu’il n’avait pas dit « milice767 ».
749. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il félicitait ceux qui étaient aux barrages routiers,
Ngeze a expliqué qu’il s’était rendu à Kigali le 22 et avait trouvé plusieurs réfugiés tutsis
chez lui. Il leur a obtenu des fausses cartes d’identité hutues, mais craignait qu’ils fussent
reconnus comme des Tutsis et tués aux barrages. C’est pour cette raison qu’il était intervenu à
la radio pour dire qu’une personne ne devait pas être tuée juste parce qu’elle avait l’air d’un
Tutsi. Elle devait être emmenée devant les autorités. Ngeze serait alors en mesure d’expliquer
à celles-ci qu’elles n’avaient pas le droit de tuer des gens juste parce que c’étaient des Tutsis.
Il a félicité ceux qui étaient postés là où il avait l’intention de passer avec les réfugiés tutsis,
et il leur avait rappelé que Kanyarengwe et Bizimungu, qui étaient de cette région, étaient des
Hutus. Arrivé au barrage, les gens sont venus vers lui et lui ont dit qu’ils avaient entendu son
appel à la radio. Il leur a dit à nouveau de ne tuer personne mais de les amener aux
autorités768.
750. Ngeze a également expliqué que des soldats sans permis de voyager étaient tués aux
barrages. Il voulait faire savoir à ceux qui tenaient les barrages qu’ils tuaient les leurs et
aidaient le FPR, et qu’ils devaient amener les soldats sans permis de voyager aux autorités.
Ngeze a dit que des Hutus avaient détruit leurs cartes d’identité parce que leur région
d’origine était suspecte. Ngeze voulait que ceux qui tenaient les barrages arrêtent de tuer ces
gens. Il a dit qu’il pensait que ce qu’il avait fait lui avait permis de sauver la vie d’innocents.
Quand on lui a demandé s’il ne menaçait pas de sanctions ceux qui tenaient les barrages, en
disant qu’ « Il arrivera un moment où nous les traiterons comme les autres », Ngeze a affirmé
qu’il les avertissait qu’ils seraient punis s’ils tuaient des gens à tort769.
751. Concernant ses propos sur la défense civile au cours de l’émission, Ngeze a affirmé
qu’il préconisait ce moyen pour reprendre la préfecture de Kibungu dont s’était emparé le
FPR. Il a fait remarquer que la défense civile était placée sous l’autorité du Gouvernement. Il
ne savait pas grand chose de l’initiative de défense civile sinon que le Gouvernement avait
décidé de la mettre en place, juste à Ruhengeri et Byumba, en 1990. Ngeze a dit qu’il ne
fallait pas confondre la défense civile avec les « imbéciles » qui tuaient aux barrages routiers.
Il voulait voir le Gouvernement utiliser la défense civile plutôt que des gens aux barrages
routiers770. Ngeze a clarifié ce qu’il voulait dire lorsqu’il a déclaré qu’il fallait chercher le
FPR ailleurs que sur les routes principales. Il a expliqué que le FPR s’était arrangé pour
pénétrer dans Kigali la nuit sans passer par les barrages routiers. Un jeune commando, âgé de
767

Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 71 à 77.
Ibid., p. 74 à 78.
769
Ibid., p. 77 à 80 et 91 à 98.
770
Ibid., p. 98 à 102.
768

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17 ans, avait décidé d’aller détruire Radio Rwanda. Ngeze l’avait vu au Ministère de la
défense, où il avait été arrêté mais il s’était ensuite échappé. Ngeze se souvenait que le FPR
avait bombardé la RTLM, et a dit qu’en évitant les routes principales, le FPR avait pu faire
entrer 1 000 personnes à Kigali771.
La RTLM
752. Le 14 juin 1994, dans une interview sur la RTLM par son rédacteur en chef, Gaspard
Gahigi, Ngeze a dit :
Il y a encore un autre problème sur les routes … on dit que toutes les personnes … à
[belle] physionomie […] sont des Tutsis. Ils doivent chasser cette idée de leur tête.
Cela ne veut pas dire que toutes les personnes avec un petit nez sont [nécessairement]
des Tutsis. Il arrive que quelqu’un est arrêté à la douane et montre sa carte d’identité
portant la mention “Hutu”. Mais, à cause de son petit nez ou de son teint clair, il est
taxé de Tutsi et hop, il est accusé de complicité et agressé.
Pour cela, Gahigi, toutes les fois que vous êtes devant le micro, expliquez à la
population gardant les barrières que tous ceux qui ont un petit nez, de taille élancée,
de teint clair ne sont pas des Tutsis. Sinon, vous trouverez que nous-mêmes, Hutus,
qui sommes en train de tuer d’autres Hutus en les prenant pour des Tutsis, pour des
Inyenzi. Où irions-nous donc? Tu arrêtes quelqu’un et lui demandes sa carte
d’identité. [Tu constates que c’est un Hutu]. Si tu ne comprends pas très bien,
cherche le conseiller et demande-lui, cherche le bourgmestre et demande-lui. Je
trouve que cela doit être scrupuleusement respecté aux barrières avant toute chose772.

753. Interrogé sur cette émission, Ngeze a de nouveau expliqué qu’après avoir capturé
Ruhengeri et Byumba, le FPR écrivait « FPR » sur les cartes d’identité des Hutus qui fuyaient
vers la zone contrôlée par le Gouvernement, et ceux-ci étaient tués aux barrages routiers à
cause de cette mention sur leur carte d’identité. Il a rappelé aussi que les Hutus du sud étaient
tués aux barrages parce qu’ils étaient du sud et ressemblaient à des Tutsis. Ngeze demandait à
ceux qui tenaient les barrages de ne pas tuer ces personnes innocentes. Lorsqu’on lui a
objecté qu’il assimilait les Tutsis aux Inyenzi dans cette émission, il a rappelé ses efforts pour
sauver 16 Tutsis porteurs de fausses cartes d’identité, et il a dit qu’il voulait que les suspects
soient conduits devant les autorités afin qu’elles décident qui devait être tué et celles-ci
seraient responsables de ces décisions. Un extrait de l’émission de la RTML a été présenté à
Ngeze dans lequel il avait nié avoir sauvé des Tutsis. Ngeze a expliqué qu’après qu’il eut aidé
des journalistes à s’échapper au Congo, Radio Muhabura, la radio du FPR, l’avait félicité sur
les ondes pour avoir sauvé des innocents et avait dit aux gens d’aller chez lui pour obtenir de
l’aide. Ngeze avait peur pour sa vie parce qu’il avait été ainsi nommé. C’est pour cette raison
qu’il avait déclaré sur les ondes de la RTLM que c’était une rumeur insidieuse répandue par
le FPR, afin de dissiper les soupçons773.

771

Ibid. p. 100 à 108.
Pièce P103/257C.
773
Compte rendu de l’audience du 4 avril 2003, p. 1 à 12.
772

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Appréciation des éléments de preuve
754. La Chambre estime que, par l’intermédiaire des émissions de Radio Rwanda et de la
RTLM, Ngeze essayait de faire passer un message, ou plusieurs messages, à ceux qui tenaient
les barrages routiers. L’un de ceux-ci était clair : Ne vous trompez pas, ne tuez pas les Hutus
innocents qui pourraient être pris pour des Tutsis parce qu’ils avaient les traits de Tutsis, ou
parce qu’ils n’avaient pas de pièce d’identité, ou parce que leurs cartes d’identité portaient la
mention « FPR ». Les émissions véhiculaient aussi le message qu’il y avait également des
ennemis parmi les Hutus, et même quelques-uns aux barrages routiers. En mentionnant
Kanyarengwe, le leader Hutu du FPR, Ngeze rappelait aux auditeurs que l’ennemi pouvait
être hutu aussi bien que tutsi. Ce n’est pas la même chose que de dire que le Tutsi n’est pas
l’ennemi et ne doit pas être tué. Dans ces émissions, Ngeze ne disait pas à ceux qui tenaient
les barrages de ne pas tuer les Tutsis. Le message était d’être prudent et d’amener les suspects
aux autorités, de veiller autant à ce que l’ennemi ne puisse pas, par mégarde, franchir le
barrage qu’à ce que ne soient pas tuées les personnes qui ne devaient pas l’être, c’est-à-dire
les Hutus innocents. Dans sa déposition, Ngeze a donné de nombreuses explications pour
justifier ses propos, décrivant plusieurs scénarios, dont un donnant à entendre qu’il essayait
de tromper les gens des barrages afin qu’ils le laissent passer avec des réfugiés tutsis porteurs
de fausses cartes d’identité hutues. Néanmoins, pour la Chambre, Ngeze a clairement indiqué
à la barre que le message qu’il voulait faire passer était de ne pas tuer des Hutus par erreur.
755. La Chambre est d’avis qu’en disant aux gens des barrages de ne pas tuer les Hutus par
erreur, Ngeze faisait aussi passer un message disant que tuer des Tutsis aux barrages ne posait
aucun problème. Un tel message était implicite dans les émissions, qui ne cessaient d’insister
pour que les suspects ne soient pas tués mais plutôt déférés aux autorités. Dans ces
circonstances confuses, la Chambre ne conclut pas que ces émissions constituaient un appel
au meurtre ainsi qu’il est allégué.
7.2

Meurtre de Modeste Tabaro

756. Le témoin à charge AAY, conducteur de taxi hutu de Gisenyi, a déclaré qu’il
connaissait très bien Modeste Tabaro ainsi que Hassan Ngeze, et qu’il avait été témoin du
meurtre de Modeste Tabaro774. Il a dit que celui-ci, un de ses amis depuis au moins 10 ans et
un voisin, était un Tutsi et un militant du PL et que, pour cette raison, il était recherché à la
suite de la mort du Président Habyarimana. Le 21 avril 1994, à 4 heures, le témoin a entendu
des cris et est sorti. La première personne qu’il a rencontrée lui a dit qu’on avait trouvé
Modeste Tabaro. Le témoin AAY s’est rendu à l’endroit où celui-ci se cachait et y a trouvé
Hassan Ngeze, en uniforme militaire, demandant à Tabaro qui lui avait apporté les frites
encore chaudes qu’il avait. Le témoin a dit que Hassan Ngeze avait un revolver dans la main
droite, mais qu’il était pointé vers le sol. Modeste Tabaro gisait par terre et sa jambe saignait.
Le témoin était celui qui avait apporté un peu plus tôt ce repas à Tabaro, et il avait peur que
celui-ci le dise à Ngeze. Tabaro a demandé à Ngeze de ne pas le tuer avec la machette mais
avec un révolver. Le témoin a dit qu’il avait vu Kananura, un policier qu’il a décrit comme
étant le garde du corps de Ngeze, pointer son fusil en direction de Modeste Tabaro. Le
témoin AAY a reculé de trois ou quatre pas et a entendu un coup de feu. Il s’est enfui et a
774

Compte rendu de l’audience du 19 mars 2001, p. 17 à 20.

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entendu dire plus tard dans la matinée que le corps de Modeste Tabaro avait été mis dans un
véhicule par Ngeze et d’autres et conduit au cimetière. Après la mort de Modeste Tabaro, le
témoin a dit qu’il avait aidé la veuve de Tabaro à franchir la frontière vers le Zaïre775.
757. Le témoin AAY a dit qu’il n’avait pas pu voir Ngeze au moment où il avait entendu le
coup de feu mais qu’il pensait que Kananura avait tué Modeste Tabaro sur un signe de
Ngeze, parce que celui-ci posait les questions et que Tabaro lui avait demandé de ne pas le
tuer avec une machette776. Contre-interrogé, le témoin AAY a dit qu’il savait que Kananura
était le garde du corps de Ngeze depuis le 7 avril 1994, lorsque les massacres ont commencé,
parce qu’il était toujours avec celui-ci à l’arrière de la camionnette, portant soit un uniforme
militaire soit un uniforme de la police. Le témoin a précisé qu’il n’avait pas entendu Hassan
Ngeze ordonner d’abattre Tabaro. Il a insisté sur le fait que Kananura était le subordonné de
Ngeze et qu’il n’aurait pas agi de son propre gré777. Le témoin AAY n’a pu voir où Tabaro
avait été touché par la balle, mais il a dit qu’il avait pu voir la flamme sortir du canon du fusil
de Kananura778.
758. Le témoin à charge AHI, membre des Impuzamugambi de Gisenyi et voisin de Hassan
Ngeze, a déclaré qu’il avait assisté au meurtre de Modeste Tabaro et en a décrit les
circonstances779. Une nuit, vers la fin du mois d’avril, à 3 heures, il a entendu des coups de
feu, de très nombreux coups de feu, il a estimé qu’on avait tiré plus de 10 000 balles. Il a dit
qu’ils tiraient en l’air pour faire peur aux Tutsis et les faire sortir de leurs cachettes et que
c’était ainsi qu’ils avaient trouvé Modeste Tabaro. Lorsqu’il était sorti pour voir ce qui se
passait, il avait trouvé Hassan Ngeze, qu’il connaissait très bien, avec ses gardes du corps.
Modeste Tabaro était caché non loin de là, entre deux maisons. Il a dit que la maison de
Ngeze était à environ 300 mètres de la route, et que Tabaro avait été tué entre la maison et la
route780. C’est là que le témoin a vu Modeste Tabaro, à une vingtaine de mètres de la route.
Son corps était criblé de balles781 . On lui avait tiré plus de 15 balles dans tout le corps,
notamment dans les bras, la poitrine, la tête, les jambes, le ventre et le dos. Le témoin a
déclaré que quand Tabaro a été sur le point de mourir, Hassan Ngeze a pris un fusil et l’a
placé sur son corps. Il a nommé un certain nombre de personnes qui ont tiré dans le corps, y
compris Ngeze, qu’il a appelé leur « chef » et qu’il a vu être le premier à tirer. Ensuite, Ngeze
a dit qu’ils devaient chercher d’autres Inkotanyi qui pouvaient encore être dans la rue. On a
demandé au témoin AHI si Modeste Tabaro était déjà mort quand il l’avait vu pour la
première fois. Le témoin a répondu que, comme ils continuaient à tirer sur le corps, cela
signifiait qu’il était encore vivant. Plus tard, il a dit que le corps bougeait encore. Le témoin a
dit qu’il avait ensuite vu le colonel Anatole avec huit soldats. Lorsque le colonel Anatole a vu
le corps de Modeste Tabaro, il est allé voir Hassan Ngeze chez lui et lui a demandé ce qui se
passait, parce qu’ils avaient entendu les coups de feu. Ngeze a répondu qu’ils avaient vu un
Inkotanyi qui essayait de tirer et qu’ils l’avaient abattu, et il lui a montré le corps de Tabaro.
Le colonel a ensuite confisqué les armes de Ngeze et de son garde du corps, mais, devant les
775

Comptes rendus des audiences du 19 mars 2001, p. 37 à 55, et du 20 mars 2001, p. 29 à 36.
Compte rendu de l’audience du 19 mars 2001, p. 52 et 53.
777
Compte rendu de l’audience du 20 mars 2001, p. 5 à 9.
778
Ibid., p. 64 à 66.
779
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 49 à 53.
780
Ibid., p. 71 à 78.
781
Compte rendu de l’audience du 6 septembre 2001, p. 76 à 79.
776

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protestations de Ngeze, il a rendu les armes et est parti. Le témoin AHI a déclaré que le
témoin AAY ne cachait pas Modeste Tabaro mais lui apportait à manger. Il a dit qu’il n’avait
pas vu le témoin AAY là où Tabaro avait été tué782.
759. Le témoin à charge AGX, militant tutsi du PL à Gisenyi, a déclaré avoir entendu
Ngeze dire dans une interview à la radio, à une date se situant entre le 7 et le 29 avril, que les
quelques Inyenzi qui avaient été arrêtés à Gisenyi, dont Modeste Tabaro, avaient été tués. Le
témoin a dit ignorer dans quelles circonstances Tabaro, qu’il connaissait, était mort. Il se
cachait à l’époque, mais d’autres qui pouvaient aller et venir lui ont dit que Modeste Tabaro
était mort parce que Ngeze avait donné l’ordre de le tuer783.
760. Le témoin à charge AFB, courtier de change qui demeurait à Gisenyi en 1994, a
déclaré qu’il avait entendu parler du meurtre de Modeste Tabaro mais ne l’avait pas vu.
Pendant la nuit, il avait entendu de nombreux coups de feu. Le matin, les gens disaient que
Hassan Ngeze avait échangé des coups de feu avec d’autres personnes et que Modeste
Tabaro, un Tutsi qui se cachait de l’autre côté de la rue par rapport à la maison de Hassan
Ngeze, avait été tué. Lorsqu’on lui a demandé directement s’il prétendait que Hassan Ngeze
avait tué Modeste Tabaro, il a dit qu’il ne pouvait pas confirmer des choses dont il n’avait pas
été témoin, et qu’il ne savait pas784.
761. Le témoin à charge DM, Tutsi de Gisenyi, a déclaré que Modeste Tabaro avait été
abattu par un soldat nommé Jeff. Il a dit que cela s’était passé entre 5 heures et 6 heures, le 10
ou le 11 avril, ou entre le 10 et le 12 avril, juste après le début de la tuerie. Il a confirmé ces
détails lors de son contre-interrogatoire et a dit qu’on lui avait demandé de transporter le
corps. Lorsqu’il était arrivé, Jeff était encore là avec son arme et le corps gisait sur la route.
Le témoin a dit que comme c’était le quartier de Ngeze, les gens avaient pensé que celui-ci
l’avait tué, mais en fait, c’était Jeff qui l’avait fait et celui-ci le disait lui-même. Hassan
Ngeze n’avait rien à voir avec la mort de Modeste Tabaro, et il avait aussi été attaqué par des
soldats qui voulaient le tuer à cause de ses efforts pour protéger des enfants qu’il avait
ramenés de Kigali chez leur père, Habib Musalimu. Le témoin DM a ajouté que Hassan
Ngeze savait où la femme et les enfants de Modeste Tabaro étaient et qu’il aurait tout aussi
bien pu les tuer s’il avait tué Tabaro785.
762. Le témoin à décharge RM14 a déclaré qu’il avait servi d’interprète lors d’une
interview pour les enquêteurs du Bureau du Procureur avec un témoin oculaire du meurtre. Il
a indiqué que cette personne avait dit aux enquêteurs qui lui demandaient si Hassan Ngeze
avait tué Modeste Tabaro que, la nuit où ce dernier avait été tué, la maison de Ngeze avait été
attaquée et que Tabaro avait été tué par les deux soldats, Jeff et Régis. D’autres personnes ont
dit au témoin que Modeste Tabaro avait été tué par Jeff et Régis et ont mentionné un jeune
homme qui disait avoir été témoin de ce meurtre. Le témoin RM14 a ajouté que les

782

Comptes rendus des audiences du 4 septembre 2001, p. 75 à 80, et du 6 septembre 2001, p. 76 et 77 ainsi que
84 et 85.
783
Compte rendu de l’audience du 11 juin 2001, p. 10 et 11 ainsi que 53 à 57.
784
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 21 et 97 à 99.
785
Compte rendu de l’audience du 11 septembre 2001, p. 16 à 19, 72 à 79 ainsi que 81 et 82.
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enquêteurs lui avaient dit d’affirmer dans sa déclaration écrite de 1997 que l’oncle de Hassan
Ngeze avait tué Modeste Tabaro786.
763. Le témoin à décharge BAZ1 a indiqué qu’il n’avait pas été témoin du meurtre de
Modeste Tabaro. La résidence de Hassan Ngeze avait été attaquée le 21 avril. Le lendemain,
le corps de Modeste Tabaro avait été trouvé près d’un dépôt d’ordures à une trentaine de
mètres de la route. Le témoin ne savait pas qui était responsible du meurtre. Hassan Ngeze
n’était pas là lorsqu’il avait vu le corps gisant sur le dos et couvert de blessures par balles. Le
témoin était là lorsque le corps a été emporté, vers 7 heures du matin. Il a dit que, pendant ce
temps, des gens décrits comme des Inkotanyi étaient tués, et que tous ceux qui étaient
membres du PL, dont Modeste Tabaro, étaient qualifiés d’Inkotanyi787.
764. Le témoin à décharge BAZ9 a déclaré avoir entendu, le 20 ou le 21 avril, des coups de
feu et être allée voir ce qui se passait. Modeste Tabaro avait été tué par deux soldats nommés
Jeff et Régis qui habitaient chez Kayonga, un voisin. Ils étaient là à se vanter qu’ils avaient
trouvé cet « Inyenzi », et elle les a entendus dire qu’ils l’avaient tué. Le témoin n’avait pas vu
le meurtre. Elle avait vu le corps ensanglanté de Tabaro, mais ne s’était pas approchée. Le
corps avait été emporté dans un véhicule par Hassan Bagogwe, mais elle ne se souvenait pas
si le corps était sur le dos ou sur le ventre. Lors de son contre-interrogatoire, on a mis sous les
yeux du témoin BAZ9 sa déclaration écrite de 2000788, dans laquelle elle avait affirmé que
Modeste Tabaro était sorti de sa cachette, en tirant avec un fusil, et qu’il avait été tué par des
responsables de la sécurité. Le témoin a dit qu’elle n’était pas là lorsque cela était arrivé. Elle
a entendu les coups de feu et a tout appris le matin. Elle n’avait pas mentionné les noms des
soldats dans sa déclaration parce qu’elle n’avait pas confiance et ne voulait pas les dénoncer
ou dire quelque chose qui pourrait leur nuire. Le témoin BAZ9 a dit de Modeste Tabaro qu’il
était un Tutsi qui appartenait au PL. Elle a dit qu’au Rwanda, si on était Tutsi et qu’on
appartenait au PL, beaucoup de gens vous qualifiaient d’Inyenzi789.
765. Le témoin à décharge RM19 a déclaré que son époux et elle étaient passés devant une
foule de gens en se rendant au travail le matin du 21 avril. Dans la foule, il y avait un de leurs
employés qui leur avait dit que les autorités étaient à la recherche des personnes qui se
cachaient, que Modeste Tabaro était sorti de sa cachette et que les soldats Jeff et Régis, qui
étaient chez Kayonga, l’avaient tué et avaient ordonné à Hassan Bagoye d’aller l’enterrer. En
réponse aux questions de la Chambre qui lui demandait comment l’employé connaissait les
circonstances de la mort de Tabaro, le témoin a indiqué que son employé habitait à proximité
et avait vu ce qui s’était passé. Le témoin a également indiqué que Kananura était un des
policiers qui avaient été affectés à la protection de sa boutique et de sa maison, et que le
21 avril il avait passé la nuit à protéger sa résidence. Elle a ensuite dit qu’il était resté les
20 et 21 avril dans leur boutique, et qu’il n’avait rien à voir avec la mort de Modeste
Tabaro790.

786

Compte rendu de l’audience du 16 janvier 2003, p. 11 à 14, 18 à 23 ainsi que 63 et 64.
Compte rendu de l’audience du 27 janvier 2003, p. 57 à 59 et 69 à 71.
788
Pièce P231.
789
Compte rendu de l’audience du 28 janvier 2003, p. 46 à 49 et 53 à 59.
790
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 6 à 12 ainsi que 21 et 22.
787

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766. Le témoin à décharge RM112 a déclaré avoir été réveillé par des coups de feu et s’être
rendu sur place vers 5 h 30 du matin. Il a vu le corps de Modeste Tabaro qu’il ne connaissait
pas. Lorsqu’il est arrivé sur les lieux, il y avait beaucoup de gens, beaucoup de soldats qui
habitaient dans cette rue, et ils se vantaient d’avoir tué un Inkotanyi. Ils étaient contents et
buvaient de la bière. Il a dit que Jeff et Régis étaient les deux soldats qui se vantaient d’avoir
tué Modeste Tabaro. Ils voulaient remettre le corps à un homme nommé Bagoye pour qu’il
aille l’enterrer. Le corps était sur le ventre et il avait vu des blessures par balles dans son
dos791.
767. Le témoin à décharge RM113 a affirmé que les soldats Jeff et Régis avaient tué
Modeste Tabaro le jour où la maison de Hassan Ngeze avait été attaquée. Elle a indiqué
qu’ils avaient entendu des coups de feu, que son mari était allé voir ce qui se passait, était
revenu et lui avait dit que Tabaro avait été tué. Il n’avait pas été témoin du meurtre mais en
avait entendu parler, comme tout le monde792.
768. Le témoin à décharge RM115 a déclaré que, la nuit du 20 avril, le quartier avait été
attaqué. Vers 6 heures, elle était allée vérifier ce qui se passait à sa boutique et avait vu deux
soldats nommés Jeff et Régis qui disaient qu’ils avaient tué un Inyenzi. Ils s’en vantaient et
buvaient de la bière. Il y avait beaucoup de monde. Le témoin n’a pas regardé le cadavre mais
a poursuivi son chemin vers sa boutique793.
769. Le témoin à décharge BAZ5 a dit que dans la nuit du 21 avril, la maison de Hassan
Ngeze avait été attaquée. Elle était allée voir ce qui s’était passé et avait vu le corps de
Modeste Tabaro qu’elle a reconnu. Il y avait beaucoup de monde, y compris Jeff et Régis, qui
donnaient des coups de pied au cadavre. Un véhicule est venu et Hassan Bagoyi a emmené le
corps. Le témoin a déclaré que Jeff et Régis avaient tué Tabaro et que Hassan Ngeze n’était
pas là. Elle s’est rendue chez celui-ci vers 8 ou 9 heures. Les fenêtres étaient brisées. Ngeze
était arrivé et avait eu l’air très surpris. Il n’était pas resté longtemps794.
770. Le témoin à décharge BAZ6 a déclaré qu’il avait vu le corps de Modeste Tabaro, avec
des blessures par balles, mais n’avait aucune idée sur celui l’avait tué. Plus tard, il avait
entendu dire que Michel avait tué Tabaro. Il a dit que Michel était un Tutsi, le fils de Gasaka,
et qu’il était un soldat des forces gouvernementales795.
771. Le témoin à décharge RM5 a affirmé que dans la nuit du 20 avril, des soldats avaient
attaqué la maison de Hassan Ngeze parce qu’il cachait des Tutsis. Il a dit être allé à la
mosquée et n’avoir pas vu Ngeze aux prières du matin. Il est allé voir si celui-ci avait survécu
à l’attaque. Sur son chemin, entre 5 h 30 et 6 heures, il avait trouvé le cadavre de Modeste
Tabaro, avec Jeff et Régis à côté, ivres et se vantant d’avoir tué cet Inyenzi. Le corps gisait
sur le dos, criblé de balles, et le sang coulait à flots. On avait demandé à Hassan Bagoyi
d’emmener le corps à la Commune rouge, et le témoin avait vu celui-ci emporter le corps. Le
témoin connaissait Modeste Tabaro et a dit qu’il était Tutsi, membre du PL et le représentant
791

Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 7 à 9, 12 et 13 ainsi que 19 à 22.
Ibid., p. 30 à 32 et 39 à 41.
793
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 4 à 6 ainsi que 8 et 9.
794
Compte rendu de l’audience du 15 mars 2003, p. 13 à 15 ainsi que 20 et 21.
795
Ibid., p. 21 et 22, 41 et 42 ainsi que 45 et 46.
792

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de ce parti à Gisenyi. Elle a affirmé en contre-interrogatoire qu’il avait été tué pour ces
raisons796.
772. Le témoin RM117 a déclaré avoir vu le corps de Modeste Tabaro vers 6 heures du
matin. On lui avait dit que celui-ci avait été tué par deux hommes, Jeff et Régis. Le corps
baignait dans le sang, allongé sur le dos. Le témoin n’avait pas assisté au meurtre. Elle savait
que c’étaient Jeff et Régis qui en étaient les auteurs parce que tout le monde le disait et parce
qu’ils étaient toujours là en uniforme militaire, portant des armes. Elle a dit qu’ils étaient tout
à fait sobres et conscients de ce qu’ils faisaient. Ils n’étaient pas ivres. Le corps avait été
emporté par Hassan Bagoyi797.
773. L’accusé Hassan Ngeze a déclaré qu’il n’avait pas passé la nuit du 20 avril chez lui
parce qu’il savait que sa maison serait attaquée. Le lendemain matin, il dit au témoin BAZ15
d’aller voir sa maison. Entre 7 h 30 et 8 heures environ, le témoin BAZ15 est revenu et lui a
dit que Modeste Tabaro avait été tué par les soldats Jeff et Régis et que son corps avait été
emporté par Hassan Bagoyi. Vers 10 heures, Ngeze a rencontré Hassan Bagoyi et lui a
demandé ce qui s’était passé. Bagoyi lui a dit que Jeff et Régis lui avaient demandé
d’emporter le corps. Vers midi, Ngeze était allé voir le témoin RM14 qui lui avait demandé
d’aider la femme et les enfants de Modeste Tabaro à passer la frontière, ce qu’il avait fait798.
Crédibilité des témoins
774. Le témoin AAY a reconnu, en contre-interrogatoire, qu’il n’aimait pas Hassan Ngeze.
Il lui a été objecté qu’une des raisons pour cela était que celui-ci avait écrit des choses
négatives sur lui dans Kangura. Le témoin a insisté qu’il relatait des événements qui avaient
eu lieu. Il a précisé, lors du contre-interrogatoire, de nombreux points qui répondaient
effectivement aux questions posées, à savoir comment il avait pu voir la nuit, où il se tenait,
et pourquoi il ne savait pas ou ne se souvenait pas de certains détails. La Chambre juge la
déposition du témoin AAY digne de foi.
775. Le témoin AHI est actuellement emprisonné à Gisenyi, convaincu de génocide et
condamné à mort. Sa cause est en appel. Le témoin a plaidé coupable en tant que coauteur de
crimes commis alors qu’il était un Impuzamugambi de la CDR. Il a reconnu avoir tué trois
personnes. Le témoin AHI a nié en contre-interrogatoire qu’il témoignait pour sauver sa vie,
il a dit que lorsqu’il avait parlé pour la première fois aux enquêteurs du TPIR, sa cause
n’avait pas encore été portée devant les tribunaux799. Il a été longuement interrogé sur les
circonstances dans lesquelles il avait été témoin du meurtre de Modeste Tabaro et d’autres
personnes800. Son estimation de 10 000 balles tirées a été mise en doute, il a confirmé qu’il
avait entendu un grand nombre de coups de feu. Il a dit qu’il ne faisait pas nuit noire parce
qu’il y avait la lumière de l’aube, et qu’il était à peu près 4 heures du matin. On lui a
demandé s’il pouvait avoir confondu Ngeze avec d’autres Hassan à Gisenyi, et il a répondu
796

Compte rendu de l’audience du 21 mar, 2003, p. 5 à 7 et 16 à 20.
Compte rendu de l’audience du 24 mars 2003, p. 19 à 22, 27 à 29 ainsi que 36 et 37.
798
Compte rendu de l’audience du 31 mars 2003, p. 38 et 39 ainsi que 41 à 45.
799
Comptes rendus des audiences du 4 septembre 2001, p. 51 et 52, et du 6 septembre 2001, p. 8 à 15 et 25 à 33.
800
Compte rendu de l’audience du 6 septembre 2001, p. 31 à 44, 73 à 96 et 100 à 115.
797

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que non, qu’il connaissait très bien Ngeze801. Le témoin a aussi été interrogé sur un carnet
qu’il avait tenu en octobre 2000, qui contenait des notes qu’il avait établies à partir du dossier
du procureur rwandais lui reprochant certains faits ainsi que les noms d’autres auteurs
supposés de crimes. Les événements sur lesquels il avait témoigné au sujet de Ngeze
n’étaient pas consignés dans ce carnet802. La Chambre rappelle que le carnet est un compte
rendu fait par le témoin du dossier du procureur rwandais. Ce n’est pas sa propre déclaration,
et ce carnet ne peut être utilisé ainsi pour attaquer la crédibilité de sa déposition. La Chambre
juge la déposition du témoin AHI digne de foi.
776. Le témoin DM a déclaré avoir entendu le soldat Jeff dire qu’il avait tué Modeste
Tabaro, ce que soutient la Défense. La Chambre estime que ce témoin, qui a aussi affirmé
que Hassan Ngeze n’avait rien eu à voir avec le meurtre, était devenu hostile au Procureur.
N’ayant pas été déclaré tel cependant, il n’a pas été contre-interrogé efficacement sur ces
éléments de sa déposition. Son contre-interrogatoire a été utilisé pour obtenir de plus amples
détails affaiblissant la thèse du Procureur. La Chambre relève que le témoin DM date le
meurtre de Modeste Tabaro du 10 ou du 11 avril, ce qui est en contradiction avec tous les
autres témoignages portant sur la date de ce fait. Il n’a pas été témoin du meurtre. Compte
tenu des circonstances douteuses qui entourent la déposition de ce témoin à charge, la
Chambre juge celle-ci non digne de foi.
Appréciation des éléments de preuve
777. Des quatre témoins à charge, seuls deux ont affirmé avoir été témoins du meurtre de
Modeste Tabaro – le témoin AAY et le témoin AHI. Le témoin AFB a seulement entendu
parler du meurtre et a dit ne pouvoir confirmer ce qu’il n’avait pas vu. Le témoin AGX aussi
a seulement entendu parler du meurtre et a dit qu’il ne connaissait pas les circonstances de la
mort de Tabaro. Le témoin DM a rapporté ce qu’on lui avait dit après le meurtre.
778. La Chambre observe que le témoin AAY n’a pas réellement vu Modeste Tabaro se
faire abattre mais a plutôt entendu les coups de feu. C’est quand il a entendu un coup de feu,
alors qu’il se retirait de la foule, que le témoin a regardé et vu la flamme sortir du fusil de
Kananura. Il n’a pas entendu Ngeze ordonner à Kananura de tirer. Il était seulement présent
sur les lieux pendant quelques minutes, et sa narration de ces événements, y compris de ce
que Modeste Tabaro et Hassan Ngeze avaient dit, n’est corroborée par aucun autre témoin.
779. Le témoin AHI, lui aussi témoin oculaire, a déclaré que, quand il est arrivé, il a vu le
corps de Modeste Tabaro criblé de plus de 15 balles, mais il a dit que Tabaro était encore
vivant. Il a vu Ngeze mettre un fusil sur sa poitrine. Il a nommé plusieurs individus qui ont
tiré sur Tabaro, y compris Ngeze, qu’il a décrit comme leur chef. Ngeze est la première
personne qu’il a vue tirer sur Tabaro, bien qu’il fût manifeste qu’on avait déjà tiré de
nombreuses fois sur lui avant que le témoin n’arrive sur les lieux. La description que le
témoin a faite de la fusillade qui eut lieu cette nuit – 10 000 balles auraient été tirées – a été
contestée par la Défense, et paraît être probablement exagérée. Toutefois, il a répondu à
l’objection en disant qu’il avait entendu de nombreux coups de feu. Le témoin AHI a déclaré
801
802

Compte rendu de l’audience du 10 septembre 2001, p. 57 à 67.
Ibid., p. 5 à 10 et 24 à 40.

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qu’il était venu sur les lieux parce qu’il avait entendu ces coups de feu. Le témoin AAY n’a
pas dit qu’il avait entendu le bruit de coups de feu. Il a dit qu’il avait entendu crier. Lorsqu’il
est arrivé, Modeste Tabaro était blessé à la jambe, mais il l’a entendu parler et est parti après
avoir entendu un coup de feu. Le récit du témoin AHI indique que lorsqu’il est arrivé sur les
lieux, Tabaro était sur le point de mourir. On lui a d’ailleurs demandé en contre-interrogatoire
comment il avait su que Tabaro était toujours vivant. Au vu de ces éléments, la Chambre
estime qu’il est possible que le témoin AHI soit arrivé sur les lieux après le départ du
témoin AAY, ce qui explique certains aspects de leurs dépositions qui, autrement,
sembleraient contradictoires.
780. Les dépositions des deux seuls témoins oculaires du meurtre de Tabaro produits par le
Procureur ne sont pas nécessairement contradictoires, mais leurs versions du meurtre ne se
corroborent pas. Le témoin AAY a indiqué que Kananura avait tiré sur Tabaro sur l’ordre de
Ngeze. Cependant, il n’a pas entendu ce dernier donner l’ordre de tirer. Ces dires sont
insuffisants, selon la Chambre, pour permettre de conclure que Ngeze a donné l’ordre
d’abattre Tabaro. Le témoin AHI a affirmé que Ngeze avait tiré sur Tabaro. Il n’a pas
mentionné Kananura dans sa déposition et il a dit que le témoin AAY n’était pas là. Les
éléments de preuve présentés ne donnent pas une vision claire et compréhensible de ce qui
s’est passé. À la lumière de ces circonstances, la Chambre n’est pas en mesure de déterminer
qui a tué Modeste Tabaro.
781. Beaucoup de témoins de la Défense ont affirmé avoir entendu les soldats Jeff et Régis
se vanter d’avoir tué Modeste Tabaro, bien qu’aucun d’entre eux n’ait été personnellement
témoin du meurtre. Beaucoup de témoins de la Défense ont dit avoir vu le corps de Modeste
Tabaro. Leurs dépositions ne concordent toutefois pas toutes sur le point de savoir si le corps
gisait sur le dos ou sur le ventre, ou si Jeff et Régis étaient ivres ou sobres. Néanmoins, le
Procureur ne s’étant pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombe, la Chambre n’a
pas à examiner les contradictions existant entre les dépositions des témoins à décharge
s’agissant de l’allégation reprochant à Hassan Ngeze d’avoir ordonné le meurtre de Modeste
Tabaro, ni à se prononcer sur la crédibilité de ces témoins. La Chambre observe que, dans la
lettre de Ngeze à Omar Serushago, que celui-ci avait reçue au quartier pénitentiaire des
Nations Unies et dans laquelle Ngeze lui demandait de ne pas témoigner à son encontre, les
noms de Jef et de Régis sont mentionnés.
Conclusions factuelles
782. La Chambre conclut que Modeste Tabaro, un Tutsi qui se cachait, a été découvert et
tué par balles le ou vers le 21 avril 1994 près de la maison de Hassan Ngeze parce qu’il était
Tutsi et membre du PL. La Chambre n’est pas en mesure de déterminer les circonstances de
sa mort et conclut que l’allégation selon laquelle Hassan Ngeze aurait abattu ou ordonné
d’abattre Modeste Tabaro n’a pas été établie.
7.3

Distribution d’armes, manifestations, barrages routiers et meurtres à Gisenyi et
à la Commune rouge

783. Le témoin à charge AHA, qui travaillait pour Kangura et habitait chez Ngeze à
Kigali, a déclaré qu’entre avril et juillet 1994, aucun numéro de Kangura n’a été publié et que
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Ngeze s’était impliqué dans une milice et se déplaçait. Il s’est souvenu l’avoir vu en uniforme
militaire et a dit qu’il n’était plus journaliste à ce moment-là. En contre-interrogatoire, le
témoin AHA a affirmé que Ngeze n’a jamais été incarcéré en 1994. En réponse à une
question de la Chambre, il a dit qu’il avait parlé au téléphone avec Ngeze quelques jours
après le 6 avril 1994803.
784. Le témoin à charge Omar Serushago, chef Interahamwe de Gisenyi, a déclaré qu’il
connaissait Hassan Ngeze depuis qu’il était enfant. Ils étaient nés dans la même ville et
avaient grandi ensemble. Le père de Ngeze était un grand ami du père de Serushago, et leurs
jeunes frères étaient aussi amis804. Serushago a indiqué que Ngeze était un membre actif du
MRND comme lui-même. Lorsque la CDR a été créée, Ngeze est devenu un membre influent
de ce parti, il était le coordinateur des activités de celui-ci dans les régions de Kigali et de
Gisenyi805. Serushago est devenu membre des Interahamwe en 1991. Il a dit qu’entre 1991 et
1993, les Interahamwe étaient chargés de lever des fonds pour acheter des armes. Il a dit
aussi qu’ils pillaient et menaçaient les Tutsis, et que les gens comme Ngeze et Barayagwiza
participaient avec eux à ces activités. Ngeze avait pris une part active dans les menaces et le
pillage des biens des Tutsis. Il avait aussi abattu et mangé les vaches des Tutsis. Les
Interahamwe et les Impuzamugambi ont participé ensemble à ces activités, et à la distribution
d’armes qui, a-t-il dit, avaient lieu en préparation du génocide. Les armes avaient été
distribuées par Ngeze et Barayagwiza. Des séances de formation au maniement de ces armes
avaient aussi été organisées pendant ces années. Serushago avait vu des armes au camp de
Gisenyi, et il a dit que Ngeze et Barayagwiza s’étaient occupés de les apporter et qu’elles
étaient destinées aux militants de la CDR. Il savait qu’elles étaient distribuées aux jeunes
parce que ceux qui les ont reçues les lui avaient montrées. Des armes ont été distribuées en
1993 et 1994, et en plus grande quantité en 1994 dans le cadre de la préparation du
génocide806.
785. Au moment de la mort de Bucyana en février 1994, Serushago a vu un fax envoyé par
Barayagwiza alors qu’il se trouvait devant le kiosque de Ngeze à Gisenyi. Barnabé Samvura
tenait le fax et l’a montré à d’autres. Il était adressé à l’aile jeunesse de la CDR et du MRND,
et il y était dit que maintenant que les Inyenzi avaient tué le président de la CDR, il était
demandé à tous les Hutus d’être vigilants, de surveiller de près les Tutsis où qu’ils se cachent,
et que même s’ils étaient dans des églises, ils devaient être poursuivis et tués. Ngeze
parcourait alors la ville dans sa Toyota Hilux, sur laquelle il avait monté un mégaphone, en
disant que cette fois c’en était fait des Tutsis. Serushago lui-même faisait partie de ceux qui
menaçaient les Tutsis et il a dit qu’il avait prévenu certains de ses amis tutsis qu’ils feraient
bien de quitter la ville. Ngeze a extorqué de l’argent à des Tutsis que le témoin a nommés807.
D’avril à juin 1994, la CDR et des groupes d’Interahamwe ont tenu des réunions chaque soir
afin de rendre compte du nombre de Tutsis tués808. Les chefs, y compris Barayagwiza et
Ngeze, assistaient à ces réunions.

803

Compte rendu de l’audience du 6 novembre 2000, p. 136 et 137.
Ibid., p. 44 à 49.
805
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 85 et 86.
806
Compte rendu de l’audience du 16 novembre 2001, p. 3 et 4 ainsi que 8 à 31.
807
Ibid., p. 132 à 134.
808
Compte rendu de l’audience du 16 novembre 2001, p. 44 et 45.
804

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

786. Serushago a dit qu’il était le chef des Interahamwe dans la ville de Gisenyi et avait la
responsabilité des barrages routiers. Il était responsable de La Corniche, barrage routier
important entre Goma et Gisenyi. Il y avait six groupes d’Interahamwe et d’Impuzamugambi.
Ngeze et son frère Juma étaient membres de la CDR et leur groupe était principalement
constitué de réservistes de la CDR et des Interahamwe du MRND. La CDR et les chefs
Interahamwe s’étaient réunis chaque soir en avril, mai et juin 1994 pour rendre compte des
massacres de Tutsis aux chefs, y compris Barayagwiza, qui étaient là après que le
Gouvernement intérimaire fut venu à Gisenyi. Ngeze était venu à plusieurs occasions à ces
réunions quotidiennes809. Au poste frontière, Serushago a dit qu’il avait lui-même sélectionné
des Tutsis qui tentaient de s’enfuir au Zaïre, au vu de leurs cartes d’identité. Il a dit qu’il était
aisé de distingueuer un Tutsi d’un Hutu. Il a témoigné que Ngeze et Juma parcouraient la
ville de Gisenyi, se saisissant des Tutsis aux barrages routiers et les envoyant au cimetière de
Gisenyi, appelé la « Commune rouge », pour les tuer. Le frère de Serushago travaillait avec
eux, et plusieurs fois Serushago a vu personnellement Ngeze se saisir de Tutsis à des barrages
routiers. Le beau-frère de Ngeze transportait les corps et travaillait avec Ngeze et
Serushago810.
787. Serushago a déclaré qu’à 7 heures, le matin du 7 avril, après la mort du Président, il
avait vu, depuis l’étage supérieur de sa maison, Ngeze transporter des armes, notamment des
fusils, des grenades et des machettes, dans un véhicule Hilux rouge. Il a ensuite corrigé son
témoignage et dit qu’il était 10 heures, et non 7 heures. La maison de Serushago était près de
la route et la distance entre eux était de cinq à dix mètres. Il n’avait pas parlé à Ngeze mais
l’avait vu. Contre-interrogé par le conseil de Ngeze, il a été objecté à Serushago que Ngeze
était en prison du 6 au 9 avril. Serushago a dit que Ngeze n’avait jamais été emprisonné, qu’il
avait beaucoup de pouvoir à Gisenyi et que personne ne pouvait l’arrêter. Il a dit que la
preuve que Ngeze n’avait pas été arrêté était que celui-ci était passé devant chez lui ce matinlà811.
788. Serushago avait vu Ngeze de nouveau entre le 13 et le 20 avril, devant la maison de
son oncle. Le même véhicule Hilux rouge était stationné à cet endroit et contenait des armes,
notamment des fusils, des grenades et des machettes. Ngeze lui-même portait un pistolet à la
hanche gauche. Serushago a dit que, plus tard ce jour-là, ils étaient allés ensemble chez
Hassan Gitoki à la Commune rouge, où ils avaient trouvé cinq Tutsis debout devant la
maison. D’après Serushago, Ngeze avait demandé pourquoi on faisait attendre les Tutsis,
pourquoi ils n’avaient pas été tués immédiatement. Il avait dit qu’il allait faire un exemple et
montrer comment meurent des Inyenzis, puis il avait pris son pistolet et avait tiré dans la tête
d’un des Tutsis qui était mort sur le coup. Serushago savait que c’était un Tutsi mais ne
connaissait pas son nom. Ngeze a dit aux Interahamwe et aux militants de la CDR de faire de
même pour les Tutsis qui restaient. Serushago a dit qu’il était présent et avait vu des bouchers
qui ont coupé en morceaux les corps des Tutsis, et ont enlevé les vêtements des femmes avant
de les tuer. Certains attaquaient les gens à l’arme blanche et d’autres leur enlevaient les
vêtements avant de les tuer. Les Tutsis n’étaient pas armés mais on avait donné des houes à
certains d’entre eux pour qu’ils creusent leurs tombes avant d’être tués. Il a dit que ce jour-là
809

Ibid., p. 42 et 43 ainsi que 61 et 62.
Ibid., p. 62 à 71.
811
Compte rendu de l’audience du 20 novembre 2001, p. 18 et 19.
810

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cinq Tutsis avaient été tués en sa présence et en la présence de Ngeze. Serushago a déclaré
que lui et les autres, notamment Ngeze, étaient restés là pendant environ deux heures et qu’ils
étaient partis ensemble. Entre avril et juin 1994, il ne pouvait pas dire exactement combien de
fois il avait vu Ngeze à la Commune rouge, mais qu’il devait y être allé plusieurs fois, que ce
soit pendant la journée ou pendant la nuit, et que les opérations y étaient permanentes.
Serushago a témoigné qu’il avait lui-même tué quatre Tutsis812.
789. Le témoin EB, enseignant tutsi de Gisenyi, a déclaré qu’il connaissait Ngeze qui avait
été son voisin. Il a dit que Ngeze était le coordonnateur des activités des Interahamwe et des
Impuzamugambi en 1992 et 1993. Le matin du 7 avril 1994, vers 7 heures, le témoin EB a vu
Ngeze dans un taxi rouge sur lequel un haut-parleur avait été monté. Il était seul et se
dirigeait vers la maison de Barnabé Samvura, qui était le chef de la CDR dans cette
commune. Le témoin a vu de nombreux Interahamwe pénétrer dans l’enceinte de la maison
de Samvura et y prendre des gourdins cloutés, des fusils et des grenades. Il avait entendu
Ngeze utiliser son haut-parleur pour dire aux Interahamwe de tuer les Tutsis et que certains
d’entre eux devaient aller à la Commune rouge pour creuser des trous. Le témoin EB a dit
que c’est alors qu’ils avaient été attaqués. Ses parents étaient rentrés chez eux, et lui et sa
petite sœur étaient allés dans une autre maison. Son autre sœur était allée chez un voisin. Les
attaquants étaient entrés dans la cuisine, où son petit frère et quatre neveux se trouvaient. Ils
avaient tué son petit frère et déposé son corps au bord de la route, où les corps étaient placés
avant d’être emmenés à la Commune rouge. De l’endroit où il était, le témoin EB pouvait
voir la route et la maison de Samvura. Il a vu le corps de sa jeune sœur, et deux femmes, dont
l’une était la mère de Hassan Ngeze, enfoncer les baleines métalliques d’un parapluie entre
les cuisses de sa sœur qui était enceinte à l’époque. Il y avait de nombreux corps qui ont été
chargés dans un véhicule et emmenés à la Commune rouge pour y être enterrés813.
790. Le témoin EB a relaté que deux heures plus tard, à midi, les assaillants étaient revenus
et avaient pillé la maison de ses parents. Ils sont revenus de nouveau à 18 heures, et lorsqu’ils
ont vu sa mère, ils ont dit : « Eh toi, vieille femme, pourquoi est-ce que tu es encore là ? On
ne t’a pas encore tuée ? » Juste comme elle leur disait : « Mais, mes enfants, je vous connais.
Je connais vos parents. Nous avons vécu avec eux. Pourquoi est-ce que vous voulez me faire
ça ? », les Interahamwe l’ont frappée au front avec un gourdin clouté. La mère du témoin a
crié pour l’appeler au secours, ce qui les a alertés sur le lieu où il se trouvait. Les
Interahamwe ont alors jeté une grenade dans la maison qui a pris feu. Le témoin a été
gravement blessé à la jambe gauche. Il s’est enfui et s’est d’abord caché dans une bananeraie
puis s’est traîné jusqu’à la maison d’un voisin. Il a été secouru et emmené à la mosquée
Majengo où, pendant les deux premiers jours, il s’est caché dans un cercueil. Il est resté à
l’abri dans la mosquée pendant trois semaines puis est allé à Goma. Là, son cousin lui a dit
qu’il était allé à la Commune rouge où beaucoup de gens avaient été tués. Son cousin a vu
Hassan Ngeze là-bas, inspectant les corps et achevant ceux qui n’étaient pas tout à fait morts.
Le témoin EB a dit que ces attaques avaient fait en tout huit victimes dans sa famille814. En
contre-interrogatoire, il lui a été objecté qu’il ne pouvait pas avoir vu Ngeze le 7 avril, car
Ngeze avait été arrêté le 6 avril. Le témoin EB a maintenu sa déposition selon laquelle Ngeze
812

Ibid., p. 36 à 40.
Comptes rendus des audiences du 15 mai 2001, p. 114 à 119 et 151, et du 16 mai 2001, p. 3 à 17.
814
Compte rendu de l’audience du 16 mai 2001, p. 17 à 29.
813

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était bien là et qu’il l’avait vu lui-même. On lui a fait observer qu’il pouvait avoir confondu
Hassan Bagoyi avec Hassan Ngeze. Le témoin a répondu qu’il connaissait très bien Ngeze et
ne pouvait pas l’avoir pris pour un autre815.
791. Le témoin AHI, chauffeur de taxi hutu de Gisenyi qui avait été recruté pour la CDR
par Ngeze et qui était devenu un Impuzamugambi, a déclaré avoir vu Ngeze le 7 avril 1994,
très tôt le matin, à 7 heures. Ngeze était en tenue militaire avec une casquette d’officier. Il
portait un revolver 9 mm et était accompagné de quatre gardes du corps qu’il a nommés. Il a
indiqué que deux des quatre étaient des militaires mais que, ce jour-là, ils étaient en civil. Le
colonel Anatole Nsengiyumva a livré des armes ce jour-là par l’intermédiaire du bourgmestre
de la commune de Rubavu, qui les avait transmises au conseiller de la ville, mais ils s’étaient
rendus compte que les armes ne convenaient pas. Une réunion du MRND et de la CDR s’est
tenue le lendemain à 14 heures, au centre scout du quartier appelé Gacuba, à laquelle
plusieurs officiers et soldats avaient participé. Ngeze était présent et a pris la parole à la
réunion, il a dit que les Interahamwe avaient obtenu des armes et que les Impuzamugambi
avaient aussi besoin d’armes. Les officiers ont promis de fournir plus d’armes. Ce soir-là, les
armes ont été livrées, des kalachnikovs, des fusils R4 et des grenades. Ngeze et Serushago
étaient parmi ceux qui avaient obtenu des armes. Il y en avait 80, et Ngeze était l’un de ceux
qui les distribuaient. Le témoin AHI a affirmé que des Tutsis ont été tués par les
Impuzamugambi et les Interahamwe avec ces armes, et il a nommé un certain nombre de ceux
qui ont été tués, dont trois enfants816.
792. Le témoin AHI a dit que, le 7 avril, Ngeze avait changé de véhicule et s’était mis alors
à conduire celui de son frère, un Hilux à double cabine du MININTER, le ministère où ce
dernier travaillait. Il avait des gardes du corps dans ce véhicule. Le témoin AHI a dit qu’il
avait vu Ngeze à des barrages routiers à Gisenyi en 1994 et que celui-ci tenait un barrage
routier situé près d’un endroit appelé Chez Kagemana. Ngeze tenait ou surveillait aussi un
barrage situé près du principal bureau de douane, près de La Corniche, où Serushago tenait
un barrage. On le voyait aussi à un plus petit barrage sur la route menant à Goma, lequel était
tenu par des responsables de la cellule et des gens qui y habitaient. Le témoin AHI se
souvenait des instructions qui avaient été données par Hassan Ngeze et d’autres aux barrages.
Ceux qui étaient aux barrages devaient arrêter et fouiller tout véhicule qui passait, demander
les cartes d’identité de ceux qui se trouvaient à bord et mettre à part ceux dont les cartes
mentionnaient l’appartenance tutsie. Ces Tutsis étaient ensuite emmenés dans des véhicules
affectés à cette tâche par des individus que le témoin a nommés, placés sous les ordres du
colonel Nsengiyumva, et qui les amenaient à la Commune rouge. Ils y étaient conduits sous
prétexte de leur sauver la vie mais, en fait, cet endroit était un cimetière et c’est là qu’ils
étaient enterrés. Le témoin AHI a déclaré que des barrages routiers avaient été mis en place
par le Gouvernement mais, en 1994, d’autres étaient venus s’ajouter. Il a dit que Ngeze était
l’un de ceux qui avaient installé ces nouveaux barrages routiers817.
793. Le témoin AGX, Tutsi de Gisenyi, était dans la prison centrale de Kigali en même
temps que Hassan Ngeze en 1990. Celui-ci lui a dit qu’il était en prison pour avoir écrit un
815

Compte rendu de l’audience du 17 mai 2001, p. 55 à 59.
Compte rendu de l’audience du 4 septembre 2001, p. 63 à 72.
817
Ibid., p. 79 à 86.
816

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article prédisant qu’un groupe armé venant de l’extérieur attaquerait le Rwanda. Le témoin
AGX était, lui, en prison pour détournement de fonds. Ngeze avait été libéré juste après le
début de la guerre en octobre 1990, et le témoin AGX en novembre 1990 après qu’une
enquête eut démontré qu’il n’était pas celui qui avait détourné les fonds. Après sa libération,
lorsqu’il est retourné à Gisenyi, le témoin a constaté que Ngeze était devenu une personne
très importante. Dans son journal, il dénonçait les gens comme étant des ibyitso, ou des
complices, et ceux-ci finissaient en prison. Il a cité son exemple, ainsi que celui d’un
chauffeur de taxi et du jeune frère de celui-ci. En 1991, après avoir été désigné comme
complice, le témoin AGX a passé deux mois en prison. Contre-interrogé, il a précisé qu’il
n’avait pas été désigné dans Kangura, que Ngeze l’avait dénoncé autrement et avait
l’habitude de le traiter de complice lorsqu’ils se rencontraient. Il a expliqué que le terme pour
complice, icyitso, désignait les Tutsis, de même que le terme « ennemi », parce qu’on avait
appris aux Hutus que leur ennemi était les Tutsis818. Le témoin a indiqué que Ngeze passait
des vidéocassettes dans le kiosque du marché de Gisenyi où il vendait ses journaux. Dans la
vidéo qu’il avait vue, en 1993, des gens en tuaient d’autres en utilisant des armes
traditionnelles. Ngeze avait fait le commentaire que c’étaient des Tutsis qui tuaient des Hutus
au Burundi. Le témoin AGX a dit que les Hutus avaient ensuite commencé à regarder les
Tutsis comme s’ils voulaient les frapper819.
794. Le matin du 7 avril 1994, vers 10 heures, le colonel Nsengiyumva a déclaré à Gisenyi
que le Président avait été tué par les ennemis et qu’ils étaient là sans armes et que ces
ennemis pouvaient aussi bien les tuer. Il y avait environ 200 personnes, dont le témoin AGX.
Vers 13 heures, ce jour-là, il a dit que la ville de Gisenyi avait complètement changé. Il y
avait des hommes portant des armes traditionnelles, des pangas et des gourdins, certains
avaient des fusils. Cet après-midi-là, vers 14 heures, le témoin AGX s’est rendu chez son
ami. De là, vers 14 h 30, il avait vu passer Ngeze sur la route dans un véhicule, avec des
Interahamwe et des Impuzamugambi de la CDR à bord, équipés de différentes sortes d’armes.
Un mégaphone monté sur le véhicule diffusait les chansons de Bikindi. Ngeze utilisait aussi
le mégaphone, disant que l’ennemi avait tué le chef de l’État et qu’il fallait donc débusquer
l’ennemi et ses complices. Lorsqu’il a été objecté au témoin, en contre-interrogatoire, qu’il ne
pouvait pas avoir vu Ngeze ce jour-là parce que celui-ci était en prison, il a maintenu son
témoignage selon lequel il l’avait bien vu ce jour-là820.
795. Le témoin AGX a décrit un autre incident survenu un peu avant le 15 avril : Ngeze
était venu chez son ami et lui avait demandé s’il cachait des complices, ce que l’ami avait nié.
Ngeze avait alors dit : « C’est nous, les Impuzamugambi, les Interahamwe, qui travaillons.
Nous avons le droit de vie et de mort ». Le témoin AGX était dans une autre pièce et n’avait
pas vu Ngeze mais l’avait entendu et avait reconnu sa voix. Tandis qu’il était chez son ami, le
témoin avait aussi entendu une interview de Ngeze à la radio entre le 7 et le 29 avril, soit sur
la radio nationale, soit sur la RTLM ; on lui avait demandé des nouvelles de Gisenyi. Il avait
déclaré que le travail consistant à rechercher les Inyenzi et leurs complices était terminé, et
que le petit nombre d’Inyenzi qui avaient été arrêtés, notamment Modeste Tabaro, avaient été
818

Comptes rendus des audiences du 13 juin 2001, p. 38 et 39, et du 11 juin 2001, p. 15 à 21.
Comptes rendus des audiences du 11 juin 2001, p. 15 à 19, 12 et 22 ainsi que 28 à 33, et du 12 juin 2001,
p. 26 à 28.
820
Compte rendu de l’audience du 11 juin 2001, p. 43 à 49.
819

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tués. Le témoin AGX a dit qu’il avait quitté sa cachette deux fois et, de l’extérieur, il pouvait
voir deux barrages routiers sur la route menant au Zaïre. Une fois, il avait vu Ngeze aller et
venir entre ces barrages. Il était avec Anatole Nsengiyumva, et quand on lui a demandé ce
qu’il faisait, le témoin a dit qu’il pensait que Ngeze donnait des ordres821.
796. Le témoin AFX, Tutsi de Gisenyi, a déclaré avoir vu Ngeze deux fois après le 6 avril
1994. La première fois, c’était un vendredi en avril, alors que le témoin allait prier. La
seconde fois, c’était un mercredi, en mai. Avant les massacres d’avril 1994, il avait vu chez
Ngeze les armes qui seraient utilisées plus tard, des fusils et des grenades. Il a dit que Ngeze
lui avait montré la pièce dans laquelle se trouvaient les fusils, et il a estimé qu’il y en avait au
moins 50 fusils822.
797. Le témoin AAM, fermier tutsi de Gisenyi, a indiqué que vers la fin de 1992 des
manifestations avaient été organisées par la CDR et le MRND dans la ville de Gisenyi, non
loin de l’endroit où il demeurait. Le témoin AAM a dit qu’ils avaient commis beaucoup
d’actes répréhensibles comme établir des barrages sur les routes, piller les Tutsis qui
habitaient dans les environs, rouer de coups les Hutus qui ne partageaient pas leurs idées.
Cela avait duré deux semaines, vers la fin desquelles le témoin avait vu Barayagwiza portant
une casquette de la CDR et accompagné d’Impuzamugambi. Ils criaient et chantaient
Tuzatsembatsembe ou « exterminons-les ». Parmi les autres personnes présentes, il a nommé
Hassan Ngeze qui transportait les Impuzamugambi dans une camionnette et avait un
mégaphone qu’il utilisait. Il portait un uniforme militaire et était armé d’un révolver. Le
témoin a aussi vu Ngeze à une réunion de la CDR en 1993, vers la fin de l’année, après
laquelle les militants de la CDR qui étaient là s’étaient livrés à des exactions, maltraitant les
Tutsis. Ensuite, toujours en 1993, il avait vu Ngeze conduire les Impuzamugambi dans une
camionnette, les emmenant quelque part pour qu’ils s’entraînent. Le témoin avait vu Ngeze
au début de 1994 en compagnie de militaires. C’était le soir et il portait une arme823.
798. Le témoin AEU a déclaré qu’à partir de 1992 et 1993, ainsi que par la suite, Hassan
Ngeze avait pris l’habitude de venir à la boutique où elle travaillait à Gisenyi pour obtenir des
contributions pour la CDR de la part des gens qui l’employaient. Il faisait cela avec tous les
commerçants et levait des fonds pour acheter des armes qui seraient utilisées dans les
massacres, ainsi que des uniformes. Elle a décrit Ngeze comme étant le « chef » et a dit qu’il
organisait des réunions, quelquefois au stade et d’autres fois dans la salle de réunion de la
préfecture. L’objet de ces réunions était d’enseigner comment les gens allaient être tués dans
le cadre de la CDR. Contre-interrogée, AEU a précisé que la boutique où elle travaillait se
trouvait sur la route principale, et qu’elle pouvait donc voir les gens se rendre aux réunions.
Elle avait vu Ngeze à l’avant du cortège, parlant dans le mégaphone, tandis que beaucoup
d’autres chantaient et tapaient sur leurs véhicules, en allant à la réunion de la CDR. Elle avait
vu cela de nombreuses fois. Ngeze était celui qui parlait dans le mégaphone, se vantant de ce
qu’il avait fait. Il disait qu’il allait tuer et exterminer, comme c’est arrivé, et qu’il allait faire
cela à tous les Inyenzi. Il parlait debout sur un véhicule, en étant conduit comme s’il était le
chef de l’État. Une fois, elle avait entendu Ngeze chanter tandis qu’il passait, disant qu’ils
821

Ibid, p. 44 à 46, 48 et 49, 51 à 54 et 61 à 64.
Compte rendu de l’audience du 3 mai 2001, p. 20 à 31 ainsi que 42 et 43.
823
Compte rendu de l’audience du 12 février 2001, p. 105 à 110 et 115 à 117.
822

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avaient tué des gens, des Inkotanyi. En contre-interrogatoire, le témoin AEU a été
questionnée sur le sens du terme « extermination » et on lui a demandé à qui ce terme
s’appliquait. Elle a soutenu qu’il s’appliquait aux Tutsis et non aux Inyenzi ou aux Inkotanyi.
S’ils avaient parlé de combattre les Inyenzi, a-t-elle dit, « ils auraient dû aller les trouver là où
ils étaient et ne pas faire leurs meetings là où nous étions et ils ne devaient pas tuer les
citoyens qui n’avaient rien à voir […] avec la politique, mais ils devaient aller les trouver où
ils étaient, ces Inyenzis, et les tuer ». Le témoin AEU est Tutsie mais a obtenu une carte
d’identité hutue en 1982 pour qu’elle puisse travailler824.
799. Le témoin ABE, Tutsi de Kigali, a déclaré qu’il avait parfois vu Hassan Ngeze
appeler des militants de la CDR en se servant d’un mégaphone, pour leur dire qu’ils devaient
se rassembler pour aller assister à un meeting825.
800. Le témoin LAG, Hutu de Gisenyi, qui était allé aux funérailles de Martin Bucyana, a
déclaré que Ngeze y était aussi avec son appareil photo, photographiant l’événement. Il a dit
que Ngeze était là en qualité de journaliste au milieu de la foule, lorsque le témoin LAG l’a
entendu dire : « Notre Président vient de mourir, mais si Habyarimana devait aussi mourir,
nous ne pourrions pas épargner les Tutsis ». Le témoin a dit qu’il avait entendu la voix de
Ngeze derrière lui, s’était retourné et l’avait vu en train de parler826.
801. Le témoin AFB, Hutu changeur d’argent, a vu Ngeze dans un véhicule Hilux bleu
avec des gardes du corps qui étaient des Impuzamugambi et des Interahamwe. Il l’avait vu
près du lieu où il travaillait et qui se trouvait juste à côté des bureaux de Kangura. Le témoin
avait rencontré Ngeze trois fois environ et celui-ci lui avait dit « Comment ça va,
Inyenzi ? »827.
802. À la barre, Hassan Ngeze n’a cessé d’affirmer que Serushago était un menteur,
relevant des contradictions dans sa déposition. Ngeze a présenté comme preuve une
photographie de la maison de Serushago et déclaré que la distance de celle-ci à la route était
de 25 mètres au moins, si bien que Serushago ne pouvait avoir vu de là quelqu’un au volant
de sa voiture 828 . Il a aussi répété qu’il était en prison à ce moment-là. Lors du contreinterrogatoire, une autre photographie a été présentée à Ngeze de la résidence de Serushago,
montrant une vue dégagée depuis le bâtiment jusqu’à la route. Ngeze a confirmé que cela
ressemblait à la résidence de Serushago mais a maintenu qu’elle se trouvait à 25 ou 35 mètres
de la route829. Ngeze a aussi déclaré que Serushago ne pouvait pas l’avoir vu le matin du
7 avril 1994 parce qu’il était en prison du 6 au 9 avril 1994. Il a dit que Serushago ne pouvait
pas l’avoir vu entre le 13 et le 18 avril 1994 parce qu’il était aussi en prison pendant cette
période830.

824

Comptes rendus des audiences du 26 juin 2001, p. 6 à 11 et 36 à 41, et du 27 juin 2001, p. 139 à 141.
Compte rendu de l’audience du 26 février 2001, p. 111 et 112.
826
Compte rendu de l’audience du 3 septembre 2001, p. 24 et 25.
827
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 93 à 97.
828
Pièce 3D244 ; compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p. 7 à 10.
829
Compte rendu de l’audience du 7 avril 2003, p. 49 à 55.
830
Comptes rendus des audiences du 1er avril 2003, p. 4 et 5, et du 4 avril 2003, p. 20 et 21.
825

Jugement et Sentence
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803. Ngeze a déclaré que vers 22 heures, le 6 avril 1994, après que le Président eut été tué
dans l’écrasement de l’avion, il avait été arrêté et conduit à la prison de Gisenyi où il était
resté jusqu’au 9 avril 1994 à cause de la prédiction qu’il avait faite dans Kangura de la mort
de Habyarimana 831. Ngeze a produit une lettre, que la Défense n’avait pas communiquée
auparavant en application de l’article 73 ter du Règlement, qu’il a dit avoir écrite vers midi le
10 avril 1994, après sa libération de prison le 9 avril. La lettre, datée du 10 avril 1994, était
adressée au colonel Anatole Nsengiyumva. Elle décrivait son arrestation comme suit :
Avant-hier, le 6 avril 1994 vers 10 heures du soir, 5 militaires en provenance du
camp militaire que vous dirigez, parmi lesquels un certain sous-lieutenant
Dusabeyezu Eustache, ont fait irruption chez moi avec beaucoup de colère, disant
qu’ils avaient reçu de vous l’ordre de m’attraper et de me conduire vivant ou mort
devant vous832.

804. Lors du contre-interrogatoire, il a été objecté à Ngeze que le terme « avant-hier », qui
viserait le 6 avril 1994 dans la lettre, indiquerait que celle-ci a été écrite le 8 avril 1994, date à
laquelle il soutenait qu’il était toujours en détention, de sorte qu’il ne pouvait pas avoir
dactylographié une lettre ce jour-là. Ngeze a répondu : « [M]on arrestation a eu lieu [dans la
nuit du 6 au 7. Cela signifie que nous avons un jour le 7 et deux jours le 8. Le 9 j’ai été libéré,
le soir où j’ai écrit cette lettre] »833. La lettre indique elle-même à l’avant-dernier paragraphe :
« J’ai été relâché hier au courant de l’après-midi le 9 avril 1994 »834.
805. Ngeze a aussi été contre-interrogé sur son site internet, lequel indique qu’il a été
souvent arrêté en avril, mais ne mentionne pas l’arrestation du 6 au 9 avril 1994. Il a répondu
que le site était tenu par un ami et que les informations qui y sont données pour ce site ne
provenaient pas de lui. Lorsqu’il lui a été objecté que l’adresse du site internet figurait sur
toute sa correspondance avec le Tribunal, il a expliqué qu’il l’utilisait comme en-tête
seulement parce qu’elle promouvait son procès. Lorsque la Chambre lui a demandé comment
le canevas de sa déposition, qu’il avait lui-même établi et distribué au Tribunal, avait échoué
sur son site internet, il a répondu qu’il l’ignorait835.
806. La Chambre a demandé à Ngeze de communiquer les dates de ses diverses
arrestations de 1990 à 1994, ainsi que les motifs de celles-ci, les accusations portées le cas
échéant et les dates auxquelles il avait été libéré. En réponse, Ngeze a fourni un document
dans lequel il avait écrit, notamment, qu’il avait été arrêté huit fois d’avril à juillet 1994, sans
préciser les dates de ces arrestations ou fournir les autres informations demandées par la
Chambre836. En contre-interrogatoire, il a été demandé à Ngeze de lire un document imprimé
à partir de son site internet, où il était dit : « Ce même mois d’avril, j’ai été emmené plusieurs
fois au camp militaire où j’ai été détenu jusqu’au matin pour être libéré plus tard ». Dans ce
document, il indiquait en outre qu’il avait été placé en garde à vue six fois en avril 1994,
831

Compte rendu de l’audience du 31 mars 2003, p. 31 à 33 et 48.
Pièce 3D245F.
833
Compte rendu de l’audience du 4 avril 2003, p. 48 et 49.
834
Pièce 3D245F.
835
Pièce 3D244 (Exposé de l’argumentation, datée 24 mars 2003) ; comptes rendus des audiences du
4 avril 2003, p. 36 à 39, et du 7 avril 2003, p. 13.
836
Pièce 3D246.
832

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279

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emmené la nuit et relâché le lendemain matin. Quelquefois, on venait l’arrêter le matin pour
le libérer ensuite le lendemain. En mai, il a été enfermé huit fois, toutes au camp militaire de
Gisenyi. En juin, il y a été conduit trois fois. Ngeze a comparé les informations figurant dans
ce document avec celles qui se trouvaient dans celui qu’il avait communiqué à la Chambre en
distinguant la « garde à vue » qui signifiait être enfermé, quelquefois juste quelques heures,
de l’« arrestation »837.
807. Ngeze a dit qu’il avait été parfois interrogé lorsqu’il avait été arrêté, et ce toujours par
le colonel Nsengiyumva ou par d’autres sous ses ordres. Il a déclaré que, quand il a été arrêté
la nuit du 6 avril 1994, il a été interrogé par un lieutenant qui voulait savoir comment il savait
que Habyarimana allait être tué838. Ngeze a été contre-interrogé sur une lettre qu’il avait
écrite au colonel Nsengiyumva, datée du 10 mai 1994, dans laquelle il rappelait à celui-ci
qu’il ne lui avait pas demandé comment Kangura avait pu prédire la mort du Président. Il lui
a été objecté que cette lettre montrait qu’il n’était pas détenu par Nsengiyumva du 6 au 9 avril
1994 et qu’il n’avait pas été interrogé sur cette prédiction. Ngeze a expliqué que, dans la
lettre, il invitait Nsengiyumva à lui demander comment il savait ce qui allait arriver au lieu de
le tuer839. Ngeze a affirmé que les témoins à charge mentaient quand ils disaient l’avoir vu en
tenue militaire. Il a déclaré qu’il portait une tenue musulmane quand il était au Rwanda840.
808. Plusieurs témoins à décharge ont déposé au sujet de la date de l’arrestation de Ngeze
en avril 1994. Les témoins BAZ2 841 , RM1 842 , RM5 843 , BAZ6 844 , RM19 845 , BAZ9 846 et
BAZ15847 ont affirmé que Ngeze avait été arrêté le 6 avril 1994. Les témoins RM13848 et
BAZ3 849 ont indiqué qu’il avait été arrêté juste après la mort de Habyarimana. Selon le
témoin RM2, Ngeze a été arrêté le 6-7 avril 1994850. Pour le témoin BAZ1, il a été arrêté la
veille du 6 avril 1994 et a été détenu pendant trois jours851. Le témoin RM117 a dit que
Ngeze avait été arrêté le 7 avril 1994852. Le témoin RM112 a déclaré qu’il avait appris le
7 avril 1994 que Ngeze avait été arrêté853. Quant à la date de la libération de Ngeze de prison,
les témoins RM5854 et RM2855 ont affirmé qu’il avait été libéré le 9 avril 1994. Les témoins
BAZ2 856 , RM112 857 et RM1 858 ont dit qu’il avait été libéré le 10 avril 1994. Le témoin
837

Compte rendu de l’audience du 4 avril 2003, p. 36 à 41.
Compte rendu de l’audience du 31 mars 2003, p. 24 et 25.
839
Ibid., p. 51 et 52 ; pièce 3D80F.
840
Compte rendu de l’audience du 31 mars 2003, p. 46 et 47.
841
Compte rendu de l’audience du 29 janvier 2003, p. 5.
842
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 63.
843
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2003, p. 4.
844
Compte rendu de l’audience du 15 mars 2003, p. 26 et 27.
845
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 7.
846
Compte rendu de l’audience du 28 janvier 2003, p. 43.
847
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 25.
848
Compte rendu de l’audience du 22 janvier 2003, p. 5.
849
Compte rendu de l’audience du 15 mars 2003, p. 4.
850
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 73.
851
Compte rendu de l’audience du 27 janvier 2003, p. 56 et 57.
852
Compte rendu de l’audience du 24 mars 2003, p. 19.
853
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 4.
854
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2003, p. 4.
855
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 73 et 74.
856
Compte rendu de l’audience du 29 janvier 2003, p. 5.
838

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BAZ15 a indiqué que Ngeze avait été libéré après environ six jours en prison859. Le témoin
BAZ9 a dit avoir vu Ngeze le 10 avril 1994860. Le témoin BAZ31 a affirmé que Ngeze s’était
caché à partir du 6 avril 1994861. Tous ces témoins ont appris l’arrestation de Ngeze par
d’autres personnes. Les témoins RM112 862 , RM19 863 et BAZ15 864 ont dit qu’ils avaient
entendu parler de l’arrestation par Ngeze lui-même. Les autres témoins en ont entendu parler
par des gens dans la rue ou par d’autres musulmans, ou le savaient parce que c’était de
notoriété publique.
809. Les témoins à décharge RM13865, RM10866, BAZ31867, BAZ1868, BAZ4869, BAZ9870,
BAZ2 871 , BAZ33 872 , BAZ10 873 , RM19 874 , BAZ15 875 , RM5 876 , RM117 877 , RM112 878 ,
RM113 879 , RM114 880 , RM118 881 , RM115 882 , RM200 883 , RM1 884 , RM2 885 , RM300 886 ,
BAZ3887, BAZ5888, BAZ6889, BAZ8890 et BAZ11891 ont affirmé que Ngeze portait une tenue
musulmane ou civile, et non pas d’uniforme militaire, et qu’il n’était pas armé.

857

Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 4.
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 63.
859
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 25.
860
Compte rendu de l’audience du 28 janvier 2003, p. 43.
861
Compte rendu de l’audience du 27 janvier 2003, p. 36 et 37.
862
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 3 et 4.
863
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 7 et 25.
864
Ibid., p. 25.
865
Compte rendu de l’audience du 22 janvier 2003, p. 3.
866
Compte rendu de l’audience du 20 janvier 2003, p. 10.
867
Compte rendu de l’audience du 27 janvier 2003, p. 5 à 8.
868
Ibid., p. 62.
869
Compte rendu de l’audience du 28 janvier 2003, p. 21.
870
Ibid., p. 42 à 44.
871
Compte rendu de l’audience du 29 janvier 2003, p. 5 et 6.
872
Ibid., p. 33.
873
Ibid., p. 47.
874
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 5 à 7.
875
Ibid., p. 24.
876
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2003, p. 4.
877
Compte rendu de l’audience du 24 mars 2003, p. 18 et 19.
878
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 8.
879
Ibid., p. 30 et 31.
880
Ibid., p. 56.
881
Ibid., p. 76.
882
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 4 et 5.
883
Ibid., p. 26.
884
Ibid., p. 64.
885
Ibid., p. 74.
886
Ibid., p. 90.
887
Compte rendu de l’audience du 15 mars 2003, p. 4.
888
Ibid., p. 13.
889
Ibid., p. 26.
890
Ibid., p. 60.
891
Ibid., p. 76 et 77.
858

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810. Les témoins à décharge BAZ15892, RM5893, RM1894, RM115895 et RM117896 ont dit
que la Peugeot et la Hilux de Ngeze n’avaient jamais été équipées d’un mégaphone. Le
témoin BAZ15 a dit que Hassan Gitoki avait une vieille Peugeot avec un mégaphone et que
Gitoki l’utilisait pour couvrir les Interahamwe de louanges. Il a ajouté que Gahutu avait une
Toyota Starlet jaune et que Gahutu et Gitoki parlaient à tour de rôle dans le mégaphone897.
Les témoins à décharge RM5898 et RM1899 ont confirmé ces faits et dit que Hassan Sibomana
avait un véhicule muni d’un mégaphone dont il se servait pour appeler les gens à aller aux
meetings du MRND. RM1 a aussi déclaré que Hassan Bagoye avait un microphone dans son
véhicule. Il a affirmé que Hassan Ngeze n’était membre ni de la CDR ni du MRND et qu’il
ne pouvait donc pas avoir eu de microphones et de haut-parleurs dans son véhicule. RM1 a
informé la Chambre que Gisimba avait confondu Hassan Ngeze avec Hassan Gahutu et que
Gisimba n’avait jamais dit que c’était Ngeze, il avait juste dit Hassan900. Les deux témoins à
décharge RM200 901 et RM113 902 ont indiqué que Hassan Gitoki avait un véhicule équipé
d’un mégaphone.
Crédibilité des témoins
811. La Chambre a conclu que les dépositions des témoins AHA, AHI, AFX, AAM et
LAG étaient crédibles aux paragraphes 132, 775, 712, 711 et 333 respectivement. La
crédibilité de la déposition de Hassan Ngeze est examinée à la section 7.6.
812. Le témoin EB a été contre-interrogé relativement à trois déclarations écrites qu’il
avait faites. On lui a demandé pourquoi Hassan Ngeze n’était mentionné que dans une de
celles-ci. Il a expliqué que les autres déclarations concernaient d’autres personnes. On lui a
demandé pourquoi il n’avait pas mentionné des faits comme le pillage de la maison de ses
parents et l’insertion de baleines de parapluie dans le corps de sa sœur enceinte dans ses
déclarations. Il a répondu qu’il n’avait fait que répondre aux questions qui lui étaient posées
et, qu’à ce moment-là, à cause des horreurs qu’ils avaient vécues, il n’était pas encore revenu
à un état qui lui aurait permis de fournir des réponses normales. Dans sa déclaration du
8 décembre 1997, le témoin EB a effectivement mentionné les tortures et mutilations
infligées aux victimes tutsies avant qu’elles soient achevées « par l’introduction de tiges de
parapluie dans leur partie génitale903 ». Il a confirmé qu’ils avaient fait cela au corps de sa
sœur après qu’ils l’eurent tuée et a dit qu’on savait qu’ils l’avaient fait à d’autres
personnes904. Le témoin EB a été interrogé sur la suite des événements après sa blessure, qui
ont conduit à sa fuite à Goma, ainsi que cela ressort de sa déclaration du 2 août 1997 et de sa
892

Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 38.
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2003, p. 7.
894
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 69.
895
Ibid., p. 7.
896
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 38.
897
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 37 et 38.
898
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2003, p. 6 et 7.
899
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 64 et 65.
900
Ibid., p. 68 à 70.
901
Ibid., p. 32.
902
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 34.
903
Pièce 3D37.
904
Compte rendu de l’audience du 17 mai 2001, p. 3 à 6.
893

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déposition. La Chambre a jugé raisonnables et adéquates les explications qu’il a fournies à la
suite de ces questions et d’autres. Le témoin EB a été clair dans sa relation des événements, et
la Chambre remarque qu’il a pris soin de distinguer ce qu’il avait fait et vu de ce qu’il
rapportait, dans le cas des informations qu’il avait obtenues de son cousin sur ce qui s’était
passé à la Commune rouge. Pour ces raisons, la Chambre juge la déposition du témoin EB
digne de foi.
813. Le témoin AGX a été soumis à un contre-interrogatoire approfondi. Il a confirmé
avoir vu Ngeze à Gisenyi en décembre 1990 et en janvier 1991 lorsqu’on lui a objecté que
celui-ci était à Kigali à ce moment-là, et il a confirmé l’avoir vu l’après-midi du 7 avril 1994
lorsqu’on lui a objecté qu’il était en prison905. Il a rejeté la suggestion émise par le conseil
que la vidéocassette qu’il avait regardée au kiosque de Ngeze était une émission de la BBC
sur l’assassinat du Président Ndadaye, faisant observer que le programme indiquait qu’il
s’agissait d’une cassette montrant comment les Hutus du Burundi étaient tués par les
Tutsis906. On lui a posé des questions sur les conditions matérielles dans lesquelles il avait
regardé cette cassette, et il a déclaré qu’il pouvait voir Ngeze, qui tenait un microphone, et
qu’il pouvait entendre la télévision distinctement907. Le témoin AGX a reconnu que lorsqu’il
avait vu Ngeze parler à Nsengiyumva, il n’avait pas pu entendre ce qui se disait, il a reconnu
qu’il était possible que Ngeze était en train de l’interviewer908. En réponse à l’idée émise par
le conseil que Ngeze ait pu aussi être en train d’interviewer des personnes aux barrages en sa
qualité de journaliste d’investigation, le témoin a dit que les actes et les propos de Ngeze
concernant les Interahamwe et les meurtres commis par ceux-ci montraient que celui-ci
n’était pas en train d’interviewer des gens909. Le témoin AGX a subi un contre-interrogatoire
poussé concernant l’emplacement de la maison dans laquelle il avait cherché refuge et la vue
qu’il avait de cet endroit lorsqu’il a aperçu Ngeze au barrage. Il ne pouvait pas se rappeler
certains détails tels que la date exacte et les chaussures que Ngeze portait, mais il a démontré
qu’il avait une vue entière et dégagée et a confirmé que c’était bien Ngeze qu’il avait vu au
barrage routier 910 . Lorsqu’on lui a demandé s’il soutenait l’invasion armée du FPR, le
témoin AGX a répondu qu’il était d’accord avec leurs efforts pour rentrer dans leur pays et a
reconnu qu’il était un sympathisant du FPR911. Il a nié avoir été arrêté pour cette raison en
février 1991, il a dit que certains l’étaient pour ce motif mais que d’autres simples citoyens
l’avaient été parce qu’ils étaient Tutsis et considérés en conséquence comme des Ibyitso912.
Le témoin AGX a été interrogé sur ses opinions politiques, qu’il a exposées913. Il a aussi été
interrogé sur les informations contenues dans sa déclaration concernant sa femme et ses
enfants. Il a donné des explications satisfaisantes des contradictions relevées, telles que les
indications de dates914. Il a indiqué qu’il faisait partie d’Ibuka. La déposition du témoin AGX
était claire et cohérente, selon la Chambre, et il n’a pas été contredit valablement lors de son
905

Compte rendu de l’audience du 12 juin 2001, p. 38 à 40.
Compte rendu de l’audience du 13 juin 2001, p. 3 à 9.
907
Ibid., p. 11 à 32.
908
Ibid., p. 34 à 37.
909
Compte rendu de l’audience du 14 juin 2001, p. 22 à 24.
910
Comptes rendus des audiences du 13 juin 2001, p. 43 à 80, et du 14 juin 2001, p. 1 à 33.
911
Compte rendu de l’audience du 14 juin 2001, p. 131 à 134.
912
Compte rendu de l’audience du 18 juin 2001, p. 6 et 7.
913
Ibid., p. 15 et 16.
914
Ibid., p. 48 à 58 et 92 à 95.
906

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contre-interrogatoire. Aussi la Chambre juge-t-elle la déposition du témoin AGX digne de
foi.
814. Le témoin AEU a reconnu lors de son contre-interrogatoire n’être pas allée aux
réunions de la CDR mais a dit qu’il était évident que Ngeze était un chef parce qu’elle avait
vu qu’il était à l’avant et que tout le monde le suivait. Elle a été longuement interrogée sur
l’identité de son employeur et sur l’emplacement de son lieu de travail en 1994. Bien qu’elle
ne fût pas volontiers coopérative dans ses réponses, elle a fini par dire qu’il n’y avait pas de
mur entre sa boutique et la route. La Chambre lui a demandé comment elle avait su que
l’argent collecté par Ngeze auprès de ses employeurs était destiné à l’achat d’armes. Elle a
d’abord donné plusieurs réponses, dont aucune ne répondait directement à la question.
Interrogée plus tard de nouveau sur ce point, elle a dit que Ngeze cherchait à obtenir des
contributions pour la CDR et il était évident, pour elle, que l’argent était destiné à l’achat
d’armes. Il lui a été objecté que, dans sa déclaration de mars 1999, elle avait affirmé que
Hassan Gitoki lui avait dit avoir conclu un marché avec son patron pour 1 000 dollars, et
qu’elle n’avait pas mentionné Ngeze dans sa relation des faits. Elle a expliqué que Ngeze
avait envoyé Gitoki la voir, et que celui-ci était le subordonné de Ngeze et n’aurait rien fait
sans consulter ce dernier. La Chambre a observé que, dans sa déclaration, après avoir indiqué
que Gitoki était venu la voir, et juste avant de mentionner le marché de 1 000 dollars, le
témoin AEU avait décrit Gitoki comme un chef Interahamwe nommé par Ngeze. Lorsqu’on
lui a demandé pourquoi elle était allée de son plein gré avec Gitoki lorsqu’il était venu chez
elle, alors qu’elle avait refusé de profiter de l’offre de protection que lui avait faite la femme
qu’elle connaissait, envoyée par Ngeze, elle a expliqué que, quand Gitoki était venu avec des
Interahamwe, si elle n’avait pas ouvert la porte, ils l’auraient défoncée. Elle a pensé qu’ils
venaient pour la tuer. Le témoin AEU a déclaré que Hassan Ngeze avait une cicatrice au nez.
Elle a reconnu au cours du contre-interrogatoire qu’aucune cicatrice de cette sorte n’était
visible et a avancé qu’il pouvait avoir utilisé un produit qui l’aurait fait disparaître. Le témoin
ne se sentait pas bien lorsqu’elle a déposé et s’est plainte de maux de tête et de vertiges,
faisant état plusieurs fois des blessures à la tête qu’elle avait subies. Il lui a été demandé si ses
problèmes de mémoire affecteraient la fiabilité de son témoignage, elle a répondu qu’elle ne
parlerait pas de ce dont elle ne se souvenait pas, rappelant qu’elle s’était solennellement
engagée à dire la vérité915. Elle a dit qu’elle était membre d’Ibuka. La Chambre note qu’AEU
n’a pas été particulièrement coopérative en répondant aux questions posées lors du contreinterrogatoire. Néanmoins, elle a démontré qu’elle avait pu voir les événements qu’elle avait
décrits et que le contenu de sa déclaration n’était pas en contradiction avec sa déposition.
Pour ces raisons, la Chambre conclut que la déposition du témoin AEU est digne de foi.
815. Le témoin AFB a été contre-interrogé par le conseil de Barayagwiza relativement à
ce qu’il a déclaré sur la CDR. Le conseil a avancé que la CDR, comme tout autre parti,
recherchait des voix et il lui a demandé ce que l’on pouvait reprocher à des personnes qui
parlaient de la doctrine hutue. Fondant sa réponse sur les événements du Rwanda, le témoin a
dit que ces idéaux étaient fondamentalement mauvais et que des gens étaient tués. On lui a
demandé s’il était magicien, ou comment il était en mesure de dire que Barayagwiza et ses
amis avaient planifié un génocide. Le témoin AFB a répété ses propos, à savoir que
915

Comptes rendus des audiences du 27 juin 2001, p. 4 à 8 ainsi que 18 et 19, et du 28 juin 2001, p. 15 à 31, 42
à 44, 82 et 83, 91 et 92 ainsi que 96.
Jugement et Sentence
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Barayagwiza avait dit au meeting : « Nous vous exterminerons », phrase que les groupes de
jeunes Interahamwe et Impuzamugambi avaient commencé à scander, et que tout cela s’était
traduit en actes916. Le conseil de Ngeze a interrogé le témoin AFB sur certains détails de sa
déclaration, celui-ci a corrigé les dates auxquelles il avait quitté le Rwanda et y était retourné
en 1994. Il a aussi précisé les dates de plusieurs événements qu’il avait décrits concernant ses
papiers d’identité917. Le témoin AFB a été interrogé sur ses rapports avec Ngeze et sur des
déclarations qu’il avait faites concernant le rôle de ce dernier dans Kangura, qu’il a
précisées.918 Il a identifié des photographies de Ngeze et de son frère et a dit qu’il pouvait les
distinguer919. Le conseil a avancé que le nom donné comme nom de famille du témoin AFB
dans ses déclarations n’était pas son vrai nom et a voulu examiner ses papiers d’identité et
passeport, soutenant qu’il était venu sous un faux nom. Le témoin a précisé qu’il avait
modifié son nom pour des raisons religieuses. Il a dit qu’il n’avait pas été payé pour
témoigner, comme l’avait laissé entendre le conseil, et que cela aurait été incompatible avec
sa religion920. La Chambre observe que la déposition du témoin AFB n’a pas été contredite
valablement au cours du contre-interrogatoire. On n’a pas rapporté la preuve d’incohérences
ou de contradictions importantes. Pour ces raisons, la Chambre conclut que la déposition du
témoin AFB est digne de foi.
816. Omar Serushago, leader Interahamwe de Gisenyi, a plaidé coupable et a été reconnu
coupable de génocide et de crimes contre l’humanité le 5 février 1999 et condamné à
15 années d’emprisonnement. Son appel contre ce jugement a été rejeté le 6 avril 2000, et il
purge actuellement sa peine. Selon les faits reconnus dans son plaidoyer de culpabilité,
Serushago a personnellement tué quatre Tutsis, et 33 autres personnes ont été tuées par des
miliciens sous ses ordres. Il a affirmé qu’il avait plaidé coupable après avoir appris qu’il était
accusé d’avoir commis des crimes au Rwanda et était recherché par le Tribunal. Le témoin a
déclaré qu’il l’avait fait sans que des promesses ou des menaces lui aient été faites. Il est
devenu un informateur du Bureau du Procureur pour aider le Tribunal à arrêter les tueurs et
rendre public ce qui était arrivé au Rwanda. Serushago a participé à l’arrestation de
Hassan Ngeze921. Il est Hutu922. Sa mère et sa femme sont Tutsies923.
817. Serushago a subi un contre-interrogatoire approfondi, et plusieurs incohérences et
contradictions importantes ont été relevées dans sa déposition. Contre-interrogé par le conseil
de Barayagwiza, Serushago a dit qu’il était 10 heures du matin le 7 avril lorsqu’il a vu Ngeze
dans la Hilux en train de transporter des fusils, des machettes et des grenades, et qu’il était
allé à la boutique chercher son fusil avant de voir Ngeze. Il avait d’abord déclaré qu’il avait
vu Ngeze à 7 heures du matin le 7 avril. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer la différence
d’heures, Serushago a dit qu’il s’agissait d’une petite confusion et qu’il n’y avait pas
beaucoup de différence entre 7 heures et 10 heures du matin924. Serushago a affirmé que le
916

Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 69 à 74.
Ibid., p. 80 à 85.
918
Ibid., p. 113 à 122.
919
Compte rendu de l’audience du 7 mars 2001, p. 63 et 64.
920
Ibid., p. 65 et 66.
921
Ibid., p. 59 à 63.
922
Compte rendu de l’audience du 15 novembre 2001, p. 7.
923
Ibid., p. 10 et 11, 13 à 15 ainsi que 25 et 26, et compte rendu du 22 novembre 2001, p. 119 à 122.
924
Compte rendu de l’audience du 22 novembre 2001, p. 80 à 85.
917

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

colonel Rwendeye avait assisté à deux réunions de l’escadron de la mort en 1993 et au début
de 1994. Mis devant le fait que le colonel Rwendeye était mort en 1990, il a contesté ce fait et
a répondu que le colonel Rwendeye était mort à la fin de 1992. Lorsqu’on lui a fait observer
que cette réponse n’avait pas de sens, Serushago a tenté de revenir sur sa déposition, en disant
qu’il avait déclaré que les réunions avaient eu lieu à la fin de 1992 et en 1993 plutôt qu’à la
fin de 1993 et en 1994925. Serushago a mentionné à la barre les noms de trois Tutsis qui
avaient été tués en 1993 sur les ordres de Barayagwiza. Or il a affirmé que les noms des
victimes avaient été mentionnés à la réunion de 1994 ainsi qu’à celle de 1993. Lorsqu’on lui
a demandé comment cela était possible, puisqu’en 1994 elles avaient déjà été tuées, il a dit
qu’elles avaient été tuées en 1993 mais qu’à la réunion de 1994 d’autres victimes avaient été
nommément désignées 926 . Serushago a déclaré à la fois qu’il avait entendu Barayagwiza
donner à ses hommes ces ordres de tuer, et qu’il n’avait pas entendu Barayagwiza dire cela,
mais plutôt qu’il l’avait appris des hommes eux-mêmes qui le lui avaient dit. Ces
contradictions ainsi que d’autres relevées dans la déposition de Serushago concernant les
escadrons de la mort sont discutées plus en détail au paragraphe 816.
818. Serushago a également été contre-interrogé relativement aux contradictions existant
entre sa déposition et ses déclarations écrites. Dans sa déclaration du 10 mars 1998, il avait
dit qu’il ne savait pas si la personne qu’il avait vu Ngeze abattre était une femme ou un
garçon. Il a déclaré que, lorsque les corps avaient été enterrés, après qu’ils eurent été
déshabillés, il s’était rendu compte que c’était un homme. Il n’a pas expliqué pourquoi il
avait dit dans sa déclaration de 1998 qu’il ne ne connaissait pas le sexe de la personne qui
avait été tuée, alors qu’en fait il savait qu’il s’agissait d’un homme depuis ce jour-là. Il a
simplement maintenu que c’était un homme qui avait été tué. Interrogé par la suite par la
Chambre concernant ses souvenirs, Serushago a dit que, quand il pensait à la pile de corps à
la Commune rouge, cela pouvait le faire pleurer, mais que quand il y avait pensé plus tard il
s’était rendu compte que c’était un homme. Il était près de l’homme lorsque celui-ci a été tué
et il n’y avait pas d’obstacle à sa vue. Interrogé de nouveau par la Chambre sur la raison pour
laquelle il n’avait pas précisé le sexe de la personne tuée, il a dit que, même si lui-même avait
tué, la vue du sang était quelque chose de terrible. Il a déclaré avoir fait attention lors de son
audition, se disant qu’il pourrait oublier ou faire une erreur. Il a de nouveau fait état de tout le
sang qu’il avait vu927.
819. Contre-interrogé sur sa déclaration du 3 février 1998, laquelle ne mentionnait ni
Ngeze ni la Commune rouge, Serushago a dit qu’il n’y avait eu aucun incident au barrage de
La Corniche du 13 au 20 avril 1994 et qu’ils n’avaient pas participé aux opérations928. Invité à
expliquer comment il pouvait avoir été à la Commune rouge puisqu’il avait dit qu’il était au
barrage de La Corniche à la même époque, Serushago a répondu que la distance séparant le
barrage routier de la Commune rouge n’était pas grande, environ trois kilomètres, et qu’il
pouvait aller et venir entre les deux. Il a confirmé que rien ne s’était passé pendant cette
période au barrage routier 929 . En contre-interrogatoire, Serushago a été confronté à une
925

Compte rendu de l’audience du 21 novembre 2001, p. 144 à 149.
Compte rendu de l’audience du 27 novembre 2001, p. 83 à 92.
927
Comptes rendus des audiences du 20 novembre 2001, p. 85 à 88, et du 27 novembre 2001, p. 76 à 79 et 94
à 96.
928
Pièce 3D72.
929
Id. ; compte rendu de l’audience du 20 novembre 2001, p. 96 à 104 ; pièce 3D72.
926

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déclaration dans laquelle il mentionnait seulement cinq groupes de miliciens à Gisenyi, au
lieu de six, sans faire état de Ngeze. La déclaration constate la réponse de Serushago à une
question complémentaire relative au frère de Ngeze ; Serushago confirmait que celui-ci était
le chef d’un autre groupe et faisait partie de la CDR. Il a confirmé de nouveau qu’il y avait
six groupes et a dit que, bien qu’il n’ait pas mentionné le sixième groupe dans sa déclaration,
il était constitué de Ngeze et de son frère930. La Chambre observe que dans sa déclaration,
suite de questions et de réponses, Serushago n’avait pas été interrogé sur le rôle de Ngeze
dans ce groupe.
820. Il y a beaucoup d’autres contradictions entre la déposition de Serushago et ses
déclarations en ce qui a trait à Barayagwiza. Ces contradictions, qui sont détaillées au
paragraphe 816, incluent une déclaration qu’il a faite en février 1998 selon laquelle il était
seulement au courant d’une réunion à l’Institut Saint-Fidèle, et qu’il n’y avait pas participé
mais en avait eu le récit de Kiguru, le fils de son frère aîné. Serushago a dit qu’il avait parlé
un « français approximatif » sans interprète et que des erreurs pouvaient avoir été commises.
Réinterrogé, Serushago a confirmé ses dires selon lesquels lui et Kiguru avaient assisté à ces
réunions 931 . À la barre, Serushago a relaté un incident survenu à l’hôtel Méridien en
juin 1994 au sujet du meurtre d’une religieuse hutue à la Commune rouge, dans lequel
Barayagwiza et d’autres étaient intervenus pour résoudre un conflit qui s’était élevé à la suite
de ce meurtre. Or, dans sa déclaration, il n’avait pas mentionné Barayagwiza comme ayant
joué un rôle dans cet incident, mais seulement les autres. Serushago a maintenu ce qu’il avait
dit à la barre et ajouté qu’il devait s’être trompé932. En contre-interrogatoire, de nombreuses
omissions semblables ont été relevées.
821. La Chambre a trouvé Serushago confus et parfois incompréhensible dans sa
déposition. Il n’a pas relaté les événements de façon précise et avait des difficultés à répondre
aux questions clairement. Dans beaucoup de cas, la Chambre a pu finir par comprendre sa
déposition et lui donner un sens en lui posant des questions complémentaires. Des lacunes
demeurent toutefois, et ses réponses aux questions qui lui ont été posées en contreinterrogatoire n’avaient souvent aucun sens. Par exemple, il a été longuement interrogé sur
les preuves qu’il avait de l’existence de l’escadron de la mort. La preuve, a-t-il répondu, était
que les membres de l’escadron de la mort préparaient le génocide et il a dit qu’il parlait de
Barayagwiza, de Ngeze, de Kangura et de la RTLM933. La Chambre relève qu’il a souvent
ajouté plus de détails qui incriminaient les accusés qu’il n’y en avait dans ses déclarations,
mentionnant pour la première fois dans sa déposition leur présence à des réunions ou leur rôle
dans l’entraînement des Interahamwe ou la distribution d’armes. Dans ses déclarations,
Serushago avait aussi tendance à minimiser sa propre participation aux événements rapportés.
Dans certains cas, la Chambre observe qu’il y a des raisons à ces omissions. Serushago n’a
pas été interrogé sur le rôle de Ngeze dans la milice de la CDR, par exemple, lorsqu’il a
mentionné seulement le frère de celui-ci. La question qui lui a été posée portait uniquement
sur le frère de Ngeze.

930

Compte rendu de l’audience du 19 novembre 2001, p. 135 à 142.
Comptes rendus des audiences du 21 novembre 2001, p. 113 à 125, et du 27 novembre 2001, p. 29 à 32.
932
Compte rendu de l’audience du 22 novembre 2001, p. 97 à 99 ainsi que 100 et 101.
933
Ibid., p. 84 à 91.
931

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822. La Chambre a fait des efforts répétés, comme les conseils, pour clarifier les dires de
Serushago sur le meurtre d’un homme tutsi à la Commune rouge. La justification avancée par
Serushago, qu’il n’avait découvert le sexe de la victime qu’après le meurtre, n’explique pas
pourquoi il ne savait pas plusieurs années plus tard dans un entretien avec des enquêteurs si la
victime était une femme ou un garçon. Serushago a été incapable de répondre clairement à
cette question. Ce que la Chambre a compris d’après ses différentes réponses, c’est que les
massacres à la Commune rouge avaient été traumatisants pour lui et qu’il était toujours hanté
par le souvenir de tout le sang qu’il y a vu. Il a dit qu’il craignait, lorsqu’il avait été interrogé
par les enquêteurs, d’oublier ou de faire une erreur, et il avait répondu prudemment, se
souvenant par la suite que c’était un homme qui avait été tué. La Chambre note que
Serushago a déclaré ne pas savoir, au moment où cette personne tutsie a été tuée, de quel sexe
celle-ci était, mais qu’il l’a découvert plus tard ce jour-là lorsque le corps a été enterré. Bien
qu’il ne soit pas impossible que Serushago n’ait pu se souvenir du sexe de la victime au
moment où celle-ci a été tuée à cause du traumatisme qu’il a subi, ce trou de mémoire
diminue, en tout état de cause, la fiabilité de sa déposition.
823. Plusieurs contradictions majeures ont été relevées au cours de la déposition de
Serushago, comme le fait que le colonel Rwendeye ne pouvait pas avoir été présent à une
réunion en 1993 ou en 1994, puisqu’il serait mort en 1990. Même s’il était mort en 1992,
ainsi que le soutenait Serushago, il n’aurait toujours pas pu avoir assisté à des réunions en
1993 ou au début de 1994, comme Serushago l’a affirmé à l’audience. Les nouvelles dates
qu’il a indiquées pour les réunions, tout en n’étant pas crédibles, pouvaient également, selon
la Chambre, traduire l’effort fait par le témoin pour donner un sens à ses souvenirs
défaillants. Mais de telles erreurs affectent directement la fiabilité du témoignage de
Serushago concernant la présence d’autres personnes, dont Barayagwiza et Ngeze, à ces
réunions ainsi qu’à d’autres.
824. Le conseil de Ngeze a donné à entendre que Serushago avait été payé par le Bureau
du Procureur pour témoigner. Serushago a répondu que l’argent qu’il avait reçu, environ
5 000 $, lui avait été versé pour payer des taxis et aider le Procureur à procéder à des
arrestations 934 . Il a reconnu qu’il n’avait pas mentionné Ngeze dans son accord de
reconnaissance de culpabilité ; la Chambre prend acte de cette omission935. La Chambre tient
pour acquis que l’argent versé à Serushago était destiné à payer les frais qu’il a exposés
pendant la longue période de temps au cours de laquelle il a coopéré avec le Bureau du
Procureur dans les enquêtes. Consciente du fait que Serushago est un complice et du
caractère confus de sa déposition et des contradiction qui l’entachent, la Chambre, bien
qu’elle accepte beaucoup des éclaircissements et des explications avancés par Serushago,
considère que sa déposition n’est pas fiable d’une manière constante et accepte son
témoignage avec prudence, s’appuyant sur celui-ci seulement dans la mesure où il est
corroboré.
Appréciation des éléments de preuve

934
935

Compte rendu de l’audience du 19 novembre 2001, p. 23 à 32 ; pièce 3D73.
Compte rendu de l’audience du 19 novembre 2001, p. 1 à 3 ; pièce 3D72.

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825. Le témoignage de Serushago selon lequel Hassan Ngeze transportait des armes dans
un véhicule Hilux rouge le matin du 7 avril 1994 est corroboré par celui du témoin EB qui a
dit avoir vu Ngeze le matin du 7 avril dans un taxi rouge équipé d’un haut-parleur. Le témoin
AHI a vu Ngeze tôt le matin, en tenue militaire, portant un fusil. Le témoin AGX a également
vu Ngeze le 7 avril vers 14 h 30, passer sur la route dans un véhicule à bord duquel se
trouvaient des Interahamwe et des Impuzamugambi, équipés de différents types d’armes et
utilisant un mégaphone pour appeler le public à débusquer l’ennemi et ses complices. Le
témoin EB a donné un compte rendu clair et détaillé d’une attaque lancée ce jour-là contre la
population tutsie à Gisenyi par les Interahamwe, attaque dont lui-même et sa famille ont été
les victimes. Il a vu son frère tué, le corps de sa soeur enceinte subir des atteintes sexuelles et
sa mère attaquée avec un gourdin garni de clous et tuée. Il a lui-même été gravement blessé.
Bien qu’il n’y ait pas de preuve que Hassan Ngeze ait été présent durant ces meurtres, c’est
lui qui a ordonné cette attaque au moyen d’un haut-parleur installé sur son véhicule. Il a
ordonné aux Interahamwe de tuer les Tutsis et envoyer certains d’entre eux à la Commune
rouge creuser des tombes. Les corps – et il y en avait beaucoup selon le témoin EB – ont été
ensuite transportés à la Commune rouge et enterrés. La description de l’attaque donne à
penser qu’elle a été planifiée méthodiquement. Les armes ont été distribuées à partir d’un lieu
central, la maison de Samvura, où le témoin EB a vu les Interahamwe venir les chercher. Les
tombes ont été creusées à l’avance, et des véhicules ont été prévus pour transporter les corps.
Le bref dialogue rapporté entre les Interahamwe et la mère du témoin EB, avant qu’elle ne
soit frappée à coups de gourdin sur la tête, indique que les assaillants et leurs victimes se
connaissaient. Les assaillants se sont étonnés qu’elle fût toujours en vie, ce qui indique que
les Interahamwe avaient l’intention de tuer tous leurs voisins tutsis.
826. Ngeze a invoqué un alibi pour le 7 avril 1994. La Chambre a examiné les éléments de
preuve produits par Ngeze et les témoins à décharge, qui fourmillent tous de contradictions.
Ngeze a témoigné qu’il avait été arrêté le soir du 6 avril et libéré le 9 avril. La lettre adressée
au colonel Nsengiyumva, dont la formulation suggère qu’elle a été écrite le 8 avril, a amené
Ngeze à modifier sa déposition pour dire qu’il l’avait écrite le soir du 9 avril, et non pas le
10 avril, comme il ressort de la lettre elle-même et comme il l’avait initialement dit. En
comptant les deux jours à partir du 6 avril, Ngeze a aussi dit, dans un effort apparent pour
aller jusqu’au 9 avril, qu’il avait été arrêté le 7 avril. Le document déposé par l’avocat de
Ngeze pour informer le Procureur de l’alibi invoqué indique que Ngeze a été incarcéré par les
militaires le 7 avril 1994936. La réponse du conseil de la Défense indiquant les points de fait
reconnus précise aussi que Ngeze a été incarcéré le 7 avril 1994, comme d’ailleurs les
dernières conclusions écrites du conseil de Ngeze937. Compte tenu du fait que cette lettre a été
versée au dossier à la dernière minute et de manière irrégulière et des questions qu’elle
soulève, la Chambre prend acte des soupçons que nourrit le Procureur quant à l’authenticité
de ce document et les partage.
827. Bien que la Chambre le lui eût expressément demandé, Ngeze n’a pu fournir de
simples précisions concernant l’alibi, telles que les dates et les motifs de ses arrestations. Il
936

Notification d’alibi déposée le 20 janvier 2003 conformément à l’article 67 a) ii) du Règlement de procédure
et de preuve, TPIR Réf. n° 30653-30651.
937
Réponse déposée par le conseil de la Défense le 16 octobre 2000 en vertu de l’article 73 bis du Règlement,
indiquant les points de fait reconnus (TPIR. 3786-3737), p. 36, par. 5.30 ; dernières conclusions écrites de la
Défense, p. 125, par. 600.
Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

s’est borné à déclarer qu’il avait été arrêté huit fois d’avril à juin 1994. Cette réponse n’étaye
aucunement l’alibi. En outre, elle diffère nettement des informations données sur le site
internet sous le nom de Ngeze, lesquelles font état de plusieurs brèves arrestations d’une
journée en avril et ne mentionnent pas son arrestation du 6 au 9 avril 1994. Il ressort de la
preuve produite que Ngeze contrôle ce site internet, car y figurent des informations qui ne
pouvaient provenir que de lui et il indique l’adresse de ce site internet sur toute sa
correspondance. La Chambre fait observer que le conseil de Ngeze s’est inquiété en
décembre 2002 du fait que Ngeze publiait des informations confidentielles sur internet938.
828. Les témoins à décharge ont aussi fait des dépositions totalement contradictoires en ce
qui concerne les dates auxquelles Ngeze aurait été arrêté et libéré en avril 1994. Si plusieurs
ont affirmé qu’il avait été arrêté le 6 avril, un a dit qu’il avait été arrêté le 5 avril, un autre a
dit qu’il avait été arrêté le 7 avril, et un autre encore a affirmé qu’il s’était caché le 6 avril,
non qu’il avait été arrêté. Plusieurs témoins ont affirmé que Ngeze avait été libéré le 9 avril et
plusieurs autres que c’était le 10 avril. Point plus important, tous les témoins à décharge
n’étaient au courant que de seconde main de l’arrestation de Ngeze. Leurs sources
d’information étaient vagues, à l’exception de trois témoins qui avaient appris l’arrestation de
Ngeze de lui-même.
829. Compte tenu des contradictions relevées dans la déposition de Ngeze lui-même ainsi
qu’entre celles des témoins à décharge, et compte tenu aussi du caractère et de l’origine peu
fiables des informations qu’ils relataient, la Chambre juge que la défense d’alibi n’est pas
crédible (voir paragraphe 99). Quatre témoins à charge ont vu Ngeze le 7 avril 1994. Leur
témoignage de visu sous serment n’est pas ébranlé par les témoignages à décharge de seconde
main ni par la déposition contradictoire de Ngeze lui-même. De plus, la Chambre fait
remarquer que, même s’il avait été arrêté le 6 ou le 7 avril, Ngeze, selon l’heure de son
arrestation et la durée de sa détention, qui aurait pu n’être que de quelques heures, n’aurait
pas été empêché de participer aux événements décrits par les témoins à charge.
830. Serushago a relaté à la barre un autre massacre survenu une semaine plus tard, entre le
13 et le 20 avril, à la Commune rouge. Il a dit qu’il avait vu Ngeze tirer sur un Tutsi après
avoir demandé pourquoi on l’avait fait attendre et non pas tué immédiatement. L’exécution
devait servir d’exemple à d’autres sur la manière de tuer. Les dires de Serushago n’étant pas
corroborés, la Chambre ne peut se fonder uniquement sur eux pour établir le bien-fondé de
l’accusation portée contre Ngeze. La Chambre prend acte de la déposition du témoin EB,
selon laquelle son cousin lui avait dit qu’il avait été à la Commune rouge et qu’il y avait vu
Ngeze en train d’inspecter les corps et d’achever ceux qui n’étaient pas tout à fait morts. Bien
que la Chambre considère le témoin EB comme digne de foi, il s’agit là d’un témoignage de
seconde main n’ayant aucun lien avec le meurtre du Tutsi dont parle Serushago. Selon la
Chambre, il ne peut être accepté sans autre corroboration pour tirer une conclusion lourde de
conséquence pour l’accusé.
831. Le témoin AHI a déclaré que Ngeze avait pris part à la distribution d’armes le soir du
8 avril 1994, après une réunion tenue ce jour-là au cours de laquelle il a fait part, au nom des
Impuzamugambi, de leurs besoins en armes supplémentaires. Le témoin AFX a vu au moins
938

Compte rendu de l’audience du 4 décembre 2002, p. 6.

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50 fusils chez Ngeze, que celui-ci a lui-même montrés au témoin. Omar Serushago a affirmé
qu’il avait vu Ngeze le matin du 7 avril transporter des armes, notamment des fusils, des
grenades et des machettes. Il l’a vu de nouveau entre le 13 et le 20 avril avec le même
véhicule, stationné et contenant des fusils, des grenades et des machettes. Serushago a dit que
Ngeze et son frère étaient membres d’un groupe qui s’est réuni tous les soirs, d’avril à
juin 1994, afin de rendre compte du nombre de Tutsis tués, et que Ngeze venait souvent à ces
réunions. La Chambre accepte les dépositions des témoins AHI et AFX, selon lesquelles
Ngeze entreposait et distribuait des armes et est intervenu pour procurer des armes aux
Impuzamugambi. Ces dépositions corroborent celle de Serushago qui a affirmé avoir vu
Ngeze avec des armes dans son véhicule.
832. Un certain nombre de témoins à charge ont vu Ngeze habillé en tenue militaire et
armé d’un révolver. Ngeze soutient que ces témoins mentent, et plusieurs témoins à décharge
ont affirmé qu’il portait des vêtements musulmans ou civils, non pas une tenue militaire, et
qu’il n’avait pas de révolver. La Chambre accepte ce que disent les témoins à décharge, à
savoir qu’ils ont vu Ngeze en vêtements musulmans ou civils et non armé. Cela n’empêche
pas qu’il ait pu y avoir d’autres occasions où il s’habillait en tenue militaire et était armé. La
Chambre observe qu’en contre-interrogatoire, une photo de Ngeze en tenue militaire dans
Kangura a été montrée au témoin RM13. Celui-ci a déclaré qu’il n’avait jamais vu Ngeze
habillé de cette manière, ce qui montre que les dépositions des témoins à décharge ne sont
pas nécessairement en contradiction avec celles des témoins à charge sur ce point.
833. Le témoin AHI a vu Ngeze à des barrages routiers à Gisenyi en 1994 et a dit qu’il
était de ceux qui avaient fait établir des barrages routiers additionnels cette année-là. Il a
affirmé que Ngeze était à un barrage ou le surveillait et donnait des instructions à d’autres
aux barrages : arrêter et fouiller les véhicules, vérifier les cartes d’identité et « mettre à part »
les personnes d’appartenance tutsie. Celles-ci étaient transportées et tuées à la Commune
rouge. Omar Serushago a déclaré que Ngeze allait et venait dans la ville de Gisenyi,
sélectionnait des Tutsis aux barrages routiers et les envoyait à la Commune rouge pour les
tuer. Il a dit qu’il avait personnellement vu plusieurs fois Ngeze sélectionner des Tutsis aux
barrages routiers. La Chambre observe que la déposition du témoin AHI corrobore celle de
Serushago qui a affirmé que Ngeze a joué un rôle actif et de supervision dans l’identification
et le ciblage des Tutsis aux barrages routiers, lesquels ont ensuite été tués à la Commune
rouge.
834. De nombreux témoins à charge ont affirmé avoir vu Ngeze dans un véhicule équipé
d’un mégaphone. Omar Serushago a dit qu’en février 1994, après la mort de Bucyana, Ngeze
parcourait la ville dans son véhicule, sur lequel avait été installé un mégaphone, en disant que
c’en était fait pour les Tutsis, après avoir reçu un fax de Barayagwiza. Le témoin ABE a vu
Ngeze appeler des militants de la CDR à des meetings. Le témoin AAM l’a vu transporter des
Impuzamugambi dans une camionnette équipée d’un mégaphone à une manifestation de la
CDR à Gisenyi, au cours de laquelle on scandait Tuzatsembatsembe ou « exterminons-les ».
Le témoin AEU l’a vu en tête du cortège se rendant aux meetings de la CDR, parlant dans le
mégaphone et disant qu’il allait tuer et exterminer les Inyenzi, c’est-à-dire les Tutsis.
Plusieurs témoins à décharge ont affirmé que Ngeze n’avait pas ou ne pouvait pas avoir eu de
mégaphone dans son véhicule, tandis que d’autres ont mentionné d’autres personnes
nommées Hassan qui disposaient de mégaphones et auraient pu être confondues avec Ngeze.
Jugement et Sentence
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291

Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Ici encore, la Chambre observe que ces dépositions n’excluent pas que des témoins à charge
aient pu voir Ngeze avec un mégaphone. Il ressort des dépositions des témoins à charge que
Ngeze a fréquemment utilisé un mégaphone avec son véhicule pour aller et venir et mobiliser
les militants de la CDR et d’autres contre les Inyenzi, c’est-à-dire les Tutsis.
835. Le témoin AGX a déclaré que Ngeze l’avait personnellement dénoncé lui-même et
d’autres comme des complices de l’ennemi et qu’il le traitait d’icyitso, ou complice lorsqu’ils
se voyaient. Le témoin AFB a dit que Ngeze le traitait régulièrement d’Inyenzi. Le témoin
LAG a entendu et vu Ngeze dire, à l’enterrement de Bucyana, que si Habyarimana devait
mourir, « nous ne pourrions pas épargner les Tutsis ». Ces commentaires indiquent à nouveau
et de manière claire que Ngeze était déterminé à s’en prendre à la population tutsie et qu’il
s’est appliqué énergiquement et activement à cette tâche.
Conclusions factuelles
836. La Chambre conclut que Hassan Ngeze a ordonné aux Interahamwe à Gisenyi, le
matin du 7 avril 1994, de tuer des civils tutsis et de prendre les mesures voulues pour les
enterrer à la Commune rouge. Beaucoup ont été tués dans les attaques qui ont eu lieu
immédiatement après et plus tard le même jour. Parmi ceux qui ont été tués figuraient la
mère, le frère et la soeur enceinte du témoin EB. Deux femmes, dont une était la mère de
Ngeze, ont inséré les baleines métalliques d’un parapluie dans le corps de sa sœur. L’attaque
qui s’est soldée par ces meurtres notamment a été méthodiquement planifiée, les armes ayant
été distribuées à l’avance et les dispositions prises pour transporter et enterrer ceux qui
devaient être tués.
837. La Chambre conclut que Ngeze a aidé à obtenir et distribuer, a entreposé et transporté
des armes devant être utilisées contre la population tutsie. Il a établi, garni d’hommes et
supervisé des barrages routiers à Gisenyi en 1994 où l’on identifiait les civils tutsis visés qui
étaient ensuite emmenés et tués à la Commune rouge. Ngeze allait et venait souvent dans son
véhicule équipé d’un mégaphone, mobilisant la population pour qu’elle vienne aux meetings
de la CDR et diffusant le message que les Inyenzi seraient exterminés, ce terme visant et étant
compris comme visant la minorité ethnique tutsie. Aux funérailles de Bucyana, en février
1994, Ngeze a dit que si le Président Habyarimana devait mourir, les Tutsis ne seraient pas
épargnés.
7.4

Sauver les Tutsis

838. Le témoin à charge AEU a déclaré que, le 12 avril 1994, une femme qu’elle
connaissait était venue la voir à la maison de son employeur où elle avait cherché refuge. La
femme lui a dit que Hassan Ngeze avait rassemblé plusieurs femmes et les aidait. Le témoin
AEU a décliné son invitation à les rejoindre et lui a demandé de ne dire à personne qu’elle
l’avait vue ni où elle se trouvait. Lorsqu’ils étaient revenus d’exil, à la fin de la guerre, cette
femme est venue s’excuser auprès du témoin AEU et lui a dit que Ngeze avait livré les
femmes qu’elle avait mentionnées aux Interahamwe du secteur qui les avaient tuées. Elle a
dit que c’était Ngeze qui avait donné la consigne d’appeler toutes les femmes et lui avait
demandé de venir. Cette femme était aussi une musulmane et c’est pour cette raison qu’elle
avait pensé appeler le témoin AEU. En contre-interrogatoire, le témoin AEU a précisé que,
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lorsque Ngeze s’était occupé de ces femmes, il avait prétendu qu’il les protégeait, mais, que,
plus tard, il avait permis aux Interahamwe de les tuer. Toutes les femmes musulmanes qui
avaient pu partir l’avaient fait, mais les non-musulmanes, dont les catholiques comme ellemême, n’ont pas pu partir. Elle a dit que Ngeze protégeait les gens de sa religion939.
839. Le témoin AEU a dit que, le 29 avril 1994, Hassan Gitoki était venu chez son
employeur avec des Interahamwe pour la chercher. Elle lui a demandé s’ils étaient venus
pour la tuer, il lui a répondu que Hassan Ngeze les avait envoyés pour la sauver elle et ses
enfants. Ngeze avait écrit à son employeur en lui demandant 1 000 dollars pour sauver ses
enfants et avait dit que, si l’argent ne lui était pas remis, ils les tueraient. Pour les trois enfants
qui avaient de gros nez, il avait demandé 300 dollars, et pour le témoin AEU et l’autre enfant,
qui avaient de longs nez, il avait demandé 700 dollars. Son employeur a payé l’argent et
Hassan Gitoki a aidé les trois enfants à passer la frontière. À cause de la présence au barrage
routier de deux personnes qui étaient considérées comme particulièrement difficiles, on l’a
d’abord conduite chez le préfet pour se faire délivrer un laissez-passer, qu’elle a obtenu. Elle
a dit que Gitoki a dû s’enquérir de Ngeze s’il pouvait demander un laissez-passer pour elle
parce qu’elle avait un long nez. Ils ont été emmenés à la frontière dans la voiture de Ngeze.
Le témoin AEU a dit qu’ils n’étaient pas passés par le poste frontière, mais que Gitoki l’avait
confiée à un Interahamwe pour qu’il l’aide à passer par une bananeraie. Elle a dit qu’ils
s’étaient rendus compte qu’elle était tutsie et elle a été conduite à la Commune rouge. Avant
de l’y emmener, ils l’ont frappée à la tête, la laissant avec deux cicatrices, et essayé de
l’étrangler940.
840. À la Commune rouge, le témoin AEU a été amené près d’un trou très profond qui
avait été creusé. Elle a vu des gens y être tués et d’autres y être enterrés vivants. Elle a dit
qu’elle avait été amenée au bord du trou quatre fois et en avait eu assez de voir des gens tués.
Elle leur a alors dit qu’elle leur avait menti, qu’elle n’était pas hutue mais tutsie et leur a
demandé de la tuer mais de laisser son enfant, qui était hutu, vivre. Ils l’ont frappée et elle
était couverte de sang. Au moment où ils étaient sur le point de la tuer, ils ont regardé sa carte
d’identité et le laissez-passer délivré par le préfet. Ils ont discuté s’ils devaient la tuer elle et
son enfant et ont décidé de les laisser vivre. Après avoir regardé ces documents, ils lui ont dit
de retourner où elle habitait. Elle est retournée chez elle et Hassan Gitoki est venu la voir à 18
heures. Il était content qu’elle n’eût pas mentionné son nom ou celui de Ngeze et l’a
emmenée chez lui parce qu’elle saignait. Elle était restée chez lui pendant trois jours, durant
lesquels la femme de Gitoki a pris ses bijoux, lui ordonnant en la menaçant avec une grenade
de ne dire à personne qu’elle avait pris ses bijoux. Le témoin AEU a confié son enfant à une
femme hutue à qui elle avait rendu service par le passé et a fini par franchir la frontière dans
le véhicule de Ngeze, avec Gitoki au volant. Ngeze était venu chez Gitoki quand elle y était
et était entré dans la pièce où elle se trouvait, mais elle s’était couverte pour se cacher de lui
car elle avait peur. Elle a reconnu sa voix941.
841. Le témoin à charge AHA a déclaré que Ngeze avait sauvé une famille tutsie de trois
femmes et deux garçons et leur avait permis de loger chez lui. Il a dit qu’il était souvent
939

Comptes rendus des audiences du 26 juin 2001, p. 52 à 56, et du 28 juin 2001, p. 42.
Compte rendu de l’audience du 26 juin 2001, p. 82 à 84.
941
Compte rendu de l’audience du 30 août 2001, p. 52, et du 26 juin 2001, p. 85 à 98.
940

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arrivé que des Hutus abritent des amis tutsis tout en commettant en même temps des crimes
contre d’autres Tutsis942.
842. Hassan Ngeze a dit que des musulmans tutsis avaient cherché refuge chez lui alors
qu’il était en prison et qu’il les y avait trouvés quand il était rentré. Il a décidé que la seule
façon de sauver ces gens était de les emmener au Congo, et il s’est avisé qu’il serait possible
de faire passer la frontière à des gens en les transportant dans des barils de pétrole. Il dirait
qu’il allait chercher de l’essence, ce qu’il avait fait. Parmi les gens qu’il avait ainsi sauvés, il
y avait deux familles, la famille d’un Tutsi âgé du nom de Gatama, le témoin RM19 et son
beau-frère. Ngeze a appris à d’autres comment se cacher dans les barils afin qu’il puisse les
prendre chez eux et leur faire passer la frontière. Il a aussi appris sa méthode pour sauver des
Tutsis à six personnes qui l’ont utilisée avec succès943. Il a engagé les services du témoin
BAZ15, qui était bien connu, pour l’aider à assurer leur sécurité944. Ngeze a affirmé avoir pu
sauver 20 Tutsis chaque jour, et qu’au total il avait sauvé plus de 400 Tutsis à Gisenyi entre
avril et juillet 1994. Si l’on incluait les autres Tutsis qu’il a emmenés de chez eux à Kigali à
l’hôtel des Mille Collines ou à la MINUAR, cela ferait plus de 1 000 au total945. En contreinterrogatoire, Ngeze a dit qu’il n’avait pas pris d’argent à ceux qu’il avait sauvés. Il a utilisé
la somme de 50 000 dollars du Gouvernement américain, qui lui avait été remise
personnellement par le chargé des affaires culturelles de l’ambassade américaine entre le
20 et le 22 mars 1994 pour l’aider à monter son entreprise de presse946.
843. Le témoin à décharge BAZ15 a déclaré que Ngeze avait caché des Tutsis chez lui et a
écrit le nom de quatre personnes et de deux familles qui avaient été sauvées par Ngeze947.
Ngeze a utilisé des barils pour les transporter au Zaïre d’où il rapportait de l’essence au
Rwanda. Le témoin BAZ15 a témoigné que des Tutsis et des métis arabes/tutsis s’étaient
cachés chez Ngeze et a nommé trois personnes et une famille qui étaient dans ce cas948. Il a
dit que Ngeze avait aidé des personnes à passer au Congo une vingtaine de fois949.
844. Le témoin à décharge RM19 a dit qu’elle avait prêté un véhicule à Ngeze pour faire
franchir la frontière à des Tutsis. Elle a nommé des Tutsis qui avaient été sauvés par Ngeze :
la famille de Gatama (y compris un enfant dont elle a écrit le nom950), la famille de Habib
Saleem, Caritas et sa jeune sœur ainsi qu’Antoine Mbayiha951.
845. Le témoin à décharge RM10, dont le mari est tutsi, a déclaré que Ngeze avait sauvé
son enfant et l’avait emmené au Congo, et qu’il avait aussi aidé la famille de Gatama et
d’autres952. Le témoin RM116, une Tutsie, a indiqué qu’elle-même, sa jeune soeur et son
bébé, parmi d’autres, s’étaient cachés chez Ngeze avant qu’il les emmenât au Zaïre dans un
942

Compte rendu de l’audience du 7 novembre 2000, p. 18 à 21 et 134.
Compte rendu de l’audience du 31 mars 2003, p. 26 à 28 et 29 à 32.
944
Ibid., p. 63.
945
Ibid., p. 58 et 59.
946
Compte rendu de l’audience du 4 avril 2003, p. 17 à 19.
947
Pièce à conviction 3D176.
948
Pièce à conviction 3D178.
949
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 25 à 28, 31 à 36, 40 et 41 ainsi que 47 et 48.
950
Pièce à conviction 3D172.
951
Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 5 et 6 ainsi que 14 et 15.
952
Compte rendu de l’audience du 20 janvier 2003, p. 11 et 12 ainsi que 27 et 28.
943

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baril dans une Toyota953. RM113 a déclaré que Ngeze l’avait sauvée, elle ainsi que d’autres,
Hutus et Tutsis, en les cachant dans des barils et en les conduisant au Congo. Elle a écrit les
noms de sept personnes sauvées dont elle a pu se souvenir954. Elle a affirmé également avoir
entendu Radio Muhabura louer Ngeze pour avoir sauvé des Tutsis955. Le témoin RM114 a
déclaré qu’elle s’était cachée chez Ngeze avec plus de 20 autres personnes, dont elle a
nommé cinq qui étaient des Tutsis956. Le témoin de la défense RM200 a affirmé que Ngeze
l’avait aidée ainsi que ses enfants à passer la frontière dans des barils de pétrole957.
846. Le témoin à décharge BAZ31 a déclaré que son ami Rashid lui avait dit que Ngeze
avait aidé une enfant tutsie du nom de Jeanne ainsi que d’autres à se rendre de Gisenyi au
Zaïre958. Selon le témoin BAZ2, Ngeze avait sauvé des Tutsis comme la femme de Kajanja,
Ali Kagoyire, Dative, Caritas et les filles de Charles959.
847. Le témoin à décharge RM5 a dit que Ngeze avait caché des Tutsis, parmi lesquels
Caritas et sa famille, Antoine Mbayiha, Gatama et sa famille, Habibu Musaliyama, et les
enfants de Lucie et Célestin960. Selon le témoin BAZ13, un militaire, sur le point d’aller
fouiller la maison de Ngeze, lui avait dit que celui-ci cachait des Inkotanyi chez lui où il
gardait aussi de nombreuses armes961. Le témoin RM112 a déclaré que beaucoup de gens
s’étaient réfugiés chez Ngeze. Celui-ci avait versé 250 dollars au témoin pour qu’il aide ceuxci, parmi lesquels il y avait aussi bien des Hutus que des Tutsis, à passer la frontière vers le
Zaïre dans des barils. Il a nommé Devota, Caritas, Mbayiha, Habib Muselyama, la famille de
Gatama, Mbarara et Mbaraga et bien d’autres encore962 . Le témoin à décharge RM118 a
affirmé que Ngeze avait aidé des Tutsis et a nommé Habib et sa famille, Gatama et sa famille,
Caritas et sa soeur Devota. Il a dit que certaines personnes avaient cherché refuge chez Ngeze
et que celui-ci les avait aidés à franchir la frontière963. Selon le témoin à décharge RM115,
des Hutus et des Tutsis avaient cherché refuge chez Ngeze. Le témoin a déclaré que Ngeze
avait aidé des gens à passer la frontière vers le Zaïre et il a nommé, parmi ceux-ci, Gatama et
ses enfants ainsi que Musariyama et sa famille964.
848. Selon le témoin à décharge RM1, Ngeze avait sauvé la vie de Tutsis, parmi lesquels
Barara, Gatama, Antoine Mbayiha, Devota, Musiama Habibe et sa famille Mbarasoro et
Caritas 965 . Le témoin à décharge RM2 a affirmé avoir vu chez Ngeze 10 femmes qui
attendaient que celui-ci les aide à passer la frontière. Le témoin a entendu dire plus tard par
Caritas que Ngeze l’avait aidée à passer la frontière 966 . Le témoin à décharge BAZ10 a
953

Compte rendu de l’audience du 3 mars 2003, p. 69 à 72.
Pièce à conviction 3D189.
955
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 28 à 32 ainsi que 42 et 43.
956
Pièce à conviction 3D195; Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 56 à 58.
957
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 24 à 26.
958
Compte rendu de l’audience du 27 janvier 2003, p. 9 et 10.
959
Compte rendu de l’audience du 29 janvier 2003, p. 6 et 7.
960
Compte rendu de l’audience du 21 mars 2003, p. 4 et 5.
961
Compte rendu de l’audience du 28 janvier 2003, p. 3.
962
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 4 à 6.
963
Ibid., p. 77.
964
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 6 et 7 ainsi que 17 et 18.
965
Ibid., p. 63 à 65 ainsi que 68 et 69.
966
Ibid., p. 75 et 76 ainsi que 81.
954

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déclaré que Ngeze avait sauvé un Tutsi nommé Chacha967. Le témoin à décharge BAZ33 a
affirmé que Ngeze avait sauvé des Tutsis mais ne pouvait se rappeler leurs noms 968 . Le
témoin à décharge RM300, une Tutsie, a dit que Ngeze avait caché beaucoup de Tutsis et les
avait aidés à passer la frontière, ainsi que ses enfants. Elle-même avait été aidée à passer la
frontière par un ami de Ngeze969. Le témoin à décharge BAZ3 a déclaré qu’elle avait entendu
dire par des gens de l’autre côté de la frontière que Ngeze avait sauvé des Tutsis, et avait
nommé Caritas et sa famille et sa soeur Devota, la famille d’Agnès et Mbarara et Babbe, la
femme de Yusuf Adeline970. Selon le témoin à décharge BAZ5, Ngeze avait sauvé des Tutsis,
notamment Caritas, sa mère et sa soeur Devota, et les trois enfants de Daniel Ruhumuliza971.
Le témoin à décharge BAZ6 a dit que Ngeze avait sauvé des Tutsis comme Caritas, Devota,
la femme de son oncle, la femme de Kajanja, et Muganda et ses enfants972. Selon le témoin
BAZ8, Ngeze a sauvé des Tutsis et les a aidés à passer la frontière vers le Zaïre973.
Credibilité des témoins
849. La Chambre a conclu que le témoignage du témoin AEU était digne de foi, ainsi qu’il
est dit au paragraphe 814. Le témoignage de Hassan Ngeze est examiné à la section 7.6. La
Chambre observe que la plupart des témoins à décharge cités ci-dessus ont déposé très
brièvement et ce sur un éventail limité de points. Dans certains cas, leur déposition a duré
moins d’une heure. Le contre-interrogatoire de ces témoins a été très limité. Plusieurs n’ont
d’ailleurs pas été contre-interrogés du tout. Le Procureur s’y est refusé invoquant le caractère
répétitif et cumulatif des dépositions des témoins qui ont affirmé que Ngeze avait sauvé des
Tutsis, la communication tardive du nom des témoins et l’impossibilité d’enquêter ainsi que
le moyen de droit tiré de ce que Ngeze ait sauvé quelques Tutsis ne l’exonère pas des autres
actes qu’il a commis 974. Cela étant, la Chambre accepte simplement la déposition de ces
témoins dans la mesure où ils ont déclaré que Ngeze avait sauvé des Tutsis.
Appréciation des éléments de preuve
850. La Chambre tient pour acquis que Ngeze a sauvé des Tutsis et observe que plusieurs
personnes qu’il a sauvées ont été nommées par lui et d’autres témoins à décharge. Il y a
beaucoup de chevauchement dans les noms qui ont été donnés et plusieurs noms de proches
parents de Ngeze, ce qui amène la Chambre à conclure qu’un petit cercle de personnes a été
sauvé par son intervention, en particulier des Tutsis de religion musulmane et des proches
parents tutsis. Sur le fondement de ces dépositions, la Chambre considère qu’il est hautement
improbable que Ngeze ait sauvé plus de 1 000 Tutsis comme il le prétend. L’expérience qu’a
vécue le témoin AEU pour traverser la frontière avec l’assistance de Ngeze témoigne de la
difficulté et des risques qu’il y avait de le faire sans être détecté. La Chambre relève
également que pour sauver le témoin AEU et ses enfants, Ngeze a extorqué à son employeur
967

Compte rendu de l’audience du 29 janvier 2003, p. 50 et 51.
Ibid., p. 36 à 39.
969
Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 85 et 86 ainsi que 87 et 88.
970
Compte rendu de l’audience du 15 mars 2003, p. 4 et 5.
971
Ibid., p. 14 et 15.
972
Ibid., p. 28 et 29.
973
Compte rendu de l’audience du 15 mars 2003, p. 60 et 61.
974
Compte rendu de l’audience du 29 janvier 2003, p. 36 à 39.
968

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la somme de 1 000 dollars pour leurs vies. En outre, le témoin AEU a affirmé que ceux qui
avaient participé à une autre initiative de Ngeze, présentée comme une intervention
humanitaire, avaient été en définitive trompés et conduits à leur mort par Ngeze plutôt que
sauvés par lui. La Chambre note que la méthode de Ngeze pour sauver des Tutsis en les
transportant dans des barils a aussi été l’occasion inédite d’un commerce lucratif d’essence,
carburant fort recherché, qu’il rapportait au Rwanda dans les barils. Au moment de son
arrestation, de son propre aveu, le compte bancaire de Ngeze présentait un solde positif
d’environ 900 000 dollars.
7.5

Ibuka

851. La Défense soutient qu’un certain nombre de témoins à charge ont été indûment
influencés dans leur déposition par l’organisation non gouvernementale rwandaise Ibuka.
Plusieurs témoins à charge ont été contre-interrogés sur le point de savoir si Ibuka leur avait
demandé de témoigner. Les réponses des témoins à charge qui ont dit connaître Ibuka ou
avoir été en contact avec elle avant de déposer sont résumées ci-dessous.
852. Les témoins AHA et ABH ont déclaré connaître l’organisation Ibuka mais ne pas
avoir été contactés par elle975. Le témoin MK avait entendu parler d’Ibuka mais a affirmé que
sa déposition n’avait pas été préparée avec l’assistance d’une personne d’Ibuka 976 . À la
question de savoir s’il était membre d’Ibuka, le témoin AHB a dit que seuls des rescapés
tutsis pouvaient en être membres, mais qu’il connaissait cette organisation parce qu’il avait
entendu des gens en parler. Il n’a pas tenté d’y adhérer977.
853. Il a été demandé au témoin EB s’il connaissait l’organisation Ibuka. Il a dit que oui et
l’a décrite comme une organisation de rescapés dont le but était de garder le souvenir vivant,
mais qu’elle était ouverte à tout le monde, même à des étrangers. Il en avait entendu parler à
la radio et savait que son siège était à Kigali. Il n’a jamais rencontré aucun de ses
représentants978.
854. Le témoin ABC a affirmé ne pas savoir que son employeur était un membre de haut
rang d’Ibuka. Il a dit que son employeur ne savait pas qu’il témoignerait devant le TPIR et
qu’il n’en avait pas parlé avec lui, bien qu’ils aient discuté des événements de 1994979.
855. Le témoin FS a dit qu’il était membre de LIDER, organisation qui faisait partie
d’Ibuka en tant qu’organe de coordination. LIDER avait le soutien du Gouvernement et
payait pour l’éducation d’enfants. L’objectif d’Ibuka était d’aider les rescapés du génocide,
aussi bien hutus que tutsis, veuves et enfants980. Le témoin FS a été interrogé à ce sujet et a

975

Comptes rendus des audiences du 6 novembre 2000, p. 87 et 88, et du 14 novembre 2001 (huis clos), p. 31.
Compte rendu de l’audience du 8 mars 2001, p. 57 à 59.
977
Compte rendu de l’audience du 28 novembre 2001, p. 73 à 76.
978
Compte rendu de l’audience du 16 mai 2001, p. 53 et 54.
979
Compte rendu de l’audience du 29 août 2001, p. 23 à 26. La déclaration en français indique le nom de son
employeur comme la préfecture dans laquelle le témoin habite, alors que celle en anglais mentionne la cellule et
le secteur où habite actuellement le témoin.
980
Comptes rendus des audiences du 7 février 2001, p. 104 à 109, et du 8 février 2001 (huis clos), p. 124 à 139.
976

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confirmé, comme il l’avait déjà dit à la barre, que l’aide était accordée sans distinction de
groupe ethnique981.
856. À la question de savoir s’il était membre d’Ibuka, le témoin AAM a répondu que
lorsque cette organisation avait été créée, tout le monde y avait adhéré, mais il a déclaré
n’exercer aucune fonction au sein de celle-ci. Il a dit qu’il n’avait pas été envoyé par Ibuka
pour témoigner et qu’il n’avait pas dit à quelqu’un d’Ibuka qu’il venait témoigner ni discuté
du contenu de son témoignage avec quelqu’un de cette organisation. Il avait utilisé l’adresse
de son ami « Aux bons soins d’Ibuka » pour pouvoir être contacté puisque le personnel du
TPIR ignorait où il habitait. Son ami est le président communal d’Ibuka982. Le témoin AAM a
dit qu’en tant que membre d’Ibuka, il ne payait aucune cotisation et n’avait pas de carte de
membre, faisant observer que c’était une association, non un parti politique. Il a dit qu’ils se
réunissaient pour aider les orphelins, les veuves et les invalides. Lui-même n’avait pas reçu
d’assistance d’Ibuka car il pouvait travailler983.
857. le témoin AFX a indiqué l’adresse du bureau d’Ibuka comme adresse de contact dans
une de ses déclarations. Il a expliqué qu’il avait travaillé à une époque au bureau d’Ibuka
pour aider les rescapés. Il a précisé plus tard qu’il ne travaillait pas directement pour Ibuka
mais plutôt qu’il était un bénévole pour un fonds qui assistait les rescapés, dans le même
bâtiment que le bureau d’Ibuka. Il a décrit Ibuka comme une organisation qui défend les
droits des rescapés mais n’a pas pu donner plus de renseignements. Il a nié qu’Ibuka préparait
les témoins qui venaient déposer au TPIR et a également nié avoir été recruté par Ibuka pour
être témoin dans la présente affaire. Il a déclaré n’avoir aucun lien avec Ibuka et n’avoir
informé personne au sein de cette organisation qu’il allait témoigner au TPIR984. Il a dit qu’il
n’avait pas été payé et qu’on ne lui avait pas promis d’argent en échange de son
témoignage985.
858. Le témoin AGX était membre d’Ibuka depuis 1998, mais n’occupait aucun poste au
sein de cette organisation. Une fois, Ibuka avait payé les droits d’inscription de son enfant à
l’école pour un trimestre alors qu’il était séparé de celui-ci pendant six mois. Le témoin a dit
qu’il n’avait pas discuté de son témoignage avec des membres d’Ibuka et que personne
d’Ibuka ne savait qu’il témoignait à Arusha. Il avait donné Ibuka comme point de contact à
Gisenyi parce que celle-ci savait comment trouver la personne de contact qu’il avait désignée.
Le témoin a nié qu’Ibuka l’ait payé pour témoigner à Arusha 986 . Il a expliqué qu’Ibuka
signifiait « souviens-toi » et que l’organisation assistait les personnes sans moyens
d’existence après la guerre987. Le témoin n’a reçu aucune promesse d’assistance en échange
de son témoignage988. Il a affirmé n’avoir aucun lien avec Ibuka989.

981

Compte rendu de l’audience du 7 février 2001, p. 119 à 130.
Compte rendu de l’audience du 12 février 2001, p. 125 à 131.
983
Compte rendu de l’audience du 13 février 2001, p. 100 à 105.
984
Compte rendu de l’audience du 8 mai 2001, p. 39 à 42 (huis clos).
985
Compte rendu de l’audience du 7 mai 2001, p. 56 à 71 (huis clos).
986
Comptes rendus des audiences du 11 juin 2001, p. 13 à 16, et du 12 juin 2001, p. 59 à 66.
987
Compte rendu de l’audience du 14 juin 2001, p. 119 à 121.
988
Compte rendu de l’audience du 18 juin 2001, p. 25 à 28.
989
Ibid., p. 44 à 48.
982

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859. le témoin AEU a dit être membre d’Ibuka 990 . Elle y avait adhéré lorsque
l’organisation avait été créée et elle l’a indiquée comme point de contact dans sa déclaration.
Elle a dit qu’elle avait adhéré à Ibuka parce que cela lui rappelait les personnes qui étaient
mortes991. Elle avait participé à des réunions d’Ibuka, mais ne pouvait pas dire combien de
fois. Elle avait reçu des médicaments, de la nourriture et de l’aide d’Ibuka à l’hôpital.
L’association l’avait aussi aidée à payer les droits d’inscription de ses enfants à l’école.992 Le
témoin AEU a dit qu’Ibuka ne savait pas qu’elle était venue témoigner à Arusha993.
860. Le témoin BU a été interrogé sur Ibuka, qu’il a décrite comme une association créée
pour aider les rescapés du génocide, les orphelins, les élèves et les handicapés physiques et
mentaux. Au cours de son travail bénévole à l’université, le témoin avait eu affaire avec
Ibuka et d’autres associations. Dans le cadre d’Ibuka, les écoles et les communes lui
envoyaient, en tant que spécialiste en physiologie, des dossiers concernant des enfants et des
adultes à suivre et il avait fait ce travail pendant deux ou trois ans994.
861. Le témoin WD était membre d’Ibuka depuis 1996. Il a décrit Ibuka comme une
organisation qui défend les droits des rescapés et les aide à résoudre leurs problèmes, par
exemple en matière d’éducation, de santé et de logement. Il ne savait pas si elle avait pris une
part active dans la poursuite des individus qui auraient été impliqués dans le génocide. Ibuka
suivait les procès en cours au Rwanda de près, mais le témoin ne savait pas si elle
s’intéressait aussi à ceux du TPIR. Les membres d’Ibuka tenaient des réunions, mais le fait
que le témoin déposerait n’avait pas été discuté au sein d’Ibuka, et il n’avait jamais vu
d’enquêteurs venir trouver l’organisation pour obtenir des témoins995.
862. Le témoin DM a déclaré que le témoin AFX était membre d’Ibuka, groupe de
rescapés qui inventait des faux témoignages contre les réfugiés demeurant à l’extérieur du
Rwanda, en pensant qu’ils ne reviendraient pas pour corriger ce qui avait été dit à leur sujet.
Selon lui, tous les témoins parrainés par Ibuka venaient à Arusha pour y faire un faux
témoignage car ils devaient faire un rapport sur leur déposition lorsqu’ils rentraient au
Rwanda, bien qu’il ne sût pas à qui ils remettaient ces rapports, ni la suite que leur donnait
Ibuka. Le témoin a dit que tout le monde connaissait les dates de leur départ et de leur retour
d’Arusha. S’ils ne répondaient pas aux questions comme Ibuka le voulait, leurs familles les
ostracisaient. Ibuka fournissait une assistance sous forme de nourriture à ceux qui venaient
témoigner996.
863.

Les dépositions des témoins à décharge concernant Ibuka sont présentées ci-dessous.

864. Selon le témoin F2, Ibuka est une organisation extrémiste en ce qu’elle n’oeuvre pas à
la réconciliation du peuple rwandais. Il a dit qu’Ibuka signifiait « Rappelle-toi »997. Le témoin
990

Compte rendu de l’audience du 26 juin 2001, p. 16 et 17.
Compte rendu de l’audience du 27 juin 2001, p. 143 à 149.
992
Compte rendu de l’audience du 28 juin 2001, p. 60 à 63.
993
Ibid., p. 81 et 82.
994
Compte rendu de l’audience du 27 août 2001, p. 20 à 24.
995
Compte rendu de l’audience du 6 février 2001, p. 112 à 116.
996
Comptes rendus des audiences du 11 septembre 2001, p. 107 à 111, et du 12 septembre 2001, p. 71 à 77.
997
Compte rendu de l’audience du 11 décembre 2002, p. 38 et 39 ainsi que 41.
991

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

RM10, qui a été arrêtée au Rwanda en septembre 1994 et détenue pendant une année sans
charge, a dit avoir quitté le Rwanda par crainte d’Ibuka qui avait contesté sa libération. Si elle
sortait de chez elle, on lui jetait des pierres 998 . Le témoin RM114 a affirmé avoir été
approchée par un membre d’Ibuka qui lui avait demandé de témoigner faussement contre
quelqu’un en disant qu’il avait tué ses frères. Elle avait refusé parce qu’elle n’avait pas été
témoin de ces événements999.
865. Le témoin RM10 a déclaré que lorsqu’elle était retournée au Rwanda en septembre
1994, elle avait été arrêtée et détenue pendant plus d’une année sans connaître les charges
retenues contre elle. Elle a dit plus tard qu’elle était accusée d’être complice du génocide.
Elle avait été violée et frappée en détention. Aucune preuve n’ayant été trouvée contre elle,
elle avait été remise en liberté. Ibuka avait demandé pourquoi elle avait été libérée et elle
avait dû se présenter chaque vendredi pour faire estampiller un document montrant qu’elle
était toujours dans le pays. Après un an, elle avait de nouveau été écrouée et mise en liberté
provisoire le 13 août 1998 après avoir passé plus d’un an en prison. Elle a enfin été
définitivement libérée en février 2001. Avant son emprisonnement, le 21 avril 1997, alors
qu’elle était chez elle, Ibuka ou des représentants du TPIR lui avaient rendu visite, à savoir
deux hommes blancs, une femme rwandaise et un soldat nommé Jeff. Ils lui avaient indiqué
ce qu’elle devait dire contre Kabuga, Moar et Ngeze. Lorsqu’elle avait affirmé qu’elle ne
connaissait pas Kabuga, ils lui avaient montré sa photographie. Elle avait dit qu’en revanche
elle connaissait Ngeze. La femme lui disait des choses, elle acquiescait et la femme disait
alors aux deux hommes de consigner les réponses. On lui avait également dit d’affirmer que
Kabuga et Ngeze s’étaient entendus pour apporter des armes à feu pour tuer des gens. On lui
avait offert 2 200 dollars et promis la sécurité pour elle et sa famille si elle faisait cette
déposition qui, selon le témoin, était fausse. Ils lui avaient aussi promis de meilleures
conditions de détention. Elle avait accepté. Ils ne lui avaient toutefois pas promis un
acquittement, elle avait ensuite été poursuivie et acquittée. Elle a affirmé qu’on avait
demandé à d’autres personnes, comme Bagoyi et Gershom, de faire aussi des faux
témoignages1000 Le témoin a quitté le Rwanda le 20 octobre 2001, uniquement parce qu’elle
avait peur d’Ibuka qui protestait à chaque fois qu’elle était libérée et voulait la faire retourner
en prison, même s’il n’y avait aucune preuve contre elle. Elle ne pouvait même pas sortir de
chez elle parce qu’on lui jetait des pierres si elle le faisait. Elle était forcée de rester chez
elle1001.
866. Le témoin RM113 a décrit Ibuka comme un petit groupe de Tutsis qui se chargeait de
porter de fausses accusations contre les gens. Elle a écrit les noms de deux personnes qui
avaient fait des faux témoignages, le témoin RM 14 à qui, a-t-elle dit, on avait demandé de
faire un faux témoignage concernant Modeste Tabaro, mais qui avait refusé et dit la vérité, et
le témoin AFX qui a accusé faussement Ngeze d’être un tueur. Elle a nié qu’Ibuka
représentait des rescapés et a affirmé que celle-ci avait pour règle de faire des faux
témoignages1002.
998

Compte rendu de l’audience du 21 janvier 2003, p. 39 à 41.
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 61 à 63.
1000
Compte rendu de l’audience du 20 janvier 2003, p. 12 à 27 ainsi que 65 et 66.
1001
Ibid., p. 64 à 66 ; compte rendu de l’audience du 21 janvier 2003, p. 39 à 41.
1002
Compte rendu de l’audience du 13 mars 2003, p. 35 à 37, 49 et 50 ainsi que 52 et 53.
999

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

867. Le témoin RM200 a nommé cinq témoins à charge qui, selon elle, avaient été payés
par Ibuka pour faire un faux témoignage. Elle a déclaré que le témoin EB lui avait dit qu’il
était venu à Arusha pour témoigner faussement contre Ngeze, pour « couper la tête de
Ngeze », et qu’Ibuka lui avait donné de l’argent pour faire cela. Elle a dit que le témoin AFB
s’était vanté d’avoir été payé par Ibuka pour faire un faux témoignage, devant servir
également à couper la tête de Ngeze. Selon elle, le témoin AFX a également dit qu’il avait
fait un faux témoignage quand il avait affirmé que Ngeze était un tueur 1003 . Le contreinterrogatoire a fait ressortir que RM 200 n’avait pas parlé directement avec les personnes
qu’elle a nommées mais qu’elle avait entendu leur conversation pendant les ablutions qui
précèdent la prière chez le témoin DM. Réinterrogée, elle a mentionné une seconde
conversation avec un des témoins qui figurait sur sa liste, devant chez lui.
868. Le témoin RM14 a affirmé que le témoin AFX, membre d’Ibuka, lui avait demandé
de faire une fausse déclaration, qui était sa déclaration datée du 14 janvier 1997. Le témoin
AFX lui avait demandé de mentir au sujet de la mort de Modeste Tabaro, de dire que l’oncle
de Ngeze avait tué Tabaro qui avait en fait été tué par deux soldats, dont l’un était Jeff1004. Le
témoin a déclaré n’avoir rien dit aux enquêteurs du TPIR parce qu’ils étaient accompagnés
d’un Rwandais et qu’il ne savait pas qui il était. Comme ceux-ci et Ibuka, il ne pouvait pas
leur faire confiance. Il a décrit Ibuka comme une organisation puissante qui pouvait
déstabiliser le Gouvernement. Il a dit que les Hutus ne pouvaient pas être membres
d’Ibuka 1005 . Le témoin RM14 a nommé quatre personnes qui avaient fait des faux
témoignages au TPIR 1006 . Un de ces noms correspond à un de ceux communiqués par
RM113. Trois de ces noms, y compris celui mentionné à la fois par RM113 et RM14,
correspondent à trois des noms communiqués par RM200.
Credibilité des témoins
869. Le témoin RM200 a d’abord déclaré que cinq témoins à charge lui avaient dit avoir
été payés par Ibuka pour faire un faux témoignage. Ces témoins à charge, lorsqu’ils ont été
contre-interrogés sur Ibuka, ont affirmé n’avoir pas reçu d’argent ni n’avoir été influencés en
aucune manière par l’organisation en liaison avec leur témoignage. En contre-interrogatoire,
le témoin RM200 a révélé qu’en fait elle n’avait pas parlé directement aux cinq témoins à
charge mais qu’elle les avait entendus parler entre eux. Bien qu’il ait été établi ultérieurement
qu’elle avait effectivement eu une conversation avec un des cinq témoins, il demeure qu’elle
a déformé dans sa déposition la nature de la communication qu’elle avait eue avec les
témoins à charge. La Chambre prend acte de la relation étroite liant le témoin à l’accusé et de
son zèle à appuyer tous ses moyens de défense. La Chambre a la conviction que sa déposition
a été forgée de toutes pièces. Cela étant, elle juge que celle-ci n’est pas digne de foi.
870. Le témoin RM14 était à l’origine un témoin à charge qui a informé le Procureur que
sa déclaration du 14 janvier 1997 n’était pas exacte et a ensuite été entendu à décharge. Il a
soutenu que le témoin AFX, qui était membre d’Ibuka, lui avait demandé de faire un faux
1003

Compte rendu de l’audience du 14 mars 2003, p. 28 à 30.
Compte rendu de l’audience du 16 janvier 2003, p. 4 à 11, 18 et 19 ainsi que 26 à 30.
1005
Compte rendu de l’audience du 17 janvier 2003, p. 12 et 13.
1006
Pièce à conviction 3D145 ; compte rendu de l’audience du 16 janvier 2003, p. 43 et 44.
1004

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

témoignage contre Ngeze, de dire que l’oncle de Ngeze avait tué Modeste Tabaro. Le témoin
RM 14, dans sa déposition, est revenu sur sa déclaration et a accusé quatre témoins à charge
d’avoir fait un faux témoignage contre Ngeze. Le témoin RM14 a soutenu qu’il avait fait la
déclaration sous la contrainte, par peur pour sa vie. La Chambre observe que ce que le témoin
RM14 a été obligé de dire, à savoir que l’oncle de Ngeze avait tué Modeste Tabaro, est
contredit par les témoins à charge qui ont déposé au sujet de ce meurtre. Si la déposition avait
été fabriquée par Ibuka dans le but d’incriminer Ngeze, comme l’allègue le témoin RM14, on
lui aurait alors dit de témoigner d’une manière qui concordât avec la déposition des autres
témoins à charge. En outre, ce qu’avait dit le témoin RM14 dans sa déclaration était que,
selon une certaine rumeur, l’oncle, qui habitait avec Hassan Ngeze, avait tué Tabaro. Une
déclaration faite sous la contrainte pour incriminer Ngeze aurait, selon la Chambre, été plus
compromettante que ce récit d’une vague rumeur. Initialement, lorsque le Procureur a mis le
témoin à la disposition de la Défense, alors qu’il se trouvait toujours à Arusha, celui-ci a
refusé de voir les conseils de la Défense. Il a affirmé avoir été menacé par le Directeur de la
Section des services aux témoins et aux victimes du TPIR de perdre les mesures de protection
dont il bénéficiait s’il rencontrait les conseils de la Défense. Il n’avait fait état d’aucune
menace semblable à l’époque, ni aux conseils de la Défense, ni à la Chambre. La Chambre ne
croit pas que le témoin RM14 dit la vérité et relève qu’il a des liens familiaux étroits avec
Ngeze. Pour ces raisons, elle estime que la déposition du témoin RM 14 n’est pas digne de
foi1007.
Appréciation des éléments de preuve
871. À l’exception du témoin DM, qui est devenu hostile et a été jugé non digne de foi par
la Chambre, tous les témoins à charge dont les dépositions sont résumées plus haut ont été
contre-interrogés sur leurs liens avec Ibuka et sur le point de savoir si Ibuka leur avait indiqué
ce qu’ils devaient dire à la barre. Plusieurs témoins ont reconnu être membres d’Ibuka mais
ont dit que le but de l’organisation était d’assister les rescapés et qu’ils n’avaient discuté de
leur déposition avec personne au sein d’Ibuka. Beaucoup d’entre eux ont dit que le fait qu’ils
allaient témoigner devant le TPIR n’était même pas connu d’Ibuka.
872. La Chambre a examiné les dépositions des témoins à décharge, en particulier celles de
ceux qui ont accusé des témoins à charge d’avoir été influencés par Ibuka. Aucun de ces
témoins à charge, lorsqu’ils ont été interrogés sur Ibuka, n’ont dit qu’ils avaient été payés ou
autrement influencés pour témoigner faussement. Certains ont dit être membres d’Ibuka, et
certains ont dit qu’ils ne l’étaient pas. La Chambre observe qu’en dehors du fait d’avoir
exprimé la conviction que les témoins à charge faisaient un faux témoignage, les témoins à
décharge n’ont donné aucune précision sur les points au sujet desquels ces témoins avaient
menti. Le témoin RM200, proche parente de Ngeze, a reconnu n’avoir pas eu de conversation
directe avec les personnes qu’elle a nommées, elle les avait entendu parler. À la lumière de
ses liens avec Ngeze et de la manière dont elle a témoigné, la Chambre a la conviction que sa
déposition a été forgée de toutes pièces. La Chambre a jugé que le témoignage du témoin
RM14 n’était pas digne de foi, ainsi qu’il est dit au paragraphe 870.

1007

Compte rendu de l’audience du 13 janvier 2003, p. 48 à 50.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

873. Les témoins à charge ont fait l’objet de contre-interrogatoires approfondis concernant
leur appartenance à Ibuka et l’influence que cette organisation aurait pu exercer sur leur
déposition. La Chambre est convaincue par leurs réponses et leur comportement qu’ils ont
rapporté des événements dont ils ont été témoins. Les dépositions sous serment des témoins à
charge ont bien plus de poids que les dires non confirmés de ces mêmes témoins rapportés
par des tiers.
Conclusions factuelles
874. La Chambre conclut que, bien que plusieurs témoins à charge soient membres d’Ibuka
ou soient liés à celle-ci d’une manière ou d’une autre, aucun de ces témoins n’a été influencé
dans son témoignage par Ibuka, laquelle est une organisation non gouvernementale qui
assiste les rescapés, aussi bien hutus que tutsis, des massacres qui ont eu lieu en 1994.
7.6

Appréciaion de la déposition de Ngeze

875. En répondant aux charges qui ont été retenues contre lui, Ngeze s’est montré fort peu
conscient du manque de cohérence de sa déposition, modifiant ou contredisant souvent ce
qu’il avait dit dans les minutes qui suivaient. Contre-interrogé par exemple sur la publication
du nom de Modeste Tabaro dans Kangura, Ngeze a initialement déclaré qu’il pourrait s’agir
d’un autre Modeste puisque son nom n’était pas indiqué. Interrogé par la Chambre, il a alors
reconnu qu’il savait qu’il s’agissait de Modeste Tabaro. En ce qui concerne son alibi pour le
7 avril 1994, Ngeze a donné différentes versions de son arrestation et de la lettre qu’il avait
écrite au colonel Nsengiyumva, datée du 10 avril 1994, mais, avec des indications de dates
contradictoires dans celle-ci pour son arrestation. Le Procureur a maintenu que cette lettre
avait été fabriquée par Ngeze pour étayer son alibi, possibilité acceptée par la Chambre.
Celle-ci considère que l’affirmation de Ngeze selon laquelle la photographie figurant sur la
dernière page du numéro 35 de Kangura dans laquelle beaucoup de ceux qui sont représentés
portent des t-shirts ou des casquettes de la CDR, venait d’un match de football, est
manifestement fausse. La photographie a été reconnue comme étant celle d’un meeting de la
CDR par Nahimana qui y est lui-même représenté.
876. Ngeze s’est montré fluctuant dans sa déposition aussi bien sur des points
fondamentaux que sur à peu près chaque point de détail. Il a déclaré plusieurs fois qu’il était
responsable de Kangura en tant que son fondateur, propriétaire et rédacteur en chef mais, en
réponse à des questions particulières concernant le contenu de Kangura, il a souvent dit qu’il
n’avait pas vu l’article avant sa publication, que quelqu’un d’autre l’avait écrit ou qu’il était
en prison lorsqu’il avait été publié. Le témoin AHA, qui a travaillé pour Kangura, a demeuré
chez Ngeze à Kigali et s’est décrit comme un ami proche de celui-ci – comme un frère –, a
déclaré qu’il y avait une réunion pour discuter de chaque numéro de Kangura et que Ngeze
avait le dernier mot en matière éditoriale. La Chambre conclut que c’est le cas. Ngeze a nié
avoir des liens avec le site Internet qui porte son nom, bien qu’on y trouve des informations
qui ne peuvent venir que de lui et que lui-même fasse figurer l’adresse de ce site Internet dans
l’en-tête des lettres qu’il adresse au Tribunal. Dans sa déposition, il a d’abord nié puis, plus
tard, admis que les documents bancaires qui lui étaient présentés étaient son compte bancaire.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

877. Enfin, la Chambre observe que, pendant le procès, Hassan Ngeze s’est livré au cours
de la procédure à divers actes qui ont eu un impact sur sa crédibilité. Le témoin à charge
Omar Serushago a produit une copie d’une lettre anonyme tapée à la machine en
kinyarwanda, qui lui avait été donnée par l’imam du quartier pénitentiaire des Nations Unies
lequel avait dit qu’elle provenait de Ngeze. La lettre est menaçante. Il y est dit : « Je t’adresse
cette lettre pour te rappeler que notre vie sur cette terre est très courte », vient ensuite une
allusion à ses enfants1008. La lettre poursuit en ces termes : « Durant ma vie, il n’y a pas eu de
dispute entre toi et moi ni avec aucun membre de ta famille ». L’auteur rappelle ensuite qu’à
Nairobi, il avait donné à Serushago l’un de ses meilleurs costumes et à la femme de celui-ci
200 dollars pour pourvoir à ses besoins, ce que Serushago a confirmé. Il demandait à
Serushago de ne pas témoigner contre lui et mentionnait les noms de Kayonga ainsi que de
Jef et Régis. Il demandait si ce n’était pas vrai qu’il n’avait eu aucune discussion avec
Serushago à partir du 6 avril 19941009. Ngeze a nié avoir écrit cette lettre, dénégation qui
semble absurde, surtout parce que la lettre est écrite à la première personne.
878. Ngeze utilise, dénature et fabrique des informations librement, les sollicitant à
d’autres fins. Dans sa déposition, aussi bien que dans sa conduite au cours de la procédure,
Ngeze a démontré un mépris profond pour la vérité et pour son engagement solennel de dire
la vérité.
8.

Relations entre les accusés

8.1

Rencontres personnelles et présentations publiques

879. Le témoin AHA, journaliste qui travaillait pour Kangura, s’est qualifié lui-même de
très proche ami de Hassan Ngeze, à vrai dire un « frère ». Il a qualifié Nahimana d’ami
également. Il a dit ne pas bien connaître Barayagwiza. Il l’a rencontré plusieurs fois quand il
était avec Ngeze et que ce dernier rendait visite à Barayagwiza dans son bureau au Ministère
des affaires étrangères et à son domicile à Kivoyu. Il a décrit ces rencontres avec
Barayagwiza de la manière suivante :
Et, la première fois qu’on y est allé, c’était pour parler de la fondation de la CDR, la
Coalition de la défense de la République. Et, quand on allait [à] sa résidence, c’était
pour parler politique et du combat qu’on menait à Kangura et, par après, à la RTLM.
Le combat des Hutus contre les menaces explicites des Tutsis. Alors, on parlait des
moyens de mener à bien ce combat1010.

Selon le témoin AHA, l’un de ces moyens était d’abord de créer un parti dont les Hutus
seraient sûrs qu’il ne serait pas infiltré par les Tutsis.
880. Dans le numéro 42 de Kangura, publié en mai 1993, figurait un article intitulé « Qui
va tenir tête aux Inyenzi quand ils entreront dans le pays ». Un paragraphe de l’article parlait
de Ngeze et Barayagwiza en ces termes :
1008

Pièce à conviction R1008, P72 (F).
Compte rendu de l’audience du 19 novembre 2001, p.125 à 132.
1010
Compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 193 à 196.
1009

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

« Qui va leur tenir tête ? Il est clair que c’est Ngeze Hassan qui continuera à tenir tête
aux Inyenzi dans le domaine de l’information. Il leur tiendra tête en ce qui concerne
l’explication des règles de démocratie et dans la défense des intérêts des Hutus. Il
démontrera surtout la méchanceté des Inyenzi. Barayagwiza, de son côté, attend de
pouvoir mettre à contribution les compétences que les Hutus lui connaissent, afin de
tenir tête aux Inyenzi en leur expliquant que les plans de tueries n’auront pas de
place. Il leur expliquera [que], même s’il est tué, ils ne seront jamais en mesure
d’exterminer les Hutus. Barayagwiza sera puissant d’une manière
extraordinaire1011 ».

881. Dans le numéro 55 de Kangura, paru en janvier 1994, Hassan Ngeze avait écrit un
article à propos d’un incident concernant Barayagwiza et de l’aide que celui-ci avait reçue de
la RTLM. L’article, intitulé Jean-Bosco Barayagwiza a failli se faire assassiner par des
Inyenzi belges, décrivait une altercation entre Barayagwiza et la MINUAR, lors de laquelle le
premier a téléphoné à la RTLM. Suite à cet appel, le peuple majoritaire (rubanda
nyamwinshi) a immédiatement volé à son secours. La dernière partie de l’article, relatée par
l’expert à charge, Marcel Kabanda, comparait la situation de la MINUAR à celle des troupes
américaines en Somalie, ce qui constituait une menace par analogie au massacre des soldats
de l’infanterie de marine américaine à Mogadishu1012.
882. Contre-interrogé, le témoin AHA a affirmé que Kangura critiquait à l’occasion
Nahimana, attribuant cela à une querelle personnelle entre celui-ci et Ngeze, réglée par la
suite. Selon lui, Ngeze était en colère car Nahimana avait suspendu toutes les annonces
publicitaires de Kangura sur Radio Rwanda quand il était directeur de l’ORINFOR1013. Dans
sa déposition, parlant de Kangura de façon générale, Nahimana a qualifié certains articles de
très bien et d’autres d’« extrêmistes » et de « révoltants »1014. Ngeze a indiqué ne pas avoir pu
obtenir de rendez-vous avec Nahimana quand celui-ci était directeur de l’ORINFOR. Il a
expliqué avoir acheté une Peugeot 504 rouge, la même que celle de l’ORINFOR, et avoir
écrit Kangura sur la portière, uniquement pour déstabiliser Nahimana1015.
883. Le témoin AGK, Hutu qui travaillait au Ministère des affaires étrangères, a présenté
Katumba, Mutombo et Hassan Ngeze comme des membres de la CDR qui sont venus voir
Barayagwiza au Ministère en 1992 et 1993. Il a affirmé que Ngeze avait rendu visite deux
fois à Barayagwiza en mars 1993 et qu’il avait vu Ferdinand Nahimana quand celui-ci était
venu voir Barayagwiza en 1990, 1992 et 1993. Il a déclaré avoir vu Nahimana deux fois en
19931016.
884. Selon le témoin MK, fonctionnaire tutsie, de nombreuses réunions clandestines ont
été tenues par la CDR et le MRND, qui, d’après elle, constituait un seul parti, dans les
bureaux du Ministère des transports. Y assistaient des fonctionnaires de plusieurs ministères,
y compris le directeur de l’ONATRACOM, l’Office national des transports en commun,
Nahimana, le directeur de la RTLM, et Barayagwiza. Les réunions avaient lieu les lundis,
1011

Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 173 à 175.
Ibid., p. 175 à 179.
1013
Compte rendu de l’audience du 7 novembre 2000, p. 89 à 92.
1014
Compte rendu de l’audience du 14 octobre 2002, p. 71.
1015
Compte rendu de l’audience du 27 mars 2003, p. 74 et 75.
1016
Compte rendu de l’audience du 21 juin 2001, p. 69 à 75 ainsi que 90 et 91.
1012

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mercredis et jeudis après les heures de travail1017. Contre-interrogée, MK a précisé qu’elle n’a
pas participé elle-même aux réunions à propos desquelles elle témoignait mais en a entendu
parler par son amie, secrétaire personnelle d’un haut fonctionnaire du Ministère1018. Elle a
reconnu que son amie n’avait pas non plus participé à ces réunions, expliquant que le bureau
de celle-ci était à proximité immédiate, ce qui lui permettait de voir qui entrait et sortait. De
plus, en sa qualité de secrétaire personnelle, elle avait accès à des informations. Le témoin
MK a déclaré que bien que l’ONATRACOM fût un organisme distinct du Ministère des
transports, si le Ministre demandait quelque chose au directeur de l’ONATRACOM, nommé
par le Gouvernement, ce dernier devait le faire. Les deux étaient en bons termes et
appartenaient aux mêmes partis politiques. À la demande du Ministre, des bus de
l’ONATRACOM ont été utilisés pour transporter des Interahamwe jusqu’aux endroits où se
tenaient les meetings du MRND en 1993 et 19941019. La RTLM pouvait aussi utiliser les
véhicules du Ministère, en présentant une demande d’autorisation écrite émanant de son
directeur, Nahimana1020.
Crédibilité des témoins
885. La Chambre a jugé les dépositions des témoins AHA et AGK crédibles aux
paragraphes 132 et 710 respectivement.
886. MK a été interrogée sur son lieu de travail, les personnes qui travaillaient là et la
possibilité pour elle de lire des courriers confidentiels. Elle a fourni des réponses claires et a
expliqué qu’elle savait des choses car elle surprenait des conversations téléphoniques dans le
bureau de son amie1021. Le témoin n’a pas indiqué le nom de son amie dans sa première
déclaration en 1996. Elle a déclaré avoir eu peur mais avoir été forcée par les enquêteurs de le
donner la deuxième fois en 1998. Elle a reconnu n’avoir pas mentionné Nahimana et
Barayagwiza dans sa première déclaration. Elle s’est souvenue de leurs noms lors de la
deuxième. Questionnée sur le fait qu’elle ait été forcée de citer le nom de Nahimana lors de
son deuxième interrogatoire, elle a nié et déclaré que personne ne lui avait dit de donner des
noms dans sa déclaration ; elle s’est souvenue des noms en faisant sa déclaration. Elle a
maintenu avoir été le témoin direct de ces faits et les avoir vécus1022. Elle a déclaré n’avoir
jamais travaillé pour les Inkotanyi ni être sympathisant de ceux-ci1023. Mises en présence
d’erreurs relevées dans ses déclarations, elles les a attribuées aux personnes qui consignaient
ses dires 1024 . Elle a expliqué avoir refusé de signer ses déclarations par peur pour sa
sécurité1025. Pendant le contre-interrogatoire, elle avait parfois demandé aux conseils de ne
pas lui poser les questions qu’ils lui posaient. Elle leur a demandé pourquoi ils tentaient de lui
faire du mal ou leur a dit de ne pas mentionner un nom qui lui avait été cité1026. Parfois le
1017

Comptes rendus des audiences du 7 mars 2001, p. 106 à 113, et du 8 mars 2001, p. 40 et 41.
Compte rendu de l’audience du 8 mars 2001, p. 16 à 22 et 106 à 108.
1019
Compte rendu de l’audience du 7 mars 2001, p. 112 à 119.
1020
Compte rendu de l’audience du 8 mars 2001, p. 181 et 182.
1021
Ibid., p. 83 à 89 ainsi que 132 et 133.
1022
Ibid., p. 161 à 166.
1023
Ibid., p. 4 et 5.
1024
Ibid., p. 58 à 63.
1025
Ibid., p. 66 et 67.
1026
Ibid., p. 27 à 35.
1018

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témoin n’a pas répondu directement à une question, préférant polémiquer ou donner de
longues réponses qui évitaient de répondre franchement à la question posée. La Chambre
relève que MK n’a pas été coopérative, bien qu’elle ait fini par répondre à la plupart des
questions posées. Les erreurs relevées dans sa déclaration écrite étaient d’ordre mineur,
comme l’année où elle a commencé à travailler. La Chambre prend acte du fait que le témoin
est une source indirecte d’informations quant à la plus grande partie de sa déposition mais
cela met en jeu le poids qu’il conviendra d’accorder à celle-ci plutôt que la crédibilité du
témoin. Cela étant, la Chambre juge la déposition du témoin MK crédible.
Appréciation des éléments de preuve
887. La Chambre relève que plusieurs témoins ont déclaré avoir vu certains des accusés
ensemble à des réunions. Le témoin MK a affirmé que Nahimana et Barayagwiza avaient
participé à des réunions clandestines au Ministère des transports. Le témoin AGK a affirmé
que Ngeze et Nahimana ont rendu visite à Barayagwiza à son bureau. La Chambre estime que
le fait que ces hommes se soient rencontrés ne revêt pas une importance particulière en
l’absence d’informations sur la teneur de ces réunions. À cet égard, la rencontre entre Ngeze
et Barayagwiza décrite par le témoin AHA qui y a assisté, est importante. Selon le témoin
AHA, Barayagwiza et Ngeze ont discuté de la CDR, de Kangura et de la RTLM dans le
contexte de la lutte des Hutus contre les Tutsis. Il ressort du compte rendu de cette rencontre
que Ngeze et Barayagwiza pensaient que la CDR, Kangura et la RTLM avaient chacun un
rôle à jouer dans ce combat et l’ont évoqué.
888. Nahimana et Barayagwiza ont travaillé très étroitement à la direction de la RTLM, et
Barayagwiza et Ngeze de même au sein de la CDR. La Chambre relève que Nahimana et
Ngeze n’ont pas été vus ensemble autant que chacun d’eux l’a été avec Barayagwiza.
Néanmoins, ainsi qu’il ressort de la rencontre entre Ngeze et Barayagwiza, on discernait un
lien institutionnel entre eux tous. À un niveau personnel, Jean-Bosco Barayagwiza était le
lien entre les trois accusés.
Conclusions factuelles
889. Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza ont travaillé étroitement ensemble à
la direction de la RTLM, et Barayagwiza a travaillé étroitement avec Hassan Ngeze au sein
de la CDR. Barayagwiza et Ngeze ont dit de la CDR, de Kangura et de la RTLM qu’ils
jouaient un rôle dans la lutte des Hutus contre les Tutsis.
8.2

Meeting du MRND en 1993

890. Le témoin FS, commerçant tutsi de Gisenyi, a dit être allé à un meeting du MRND
Power avec son frère courant 1993, à Kigali, au stade de Nyamirambo. Il ne s’est pas
souvenu de la date ou même du mois du meeting. C’était après que son frère se fut installé à
Kigali, c’est-à-dire au début de 1993, et juste après que la RTLM eut commencé à émettre en
juillet 1993. Il a précisé par la suite que la RTLM avait déjà été créée quand le meeting avait
eu lieu, et que c’était peu de temps après mais dans le courant de la même année. Le témoin
FS avait entendu l’annonce du meeting sur les ondes de la RTLM et de Radio Rwanda.
Lorsqu’il est arrivé à l’entrée du stade, vers 9 h 30, des personnes vendaient des vêtements et
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des insignes du MRND et de la CDR, notamment des casquettes de la CDR et des cassettes
audio du chanteur Simon Bikindi, certaines des chansons faisaient les louanges du MRND.
Le témoin avait déjà une cassette de Bikindi et l’une des chansons était diffusée dans le stade,
que le public reprenait en chœur1027.
891. Le témoin a déclaré que Mathieu Ngirumpatse, président du MRND, avait ouvert le
meeting. Debout sur le podium, il a remercié les participants et exprimé sa joie qu’ils fussent
venus pour se joindre à la bataille contre les Inyenzi. Il a présenté ensuite des personnalités
importantes du Hutu Power, notamment Nahimana, Barayagwiza, Félicien Kabuga et des
journalistes de la RTLM, ainsi que Ngeze et les journalistes de Kangura. Nahimana a été
également présenté comme le directeur de la RTLM. Étaient également présents au meeting
Frodouald Karamira, du MDR, et Justin Mugenzi, du PL. Kabuga a pris ensuite la parole,
remerciant les membres présents du Hutu Power. Il a déclaré qu’il mettrait des fonds
importants à la disposition de la RTLM qui devait diffuser les idées du Hutu Power. Il a
demandé aux participants d’aider la RTLM, qui était leur radio, la radio des membres du
Hutu Power et déclaré que Radio Rwanda collaborait avec les Inyenzi1028.
892. Selon le témoin FS, Nahimana qui était intervenu après Kabuga était connu de tous à
l’époque en tant que directeur de l’ORINFOR, avant d’être nommé directeur de la RTLM.
Contre-interrogé, le témoin a affirmé qu’il s’agissait de Ferdinand Nahimana et non d’un
autre Nahimana, précisant qu’un seul Nahimana avait été directeur de la RTLM. Lors du
meeting, Nahimana a déclaré que le peuple venait d’avoir sa station de radio, qui appartenait
au Hutu Power et serait utilisée pour diffuser les idées de celui-ci. Il a ajouté que la radio
avait des difficultés financières et a demandé que tous l’aident par leur contribution.
Nahimana a répété un numéro de compte qui avait été mentionné par Kabuga dans son
allocution, sur lequel les fonds devaient être versés. Quelques personnes présentes ont versé
de l’argent. Intervenant ensuite, Barayagwiza a dit que le Hutu Power devrait collaborer avec
la CDR et travailler ensemble à combattre les Inyenzi. Il a parlé d’utiliser la RTLM pour
lutter contre les Inyenzi et a dit que ceux-ci n’étaient pas loin et étaient même là parmi eux. À
ce moment-là, vers midi, le témoin FS et son frère sont partis1029.
893. Selon le témoin FS, la foule a répondu avec enthousiasme aux discours de Nahimana
et Barayagwiza. Toujours selon lui, il y avait 15 000 personnes au meeting. Elles avaient été
conduites là par les bus officiels de l’ONATRACOM, société de tranport en commun gérée
par l’État. Des Interahamwe et des Impuzamugambi assistaient au meeting, y ayant été
conduits dans ces bus. Selon le témoin, le terme Impuzamugambi désignait les Interahamwe
proches de la CDR et signifiait « se rassembler avec un objectif prédéterminé ». Le témoin a
déclaré qu’après le meeting il régnait une atmosphère tendue entre Rwandais et que son
voisin hutu avait changé du fait de ce meeting et de la RTLM, qui s’était fait l’écho du
rassemblement et avait diffusé le discours de Nahimana. Ayant entendu parler du meeting, les
gens étaient en colère et méfiants et ont commencé à haïr les Hutus modérés1030.
1027

Comptes rendus des audiences du 7 février 2001, p. 11 à 21, et du 8 février 2001, p. 65 à 68, 74 à 76, 104
et 105.
1028
Compte rendu de l’audience du 7 février 2001, p. 21 à 33.
1029
Ibid., p. 32 à 34 et 38 à 41.
1030
Ibid., p. 38 à 41.
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894. Le témoin FS a déclaré qu’il ne pouvait pas devenir membre du Hutu Power car ses
tenants qualifiaient tous les Tutsis d’Inyenzi. Il n’était pas sympathisant du mouvement car il
était opposé à leurs activités meurtrières. Il avait assisté au meeting pour écouter ce qui s’y
disait. C’était le seul rassemblement du Hutu Power auquel il avait assisté. À la question qui
lui a été posée lors du contre-interrogatoire de savoir pourquoi il avait assisté à un meeting du
MRND sachant qu’il n’était pas intéressé par la politique, et pourquoi il a dit lire Kangura
puisque le journal diffusait des idées auxquelles il était opposé, le témoin FS a expliqué que
lorsque l’on sait que l’on n’est pas aimé d’une personne, il est bon d’écouter ce que cette
personne a à dire. Il a également précisé qu’il était à Kigali, avait entendu parler de ce
meeting sur les ondes de la RTLM et avait du temps libre. Il n’était pas venu à Kigali pour
assister au meeting1031.
895. Contre-interrogé, le témoin FS a évoqué son affiliation à Ibuka et l’action de cette
organisation. Il a établi une distinction entre le terme « génocide », qui renvoie au meurtre
des Tutsis, et le mot « massacres », qu’il réservait au meurtre des opposants hutus au MRND
et à la CDR. Il a déclaré que les Tutsis qui avaient rejoint les rangs des Interahamwe
essayaient de cacher leur identité. Pour lui, les Tutsis qui s’étaient alliés aux Interahamwe
n’étaient pas des Tutsis, et de citer Robert Kajuga à titre d’exemple. Le témoin FS a déclaré
qu’après la diffusion du nom de son frère sur les ondes de la RTLM le lendemain du jour où
l’avion du Président Habyarimana avait été abattu, son frère a été tué ainsi que sa femme et
ses sept enfants1032. Il a en outre déclaré qu’alors qu’il était caché à ce moment-là, sa femme
et son enfant avaient été tués. Le témoin a affirmé qui ni lui ni son frère n’était membre du
FPR1033.
896. Le témoin ABE a dit avoir assisté à un meeting du MRND en 1993 au stade de
Nyamirambo, présidé par Mathieu Ngirumpatse, président du MRND. Étaient également
présents au meeting Félicien Kabuga, président du conseil et principal financier de la RTLM,
ainsi que Barayagwiza et Nahimana. Nahimana a été présenté comme le directeur de la
RTLM. Prenant la parole en premier, Ngirumpatse a expliqué qu’il avait organisé le meeting
pour annoncer qu’il venait d’acquérir une autre station de radio, différente de Radio Rwanda.
Il a demandé aux participants de ne plus écouter la radio des Inyenzi/Inkotanyi, Radio
Rwanda, et les a encouragés à écouter la RTLM. Le témoin ABE a affirmé que, n’étant pas
heureux d’entendre ces propos, il était parti immédiatement après l’intervention de
Ngirumpatse. D’autres personnes avaient pris la parole lors du meeting, et la majorité des
discours ont été diffusés sur la RTLM, mais il ne les avait pas entendus. Selon lui, on savait
que Barayagwiza et Nahimana étaient intervenus lors du rassemblement1034.
897. Lors de son contre-interrogatoire, invité à indiquer la date du meeting, le témoin ABE
a répondu qu’il avait eu lieu en 1993. Il a déclaré que la raison du meeting était la récente
création de la RTLM et on voulait présenter la station radio. Prié d’en préciser le mois, il a
répondu que c’était entre avril et décembre, puis a ajouté qu’il pensait que c’était quelques
mois après la création de la RTLM. Le témoin ne se souvenait pas si c’était avant ou après le
1031

Ibid., p. 33 à 38 ; compte rendu de l’audience du 8 février 2001, p. 55 à 66 et 79 à 81.
Compte rendu de l’audience du 7 février 2001, p. 75 à 78 et 110 à 130.
1033
Comptes rendus des audiences du 8 février 2001, p. 133 et 134, et du 7 février 2001, p. 130 à 132.
1034
Compte rendu de l’audience du 23 février 2001, p. 55 à 60.
1032

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meurtre du Président du Burundi, Ndadaye, en octobre 1993, ou avant ou après la signature
des Accords d’Arusha en août 1993. Il n’a pas su estimer le nombre de personnes assistant au
meeting mais il a parlé d’une grande foule. Le meeting avait eu lieu le matin, pendant le
week-end. Il ne s’est pas souvenu si Kangura avait rendu compte de l’événement ou si un
autre journal l’avait fait. Mais, il a répété que les discours durant le meeting avaient été
diffusés sur les ondes de la RTLM1035. À la question de la Chambre de savoir s’il avait été
fait état du Hutu Power lors du meeting, le témoin ABE s’est souvenu être parti tôt mais a dit
n’en avoir pas entendu parler dans le discours d’introduction. Il a dit n’avoir pas vu Karamira
au meeting1036.
898. Selon Nahimana, l’expression « Hutu Power » avait été lancée par Karamira lors du
meeting d’octobre 1993, reconnaissant que le mouvement avait évolué de juillet à
novembre 1993. Prié de répondre à l’allégation qu’il aurait participé à un rassemblement du
Hutu Power au stade de Nyamirambo en 1993, Nahimana a dit n’avoir jamais participé à un
meeting ou un ralliement organisé par le Hutu Power. Contre-interrogé, il a affirmé qu’il ne
pouvait pas avoir été présenté à un meeting du MRND/Hutu Power/RTLM, comme le prétend
le témoin FS, car aucun meeting de ce genre n’avait eu lieu avant octobre 1993. On lui a
précisé que le témoin FS n’avait pas pu se souvenir du mois durant lequel ce meeting avait eu
lieu, et il a commenté la déposition du témoin FS sur ce point1037.
899. Ngeze a commencé par dire, en réponse aux déclarations du témoin FS, n’avoir
jamais assisté à un meeting en tant que membre du Hutu Power et n’avoir jamais été présenté
lors d’un meeting. Il a affirmé que le témoin était un menteur et ne l’avait pas vu car il n’était
ni à ce meeting ni à aucun autre. Ngeze a ensuite déclaré qu’il couvrait des meetings comme
journaliste et en faisait le compte rendu, avec sa caméra, mais que personne ne l’avait jamais
présenté. Il a soutenu qu’il ne voyait pas comment le président du MRND aurait pu le
présenter puisqu’il n’était pas membre de ce parti. Lorsque la Chambre lui a demandé s’il
avait assisté au meeting en qualité de journaliste, Ngeze a répondu qu’il ne pouvait pas dire
s’il était là ou pas, parce qu’un journaliste couvre différents événements chaque jour. Il a
déclaré que s’il était là, c’était comme journaliste, car il ne voyait pas comment il pouvait être
membre du MRND1038.
Crédibilité des témoins
900. La Chambre a jugé crédible la déposition du témoin ABE, ainsi qu’il est dit au
paragraphe 332.
901. Les conseils de la Défense ont interrogé le témoin FS sur le point de savoir s’il était
vraisemblable qu’il ait assisté au meeting du MRND quand on sait qu’il n’était pas intéressé
par la politique et qu’il était opposé aux idées du parti organisateur. La Chambre accepte que
le témoin a assisté au meeting et voulait entendre ce que ceux qui étaient opposés à des gens
comme lui avaient à dire, ce qui est également l’explication qu’il a donnée du fait qu’il lisait
1035

Compte rendu de l’audience du 27 février 2001, p. 132 à 154.
Compte rendu de l’audience du 28 février 2001, p. 7 à 10.
1037
Comptes rendus des audiences du 19 septembre 2002, p. 208 à 218, et du 14 octobre 2002, p. 87 à 91.
1038
Compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p. 10 à 13.
1036

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Kangura. Le témoin s’est trouvé à Kigali et a entendu parler du meeting alors qu’il avait du
temps libre. La Chambre relève qu’il a quitté le meeting avant la fin, pendant que
Barayagwiza parlait et en raison de ce qu’il disait. Les conseils de la Défense ont également
contesté les dires du témoin FS pour plusieurs motifs d’ordre procédural, notamment le fait
qu’il ne soit pas revenu pour permettre aux conseils de Ngeze d’achever son contreinterrogatoire et qu’aucun conseil de Barayagwiza n’était présent pendant sa déposition. Ces
questions ont déjà été tranchées par la Chambre, de même que l’allégation que le témoin est
membre d’une organisation liée à Ibuka. Le conseil de Ngeze a fait valoir durant le contreinterrogatoire que le témoin mentait sans doute à propos de la mort de sa femme et de son
enfant sans présenter la moindre preuve de cette allégation. Il a fait valoir que le témoin avait
été incapable de donner les noms des sept enfants de son frère qui avaient été tués. La
Chambre relève qu’il n’a pas été demandé au témoin de nommer les sept enfants de son frère.
On lui a demandé d’écrire les noms de sa femme et de ses enfants, ce qu’il avait fait1039. La
Chambre observe que le témoin FS a été cohérent dans ses déclarations. Il a répondu aux
questions avec clarté et patience, en dépit du caractère provocateur de certaines questions. La
Chambre en conclut que le témoin FS est crédible.
Appréciation des éléments de preuve
902. Les conseils de la Défense ont contesté les dires du témoin FS au sujet du meeting du
MRND, celui-ci ayant affirmé que le terme Hutu Power avait été utilisé lors du meeting, alors
qu’il le situait dans la première partie de 1993, avant que le terme ne soit utilisé publiquement
pour la première fois par Froduald Karamira à l’occasion d’un ralliement en octobre 1993.
Lors de sa déposition, le témoin expert à charge Alison Des Forges a fait observer que le
terme avait été prononcé pour la première fois lors d’un meeting à Gitarama, mais qu’il a
suscité un soutien massif lors du ralliement en octobre 19931040. Elle a affirmé que le meeting
de Gitarama avait eu lieu un mois avant le ralliement d’octobre. 1041 Dans sa déposition,
Nahimana a reconnu que le mouvement Hutu Power a pris progressivement forme de juillet à
novembre 1993.
903. La Chambre a interrogé le témoin FS sur ces dates afin de préciser les repères qu’il
avait utilisés pour situer le meeting dans le temps. Le témoin a dit savoir que ce meeting avait
eu lieu après le déménagement de son frère à Kigali, au début de 1993, mais n’avait pas dit
que le meeting s’est tenu au début de 1993. Il a également indiqué que le rassemblement avait
eu lieu juste après la création de la RTLM, mais a précisé alors que c’était après la création
de celle-ci mais au cours de la même année.
904. La Chambre est d’avis que le meeting du MRND tenu en 1993 au stade de
Nyamirambo et auquel a assisté le témoin ABE est le même ralliement MRND auquel a
participé le témoin FS. Ils ont tous les deux situé le meeting après la création de la RTLM et
dans le courant de l’année 1993. Ils ont tous les deux décrits le meeting comme étant un
ralliement consacré principalement à la RTLM et à sa création, auquel participaient Kabuga,
Nahimana et Barayagwiza. Le témoin FS a dit que Kabuga et Nahimana avaient sollicité des
1039

Pièce à conviction 3D128.
Pièce à conviction P158A, p. 31 (28125).
1041
Compte rendu de l’audience du 22 mai 2002, p. 95 et 96.
1040

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fonds au profit de la RTLM et que les journalistes de la RTLM avaient été présentés. Leurs
récits du discours liminaire de Ngirumpatse concordent en ce qu’ils s’accordent à dire que
celui-ci avait demandé aux participants de soutenir la RTLM et de s’opposer aux Inyenzi, et
que les discours prononcés lors du meeting avaient été diffusés par la suite sur les ondes de la
RTLM.
905. Selon le témoin FS, l’expression « Hutu Power » avait été utilisée durant le meeting,
et ce à plusieurs reprises. Le témoin ABE a dit n’avoir pas entendu cette expression mais a
précisé être parti après le discours liminaire de Ngirumpatse. Selon le témoin FS,
Ngirumpatse l’avait utilisée lorsqu’il avait demandé à l’assistance de soutenir la RTLM qui
était sa radio, la radio des membres du Hutu Power. Toujours selon le témoin FS, Nahimana a
dit que le peuple avait sa station de radio, qui appartenait au Hutu Power et devrait être
utilisée pour diffuser les idées de celui-ci. La Chambre relève que le témoin FS a émaillé son
récit de ce qui avait été dit au meeting de l’expression Hutu Power, la martelant et autorisant
ainsi à douter que l’expression ait été utilisée autant de fois qu’il l’a dit. Comme l’expression
Hutu Power a été utilisée avant octobre 1993, même si elle n’était pas d’usage courant, et
comme les témoins n’ont pas dit que le meeting a eu lieu nécessairement avant octobre 1993,
la Chambre considère qu’il se peut que l’expression Hutu Power ait été utilisée lors du
meeting et qu’il se peut également qu’elle n’ait pas été utilisée précisément comme l’a
indiqué le témoin FS, mais qu’il ait désigné sous le label Hutu Power ce qu’il avait perçu
comme un message fort de la même teneur, bien que l’expression n’ait pas été en usage à
l’époque.
906. Interrogé à propos de ce meeting évoqué par le témoin FS, Nahimana a dit n’avoir
jamais participé à un meeting ou ralliement du Hutu Power. Selon le témoin FS, le meeting
avait été organisé par le MRND et ouvert par le Président de ce parti. La Chambre estime que
la réponse de Nahimana n’exclut pas qu’il ait été présent à ce meeting. La Chambre s’arrêtera
sur la déposition de Nahimana à la section 5.4. En ce qui concerne la déposition de Ngeze,
elle relève que celui-ci a commencé par dire qu’il n’était pas présent à ce meeting avant de
préciser que s’il y avait été, c’était en qualité de journaliste, sachant qu’il a soutenu n’avoir
jamais assisté à un meeting. Il a répété plusieurs fois que, n’étant pas membre du MRND, il
n’avait pu être présent ou présenté au meeting. La Chambre trouve cet argument d’autant
moins convaincant qu’il ressort de la déposition du témoin FS que le meeting n’était pas
réservé aux militants du MRND. Elle s’arrêtera sur la crédibilité de Ngeze à la section 7.6.
Conclusions factuelles
907. La Chambre conclut que Nahimana, Barayagwiza et Ngeze ont participé à un meeting
du MRND en 1993 au stade de Nyamirambo, à Kigali. Y assistaient environ
15 000 personnes, y compris des Interahamwe et des Impuzamugambi, qui y avaient été
conduits par des bus de l’ONATRACOM. Nahimana, Barayagwiza et Ngeze ont été
présentés, tout comme Félicien Kabuga, la RTLM et des journalistes de Kangura. Prenant la
parole en premier, Ngirumpatse, président du MRND, a parlé de la RTLM comme étant une
radio qu’ils avaient acquise. Il a exhorté la foule à écouter la RTLM plutôt que Radio
Rwanda qu’il a qualifiée de radio des Inyenzi. Lorsqu’il a pris la parole, Kabuga a aussi
présenté à l’assistance la RTLM comme sa radio, et lui a demandé de la soutenir. Nahimana
est intervenu durant le meeting, déclarant que la RTLM devrait servir à diffuser les idées
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tendant à la consolidation du pouvoir des Hutus et a demandé à l’assistance de la soutenir
financièrement. Barayagwiza a parlé de collaborer avec la CDR et d’unir ses efforts pour
lutter contre les Inyenzi. Il a également parlé d’utiliser la RTLM pour combattre les Inyenzi. Il
a déclaré que les Inyenzi n’étaient pas loin, et étaient même parmi eux. La RTLM s’est fait
l’écho du meeting et a diffusé nombre des discours, dont celui de Nahimana. Le meeting et la
couverture qu’en a faite la RTLM ont eu un impact sur la population, suscitant une
atmosphère faite de tensions et d’hostilité entre Rwandais.
8.3

Réunions à l’hôtel des Mille Collines et à l’hôtel des Diplomates

908. Le témoin WD a déclaré qu’étant barman et serveur à l’hôtel des Mille Collines de
Kigali en 1993, il voyait souvent Barayagwiza et Nahimana. Il a dit de Nahimana qu’il était
le directeur de l’ORINFOR et membre du MRND, et de Barayagwiza qu’il était directeur au
Ministère des affaires étrangères et membre du MRND, puis de la CDR. Courant septembre
1993, vers 17 heures, alors qu’il les servait, il les a surpris parlant de guerre. Selon le témoin,
Nahimana avait dit que si les Tutsis étaient tués, la communauté internationale crierait
d’indignation mais que les cris cesseraient comme cela s’était passé dans le cas du Bugesera
et de Kibuye. Barayagwiza avait répondu que le Rwanda appartenait aux Hutus car ils sont
majoritaires, pas à la minorité tutsie1042.
909. Le témoin WD a précisé qu’il était serveur à l’hôtel des Diplomates en 1994. Le
7 avril 1994, le colonel Bagosora y avait rencontré Mugenzi, Barayagwiza, Nzirorera et le
colonel Bizimungu à 14 heures. Le témoin ne savait pas ce dont ils avaient discuté. Dans la
soirée, vers 20 heures, Bagosora était revenu à l’hôtel et y avait rencontré Mugenzi,
Niyitegeka, Barayagwiza, Munsenya, l’archevêque Nsengiyumva et d’autres 1043 . À ce
moment-là, le témoin avait entendu Bagosora dire que « notre père », le Président
Habyarimana, avait été tué par les Inyenzi ou les Tutsis 1044 , et qu’il était nécessaire de
commencer « cette tâche » immédiatement. Bagosora avait dit que des barrages routiers
devaient être établis partout dans le pays, en commençant par Mulindi, Byumba et Gabiro. Il
avait ajouté que s’il n’y avait plus de Tutsis au Rwanda, il n’y aurait plus de problèmes dans
le pays. Selon le témoin, Barayagwiza avait dit que le Rwanda appartenait à la majorité
hutue, et non à la minorité tutsie, formule qu’il affectionnait. Pendant la conversation, on
avait employé le mot « Gutsemba » qui signifiait éliminer un être vivant. Avant le 7 avril
1994, ce mot était utilisé par les Interahamwe dans leurs chansons1045.
910. Le 9 avril 1994, selon le témoin WD, le Gouvernement intérimaire a tenu à l’hôtel des
Diplomates, vers minuit, une réunion à laquelle assistaient Bagosora, Mugenzi, Nahimana et
Karamira. À cette occasion, Bagosora a déclaré qu’ils devaient exterminer les Tutsis et leurs
complices hutus. Le témoin a dit avoir vu Barayagwiza tous les jours à l’hôtel à partir du
7 avril 1994 et jusqu’à ce que le Gouvernement intérimaire quitte l’hôtel le matin du

1042

Compte rendu de l’audience du 5 février 2001, p. 50 à 52 et 58 à 69.
Ibid., p. 73 à 79.
1044
Le témoin a affirmé que le terme « Inyenzi » désignait l’opposition FPR mais qu’il avait entendu dire qu’il
couvrait tous les Tutsis. Le fait d’être qualifié d’Inyenzi entraînait la mort (compte rendu de l’audience du
5 février 2001, p. 102 à 104).
1045
Comptes rendus des audiences du 5 février 2001, p. 82 à 88, et du 6 février 2001, p. 39 et 40.
1043

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12 avril 1994. Le témoin WD a vu Nahimana trois fois, dont une en compagnie de
Bagosora1046.
911. Nahimana a déclaré que sa famille et lui se trouvaient à l’ambassade de France du
7 au 12 avril 1994, date à laquelle ils ont été évacués sur Bujumbura. Pendant cette période, il
n’avait quitté l’ambassade qu’une fois, le 8 avril 1994, pour accompagner sa femme jusqu’à
son magasin afin d’y prendre de la nourriture, après en avoir reçu l’autorisation de
l’ambassade 1047 . Sa femme, le témoin à décharge Laurence Nyirabagenzi, a également
déclaré qu’ils se trouvaient à l’ambassade du 7 au 12 avril 1994. Ils n’ont quitté celle-ci
qu’une fois, le 8 ou le 9 avril 1994, pour aller chercher de la nourriture dans son magasin,
avec l’autorisation de l’ambassade. En dehors de cette occasion, elle ne pensait pas que
Nahimana eût quitté l’ambassade avant le 12 avril1048.
Crédibilité des témoins
912. Le témoin WD a dit avoir surpris des bribes de conversation accablantes alors qu’il
servait Barayagwiza, Nahimana et d’autres. Nahimana avait parlé de tuer les Tutsis et avait
dit que les cris d’indignation de la communauté internationale seraient sans lendemain ;
Bagosora avait annoncé des plans visant à exterminer les Tutsis à deux occasions, et avait
répété sa formule favorite deux fois « le Rwanda appartient à la majorité hutue et non pas à la
minorité tutsie ». Que le témoin WD ait été présent et à portée de voix en trois occasions
distinctes et en deux lieux différents en septembre 1993, puis les 7 et 9 avril 1994, et soit
parvenu à entendre seulement ces quelques mots, constituerait une coïncidence inouïe aux
yeux de la Chambre qui relève que de son propre aveu le témoin WD était membre du FPR
depuis 19931049. Il a versé des cotisations et assisté à des réunions avec six autres membres du
FPR dans sa cellule une fois par semaine en septembre 1993. À la barre, le témoin a affirmé
sa loyauté envers le FPR1050. Il a déclaré que son appartenance à l’ethnie tutsie et ses affinités
avec le FPR étaient suspectées par ses collègues, et étaient connues du beau-frère de
Bagosora, Alloys Ngirabatware, chef des Interahamwe de Remera1051. La Chambre considère
que ces circonstances rendent encore plus improbable le fait que le témoin, membre notoire
du FPR, ait pu servir Bagosora, ainsi que les accusés et d’autres, alors qu’ils parlaient
d’exterminer les Tutsis les 7 et 9 avril 19941052, et rien n’est venu corroborer ses dires. Cela
étant, la Chambre ne juge pas le témoin WD crédible.
Appréciation des éléments de preuve
913. Le témoin WD a été le seul témoin des conversations qu’il a évoquées. La Chambre
ne peut retenir sa déposition, pour les motifs susexposés, et ne peut dès lors tirer de
conclusion factuelle s’agissant des allégations relatives à ces réunions à l’hôtel des Mille
Collines et à l’hôtel des Diplomates.
1046

Compte rendu de l’audience du 5 février 2001, p. 94 à 99.
Compte rendu de l’audience du 24 septembre 2002, p. 23 à 38.
1048
Compte rendu de l’audience du 30 octobre 2002, p. 40 à 48.
1049
Compte rendu de l’audience du 6 février 2001, p. 42 à 45.
1050
Ibid., p. 112 à 115.
1051
Comptes rendus des audiences du 5 février 2001, p. 137 à 150, et du 6 février 2001, p. 52 et 53.
1052
Dernières conclusions écrites de la Défense (Nahimana), p. 112 et 113.
1047

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8.4

Kangura et la CDR

914. Le témoin expert à charge Marcel Kabanda a déclaré qu’à compter de
novembre 1991, avec la parution du numéro 25 de Kangura, le journal a commencé à
promouvoir un parti dénommé PDR, invitant les lecteurs qui voulaient y adhérer à s’adresser
à la rédaction de Kangura. La promotion du PDR a continué dans les numéros 26 et 27 de
Kangura. En 1992, lorsque la CDR a vu le jour, Kangura a consacré une édition spéciale hors
série à sa naissance. Selon Kabanda, Kangura n’avait fait cela pour aucun autre parti. Un
éditorial dans l’édition spéciale, signé Hassan Ngeze, informait le lecteur que la CDR était le
PDR dont avait parlé Kangura. Il indiquait que le « P » avait été remplacé par un « C » car un
autre parti avait vu le jour quasiment sous le même acronyme. Bien que la lettre ait changé,
l’idéologie n’avait pas changé. Selon Kabanda, Kangura voyait dans la CDR la première
étape vers l’unification des Hutus et appelait en pratique les autres partis à rejoindre la
CDR1053.
915. L’édition spéciale, qui reproduisait l’insigne de la CDR sur sa première page, et une
photo en pleine page du président de la CDR, Martin Bucyana, sur la dernière page, contenait
les statuts de la CDR et les discours de son président, ainsi qu’un manifeste exposant le
programme politique du parti et un formulaire d’adhésion provisoire à la CDR. On pouvait
lire en manchette ce qui suit : « Connaissons les manifestes et les statuts des partis du peuple
majoritaire », « Où les Inyenzi et leurs complices iront-ils chercher refuge maintenant que le
parti des Hutus est officiellement né ? » et « Que les Tutsis sachent désormais que leurs droits
s’arrêtent là où ceux de la majorité hutue commencent ». Dans l’éditorial de Kangura, Ngeze
souhaitait la bienvenue à la CDR car elle arrivait à point pour défendre les intérêts des Hutus,
tout comme le PL défendait ceux des Tutsis. Le MRND et le MDR avaient abandonné les
Hutus, disait-il, et rivalisaient entre eux pour ne pas tenir leurs promesses. En conclusion,
l’éditorial disait ceci au lecteur : « Chers Hutus, voici donc votre parti ».
916. Dans un article intitulé « À vos rames, Hutu », signé Kangura et paru en mai 1992
dans le numéro 10 de l’édition internationale de Kangura, la CDR était qualifiée d’« Île de la
révolution mentale », et le lecteur hutu était encouragé à participer à cette révolution :
Rien vraiment rien dans la nature ne peut émouvoir le tutsi au coeur sec que ronge
tranquillement le ver nazi. Bien malgré cette maladie, l’idéal serait de la calmer. La
calmer par une révolution mentale similaire à la sienne. Et par quoi d’autre ?
Hutu, désormais un abîme plane sur toi. A côté il y a un gouffre que tu oses à peine
regarder parce que sa profondeur te donne le vertige. L’abîme est « machiné » par le
Parti Libéral qui maintenant, entre dans le gouvernement ... Le gouffre que tu oses à
peine regarder est sans doute le Front Patriotique Rwandais parce qu’il vient
d’obtenir une nouvelle force en entrant au Gouvernement par le biais du Parti
Libéral. mais ne te lasses pas. Un salut est devant toi. Appelle tes frères, entrez tous
dans le bâteau et embarquez-vous vers l’île de la révolution mentale.

1053

Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 159 à 165.

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Cette île n’est autre que la CDR. Dès maintenant, alors, à vos rames, hutu. Votre
débarquement sera sans nul doute synonyme de la vigilance et plus jamais ne sera
question d’être dominé tant mentalement, administrativement qu’économiquement
...1054.

917. Un article dans le numéro 9 de l’édition internationale de Kangura, intitulé « Le Hutu
face à la menace Tutsi un seul espoir, l[a] CDR », affirmait ceci à propos de la CDR :
Un espoir, oui un sublime espoir, reste néanmoins pointé vers un horizon immédiat
qui chante et qui s’est déjà éclairci avec 1’avènement au Rwanda du messie politique
matérialisé par l[a] CDR, le parti des masses populaires pour la défense de la
République et l’affermissement des acquis inaliénables de la Révolution1055.

918. Un article du numéro 47 de Kangura, paru en août 1993, consacré aux Accords
d’Arusha exprimait dix craintes à propos de ce qui arriverait en vertu de ces Accords – les
Hutus devraient abandonner leurs biens, payer des impôts aux Inyenzi, rendre leurs armes et
laisser leurs postes au gouvernement. L’exposé de chaque crainte était suivi du refrain « Mais
cela ne me regarde pas, je suis CDR ». L’article était signé Hassan Ngeze1056.
919. Kabanda a déclaré que Kangura publiait des annonces et des communiqués de la
CDR1057. Il a affirmé que Stanislas Simbizi, membre du comité d’information de la CDR,
siégeait au conseil de rédaction de Kangura. Shyirambere Barahinyura avait publié de
nombreux articles dans Kangura en faveur de la CDR, signant certains articles en qualité de
représentant de la CDR en Allemagne1058. Kabanda a évoqué une photographie reproduite à
la dernière page du numéro 41 de Kangura, paru en mars 1993, de trois hommes sur un
podium, l’un d’eux parlant dans un micro, portant en légende la mention « J.B. Barayagwiza,
H. Ngeze et Perezida Bucyana de la CDR »1059. Il a également versé au dossier un document,
daté du 24 septembre 1992, adressé au Conseil des ministres par Stanislas Mbonampeka qui,
selon Kabanda, était le Ministre de la justice en 1992, document dont l’objet se lisait comme
suit : « Autorisation pour la suspension d’une part de la publication du journal Kangura et
d’autre part de la formation politique, la CDR». Le document évoque une lettre du Procureur
datée du 10 août 1991 concernant diverses infractions à charge du rédacteur en chef de
Kangura, Hassan Ngeze, et dit ce qui suit à propos de ce dernier, de la CDR et de Kangura :
Quant aux faits à charge de Ngeze Hassan, doctrinaire du parti CDR et directeur de la
publication de presse écrite « Kangura » − la position du Ministre de la défense dans
sa letttre du 15 août 1992 précitée, laquelle fait état de la provocation du Burundi par
le journal Kangura aura été corroborée par divers faits dont ceux relatés dans nos
notes antérieures. Au demeurant la publication de presse écrite « Kangura » aura
servi de relais au message CDR dont il vient d’être prouvé qu’il contribue à la
1054

Pièce à conviction P116A, p. 39 ou 22503, citant le numéro 10 (édition internationale) de Kangura,
p. KA021215-1234.
1055
Pièce à conviction P116A, p. 78 ou 22464, citant le numéro 9 (édition internationale) de Kangura, p. 11 ;
pièce à conviction P118, p. KA022112.
1056
Pièce à conviction P116A, p. 71 ou 25086.
1057
Compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 159 à 165.
1058
Ibid., p. 13 à 16, 76 et 77.
1059
Pièce à conviction P119 ; compte rendu de l’audience du 14 mai 2002, p. 166.
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désintégration de la communauté nationale et à la négociation relative à la nation
rwandaise. Nous sollicitons en conséquence du Conseil du gouvernement qu’il
demande au Ministre de l’intérieur d’user de l’article 26 de la loi n° 28/91 du 18 juin
1991 sur les partis politiques en ce qui concerne le parti CDR et pour ce qui relève du
journal Kangura, d’en autoriser la suspension en attendant qu’aboutisse la procédure
pénale devant être diligentée à l’encontre de Ngeze Hassan, son éditeur1060.

920. Hassan Ngeze a dit avoir reproduit les communiqués de la CDR dans Kangura parce
qu’il voulait l’argent qu’elle payait pour la publicité1061. S’étant vu opposer qu’il avait luimême signé des communiqués de la CDR dans Kangura, par exemple à la page 8 du
numéro 39 de Kangura, Ngeze a rétorqué que son nom apparaissait sous un article et non un
communiqué de la CDR. Au-dessus de son nom, on pouvait lire les mots « CDR, nous
sommes vigilants ». Il a expliqué qu’il s’agissait là de la devise de la CDR et que, comme son
article s’intéressait à la politique de la CDR, il y avait inséré cette formule. Il a soutenu que
cela ne signifiait pas qu’il approuvait la position de la CDR et a contesté que telle aurait été
l’impression donnée au lecteur. Saisi d’un autre communiqué de la CDR à la page 2 de la
même livraison, Ngeze a affirmé qu’il ne s’agissait pas là d’un communiqué mais plutôt
d’une lettre qu’il avait adressée au Président Habyarimana. Il s’est dit consultant de la CDR
mais a déclaré qu’il n’écrivait pas au nom du parti1062. On pouvait lire à la dernère page du
numéro 41 de Kangura que Ngeze était conseiller de la CDR. Ngeze a répété que le titre
« consultant » ou « conseiller » était donné à ceux qui avaient aidé à la fondation du parti1063.
On pouvait lire à la page 3 du numéro 54 de Kangura que Kangura appréciait le soutien de la
CDR1064.
921. Ngeze a été contre-interrogé à propos d’une photographie, reproduite à la dernière
page du numéro 35 de Kangura, d’un groupe de personnes portant des t-shirts de la CDR,
dont la mère de Ngeze. Trois personnes sur la photographie portaient des t-shirts de la CDR,
les autres arborant des casquettes de la CDR. On y voit Ferdinand Nahimana qui ne portait ni
t-shirt, ni casquette de la CDR. À la question du Procureur de savoir en quelle occasion ces
personnes s’étaient trouvées réunies, Ngeze a répondu qu’elles assistaient à un match de
football en tant que supporters. À la barre, Nahimana a reconnu que la photographie avait été
prise lors d’un meeting de la CDR. Sous la photographie figurait une légende écrite par
Ngeze qui disait ceci : « Le parti du peuple, la CDR, condamne le gouvernement composé de
complices, par exemple, le Ministre des affaires étrangères, Ngurinzira. Dans deux mois ce
gouvernement doit démissionner »1065. Ngeze a nié qu’il exprimait aussi le point de vue des
personnes sur la photographie, car Nahimana n’était pas membre de la CDR, mais du MRND.
Il a indiqué qu’une autre personne sur la photographie, un certain Emmanuel, était membre
du FPR. Cependant, il a reconnu que la légende exprimait la position de la CDR telle qu’il
l’avait comprise à la lecture des communiqués de celle-ci. Selon Ngeze, les journalistes de
Kangura publiaient des photographies de la CDR pour démontrer au Gouvernement
1060

Pièce à conviction P107/42 ; compte rendu de l’audience du 16 mai 2002, p. 58 à 64.
Compte rendu de l’audience du 1er avril 2003, p. 69 et 70.
1062
Ibid., p. 70 à 74.
1063
Ibid., p. 61 et 63.
1064
Ibid., p. 76 et 77.
1065
Dans l’original en kinyarwanda : Ishyaka Rya Rubanda CDR Riramagana Guverinoma Igizwe N’Ibyitso.
Byagaragariye Kuri Ministri Ngurinzira Ushinzwe Ububanyi N’Amahanga. Mu Mezi Abiri Igomba Kuba
Yeguye.
1061

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d’Habyarimana que Ngeze était un fondateur de la CDR, et non un membre du FPR ou un
Inkotanyi, car il avait été arrêté à l’époque en raison de suspicions de cette nature1066.
922. Le témoin à décharge B3, militant de la CDR, a été contre-interrogé au sujet d’un
article du numéro 38 de Kangura signé par des étudiants membres de la CDR. L’article, dont
le texte lui a été lu en entier, était intitulé : « Allons-nous permettre aux Tutsis de nous
gouverner et de nous enchaîner à nouveau ? » Il était expressément adressé aux « Hommes
hutus, femmes hutues, où que vous soyez » et, après avoir rappelé au lecteur les siècles de
règne tutsi durant lesquels les Hutus vivaient dans la servitude, et le renversement des
gouvernants tutsis en 1959, il traitait de la menace de retour du régime tutsi. « Allons-nous
leur permettre à nouveau de prendre 50 pour cent des postes – voir le communiqué de la CDR
du 21 juillet 1992 – alors qu’ils ne représentent pas plus de 10 pour cent ? », demandait-il,
laissant entendre que si les Inyenzi entraient au gouvernement 100 % des postes de la
fonction publique seraient occupés par des Tutsis. Le risque de cette perspective et le rôle de
la CDR, assorti d’un appel à la soutenir, étaient présentés de la manière suivante :
Eh bien, [ce sera] 100 %, parce qu’ils vous auront renversés. Et rappelez-vous qu’ils
ne pardonnent pas. Ils ne vont pas se contenter de vous prendre votre poste, ils vont
vous étrangler, vous et toute votre progéniture. N’allez pas penser, surtout, que le
jour où ils nous auront [enchaînés de nouveau], ils vont commencer par le petit
peuple. Loin de là, vous serez la première cible. Cependant, si vous pensiez sagement
…, vous libéreriez la masse du peuple. Et, ce faisant, vous vous libéreriez, vousmêmes. Il est une chose de surprenante, à savoir qu’il y a des Hutus qui collaborent
avec les Tutsis, pour lutter contre la CDR. Il est une vérité … que renferme l’adage
suivant : « La mort qui va tuer le chien commence par lui [boucher] le nez* ». Voilà
pourquoi, [Hutus et Hutues], vous qui avez un forum … un endroit où vous exprimer,
nous vous demandons de soutenir publiquement la CDR et de la soutenir de toutes
vos forces. C’est le seul parti qui procède à une analyse objective des problèmes du
Rwanda1067.

923. Le témoin B3 a reconnu que cet article pouvait être considéré comme extrémiste1068.
À l’affirmation selon laquelle la CDR faisait de la propagande mensongère en faisant valoir
que les Tutsis avaient tout l’argent, il a rétorqué qu’il ne disposait pas d’informations valables
pour conclure que les Tutsis détenaient tout l’argent en 1992 et 19931069. Réinterrogé, le
témoin a déclaré qu’il n’avait pas lu l’article, ni discuté de son contenu avec les auteurs, avant
sa parution1070. Il a nié que Kangura ait été la voix de la CDR. Il a soutenu que Kangura était
un journal indépendant, qui n’était sous l’influence d’aucun parti1071.
924. Ngeze a déclaré au cours de son contre-interrogatoire que certains de ses employés de
Kangura avaient adhéré à la CDR. Il a dit que son rédacteur en chef adjoint, Issa Nyabyenda,
1066

Compte rendu de l’audience du 8 avril 2003, p. 34 à 36.
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 48 à 58. *Ndt. : Quand on est privé de ses moyens
essentiels, on est voué à la mort (Pierre Crépeau et Simon Nizimana, Proverbes du Rwanda, 1979), p. 546,
no 3898.
1068
Ibid., p. 51.
1069
Ibid., p. 62 et 63.
1070
Compte rendu de l’audience du 4 décembre 2002, p. 25 et 26.
1071
Compte rendu de l’audience du 3 décembre 2002, p. 30 et 31.
1067

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avait rejoint les rangs de la CDR dès sa création mais, comme lui-même, n’avait pas la carte
de la CDR bien qu’il ait pu en être sympathisant1072. Le rôle personnel de Ngeze dans la CDR
est envisagé ailleurs.
Appréciation des éléments de preuve
925. La Chambre relève qu’il existe divers indices de la relation étroite entre Kangura et la
CDR. Ngeze a soutenu à la barre qu’il était payé pour publier des communiqués de la CDR
mais, même si c’est vrai, cela n’explique pas qu’une édition entière ait été consacrée à la
création de la CDR, dont un éditorial saluant la naissance du parti et la présentant comme une
initiative de longue date de Kangura lancée sous le nom de PDR. Une manchette sur la
première page exhortait le lecteur à se familiariser avec la CDR, un formulaire d’adhésion
provisoire étant mis à sa disposition.
926. La Chambre considère que la reproduction, dans le numéro 38 de Kangura, d’une
lettre signée par des militants de la CDR et exhortant le lecteur à soutenir le parti, n’est pas en
soi la preuve de l’existence d’un lien entre Kangura et les auteurs de la lettre. Cependant, elle
ne peut accepter l’assertion de Ngeze selon laquelle le lecteur n’aurait pas vu dans les mots
« CDR, nous sommes vigilants », reproduits juste au-dessus de son nom, l’indication qu’il
représentait la position de la CDR. De même, son article sur les Accords d’Arusha, avec le
refrain « Je suis CDR », constitue une identification claire à ce parti, tout comme les
photographies de lui portant la cravate de la CDR, reproduites dans Kangura. Son explication
que ces photographies de lui démontraient qu’il était en prison, n’est pas convaincante.
Signer des lettres en la qualité de conseiller de la CDR et indiquer de toute autre manière son
adhésion au parti dans Kangura seraient encore venus donner à penser au lecteur que Ngeze
représentait la CDR. Ngeze lui-même a déclaré que Kangura avait publié des photographies
pour démontrer aux autorités qu’il était un fondateur de la CDR, ce qui indique non
seulement qu’il était conscient du message adressé mais qu’en fait ce message était voulu. La
Chambre rejette comme manifestement fausse l’assertion de Ngeze selon laquelle la
photographie parue dans le numéro 35 de Kangura avait été prise lors d’un match de football
et non d’un rassemblement de la CDR, comme l’a dit Nahimana et comme il ressort
clairement de la légende de la photographie.
927. En ce qui concerne le personnel de Kangura, la Chambre considère que l’adhésion au
parti de journalistes employés par le journal n’établit pas en soi un lien entre celui-ci et le
parti, à moins que les journalistes en question se soient servis de Kangura pour promouvoir le
parti. Ngeze était membre fondateur et actif de la CDR et y avait la qualité de conseiller, se
présentant lui-même comme tel dans Kangura*.
Conclusions factuelles
930. Kangura soutenait la CDR, revendiquant ce parti comme le sien, publiant une édition
spéciale à l’occasion de sa création, avec un formulaire d’adhésion, et exhortant le lecteur à
adhérer au parti. Dans Kangura, Hassan Ngeze a publiquement reconnu sa qualité officielle
1072

Compte rendu de l’audience du 3 avril 2003, p. 42 à 45.
* Ndt : Il n’y a pas de paragraphes 928 et 929.
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de conseiller de la CDR, et à travers des éditoriaux, des photographies et la reproduction de
lettres et communiqués, Kangura a cautionné et activement promu la CDR.
8.5

La RTLM et Kangura

931. Lorsque la RTLM commence à émettre en juillet 1993, Hassan Ngeze a fait bon
accueil à la nouvelle station dans Kangura. Dans un article intitulé la « RTLM: Pas de chance
pour les Tutsis », paru dans le numéro 46 de Kangura en juillet 1993, Ngeze écrit ce qui suit :
L’union fait la force. Le rêve des Hutus devient enfin une réalité car ils viennent
finalement de mettre en place une station de radio et télévision libre dont la création
avait été annoncée il y a plus d’une année. Nombreux sont ceux qui s’étaient
demandés pourquoi les Inyenzi en détenaient, seuls, le monopole. Ainsi nous, la
majorité des Hutus, avons-nous vite examiné les modalités de création d’une station
de radio et télévision libre. Plus les jours avançaient, plus on voyait différents petits
groupes qui souhaitaient sa création dans les meilleurs délais.
Ces petits groupes sont devenus très nombreux, ils ont rassemblé des idées et se sont
mis d’accord sur une seule, à savoir la création d’une station de radio et télévision ...
Les riches Hutus de toute mouvance politique et originaires de toutes les régions du
pays … ont souscrit des actions importantes dans cette société dénommée la RTLM.
Les intellectuels ainsi que les hautes autorités de ce pays, originaires de toutes les
régions et issus de tous les partis politiques, [ont également souscrit des actions]. Il
est cependant étonnant de constater qu’aucun Tutsi n’a pris l’initiative de souscrire
des actions dans la RTLM. Mais cela se comprend. Au cours d’une réunion de
l’assemblée générale tenue le 11 juillet 1993 à l’hôtel Amahoro sis à Remera, même
si les participants n’ont pas cessé d’insister sur l’aspect commercial de la RTLM, ce
n’était que des mots … [illisible] … les participants à la réunion ont exprimé leur
inquiétude de constater que les Inyenzi disposaient non seulement de leur station de
radio, Radio Muhabura, mais qu’ils avaient noyauté, eux et leurs complices, Radio
Rwanda. L’on constatait que tous les actionnaires parlaient le même langage : que
cette radio et télévision soit un signe de solidarité pour les Hutus. C’est d’ailleurs
cette action qui leur a permis de parler pour la première fois un même langage et de
conjuguer leurs efforts.
Voilà donc une station de radio et télévision qui aidera Kangura à mener à terme les
objectifs des Hutus. Sur le champ de bataille, les Forces armées rwandaises ont
vaincu, dans la presse Kangura est victorieux, et maintenant notre radio et télévision
vient de vaincre. Cette radio et télévision est même appelée radio des personnes
militant pour la sauvegarde de la République. … Que la RTLM soit pour nous un
signe de solidarité, qu’elle soit une voix visant à sensibiliser et à protéger les intérêts
du peuple majoritaire1073.

932. La couverture de cette livraison de Kangura porte un dessin humoristique figurant
Nahimana, Barayagwiza et Ngeze assis à une table portant l’inscription « RTLM » en face de
microphones, aux côtés du journaliste de la RTLM, Noël Hitimana. Le témoin AHA, qui a
aidé à confectionner le dessin humoristique, a précisé qu’il figurait un studio de télévison et
1073

Pièce à conviction P6, Kangura no 46, p. 1 et 2.

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n’était pas censé représenter la réunion constitutive de la RTLM, bien qu’il ait décrit les
personnages comme étant les membres fondateurs de la RTLM. Dans le dessin, Ngeze dit que
la RTLM devrait être le moyen de protéger la population dans sa lutte contre ceux qui
n’acceptent pas la République, Barayagwiza, que la RTLM devrait être le signe de la
collaboration entre Hutus, et Nahimana, que la RTLM devait être un forum pour les
intellectuels hutus qui travaillent pour les masses1074.
933. Le témoin AFB a entendu des annonces publicitaires relatives à Kangura à la fois sur
les ondes de Radio Rwanda et de la RTLM1075. Selon le témoin à charge GO, Kangura faisait
l’objet d’annonces sur les ondes de la RTLM pour que les auditeurs sachent le contenu de
chaque numéro. Prié de dire si cela n’était justement pas de la publicité, il a répondu qu’il ne
s’agissait pas de publicité en vue d’accroître les ventes. Chaque numéro de Kangura était
commenté par les journalistes de la RTLM, qui affirmaient que c’était le journal de la
majorité. En particulier, les commentaires dont il s’est souvenu concernaient l’aide que le
journal devait apporter pour vaincre l’ennemi et ses complices. Le but n’était pas seulement
les ventes, a-t-il dit, « ils cherchaient à mobiliser »1076.
934. Le 21 janvier 1994, Noël Hitimana a présenté Kangura comme suit sur les ondes de la
RTLM :
Maintenant, lisez Kangura numéro 54, le numéro 54 de Kangura va vous faire
connaître le journal Kangura a remporté le combat qu’il menait pour unifier les
Hutus. Maintenant, les Hutus parlent le même langage, et sur tous les sujets ... Le
contenu du numéro de Kangura - numéro 54 - est un rappel pour tous ... pour les
Rwandais, qui ont vu comment la guerre a commencé et comment elle se termine
avec la défaite des Inyenzi. On trouve le numéro 54 de Kangura dans tout le pays, et
il ne coûte que 100 francs.Lisez et faites lire Kangura, et vous saurez comment le
nommé «Yussuf », alias [Kiwani], allait tuer Mugenzi Justin. Voilà le contenu du
journal Kangura. Kangura, ... on voit Ngeze nu, il est assis, on lui a enlevé tous ses
habits, ils disent : « Nous t’avons attrapé, chien! Hein » On venait de lui dire que si
jamais, il y avait un Hutu qui meurt dans les ... [illisible]. Si un Tutsi meurt dans les
manifestations, lui aussi mourra. Je vois beaucoup de dessins dans Kangura. Yaah!
Twagiramungu Faustin, alias Rukokoma, est en train de danser, je ne sais pas, mais
avec qui il est en train de danser. Ah! Je vois. Il a pu attraper une fille - entre
parenthèses : il s’étonne - c’est vraiment incompréhensible. C’est un scandale! Il y a
des choses étonnantes, il faut vraiment bien regarder ce Kangura - ce numéro -, parce
que je vois que les choses sont graves, il y a des dessins grotesques. Kangura, c’est
vraiment Kangura, c’est un [vrai] journal ...1077.

935. Plusieurs témoins ont dit avoir entendu la RTLM se faire l’écho d’informations parues
dans Kangura. Le témoin AGX, Tutsi de Gisenyi, a dit qu’il avait écouté la RTLM en 1993 et
lu Kangura, et que les informations diffusées par la radio étaient pratiquement les mêmes que
celles publiées dans le journal. Par exemple, il aurait entendu dire sur les ondes de la RTLM
que le général commandant la MINUAR avait été vu à l’hôtel Chez Lando, entouré de
1074

Pièce à conviction P6 ; compte rendu de l’audience du 2 novembre 2000, p. 171.
Compte rendu de l’audience du 6 mars 2001, p. 27 et 28.
1076
Compte rendu de l’audience du 6 juin 2001, p. 140 et 141.
1077
Compte rendu de l’audience du 11 avril 2001, p. 41 à 44.
1075

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femmes, qui étaient qualifiées d’Ibizurengezi. Il avait vu par la suite dans le journal de Ngeze
une image du général à l’hôtel Chez Lando, disait-on, entouré de femmes qui lui montraient
leur poitrine et mettaient leurs seins dans sa bouche1078. Le témoin ABE, Tutsi de Kigali, a dit
à la barre que la RTLM et Kangura se livraient à la même campagne de propagande pour
assimiler les Tutsis aux Inyenzi/Inkotanyi1079.
936. Selon le témoin à charge AHA, journaliste de Kangura, il n’y avait pas de relations
directes entre la RTLM et Kangura ; les collègues des deux médias étaient amis mais il n’y
avait pas d’échange d’informations. D’après lui, Kangura et la RTLM se complétaient, les
deux faisant partie du même groupe qui œuvrait pour les Hutus et pour le régime dans la lutte
pour éviter la domination des Tutsis. Toujours d’après le témoin AHA, ils avaient des équipes
de rédaction distinctes, et il n’y avait pas de réunions communes pour la préparation des
articles, mais ils œuvraient dans le même sens. « C’était une sorte de coalition », a-t-il dit,
précisant qu’il y avait une coalition entre Tutsis d’un côté et entre Hutus de l’autre1080.
937. Dans le numéro 54 de Kangura paru en janvier 1994, Hassan Ngeze a signé un article
qui se lisait comme suit :
Kangura a été soutenu par le parti CDR. Ensuite, la Radio-RTLM a été créée, les
Interahamwe, les Impuzamugambi, les Inkuba du MDR ont également dit : « Nous
sommes prêts à nous battre pour notre patrie ». Toute la jeunesse hutue a [maintenant
appris comment affronter] les Inyenzi le jour où ces derniers relèveront la tête, sauf
[s’ils se font auparavant à l’idée qu’ils ne réussiront pas]. Kangura a tout fait,
Kangura a tout dit. Seule l’histoire va nous octroyer la récompense qui nous revient.
Nous venons de conclure la première phase : celle d’empêcher les Inyenzi de nous
[réduire en] esclavage. Nous commençons une deuxième phase : celle-là de
demander à tous les Hutus de partager tous les acquis de la révolution. Devrions-nous
accepter que les Hutus se partagent la mort et le malheur, et que les avantages soient
accumulés par un petit groupe de gens que nous n’avons pas besoin de citer – un
homme averti en vaut deux ! Celui qui refuse d’écouter [devra subir les conséquences
de son refus]. Nous, [de l’]équipe Kangura, avons démontré notre courage et
l’histoire nous récompensera comme il sied1081.

938. Selon Kabanda la RTLM avait fait la publicité de ce numéro de Kangura et demandé
aux auditeurs de l’acheter1082.
939. En mars 1994, Kangura organise un concours, conjointement avec la RTLM, évoqué
à la section 2.3.
Appréciation des éléments de preuve
940. La Chambre relève que Kangura et la RTLM parlaient l’un de l’autre d’une manière
qui démontrait leur sens de l’objectif commun. Kangura a accueilli la RTLM comme une
1078
1079
1080
1081
1082

Compte rendu de l’audience du 11 juin 2001, p. 67 et 68.
Compte rendu de l’audience du 28 février 2002, p. 34 et 35.
Comptes rendus des audiences du 2 novembre, p. 206, et du 6 novembre 2000, p. 25.
Compte rendu de l’audience du 16 mai 2002, p. 195 et 196.
Ibid., p. 67 et 68.

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initiative qu’il avait concouru à lancer. La Chambre rappelle que Kangura détenait
institutionnellement une part de la RTLM, peut-être en signe de soutien symbolique et
d’unité. Le mot « solidarité » qui revient souvent dans Kangura renvoie clairement à la
solidarité hutue qui exclut toute participation tutsie, comme il ressort du titre de l’article « La
RTLM : Pas de chance pour les Tutsis » et de la réflexion qui y est faite qu’il n’est pas
surprenant qu’il n’y ait pas d’actionnaires tutsis à la RTLM. La Chambre est d’avis que cet
article va au-delà du champ habituel des nouvelles et du commentaire. Kangura s’identifiait
lui-même ainsi publiquement à la RTLM et, comme l’illustrait le dessin humoristique sur la
couverture du numéro 46 de Kangura, Ngeze projetait l’image qu’il concourait à l’effort
commun en vue de créer un cadre de collaboration hutue. Le dessin humoristique sur la
couverture figure les trois accusés ensemble dans un studio de télévision, discutant de la
création de la RTLM, ce qui indiquait qu’il existait ou était créé dans l’opinion l’impression
que les accusés concouraient à une initiative commune.
941. De même, de l’avis de la Chambre, la RTLM a promu Kangura d’une manière qui
dépassait les formes traditionnelles d’interaction entre médias. L’annonce faite le 21 janvier
1994 sur les ondes de la RTLM par Noël Hitimana ne revêt pas la forme d’une publicité
commandée par Kangura. C’est une publicité de la RTLM pour Kangura, dans laquelle la
première, en son nom propre, exhorte maintes fois les auditeurs à acheter ce journal. De
même, le concours organisé par Kangura en mars 1994 a été promu par la RTLM et
constituait également en quelque sorte une entreprise commune.
942. La Chambre retient la déposition du témoin AHA qui a dit que Kangura et la RTLM
n’échangeaient pas d’informations ni n’avaient de réunions de rédaction conjointes. Il a
qualifié leur relation de complémentaire et estimé que Kangura et la RTLM étaient partie à
une coalition. La Chambre considère que cette déposition rend bien compte de la relation qui
existait entre Kangura et la RTLM, ce que viennent confirmer les dépositions évoquées plus
haut. Dans l’article paru dans le numéro 54 de Kangura de janvier 1994, Ngeze situe la CDR
aussi dans cette coalition. La formule « Kangura a été soutenu par la CDR. Ensuite la RadioRTLM a été créée » rend compte de sa conception de l’enchaînement des choses. Que la
coalition ait rempli son office ressort de la réflexion suivante : « Toute la jeunesse hutue a
maintenant appris comment affronter les Inyenzi … » Le but − commun − était de mobiliser
les Hutus contre l’ennemi, désigné à maintes reprises comme la population tutsie et compris
comme tel.
Conclusions factuelles
943. Kangura et la RTLM ont agi en associés dans une coalition hutue, à laquelle était
également partie la CDR. Kangura et la RTLM ont présenté un front médiatique commun,
dialoguant publiquement et assurant leur promotion mutuelle par voie d’articles, d’annonces
radiophoniques et de l’initiative commune représentée par le concours de Kangura de
mars 1994. Kangura a présenté les trois accusés dans une entreprise commune, à savoir la
RTLM, coalition dont le but était de mobiliser la population hutue contre la minorité ethnique
tutsie.

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CHAPITRE IV
CONCLUSIONS JURIDIQUES
1.

Introduction

944. Aux termes d’une résolution adoptée en 1946 par l’Assemblée générale des
Nations Unies, la liberté d’information, droit de l’homme fondamental, est « impérativement
subordonnée à la volonté et à la capacité de jouir des privilèges qu’elle confère sans en abuser
et, à titre de discipline élémentaire, à l’obligation morale de rechercher des faits sans parti
pris et de répandre des connaissances sans intention malveillante1083 ».
945. La présente espèce touche à d’importants principes gouvernant le rôle des médias,
auxquels la justice pénale internationale ne s’est pas intéressée depuis Nuremberg. Le
pouvoir des médias de créer et détruire des valeurs humaines fondamentales a pour
contrepartie une lourde responsabilité. Ceux qui contrôlent ces médias doivent répondre des
conséquences des actes de ces médias.
2.

Génocide

946. Le chef 2 des actes d’accusation retient contre les accusés le chef de génocide par
application de l’article 2.3 a) du Statut, en ce qu’ils sont responsables du meurtre et
d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres de la population tutsie
commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique ou racial comme
tel.
947. L’article 2.2 du Statut définit le génocide comme étant l’un des actes ci-après,
commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel :
a)

Meurtre de membres du groupe ;

b)

Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c)
Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle ;
d)

Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e)

Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

948. La Chambre de première instance en l’affaire Akayesu a interprété l’expression
« comme tel » comme signifiant que l’acte doit être commis contre un individu parce que cet
individu était membre d’un groupe spécifique et en raison même de son appartenance à ce
groupe, de sorte que la victime est le groupe lui-même et non pas seulement l’individu1084.
1083
1084

Résolution 59 (I) de l’Assemblée générale des Nations Unies (1946).
Jugement Akayesu, par. 521.

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L’individu incarne le groupe. La Chambre considère que les actes commis contre les
opposants hutus l’ont été en raison du soutien que ces derniers ont apporté au groupe
ethnique tutsi et en exécution de l’intention de détruire ce groupe.
La RTLM
949. La Chambre a conclu – on l’a vu au paragraphe 486 − que dans ses émissions la
RTLM se livrait à des stéréotypes ethniques d’une manière qui incitait au mépris et à la haine
de la population tutsie et encourageait les auditeurs à débusquer l’ennemi, défini comme étant
le groupe ethnique tutsi, et à prendre les armes contre cet ennemi. Ces émissions exhortaient
ouvertement à l’extermination du groupe ethnique tutsi. En 1994, tant avant qu’après le
6 avril, la RTLM a diffusé les noms de Tutsis et de membres de leur famille, ainsi que
d’opposants politiques hutus qui prêtaient appui au groupe ethnique tutsi. Dans certains cas,
ces personnes seront tuées par la suite. Il a été établi un lien de causalité directe entre les
émissions de la RTLM et le meurtre de ces individus – soit on les a nommés publiquement,
soit on a manipulé leurs mouvements et on a donné l’ordre de les tuer, en tant que groupe –
(voir paragraphe 487).
Kangura
950. La Chambre a conclu, ainsi qu’il ressort des paragraphes 245 et 246, que L’Appel à la
conscience des Bahutu et Les dix commandements, reproduits dans le numéro 6 de Kangura
de décembre 1990, véhiculaient le mépris et la haine du groupe ethnique tutsi, et en
particulier des femmes tutsies, qualifiées d’agents de l’ennemi, et appelaient le lecteur à
prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter l’ennemi, désigné comme étant la
population tutsie. D’autres éditoriaux et articles parus dans Kangura ont repris en écho le
mépris et la haine du Tutsi véhiculés par Les dix commandements et étaient manifestement
destinés à attiser les flammes de la haine, du ressentiment et de la peur contre la population
tutsie et les opposants politiques hutus qui soutenaient le groupe ethnique tutsi. La couverture
du numéro 26 de Kangura a encouragé la violence en véhiculant le message que la machette
devait être utilisée pour éliminer les Tutsis pour de bon. C’était là un appel à la destruction du
groupe ethnique tutsi comme tel. En semant la peur et propageant la haine, Kangura a fait le
lit du génocide au Rwanda, poussant la population hutue à une frénésie meurtrière.
La CDR
951. Le mouvement du Hutu Power, avec la CDR comme fer de lance, a créé les
conditions politiques pour le meurtre de Tutsis et d’opposants politiques hutus. La CDR et
son aile jeunesse, les Impuzamugambi, ont organisé des meetings et des manifestations, établi
des barrages routiers, distribué des armes et méthodiquement organisé et perpétré le meurtre
de civils tutsis. On entonnait toujours l’appel au génocide « Tubatsembatsembe » ou
« Exterminons-les », parlant de la population tutsie, lors des meetings et des manifestations
de la CDR. En plus d’orchestrer des actes de massacre bien déterminés, la CDR a suscité
chez les Hutus un état d’esprit qui a banalisé la haine ethnique en tant qu’idéologie politique.
La division des Hutus et des Tutsis a installé dans les esprits la peur des Tutsis et la suspicion
à leur égard et a forgé de toutes pièces le sentiment que la population tutsie devait être
détruite pour préserver les acquis politiques de la majorité hutue.
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Lien de causalité
952. De par la nature même des médias, les meurtres et autres actes de génocide ont
nécessairement une cause directe en plus du discours lui-même. De l’avis de la Chambre, cela
ne diminue en rien la responsabilité causale des médias considérés, ni la responsabilité pénale
de ceux à qui l’on doit le discours.
953. La Défense soutient que l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana et la mort
de celui-ci ont précipité le massacre de civils tutsis innocents. La Chambre accepte que cet
épisode a servi de détonateur aux faits qui ont suivi. Cela est évident. Mais si le fait d’abattre
l’avion revenait à presser sur la détente du fusil, alors la RTLM, Kangura et la CDR étaient
les balles dans le canon de ce fusil. Presser sur la détente a eu un impact d’autant plus
meurtrier que le fusil était chargé. Dès lors, la Chambre considère que l’on peut dire que le
massacre des civils tutsis est la conséquence, au moins en partie, du discours d’extermination
ethnique ouvertement et efficacement véhiculé par la RTLM, Kangura et la CDR, avant et
après le 6 avril 1994.
Agissements de Jean-Bosco Barayagwiza
954. Ainsi qu’il est constaté au paragraphe 730, Barayagwiza s’est rendu à Gisenyi, une
semaine après le 6 avril, avec un camion chargé d’armes qui ont été distribuées à la
population locale et utilisées pour tuer des membres de l’ethnie tutsie. Barayagwiza a joué un
rôle moteur dans la distribution de ces armes, qui s’inscrivait dans un plan préétabli et
méthodique visant à tuer des civils tutsis. De ce qu’il a joué un rôle critique dans ce plan, en
ce qu’il a orchestré la distribution des armes devant servir à des fins de destruction, la
Chambre conclut que Barayagwiza a concouru à planifier les meurtres. Ainsi qu’il ressort du
paragraphe 719, Barayagwiza a supervisé les barrages établis par les Impuzamugambi, dans le
but d’arrêter et de tuer des Tutsis.
Agissements d’Hassan Ngeze
955. Ainsi qu’il est constaté au paragraphe 836, dans la matinée du 7 avril 1994, Hassan
Ngeze a ordonné aux Interahamwe de Gisenyi de tuer des civils tutsis. Beaucoup, notamment
la mère, le frère et la sœur enceinte du témoin EB, dont le corps porte les marques d’abus
sexuels perpétrés avec un parapluie, seront tués dans les attaques qui ont suivi
immédiatement ou dans le courant de la même journée. De ces agissements, la Chambre
conclut qu’Hassan Ngeze a ordonné le massacre de civils tutsis.
956. Ainsi qu’il ressort du paragraphe 837, Hassan Ngeze a aidé à mettre en lieu sûr et
distribuer, a entreposé et transporté des armes destinées à être utilisées contre la population
tutsie. Il a dressé, tenu et supervisé des barrages routiers à Gisenyi en 1994 qui ont permis
d’identifier des civils tutsis recherchés qui seront par la suite conduits et tués à la Commune
rouge. La Chambre en conclut que Ngeze a aidé et encouragé au massacre de civils tutsis.

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Intention génocide
957. Pour rechercher l’intention des accusés, la Chambre s’est intéressée à leurs propos et
agissements, ainsi qu’au discours qu’ils véhiculaient à travers les médias sous leur contrôle.
958. Le 15 mai 1994, le rédacteur en chef de la RTLM, Gaspard Gahigi, a déclaré ceci aux
auditeurs :
… ils disent que les Tutsis sont en train d’être exterminés, qu’ils sont décimés par les
Hutu, et d’autres choses aussi. Ici, je voudrais vous dire, chers auditeurs de la RTLM,
que la guerre que nous menons [oppose] effectivement […] ces deux ethnies, celles
des Hutu et des Tutsi1085.

959. L’émission diffusée par la RTLM le 4 juin 1994 est une autre illustration frappante de
l’intention génocide :
[Q]u’ils se lèvent tous et qu’ensuite nous tuions les Inkotanyi, que nous les
exterminions … la [raison pour laquelle] nous les exterminerons, c’est qu’il s’agit
d’une seule ethnie. Regardez donc une personne et voyez sa taille et son apparence
physique, regardez seulement son petit nez et ensuite cassez-le1086.

960. Même avant le 6 avril 1994, la RTLM assimilait les Tutsis à l’ennemi, ainsi qu’il
ressort de son émission du 6 janvier 1994 au cours de laquelle Kantano Habimana demande :
« Pourquoi haïrais-je les Tutsis? Pourquoi haïrais-je les Inkotanyi ? »
961.

Dans un article publié par Kangura en janvier 1994, Hassan Ngeze écrivait :
Que les Inyenzi aient le courage de comprendre ce qui va se passer et qu’ils sachent
que s’ils commettent une petite erreur ils vont être exterminés ; que s’ils commettent
l’erreur d’attaquer encore une fois, il n’en restera plus dans tout le Rwanda, même
plus un seul complice. Tous les Hutus sont unis …1087

962. Expression sans doute la plus crue de l’intention génocide, la couverture du
numéro 26 de Kangura répond à la question « Quelles armes allons-nous utiliser pour vaincre
les Inyenzi pour de bon ? » par le dessin d’une machette. Que le groupe ethnique tutsi ait été
la cible de la machette ressortait clairement d’une autre question apparaissant sur la même
couverture : « Et si l’on recommençait la révolution de 1959 des Bahutu, pour que nous
vainquions les Inyenzi-Ntutsi ». La même couverture arborait le titre « Batutsi, race de
Dieu ! »1088.
963. Kangura et la RTLM ont ouvertement et répétitivement – de fait sans relâche – voué
la population tutsie à la destruction. En diabolisant les Tutsis présentés comme foncièrement
malfaisants, en assimilant le groupe ethnique à « l’ennemi » et en qualifiant les femmes de ce
1085

Voir par. 392.
Voir par. 396.
1087
Voir par. 215.
1088
Voir par. 160.
1086

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groupe d’agents séducteurs de l’ennemi, les médias ont appelé à l’extermination du groupe
ethnique tutsi face à la menace politique qu’ils associaient à l’ethnie tutsie.
964. L’intention génocide inspirant les activités de la CDR est contenue dans le slogan
« Tubatsembasembe » ou « Exterminons-les », qui rythmait les ralliements et manifestations
de la CDR. Suivant la ligne de conduite adoptée, les communiqués de la CDR exhortaient la
population hutue à « neutraliser par tous les moyens possibles » l’ennemi, désigné comme
étant le groupe ethnique tutsi.
965. De l’avis de la Chambre, la ligne éditoriale qui ressort des articles de Kangura et des
émissions de la RTLM caractérise l’intention génocide. D’autres propos tenus par chaque
accusé, pris individuellement, trahissent encore cette intention génocide.
966. Dans une émission de Radio Rwanda du 25 avril 1994, Ferdinand Nahimana s’est dit
content que la RTLM jouait un rôle-clé dans l’éveil du peuple majoritaire, c’est-à-dire la
population hutue, et que la population se soit levée pour arrêter l’ennemi. Il se perpétrait alors
des massacres – dans lesquels les émissions de la RTLM jouaient un rôle important – depuis
près de trois semaines. Nahimana a assimilé l’ennemi au groupe ethnique tutsi. Son
article « Le Rwanda, problèmes actuels, solutions », paru en février 1993 et remis en
circulation en mars 1994, évoquait maintes fois ce qu’il qualifiait de « ligue tutsie »,
référence voilée à la population tutsie dans son ensemble, assimilant ce groupe à l’ennemi de
la démocratie au Rwanda. Tête pensante de la RTLM, Nahimana a mis en mouvement
l’arsenal des communications dans « la guerre des médias, des mots, des journaux et des
stations de radio », qu’il a évoquée lors de son intervention sur Radio Rwanda le 25 avril,
pour compléter celle menée avec les balles. Nahimana a également exprimé son intention au
moyen de la RTLM, radio sur les ondes de laquelle on tenait un discours poussant à tuer en
raison de l’appartenance ethnique, ce dessein ayant été réalisé.
967. Jean-Bosco Barayagwiza a déclaré lors de meetings publics : « Exterminons-les », le
pronom « les » étant compris par son auditoire comme visant la population tutsie. Après avoir
séparé les Tutsis des Hutus et avoir humilié les Tutsis en les forçant à exécuter l’Ikinyemera,
leur danse traditionnelle, lors de plusieurs meetings publics, Barayagwiza a menacé de les
tuer et déclaré que ce ne serait pas difficile. La volonté implacable de Barayagwiza de
détruire la population tutsie comme moyen de sauvegarder les acquis politiques de la majorité
hutue depuis 1959 ressort clairement de ses propos et actes.
968. Hassan Ngeze a signé de nombreux articles et éditoriaux et fait de nombreuses
déclarations qui caractérisent manifestement son intention génocide. Dans l’un de ses articles,
il a écrit que les Tutsis « ne cachent plus que cette guerre oppose les Hutus aux Tutsis1089 ».
Lors de son intervention du 12 juin 1994 sur Radio Rwanda, il exhortait les auditeurs à ne pas
tuer par erreur des Hutus à la place des Tutsis. L’évocation en des termes grossiers des traits
physiques et personnels propres aux Tutsis suinte de Kangura et de ses propres écrits dans ce
journal. Ngeze mettait toujours en avant le nez large des Hutus, le contrastant avec le nez
aquilin des Tutsis, et ne cessait de traiter les Tutsis de malfaisants. De l’avis de la Chambre,
qu’il ait aidé à protéger des Tutsis qu’il connaissait n’enlève rien au fait qu’il était animé de
1089

Voir par. 181.

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l’intention de détruire ce groupe ethnique comme tel. Le témoin LAG l’a entendu dire « [S]i
Habyarimana devait aussi mourir, nous ne pourrions pas épargner les Tutsis ». Le témoin
AEU l’a entendu dire, dans un mégaphone, qu’il allait tuer et exterminer tous les Inyenzi,
c’est-à-dire les Tutsis, et, ainsi qu’il est dit plus haut, Ngeze a personnellement ordonné une
attaque contre des civils tutsis à Gisenyi, démontrant par là qu’il était habité de l’intention de
détruire la population tutsie.
969. Des éléments de preuve susévoqués, la Chambre conclut au-delà de tout doute
raisonnable que Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze ont agi dans
l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe ethnique tutsi. Pour elle, que l’on ait
rattaché le groupe ethnique tutsi à un programme politique, en confondant dans les faits
identités ethniques et politiques, n’annule pas l’intention génocide dont les accusés étaient
animés. Au contraire, que l’on ait désigné des Tutsis comme ennemis de l’État associés à
l’opposition politique, du seul fait de leur appartenance à l’ethnie tutsie, fait ressortir que leur
appartenance à ce groupe ethnique comme tel était la seule raison pour laquelle ils étaient
visés.
Responsabilité pénale individuelle
970. La Chambre a recherché si Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza
encouraient une responsabilité pénale individuelle du chef des émissions de la RTLM, à
raison de leurs rôles respectifs dans la création et le contrôle de cette station. Ainsi qu’elle l’a
conclu au paragraphe 567, Nahimana et Barayagwiza étaient respectivement « numéro un » et
« numéro deux » de la direction de la radio. Ils représentaient la radio au plus haut niveau aux
réunions avec le Ministère de l’information ; ils contrôlaient les finances de la société ; et ils
étaient tous deux membres du Comité d’initiative qui agissait en fait comme conseil
d’administration de la RTLM. Nahimana présidait la commission des programmes de ce
conseil, et Barayagwiza la commission juridique. Si la Chambre reconnait que Nahimana et
Barayagwiza ne prenaient pas de décisions en amont concernant chaque émission de la
RTLM, ces décisions traduisaient une ligne éditoriale dont ils étaient responsables. Phocas
Habimana, Gaspard Gahigi et tous les présentateurs jusqu’en bas de la hiérarchie étaient en
définitive comptables au Comité d’initiative, qui faisait fonction de conseil d’administration
de la RTLM. Le fait que Nahimana ait prétendu que le conseil n’intervenait pas directement
au niveau des journalistes est du point de vue juridique sans rapport avec l’exercice que
Barayagwiza et lui ont fait du pouvoir au plus haut niveau de décision. Ils intervenaient à un
niveau plus élevé de direction.
971. Les émissions ont véhiculé collectivement un discours de haine ethnique et un appel à
la violence contre la population tutsie. Ce discours a été entendu dans le monde entier.
« Ferme[z] cette radio » était le cri qu’a entendu Alison Des Forges du Rwanda pendant les
massacres, et celui dont Reporters sans Frontières s’est fait l’écho auprès de l’ONU en mai
1994. En qualité de membres du conseil d’administration de la RTLM, chargés notamment de
sa programmation, Nahimana et Barayagwiza étaient responsables de ce discours et savaient
qu’il inspirait des inquiétudes, déjà avant le 6 avril 1994 et dès octobre 1993, quand ils ont
reçu une lettre du Ministre rwandais de l’information. Ils ont accepté et exercé leur rôle
d’encadrement à la RTLM en prenant la défense de la radio lors de rencontres en 1993 et
1994 avec le Ministre. Étant donné l’inquiétude exprimée par ce dernier, tant Barayagwiza
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que Nahimana, qui savaient que les programmes de RTLM suscitaient des craintes, ont
néanmoins défendu la programmation lors de leurs rencontres avec le Ministre. Dans la
mesure où ils ont reconnu qu’il y avait un problème et ont essayé de le résoudre, ils ont
montré qu’ils se sentaient responsables de la programmation de la RTLM. En fin de compte,
les inquiétudes manifestées ont été méconnues et les programmes de la RTLM ont continué
sur leur lancée, gagnant de plus en plus en véhémence et atteignant un paroxysme de frénésie
après le 6 avril.
972. Après le 6 avril 1994, même si les preuves produites ne démontrent pas le même
niveau de soutien actif, il est néanmoins constant que Nahimana et Barayagwiza savaient ce
qui se passait à la RTLM et n’ont pas exercé les pouvoirs qu’ils tiraient de leur qualité de
membres en exercice de l’organe de direction de celle-ci pour prévenir les actes de génocide
provoqués par les émissions qu’elle diffusait. Qu’ils aient eu de facto le pouvoir d’empêcher
la commission de ce crime est démontré par l’unique intervention, connue et réussie, de
Nahimana tendant à arrêter les attaques de la RTLM contre la MINUAR et le général
Dallaire. Nahimana et Barayagwiza ont informé Dahinden lorsqu’ils l’ont rencontré en juin
1994 que la RTLM se déplaçait à Gisenyi. Rapprochée de la boutade de Barayagwiza à un
concurrent à propos de l’initiative radiophonique de Dahinden, cette conversation atteste que
Nahimana et Barayagwiza continuaient à entretenir des liens avec la RTLM.
973. Cela étant, la Chambre conclut que Nahimana et Barayagwiza exerçaient une
responsabilité de supérieur hiérarchique s’agissant des émissions de la RTLM. Elle relève
que Nahimana n’est pas poursuivi du chef de génocide au regard de l’article 6.3 du Statut.
Seul Barayagwiza répond de ce chef. Pour avoir concouru activement à la gestion de la
RTLM avant le 6 avril et n’avoir pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour
empêcher le massacre de civils tutsis encouragé par la RTLM, la Chambre conclut que
Jean-Bosco Barayagwiza est coupable de génocide au regard de l’article 6.3 du Statut.
974. La Chambre relève le rôle particulier de Nahimana en qualité de fondateur et de
principal idéologue de la RTLM, à qui elle doit plus qu’à tout autre d’avoir vu le jour.
L’initiative et l’idée sont venues de lui, instruit qu’il était par son expérience de directeur de
l’ORINFOR et l’intelligence qu’il avait du pouvoir des médias. Il ressort des preuves
produites que Nahimana était satisfait de son oeuvre. Dans une émission sur Radio Rwanda le
25 avril 1994, il a déclaré ceci : « Je suis très content parce que j’ai compris que la RTLM
jouait un rôle-clé dans l’éveil du peuple majoritaire ». Ses échanges avec Dahinden en juin
1994 n’indiquent pas que Barayagwiza et lui-même aient pensé autrement. Certes, Nahimana
nie toute responsabilité pour les émissions de la RTLM diffusées après le 6 avril, mais la
Chambre juge ce déni de responsabilité trop facile. L’interview de Nahimana sur Radio
Rwanda a eu lieu pendant que le génocide se perpétrait, alors que l’on massacrait la
population tutsie. Nahimana était moins activement associé à la conduite au jour le jour des
affaires de la RTLM après le 6 avril 1994, mais celle-ci n’a pas dévié de la voie qu’il lui avait
tracée avant cette date. Ainsi qu’il ressort du paragraphe 486, les émissions ont gagné en
virulence après le 6 avril, appelant ouvertement à l’extermination de la population tutsie. Les
programmes de la RTLM au lendemain du 6 avril se sont érigés sur les fondations établies
pour la radio avant cette date. La RTLM a fait ce que Nahimana voulait qu’elle fît. Elle a joué
« un rôle-clé dans l’éveil du peuple majoritaire » et a amené la population à se dresser face à
l’ennemi tutsi. La RTLM était l’arme de choix de Nahimana, qui l’a utilisée pour inciter au
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massacre de civils tutsis. Cela étant, la Chambre conclut que Nahimana est coupable de
génocide au regard de l’article 6.1 du Statut.
975. Ainsi qu’il ressort des paragraphes 276, 301 et 339 à 341, Jean Bosco Barayagwiza a
été l’un des principaux fondateurs de la CDR et a joué un rôle de premier plan dans sa
formation et son développement. Il était un des décideurs du parti. La CDR avait une aile
jeunesse, appelée les Impuzamugambi, qui ont commis des actes de violence, souvent avec
les Interahamwe, l’aile jeunesse du MRND, contre la population tutsie. Le meurtre de civils
tutsis a été encouragé par la CDR, ainsi que l’atteste le fait que le chant
« tubatsembatsembe » ou « exterminons-les » a été entonné par Barayagwiza lui-même et par
les militants de la CDR en sa présence lors de meetings et de manifestations populaires. Le
pronom « les » était compris comme visant la population tutsie. Barayagwiza a supervisé les
barrages routiers tenus par les Impuzamugambi dans le but d’arrêter et de tuer les Tutsis. La
Chambre retient que Barayagwiza était directement impliqué dans l’extériorisation de
l’intention génocide et dans les actes de génocide perpétrés par les militants de la CDR et ses
Impuzamugambi. Barayagwiza a été à la tête du dispositif organisationnel. Il était également
sur les lieux lors des meetings, des manifestations et des barrages qui ont campé le décor en
vue du meurtre de civils tutsis et l’ont occasionné. Cela étant, la Chambre conclut que JeanBosco Barayagwiza est coupable d’avoir incité à commettre des actes de génocide perpétrés
par des militants de la CDR et des Impuzamugambi, par application de l’article 6.1 du Statut.
976. La Chambre rappelle que dans le jugement Musema, le Tribunal a conclu que la
responsabilité du supérieur hiérarchique s’étendait à des non-militaires, en ladite espèce au
propriétaire d’une usine de thé.1090 Elle a recherché dans quelle mesure Barayagwiza, en sa
qualité de dirigeant du parti politique qu’était la CDR, encourt une responsabilité au regard
de l’article 6.3 du Statut à raison des actes commis par des militants et des Impuzamugambi
de la CDR. La Chambre reconnaît qu’un parti politique et sa direction ne peuvent être tenus
responsables de tous les actes commis par les militants du parti ou d’autres personnes
affiliées au parti. Le parti politique se distingue d’une entité gouvernementale ou militaire ou
d’une société en ce que ses militants ne sont pas forcément régis, de par quelque lien
professionnel ou leur qualité d’employé, par l’organe décisionnaire du parti. Néanmoins, la
Chambre considère que, dans la mesure où les militants d’un parti politique agissent
conformément aux mots d’ordre de ce parti, ou selon ses instructions, ceux qui édictent ces
mots d’ordre ou ces instructions peuvent et doivent être tenus responsables de leur exécution.
En l’espèce, des militants et des Impuzamugambi de la CDR ont suivi l’exemple du parti, et
de Barayagwiza lui-même, qui se trouvait à des meetings, à des manifestations et à des
barrages, lorsque des militants et des Impuzamugambi de la CDR ont été appelés à passer à
l’action par des responsables du parti, dont Barayagwiza ou sous son autorité en sa qualité de
dirigeant du parti. Cela étant, la Chambre considère que Barayagwiza est responsable des
agissements des militants de la CDR et Impuzamugambi, dans la mesure où, soit il a pris
l’initiative de ces agissements, soit ceux-ci ont été entrepris conformément à ses directives en
sa qualité de dirigeant de la CDR.
977. La Chambre conclut que Barayagwiza exerçait une responsabilité de supérieur
hiérarchique vis-à-vis des militants de la CDR et de sa milice, les Impuzamugambi, en sa
1090

Jugement Musema, par. 148 et 905.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

qualité de président de la CDR dans la préfecture de Gisenyi et de président de la CDR au
niveau national à compter de février 1994. Il a promu la politique de la CDR tendant à
l’extermination de la population tutsie et a supervisé ses subordonnés, les militants de la CDR
et la milice Impuzamugambi, à l’occasion de la perpétration des massacres et des autres actes
de violence. Pour s’être activement engagé dans la CDR et n’avoir pas pris les mesures
nécessaires et raisonnables pour empêcher le meurtre de civils tutsis par des militants et
Impuzamugambi de la CDR, la Chambre juge Barayagwiza coupable de génocide par
application de l’article 6.3 du Statut.
977A. En sa qualité de fondateur, de propriétaire et de rédacteur en chef de Kangura,
publication qui a provoqué le meurtre de civils tutsis, et à raison de ses actes personnels, en
ce qu’il a ordonné et aidé et encouragé le massacre de civils tutsis, la Chambre juge Hassan
Ngeze coupable de génocide par application de l’article 6.1 du Statut.
3.

Incitation directe et publique à commettre le génocide

Jurisprudence
978. Le Tribunal a envisagé les éléments constitutifs du crime d’incitation directe et
publique à commettre le génocide pour la première fois dans l’affaire Akayesu, relevant à
cette occasion que, lors de l’adoption de la Convention sur le génocide, cette infraction avait
été retenue « en raison notamment de son importance dans la préparation du génocide ». Le
jugement Akayesu évoque les explications du représentant de l’URSS qui a qualifié ce rôle
d’essentiel, déclarant qu’ « il est … impossible que des centaines de milliers d’exécutants
accomplissent autant de crimes, s’ils n’y ont pas été incités » et de se demander « [c]omment,
dans ce cas, admettre que ces provocateurs et ces organisateurs échappent au châtiment, alors
qu’ils sont les vrais responsables des atrocités commises1091 ».
979. La présente espèce envisage franchement le rôle des médias dans le génocide qui a eu
lieu au Rwanda en 1994 et la question juridique connexe de savoir ce qui donne prise à une
responsabilité pénale individuelle du chef d’incitation directe et publique à commettre le
génocide. À la différence d’Akayesu et d’autres personnes qui, de l’avis du Tribunal,
s’étaient livrés à de l’incitation par leur propre discours, les accusés en l’espèce ont
systématiquement fait usage des médias écrits et radiophoniques, non seulement pour diffuser
leurs propres discours mais encore ceux de biens d’autres, et véhiculer ainsi des idées et
mobiliser la population en masse. En appréciant le rôle des mass media, la Chambre doit
s’intéresser non seulement au contenu de tels ou tels émissions et articles, mais également à
l’application générale de ces principes à l’élaboration des programmes médiatiques, ainsi
qu’aux responsabilités inhérentes à la propriété et au contrôle institutionnel des médias.
980. À cette fin, un rappel du droit international et de la jurisprudence internationale sur
l’incitation à la discrimination et à la violence servira de guide utile pour apprécier la
responsabilité pénale du chef d’incitation directe et publique à commettre le génocide, au
regard du droit fondamental à la liberté d’expression.

1091

Jugement Akayesu, par. 551.

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Le Tribunal militaire international de Nuremberg
Streicher
981. Qualifiée par le Tribunal dans le jugement Akayesu de « [l]a plus célèbre
condamnation pour incitation » et dans le jugement Ruggiu de « particulièrement
pertinente », l’affaire Julius Streicher a vu celui-ci condamné à la peine de mort par le
Tribunal militaire international de Nuremberg pour des articles antisémites qu’il avait publiés
dans son hebdomadaire Der Stürmer. Connu de tous comme le « harceleur numéro un des
Juifs », Julius Streicher était l’éditeur de Der Stürmer de 1923 à 1945 et son rédacteur en chef
jusqu’en 1933. Dans son jugement, le Tribunal de Nuremberg a invoqué les propres écrits de
Streicher, des articles qu’il avait publiés, et la lettre d’un lecteur qu’il avait publiée, appelant
tous à l’extermination des Juifs. Le jugement de Nuremberg a déclaré que, bien que dans sa
déposition à la barre, Streicher ait nié toute connaissance des exécutions massives de Juifs, il
avait en fait sans cesse été informé de la déportation et du massacre de Juifs en Europe de
l’Est. Cependant, le jugement ne relève pas expressément de lien de causalité directe entre la
publication de Streicher et tels ou tels actes d’assassinat ; il qualifie plutôt son œuvre de
poison « versé dans l’esprit de milliers d’Allemands [qui] leur fit accepter la politique
national-socialiste de persécution et d’extermination des Juifs »1092. Bien qu’il ait jugé que
Streicher n’ait jamais été un des conseillers intimes d’Hitler et n’avait même pas participé à
l’élaboration de la politique, le Tribunal de Nuremberg l’a néanmoins déclaré coupable de
crimes contre l’humanité pour avoir incité au meurtre et à l’extermination des Juifs, acte
considéré comme constitutif de « persécution » au sens du Statut du Tribunal militaire
international.
Fritzsche
982. Également poursuivi du chef d’incitation constitutive de crime contre l’humanité,
Hans Fritzsche a été acquitté par le Tribunal militaire international. Chef de la Section de
radiodiffusion du Ministère de la propagande durant la guerre, Fritzsche était bien connu pour
ses émissions hebdomadaires. Au soutien de sa défense, Fritzsche a prétendu avoir repoussé
des demandes de Goebbels tendant à le voir inciter à l’antagonisme et attiser la haine, et
n’avoir jamais défendu la théorie de la « race supérieure ». En réalité, il avait expressément
prohibé l’emploi du terme par la presse et la radio allemandes qu’il contrôlait. Il a également
déclaré avoir fait part de l’inquiétude que lui inspirait le contenu du journal Der Stürmer,
publié par Julius Streicher, et avoir essayé par deux fois de l’interdire. Dans son jugement
d’acquittement, le Tribunal a estimé que Fritzsche n’avait exercé aucun contrôle sur la
formulation des directives de propagande, qu’il n’avait été qu’une courroie de transmission à
la presse de directives reçues d’en haut. Concernant l’accusation selon laquelle il avait incité
à la perpétration de crimes de guerre en falsifiant sciemment des nouvelles pour exciter les
passions dans le cœur des Allemands, le Tribunal a conclu que bien qu’il ait parfois répandu
de fausses nouvelles, il n’a pas été prouvé qu’il les connût comme telles.

1092

Nazi Conspiracy and Aggression, Opinion and Judgment (October 1, 1946), OFFICE OF THE U.S. CHIEF OF
COUNSEL FOR PROSECUTION OF AXIS CRIMINALITY 56 (1947).
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Conventions des Nations Unies
983. Le droit international protège à la fois le droit de ne pas subir de discrimination et le
droit à la liberté d’expression. La Déclaration universelle des droits de l’homme porte en son
article 7 que « [t]ous ont droit à une protection égale contre toute discrimination … et contre
toute provocation à une telle discrimination », et en son l’article 19 que « [t]out individu a
droit à la liberté d’opinion et d’expression ». Ces deux principes sont consacrés par des traités
internationaux et régionaux, de même que la relation entre ces deux droits fondamentaux qui,
dans certains contextes, semblent entrer en conflit et nécessiter une médiation.
984. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le « Pacte ») dispose en
son article 19, paragraphe 2, que « [t]oute personne a droit à la liberté d’expression », tout en
précisant au paragraphe 3 que l’exercice de ces libertés « comporte des devoirs spéciaux et
des responsabilités spéciales » et peut en conséquence être soumis à certaines
restrictions « [pour le] respect des droits ou de la réputation d’autrui » et « [pour] la
sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité
publiques ». Interprétant ce texte, dans une observation générale sur l’article 19, le Comité
des droits de l’homme de l’ONU a déclaré ceci : « C’est l’interaction du principe de la liberté
d’expression et de ses limitations et restrictions qui détermine la portée réelle du droit de
l’individu1093 ». Le Comité a également fait remarquer dans son observation générale que les
restrictions dont est susceptible le droit à la liberté d’expression « peuvent concerner soit les
droits d’autres personnes soit ceux de la communauté dans son ensemble1094 ».
985. En vertu des dispositions de l’article 20 du Pacte, certains discours non seulement
peuvent mais encore doivent être restreints. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 20,
« Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la
discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi ». De même, l’article 4,
alinéa a, de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale prescrit aux États parties de déclarer délits punissables par la loi « toute
diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la
discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés
contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine
ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur
financement ». L’article 4, alinéa b, de la Convention prescrit en outre d’interdire les
organisations ainsi que tous les autres types d’activités de propagande organisée qui « incitent
à la discrimination raciale et l’encouragent », et de déclarer délit punissable par la loi la
participation à ces organisations ou à ces activités.
986. La jurisprudence relative à l’article 19 du Pacte confirme le devoir de restreindre la
liberté d’expression pour protéger d’autres droits. Dans l’affaire Ross c. Canada, le Comité
des droits de l’homme a confirmé la sanction disciplinaire prononcée contre un instituteur au
Canada pour des propos qu’il avait tenus et qui avaient été jugés avoir « dénigré la religion et
les convictions des Juifs et engagé les véritables chrétiens à non seulement contester la
validité des convictions et des enseignements juifs, mais également à afficher leur mépris à
1093
1094

Comité des droits de l’homme, commentaire général 10, par. 3.
Ibid., par. 4.

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l’égard des personnes de religion et d’ascendance juives, qui menaceraient la liberté, la
démocratie et les croyances et les valeurs chrétiennes1095 ». Le Comité des droits de l’homme
a noté que la Cour suprême du Canada a estimé qu’ « il était raisonnable de supposer
l’existence d’un lien de cause à effet entre les expressions de l’auteur et l’atmosphère scolaire
envenimée1096 ».
987. Une autre affaire au Canada, J.R.T. and the W.G. Party c. Canada, plainte alléguant la
violation du droit à la liberté d’expression tiré de l’article 19, a été déclarée irrecevable par le
Comité des droits de l’homme. Les auteurs de la plainte s’étaient vus interdire d’utiliser les
services d’un téléphone public après les avoir utilisés pour communiquer des messages
d’alerte contre les dangers de la juiverie internationale menant le monde à la guerre, au
chômage et à l’inflation et à la destruction des valeurs et des principes dans le monde. Le
Comité des droits de l’homme a estimé que les opinions diffusées « constituaient clairement
un appel à la haine raciale ou religieuse que les États parties ont l’obligation d’interdire en
vertu de l’article 20, paragraphe 2 [traduction]1097 ». Dès lors, il a conclu qu’il n’y avait pas
lieu d’examiner la plainte en vertu du droit d’un État, tiré de l’article 19, de restreindre la
liberté d’expression parce que dans cette affaire la restriction était une obligation découlant
de l’article 20 du Pacte.
988. Dans l’affaire Robert Faurisson c. France, le Comité des droits de l’homme a étudié
la signification du terme « incitation » utilisé au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte.
L’auteur de la plainte contestait comme constituant une violation de la liberté d’expression
qu’il tire de l’article 19 du Pacte sa condamnation en France pour avoir publié son opinion
mettant en doute l’existence de chambres à gaz homicides à Auschwitz et dans d’autres
camps de concentration nazis. Le Gouvernement français avait estimé qu’ « en contestant la
réalité de l’extermination des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, l’auteur condui[sait]
ses lecteurs sur la voie de comportements antisémites », soutenant plus généralement que « le
racisme n’était pas une opinion, mais une agression, et que chaque fois que le racisme
parvenait à s’exprimer publiquement, l’ordre public était immédiatement et gravement mis en
danger ». Le Comité a estimé dans ladite affaire que la restriction apportée à la publication de
ces idées ne violait pas la liberté d’expression consacrée à l’article 19 et que la restriction
était effectivement nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article 191098.
989. Une opinion concordante dans l’affaire Faurisson a démontré que l’auteur de la
plainte n’était pas mû par un intérêt pour la recherche historique, comme il le soutenait, et a
considéré qu’il était important de « rattache[r] la responsabilité à l’intention de l’auteur1099 ».
L’opinion relevait « la tendance de la publication d’inciter à l’antisémitisme », s’appuyant sur
cette tendance pour distinguer l’œuvre de l’auteur des recherches historiques menées de
bonne foi qui devraient être exemptes de toute restriction, « même quand elles contestent des
vérités historiques acceptées et ce faisant offensent certaines personnes ». S’autorisant des
propos de l’auteur, comme lorsqu’il parle d’ « historiens, en particulier juifs » ou de la
« magique chambre à gaz », et du contexte, c’est-à-dire la contestation de faits historiques
1095

Ross c. Canada (736/1997, constatations adoptées en octobre 2000), par. 11.5.
Ibid., par. 11.6.
1097
J.R.T. and the W.G. Party c. Canada, affaire n° 104/1981 (déclarée irrecevable le 6 avril 1983).
1098
Robert Faurisson c. France, CCPR/C/58/D/550/1993 (1996).
1099
Ibid., Opinion concordante d’Elizabeth Evatt et David Kretzmer, cosignée par Eckart Klein.
1096

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dûment prouvés et le fait de sous-entendre « sous couvert de recherches universitaires
impartiales que les victimes du nazisme étaient coupables d’une invention malhonnête »
l’opinion observe in fine, pour conclure à un dessein antisémite, que « les restrictions
imposées à l’auteur ne portaient pas atteinte à l’essence de son droit à la liberté d’expression
et ne touchaient en rien à sa liberté de recherche ; elles étaient intimement liées à la valeur
devant être garantie - le droit d’être protégé contre la provocation au racisme ou à
l’antisémitisme ».
990. Tout en souscrivant au droit qu’a l’État de restreindre la liberté d’expression dans
l’espèce considérée en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 dès lors que le respect des droits
d’autrui le commande, l’opinion concordante a retenu que l’infraction pour laquelle le
plaignant avait été condamné ne comprenait pas expressément l’élément d’incitation et que
les propos pour lesquels il avait été condamné « n’entr[aient] pas clairement dans la catégorie
de l’incitation, que l’État partie était tenu d’interdire » conformément au paragraphe 2 de
l’article 20 du Pacte. Néanmoins, l’opinion faisait observer ce qui suit :
Il peut toutefois y avoir des circonstances dans lesquelles le droit d’un individu d’être
protégé contre l’incitation à la discrimination au motif de la race, de la religion ou de
l’origine nationale ne peut pas être pleinement garanti par une loi étroite, explicite,
relative à l’incitation qui entre précisément dans les limites énoncées au paragraphe 2
de l’article 20. Tel est le cas où, dans un contexte social et historique particulier, il
peut être prouvé que certaines déclarations, qui ne répondent pas à la stricte
définition légale de l’incitation, s’inscrivent dans le cadre d’un système de
provocation à l’encontre d’un groupe racial, religieux ou national déterminé; tel est le
cas aussi où les personnes qui ont intérêt à répandre l’hostilité et la haine adoptent
des formes d’expression subtiles qui ne sont pas punissables en vertu de la loi contre
l’incitation raciale même si leurs effets peuvent être aussi, sinon plus, pernicieux
qu’une incitation ouverte1100.

La Convention européenne des droits de l’homme
991. Au niveau régional, la Convention européenne des droits de l’homme a donné lieu à
une jurisprudence abondante sur la manière de concilier le droit à la liberté d’expression,
garanti par son article 10, paragraphe 1, et le droit de restreindre l’exercice de cette liberté,
notamment lorsque ces mesures sont nécessaires à « la sécurité nationale » et « à la protection
de la réputation ou des droits d’autrui », en application de son article 10, paragraphe 2. À
cette fin, comme dans le cas du Pacte, la solution retenue ici consiste à apprécier i) si les
restrictions sont prévues par la loi ; ii) si leur objectif est légitime ; et iii) si elles peuvent être
considérées comme nécessaires dans une société démocratique, à savoir qu’il existe « un
besoin social impérieux » et une intervention « proportionnée au but légitime poursuivi ». Si
le texte de l’article 10 de la Convention européenne est comparable à celui de l’article 19 du
Pacte, la Convention européenne ne comporte toutefois pas de disposition comparable à
l’article 20 du Pacte qui interdit l’incitation à la discrimination, l’hostilité ou la violence
fondée sur des motifs nationaux, raciaux ou religieux. Cependant, nombre des affaires qui ont
été jugées par la Cour européenne des droits de l’homme en application de l’article 10
intéressent des textes de droit interne qui interdisent ce type d’incitation.
1100

Ibid., par. 4.

Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

992. Un certain nombre d’affaires portées devant la Cour européenne concernent le rôle de
journalistes, de rédacteurs en chef ou d’éditeurs, et la responsabilité qu’ils encourent du fait
de la diffusion d’idées prônant la discrimination. Dans l’affaire Jersild c. Danemark1101, la
Cour a cassé la condamnation d’un journaliste de la Danmarks Radio (société danoise de
diffusion), fondée sur l’interview de trois « blousons verts », membres d’un groupe de jeunes
racistes au Danemark. L’interview avait été diffusée pendant le magazine d’actualités
dominical, émission décrite par la Cour comme « une émission réputée sérieuse, destinée à un
public bien informé, elle traite d’un large éventail de questions sociales et politiques, parmi
lesquelles la xénophobie, l’immigration et les réfugiés ». Dans l’interview, les blousons verts
se sont présentés eux-mêmes comme racistes et ont tenu des propos inqualifiables à l’égard
des Noirs et des immigrants. Ces individus et le journaliste qui les avait interviewés ont été
condamnés au Danemark en application de la loi interdisant « toute diffusion d’idées fondées
sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous
actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de
personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique ». Dans l’interview, le
journaliste avait posé une ou deux questions laissant entendre qu’il y avait des Noirs à des
postes importants et dans l’introduction les jeunes avaient été clairement présentés comme
racistes. L’émission se voulait exploration de leur mentalité et de leur milieu social, mais n’a
comporté aucune condamnation expresse de ces blousons verts.
993. Pour déclarer que la condamnation du journaliste violait l’article 10 de la Convention
européenne, la Cour a retenu l’introduction de l’émission comme élément décisif et dit : « La
Cour devra apprécier l’importante question de savoir si le sujet en cause, considéré dans son
ensemble, paraissait d’un point de vue objectif avoir pour but la propagation d’idées et
opinions racistes ». Invoquant l’introduction, la Cour a opiné qu’en ce qui concernait le
journaliste, l’émission « démarqu[ait] clairement celui-ci des personnes interrogées »,
relevant qu’il les avait présentées comme de « jeunes extrêmistes » et qu’il avait réfuté
certains de leurs propos. Utilisant la même grille d’analyse, deux opinions dissidentes ont
jugé que la condamnation du journaliste devrait être confirmée, car les positions racistes des
jeunes n’avaient pas été suffisamment condamnées durant l’émission. S’il est vrai que selon
la décision majoritaire « nul ne conteste que, quand le requérant a réalisé l’émission en cause,
il ne poursuivait pas un objectif raciste », la question décisive en l’espèce était de savoir s’il
s’était lui-même assez distancié des vues racistes et les avait condamnées. Selon une opinion
dissidente, « ni la transcription de l’entretien … ni la bande vidéo que nous avons vue ne
laissent apparaître que les déclarations des blousons verts sont intolérables dans une société
fondée sur le respect des droits de l’homme1102 ». Selon l’autre opinion dissidente, les propos
tenus « sans réaction significative du commentateur de cette émission constituaient bien une
incitation au mépris … Tout en comprenant que certains juges attachent un prix particulier à
la liberté d’expression … nous n’admettons pas que cette liberté puisse aller jusqu’à
l’encouragement à la haine raciale, au mépris des races autres que celle à laquelle nous
appartenons, et à l’apologie de la violence contre ceux qui appartiennent aux races en
question1103 ».
1101

Jersild c. Danemark, Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), arrêt du 22 août 1994.
Ibid., Opinion dissidente des juges Ryssdal, Bernhardt, Spielmann et Loizou.
1103
Ibid., Opinion dissidente des juges Gölcüklü, Russo et Valticos.
1102

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994. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a également consacré
d’importants développements à l’analyse de la mesure dans laquelle les impératifs de sécurité
nationale justifient des restrictions à la liberté d’expression. Dans une série d’affaires
intéressant la Turquie, la Cour a recherché dans quelle mesure l’article 10 de la Convention
européenne protège le droit d’exprimer ou de manifester son soutien à des objectifs politiques
qui s’identifient à l’utilisation de moyens violents pour les atteindre. Dans l’arrêt Zana c.
Turquie 1104 , la Cour s’est intéressée au « juste équilibre » à respecter entre le droit d’un
individu à la liberté d’expression et celui de toute société démocratique de se protéger des
agissements d’organisations terroristes. La Cour a confirmé la condamnation du requérant,
ancien maire de Diyarbakir dans le sud-est de la Turquie, zone soumise au régime de l’état
d’urgence où des affrontements violents faisaient rage entre les forces de sécurité et les
membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). De la prison, Zana avait fait la
déclaration suivante : « Je soutiens le mouvement de libération nationale du PKK ; en
revanche, je ne suis pas en faveur des massacres. Tout le monde peut commettre des erreurs
et c’est par erreur que le PKK tue des femmes et des enfants », parue dans le quotidien
national à l’époque même où des civils étaient tués par des militants du PKK. La Cour a
relevé que les propos de Zana présentaient une contradiction et une ambiguïté en ce qu’à la
fois ils soutenaient le PKK, organisation terroriste, et se prononçaient contre les massacres, et
en ce qu’ils désapprouvaient les massacre de femmes et d’enfants tout en les qualifiant en
même temps d’erreurs que tout le monde pouvait commettre. La Cour a retenu le fait que
Zana était un ancien maire dont l’entretien publié dans un grand quotidien national a coïncidé
avec des attentats. Cela étant, elle a conclu que la déclaration « devait passer pour de nature à
aggraver une situation déjà explosive dans cette région ».
995. Dans l’arrêt Incal c. Turquie1105, la Cour européenne a confirmé la légalité d’un tract
du Parti du travail du peuple, dénonçant l’hostilité à l’égard des citoyens d’origine kurde à
Izmir et faisant valoir que certaines mesures prises en apparence pour nettoyer et
décongestionner la ville, comme des interventions contre les marchands ambulants, étaient
spécialement dirigées contre eux, pour les forcer à quitter la ville. Le requérant a fait savoir
que les opinions exprimées dans le tract étaient fondées sur des faits réels et se bornaient à
« dénoncer des pressions administratives et économiques discriminatoires à l’encontre des
citoyens d’origine kurde. » Le Gouvernement a soutenu que les opérations qu’il avait
entreprises n’avaient d’autre but que de maintenir l’ordre public et que « l’optique raciale du
tract », en ce qu’il présentait ces opérations comme visant les Kurdes, était « de nature à
inciter les citoyens d’origine « kurde » à croire qu’ils faisaient l’objet d’une discrimination et
que, comme victimes d’une « guerre spéciale », ils étaient en mesure d’agir en légitime
défense contre les autorités, en créant des « comités de quartier ». La Cour a vu dans ces
phrases des appels lancés à la population d’origine kurde « invitant celle-ci à se regrouper et
faire valoir certaines revendications politiques » et, tout en considérant que la référence aux
« comités de quartier » « [n’était] pas claire », elle a estimé que ces appels ne sauraient
néanmoins, « lus dans leur contexte, passer pour une incitation à l’usage de la violence, à
l’hostilité ou à la haine entre citoyens ». La Cour a relevé que, en d’autres circonstances, on
ne saurait exclure « que pareil texte cache des objectifs et intentions différents de ceux qu’il
1104
1105

Zana c. Turquie, CEDH, arrêt du 25 novembre 1997.
Incal c. Turquie, CEDH, arrêt du 9 juin 1998.

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affiche publiquement », mais elle n’a pas trouvé de preuve en l’espèce « d’une action
concrète propre à démentir la sincérité du but affiché par les auteurs du tract » et, par suite, de
raison d’en douter. Tout en soulignant également l’intérêt particulier qu’il y avait à défendre
la liberté d’expression des partis politiques et la nécessité d’un « contrôle des plus stricts »
des ingérences s’agissant de partis d’opposition, la Cour a estimé que la critique du
Gouvernement devait se voir ménager une plus grande latitude.
996. La Cour européenne a approfondi l’examen de ces questions à l’occasion d’une série
d’affaires contre la Turquie tranchées en juillet 1999, qui lui ont permis de dégager les
normes de contrôle applicables à la diffusion de nouvelles relatives à une insurrection armée.
Dans l’affaire Arslan c. Turquie1106, la Cour a étudié le contenu d’un livre intitulé L’histoire
en deuil, 33 balles, qui avait valu à l’auteur d’être condamné pour diffusion de propagande
séparatiste. Le requérant soutenait que son livre relatait des faits antérieurs au conflit qui
déchire le sud-est de la Turquie et à la création du PKK, et qu’aucun lien ne pouvait être
établi entre la publication de son ouvrage et ce conflit, que ses écrits ne faisaient pas la
propagande du sécessionnisme, ne contenaient aucune opinion haineuse ni n’étaient de nature
à soulever la population contre le Gouvernement. D’après le Gouvernement, le requérant
avait dépeint l’État turc comme un agresseur, incité les lecteurs d’origine kurde au combat
armé et publiquement fait l’apologie d’une organisation terroriste. Relevant que le livre avait
été écrit sous forme d’un « récit littéraire historique », la Cour a conclu qu’il était « clair qu’il
ne s’agi[ssait] pas d’une description “neutre” de faits historiques » et que l’ouvrage entendait
critiquer les actions des autorités turques. Néanmoins, la Cour a ici encore relevé qu’il y avait
peu de place pour des restrictions à la liberté d’expression s’agissant de discours politique ou
de questions d’intérêt général et que la critique du Gouvernement doit se voir reconnaître des
limites plus larges. Tout en rappelant que lorsque des propos incitent à l’usage de la violence,
il y a « une marge d’appréciation plus large » de l’ingérence dans l’exercice de la liberté
d’expression, la Cour a estimé qu’en ce qui concerne le livre, si certains passages sont
« particulièrement acerbes » et « brossent un portrait des plus négatifs de la population
d’origine turque », ils n’incitent pas pour autant à l’usage de la violence, à la résistance
armée, ni au soulèvement, ce que la Cour qualifie « d’élément essentiel à prendre en
considération ». La Cour a également qualifié le livre d’ouvrage à vocation littéraire et non de
moyen de communication de masse, ce qui vient limiter l’impact qu’il serait susceptible
d’avoir sur la sécurité nationale et l’ordre public.
997. Dans l’arrêt Sürek et Özdemir c. Turquie1107, la Cour européenne a confirmé le droit
d’une revue hebdomadaire de publier un entretien avec un dirigeant du PKK, expliquant les
objectifs de l’organisation ainsi que les raisons qui l’avaient conduite à recourir à la violence
pour atteindre ses objectifs, et proclamant sa détermination à continuer le combat. La revue
avait également publié une déclaration commune de plusieurs organisations, ayant valeur
d’un appel à « unir leurs forces » contre le terrorisme d’État, la répression du peuple kurde, le
chômage, la discrimination sexuelle, etc. Sürek, actionnaire majoritaire de la revue
hebdomadaire, et Özdemir, son rédacteur en chef, avaient affirmé que ni eux ni la revue
n’avaient de liens avec le PKK. Ils ne faisaient ni l’éloge de cette organisation ni de
commentaire positif à son égard, et soulignaient que la revue se voulait impartiale et
1106
1107

Arslan c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 juillet 1999.
Sürek et Özdemir c. Turquie, CEDH, arrêt du 8 juillet 1999.

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respectueuse des principes du journalisme, son but étant d’informer le public sur le PKK. Ils
soutenaient que l’entretien ne faisait pas l’apologie du terrorisme ni ne menaçait l’ordre
public. Sürek faisait également valoir qu’en qualité de propriétaire de la revue, il n’était en
rien responsable à son contenu. Dans son arrêt, la Cour a jugé que certains propos tenus lors
de l’entretien, tels que « La guerre continuera tant qu’il y aura un être vivant chez nous »,
reflétaient la volonté du PKK de poursuivre ses objectifs, faisant observer que : « Vus sous
cet angle, les entretiens étaient une source d’information permettant au public à la fois de
comprendre la psychologie des personnes constituant les forces vives de l’opposition à la
politique officielle appliquée dans le sud-est de la Turquie et d’apprécier les enjeux du
conflit ». Relevant l’équilibre précaire à opérer entre droits et responsabilités en cas de conflit
et de tension, la Cour a déclaré ce qui suit :
Il convient d’examiner avec une vigilance particulière la publication des opinions de
représentants d’organisations qui recourent à la violence contre l’Etat, faute de quoi
les médias risquent de devenir un support de diffusion de discours de haine et
d’incitation à la violence. En même temps, lorsque des opinions ne relèvent pas de
cette catégorie, les États contractants ne peuvent se prévaloir de la protection de
l’intégrité territoriale, de la sécurité nationale ou de la défense de l’ordre ou de la
prévention du crime pour restreindre le droit du public à être informé en utilisant le
droit pénal pour peser sur les médias1108.

998. Dans une opinion concordante, cinq juges de la Cour ont estimé qu’il faudrait
s’attacher non pas tant aux mots employés qu’au contexte général dans lequel ces propos sont
tenus et à leur impact probable. L’opinion concordante a retenu les questions clés
suivantes : « Le langage visait-il à enflammer ou à inciter à la violence ? » et « Y avait-il un
réel risque qu’il ait cet effet en pratique ? »
999. En revanche, dans l’arrêt Sürek c. Turquie (n° 1)1109, la Cour européenne a confirmé
la condamnation de Sürek à raison de la publication dans sa revue hebdomadaire de deux
lettres rédigées par des lecteurs, condamnant en des termes virulents les actions militaires des
autorités dans le sud-est de la Turquie et les accusant de réprimer brutalement le peuple
kurde. La lettre, intitulée « Les armes ne peuvent rien contre la liberté », faisait référence à
deux massacres qui, selon l’auteur, auraient été commis volontairement par les autorités dans
le cadre de leur stratégie d’élimination des Kurdes, et réaffirmait en conclusion la
détermination des Kurdes à obtenir leur liberté. La seconde lettre, intitulée « C’est notre
faute », alléguait que les autorités turques étaient complices de l’emprisonnement, de la
torture et du meurtre de dissidents au nom de la protection de la démocratie et de la
République. Dans son arrêt, la Cour a discerné une nette intention de stigmatiser les autorités
par l’emploi d’expressions telles que « l’armée turque fasciste », « la bande d’assassins de la
TC » et « les assassins à la solde de l’impérialisme » et a jugé que les termes forts employés
dans les lettres, tels que « massacres », « brutalités » et « carnage », s’analysaient en « un
appel à une vengeance sanglante car [ils] réveillent des instincts primaires et renforcent des
préjugés déjà ancrés qui se sont exprimés au travers d’une violence meurtrière ». Relevant
qu’une des lettres « citait les gens par leur nom, attisait la haine contre eux et les exposait à
un éventuel risque de violence physique », la Cour a rappelé que si le simple fait que des
1108
1109

Id.
Sürek c. Turquie (n° 1), CEDH, arrêt du 8 juillet 1999.

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informations ou idées heurtent, choquent ou inquiètent n’autorise pas à restreindre la liberté
d’expression, ce qui était en jeu en l’espèce, c’étaient « un discours de haine et l’apologie de
la violence ». La Cour, s’est intéressée à la question de la responsabilité des actionnaires,
déclarant ce qui suit :
S’il est vrai que le requérant ne s’est pas personnellement associé aux opinions
exprimées dans les lettres, il n’en a pas moins fourni à leurs auteurs un support pour
attiser la violence et la haine. La Cour ne souscrit pas à l’argument de l’intéressé
selon lequel il aurait dû être exonéré de toute responsabilité pénale pour le contenu
des lettres du fait qu’il n’avait qu’un rapport commercial, et non éditorial, avec la
revue. Il en était le propriétaire et avait à ce titre le pouvoir de lui imprimer une ligne
éditoriale. Il partageait donc indirectement les « devoirs et responsabilités »
qu’assument les rédacteurs et journalistes lors de la collecte et de la diffusion
d’informations auprès du public, rôle qui revêt une importance accrue en situation de
conflit et de tension1110.

Discussion des principes généraux
1000. La jurisprudence internationale relative à l’incitation à la discrimination et à la
violence a dégagé un certain nombre de principes cardinaux qui renseignent utilement sur les
facteurs qu’il convient de retenir pour définir les éléments constitutifs de « l’incitation directe
et publique à commettre le génocide » s’agissant des mass media.
Le but
1001. Les rédacteurs en chef et éditeurs ont été généralement tenus responsables des médias
qu’ils contrôlent. Pour déterminer l’étendue de cette responsabilité, la jurisprudence retient
l’intention, c’est-à-dire le but du discours – recherchant si le but ainsi poursuivi est ou non
légitime (par exemple, recherche historique, diffusion de nouvelles et d’informations,
responsabilité des pouvoirs publics). Les termes mêmes employés ont souvent été retenus
comme révélateurs de l’intention. Ainsi, dans l’affaire Faurisson, le Comité des droits de
l’homme des Nations Unies a considéré que l’expression « la magique chambre à gaz »
laissait supposer que l’auteur était inspiré par l’antisémitisme et non par la recherche de la
vérité historique. Dans l’affaire Jersild, les commentaires par lesquels le journaliste s’est
distancié des propos racistes tenus par son invité ont été le facteur décisif qui a conduit la
Cour européenne des droits de l’homme à juger que l’émission télévisée avait pour objet la
diffusion de nouvelles plutôt que la propagation d’opinions racistes.
1002. Dans les affaires turques intéressant des considérations de sécurité nationale, la Cour
européenne des droits de l’homme distingue soigneusement entre les propos qui renseignent
sur la motivation des activités terroristes et ceux qui font l’apologie du terrorisme. Ici encore,
les propos mêmes tenus emportent la décision. Dans l’arrêt Sürek (n° 1), la Cour a jugé une
revue hebdomadaire responsable de la publication de lettres de lecteurs critiques du
Gouvernement, invoquant les termes violents employés dans celles-ci, qui l’ont conduite à y
voir « un appel à une vengeance sanglante car [ils] réveillent des instincts primaires et
renforcent des préjugés déjà ancrés … » En revanche, dans l’arrêt Sürek et Özdemir, la Cour
1110

Id.

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a confirmé le droit de la même revue de publier un entretien avec un dirigeant du PKK, dans
lequel celui-ci se disait déterminé à poursuivre son objectif par la violence au motif que, pris
dans son ensemble, le texte devait être considéré comme ayant valeur d’informations et non
comme « [un] discours de haine et [une] incitation à la violence ». Qu’elle se soit attachée à
la violence du discours montre que la Cour a voulu rechercher l’intention, ainsi qu’il ressort
des questions posées dans l’opinion concordante dans ladite espèce : « Le langage visait-il à
enflammer ou à inciter à la violence ? »
1003. Pour apprécier l’étendue de la responsabilité encourue par les rédacteurs en chef et
éditeurs, on s’attache davantage au contenu du texte qu’à son auteur. Dans l’affaire Sürek
(n° 1), même des lettres écrites par des lecteurs sont regardées sans distinction comme
donnant prise à une responsabilité. De plus, les éditeurs et rédacteurs en chef sont considérés
comme également responsables, motif pris de ce qu’ils fournissent une tribune et de ce que
les propriétaires ont « le pouvoir d’imprimer une ligne éditoriale… » Le fait de se distancer
de manière critique des propos tenus a été considéré comme le facteur clé dans l’analyse du
but poursuivi par la publication.
Le contexte
1004. La jurisprudence sur l’incitation recommande de prendre en considération le contexte
s’agissant d’apprécier l’impact potentiel des propos tenus. Dans l’affaire Faurisson, le
Comité des droits de l’homme a relevé que, replacée dans le contexte, la contestation de
l’existence des chambres à gaz, fait historique dûment prouvé, aurait pour effet de nourrir
l’antisémitisme. De même, dans l’affaire Zana, la Cour européenne des droits de l’homme a
examiné la déclaration faite à propos de massacres par l’ancien maire de Diyarbakir, en
tenant compte du fait qu’il se perpétrait des massacres au même moment si bien que, de l’avis
de la Cour, cette déclaration était « de nature à aggraver une situation déjà explosive … »
1005. Dans plusieurs affaires, comme dans son arrêt Incal, la Cour européenne relevé qu’un
texte pouvait « cacher des objectifs et intentions différents de ceux qu’il affiche
publiquement ». Dans ladite affaire, qui concernait la diffusion d’un tract soulignant l’impact
particulier sur le peuple kurde de mesures administratives prises par les autorités, la Cour a
conclu que rien ne l’autorisait à douter de la sincérité de l’auteur. Elle a néanmoins reconnu
la possibilité théorique que les propos exprimés tendaient en fait à exacerber l’activité
terroriste menée ailleurs en vue de favoriser les objectifs d’indépendance des Kurdes. Il s’agit
là d’une question de preuve et d’appréciation juridique de l’intention réelle qui a inspiré les
propos exprimés, par référence au contexte.
1006. D’autres facteurs tenant au contexte dégagés par la jurisprudence, en particulier celle
de la Cour européenne, consistent notamment dans l’intérêt de protéger le discours politique,
principalement l’expression d’opinions opposées et la critique du Gouvernement. Reste que,
en présence de considérations de sécurité nationale et de discours incitant à la violence, les
autorités disposent d’une « marge d’appréciation plus large » pour restreindre la liberté
d’expression. On tient compte du contexte pour déterminer l’incidence potentielle sur la
sécurité nationale et l’ordre public. Ainsi, dans l’arrêt Arslan, la Cour a distingué entre la
publication d’un livre et les mass media, laissant entendre qu’une œuvre littéraire aurait un
impact moindre.
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Le lien de causalité
1007. En recherchant si tels propos constituent une forme d’incitation passible de
restrictions, la jurisprudence internationale n’exige nullement qu’il y ait un lien de causalité
spécifique entre les propos incriminés et tel effet direct avéré. Dans l’affaire Streicher, l’on
n’avait nullement prétendu établir un lien entre Der Stürmer et tel ou tel acte de violence.
Plus généralement encore, on avait reproché à cette publication d’avoir « versé dans l’esprit
de milliers d’Allemands » un « poison » qui leur avait fait accepter la politique nationalsocialiste de persécution et d’extermination des Juifs. Dans les affaires turques jugées par la
Cour européenne des droits de l’homme, aucun acte de violence précis n’a été rattaché aux
propos du requérant. Au contraire, la question était de savoir quel pourrait être l’impact
probable, sachant que le lien de causalité pourrait être plutôt indirect.
1008. La Chambre relève que les normes internationales gouvernant les restrictions à
l’incitation à la haine et la protection de la liberté d’expression se sont essentiellement
dégagées à l’occasion d’initiatives nationales tendant à maîtriser le danger et les méfaits de
diverses formes de discours empreints de préjugés. La jurisprudence a traditionnellement mis
en balance la protection de la liberté d’expression d’opinions politiques et les impératifs de la
sécurité nationale. Les dangers de la censure ont souvent été associés singulièrement à
l’oppression des minorités politiques ou autres, ou de l’opposition au Gouvernement. Les
protections spéciales imaginées par la jurisprudence en faveur des discours de cette nature, en
droit international et spécialement par la tradition juridique américaine de la liberté
d’expression, reconnaissent la logique des rapports de force propres aux circonstances qui
rendent les groupes minoritaires ou les formations d’opposition politiques vulnérables face à
l’exercice du pouvoir par la majorité ou par le Gouvernement. Il en va différemment en
l’espèce, le discours en cause étant ici celui dudit « peuple majoritaire », favorable au
Gouvernement. De l’avis de la Chambre, il s’agirait dès lors d’adapter les protections
spéciales pour ce type de discours, de sorte qu’on examinerait plus − et non moins −
minutieusement le discours à caractère ethnique pour veiller à ce que les minorités
dépourvues de moyens de défense égaux ne soient pas mises en danger.
1009. De même, la Chambre considère que la « marge d’appréciation plus large » ménagée
au Gouvernement par la jurisprudence de la Cour européenne s’agissant de restreindre les
discours qui caractérisent l’incitation à la violence doit être adaptée aux circonstances de la
présente cause. Il ne s’agit pas tant ici de contestation de la restriction du discours que du
discours proprement dit. De plus, les propos qualifiés d’incitation à la violence ne se
voulaient pas − en fait et aux yeux de leurs auteurs à l’époque − tant une menace à la sécurité
nationale que la défense de la sécurité nationale, ce qui les rangeait du côté du pouvoir et non
de l’opposition à celui-ci. Il y a dès lors lieu d’adapter l’application des normes
internationales, qui ont vocation à protéger le droit de l’État de se défendre contre l’incitation
à la violence d’autrui, et non contre l’incitation à la violence sur la personne d’autrui au nom
de l’État, surtout lorsque comme en l’espèce les membres d’un groupe minoritaire sont cet
autrui.
1010. Les conseils de Ngeze soutiennent que le droit américain, en ce qu’il est le plus
protecteur de la liberté d’expression, devrait servir de norme pour garantir l’acceptation
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

universelle et la légitimité de la jurisprudence du Tribunal. La Chambre retient le droit
international, bien développé dans les domaines relatifs à la liberté vis-à-vis de toute
discrimination et à la liberté d’expression, comme référence aux fins de l’examen de ces
questions, faisant observer que les droits internes varient largement alors que le droit
international codifie des normes universelles en voie d’évolution. La Chambre relève que la
jurisprudence américaine accepte également les principes fondamentaux posés par le droit
international et reconnaît que l’incitation à la violence, les menaces, la diffamation, la
publicité mensongère, les atteintes aux bonnes mœurs et la pornographie infantile constituent
des formes d’expression qui débordent le champ de la liberté d’expression1111. Dans l’affaire
Virginia c. Black, la Cour suprême des États-Unis a récemment interprété la garantie de la
liberté d’expression du premier amendement à la Constitution comme permettant
l’interdiction de brûler des croix dans l’intention d’intimider. De l’avis de la Cour, le Ku
Klux Klan ayant dans le passé terrorisé des Américains d’origine africaine en brûlant des
croix, le fait de brûler des croix, en tant que symbole reconnu de haine et de « menace
véritable », n’était pas protégé comme mode d’expression symbolique. La Cour a jugé que la
Constitution permettait de proscrire l’intimidation « lorsque son auteur profère une menace
contre une personne ou un groupe de personnes dans l’intention de faire craindre à la victime
une atteinte à son intégrité physique ou la mort 1112 » [traduction]. Dans le domaine de
l’immigration, des tenants du national-socialisme ont été dépouillés de leur citoyenneté et
expulsés des États-Unis en raison de leurs écrits antisémites1113.
Jurisprudence du TPIR
1011. La jurisprudence du TPIR offre le seul précédent direct pour l’interprétation de
« l’incitation directe et publique à commettre le génocide ». Dans le jugement Akayesu, le
Tribunal s’est intéressé au sens de chaque élément entrant dans « l’incitation directe et
publique ». En ce qui concerne « l’incitation », il a observé que, dans les systèmes tant de
common law que de droit romano-germanique, « l’incitation » ou la « provocation », terme
utilisé en droit romano-germanique, est définie comme l’encouragement ou la provocation à
commettre un délit. Le Tribunal a cité la Commission du droit international qui a défini
l’incitation « publique » comme « la communication d’un appel à perpétrer un acte criminel à
un certain nombre d’individus dans un lieu public ou au public en général … en passant par
des médias comme la radio ou télévision1114 ». Tout en admettant que l’incitation « directe »
serait « plus qu’une simple suggestion, vague et indirecte », le Tribunal a néanmoins reconnu
le besoin d’interpréter le terme « direct » dans le contexte de la culture et de la langue
rwandaises, notant ce qui suit :

1111

Brandenburg v. Ohio, 395 U.S. 444, 447 (1969) ; Chaplinsky v. New Hampshire, 315 U.S. 568, 572 (1941) ;
Watts v. United States, 394 U.S. 705 (1969); Miller v. California, 413 U.S. 15 (1973) ; Gertz v. Robert Welch,
Inc., 418 U.S. 323 (1974) ; Virginia State Board of Pharmacy v. Virginia Citizens Consumer Council, Inc., 425
U.S. 748, 771-73 & n. 24 (1976) ; Posadas de Puerto Rico Assocs. v. Tourism Co., 478 U.S. 328 (1986) ; NLRB
v. Gissel Packing Co., 395 U.S. 575, 618 (1969) ; New York v. Ferber, 458 U.S. 747 (1982) ; F.C.C. v. Pacifica
Foundation, 438 U.S. 726 (1978) ; Beauharnais v. Illinois, 343 U.S. 250, 251 (1952).
1112
Virginia v. Black, 123 S. Ct. 1536 (2003).
1113
United States v. Sokolov, 814 F.2d 864 (1987) ; United States v. Ferenc Koreh, jugement confirmé, 59 F.3d
431 (2d Cir., 1995).
1114
Jugement Akayesu, note de bas de page 126.
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[L]a Chambre considère toutefois qu’il est approprié d’évaluer le caractère direct
d’une incitation à la lumière d’une culture et d’une langue donnée. En effet, le même
discours prononcé dans un pays ou dans un autre, selon le public, sera ou non perçu
comme « direct ». La Chambre rappelle en outre qu’une incitation peut être directe et
néanmoins implicite.
La Chambre évaluera donc au cas par cas si elle estime, compte tenu de la culture du
Rwanda et des circonstances spécifiques de la cause, que l’incitation peut être
considérée comme directe ou non, en s’appuyant principalement sur la question de
savoir si les personnes à qui le message était destiné en ont directement saisi la
portée1115.

1012. Dans le jugement Akayesu, le Tribunal définit l’élément moral du crime comme suit :
L’élément moral du crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide
réside dans l’intention de directement amener ou provoquer autrui à commettre le
génocide. Il suppose la volonté du coupable de créer, par ces agissements, chez la ou
les personnes à qui il s’adresse, l’état d’esprit propre à susciter ce crime. C’est-à-dire
que celui qui incite à commettre le génocide est lui-même forcément animé de
l’intention spécifique au génocide : celle de détruire en tout ou en partie, un groupe
national, ethnique, racial ou religieux comme tel1116.

1013. Le Tribunal a recherché également dans le jugement Akayesu si le crime d’incitation
directe et publique à commettre le génocide peut être puni même si l’incitation n’est pas
suivie d’effet et a conclu que le crime devrait être considéré comme une infraction dite
inchoate en common law ou une infraction formelle en droit romano-germanique, c’est-à-dire
punissable comme telle. Le Tribunal a souligné que « ces actes sont, en eux-mêmes,
particulièrement dangereux parce que porteurs d’un très grand risque pour la société, même
s’ils ne sont pas suivis d’effet » et a estimé que « le génocide relève évidemment de cette
catégorie de crimes dont la gravité est telle que l’incitation directe et publique à le commettre
doit être pénalisée en tant que telle, même dans les cas où l’incitation n’aurait pas atteint le
résultat escompté par son auteur1117 ».
1014. Pour cerner plus précisément les contours du crime d’incitation directe et publique à
commettre le génocide, la Chambre retient les conclusions factuelles dégagées par le Tribunal
dans le jugement Akayesu, à savoir que la foule à laquelle s’adressait l’accusé, quand il
l’exhortait à s’unir pour éliminer l’ennemi, les complices des Inkotanyi, avait compris cet
appel comme un appel à tuer les Tutsis, que l’accusé avait conscience que ses propos seraient
ainsi compris et qu’il y avait une relation de cause à effet entre ses propos et les massacres
généralisés de Tutsis qui s’en sont suivis dans la commune.
1015. Dans le jugement Akayesu, le Tribunal a considéré, à l’occasion de ses conclusions
juridiques concernant le chef d’incitation directe et publique à commettre le génocide, qu’ « il
y avait une relation de cause à effet entre les propos [de l’accusé à la foule] et les massacres
généralisés de Tutsis qui s’en sont suivis [dans la commune] ». La Chambre relève que cette
1115

Ibid., par. 557 et 558.
Ibid., par. 560.
1117
Ibid., par. 562.
1116

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relation de cause à effet n’est pas une condition indispensable pour que soit constituée
l’incitation. C’est parce qu’il a pour potentiel de provoquer le génocide que le discours
caractérise l’incitation. Ainsi qu’il résulte des conclusions juridiques concernant le génocide,
lorsque ce potentiel se réalise, il y a crime de génocide ainsi qu’incitation au génocide.
Charges retenues contre les accusés
1016. Le chef 3 de l’acte d’accusation de Nahimana et le chef 4 de ceux de Barayagwiza et
Ngeze retiennent contre les accusés l’incitation directe et publique à commettre le génocide
tel que prévu à l’article 2.3 c) du Statut, en ce qu’ils sont responsables d’incitation directe et
publique à tuer des membres de la population tutsie et porter gravement atteinte à leur
intégrité physique ou mentale dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
ethnique ou racial comme tel.
1017. La Chambre fait observer, ainsi qu’il ressort des paragraphes 100 à 104, que comme
l’entente, le crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide est une infraction
formelle qui se prolonge dans le temps jusqu’à l’accomplissement des actes envisagés. Elle
considère en conséquence que la publication de Kangura de son premier numéro en mai 1990
jusqu’à sa livraison de mars 1994, dont l’impact a atteint son paroxysme dans les faits
survenus en 1994, relève de la compétence temporelle du Tribunal dès lors que cette
publication est réputée constituer une incitation directe et publique à commettre le génocide.
De même, la Chambre considère que l’ensemble des émissions de la RTLM de juillet 1993 à
juillet 1994, dont l’impact a atteint son paroxysme dans les faits survenus en 1994, relève de
la compétence temporelle du Tribunal dès lors que ces émissions sont réputées caractériser
l’incitation directe et publique à commettre le génocide.
1018. La Chambre fait observer en outre, comme il ressort du paragraphe 257, que le
concours publié par deux fois dans Kangura en mars 1994 avait pour but d’appeler l’attention
des lecteurs sur d’anciens numéros de la publication et a effectivement remis en circulation
ces anciens numéros au Rwanda en mars 1994.
1019. S’étant intéressée à Kangura et à la RTLM, la Chambre relève que certains des
articles et des émissions retenus par le Procureur ont valeur de rappels historiques, d’analyse
politique ou de défense d’une conscience ethnique face à la répartition inégale des privilèges
au Rwanda. Ainsi, l’intervention de Barayagwiza sur les ondes de la RTLM le
12 décembre 1993, est un récit personnel bouleversant de la discrimination dont il a fait
l’objet en tant que Hutu. Lors de son contre-interrogatoire, le témoin expert à charge Alison
Des Forges n’a pas voulu se prononcer sur le caractère approprié ou non de cette émission
précise, s’attachant à l’importance et à la priorité sans cesse données à l’appartenance
ethnique, davantage qu’à telle ou telle émission. Elle a estimé qu’en mettant indûment
l’accent sur l’appartenance ethnique et en posant toutes les questions en termes ethniques, on
a exacerbé les tensions ethniques1118.
1020. La Chambre estime essentiel de distinguer entre débat sur la conscience ethnique et
l’apologie de la haine ethnique. L’intervention en cause de Barayagwiza participe de la
1118

Compte rendu de l’audience du 27 mai 2002, p. 28 à 30.

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première et non de la seconde. Si ces propos, qui sont forts, ont bien pu avoir pour effet
d’amener les auditeurs à vouloir passer à l’acte pour remédier à la discrimination évoquée, de
l’avis de la Chambre, cet effet résulterait, de la réalité dépeinte par les propos et non des
propos proprement dits. Un discours du genre de cette intervention ne caractérise pas
l’incitation. Elle relève en fait bien de la catégorie des discours protégés par le droit à la
liberté d’expression. De même, le débat public sur le bien-fondé des Accords d’Arusha,
quand bien même il prendrait la forme de critiques, constitue un exercice protégé de la liberté
d’expression.
1021. La Chambre estime que le discours incitant à la haine ethnique résulte du recours à
des stéréotypes pour décrire tel ou tel groupe ethnique et du dénigrement de ce groupe. Les
accusés ont fait valoir à leur décharge que certains propos qu’ils avaient tenus au sujet de la
population tutsie étaient simplement vrais ; ainsi, l’émission indiquant que 70 % des taxis au
Rwanda appartenaient à des membres de l’ethnie tutsie. Encore que sa véracité n’ait pas été
prouvée d’une manière ou d’une autre par les preuves produites, cette affirmation a valeur
d’information par nature. Si elle se vérifiait, elle pourrait fort bien avoir pour effet de susciter
le ressentiment face à la répartition inéquitable de la richesse au Rwanda. Cependant, de
l’avis de la Chambre, cet effet résulterait de la répartition inéquitable de la richesse au
Rwanda, de l’information portée par l’affirmation et non de l’affirmation proprement dite. Si
l’information était fausse, l’inexactitude de l’affirmation pourrait alors être un indice que
l’intention n’était pas tant d’informer que de susciter le ressentiment non fondé et d’attiser les
tensions ethniques. L’émission de la RTLM disant des Tutsis qu’ils sont « ceux qui ont tout
l’argent » diffère de l’affirmation relative à la propriété des taxis en ce qu’il s’agit là d’une
généralisation qui a été étendue à la population tutsie dans son ensemble. Le ton de
l’émission est différent et traduit l’hostilité et le ressentiment qui habitent le journaliste,
Kantano Habimana. Bien que cette émission, qui n’appelle en aucune manière les auditeurs à
agir, ne constitue pas une incitation directe, elle montre le chemin qui conduit de la
conscience ethnique au stéréotype ethnique préjudiciable.
1022. Contre-interrogé, Ferdinand Nahimana a déclaré qu’il ne pouvait porter de jugement
sur une déclaration faite en Allemagne nazie que les Juifs ont tout l’argent, laissant entendre
que son jugement dépendrait des faits et, par la suite, de l’exactitude de la déclaration. De
l’avis de la Chambre, l’exactitude de la déclaration n’est qu’un des facteurs à prendre en
compte pour apprécier si telle déclaration vise à provoquer plutôt qu’à éduquer ceux à qui
elle est destinée. Le ton de la déclaration est aussi important aux fins de cette appréciation
que son contenu. Que Nahimana ait été conscient de ce que le ton entre en ligne de compte
dans la culpabilité est attesté par sa réticence à se reconnaître dans la réflexion « Ce sont eux
qui ont tout l’argent », lorsqu’il a été interrogé à ce sujet. Il finira par déclarer qu’il n’aurait
pas tenu ce langage mais aurait rendu compte de la même réalité différemment. La Chambre
considère aussi important le contexte dans lequel la déclaration est faite. Une généralisation
d’ordre ethnique provoquant le ressentiment contre des membres de l’ethnie en question
aurait un impact accru dans un contexte de génocide. Elle aurait plus de chance d’entraîner la
violence. En même temps, le contexte serait un indice que l’incitation à la violence était
l’intention de la généralisation en cause.
1023. L’impartialité a été invoquée comme moyen de défense en faveur de Kangura et de la
RTLM. Selon la Défense, le fait que Kangura ait republié les 19 Commandements des Tutsis
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et que la RTLM ait diffusé l’interview d’un dirigeant du FPR venaient distancier le porteur
du message des effets néfastes attribués à ce message. La Chambre considère que, dans l’un
et l’autre cas, les exemples cités n’établissent pas en réalité l’impartialité invoquée, surtout à
cause du ton avec lequel ils ont été présentés et de la manière dont ils l’ont été. Publiés, les
19 commandements et Les dix commandements sont grandement différenciés ; le rejet par
Kangura des premiers est aussi patent que son adhésion aux seconds. L’intention manifeste
de la publication était, par l’effet des 19 commandements, de répandre la peur que les Tutsis
mettent les Hutus en danger, alors que Les dix commandements voulaient dire aux Hutus
comment se protéger de ce danger. Le message et le dénigrement de la population tutsie sont
les mêmes. De même, la manière dont le journaliste de la RTLM, Kantano Habimana, a
dépeint le FPR, parlant en termes péjoratifs des Tutsis, grands et buveurs de lait, ne laisse
guère penser à l’impartialité. Le journaliste respire le dédain et le mépris pour les Tutsis, tout
en se vantant que « même » les Inkotanyi peuvent intervenir sur les ondes de la RTLM.
Kangura et la RTLM n’étaient pas des tribunes ouvertes ou neutres. Ils avaient une optique
toute tracée bien connue de tous.
1024. La Chambre reconnaît que certains médias défendent une cause et considère que ce
qu’il y a lieu de retenir aux fins de ses conclusions c’est de savoir non pas si tel média a
défendu telle ou telle cause, mais quel était le contenu de ce qu’il défendait. Dans le cas où le
média véhicule des idées caractérisant la haine ethnique et des appels à la violence dans un
but d’information ou pédagogique, il est nécessaire de se distancier nettement de ces idées
pour ne pas donner l’impression de cautionner ce discours et en fait de tenir un discours
contraire pour conjurer le mal qui pourrait en résulter. La position du média face au discours
incriminé renseigne sur l’intention réelle de ce discours et, dans une certaine mesure, sur le
discours même proprement dit. Loin de se dissocier du discours de haine ethnique, le
rédacteur en chef de Kangura et les journalistes de la RTLM ont véhiculé ce discours.
1025. Les accusés ont également tiré moyen de l’impératif de vigilance contre l’ennemi,
défini comme étant les forces armées et dangereuses du FPR qui attaquaient la population
hutue et luttaient pour détruire la démocratie et reconquérir le pouvoir au Rwanda. La
Chambre accepte que les médias ont un rôle à jouer dans la défense de la démocratie et, si
nécessaire, la mobilisation d’une défense civile pour la protection d’une nation et de son
peuple. Ce qui distingue Kangura et la RTLM d’une initiative de cet ordre est la constante
identification, faite par la publication et les émissions de radio, de l’ennemi à la population
tutsie. On n’a pas désigné aux lecteurs et auditeurs les individus clairement identifiés comme
étant armés et dangereux. Au contraire, les civils tutsis et, de fait, la population tutsie dans
son ensemble étaient présentés comme constituant la menace.
1026. Tant Kangura et la RTLM, que la CDR dans ses communiqués, ont nommé des
personnes suspectées d’être membres ou complices du FPR et dressé des listes de celles-ci.
Les accusés ont tiré moyen de ce que ces personnes étaient, au moins dans certains cas, des
membres du FPR. Nahimana a souligné que pendant l’émission de la RTLM du 14 mars 1994
il avait été donné lecture d’une lettre expressément adressée à une brigade du FPR. La lettre
indique bien, comme il l’a relevé, qu’il existait des brigades du FPR, ce qui n’est point
contesté. Dans cette émission, le point litigieux c’était le fait de nommer des membres d’une
famille, qui seront tués par la suite, et même Nahimana a concédé qu’il n’aimait pas la
pratique consistant à diffuser des noms, spécialement quand elle entraînait mort d’homme.
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Ngeze a établi, concernant certaines listes publiées dans Kangura, que les noms venaient de
sources gouvernementales et étaient dès lors ceux de suspects identifiés officiellement. La
Chambre accepte que les médias ont vocation à publier des informations officielles.
Cependant, toutes les listes et tous les noms n’émanaient pas de ces sources. Au contraire, les
éléments de preuve examinés par la Chambre révèlent une pratique consistant à nommer des
personnes sur la foi de vagues soupçons, sans motifs clairement énoncés, ou, lorsqu’il en était
avancé, ces motifs relevaient de la pure spéculation ou étaient dans certains cas dénués de
tout fondement. Le seul dénominateur commun est alors l’appartenance à l’ethnie tutsie des
personnes désignées, et il appert que dans certains cas leur appartenance ethnique était en
réalité la raison pour laquelle elles étaient désignées nommément.
1027. Aussi bien Nahimana que Ngeze se sont dits attachés à la vérité et ont défendu leur
discours au nom de celle-ci. La Chambre doute de cet attachement, relevant ce que Nahimana
a dit à la barre au sujet de la fausse nouvelle diffusée par la RTLM annonçant la mort de
Kanyarengwe et Bizimungu. « Lorsque c’est la guerre, c’est la guerre », a t-il déclaré, « et la
propagande en fait partie ». La Chambre s’est arrêtée sur la relation que Ngeze entretient avec
la vérité en envisageant sa déposition aux paragraphes 875 à 878. Elle considère que les
accusés ont vu dans leur initiative dans la presse une œuvre de propagande de guerre, la
vérité étant sacrifiée à l’objectif, qui était le leur, de défendre la population contre le FPR par
la destruction du groupe ethnique tutsi.
1028. Les noms publiés et diffusés l’étaient généralement à l’occasion de menaces plus ou
moins explicites. Une liste officielle de 123 noms de suspects a été reproduite dans le numéro
40 de Kangura assortie d’un avertissement exprès aux lecteurs que le Gouvernement ne les
protégeait pas efficacement contre ces personnes et qu’ils devaient organiser leur propre
autodéfense pour prévenir leur propre extermination. Ce message est un exemple classique
d’incitation des lecteurs de Kangura à la violence : il leur inspire la peur, leur donne des
noms à associer à cette peur et les pousse à agir seuls par anticipation pour se protéger. Dans
certains cas, des noms ont été mentionnés par Kangura sans cet appel clair à l’action. Le
message n’en était pas moins direct. Qu’il ait été clairement compris ressort on ne peut plus
nettement de ce que, selon les témoins, être nommé dans Kangura c’était s’exposer à des
conséquences funestes. François-Xavier Nsanzuwera a appelé Kangura « le glas de la mort »
(voir paragraphe 237). De même, la RTLM a tenu un discours de peur, fourni aux auditeurs
des noms et les a encouragés à se défendre et se protéger, leur disant sans cesse « d’être
vigilants » ce qui est devenu la façon détournée de désigner l’agression habillée en légitime
défense.
1029. En ce qui concerne le lien de causalité, la Chambre rappelle que l’incitation est un
crime, quel que soit l’effet vers lequel elle tend. En recherchant si tel ou tel discours
manifeste l’intention de commettre le génocide et, par la suite, caractérise l’incitation, la
Chambre considère que le fait qu’il y a bel et bien eu génocide est un élément important. Que
les médias aient eu l’intention de créer cet effet ressort en partie de ce que leurs actes ont
effectivement eu cet effet.
1030. La Chambre d’appel du TPIR a confirmé que des crimes distincts peuvent justifier des
condamnations multiples, à condition que chaque disposition du Statut qui sous-tend une
condamnation présente un élément constitutif nettement distinct qui fait défaut dans
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l’autre1119. En ce qui concerne l’incitation, la Chambre retient que pour qu’il ait instigation
constitutive d’acte de génocide au sens de l’article 6.1 du Statut, il n’est pas nécessaire qu’il y
ait appel public à commettre le génocide, élément constitutif essentiel du crime d’incitation
publique et directe à commettre le génocide.
La RTLM
1031. Les émissions de la RTLM étaient comme le battement de tambour, appelant les
auditeurs à agir contre l’ennemi et ses complices, c’est-à-dire la population tutsie.
L’expression « échauffer les esprits » rend compte de l’entreprise d’incitation menée
systématiquement par la RTLM, qui après le 6 avril 1994 était aussi appelée « Radio
Machette ». De par sa nature et son audience, la radiodiffusion a fait de la RTLM un
instrument nuisible redoutable. Contrairement à la presse écrite, l’effet de la radio est
immédiat. Le pouvoir de la voix humaine, entendue par la Chambre lors de l’audition des
enregistrements sonores en kinyarwanda, ajoute au-delà de toute expression à la qualité et à
la portée du message véhiculé. Ainsi, la radio accentue la psychose, le sentiment de danger et
d’urgence poussant les auditeurs à passer à l’acte. Le dénigrement de l’ethnie tutsie était
accentué par le mépris viscéral filtrant des ondes – rires sarcastiques et ricanements
déplaisants. Autant d’éléments qui ont grandement amplifié l’impact des émissions de la
RTLM.
1032. En particulier, la Chambre retient l’émission du 4 juin 1994, animée par Kantano
Habimana, comme illustration de l’incitation à laquelle procédait la RTLM. Appelant les
auditeurs à exterminer les Inkotanyi, qui étaient reconnaissables à leur taille et à leur
apparence, Habimana lançait à ses auditeurs : « Regardez seulement son petit nez et ensuite
cassez-le ». Le fait d’identifier l’ennemi par son nez et d’inviter à le casser symbolise
clairement l’intention de détruire le groupe ethnique tutsi.
1033. La Chambre a jugé au-delà de tout doute raisonnable que Ferdinand Nahimana était
animé de l’intention génocide, ainsi qu’il est dit au paragraphe 969. Elle a conclu au-delà de
tout doute raisonnable que Nahimana était responsable de la programmation de la RTLM au
sens de l’article 6.1 et a retenu sa responsabilité par application de l’article 6.3 du Statut, ainsi
qu’il résulte des paragraphes 970 à 972. En conséquence, la Chambre déclare Ferdinand
Nahimana coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide au sens de
l’article 2.3 c), par application des paragraphes 1 et 3 de l’article 6 du Statut.
1034. La Chambre a conclu au-delà de tout doute raisonnable que Jean-Bosco Barayagwiza
était animé de l’intention génocide, ainsi qu’il est dit au paragraphe 969. Elle a jugé au-delà
de tout doute raisonnable que Jean-Bosco Barayagwiza était responsable de la
programmation à la RTLM au sens de l’article 6.3 du Statut, ainsi qu’il résulte du
paragraphe 977. En conséquence, la Chambre déclare Jean-Bosco Barayagwiza coupable
d’incitation directe et publique à commettre le génocide au sens de l’article 2.3 c), par
application des paragraphes 1 et 3 de l’article 6 du Statut.

1119

Arrêt Musema par. 361 à 363.

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La CDR
1035. Ainsi qu’il ressort du paragraphe 276, Jean-Bosco Barayagwiza, l’un des principaux
fondateurs de la CDR, a joué un rôle déterminant dans la formation et l’essor de ce parti. Il en
était un décisionnaire. Le meurtre de civils tutsis a été encouragé par la CDR, comme l’atteste
le chant « tubatsembatsembe » ou « exterminons-les », repris par Barayagwiza lui-même et
par les militants et Impuzamugambi de la CDR en sa présence lors de meetings et de
manifestations publics, le pronom « les » étant compris comme visant la population tutsie. La
CDR a également encouragé le meurtre de civils tutsis en publiant des communiqués et
d’autres écrits qui appelaient à l’extermination de l’ennemi, celui-ci étant désigné comme la
population tutsie. La Chambre relève que Barayagwiza a personnellement concouru à cet
appel au génocide. Barayagwiza était à la tête de l’appareil de la CDR. Il était également
présent sur place aux meetings, aux manifestations et aux barrages qui ont créé les conditions
du meurtre de civils tutsis. Du chef de ces agissements, la Chambre déclare Jean-Bosco
Barayagwiza coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide au sens de
l’article 2.3 c) du Statut, par application de l’article 6.1 de celui-ci. Elle a conclu plus haut au
paragraphe 977 que Barayagwiza exerçait une responsabilité de supérieur hiérarchique sur les
militants de la CDR et les Impuzamugambi. Faute d’avoir pris les mesures nécessaires et
raisonnables pour empêcher les actes d’incitation directe et publique à commettre le génocide
qui étaient le fait de militants de la CDR, la Chambre déclare Barayagwiza coupable
d’incitation directe et publique à commettre le génocide par application de l’article 6.3 de son
Statut.
Kangura
1036. Nombre des écrits parus dans Kangura mélangeaient haine ethnique et discours
propre à inspirer la peur, d’une part, et appel à la violence qui devait être dirigée contre la
population tutsie, qualifiée d’ennemi ou de complice de l’ennemi, d’autre part. L’Appel à la
conscience des Bahutu et la couverture du numéro 26 de Kangura sont deux exemples
notoires de message clairement adressé aux lecteurs de Kangura, invitant la population hutue
à « se réveiller » et à prendre les mesures nécessaires pour dissuader l’ennemi tutsi de
décimer les Hutus. La Chambre note que l’appellation Kangura elle-même signifie « réveiller
autrui ». Ce à quoi elle voulait réveiller les Hutus ressort de son contenu, à savoir une litanie
d’injures ethniques présentant la population tutsie comme incarnant le mal et appelant à
l’extermination des Tutsis à titre préventif. La Chambre relève l’attention accrue que les
numéros de Kangura publiés en 1994 portent à la crainte d’une attaque du FPR et à la
menace que le massacre de civils tutsis innocents s’en suivrait.
1037. La Chambre relève que les écrits parus dans Kangura et invoqués par le Procureur ne
caractérisent pas tous l’incitation directe. Un cancrelat ne peut engendrer un papillon, par
exemple, est un article qui déborde de haine ethnique mais qui n’appelle pas le lecteur à agir
contre la population tutsie.
1038. En qualité de fondateur, de propriétaire et de rédacteur en chef de Kangura, Hassan
Ngeze contrôlait directement la publication et tout son contenu, ce dont il a essentiellement
assumé la responsabilité. La Chambre a conclu que Ngeze était habité de l’intention
génocide, ainsi qu’il résulte du paragraphe 969. Ngeze s’est servi de sa publication pour
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susciter la haine, attiser la peur et inciter au génocide. Il n’est pas douteux que Kangura a
joué et passait pour avoir joué un rôle non négligeable dans la mise en place des conditions
qui ont conduit à des actes de génocide. Cela étant, la Chambre déclare Hassan Ngeze
coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide, au sens de l’article 2.3 c)
du Statut par application de l’article 6.1 de celui-ci.
Agissements d’Hassan Ngeze
1039. Ainsi qu’il est dit au paragraphe 837, Hassan Ngeze roulait souvent avec un
mégaphone dans son véhicule, invitant la population hutue à se rendre aux meetings de la
CDR et annonçant que les Inyenzi seraient exterminés, le terme Inyenzi renvoyant à la
minorité ethnique tutsie et étant compris dans ce sens. Du chef de ces agissements, consistant
à exhorter à l’extermination de la population tutsie, la Chambre déclare Hassan Ngeze
coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide, au sens de l’article 2.3 c)
du Statut par application de l’article 6.1 de celui-ci.
4.

Entente en vue de commettre le génocide

1040. Le premier chef des actes d’accusation retient contre les accusés l’infraction d’entente
en vue de commettre le génocide prévue par l’article 2.3 b) du Statut, en ce qu’ils se sont
entendus entre eux et avec d’autres pour tuer des membres de la population tutsie et porter
gravement atteinte à leur intégrité physique et mentale dans l’intention de détruire, en tout ou
en partie, un groupe racial ou ethnique, comme tel.
1041. Dans le jugement Musema, le Tribunal a retracé la genèse de l’insertion du crime
d’entente dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
observant que, du fait même de la gravité du crime de génocide, il était apparu que la simple
entente en vue de commettre le génocide devrait être punissable, même en l’absence de tout
acte préparatoire. Ayant étudié les définitions de l’entente dans la tradition romanogermanique et en common law, le jugement Musema a défini l’entente en vue de commettre
le génocide comme un accord entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre le
crime de génocide1120.
1042. L’intention requise pour le crime d’entente en vue de commettre le génocide est la
même que celle requise pour le crime de génocide1121. Il a été établi au-delà de tout doute
raisonnable que les trois accusés étaient animés de cette intention, ainsi qu’il résulte du
paragraphe 969.
1043. Dans l’arrêt Musema, la Chambre d’appel a confirmé que des crimes distincts peuvent
justifier des condamnations multiples, à condition que chaque disposition du Statut qui soustend la condamnation présente un élément constitutif nettement distinct qui fait défaut dans
l’autre1122. La Chambre observe que la planification est un acte de commission du génocide,
au sens de l’article 6.1 du Statut. L’infraction d’entente requiert l’existence d’un accord qui
1120

Jugement Musema, par. 185 à 191.
Ibid., par. 192.
1122
Arrêt Musema, par. 361 à 363.
1121

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en est l’élément primordial. Par suite, la Chambre conclut que les accusés peuvent être tenus
pénalement responsables tant de l’acte d’entente que de l’infraction principale de génocide,
l’objet de l’entente.
1044. La Chambre retient, ainsi qu’il ressort des paragraphes 100 à 104, que l’entente est
une infraction formelle et, à ce titre, continue, qui trouve son aboutissement dans la
commission des actes envisagés par l’entente. Par suite, des actes d’entente antérieurs à 1994
qui ont résulté en la commission du génocide en 1994 relèvent de la compétence temporelle
du Tribunal.
1045. L’essence du chef d’entente tient en l’accord entre les accusés. Il est un principe bien
établi du droit anglo-saxon de l’entente (conspiracy) que l’existence d’un accord formel ou
exprès n’est pas nécessaire pour prouver cette infraction1123. Un accord peut se déduire de
l’action concertée ou coordonnée du groupe d’individus. L’intelligence tacite du dessein
criminel suffit1124.
1046. Dans le jugement Niyitegeka, le Tribunal a déduit l’existence d’une entente en vue de
commettre le génocide de preuves indirectes, notamment de divers agissements de l’accusé,
comme le fait qu’il ait participé et été présent à des réunions pour discuter du meurtre de
Tutsis, qu’il ait planifié des attaques contre des Tutsis, qu’il ait promis et distribué des armes
aux assaillants pour qu’ils les utilisent lors d’attaques contre les Tutsis, et qu’il ait joué un
rôle de premier plan dans la conduite des réunions et qu’il soit intervenu à ces occasions1125.
1047. La Chambre estime que l’entente en vue de commettre le génocide peut se déduire des
actions coordonnées des individus qui tendent vers un dessein commun et agissent dans un
cadre unifié. Toute coalition, même informelle, peut constituer ce cadre dès lors que ceux qui
agissent au sein de celle-ci savent qu’elle existe, qu’ils y sont partie, et qu’elle concourt à la
réalisation de leur dessein commun.
1048. La Chambre considère en outre que l’entente en vue de commettre le génocide peut
être le fait d’individus agissant de par leur qualité institutionnelle de même
qu’indépendamment, voire indépendamment des liens personnels entre eux. La coordination
institutionnelle peut constituer la base d’une entente entre les individus contrôlant les
institutions qui interviennent dans l’action coordonnée. La Chambre estime que l’acte de
coordination est l’élément central qui distingue l’entente du « parallélisme conscient »,
théorie avancée par la Défense pour expliquer la preuve produite en l’espèce.
1049. Nahimana et Barayagwiza ont collaboré étroitement, étant les deux membres les plus
actifs du Comité d’initiative ou conseil provisoire de la RTLM. Ils étaient tous deux présents
à des réunions auxquelles ils représentaient la RTLM et ils étaient les deux responsables
chargés de signer les chèques de l’organisation. Ils ont tous les deux assisté à des réunions
clandestines au Ministère des transports. En juin 1994, ils étaient ensemble à Genève et ont
1123

Voir State v. Bond, 49 Conn. App. 183, 195-96 (1998) ; State v. Channer, 28 Conn. App. 161, 168-69
(1992).
1124
Voir State v. Cavanaugh, 23 Conn. App. 667, 671 (1991) ; State v. Grullon, 212 Conn. 195, 199 (1989).
1125
Jugement Niyitegeka, par. 427 et 428.
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rencontré le témoin à charge Dahinden, journaliste suisse, pour parler de la RTLM.
Barayagwiza a également collaboré étroitement avec Ngeze au sein de la CDR. Ils étaient
ensemble aux meetings et manifestations de la CDR, ainsi qu’il ressort non seulement des
dépositions de témoins mais également de diverses photographies de Barayagwiza et Ngeze
ensemble sur le podium lors de manifestations de la CDR.
1050. La Chambre conclut que Barayagwiza était la cheville ouvrière parmi les trois
accusés, collaborant étroitement et avec Nahimana et avec Ngeze. Ceux-ci s’entretenaient
avec Barayagwiza à son bureau au Ministère des affaires étrangères, et Ngeze s’entretenait
également avec lui à son domicile. Ils parlaient de la RTLM, de la CDR et de Kangura,
chacun jouant un rôle dans le combat des Hutus contre les Tutsis. Tous trois ont participé
ensemble à un meeting du MRND au stade de Nyamirambo en 1993 à l’occasion duquel ils
ont été présentés dans le cadre du mouvement de solidarité hutue naissant appelé « Hutu
Power ». Tous trois ont été dépeints par Ngeze sur la couverture de Kangura en relation avec
la création de la RTLM dans un dessin humoristique figurant les trois accusés représentant la
nouvelle radio comme une étape de la promotion d’un programme commun hutu.
1051. De même, au plan institutionnel, de nombreux liens unissaient les accusés les uns aux
autres. Kangura était actionnaire, certes minoritaire, de la RTLM, et le journal et la radio ont
étroitement collaboré. Kangura a salué la création de la RTLM en tant qu’initiative dans
laquelle il avait joué un rôle. La RTLM a fait de la publicité pour des éditions de Kangura
auprès de ses auditeurs. Kangura et la RTLM ont lancé une initiative commune en
mars 1994, sous la forme d’un concours dont le but était de familiariser leurs lecteurs et
auditeurs avec les anciens numéros de Kangura et de recueillir leur avis sur les émissions de
la RTLM. L’un des prix offerts était réservé aux militants de la CDR.
1052. Kangura a également collaboré avec la CDR, saluant sa naissance en lui consacrant
une édition spéciale. Le journal exhortait ses lecteurs à adhérer à la CDR et a ouvertement
associé Ngeze à la CDR, à travers des éditoriaux, des photographies et la publication de
lettres et de communiqués. Un article signé Kangura en mai 1992 disait aux lecteurs : « Cette
île n’est autre que la CDR. Dès maintenant alors à vos rames, Hutus ». Il appelait à une
révolution mentale chez le Hutu, pour faire face à l’intraitable Tutsi « au cœur sec que ronge
tranquillement le vers nazi ».
1053. De même, il existait plusieurs liens triangulaires entre les trois institutions contrôlées
de fait par les trois accusés. Kangura agissait souvent de concert avec la RTLM et la CDR. Si
la RTLM était essentiellement constituée d’actionnaires du MRND, les quelques actionnaires
issus de la CDR étaient des responsables clés de la RTLM et de la CDR. Outre Barayagwiza
qui jouait un rôle prépondérant au sein de la RTLM et de la CDR, Stanislas Simbizi, qui
siégeait au comité exécutif de la CDR, est devenu membre du Comité d’initiative de la
RTLM après l’assemblée générale tenue par celle-ci le 11 juillet 1993. Simbizi siégeait
également au conseil de rédaction de Kangura. Un article signé par Ngeze, paru dans
Kangura en janvier 1994, lie les trois entités : « Kangura a été soutenu par la CDR et ensuite
la radio RTLM a été établie … L’ensemble des jeunes Hutus ont maintenant appris comment
la jeunesse hutue peut faire face aux Inyenzis ... » En tant qu’institution politique, la CDR a
tracé le cadre idéologique du génocide, et les deux entités médiatiques étaient parties à la
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coalition qui diffusait le discours de la CDR, à savoir que la destruction des Tutsis était
essentielle à la survie des Hutus.
1054. Autant d’éléments de preuve qui établissent au-delà de tout doute raisonnable que
Nahimana, Barayagwiza et Ngeze ont sciemment agi de concert, utilisant les institutions
qu’ils contrôlaient, pour promouvoir un programme commun, à savoir cibler la population
tutsie pour la détruire. On a évoqué publiquement ce dessein commun et on a agi de concert
pour le réaliser.
1055. La Chambre conclut que Nahimana, Ngeze et Barayagwiza, en tant qu’ils ont
collaboré personnellement entre eux et qu’il y a eu interaction entre les entités qu’ils
contrôlaient, à savoir la RTLM, Kangura et la CDR, sont coupables d’entente en vue de
commettre le génocide au sens de l’article 2.3 b) du Statut et ce, par application de
l’article 6.1 de celui-ci.
5.

Complicité dans le génocide

1056. Le chef 4 de l’acte d’accusation de Nahimana et le chef 3 de ceux de Barayagwiza et
de Ngeze retiennent contre les accusés le crime de complicité dans le génocide, en ce qu’ils
sont complices des massacres de membres de la population tutsie et d’atteintes graves à leur
intégrité physique ou mentale dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe
racial ou ethnique comme tel. La Chambre estime que le crime de complicité dans le
génocide et le crime de génocide s’excluent mutuellement, car nul ne peut être coupable en
tant qu’auteur principal et en tant que complice du même crime1126. Étant donné la conclusion
qu’elle a dégagée s’agissant du chef de génocide, la Chambre dit que les accusés ne sont pas
coupables du chef de complicité dans le génocide.
6.

Extermination constitutive de crimes contre l’humanité

1057. Le chef 6 de l’acte d’accusation de Nahimana, le chef 5 de celui de Barayagwiza et le
chef 7 de celui de Ngeze retiennent contre les accusés le crime d’extermination prévu à
l’article 3 b) du Statut du Tribunal, en ce qu’ils sont responsables de l’extermination des
Tutsis, dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population
civile en raison de son appartenance politique, raciale ou ethnique.
1058. La Chambre relève que certaines émissions de la RTLM, ainsi que les livraisons de
Kangura durant mars 1994, ont été le prologue de l’attaque généralisée et systématique
survenue à la suite de l’assassinat du Président Habyarimana le 6 avril 1994 (voir
paragraphe 121). Ainsi qu’il ressort du paragraphe 120, la Chambre a conclu qu’il y a
également eu attaques systématiques dirigées contre la population tutsie avant le 6 avril 1994.
Elle considère que les émissions de la RTLM et les livraisons de Kangura antérieures aux
attaques qui ont commencé le 6 avril 1994 font partie intégrante de cette attaque généralisée
et systématique, ainsi que des précédentes attaques systématiques perpétrées contre la
population tutsie. De même, les activités de la CDR antérieures au 6 avril 1994 s’inscrivaient

1126

Jugement Akayesu, par. 532.

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dans le cadre de l’attaque généralisée et systématique qui a commencé le 6 avril, ainsi que
des précédentes attaques systématiques perpétrées contre la population tutsie.
1059. La Chambre relève que la compétence temporelle du Tribunal à l’égard des crimes
contre l’humanité est circonscrite aux émissions de la RTLM diffusées en 1994. En ce qui
concerne Kangura, ainsi qu’il est dit au paragraphe 257, le concours lancé par deux fois en
mars 1994 avait pour but d’attirer l’attention du lecteur sur d’anciens numéros de la
publication et a effectivement remis en circulation ces anciens numéros au Rwanda en mars
1994, si bien que ceux-ci relèvent de la compétence temporelle du Tribunal.
1060. Ainsi qu’il est observé au paragraphe 952, de par la nature même des médias, les
meurtres ont nécessairement une cause directe en plus du discours lui-même. De l’avis de la
Chambre, cela ne diminue ni la responsabilité causale des médias considérés ni la
responsabilité pénale de ceux à qui l’on doit le discours.
1061. La Chambre rappelle que dans le jugement Akayesu, le Tribunal a distingué le crime
d’extermination de l’infraction de meurtre en disant que « l’extermination est un crime contre
l’humanité. Elle est, de par nature, dirigée contre un groupe d’individus et se distingue du
meurtre en ce qu’elle doit être perpétrée à grande échelle, [condition] qui n’est pas requise
pour le meurtre »1127. Dans le jugement Bagilishema, le Tribunal a confirmé cette solution,
jugeant que l’extermination est « le fait de donner la mort à grande échelle » et que
l’expression « à grande échelle » n’emporte pas détermination d’un seuil numérique
défini1128. Dans le jugement Ntakirutimana, la Chambre cite le jugement Vasiljevi} où il était
dit qu’il n’y aurait extermination que si les accusés étaient responsables de la mort d’un grand
nombre de personnes, quand bien même ils y auraient pris part de manière détournée ou
indirecte, et qu’on ne pouvait parler d’extermination que « lorsqu’un grand nombre de
personnes [avaient] perdu la vie » 1129 . Dans le jugement Niyitegeka, la Chambre saisie a
retenu la même solution, souscrivant aux jugements Akayesu et Vasiljevi} 1130 . Dans le
jugement Semanza, la Chambre saisie a considéré que « l’élément matériel de l’extermination
réside dans le meurtre à grande échelle d’un nombre important de civils »1131. La Chambre
convient que, pour être coupables du crime d’extermination, les accusés doivent avoir été
impliqués dans des meurtres de civils à grande échelle mais considère que la distinction n’est
pas entièrement d’ordre numérique. La distinction entre extermination et meurtre est une
distinction théorique qui a trait aux victimes du crime et à la manière dont elles ont été visées.
1062. Tant Kangura que la RTLM ont encouragé la perpétration de meurtres à grande
échelle. La nature des médias, la radio en particulier, est telle que leur discours porte loin, ce
qui augmente considérablement le tort qu’ils causent. Les agissements de la CDR et de ses
Impuzamugambi, étant par nature des déchaînements de violence collectifs, ont aussi
provoqué des massacres à grande échelle, souvent à la suite de meetings et de manifestations.

1127

Ibid., par. 591.
Jugement Bagilishema, par. 87.
1129
Jugement Ntakirutimana, par. 813.
1130
Jugement Niyitegeka, par. 450.
1131
Jugement Semanza par. 463.
1128

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Responsabilité pénale individuelle
1063. Le rôle de la RTLM dans le meurtre de civils tutsis est envisagé plus haut au
paragraphe 949. La responsabilité pénale individuelle de Ferdinand Nahimana à raison des
émissions de la RTLM est évoquée aux paragraphes 970 à 974. La Chambre relève que
Nahimana n’est pas poursuivi pour extermination du chef de sa responsabilité de supérieur
hiérarchique pour la RTLM au regard de l’article 6.3 du Statut. À raison des émissions de la
RTLM de 1994 qui ont causé le meurtre de civils tutsis, la Chambre déclare Nahimana
coupable d’extermination constitutive de crimes contre l’humanité au sens de l’article 3 b) du
Statut du Tribunal, par application de l’article 6.1 de celui-ci.
1064. La responsabilité de Jean-Bosco Barayagwiza à raison des émissions de la RTLM est
envisagée au paragraphe 973. À raison des émissions de la RTLM en 1994 qui ont causé le
meurtre de civils tutsis, la Chambre déclare Barayagwiza coupable d’extermination
constitutive de crimes contre l’humanité au sens de l’article 3 b) du Statut du Tribunal, par
application de l’article 6.3 de celui-ci.
1065. La responsabilité de Jean-Bosco Barayagwiza à raison des activités de la CDR est
évoquée au paragraphe 975. À raison du meurtre de civils tutsis par des militants et des
Impuzamugambi de la CDR et sur ordre de Barayagwiza en sa qualité de dirigeant de la CDR,
la Chambre déclare Barayagwiza coupable d’extermination constitutive de crimes contre
l’humanité au sens de l’article 3 b) du Statut du Tribunal, par application de l’article 6.1 de
celui-ci.
1066. La Chambre a conclu plus haut au paragraphe 977 que Barayagwiza exerçait une
responsabilité de supérieur hiérarchique vis-à-vis des militants de la CDR et des
Impuzamugambi. Faute par lui d’avoir pris les mesures nécessaires et raisonnables pour
prévenir le meurtre de civils tutsis par les militants de la CDR et des Impuzamugambi, la
Chambre déclare Barayagwiza coupable d’extermination constitutive de crime contre
l’humanité au regard de l’article 6.3 du Statut du Tribunal.
1067. En ce qu’il a concouru à planifier le meurtre de civils tutsis, ainsi qu’il résulte du
paragraphe 954, la Chambre déclare Jean-Bosco Barayagwiza coupable d’extermination
constitutive de crimes contre l’humanité au sens de l’article 3 b) du Statut du Tribunal, par
application de l’article 6.1 de celui-ci.
1068. En ce qu’il a ordonné ainsi qu’aidé et encouragé le meurtre de civils tutsis, comme il
ressort du paragraphe 954, la Chambre déclare Hassan Ngeze coupable d’extermination
constitutive de crime contre l’humanité au sens de l’article 3 b) du Statut du Tribunal, par
application de l’article 6.1 de celui-ci.
7.

Persécution constitutive de crimes contre l’humanité

1069. Le chef 5 de l’acte d’accusation de Nahimana et le chef 7 de ceux de Barayagwiza et
de Ngeze retiennent contre les accusés l’infraction de persécution constitutive de crimes
contre l’humanité pour des raisons politiques ou raciales au sens de l’article 3 h) du Statut, en
ce qu’ils sont responsables de telles persécutions dans le cadre d’une attaque généralisée ou
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systématique dirigée contre une population civile, en raison de son appartenance politique,
ethnique ou raciale.
1070. Les conclusions de la Chambre touchant à l’existence d’attaques généralisées et
systématiques dirigées contre la minorité ethnique tutsie sont exposées aux paragraphes 120
et 121. Ses conclusions selon lesquelles les émissions de la RTLM, la publication de
Kangura, et les activités de la CDR avant le 6 avril 1994 s’inscrivaient dans le cadre de ces
attaques sont exposées au paragraphe 1058.
1071. À la différence des autres actes constitutifs de crimes contre l’humanité énumérés
dans le Statut du Tribunal, le crime de persécution requiert spécifiquement que soit
démontrée l’intention discriminatoire inspirée par des motifs d’ordre racial, religieux ou
politique. La Chambre relève que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(TPIY) a donné une interprétation extensive de cette condition pour l’étendre aux actes
discriminatoires contre tous ceux qui n’appartiennent pas à tel ou tel groupe donné, par
exemple les non-Serbes1132. Comme il ressort du dossier, ont été pris pour cible de l’attaque
au Rwanda le groupe ethnique tutsi et les opposants politiques hutus dits « modérés » qui
soutenaient le groupe ethnique tutsi. La Chambre considère que le groupe contre lequel les
attaques discriminatoires ont été perpétrées peut se définir par sa composante politique ainsi
que par sa composante ethnique. À certains moments, la composante politique a prédominé,
ainsi qu’il ressort de la réflexion du témoin FS, qui a cité le chef tutsi des Interahamwe,
Robert Kajuga, comme exemple de ce qu’il ne considérait pas un Tutsi qui avait rejoint les
Interahamwe comme un Tutsi1133. Ainsi qu’il ressort du dossier, la RTLM, Kangura et la
CDR ont essentiellement fusionné identité politique et identité ethnique, définissant leur cible
politique selon l’appartenance ethnique et les positions politiques sur cette appartenance. La
Chambre conclut de là que l’intention discriminatoire des accusés entre dans les prévisions de
la définition du crime contre l’humanité par persécution pour des raisons politiques de nature
ethnique.
1072. Dans le jugement Ruggiu, sa première décision relative à la persécution constitutive
de crime contre l’humanité, le TPIR a repris les éléments constitutifs de la persécution définis
par la Chambre de première instance du TPIY dans l’affaire Kupreškić1134. Dans ces affaires,
il a été jugé, que pour être constitué, le crime de persécution nécessitait « le déni manifeste ou
flagrant d’un droit fondamental atteignant le même degré de gravité » que les autres actes
énumérés comme constituant des crimes contres l’humanité en vertu du Statut1135. De l’avis
de la Chambre, il n’est pas douteux qu’un discours de haine visant une population en raison
de son appartenance ethnique ou pour tout autre motif discriminatoire, atteint ce niveau de
gravité, constituant ainsi une persécution au sens de l’article 3 h) du Statut. Dans le jugement
Ruggiu, le Tribunal s’est prononcé dans ce sens, concluant que les émissions de la RTLM, en
1132

Jugement Tadi}, par. 652. Arrêt Tadi}, par. 249. Le Procureur c. Stevan Todorovi}, IT-95-9/1, Jugement
portant condamnation, par. 12 (Chambre de première instance I, 31 juillet 2001), par. 236. Dans l’arrêt
Krnojelac, par. 187, la Chambre d’appel du TPIY a déclaré que l’accusé « disposait d’informations suffisantes
pour alerter du risque que les actes inhumains et traitements cruels étaient commis à l’encontre des détenus non
Serbes en raison de leur appartenance politique ou religieuse ».
1133
Par. 895.
1134
Jugement Ruggiu, par. 21.
1135
Id.
Jugement et Sentence
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mettant à l’index et en attaquant la minorité ethnique tutsie, constituaient une privation « de
[ses] droits fondamentaux à la vie, la liberté et [un refus de leur] statut d’êtres humains qui est
reconnu au reste de la population » 1136 . Un discours de haine constitue une forme
discriminatoire d’agression qui anéantit la dignité des membres du groupe visé. Il crée un
statut inférieur, non seulement aux yeux des membres du groupe proprement dit mais
également des autres qui les regardent et les traitent comme moins qu’humains. Envisagé en
soi et en ses autres conséquences, le dénigrement de personnes en raison de leur identité
ethnique ou de leur appartenance à tel autre groupe peut causer un tort irréversible.
1073. À la différence du crime d’incitation, qui se définit par référence à l’intention,
l’infraction de persécution se définit aussi par référence à son impact. Il ne s’agit pas d’une
incitation à causer du tort. C’est le tort lui-même. En conséquence, il n’est pas nécessaire
qu’il y ait appel à agir dans des discours qui constituent une persécution. Pour la même
raison, peu importe qu’il y ait un lien entre la persécution et des actes de violence. La
Chambre rappelle que le Tribunal militaire international de Nuremberg a déclaré
Julius Streicher coupable de persécution constitutive de crime contre l’humanité pour des
écrits antisémites bien antérieurs à l’extermination des Juifs dans les années 40. Pourtant, ces
écrits ont été qualifiés de poison versé dans l’esprit des Allemands qui les avait conditionnés
à suivre la voie tracée par les national-socialistes pour persécuter les Juifs. Au Rwanda, les
écrits virulents de Kangura et les émissions incendiaires de la RTLM ont eu un effet
similaire, conditionnant la population hutue et créant un climat de malheur, démontré en
partie par l’extermination et le génocide qui ont suivi. De même, les activités de la CDR,
parti politique hutu, qui a diabolisé la population tutsie comme l’ennemi, a suscité la peur et
la haine qui ont fait le lit de l’extermination et du génocide au Rwanda.
1074. La Chambre fait observer que la liberté d’expression et la liberté de ne pas subir de
discrimination ne sont pas des principes de droit incompatibles. Le discours de haine n’est
pas protégé en droit international. De fait, les gouvernements ont l’obligation en vertu du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques d’interdire tout appel à la haine
nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou
à la violence 1137 . De même, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale prescrit l’interdiction des activités de propagande qui incitent à la
discrimination raciale et qui l’encouragent1138.
1075. Un grand nombre de pays à travers le monde, y compris le Rwanda, se sont donnés
des textes de loi internes qui interdisent l’apologie de la haine discriminatoire, sachant le
danger qu’elle représente et le mal qu’elle cause. On retiendra notamment les textes ci-après :
le Code pénal allemand qui interdit l’incitation à la haine et à la violence contre des segments
de la population, y compris au moyen de la diffusion de publications ou d’émissions portant
atteinte à la dignité humaine1139. Une loi sur la presse au Vietnam qui interdit de semer la
discorde entre nations et peuples1140. Le Code pénal russe qui réprime le fait d’inciter à la
haine en portant atteinte à la dignité de la personne humaine, en tenant des propos injurieux
1136

Jugement Ruggiu, par. 22.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 20.
1138
CERD, art. 4 a).
1139
Article 130, Code pénal, Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (site Internet).
1140
Deuxième rapport périodique présenté par le Vietnam au Comité des droits de l’homme, 05/14/2001.
1137

Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

ou délibérément dégradants à l’encontre de couches de la population 1141 . Le Code pénal
finlandais qui prohibe la propagande raciste de nature à dénigrer ou humilier un groupe de
personnes 1142 . Le droit irlandais qui réprime le fait de publier des matériaux menaçants,
injurieux ou insultants susceptibles d’attiser la haine 1143 . La loi ukrainienne qui interdit
l’apologie de la cruauté et la diffusion de matériaux pornographiques et tous autres matériaux
de nature à porter atteinte à l’honneur et la dignité de l’homme1144. Le Code pénal islandais
qui réprime la haine raciale, y compris les moqueries, les insultes, les menaces et la
diffamation1145. La presse qui excite le mépris ou la haine des habitants les uns contre les
autres est proscrite à Monaco1146. Le Code pénal slovène interdit l’incitation à l’inégalité et
l’intolérance1147. Le droit chinois prohibe toutes émissions qui incitent à la haine en raison de
la couleur, de la race, du sexe, de la religion, de la nationalité ou de l’origine ethnique ou
nationale1148.
1076. Au regard de principes bien établis en droit interne et international ainsi que de la
jurisprudence dans l’affaire Streicher (1946) et dans de nombreuses affaires portées devant la
Cour européenne des droits de l’homme et les juridictions nationales depuis lors, la Chambre
considère que le discours de haine qui exprime une discrimination ethnique ou autre viole la
règle de droit international coutumier qui interdit la discrimination. Étant donné cette norme,
la prohibition de l’apologie de la discrimination et de l’incitation à la violence s’impose
d’autant plus que le pouvoir des médias de causer du tort est de plus en plus admis.
1077. La Chambre s’est arrêtée sur les émissions de la RTLM, les écrits de Kangura et les
activités de la CDR à l’occasion de ses conclusions juridiques sur l’incitation directe et
publique à commettre le génocide (voir les paragraphes 1019 à 1037). Ayant établi que tous
les discours constituant une incitation directe et publique à commettre le génocide avaient été
inspirés par une intention génocide, la Chambre estime que l’élément moral moindre requis
pour qu’il y ait persécution, soit l’intention discriminatoire, est constitué en ce qui concerne
les discours en cause. Ayant également constaté que ces discours s’inscrivaient dans le cadre
d’une attaque généralisée ou systématique, la Chambre estime que ces expressions de haine
ethnique caractérisent la persécution constitutive de crime contre l’humanité ainsi que le
crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide.
1078. La Chambre fait observer que la persécution a une portée plus large que l’incitation
directe et publique, englobant l’apologie de la haine ethnique sous d’autres formes. Par
exemple, l’article de Kangura, Un cancrelat ne peut engendrer un papillon, et Les
dix commandements caractérisent la persécution, peu importe que ce dernier texte trouve
place dans l’Appel à la conscience des Bahutu. L’émission de la RTLM de juin 1994, au
1141

Article 282, Code pénal russe, Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (site Internet).
Article 8, chapitre 11, Code pénal finlandais, Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (site
Internet).
1143
Loi de 1989 sur l’interdiction de l’incitation à la haine, al. 2 1) a), Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (site Internet).
1144
Cinquième rapport périodique présenté par l’Ukraine au Comité des droits de l’homme, 16/11/2000 ; site de
la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance.
1145
Code pénal national, Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (site Internet).
1146
Rapport initial de la Principauté de Monaco au Comité des droits de l’homme, 28/8/2001.
1147
Code pénal, article 63. Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (site Internet).
1148
Rapport initial présenté par la Chine et Hong Kong au Comité des droits de l’homme, 16/06/99.
1142

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

cours de laquelle Simbona, interviewé par Gaspard Gahigi, parlait de ruses et de tricheries
des Tutsis, caractérise également la persécution. Comme le témoin ABE l’a décrit, la
propagande de Kangura a contaminé les esprits. Pour emprunter les mots du témoin GO, la
RTLM « versait de l’essence petit à petit dans tout le pays pour que, à un moment donné, à
un jour donné, elle puisse embraser tout le pays ». C’est le poison dont il est question dans le
jugement Streicher.
1079. La Chambre relève que des femmes tutsies, en particulier, étaient la cible de
persécutions. La RTLM et Kangura ont martelé que la femme tutsie était une femme fatale,
que les femmes tutsies étaient des agents de séduction de l’ennemi. Les dix commandements
diffusés par la RTLM et reproduits dans Kangura, dénigraient et mettaient en danger les
femmes tutsies, comme il ressort de la déposition du témoin AHI selon laquelle une femme
tutsie avait été tuée par des militants de la CDR qui avaient épargné la vie de son mari, lui
disant « Ne t’en fais pas, nous allons te trouver une autre épouse hutue »1149. En qualifiant
ainsi la femme tutsie d’ennemie, la RTLM et Kangura ont créé les circonstances qui ont fait
de l’agression sexuelle sur la personne des femmes tutsies une conséquence prévisible du rôle
attribué à celles-ci.
1080. La Chambre observe que, lorsqu’elle prend la forme de massacres, la persécution est
une infraction de moindre gravité, incluse dans le crime d’extermination. Cependant, de par
la nature des émissions, des écrits et activités de la CDR, le même discours aurait causé plus
ou moins de tort à différents degrés à différentes personnes. Telle émission de la RTLM, tel
article de Kangura ou telle manifestation de la CDR qui a conduit à l’extermination de
certains civils tutsis aura causé un tort moindre à d’autres, caractérisant ainsi la persécution.
La Chambre considère dès lors que ces agissements de la part des accusés constituent des
crimes multiples et différents, dont ils peuvent être tenus responsables séparément.
1081. La responsabilité de Ferdinand Nahimana à raison des émissions de la RTLM est
envisagée plus haut aux paragraphes 970 à 974. Du chef des émissions de la RTLM de 1994
appelant à la haine ethnique ou incitant à la violence contre la population tutsie, la Chambre
déclare Nahimana coupable de persécution constitutive de crimes contre l’humanité au sens
de l’article 3 h) du Statut, par application des paragraphes 1 et 3 de l’article 6 de celui-ci.
1082. La responsabilité de Jean-Bosco Barayagwiza à raison des émissions de la RTLM est
évoquée plus haut au paragraphe 973. Du chef des émissions de la RTLM de 1994 appelant à
la haine ethnique ou incitant à la violence contre la population tutsie, la Chambre déclare
Barayagwiza coupable de persécution constitutive de crimes contre l’humanité au sens de
l’article 3 h) du Statut, par application de l’article 6.3 de celui-ci.
1083. La responsabilité de Jean-Bosco Barayagwiza à raison des activités de la CDR est
envisagée plus haut au paragraphe 975. Du chef des actes qu’il a lui-même posés et des
activités de la CDR appelant à la haine ethnique ou incitant à la violence contre la population
tutsie, la Chambre déclare Barayagwiza coupable de persécution constitutive de crimes contre
l’humanité au sens de l’article 3 h) du Statut, par application de l’article 6.1 de celui-ci. La
Chambre a conclu plus haut au paragraphe 977 que Barayagwiza exerçait une responsabilité
1149

Par. 234.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

de supérieur hiérarchique vis-à-vis des militants de la CDR et des Impuzamugambi. Faute par
lui d’avoir pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher l’appel à la haine
ethnique ou l’incitation à la violence contre la population tutsie par les militants de la CDR et
les Impuzamugambi, la Chambre déclare Barayagwiza coupable de persécution constitutive
de crimes contre l’humanité par application de l’article 6.3 de son Statut.
1084. La responsabilité d’Hassan Ngeze à raison du contenu de Kangura est envisagée plus
haut aux paragraphes 977 et 978. Du fait du contenu de sa publication appelant à la haine
ethnique ou incitant à la violence, ainsi qu’à raison des actes qu’il à lui-même posés qui
appelaient également à la haine ethnique et incitaient à la violence contre la population tutsie,
ainsi qu’ils sont évoqués au paragraphe 1039, la Chambre déclare Ngeze coupable de
persécution constitutive de crimes contre l’humanité au sens de l’article 3 h) du Statut du
Tribunal, par application de l’article 6.1 de celui-ci.
8.

Assassinat constitutif de crime contre l’humanité

1085. Le chef 7 de l’acte d’accusation de Nahimana, le chef 6 de celui de Barayagwiza et le
chef 5 de celui de Ngeze retiennent contre les accusés des assassinats constitutifs de crimes
contre l’humanité, en ce qu’ils sont responsables de l’assassinat de personnes dans le cadre
d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile, en raison de
son appartenance politique, ethnique ou raciale. Le Procureur ayant concédé que la preuve de
ces crimes n’a pas été rapportée en ce qui concerne Nahimana et Barayagwiza, la Chambre,
dans sa décision du 25 septembre 2002, les a acquittés des chefs de crimes contre l’humanité
(assassinat). En conséquence, seul Ngeze se voit reprocher ce crime.
1086. Le Procureur allègue que Ngeze est coupable d’assassinat en vertu des paragraphes 1
et 3 de l’article 6 du Statut. Les paragraphes 7.6, 7.8 et 7.9 de l’acte d’accusation évoquent les
meurtres commis ou ordonnés par Ngeze.
1087. Le Procureur a concédé dans son réquisitoire qu’il renonçait à l’allégation que Ngeze
aurait abattu une petite fille tutsie (paragraphe 7.8)1150. La Chambre a conclu que le Procureur
n’avait pas rapporté la preuve que Ngeze eût ordonné l’assassinat de Modeste Tabaro ou l’eût
tué (paragraphe 7.9), ni davantage qu’il l’eût tué à la Commune rouge (paragraphe 7.6).
1088. La Chambre en conclut que Ngeze n’est pas coupable d’assassinat constitutif de crime
contre l’humanité au sens du paragraphe 1 ou 3 de l’article 6 du Statut.
9.

Cumul de qualifications et condamnations multiples

1089. Le cumul de qualifications est généralement permis dès lors qu’il n’est pas possible
de savoir quelles charges articulées contre un accusé seront établies avant la présentation des
moyens de preuve1151.

1150
1151

Compte rendu de l’audience du 19 août 2003, p. 86.
Voir, par exemple, arrêt Musema, par. 346 à 370.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

1090. Des condamnations multiples ne sont permises que si les crimes comportent des
éléments nettement distincts1152. En l’espèce, les trois accusés sont coupables d’entente en
vue de commettre le génocide, de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le
génocide et de crimes contre l’humanité (persécution et extermination). Comme ces
infractions comportent des éléments nettement distincts, ainsi qu’il est dit dans le présent
chapitre, les trois accusés seront condamnés de ces chefs.

1152

Arrêt Musema, par. 346 à 370 ; arrêt Delali}, par. 400.

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CHAPITRE V
VERDICT
1091. PAR CES MOTIFS, ayant examiné tous les éléments de preuve et arguments
présentés,
1092. LA CHAMBRE, statuant à l’unanimité, déclare Ferdinand Nahimana :
Chef 1 :
Chef 2 :
Chef 3 :
Chef 4 :
Chef 5 :
Chef 6 :
Chef 7 :

Coupable d’entente en vue de commettre le génocide
Coupable de génocide
Coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide
Non coupable de complicité dans le génocide
Coupable de crimes contre l’humanité (persécution)
Coupable de crimes contre l’humanité (extermination)
Non coupable de crimes contre l’humanité (assassinat)

1093. LA CHAMBRE, statuant à l’unanimité, déclare Jean-Bosco Barayagwiza :
Chef 1 :
Chef 2 :
Chef 3 :
Chef 4 :
Chef 5 :
Chef 6 :
Chef 7 :
Chef 8 :
Chef 9 :

Coupable d’entente en vue de commettre le génocide
Coupable de génocide
Non coupable de complicité dans le génocide
Coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide
Coupable de crimes contre l’humanité (extermination)
Non coupable de crimes contre l’humanité (assassinat)
Coupable de crimes contre l’humanité (persécution)
Non coupable de violations graves de l’article 3 commun aux
Conventions de Genève et du Protocole additionnel II
Non coupable de violations graves de l’article 3 commun aux
Conventions de Genève et du Protocole additionnel II

1094. LA CHAMBRE, statuant à l’unanimité, déclare Hassan Ngeze :
Chef 1 :
Chef 2 :
Chef 3 :
Chef 4 :
Chef 5 :
Chef 6 :
Chef 7 :

Coupable d’entente en vue de commettre le génocide
Coupable de génocide
Non coupable de complicité dans le génocide
Coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide
Non coupable de crimes contre l’humanité (assassinat)
Coupable de crimes contre l’humanité (persécution)
Coupable de crimes contre l’humanité (extermination)

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CHAPITRE VI
SENTENCE
1095. Ayant déclaré les trois accusés coupables, la Chambre en vient maintenant à la
question de la peine à prononcer, conformément à l’article 22 du Statut du Tribunal. Selon
elle, la peine a pour but la rétribution, la dissuasion, l’amendement et la protection de la
société. En application de l’article 23 du Statut, la Chambre aura recours à la grille générale
des peines d’emprisonnement appliquée par les tribunaux du Rwanda, et tiendra compte de la
gravité des infractions ainsi que de la situation personnelle des accusés. Elle prendra
également en considération l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes
conformément aux dispositions de l’article 101 du Règlement.
1096. Les accusés ont été déclarés coupables de génocide, d’incitation directe et publique à
commettre le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide ainsi que d’extermination
et de persécution constitutives de crimes contre l’humanité. Ce sont là des crimes
extrêmement graves qui heurtent la conscience humaine et menacent les fondements de la
société.
1097. Le Procureur a requis l’emprisonnement à vie pour chaque chef dont les accusés ont
été déclarés coupables1153. Aux termes de l’article 101 du Règlement, tout accusé reconnu
coupable est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée pouvant aller
jusqu’à l’emprisonnement à vie. La Chambre considère que, étant la peine la plus lourde que
le Tribunal est autorisé à prononcer, l’emprisonnement à vie devrait être réservé aux auteurs
des infractions les plus graves, le principe de hiérarchisation des peines permettant à la
Chambre de distinguer les crimes en fonction de leur gravité1154. La Chambre est consciente
de l’« obligation impérieuse de personnaliser la peine », de sorte que celle-ci soit
proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de son auteur1155. Elle
a également étudié les dispositions du Code pénal rwandais et de la loi organique rwandaise
relative aux peines et les pratiques des deux Tribunaux ad hoc en la matière.
Situation personnelle des accusés et circonstances aggravantes et atténuantes
1098. Les trois accusés occupaient des postes de direction et étaient dépositaires de
l’autorité publique.
1099. Universitaire renommé, Ferdinand Nahimana a été professeur d’histoire à l’Université
du Rwanda, directeur de l’ORINFOR et fondateur de la station de radio indépendante, la
RTLM. Il a été conseiller politique du Gouvernement intérimaire installé après le 6 avril 1994
sous le Président Sindikubwabo. Pleinement conscient du pouvoir des mots, il s’est servi de
la radio – le moyen de communication ayant la portée la plus étendue – pour propager la
haine et la violence. Mû par son sens du patriotisme, il éprouvait le besoin d’équité en faveur
de la population hutue. Mais au lieu d’emprunter les voies de droit, il a choisi celle du
1153

Réquisitoire du Procureur, p. 323.
Jugement Ntakirutimana, par. 884 ; jugement Niyitegeka, par. 486.
1155
Arrêt Delali}, par. 717 ; jugement Kambanda, par. 58.
1154

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génocide et a ainsi failli à la mission dont il était investi en sa qualité d’intellectuel et de
dirigeant. Sans fusil, machette ni autre arme, il a occasionné la mort de milliers de civils
innocents. Aucune observation n’a été faite en son nom concernant la peine. La Chambre
relève ce que les témoins à décharge ont dit à propos de sa bonne moralité et de son statut
social élevé mais loin d’être circonstances atténuantes, elle voit là la preuve qu’il a failli à
l’autorité publique dont il était investi.
1100. Directeur des affaires politiques au Ministère des affaires étrangères et fondateur de la
RTLM, Jean-Bosco Barayagwiza a été également le fondateur de la CDR et son président
dans le ressort de la préfecture de Gisenyi, puis son président national. Juriste de formation, il
dit dans son livre son attachement aux normes internationales relatives aux droits de
l’homme. Or, s’éloignant de ces normes, il a violé le droit de l’homme le plus fondamental, le
droit à la vie, et ce, à la fois au moyen des institutions qu’il avait créées et par les actes de
participation au génocide qu’il a posés. Il était la cheville ouvrière de l’entente, collaborant
étroitement avec Nahimana et Ngeze. Son conseil a sollicité l’atténuation de la peine1156. La
Chambre ne trouve aucune circonstance atténuante le concernant en l’espèce.
1101. Propriétaire et rédacteur en chef d’un journal connu au Rwanda, Hassan Ngeze était
en mesure d’informer le public et de former l’opinion publique à la démocratie et à la paix
pour tous les Rwandais. Au lieu d’utiliser ce média pour promouvoir les droits de l’homme, il
en a usé pour les attaquer et les détruire. Doué d’un talent non négligeable pour établir des
contacts, il avait su s’assurer au début de sa carrière le soutien d’organisations internationales
de défense des droits de l’homme qui croyaient en son attachement à la liberté d’expression.
Cependant, Ngeze n’a pas respecté la responsabilité attachée à cette liberté. Il a abusé de la
confiance du public en utilisant son journal pour inciter au génocide. Aucune observation n’a
été faite en son nom par son conseil concernant la peine. La Chambre relève que Ngeze a
sauvé des civils tutsis de la mort en les transportant en dehors des frontières du Rwanda. À sa
capacité de sauver faisait largement pendant sa capacité de tuer. Il a empoisonné l’esprit de
ses lecteurs, et par ses propos et ses actes a occasionné la mort de milliers de civils innocents.
1102. La Chambre estime que les trois accusés ont été impliqués dans la planification de ces
activités criminelles et étaient disposés à agir d’une manière contraire au devoir que leur
imposaient leurs fonctions respectives. La Chambre a étudié la manière dont les crimes ont
été perpétrés, en particulier la sauvagerie évoquée par les témoins AEU et EB, les attaques
contre des églises et des mosquées ainsi que la préparation de charniers pour les victimes.
1103. Vu la nature des infractions et le rôle et le degré de participation des trois accusés, la
Chambre considère qu’ils entrent dans la catégorie des auteurs des infractions les plus graves.
1104. La Chambre fait observer que dans le cas d’un accusé reconnu coupable de crimes
multiples, comme en l’espèce, elle peut, souverainement, prononcer une peine unique ou une
peine pour chacun des crimes 1157 . Il est habituellement indiqué de prononcer une peine
unique si les infractions peuvent être considérées comme relevant d’une seule entreprise
criminelle.
1156
1157

Dernières conclusions de la Défense (Barayagwiza), p. 149.
Jugement Bla{ki}, par. 807 ; jugement Krsti}, par. 725.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

Ferdinand Nahimana
1105. Ayant pris en considération tous les facteurs pertinents, la Chambre condamne
Ferdinand Nahimana à l’emprisonnement à vie, à raison de tous les chefs dont il a été
reconnu coupable.
Jean-Bosco Barayagwiza
1106. Ayant pris en considération tous les facteurs pertinents, la Chambre estime que la
peine appropriée pour Jean-Bosco Barayagwiza à raison de tous les chefs dont il a été
reconnu coupable est l’emprisonnement à vie. Cependant, dans son arrêt en date du 31 mars
2000, la Chambre d’appel a décidé
que pour la violation de ses droits l’Appelant a un droit à réparation qui sera fixé au
moment du jugement de première instance, de la manière suivante :
a)

Si l’Appelant est jugé non coupable, une réparation financière lui sera due ;

b)

Si l’Appelant est jugé coupable, sa sentence sera réduite pour tenir compte de
la violation de ses droits1158.

1107. La Chambre estime que prononcer une peine de durée déterminée, qui par définition
est moindre que celle de l’emprisonnement à vie, est le seul moyen de respecter l’arrêt de la
Chambre d’appel. Prenant en compte la violation de ses droits, la Chambre condamne
Barayagwiza à une peine d’emprisonnement de 35 ans à raison de tous les chefs dont il a été
reconnu coupable. En vertu de l’article 101 D) du Règlement, Barayagwiza a droit à une
réduction de sa peine à hauteur de la durée de sa détention provisoire, à calculer à compter de
la date de son arrestation initiale au Cameroun le 26 mars 19961159. La réduction de la peine a
été fixée à sept ans, huit mois et neuf jours. En conséquence, Barayagwiza purgera une peine
de vingt-sept ans, trois mois et vingt-et-un jours, à compter du 3 décembre 2003.
Hassan Ngeze
1108. Ayant pris en considération tous les facteurs pertinents, la Chambre condamne Hassan
Ngeze à l’emprisonnement à vie à raison de tous les chefs dont il a été reconnu coupable.
1109. En application des articles 102 A) et 103 du Règlement, les trois accusés resteront en
détention sous la garde du Tribunal dans l’attente de leur transfert vers l’État où ils purgeront
leur peine.
1158

Arrêt concernant la demande du Procureur en révision ou réexamen, 31 mars 2000, p. 29.
Le réquisitoire du Procureur (p. 4) et l’arrêt relatif à la demande du Procureur en révision en date du
3 novembre 1999 retiennent que Barayagwiza a été arrêté le 28 mars 1996 ; selon la requête en exception
d’incompétence du 19 juillet 2000 la date de son arrestation est le 26 mars 1996 ; le mémoire de la Défense à
l’appui de l’appel interjeté par la Défense de la décision rendue par la Chambre de première instance II sur la
requête en extrême urgence de la Défense aux fins d’ordonnances prescrivant le réexamen et/ou l’annulation de
l’arrestation et de la détention provisoire du suspect indique qu’il a été arrêté le 27 mars 1996 ; l’arrêt de la
Chambre d’appel du 3 novembre 1999 retient qu’il a été arrêté le 15 avril 1996. La Chambre a pris comme date
d’arrestation la plus favorable à l’accusé, à savoir celle du 26 mars 1996.

1159

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1110. Fait en anglais et en français, le texte en anglais faisant foi.
Arusha, le 3 décembre 2003

[Signé]
Navanethem Pillay
Président de Chambre

[Signé]
Erik Møse
Juge

[Signé]
Asoka de Zoysa Gunawardana
Juge

[Sceau du Tribunal]

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ANNEXE I
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International Criminal Tribunal for Rwanda
Tribunal pénal international pour le Rwanda
UNITED NATIONS
NATIONS UNIES

LE PROCUREUR

CONTRE

FERDINAND NAHIMANA

ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ
En vertu de l’autorisation accordée au Procureur par la décision de la Chambre de première
instance I en date du 5 novembre 1999.

Le Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, en vertu des pouvoirs que lui
confère l’article 17 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le « statut du
Tribunal »), accuse

FERDINAND NAHIMANA
D’ENTENTE EN VUE DE COMMETTRE LE GÉNOCIDE, DE GÉNOCIDE,
D’INCITATION DIRECTE ET PUBLIQUE À COMMETTRE LE GÉNOCIDE, DE
COMPLICITÉ DANS LE GÉNOCIDE ET DE CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ, crimes
prévus aux articles 2 et 3 du statut du tribunal comme suit :

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1.

CONTEXTE HISTORIQUE

1.1
La révolution de 1959 marque le début d’une période d’affrontements ethniques entre
les Hutus et les Tutsis au Rwanda, provoquant au cours des années qui ont immédiatement
suivi des centaines de morts chez les Tutsis et l’exode de milliers d’entre eux. Cette
révolution entraîne l’abolition de la monarchie tutsie et la proclamation de la Première
République au début de l’année 1961, confirmée par referendum au cours de la même année.
Les élections législatives de septembre 1961 confirment la domination du MDRPARMEHUTU (Mouvement démocratique républicain Parti du mouvement d’émancipation
hutu) dirigé par Grégoire Kayibanda, qui est élu Président de la République, par l’Assemblée
législative, le 26 octobre 1961.
1.2
Les premières années d’existence de cette Première République, dominée par les
Hutus du centre et du sud du Rwanda, sont de nouveau marquées par la violence ethnique.
Les victimes furent principalement des Tutsis, l’ancienne élite dirigeante, et leurs alliés ;
ceux-ci furent tués, chassés vers d’autres régions du Rwanda ou forcés de s’enfuir du pays.
L’élimination progressive des partis d’opposition durant ces premières années confirme le
MDR-PARMEHUTU comme parti unique, et seul parti à présenter des candidats aux
élections de 1965.
1.3
Le début de l’année 1973 au Rwanda est de nouveau marqué par des affrontements
ethniques entre Hutus et Tutsis qui provoquent, après ceux de 1959 à 1963, un nouvel exode
de la minorité tutsie. Cette recrudescence des tensions ethniques et politiques (entre le nord et
le sud) aboutit, le 5 juillet 1973, à un coup d’État militaire mené par le général Juvénal
Habyarimana. Le coup d’État entraîne un renversement du pouvoir, qui passe des mains des
civils à celles de Hutus des préfectures du nord du pays, à savoir Gisenyi (région natale du
Président Habyarimana) et Ruhengeri.
1.4
En 1975, le Président Habyarimana fonde le Mouvement révolutionnaire national
pour le développement (MRND), parti unique, dont il assume la présidence. La structure
administrative et la hiérarchie du MRND se confondent en un véritable parti-État tous les
niveaux de l’administration territoriale, du préfet au bourgmestres, jusqu’aux conseillers de
secteurs et responsables de cellule.
1.5
De 1973 à 1994, le Gouvernement du Président Habyarimana applique un système de
quotas basé sur l’origine ethnique et régionale, qui était censé offrir des chances égales à tous
en matière d’éducation et d’emploi, mais qui fut utilisé progressivement de manière
discriminatoire à l’encontre des Tutsis et des Hutus originaires d’autres régions que le nordouest. De fait, à la fin des années 1980, de nombreux postes parmi les plus importants des
secteurs militaire, politique, économique et administratif de la société rwandaise étaient
occupés par des personnes originaires de Gisenyi et Ruhenger. Parmi l’élite privilégiée, un
noyau, connu sous le nom d’Akazu et composé de parents et d’intimes du président
Habyarimana et de son épouse, Agathe Kanziga, jouit d’un grand pouvoir. Aux membres de
ce groupe, presque exclusivement hutu, se joignent des personnes qui en partagent l’idéologie
hutue extrémiste et qui sont principalement originaires de la région natale du président et de
son épouse.
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1.6
En 1990, le Président de la République, Juvénal Habyarimana, et son parti, le MRND,
font face à une opposition grandissante, notamment de la part d’autres Hutus.
1.7
Le 1er octobre 1990, le Front patriotique rwandais (FPR), composé majoritairement de
réfugiés tutsis, attaque le Rwanda. Dans les jours qui suivent, le Gouvernement procède à
l’arrestation de milliers de personnes présumées être des adversaires d’Habyarimana et
soupçonnées de complicité avec le FPR. Quoique les Tutsis aient été la principale cible, il y a
également des opposants politiques hutus parmi les personnes arrêtées.
1.8
Suite aux différentes pressions de l’opposition interne et de la communauté
internationale, et à l’attaque du FPR du 1er octobre 1990, le Président Habyarimana autorise
l’introduction du multipartisme et l’adoption d’une nouvelle constitution le 10 juin 1991. Le
Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) est alors rebaptisé
Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND). Le
premier Gouvernement de transition est composé presque exclusivement de membres du
MRND, suite au refus des principaux partis d’opposition d’en faire partie. Avec la mise en
place du second Gouvernement de transition en avril 1992, le MRND se retrouve minoritaire,
pour la première fois de son histoire, avec neuf portefeuilles ministériels sur 19. Par contre, le
MRND demeure fortement dominant au niveau de l’administration territoriale.
1.9
Le nouveau Gouvernement entame alors des négociations avec le FPR qui aboutissent
le 4 août 1993 à la signature des Accords d’Arusha. Ces accords prévoient un nouveau
partage des pouvoirs militaire et civil entre le FPR, les partis d’opposition et le MRND.
1.10 Aux termes des Accords d’Arusha qui prévoient l’intégration des forces armées des
deux parties, l’effectif de la nouvelle armée nationale est limité à 13 000 hommes dont 60%
proviennent des FAR (Forces armées rwandaises) et 40% du FPR. Quant aux postes de
commandement, ils sont attribués à parts égales (50% - 50%) aux deux parties, le poste de
chef d’état-major de l’armée revenant aux FAR.
L’effectif de la gendarmerie est limité à 6 000 hommes, composé à 60% des FAR et à
40% du FPR, avec les postes de commandement répartis équitablement (50% - 50%) entre les
deux parties, le poste de chef d’état-major de la gendarmerie revenant au FPR.
1.11 Au niveau de la représentation au sein du Gouvernement, les Accords d’Arusha
limitent à cinq le nombre de portefeuilles ministériels du MRND, en plus de la présidence de
la République. Les autres portefeuilles se répartissent ainsi : cinq pour le FPR, quatre pour le
MDR(Mouvement démocratique républicain) dont le poste de Premier ministre, trois pour le
PSD (parti social-démocrate), trois pour le PL (Parti libéral) et un pour le PDC (Parti
démocrate-chrétien).
1.12 De plus, les parties aux Accords d’Arusha s’engagent à rejeter et à combattre toute
idéologie politique basée sur l’ethnie. En ce sens, les forces politiques qui doivent participer
aux institutions de la transition s’engagent à s’abstenir de toute forme de violence ou
d’incitation à la violence, par des écrits, des messages verbaux, ou par tout autre moyen, et de
combattre toute idéologie politique visant à promouvoir toute discrimination ethnique.
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1.13 Pour les hommes et les femmes proches du Président Habyarimana, parmi lesquels les
membres de l’Akazu, qui occupaient des fonctions importantes au sein des divers secteurs de
la société rwandaise, ce nouveau partage du pouvoir, tel qu’exigé par les opposants politiques
et stipulé par les Accords d’Arusha, signifie l’abandon du pouvoir et la perte de nombreux
privilèges et d’importants avantages. En même temps, du fait de l’application des Accords
d’Arusha, de nombreux militaires font face à une démobilisation massive. Finalement, le
statut constitutionnel de ces accords met en péril l’existence des médias qui prônaient une
idéologie basée sur l’ethnisme.
1.14 À partir de 1990, Habyarimana et plusieurs de ses plus proches collaborateurs
conçoivent une stratégie d’incitation à la haine et à la peur face à la minorité tutsie, afin de
rétablir la solidarité parmi les Hutus et de se maintenir au pouvoir. Ils s’opposent fortement à
toute forme de partage du pouvoir et particulièrement au partage prévu par les Accords
d’Arusha.
1.15 Déterminées à éviter le partage des pouvoirs prévu par les Accords d’Arusha,
plusieurs personnalités civiles et militaires en vue poursuivent leur stratégie de conflit
ethnique et d’incitation à la violence. Elles visent la population tutsie tout entière, qui est
qualifiée de complice du FPR, de même que les Hutus opposés à leur domination,
particulièrement ceux qui sont originaires d’autres régions que le nord-ouest du Rwanda.
Parallèlement, elles tentent de diviser les partis d’opposition hutus, en ramenant certains de
leurs membres dans le camp d’Habyarimana. Les efforts destinés à diviser l’opposition hutue
sont favorisés par l’assassinat, par des soldats tutsis de l’armée burundaise, de Melchior
Ndandaye, Président hutu démocratiquement élu dans le Burundi voisin. À la fin de 1993,
deux des trois principaux partis opposés au MRND se sont divisés en deux factions chacun.
Les factions connues sous le nom de « Power » s’allient au MRND.
1.16 La stratégie adoptée au début des années 90, qui va connaître son apogée avec les
massacres généralisés d’avril 1994, comporte plusieurs éléments qui sont soigneusement
élaborés par les différentes personnalités qui partagent cette idéologie hutue extrémiste, dont
les membres de l’Akazu. À L’incitation à la violence ethnique et à l’extermination des Tutsis
et de leurs complices, s’ajoutent l’organisation et l’entraînement militaire des jeunesses
politiques, notamment des Interahamwe (organisation des jeunes du MRND), la préparation
et la diffusion de listes de personnes à éliminer, la distribution d’armes à des civils,
l’assassinat de certains opposants politiques et le massacre de nombreux Tutsis dans diverses
régions du Rwanda entre octobre 1990 et avril 1994.
1.17 L’incitation à la haine ethnique prend la forme de discours publics prononcés par des
personnalités partageant cette idéologie extrémiste. Ces personnalités politiques et militaires
appellent publiquement à la haine et à la peur des Tutsis et exhortent la majorité hutue à en
finir avec l’ennemi et ses complices. Le discours prononcé en novembre 1992 par Léon
Mugesera, Vice-Président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, qui dès cette époque
incitait publiquement à l’extermination des Tutsis et de leurs complices, en est la parfaite
illustration.
1.18 Dans le but d’assurer une large diffusion de ces appels à la violence ethnique, des
personnalités de l’entourage du Président mettent sur pied de véritables médias de la haine
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qui exerceront une grande influence sur la population rwandaise. La création de la Radio
télévision libre des mille collines (RTLM) et du journal Kantura participe de cette stratégie et
s’inscrit dans cette logique. Dès 1993, les Tutsis et les opposants politiques sont ciblés,
nommément identifiés, et menacés par ces médias. Nombre d’entre eux compteront parmi les
premières victimes des massacres d’avril 1994.
1.19 La création des organisations de jeunes des partis politiques, qui avait à l’origine pour
objectif d’encourager ou même de forcer l’adhésion à l’un ou l’autre des partis du nouveau
régime multipartiste, va fournir à l’entourage d’Habyarimana une main-d’œuvre dévouée,
nombreuse et efficace pour mettre en œuvre la stratégie adoptée. Ces organisations de jeunes
affiliées aux partis politiques sont très vite manipulées dans le cadre de la campagne
antitutsie. Des membres de ces organisations, particulièrement les Interahamwe (MRND) et
les Impuzamugambi (CDR), sont organisés en milices financées, entraînées et dirigées par des
personnalités civiles et militaires de l’entourage du Président de la République. Des armes
leur sont distribuées avec la complicité de certaines autorités militaires et civiles. Leur
transport vers les sites d’entraînement, dont certains camps militaires, est assuré par des
véhicules de l’administration publique ou appartenant à des sociétés contrôlées par
l’entourage du Président.
1.20 Lors des arrestations massives d’octobre 1990, les autorités civiles et militaires se
réfèrent à des listes établies pour identifier et localiser les présumés complices du FPR, en
majorité tutsis. Par la suite, l’armée, la gendarmerie, les autorités locales et les Interahamwe
reçoivent des directives pour préparer de nouvelles listes ou tenir à jour les listes existantes,
qui vont servir lors des massacres de 1994.
1.21 Vers la fin de 1991, certaines autorités rwandaises distribuent des armes à certains
membres de la population civile du nord-est du pays dans le cadre de la campagne
d’autodéfense civile, en réaction à l’attaque du FPR d’octobre 1990. Plus tard, des armes sont
distribuées dans tout le pays par des autorités, notamment aux Interahamwe et aux
Impuzamugambi et à des personnes soigneusement choisies, même dans des régions
éloignées de la zone de guerre. Vers la fin de 1993, l’évêque de Nyundo critique dans une
lettre publique cette distribution d’armes, s’interrogeant sur sa finalité.
1.22 La mise en place de la stratégie ainsi décrite joue un rôle de catalyseur dans la
violence politique et ethnique de cette époque, qui atteint son paroxysme avec les massacres
d’avril 1994. Le début des années 90 est marqué par de nombreux assassinats politiques et
d’importants massacres de la minorité tutsie, dont celui de Kibilira (1990), ceux des Bagogwe
(1991) et celui du Bugesera (1992). Ces massacres sont suscités et organisés par des autorités
locales avec la complicité de certaines personnalités de l’entourage du Président
Habyarimana. On y retrouve les éléments de la stratégie qui va aboutir au génocide de 1994,
notamment l’utilisation de la propagande écrite et radiophonique pour inciter à la commission
des massacres.
1.23 Au début de 1994, des manifestations violents visant à empêcher la mise en place des
Accords d’Arusha se déroulent à Kigali à l’instigation de certaines personnalités de
l’entourage d’Habyarimana. On y retrouve des militaires en civil aux côtés des miliciens qui
cherchent à provoquer des affrontements avec les soldats belges de la MINUAR. Ces
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incidents sont en partie à l’origine du report de la mise en place des institutions prévues dans
les Accords d’Arusha.
1.24 Le 6 avril 1994, l’avion transportant, entre autres passagers, le Président de la
République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, est abattu peu avant son atterrissage à
l’aéroport de Kigali.
1.25 Dans les heures qui suivent la chute de l’avion présidentiel, les principaux officiers
des FAR se réunissent pour évaluer la situation. Ceux qui partagent l’idéologie extrémiste
hutue, généralement les militaires du nord du pays, proposent la prise du pouvoir par l’armée.
Le 7 avril au matin, lors d’une deuxième réunion, cette option est rejetée au profit de la mise
sur pied d’un gouvernement intérimaire.
1.26 Dès le 7 avril au matin, parallèlement à ces discussions, des groupes de militaires,
listes en main, procèdent à l’arrestation, à la séquestration et à l’assassinat systématique de
nombreux opposants politiques, Hutus et Tutsis, parmi lesquels le Premier Ministre, certains
des ministres de son gouvernement et le Président de la Cour constitutionnelle. Par contre, au
même moment, des militaires évacuent dans des endroits sûrs des personnalités de
l’entourage du défunt Président, y compris les ministres du MRND. Les militaires belges de
la MINUAR envoyés pour protéger le Premier Ministre sont désarmés, arrêtés et conduits au
camp militaire de Kigali où ils sont massacrés. Cet incident précipite le retrait du contingent
belge dans les jours qui suivent. Après le retrait des troupes belges, le Conseil de sécurité de
l’ONU réduit de façon draconienne l’effectif du personnel de la MINUAR au Rwanda.
1.27 Les dirigeants des divers partis politiques non visés par les assassinats se réunissent à
la demande d’officiers militaires. En dehors des membres du MRND, la plupart des
participants sont membres des ailes « Power » de leurs partis respectifs. Étant donné le vide
politique et constitutionnel créé par la mort de la plupart des personnalités politiques
nationales, ils mettent sur pied un gouvernement fondé sur la constitution de 1991. Le
Gouvernement, exclusivement composé de personnalités hutues, prête serment le 9 avril
1994. Neuf postes ministériels sont attribués au MRND, en plus de la présidence de la
République, et les 11 postes restants, incluant celui de premier ministre, reviennent aux
factions « Power » des autres parties.
1.28 Dans les heures qui suivent la chute de l’avion du Président Habyarimana, les
militaires et les miliciens érigent des barrages routiers et commencent à massacrer les Tutsis
et les membres de l’opposition hutue à Kigali et dans d’autres régions du Rwanda. Aux
barrages, ils procèdent à la vérification des cartes d’identité des passants et exécutent toutes
les personnes, ou la plupart des personnes, identifiées comme étant tutsies. Des patrouilles
militaires, souvent accompagnées de miliciens, sillonnent la ville, listes en main, pour
exécuter les Tutsis et certains opposants politiques.
1.29 Durant toute la période du génocide, des militaires des FAR et des miliciens,
notamment les Interahamwe (MRND) et les Impuzamugambi (CDR) participent activement
aux massacres de Tutsis sur toute l’étendue du Rwanda.

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1.30 Dès sa formation, le Gouvernement intérimaire fait sien le plan d’extermination mis
en place. Durant toute la période des massacres, le Gouvernement prend des décisions et
donne des directives dans le but d’aider et d’encourager l’extermination de la population
tutsie et l’élimination des opposants politiques hutus. Des membres de ce Gouvernement,
notamment à travers les médias, incitent la population à éliminer l’ennemie et ses complices,
certains d’entre eu prennent part directement aux massacres.
1.31 Des autorités locales, telles que les préfets, les bourgmestres, les conseillers de secteur
et les responsables de cellule, appliquent les directives du Gouvernement visant à exécuter le
plan d’extermination de la population tutsie. Ils incitent leurs subordonnés à se livrer aux
massacres, leur ordonnent de s’y livrer et y prennent eux-mêmes part directement.
1.32 À partir du 6 avril, l’incitation à la haine et à la violence ethnique véhiculée par les
médias se transforme en véritable appel à l’extermination des Tutsis et de leurs complices.
Au centre de cette campagne d’extermination, la RTLM, qualifiée de « radio qui tue », joue
un rôle déterminant dans le génocide et devient un véritable complice des auteurs du
génocide.
1.33 Les groupes de miliciens, psychologiquement et militairement préparés depuis
plusieurs mois, constituent le fer de lance dans l’exécution du plan d’extermination et sont
directement impliqués dans les massacres de la population civile tutsie et des Hutus modérés,
causant ainsi la mort de centaines de milliers de personnes en moins de 100 jours.
2.

COMPÉTENCES TERRITORIALE, TEMPORELLE ET MATÉRIELLE

2.1
Les crimes visés par le présent acte d’accusation ont été commis au Rwanda entre le
1er janvier et le 31 décembre 1994.
2.2
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, le Rwanda était
divisé en 11 préfectures : Butare, Byumba, Cyangugu, Gikongoro, Gisenyi, Gitarama,
Kibungo, Kibuye, Kigali-ville, Kigali-rural et Ruhengeri. Chaque préfecture est subdivisée en
communes et en secteurs.
2.3
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, les Tutsis, les
Hutus et les Twas étaient identifiés comme des groupes ethniques ou raciaux. Les Belges
étaient considérés comme un groupe national.
2.4
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, il y a eu, sur tout
le territoire du Rwanda, des attaques systématiques généralisées contre une population civile,
en raison de son appartenance politique, ethnique ou raciale.
3.

STRUCTURE DU POUVOIR

Le Gouvernement
3.1
Selon la Constitution eu 10 juin 1991, le pouvoir exécutif est exercé par le Président
de la République, assisté du Gouvernement composé du Premier Ministre et des ministres.
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Les membres du Gouvernement sont nommés par le Président de la République sur
proposition du Premier Ministre. Le Premier Ministre est chargé de diriger l’action du
Gouvernement. Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et dispose, à
cet effet, de l’administration publique et de la force armée. Le Premier Ministre détermine les
attributions des ministres et des agents placés sous son autorité. La démission ou la cessation
des fonctions du Premier Ministre, pour quelque cause que ce soit, entraîne la démission du
Gouvernement.
3.2
Les ministres exécutent la politique du Gouvernement, sous la conduite du Premier
Ministre et chef du Gouvernement. Dans l’exercice de leurs fonctions, ils disposent de
l’administration publique et territoriale correspondant à leurs attributions.
3.3
Le Ministre de l’information est chargée d’appliquer la politique du Gouvernement en
matière d’information. Le Ministre exerce la direction et le contrôle des activités des services
relevant de son autorité, y compris celles de la division de la presse publique et de la division
de la presse privée. L’Office rwandais de l’information (ORINFOR) est sous la tutelle du
Ministre de l’information.
Les Forces armées rwandaises
3.4
Les Forces armées rwandaises (FAR) étaient composées de l’armée rwandaise (AR)
et de la gendarmerie nationale (GN).
Les partis politiques et les milices
3.5
Lors des événements visés dans le présent acte d’accusation, les principaux partis
politiques au Rwanda étaient : le MRND (Mouvement républicain national pour la
démocratie et le développement), la CDR (Coalition pour la défense de la République), le
MDR (Mouvement démocratique républicain), le PSD (Parti social-démocrate) et le PL (Parti
libéral). Le FPR (Front patriotique rwandais) était une organisation politico-militaire
d’opposition.
3.6
La CDR (Coalition pour la défense de la République) a été créée le 18 février 1992,
pour défendre les institutions républicaines issues de la révolution sociale de 1959. Au niveau
national, la CDR avait une Assemblée générale. Au niveau local, il y avait des organes de la
préfecture et de la commune tels que l’assemblée régionale qui décidait de toutes les
questions du parti dans la préfecture et qui était dirigée par un comité régional composé de
quatre membres, à savoir, un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier, élus
pour un mandat de quatre ans.
3.7
La plupart des partis politiques avaient créé une organisation de jeunes en leur sein.
Celle du MRND était connue sous le nom d’Interahamwe et celle de la CDR sous le nom
d’Impuzamugambi. Par la suite, la plupart des membres de l’organisation des jeunes du
MRND et de la CDR ont reçu un entraînement militaire ; ce qui a transformé ces
mouvements de jeunesse en milices.
La presse au Rwanda
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3.8
Entre janvier et juillet 1994, il y avait au Rwanda deux stations de radio autorisées à
diffuser à travers le pays, à savoir, Radio Rwanda et la RTLM. En outre, Radio Muhabura, la
radio du FPR, pouvait être captée dans certaines régions du Rwanda.
3.9
Entre janvier et décembre 1994, il y avait au Rwanda plusieurs publications de la
presse écrite, dont le journal Kangura qui disposait d’une version en kinyarwanda, et d’une
édition internationale publiée en français.
3.10 En vertu de la loi n° 54/91 du 15 novembre 1991 sur la presse au Rwanda, toute
personne désireuse de fonder ou d’exploiter une entreprise de radiodiffusion doit signer, avec
le Gouvernement rwandais, une convention d’établissement et d’exploitation.
3.11 Cette loi punit les auteurs d’infractions commises par voie de presse contre des
personnes ou groupes de personnes, telles que la diffamation (article 44) ou l’injure
(article 45), ainsi que les complices de ces infractions (article 46). Par ailleurs, l’article 166
du Code pénal rwandais punit tout discours tenu dans des réunions ou lieux publics, et visant
à soulever les citoyens les uns contre les autres. Enfin, l’article 49 de la loi visée au
paragraphe 3.10 supra, détermine les personnes responsables des infractions commises par
voie de presse.
3.12 L’Office rwandais de l’information (ORINFOR) est un établissement public doté de
l’autonomie financière et administrative, qui assure les services nationaux de radiodiffusion,
de télévision, de presse écrite, de cinéma et de photographie.
4.

L’ACCUSÉ

4.1
Ferdinand Nahimana est né le 15 juin 1950 dans la commune de Gatonde, préfecture
de Ruhengeri, au Rwanda.
4.2
Au moment des faits auxquels se réfère le présent acte d’accusation, il faisait partie du
« comité d’initiative », l’organe de la Radio télévision libre des mille collines, RTLM, s.a. Il
était l’un des actionnaires de la RTLM et l’idéologue à l’origine de sa création. Il est devenu
haut cadre de la RTLM. Il était également membre du groupe connu sous le nom de Hutu
Power et du parti MRND, et de la CDR par la suite. Il a été nommé Ministre de
l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la culture, en application des
Accords de paix signés à Arusha le 3 août 1993.
4.3
Ferdinand Nahimana était également membre du Comité de salut à l’université
nationale de Ruhengeri, professeur à l’université nationale de Butare et directeur de l’Office
rwandais de l’information (ORINFOR).
4.4
Ferdinand Nahimana était une personnalité importante et influente, qui était
étroitement associée aux personnes au pouvoir, telles que le Président Habyarimana, le
Président Sindikubwabo, le colonel Bagosora, Jean-Bosco Barayagwiza et Robert Kajuga
entre autres.

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5.

EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS : PRÉPARATION

5.1
De 1990 à décembre 1994, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Hassan
Ngeze et Georges Ruggiu se sont entendus entre eux et avec des tiers pour élaborer un plan
dans l’intention d’exterminer la population civile tutsie et d’éliminer les Hutus modérés. Les
éléments de ce plan comportaient, entre autres, la diffusion de messages de haine ethnique et
d’incitation à la violence, l’entraînement des miliciens et la distribution d’armes à ceux-ci
ainsi que la confection de listes de personnes à éliminer et la diffusion de l’identité de ces
dernières. Dans le cadre de l’exécution de ce plan, ils ont organisé et ordonné, à l’encontre de
la population tutsie et des Hutus modérés, des massacres auxquels ils ont aidé, incité et
participé.
Incitation et diffusion
5.2
L’incitation à la haine et à la violence ethniques a constitué un élément essentiel du
plan mis en place. Elle a été articulée, avant et durant le génocide, par des politiciens et des
hommes d’affaires, par des membres du Gouvernement et des autorités locales et par des
éléments des FAR.
5.3
Les années 1990 verront se développer au Rwanda plusieurs publications visant à
assurer la diffusion du message de haine ethnique et d’incitation à la violence. En 1990, des
personnalités de l’entourage du Président Habyarimana, dont Ferdinand Nahimana, JeanBosco Barayagwiza et Joseph Nzirorera, ont créé le journal Kangura destiné à défendre
l’idéologie hutue extrémiste. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Casimir
Bizimungu ont participé à la rédaction de certains des articles publiés dans Kangura.
5.4
Hassan Ngeze, membre fondateur de la CDR et proche collaborateur de Jean-Bosco
Barayagwiza, a été nommé rédacteur en chef du journal Kangura. Ce journal publia en
décembre 1990 « Les dix commandements des Bahutus » qui constituaient non seulement un
appel sans équivoque au mépris et à la haine envers la minorité tutsie mais également à la
diffamation et à la persécution à l’encontre des femmes tutsies.
5.5
Le 4 décembre 1991, à l’issue d’une réunion présidée par le chef de l’État. Juvénal
Habyrimana, une commission militaire a été chargée de répondre à la question suivante :
« Que faut-il faire pour vaincre l’ennemi sur le plan militaire, médiatique et politique? » Le
journal Kangura s’est félicité de la tenue de cette réunion.
5.6
Le rapport produit par cette commission définissait l’ennemi principal comme étant le
« Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur, extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui n’a jamais
reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la Révolution Sociale de 1959 et qui veut
reconquérir le pouvoir au Rwanda par tous les moyens, y compris les armes » et l’ennemi
secondaire comme étant « toute personne qui apporte tout concours à l’ennemi principal ». Le
document précisait que le recrutement de l’ennemi se faisait parmi certains groupes sociaux,
notamment les « Tutsis de l’intérieur, les Hutus mécontents du régime en place, les étrangers
mariés aux femmes tutsies ». Parmi les activités reprochées à l’ennemi, le document
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mentionnait le « détournement de l’opinion nationale du problème ethnique vers le problème
socio-économique entre les riches et les pauvres ».
5.7
Le 21 septembre 1992, un extrait du rapport est distribué aux troupes. Dès le
lendemain de cette distribution, la CDR diffuse un communiqué de presse dans lequel elle
identifie une liste de personnes qualifiées d’ennemis et de traîtres à la nation.
5.8
La description des Tutsis comme étant l’ennemi, et des membres de l’opposition
comme étant leurs complices, a été reprise par des politiciens, notamment Léon Mugesera,
vice-président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, dans un discours prononcé le
22 novembre 1992. Diffusé sur Radio Rwanda et s’adressant ainsi à un public beaucoup plus
large, le discours de Léon Mugesera incitait, déjà à cette époque, à exterminer la population
tutsie et ses complices.
5.9
L’idée de créer une station de radio pour défendre l’idéologie hutue extrémiste et
promouvoir le recours à l’incitation à la haine et à la peur de la minorité tutsie est apparue
suite à l’adoption de la loi sur la presse en 1991. En tant que directeur de l’ORINFOR,
Ferdinand Nahimana a participé aux discussions. En 1992, Ferdinand Nahimana a commencé
la collecte de fonds à l’université de Ruhengeri, en vue de la création de la RTLM.
5.10 Le 19 octobre 1992, avant même la signature des statuts de la RTLM s.a, des armes
traditionnelles ont été achetées à partir d’un compte bancaire libellé au nom de la société.
5.11 De juillet 1993 à juillet 1994, les émissions des la RTLM reprenaient la description
des Tutsis comme étant l’ennemi, et des membres de l’opposition comme étant leurs
complices, utilisant régulièrement des expressions désobligeantes telles que « Inyenzi » ou
« Inkotanyi » et qualifiant ces personnes d’ennemis et de traîtres qui méritaient la mort.
5.12 Par ailleurs, la RTLM et le journal Kangura ont mené une campagne contre les
Accords de paix d’Arusha, lesquels préconisaient le partage du pouvoir avec la minorité
tutsie et rejetaient toute idéologie basée sur l’ethnicité. Les attaques lancées par Kangura
visaient essentiellement le représentant du Gouvernement aux négociations, à savoir, le
Ministre des affaires étrangères, Boniface Ngulinzira. Le 11 avril 1994, Boniface Ngulinzira
a été assassiné par les militaires. La RTLM a annoncé sa mort en ces termes : « Nous avons
exterminé tous les complices du FPR. M. Boniface Ngulinzira ne pourra plus se rendre à
Arusha pour vendre le pays au FPR. Les Accords de paix ne sont rien qu’un chiffon de
papier, comme l’avait prédit notre père Habyarimana ».
5.13 Entre octobre 1993 et mai 1994, Ferdinand Nahimana a participé à des débats
politiques sur la RTLM et Radio Rwanda au cours desquels il a fait des déclarations
extrémistes contre les Tutsis et les Hutus de l’opposition et a incité la population à les
combattre.
5.14 Entre mai 1993 et juillet 1994, Ferdinand Nahimana, en qualité de chef ou de membre
de délégations officielles, a participé à des débats politiques, des sommets et des conférences
de presse à l’étranger, aux fins de défendre les politiques extrémistes du régime du Président
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Habyarimana. Au cours de cette même période, Ferdinand Nahimana a organisé une
campagne en vue de la création de la RTLM.
5.15 En mars, 1994, Ferdinand Nahimana s’est adressé à la population dans une lettre où il
a fait référence à l’article intitulé « Rwanda : problèmes actuels et solutions » qu’il avait
publié en février 1993, tout en demandant à la population de trouver une solution finale au
problème du Rwanda et en incitant les jeunes à organiser des groupes d’autodéfense en vue
de combattre le FPR.
5.16 En outre, au cours de cette même période, Ferdinand Nahimana a présidé des
rencontres réunissant des membres du MRND à Ruhengeri. Ces réunions avaient pour but de
discuter de l’élimination des Tutsis et des Hutus modérés.
5.17 Entre 1979 et 1994, Ferdinand Nahimana a écrit et publié des articles et de ouvrages
qui montaient la population contre les Tutsis et les Hutus modérés et qui prônaient la
supériorité des Hutus originaires du nord.
5.18 Entre janvier et juillet 1994, Ferdinand Nahimana, en compagnie de son frère, Venant
Munyambibi, a organisé des réunions avec les Interahamwe dans la préfecture de Ruhengeri.
Ces réunions avaient pour but de déterminer les actions futures des Interahamwe.
5.19 Le 29 mars 1994, Ferdinand Nahimana a participé à une réunion du MRND et des
Interahamwe à la sous-préfecture de Busengo, dans la préfecture de Ruhengeri. Lors de cette
réunion, Ferdinand Nahimana a donné aux Interahamwe l’ordre de tuer les Tutsis de la
commune de Nyarutovu.
5.20 Vers le 12 avril 1994, Ferdinand Nahimana a tenu une autre réunion avec les
Interahamwe les membres du MRND au bureau de la commune de Gatonde. Aussitôt après
cette réunion, les tueries des Tutsis ont commencé dans la commune.
L’Établissement des listes
5.21 En 1993, Ferdinand Nahimana a participe à une réunion à Nyamirambo, Kigali, au
cours de laquelle les Interahamwe ont dresse des listes des Tutsis à assassiner.
5.22 De janvier à juillet 1994, la RTLM diffusait des listes de personnes identifiées comme
« l’ennemi ». Du 7 avril jusqu’à la fin de juillet, des militaires et des miliciens ont massacré
des membres de la population tutsie et des Hutus modérés à l’aide de listes préétablies et des
noms diffusés sur les ondes de la RTLM.
5.23 À partir d’avril 1994, Ferdinand Nahimana a participé à des réunions secrètes
organisées par les Interahamwe au bureau d’André Ntagerura, Ministre du transport.
Antécédents révélant une conduite délibérée
5.24 La violence ethnique et politique du début des années 90 a été caractérisée par
l’utilisation des éléments de la stratégie qui allait connaître son aboutissement avec le
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génocide d’avril 1994. Les massacres de la minorité tutsie perpétrés à cette époque, tels que
ceux de Kibilira (1990), des Bagogwe (1991) et du Bugesera (1992) ont été suscités, facilités
et organisés par des autorités civiles et militaires. À chaque occasion, une campagne
d’incitation à la violence ethnique menée par des autorités locales a été suivie de massacres
de la minorité tutsie, perpétrés par des groupes de miliciens et de civils, armés et aidés par ces
mêmes autorités et certains militaires. À chaque occasion, ces crimes sont demeurés impunis
et les autorités impliquées n’ont généralement pas été inquiétées.
5.25 En tant que directeur de l’ORINFOR et professeur de faculté, Ferdinand Nahimana
persécutait les Tutsis travaillant sous son autorité en raison de leur origine ethnique. La
plupart de ces derniers ont perdu leur emploi.
5.26 En 1992, en tant que directeur de l’ORINFOR responsable de Radio Rwanda,
Ferdinand Nahimana a donné l’ordre de diffuser un communiqué de presse dressant la
population contre les Tutsis au Bugesera. En conséquence, un grand nombre de Tutsis ont été
assassinés. Suite à la pression exercée par les modérés au sein du Gouvernement, Ferdinand
Nahimana a été limogé de son poste de directeur de L’ORINFOR.
Modus Operandi
5.27 Au 7 avril 1994, sur tout le territoire du Rwanda, des Tutsis et certains Hutus modérés
ont commencé à fuir leurs maisons, aux fins d’échapper à la violence dont ils étaient victimes
sur leurs collines. Ils ont cherché refuge dans des endroits où traditionnellement ils s’étaient
sentis en sécurité, notamment des églises, des hôpitaux et d’autres édifices publics comme les
bureaux communaux et préfectoraux. Dans plusieurs cas, les endroits de rassemblement leur
avaient été indiqués par des autorités locales qui avaient promis de les protéger. Durant les
premiers jours, les réfugiés ont été protégés par quelques gendarmes et policiers communaux
dans ces différents endroits mais, par la suite, les réfugiés ont été systématiquement attaqués
et massacrés par des miliciens, souvent aidés par ces mêmes autorités qui avaient promis de
les protéger.
5.28 En outre, des militaires, des miliciens et des gendarmes ont commis des viols, des
agressions sexuelles et d’autres actes de nature sexuelle à l’encontre de certaines femmes et
filles tutsies, et ce, parfois après les avoir enlevées.
6.

EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS : LA RTLM

6.1
L’idée de la création de la RTLM a été mise en application le 8 avril 1993, avec la
signature des Statuts par Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Félicien Kabuga,
André Ntagerura, Georges Rutaganda, Joseph Nzirorera, Simon Bikindi et d’autres.
Ferdinand Nahimana est devenu actionnaire de la RTLM s.a.
6.2
Un Comité d’initiative a été mis en place, dont certains membres tels que Félicien
Kabuga qui en était le Président, Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza ont
continué d’agir comme des responsables de la RTLM. La RTLM a commencé à émettre sur
tout le territoire du Rwanda à partir du 8 juillet 1993 jusqu’à la fin de juillet 1994. Hassan
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Ngeze a salué la création de la RTLM dans le journal Kangura comme étant la naissance
d’un partenaire dans la lutte pour l’unification des Hutus.
6.3
Le 30 septembre 1993, une convention d’établissement et d’exploitation d’une station
de radiodiffusion entre le Gouvernement rwandais et la Radio télévision libre des milles
collines (RTLM) a été signée. Elle prévoyait notamment à son article 5 2) que la RTLM
s’engageait à ne pas diffuser des émissions de nature à inciter à la haine, à la violence ou à
toute autre forme de division.
6.4
En 1993, lors d’une réunion de collecte de fonds au profit de la RTLM organisée par
le MRND, Félicien Kabuga a publiquement défini l’objectif de la RTLM comme étant la
défense du « Hutu Power ». Il a tenu ces propos en présence de Ferdinand Nahimana, JeanBosco Barayagwiza, Hassan Ngeze, Froduald Karamira, Justin Magenzi, Mathieu
Ngirumpatse, des journalistes Kantano Habimana, Valérie Bemeriki, Noël Hitimana, Gaspard
Gahigi et d’autres.
6.5
La RTLM a bénéficié de l’appui logistique de Radio Rwanda et du Président
Habyarimana en étant reliée aux groupes électrogènes de la Présidence, ce qui lui permettait
de continuer à fonctionner en cas de coupure de courant électrique.
Contenu et effet des émissions de la RTLM
6.6
La RTLM avait pour but de promouvoir l’idéologie hutue extrémiste. En 1993, sa
stratégie de communication axée sur la musique et sur d’autres programmes populaires a
évolué pour aboutir en 1994 à l’incitation à l’extermination des Tutsis et l’élimination des
Hutus de l’opposition. À partir du 7 avril 1994, la RTLM est devenue une arme dans
l’exécution du génocide, en aidant, encourageant et incitant la population et les miliciens à
commettre des massacres. Ferdinand Nahimana était l’idéologue et le stratège de la RTLM.
6.7
A partir d’avril 1994, la RTLM diffusait des messages incitant la population et les
milices à exterminer tous les Tutsis et à éliminer les Hutus modérés et les citoyens belges en
utilisant des expressions telles que « allez travailler », « allez nettoyer », « à chacun son
Belge », « les tombes ne sont pas encore tout à fait pleines », « la révolution de 1959 n’a pas
été achevée et devrait être menée à son terme ».
6.8
Ainsi durant cette période, Georges Henri Yvon Ruggiu en sa qualité de journaliste,
employé de la RTLM depuis le 1er janvier 1994, a animé des émissions en français incitant la
population et les miliciens Interahamwe à travailler et à parachever la révolution de 59. Ces
incitations visaient à faire exterminer la population tutsie et éliminer les Hutus modérés et
certains citoyens belges.
6.9
Entre janvier et juillet 1994, d’autres journalistes tels que Valérie Bemeriki, Kantano
Habimana, Gaspard Gahigi et Noël Hitimana ont également incité la population et les
Interahamwe à exterminer les Tutsis et les Hutus modérés. Les mêmes journalistes ont
diffamé et dénigré les femmes tutsies sur les antennes de la RTLM.

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6.10 Ainsi, le 2 juillet 1994, le journaliste Kantano Habimana a incité la population à se
lever, à tenir bon et à lutter contre les Inkotanyi à l’aide de pierres, de machettes et de lances,
tout en se réjouissant du fait que les Inkotanyi finiront par être exterminés.
6.11 De même en juin 1994, Valérie Bemeriki a incité la population à ériger des barrages
routiers partout pour contrôler efficacement les Inyenzi-Inkotanyi et s’est félicitée du grand
nombre d’Inyenzi tués dans le pays.
6.12 Entre avril et juillet 1994, la RTLM a diffusé des interviews, des messages et des
discours de personnalités politiques et gouvernementales qui incitaient à exterminer les Tutsis
et les Hutus modérés.
6.13 En avril, mai et juin 1994, Hassan Ngeze, cofondateur de la CDR avec Jean-Bosco
Barayagwiza, a été interviewé sur la RTLM et Radio Rwanda. Au cours de ces entretiens, il a
appelé à l’extermination des Tutsis et des Hutus de l’opposition. Il a également défendu
l’idéologie extrémiste hutue de la CDR.
6.14 En outre, des membres du Gouvernement et des partis politiques ont utilisé les médias
pour inciter au massacre de la population tutsie et de Hutus modérés. Le 21 avril 1994
notamment, le Premier Ministre du Gouvernement intérimaire, Jean Kambanda, a déclaré que
les émissions diffusées sur la RTLM étaient « une arme indispensable pour combattre
l’ennemi ».
6.15 De la fin 1993 à juillet 1994, la RTLM identifiait les endroits où les Tutsis s’étaient
réfugiés et demandait aux milices Interahamwe d’attaquer ces lieux. Plusieurs de ces endroits
ont été attaqués et les Tutsis qui s’y trouvaient massacrés. Dans certains cas, la RTLM
identifiait certaines personnes qualifiées de complices et demandait aux miliciens de les
retrouver et de les exécuter.
6.16 À partir du 10 avril 1994, la RTLM, notamment deux de ses employés du nom de
Valérie Bemeriki et Noël Hitimana, a incité les miliciens à attaquer la mosquée Kadafi de
Nyamirambo. Les journalistes ont cité le nom de certaines personnes réfugiées à cet endroit
et ont ordonné de les éliminer. Dans les jours qui ont suivi, la mosquée Kadafi a été attaquée
et plusieurs réfugiés ont été tués.
6.17 Entre avril et juillet 1994, Georges Ruggiu animait des émissions sur la RTLM qui
incitaient les jeunes et les miliciens à massacrer la population tutsie. Au cours de ces
émissions, il les appelait à continuer à « travailler », à se mobiliser aux barrages routiers et à
assurer les patrouilles nocturnes.
6.18 Pendant la perpétration des massacres, à plusieurs occasions, la RTLM a encouragé
les miliciens, dont ceux présents sur les barrages routiers, à exterminer les Tutsis et à
assassiner les opposants hutus, et félicité les tueurs, louant leur vigilance et leur demandant
de continuer le « travail » avec davantage de vigueur.

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6.19 Suite aux messages et discours visés dans le présent acte d’accusation, de nombreux
membres de la population tutsie, ainsi que des Hutus modérés et certains citoyens belges ont
été éliminés.
Contrôle des émissions
6.20 Entre janvier et juillet 1994, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et
Félicien Kabuga exerçaient une autorité et un contrôle sur la RTLM s.a., les journalistes de la
radio, ses annonceurs et ses autres employés tels que Georges Ruggiu, Valérie Bemeriki,
Gaspard Gahigi et d’autres.
6.21 Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Félicien Kabuga avaient
connaissance du contenu des émissions de la RTLM. Le 26 novembre 1993 et le
10 février 1994, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Félicien Kabuga et Phocas
Habimana, en leur qualité de responsables de la RTLM, ont été convoqués par le Ministre de
l’information, Faustin Rucogoza, et requis de cesser d’émettre des messages incitant à la
haine et à la violence ethniques. Ces émissions constituaient des violations des Accords
d’Arusha, de la loi du 15 novembre 1991 sur la presse et de la convention d’établissement
signée entre la RTLM et le Gouvernement.
6.22 Au cours de ces deux réunions, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et
Félicien Kabuga ont défendu le contenu de ces émissions et les journalistes qui les
présentaient. Les émissions mises en cause lors de ces deux réunions n’ont pas été
suspendues.
6.23 Entre janvier et juillet 1994, Ferdinand Nahimana savait ou avait des raisons de savoir
que ses subordonnés, y compris les journalistes, les animateurs et tous les autres employés de
la RTLM, diffusaient des émissions incitant, aidant et encourageant la population et les
milices à exterminer les Tutsis et à éliminer les Hutus modérés et les citoyens belges, et n’a
pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ces actes ou en punir les
auteurs.
6.24 De plus, durant la période de diffusion de ces émissions, Ferdinand Nahimana savait
ou avait des raisons de savoir que les programmes, les discours ou les messages diffusés par
la RTLM se sont soldés par des massacres généralisés de la population tutsie et l’assassinat
de nombreux Hutus modérés et de certains citoyens belges.
6.25 D’avril à juillet 1994, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été massacrées
sur l’ensemble du territoire rwandais. La majorité des victimes ont perdu la vie parce qu’elles
étaient tutsies ou en avaient l’apparence. Les autres victimes, dont la plupart étaient des
Hutus, ont été tués parce qu’elles étaient considérées comme des complices des Tutsis,
avaient des liens de mariage avec des Tutsis, ou étaient opposées à l’idéologie hutue
extrémiste.
6.26 Les massacres ainsi perpétrés étaient le résultat d’une stratégie adoptée et élaborée par
des autorités politiques, civiles et militaires du pays, y compris Ferdinand Nahimana, Hassan
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Ngeze et Jean-Bosco Barayagwiza, qui s’étaient entendus pour exterminer la population
tutsie.
6.27 Ferdinand Nahimana, en sa qualité de responsable, agissant de concert avec
notamment Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, a participé à la planification, la
préparation et l’exécution d’une stratégie, d’un plan ou d’un dessein commun visant la
commission des crimes relevés ci-dessus. Ces crimes ont été commis par lui-même, par des
personnes qu’il a aidées ou encore par ses subordonnés, y compris des miliciens et les
journalistes, les animateurs et tous les autres employés de la RTLM qui agissaient sur ses
ordres, à sa connaissance ou avec son consentement préalable.
7.

CHEFS D’ACCUSATION

CHEF 1
ENTENTE EN VUE DE COMMETTRE LE GÉNOCIDE
Par les actes décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux paragraphes
référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 4.2, 4.4, 5.1, 5.2, 5.3, 5.4, 5.5, 5.6, 5.8, 5.9, 5.10, 5.11,
5.12, 5.13, 5.14, 5.15, 5.16, 5.17, 5.18, 5.19, 5.20, 5.21, 5.22, 5.23,
5.24, 5.25, 5.26, 6.1 et 6.2 ;

s’est entendu avec Jean-Bosco Barayagwiza, Hassan Ngeze, Georges Ruggiu et d’autres pour
tuer et porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres de la
population tutsie, dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou racial
comme tel, et de ce fait, a commis le crime d’entente en vue de commettre le génocide, crime
prévu à l’article 2 3) b) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable
en vertu de l’article 6, et qui est punissable en application des articles 22 et 23 du Statut du
Tribunal.
CHEF 2
GÉNOCIDE
Par les actes décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux paragraphes
référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.19, 5.20, 5.21, 5.22, 6.6, 6.19, 6.24, 6.25, 6.26 et
6.27 ;

est responsable du meurtre et d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des
membres de la population tutsie, actes commis dans l’intention de détruire en tout ou en
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partie ce groupe ethnique ou racial comme tel, et de ce fait, a commis le crime de génocide,
crime prévu à l’article 2 3) a) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement
responsable en vertu de l’article 6, et qui est punissable en application des articles 22 et 23 du
Statut du Tribunal.
CHEF 3
INCITATION DIRECTE ET PUBLIQUE À COMMETTRE LE GÉNOCIDE
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.11, 5.12, 5.15, 5.16, 5.17, 5.19, 5.22, 6.7, 6.13 et
6.14 ;
conformément à l’article 6 3) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.12, 6.15, 6.16, 6.17, 6.18, 6.20,
6.21, 6.22, 6.23 et 6.24 ;

est responsable d’incitation directe et publique à tuer et porter gravement atteinte à l’intégrité
physique ou mentale des membres de la population tutsie dans l’intention de détruire en tout
ou en partie ce groupe ethnique ou racial comme tel, et de ce fait, a commis le crime
d’incitation directe et publique à commettre le génocide, crime prévu à l’article 2 3) c) du
Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu de l’article 6, et
qui est punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut du Tribunal.
CHEF 4
COMPLICITÉ DANS LE GÉNOCIDE
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.19, 5.20, 5.22, 6.6, 6.15, 6.16, 6.17, 6.18, 6.19, 6.24,
6.25, 6.26 et 6.27 ;

est complice du meurtre et d’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale des membres
de la population tutsie, actes commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce
groupe ethnique ou racial comme tel, et de ce fait, a commis le crime de complicité dans le
génocide, crime prévu à l’article 2 3) e) du Statut du Tribunal, pour lequel il est
individuellement responsable en vertu de l’article 6, et qui est punissable en vertu des
articles 22 et 23 du Statut du Tribunal.

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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

CHEF 5
CRIME CONTRE L’HUMANITÉ : PERSÉCUTION
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.11, 5.12, 5.15, 5.16, 5.17, 5.19, 5.22, 6.7, 6.9, 6.10,
6.13 et 6.14 ;
conformément à l’article 6 3) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.20, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.12, 6.15, 6.16, 6.17, 6.18,
6.20, 6.21, 6.22, 6.23 et 6.24 ;

est responsable de persécution à caractère politique ou racial, dans le cadre d’une attaque
généralisée et systématique contre une population civile en raison de son appartenance
politique, ethnique ou raciale, et de ce fait, a commis le crime contre l’humanité prévu à
l’article 3 h) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu de
l’article 6, et qui est punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut du Tribunal.
CHEF 6
CRIME CONTRE L’HUMANITÉ : EXTERMINATION
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.19, 5.20, 5.21, 5.22, 6.6, 6.19, 6.25, 6.26 et 6.27 ;

est responsable de l’extermination des Tutsis dans le cadre d’une attaque généralisée et
systématique contre une population civile en raison de son appartenance politique, ethnique
ou raciale, et de ce fait, a commis le crime contre l’humanité prévu à l’article 3 b) du Statut
du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu de l’article 6, et qui est
punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut du Tribunal.
CHEF 7
CRIME CONTRE L’HUMANITÉ : ASSASSINAT
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 4.1 à 6.27, et particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
Ferdinand Nahimana,

conformément à l’article 6 1) du Statut du Tribunal, selon les
paragraphes 5.19, 5.20, 5.21, 5.22, 6.6, 6.19, 6.25, 6.26 et 6.27 ;

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est responsable de l’assassinat des Tutsis et de certains Hutus dans le cadre d’une attaque
généralisée et systématique contre une population civile en raison de son appartenance
politique, ethnique ou raciale, et de ce fait, a commis le crime contre l’humanité prévu à
l’article 3 a) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu de
l’article 6, et qui est punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut du Tribunal.
Arusha, le 15 novembre 1999
Pour le Procureur
[Signé]
N. Sankara Menon
Avocat général principal

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International Criminal Tribunal for Rwanda
Tribunal Pénal International pour le Rwanda
Office of The Prosecutor – Bureau du Procureur
Hôtel Amahoro, P.O. Box 749, Kigali, Rwanda
Fax: 1-212- 4001 Tel : 255-84266 ou 1 212 963 9906

LE PROCUREUR
CONTRE
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA

ACTE D’ACCUSATION AMENDÉ
Le Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, en vertu des pouvoirs que lui
confère l’article 17 du statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le « statut du
Tribunal », accuse
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA
De GÉNOCIDE, d’ENTENTE EN VUE DE COMMETTRE LE GÉNOCIDE,
D’INCITATION DIRECTE ET PUBLIQUE À COMMETTRE LE GÉNOCIDE, de
COMPLICITÉ DANS LE GÉNOCIDE, de CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ, et de
VIOLATIONS GRAVES DE L’ARTICLE 3 COMMUN AUX CONVENTIONS DE
GENÈVE et du PROTOCOLE ADDITIONNEL II crimes prévus aux articles 2, 3 et 4 du
Statut du Tribunal, comme suit :
1.

CONTEXTE HISTORIQUE

1.1
La révolution de 1959 marque le début d’une période d’affrontements ethniques entre
les Hutu et les Tutsi au Rwanda, provoquant au cours des années qui ont immédiatement
suivi, des centaines de morts chez les Tutsi et l’exode de milliers d’entre eux. Cette
révolution entraîne l’abolition de la monarchie Tutsi et la proclamation de la Première
République au début de l’année 1961, confirmée par référendum au cours de la même année.
Les élections législatives de septembre 1961 confirment la domination du MDRPARMEHUTU
(Mouvement
Démocratique
Républicain-Parti
du
Mouvement
d’Émancipation Hutu) de Grégoire Kayibanda, qui est élu Président de la République par
l’assemblée législative le 26 octobre 1961.

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1.2
Les premières années d’existence de cette république, dominée par les Hutu du centre
et du sud du Rwanda, sont de nouveau marquées par la violence ethnique. Les victimes furent
principalement des Tutsi, l’ancienne élite dirigeante, et leurs alliés ; ceux-ci furent tués,
chassés vers d’autres régions du Rwanda ou forcés de s’enfuir du pays. L’élimination
progressive des partis d’opposition durant ces premières années confirme le MDRPARMEHUTU comme parti unique, et seul parti à présenter des candidats aux élections de
1965.
1.3
Le début de l’année 1973 au Rwanda est de nouveau marqué par des affrontements
ethniques entre Hutu et Tutsi qui provoquent, après ceux de 1959 à 1963, un nouvel exode de
la minorité Tutsi. Cette recrudescence des tensions ethniques et politiques (entre le Nord et le
Sud) aboutit, le 5 juillet 1973, à un coup d’état militaire mené par le Général Juvénal
Habyarimana. Le coup d’état entraîne un renversement du pouvoir, qui passe des mains des
civils à celles des militaires et de celles des Hutu du centre du Rwanda à celles des Hutu des
préfectures de Gisenyi et Ruhengeri au nord du pays (région natale du Président
Habyarimana).
1.4
En 1975, le président Habyarimana fonde le Mouvement Révolutionnaire National
pour le Développement (MRND), parti unique, dont il assume la présidence. La structure
administrative et la hiérarchie du MRND se confondent en un véritable parti-État à tous les
niveaux de l’administration territoriale, du Préfet aux Bourgmestres, jusqu’aux conseillers de
secteurs et responsables de cellule.
1.5
De 1973 à 1994, le gouvernement du Président Habyarimana applique un système de
quotas basé sur l’origine ethnique et régionale qui était censé offrir des chances égales à tous
en matière d’éducation et d’emploi, mais qui fut utilisé progressivement de manière
discriminatoire à l’encontre des Tutsi et des Hutu originaires d’autres régions que le nordouest. De fait, à la fin des années 1980, de nombreux postes parmi les plus importants des
secteurs militaire, politique, économique et administratif de la société rwandaise étaient
occupés par des personnes originaires de Gisenyi et Ruhengeri. Parmi l’élite privilégiée, un
noyau, connu sous le nom d’Akazu et composé de parents et d’intimes du Président
Habyarimana et de son épouse, Agathe Kanziga, jouit d’un grand pouvoir. Aux membres de
ce groupe, presque exclusivement Hutu, se joignent des personnes qui en partagent
l’idéologie Hutu extrémiste et qui sont principalement originaires de la région natale du
Président et de son épouse.
1.6
En 1990, le président de la République, Juvénal Habyarimana, et son parti unique, le
MRND, font face à une opposition grandissante, notamment de la part d’autres Hutu.
1.7
Le 1er octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais (FPR), composé majoritairement
de réfugiés Tutsi, attaque le Rwanda. Dans les jours qui suivent, le gouvernement procède à
l’arrestation de milliers de personnes présumées être des adversaires d’Habyarimana et
soupçonnées de complicité avec le FPR. Quoique les Tutsi aient été la principale cible, il y a
également des opposants politiques Hutu parmi les personnes arrêtées.
1.8
Suite aux différentes pressions de l’opposition interne et de la communauté
internationale, et à l’attaque du FPR d’octobre 1990, le Président Habyarimana autorise
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l’introduction du multipartisme et l’adoption d’une nouvelle constitution le 10 juin 1991. Le
Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND) est alors rebaptisé
Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement (MRND). Le
premier Gouvernement de transition est composé presqu’exclusivement de membres du
MRND, suite au refus des principaux partis d’opposition d’en faire partie. Avec la mise en
place du second Gouvernement de transition en avril 1992, le MRND se retrouve minoritaire
pour la première fois de son histoire, avec neuf portefeuilles ministériels sur 19. Par contre, le
MRND demeure fortement dominant au niveau de l’administration territoriale.
1.9
Le nouveau Gouvernement entame alors des négociations avec le FPR qui aboutissent
le 4 août 1993 à la signature des Accords d’Arusha. Ces Accords prévoient un nouveau
partage des pouvoirs militaires et civils entre le FPR, les partis d’opposition et le MRND.
1.10 Aux termes des Accords d’Arusha qui prévoient l’intégration des forces armées des
deux parties, l’effectif de la nouvelle armée nationale est limité à 13 000 hommes dont 60 %
proviennent des FAR (Forces Armées Rwandaises) et 40 % du FPR. Quant aux postes de
commandement, ils sont attribués à parts égales (50 %-50%) aux deux parties, le poste de
chef d’état-major de l’armée revenant aux FAR. L’effectif de la gendarmerie est limité à
6 000 hommes, composé de 60 % des FAR et 40 % du FPR, avec les postes de
commandement répartis équitablement (50 %-50%) entre les deux parties, le poste de chef
d’état-major de la gendarmerie revenant au FPR.
1.11 Au niveau de la représentation au sein du gouvernement, les Accords d’Arusha
limitent à cinq le nombre de portefeuilles ministériels du MRND en plus de la Présidence de
la République. Les autres portefeuilles se répartissent ainsi : cinq pour le FPR, quatre pour le
MDR (Mouvement démocratique républicain) dont le poste de premier Ministre, trois pour le
PSD (Parti social-démocrate), trois pour le PL (Parti libéral) et un pour le PDC (Parti
démocrate-chrétien).
1.12 De plus, les parties aux Accords d’Arusha s’engagent à rejeter et à combattre toute
idéologie politique basée sur l’ethnie. En ce sens, les forces politiques devant participer aux
institutions de la transition s’engagent à s’abstenir de toute violence, d’incitation à la
violence, par des écrits, des messages verbaux, ou par tout autre moyen et de combattre toute
idéologie politique qui vise à promouvoir toute discrimination ethnique.
1.13 Pour les hommes et les femmes proches du Président Habyarimana, parmi lesquels les
membres de l’Akazu, qui occupaient des fonctions importantes au sein des divers secteurs de
la société rwandaise, ce nouveau partage du pouvoir, tel qu’exigé par les opposants politiques
et stipulé par les Accords d’Arusha, signifie l’abandon du pouvoir et la perte de nombreux
privilèges et d’importants bénéfices. En même temps, l’application des Accords d’Arusha
confronte plusieurs militaires à une démobilisation massive. Finalement, le Statut
constitutionnel de ces Accords met en péril l’existence des médias qui prônaient une
idéologie basée sur l’ethnisme.
1.14 À partir de 1990, Habyarimana et plusieurs de ses plus proches collaborateurs
conçoivent une stratégie d’incitation à la haine et à la peur face à la minorité Tutsi, afin de
rétablir la solidarité parmi les Hutu et de se maintenir au pouvoir. Ils s’opposent fortement à
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toute forme de partage du pouvoir et particulièrement au partage prévu par l’Accord
d’Arusha.
1.15 Déterminées à éviter le partage des pouvoirs prévu par les Accords d’Arusha,
plusieurs personnalités civiles et militaires en vue poursuivent leur stratégie de conflit
ethnique et d’incitation à la violence. Elles visent la population Tutsi tout entière, qui est
qualifiée de complice du FPR, de même que les Hutu opposés à leur domination,
particulièrement ceux qui sont originaires d’autres régions que le nord-ouest du Rwanda.
Parallèlement, elles tentent de diviser les partis d’opposition Hutu, en ramenant certains de
leurs membres dans le camp d’Habyarimana. Les efforts destinés à diviser l’opposition Hutu
sont favorisés par l’assassinat, par des soldats Tutsi de l’armée burundaise, de Melchior
Ndandaye, président Hutu démocratiquement élu au Burundi voisin. À la fin de 1993, deux
des trois principaux partis opposés au MRND se sont divisés en deux factions chacun. Les
factions connues sous le nom de « Power » s’allient au MRND.
1.16 La stratégie adoptée au début des années 90, qui va connaître son apogée avec les
massacres généralisés d’avril 1994, comporte plusieurs éléments qui sont soigneusement
élaborés par les différentes personnalités qui partagent cette idéologie extrémiste, dont les
membres de l’Akazu. À l’élément moteur que constitue l’incitation à la violence ethnique et à
l’extermination des Tutsi et de leurs « complices », s’ajoutent l’organisation et l’entraînement
militaire des jeunesses politiques, notamment les Interahamwe (jeunesses du MRND), la
préparation et la diffusion de listes de personnes à éliminer, la distribution d’armes à des
civils, l’assassinat de certains opposants politiques et le massacre de nombreux Tutsi dans
diverses régions du Rwanda entre octobre 1990 et avril 1994.
1.17 L’incitation à la haine ethnique prend la forme de discours publics prononcés par des
personnalités partageant cette idéologie extrémiste. Ces personnalités politiques et militaires
appellent publiquement à la haine et à la peur des Tutsi et exhortent la majorité Hutu « à en
finir avec l’ennemi et ses complices ». Le discours prononcé en novembre 1992 par Léon
Mugesera, vice-président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, qui dès cette époque
incitait publiquement à l’extermination des Tutsi et leurs « complices », en est la parfaite
illustration.
1.18 Dans le but d’assurer une large diffusion de ces appels à la violence ethnique, des
personnalités de l’entourage du Président mettent sur pied de véritables média de la haine qui
exerceront une grande influence sur la population rwandaise. La création du journal Kangura
et de la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) participe de cette stratégie et
s’inscrit dans cette logique. Dès 1993, les Tutsi et les opposants politiques sont ciblés,
clairement identifiés et menacés par ces médias. Plusieurs d’entre eux compteront parmi les
premières victimes des massacres d’avril 1994.
1.19 La création des organisations des jeunes des partis politiques, qui avait à l’origine
pour objectif d’encourager ou même de forcer l’adhésion à l’un ou l’autre des partis du
nouveau régime multipartiste, va fournir à l’entourage d’Habyarimana une main d’œuvre
dévouée, nombreuse et efficace pour mettre en œuvre la stratégie adoptée. Ces organisations
de jeunesse affiliées aux partis politiques sont très vite manipulées dans le cadre de la
campagne anti-Tutsi. Des membres de ces organisations, particulièrement les InterahamweJugement et Sentence
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MRND et les Impuzamugambi-CDR, sont organisés en milices, financées, entraînées et
dirigées par des personnalités civiles et militaires de l’entourage du Président de la
République. Des armes leur sont distribuées avec la complicité de certaines autorités
militaires et civiles. Leur transport vers les sites d’entraînement, dont certains camps
militaires, est assuré par des véhicules de l’administration publique ou appartenant à des
sociétés contrôlées par l’entourage du Président.
1.20 Lors des arrestations massives d’octobre 1990, les autorités civiles et militaires se
réfèrent à des listes établies pour identifier et localiser les présumés complices du FPR, en
majorité Tutsi. Par la suite, l’Armée, la Gendarmerie, les autorités locales et les Interahamwe
reçoivent des directives pour préparer de nouvelles listes ou tenir à jour les listes existantes,
qui vont servir lors des massacres de 1994.
1.21 Vers la fin de 1991, certaines autorités rwandaises distribuent des armes à certains
membres de la population civile du nord-est du pays dans le cadre de la campagne d’autodéfense civile en réaction à l’attaque du FPR d’octobre 1990. Plus tard, en dehors du cadre de
l’auto-défense civile, des armes sont distribuées dans tout le pays par des autorités,
notamment aux Interahamwe et aux Impuzamugambi et à des personnes soigneusement
choisies, même dans des régions éloignées de la zone de guerre. Vers la fin de 1993,
l’Évêque de Nyundo critique dans une lettre publique cette distribution d’armes,
s’interrogeant sur sa finalité.
1.22 La mise en place de la stratégie ainsi décrite joue un rôle de catalyseur dans la
violence politique et ethnique de cette époque qui atteint son paroxysme avec les massacres
d’avril 1994. Le début des années 90 est marqué par de nombreux assassinats politiques et
d’importants massacres de la minorité Tutsi, dont celui de Kibilira (1990), ceux des Bagogwe
(1991) et celui du Bugesera (1992). Ces massacres sont suscités et organisés par des autorités
locales avec la complicité de certaines personnalités de l’entourage du président
Habyarimana. On y retrouve tous les éléments de la stratégie qui va aboutir au génocide de
1994, notamment l’utilisation de la propagande écrite et radiophonique pour inciter à la
commission des massacres.
1.23 Au début de 1994, des manifestations violentes visant à empêcher la mise en place
des Accords d’Arusha se déroulent à Kigali à l’instigation de certaines personnalités de
l’entourage d’Habyarimana. On y retrouve des militaires en civil aux côtés des miliciens qui
cherchent à provoquer des affrontements avec les soldats belges de la MINUAR. Ces
incidents sont en partie à l’origine du report de la mise en place des institutions prévues dans
les Accords d’Arusha.
1.24 Le 6 avril 1994, l’avion transportant, entre autres passagers, le Président de la
République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, est abattu peu avant son atterrissage à
l’aéroport de Kigali.
1.25 Dans les heures qui suivent la chute de l’avion présidentiel, les principaux officiers
des FAR se réunissent pour évaluer la situation. Ceux qui partagent l’idéologie extrémiste
Hutu, généralement les militaires du nord du pays, proposent la prise du pouvoir par l’Armée.
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Le 7 avril au matin, lors d’une deuxième réunion, cette option est rejetée au profit de la mise
sur pied d’un gouvernement intérimaire.
1.26 Dès le 7 avril au matin, parallèlement à ces discussions, des groupes de militaires,
listes en main, procèdent à l’arrestation, à la séquestration et à l’assassinat de nombreux
opposants politiques, Hutu et Tutsi, parmi lesquels le Premier Ministre, certains des ministres
de son gouvernement et le Président de la Cour Constitutionnelle. Par contre, au même
moment, des militaires évacuent dans des endroits sûrs des personnalités de l’entourage du
défunt Président, y compris les ministres du MRND. Les militaires belges de la MINUAR
envoyés pour protéger le Premier Ministre sont désarmés, arrêtés et conduits au camp
militaire de Kigali où ils sont massacrés. Cet incident précipite le retrait du contingent belge
dans les jours qui suivent. Après le retrait des troupes belges, le Conseil de sécurité des
Nations Unies réduit de façon draconienne l’effectif du personnel de la MINUAR au
Rwanda.
1.27 Les dirigeants des divers partis politiques non visés par les assassinats se réunissent à
la demande d’officiers militaires. En dehors des membres du MRND, la plupart des
participants sont membres des ailes « Power » de leurs partis respectifs. Étant donné le vide
politique et constitutionnel créé par la mort de la plupart des personnalités politiques
nationales, ils mettent sur pied un gouvernement fondé sur la constitution de 1991. Le
gouvernement, exclusivement composé de personnalités Hutu, prête serment le 9 avril 1994.
Neuf postes ministériels sont attribués au MRND, en plus de la présidence de la République,
et les onze postes restants, incluant celui de premier ministre, reviennent aux factions
« Power » des autres partis.
1.28 Dans les heures qui suivent la chute de l’avion du président Habyarimana, les
militaires et les miliciens érigent des barrages routiers et commencent à massacrer les Tutsi et
les membres de l’opposition Hutu à Kigali et dans d’autres régions du Rwanda. Aux barrages,
ils procèdent à la vérification des cartes d’identité de tous les passants et exécutent toutes les
personnes, ou la plupart des personnes, identifiées comme étant Tutsi. Des patrouilles
militaires, souvent accompagnés de miliciens sillonnent la ville, listes en main, pour exécuter
les Tutsi et certains opposants politiques.
1.29 Durant toute la période du génocide, des militaires des FAR et des miliciens,
notamment les Interahamwe-MRND et les Impuzamugambi-CDR, participent activement aux
massacres de Tutsi sur toute l’étendue du Rwanda.
1.30 Dès sa formation, le Gouvernement Intérimaire fait sien le plan d’extermination mis
en place. Durant toute la période des massacres, le Gouvernement prend des décisions et
donne des directives dans le but d’aider et encourager l’extermination de la population Tutsi
et l’élimination des opposants politiques Hutu. Des membres de ce gouvernement,
notamment à travers les médias, incitent la population à éliminer l’ennemi et ses
« complices », certains d’entre eux prennent part directement aux massacres.
1.31 Des autorités locales, telles que les Préfets, les Bourgmestres, les conseillers de
secteur et les responsables de cellule, appliquent les directives du Gouvernement visant à
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exécuter le plan d’extermination de la population Tutsi. Ils incident et ordonnent à leurs
subordonnés de se livrer aux massacres et y prennent eux-mêmes part directement.
1.32 À partir du 6 avril, l’incitation à la haine et à la violence ethnique véhiculée par les
médias se transforme en véritable appel à l’extermination des Tutsis et de leurs complices.
Au centre de cette campagne d’extermination, la RTLM, qualifiée de « radio qui tue », joue
un rôle déterminant et devient un véritable complice des auteurs du génocide.
1.33 Les groupes de miliciens, psychologiquement et militairement préparés depuis
plusieurs mois, constituent le fer de lance dans l’exécution du plan d’extermination et sont
directement impliqués dans les massacres de la population civile Tutsi et des Hutu modérés,
causant ainsi la mort de centaines de milliers de personnes en moins de 100 jours.
2.

COMPÉTENCES TERRITORIALE, TEMPORELLE ET MATÉRIELLE

2.1
Les crimes visés par le présent acte d’accusation ont été commis au Rwanda entre le
1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994.
2.2
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, le Rwanda était
divisé en 11 préfectures : Butare, Byumba, Cyangugu, Gikongoro, Gisenyi, Gitarama,
Kibungo, Kibuye, Kigali-ville, Kigali-rural et Ruhengeri. Chaque préfecture est subdivisée en
communes et en secteurs.
2.3
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, les Tutsi, les
Hutu et les Twa étaient identifiés comme des groupes ethniques ou raciaux. Les Belges
étaient considérés comme un groupe national.
2.4
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, il y a eu sur tout
le territoire du Rwanda des attaques systématiques ou généralisées contre une population
civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou raciale.
2.5
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, il y avait un
conflit armé interne sur le territoire du Rwanda. Les victimes auxquelles se réfère le présent
acte d’accusation étaient des personnes protégées, au sens de l’article 3 commun aux
Conventions de Genève et du Protocole additionnel II.
3.

STRUCTURE DU POUVOIR

Le Gouvernement
3.1
Selon la Constitution du 10 juin 1991, le pouvoir exécutif est exercé par le Président
de la République, assisté du gouvernement composé du Premier Ministre et des ministres.
Les membres du gouvernement sont nommés par le Président de la République sur
proposition du Premier Ministre. Le Premier Ministre est chargé de diriger l’action du
gouvernement. Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et dispose, à
cet effet, de l’administration publique et de la force armée. Le Premier Ministre détermine les
attributions des ministres et des agents placés sous son autorité. La démission ou la cessation
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des fonctions du Premier Ministre, pour quelque cause que ce soit, entraîne la démission du
gouvernement.
3.2
Les ministres exécutent la politique du Gouvernement définie par le Premier Ministre.
Ils répondent devant le Chef du Gouvernement de cette exécution. Dans l’exercice de leurs
fonctions, ils disposent de l’administration publique et territoriale correspondante à leurs
attributions.
3.3
Le Ministre de l’Information est chargé d’appliquer la politique du Gouvernement en
matière d’information. Le Ministre exerce la direction, le contrôle et l’orientation des
activités des services relevant de son autorité y compris celles de la division de la presse
publique et de la division de la presse privée.
Les Forces Armées Rwandaises
3.4
Les Forces Armées Rwandaises (FAR) étaient composées de l’Armée Rwandaise
(AR) et de la Gendarmerie Nationale (GN).
Les Partis Politiques et les Milices
3.5
Lors des événements visés dans le présent acte d’accusation, les principaux partis
politiques au Rwanda étaient : le MRND (Mouvement Républicain National pour la
Démocratie et le Développement), la CDR (Coalition pour la Défense de la République), le
MDR (Mouvement Démocratique Républicain), le PSD (Parti Social-Démocrate) et le PL
(Parti Libéral). Le FPR (Front Patriotique Rwandais) était une organisation politico-militaire
d’opposition.
3.6
La CDR (Coalition pour la défense de la République) a été créée le 18 février 1992,
pour défendre les institutions républicaines issues de la Révolution Sociale de 1959. Au
niveau national, la CDR avait une Assemblée Générale. Au niveau local, il y avait des
organes de la préfecture et de la commune tels que l’Assemblée Régionale qui décidait de
toutes les questions du Parti dans la préfecture et qui était dirigée par un Comité Régional
composé de 4 membres, à savoir, un Président, un Vice-Président, un Secrétaire et un
Trésorier, élus pour un mandat de 4 ans.
3.7
La plupart des partis politiques avaient créé une organisation de jeunes en leur sein.
Celle du MRND était connue sous le nom d’« Interahamwe » et celle de la CDR sous le nom
de « Impuzamugambi ». Par la suite, plusieurs membres de l’organisation des jeunes du
MRND et de la CDR ont reçu un entraînement militaire ; ce qui a transformé ces mouvements
de jeunesse en milices.
La presse au Rwanda
3.8
Entre janvier et juillet 1994, il y avait au Rwanda deux stations de radio autorisées à
émettre à travers le pays, à savoir, Radio-Rwanda et la RTLM. En outre, Radio Muhabura, la
radio du FPR, pouvait être captée dans certaines régions du Rwanda.
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

3.9
Entre janvier et décembre 1994, il y avait au Rwanda plusieurs publications de presse
écrite, dont le journal Kangura qui publiait une version en kinyarwanda et une édition
internationale en français.
3.10 En vertu de la loi No 54/91 du 15 novembre 1991 sur la Presse au Rwanda, toute
personne désirant fonder ou exploiter une entreprise de radiodiffusion doit signer avec l’État
rwandais une convention d’établissement et d’exploitation.
3.11 En outre, cette loi punit les auteurs d’infractions commises par voie de presse contre
des personnes ou groupes de personnes, telles que la diffamation (article 44) ou l’injure
(article 45), ainsi que les complices de ces infractions (article 46). Par ailleurs, l’article 166
du Code Pénal Rwandais dont les peines s’appliquent à l’article 46 susvisé, punit tout
discours tenu dans des réunions ou lieux publics, et visant à soulever les citoyens les uns
contre les autres. Enfin, l’article 49 de la même loi détermine les personnes responsables des
infractions commises par voie de presse.
3.12 L’Office rwandais de l’information (ORINFOR) est un établissement public doté de
l’autonomie financière et administrative, qui assure les services publics nationaux de
radiodiffusion, de télévision, de presse écrite, de cinéma et de photographie.
4.

L’ACCUSÉ

Jean-Bosco Barayagwiza
4.1
Jean-Bosco Barayagwiza est né en 1950, dans la commune de Mutara, Préfecture de
Gisenyi, au Rwanda.
4.2
Lors des événements visés dans le présent acte d’accusation, Jean-Bosco
Barayagwiza, membre fondateur du parti de la Coalition pour la défense de la République
(CDR), était Président du Comité régional de la CDR pour la Préfecture de Gisenyi. De
plus Jean-Bosco Barayagwiza était membre du Comité d’initiative de la société privée
Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM s.a.) et un haut responsable de sa station de
radiodiffusion, RTLM. Jean-Bosco Barayagwiza était auparavant membre du MRND et
Directeur Politique au Ministère des Affaires Étrangères.
4.3
Jean-Bosco Barayagwiza était une personne importante et influente, très proche des
personnes au pouvoir, à savoir, le Colonel Bagosora et le Président Sindikubwabo, entre
autres.
4.4
En sa qualité de responsable de la CDR et d’ancien membre du MRND, Jean-Bosco
Barayagwiza exerçait de l’autorité sur les membres de la CDR, les miliciens
Impuzamugambi (CDR) et Interahamwe (MRND). En outre, en tant que haut responsable de
la station de radiodiffusion RTLM, Jean-Bosco Barayagwiza exerçait de l’autorité et du
contrôle sur la RTLM et ses employés, y compris les animateurs et les journalistes.

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5.

EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS : PRÉPARATION

5.1
De 1990 à juillet, Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, Félicien Kabuga,
Hassan Ngeze, Georges Ruggiu se sont entendus entre eux et avec d’autres pour élaborer un
plan dans l’intention d’exterminer la population civile Tutsi et d’éliminer des membres de
l’opposition. Les éléments de ce plan comportaient, entre autres, la diffusion de messages de
haine ethnique incitant à la violence, l’entraînement et la distribution d’armes aux miliciens
ainsi que la confection de listes de personnes à éliminer et la diffusion de l’identité de ces
dernières. Dans l’exécution de ce plan ils ont organisé et ordonné, à l’encontre de la
population tutsie et des Hutu modérés, des massacres à la commission desquels ils ont aidé,
incité et participé.
Incitation et Diffusion
5.2
L’incitation à la haine et à la violence ethniques a constitué un élément essentiel du
plan mis en place. Elle a été articulée, avant et durant le génocide, par des politiciens et des
hommes d’affaires, par des membres du gouvernement et des autorités locales et par des
éléments des FAR.
5.3
Les années 1990 verront se développer au Rwanda plusieurs publications visant à
assurer la diffusion du message de haine ethnique incitant à la violence. En 1990, des
personnalités de l’entourage du Président Habyarimana, dont Jean-Bosco Barayagwiza,
Ferdinand Nahimana, Nzirorera Joseph, ont créé le journal Kangura destiné à défendre
l’idéologie hutue extrémiste.
5.4
Hassan Ngeze, membre fondateur de la CDR et proche collaborateur de Jean-Bosco
Barayagwiza, a été nommé éditeur en chef du Journal Kangura. Ce journal publia en
décembre 1990 « les dix commandements des bahutus », qui constituaient non seulement un
appel sans équivoque au mépris et à la haine envers la minorité tutsie mais également à la
diffusion et à la persécution à l’encontre des femmes tutsies.
5.5
Le 4 décembre 1991, à l’issue d’une réunion présidée par le Chef de l’ État, Juvénal
Habyarimana, une commission militaire a été chargée de répondre à la question suivante :
« Que faut-il faire pour vaincre l’ennemi sur le plan militaire, médiatique et politique ? ». Le
journal Kangura s’est félicité de la tenue de cette réunion.
5.6
Le rapport produit par cette commission définissait l’ennemi principal comme étant
« le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur, extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui n’a jamais
reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la Révolution Sociale de 1959 et qui veut
reconquérir le pouvoir au Rwanda par tous les moyens, y compris les armes » et l’ennemi
secondaire comme étant « toute personne qui apporte tout concours à l’ennemi principal ».
Le document précisait que le recrutement de l’ennemi se faisait parmi certains groupes
sociaux, notamment : « … Les Tutsi de l’intérieur, les Hutu mécontents du régime en place,
les étrangers mariés aux femmes Tutsi … » Parmi les activités reprochées à l’ennemi, le
document mentionnait le « … Détournement de l’opinion nationale du problème ethnique
vers le problème socio-économique entre les riches et les pauvres ».
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5.7
Le 21 septembre 1992, un extrait du rapport est distribué aux troupes. Dès le
lendemain de cette distribution, la CDR diffuse un communiqué de presse dans lequel elle
identifie une liste de personnes qualifiées d’ennemies et de traîtres à la nation.
5.8
La qualification des Tutsi comme étant l’ennemi et des membres de l’opposition
comme étant leurs complices, a été reprise par des politiciens, notamment Léon Mugesera,
Vice Président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, dans un discours prononcé le
22 novembre1992. Diffusé sur la Radio d’Etat et s’adressant ainsi à un public beaucoup plus
large, le discours de Léon Mugesera, incitait déjà à cette époque, à exterminer la population
tutsie et ses « complices ».
5.9
En 1993, dans le but de défendre l’idéologie hutue extrémiste et de promouvoir le
recours à l’incitation à la haine et à la peur à l’encontre de la minorité tutsie, Jean-Bosco
Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, Félicien Kabuga, André Ntagerura, Joseph Nzirorera,
Georges Rutaganda, Joseph Serugendo et Simon Bikindi se sont concertés entre eux et avec
d’autres, pour créer une société anonyme dénommée RTLM S.A. afin notamment, d’exploiter
une station de radiodiffusion RTLM. Un statut a été signé le 8 avril 1993. La radio a
commencé à émettre le 8 juillet 1993.
5.10 De Juillet 1993 à Avril 1994, les émissions de la RTLM reprenaient la description des
Tutsi comme étant l’ennemi et des membres de l’opposition comme étant leurs complices,
utilisant régulièrement des expressions méprisantes telles que « inyenzi » ou « inkotanyi », et
les traitant d’ « ennemis » ou de « traîtres » méritant la mort.
5.11 En outre, la RTLM et le Journal Kangura menaient campagne contre les Accords
d’Arusha qui prévoyaient un partage du pouvoir avec la minorité tutsie et rejetaient toute
idéologie fondée sur l’appartenance ethnique. Les attaques de « Kangura » ciblaient
particulièrement le représentant du Gouvernement à la table de négociations, le Ministre des
Affaires Étrangères, Boniface Ngulinzira. Le 11 avril 1994, Boniface Ngulinzira était
assassiné par les militaires. La RTLM a annoncé sa mort en ces termes : « nous avons
exterminé tous les complices du FPR, M. Boniface Ngulinzira n’ira plus vendre le pays au
FPR à Arusha. Les Accords de paix ne sont que des chiffons de papier comme l’avait prédit
notre papa Habyarimana ».
5.12 Après la signature des Accords d’Arusha, Jean-Bosco Barayagwiza, Hassan Ngeze
et d’autres membres de la CDR, ont organisé des manifestations à Gisenyi pour protester
contre lesdits accords.
5.13 À la fin de 1993, Jean-Bosco Barayagwiza a participé à des débats politiques sur la
RTLM, sur Radio Rwanda et sur la Télévision, où il a tenu des propos extrémistes contre les
Tutsi, les qualifiant d’Inyenzi et d’Inkotanyi et les hutus de l’opposition de complices de ces
derniers.
5.14 En février 1994, Jean-Bosco Barayagwiza a envoyé un fax à Gisenyi qui appelait la
jeunesse de la CDR à tuer, le moment venu, tous les Tutsi, même les enfants. Le fax a été
distribué aux chefs des Interahamwe par l’un des responsables de la CDR à Gisenyi, Barnabé
Sanvura. De plus, à la même période, Jean-Bosco Barayagwiza a présidé dans la préfecture
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de Gisenyi une réunion des membres de la CDR, dont l’objet était l’élimination des Tutsi et
des Hutu modérés.
Les milices : entraînement et distribution d’armes
5.15 Afin de s’assurer qu’à terme, l’extermination de l’ennemi et de ses « complices » se
ferait rapidement et efficacement, il était nécessaire de constituer une milice, structurée,
armée et complémentaire aux Forces Armées. Dès 1993 et même avant, les dirigeants du
MRND, en collaboration avec des officiers des FAR, ont décidé de faire suivre aux éléments
les plus dévoués à leur cause extrémiste et à d’autres jeunes désoeuvrés, un entraînement
militaire. En outre, des armes leur ont été distribuées.
5.16 Le 19 octobre 1992, avant même la signature des Statuts de la société dénommée
RTLM S.A., des armes traditionnelles ont été achetées, par le biais d’un compte bancaire
ouvert au nom de ladite société.
5.17 Entre juin 1993 et juillet 1994, dans la préfecture de Gisenyi, les Interahamwe et les
miliciens de la CDR, les Impuzamugambi ont suivi un entraînement militaire et ont reçu des
armes de Jean-Bosco Barayagwiza et de Hassan Ngeze, un dirigeant des Interahamwe.
5.18 Vers la fin 1993, dans une lettre ouverte diffusée sur les ondes de la Radio Nationale,
l’évêque du diocèse de Nyundo, préfecture de Gisenyi, a dénoncé la distribution d’armes
dans cette préfecture.
Confection des listes
5.19 Après avoir identifié le Tutsi comme étant l’ennemi principal et les membres de
l’opposition comme ses complices, des autorités civiles, des personnalités politiques et des
miliciens ont dressé des listes de personnes à exécuter. En 1993, à l’instigation de JeanBosco Barayagwiza, le bourgmestre et les conseillers de secteurs de la préfecture de Gisenyi
ont élaboré des listes portant les noms de Tutsi et des Hutu modérés à éliminer.
5.20 Entre janvier et juillet 1994, des listes de personnes identifiées comme étant l’ennemi
ont été diffusées par la RTLM. Du 7 avril à la fin juillet, des militaires et des miliciens ont
massacré des membres de la population tutsie et des Hutu modérés, entre autres, en se servant
de listes pré-établies et des noms diffusés sur les ondes de la RTLM.
Antécédents révélant une conduite délibérée
5.21 La violence ethnique et politique du début des années 90 a été caractérisée par
l’utilisation des éléments de la stratégie qui allait connaître son aboutissement avec le
génocide de 1994. Les massacres de la minorité tutsie perpétrés à cette époque, tels que ceux
de Kibilira (1990), des Bagogwe (1991) et du Bugesera (1992) ont été suscités, facilités et
organisés par des autorités civiles et militaires. À chaque occasion une campagne d’incitation
à la violence ethnique menée par des autorités locales a été suivie de massacres de la minorité
tutsie, perpétrés par des groupes de miliciens et de civils, armés et aidés par ces mêmes
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autorités et certains militaires. À chaque occasion, ces crimes sont demeurés impunis et les
autorités impliquées n’ont généralement pas été inquiétées.
5.22 En 1991, Jean-Bosco Barayagwiza en collaboration avec Hassan Ngeze et d’autres
ont planifié les tueries des Tutsi Bagogwe dans la commune de Mutura, la préfecture de
Gisenyi et le Bugesera. Ils ont distribué des armes et de l’argent aux miliciens Interahamwe
et Impuzamugambi, qui ont commis les massacres.
5.23 À la même époque, Jean-Bosco Barayagwiza a présidé des réunions au cours
desquelles il a incité les milices et la population civile à tuer les Tutsi. Suite à ces réunions
des Tutsi ont été attaqués et tués.
Modus Operandi
5.24 Enfin, dès le 7 avril 1994, sur tout le territoire du Rwanda, des Tutsi et certains Hutu
modérés, aux fins d’échapper à la violence dont ils étaient victimes sur leurs collines, ont
commencé à fuir leurs maisons pour chercher refuge dans des endroits où traditionnellement
ils s’étaient sentis en sécurité, notamment des églises, des hôpitaux et d’autres édifices
publics comme les bureaux communaux et préfectoraux. À plusieurs occasions, des endroits
de rassemblement leur avaient été indiqués par des autorités locales qui avaient promis de les
protéger. Durant les premiers jours, les réfugiés ont été protégés par quelques gendarmes et
policiers communaux dans ces différents endroits, mais par la suite, systématiquement, les
réfugiés ont été attaqués et massacrés par des miliciens, souvent aidés par ces mêmes
autorités qui avaient promis de les protéger.
5.25 En outre, des militaires, des miliciens et des gendarmes ont commis des viols, des
agressions sexuelles et d’autres actes de nature sexuelle à l’encontre de certaines femmes et
jeunes filles tutsies et ce, parfois après les avoir enlevées.
6.

EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS : LA RTLM

6.1
L’idée de la création de la RTLM est née le 13 juillet 1992 ou vers cette date. Cette
idée a été mise en application le 8 avril 1993, avec la signature des Statuts par Jean-Bosco
Barayagwiza, Félicien Kabuga, Ferdinand Nahimana, André Ntagerura, Georges Rutaganda,
Joseph Nzirorera, Simon Bikindi et d’autres.
6.2
Un Comité d’initiative a été mis en place, dont certains membres tels que Félicien
Kabuga qui en était le Président, Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza, ont
continué d’agir comme des responsables de la RTLM. La RTLM a commencé à émettre sur
tout le territoire du Rwanda à partir du 8 juillet 1993 jusqu’à la fin juillet 1994. Hassan Ngeze
a salué la création de la RTLM dans le journal Kangura, comme étant la naissance d’un
partenaire dans la lutte pour l’unification des Hutus.
6.3
Par la suite, le 30 septembre 1993, une convention d’établissement et d’exploitation
de radiodiffusion entre le Gouvernement de la République Rwandaise et la radio télévision
libre des Milles Collines (RTLM) a été signée. Elle prévoyait notamment à son article 5 (2)
que la RTLM s’engageait à ne pas diffuser des émissions de nature à inciter à la haine, à la
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violence ou à toute autre forme de division. De plus, la RTLM s’engageait à se conformer
aux dispositions des instruments internationaux et nationaux qui régissent les
télécommunications.
6.4
En 1993, lors d’une réunion de collecte de fonds au profit de la RTLM, organisée par
le MRND, Félicien Kabuga a publiquement défini l’objectif de la RTLM comme étant la
défense du « Hutu Power ». Il a tenu ces propos, en présence de Jean-Bosco Barayagwiza,
Ferdinand Nahimana, Hassan Ngeze, Froduald Karamira, Justin Mugenzi, Mathieu
Ngirumpatse et des journalistes Kantano Habimana, Valérie Bemeriki, Noël Hitimana,
Gaspard Gahigi et d’autres.
6.5
La RTLM a bénéficié de l’appui logistique de Radio Rwanda et du Président
Habyarimana en étant reliée aux groupes électrogènes de la présidence de la République qui
lui permettaient de continuer à fonctionner en cas de coupure de courant électrique.
CONTENU et EFFET des ÉMISSIONS de la RTLM
6.6
La RTLM avait pour but de promouvoir l’idéologie hutue extrémiste. En 1993, sa
stratégie de communication axée sur la musique et sur d’autres programmes populaires, a
évolué pour aboutir en 1994 à l’incitation à l’extermination des Tutsis et l’élimination des
Hutus de l’opposition. À partir du 7 avril 1994, la RTLM est devenue « une arme
indispensable » dans l’exécution du génocide, en aidant, encourageant et incitant la
population et les miliciens à commettre des massacres.
6.7
À partir d’avril 1994, la RTLM diffusait des messages incitant la population et les
milices à exterminer tous les Tutsis et éliminer les Hutus modérés et les citoyens belges en
utilisant des expressions telles que : « allez travailler », « allez nettoyer », « à chacun son
Belge », « les tombes ne sont pas encore tout à fait pleines », « la révolution de 1959 n’a pas
été achevée et devrait être menée à son terme ».
6.8
Ainsi durant cette période, Georges Henri Yvon Ruggiu en sa qualité de journaliste,
employé de la RTLM depuis le 1er janvier 94, a animé des émissions en français incitant la
population et les milices Interahamwe à « travailler et à parachever la révolution de 59 ». Ces
incitations visaient à exterminer la population tutsie et à éliminer les Hutu modérés et certains
citoyens belges.
6.9
Entre janvier et juillet 1994, d’autres journalistes tels que Valérie Bemeriki, Kantano
Habimana, Gaspard Gahigi et Noël Hitimana ont également incité la population et les
Interahamwe à exterminer les Tutsi et les Hutu modérés. Les mêmes journalistes ont diffamé
et dénigré les femmes tutsies sur les antennes de la RTLM.
6.10 Ainsi le 2 juillet 1994, le journaliste Kantano Habimana a incité la population à se
lever, à tenir bon et à lutter contre les Inkotanyi à l’aide de pierres, de machettes et des lances,
tout en se réjouissant du fait que les Inkotanyi finiront par être exterminés.

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6.11 De même en juin 1994, Valérie Bemeriki, a incité la population à ériger des barrages
routiers partout pour contrôler efficacement les Inyenzi-Inkotanyi et s’est félicitée du grand
nombre d’inyenzi tués dans le pays.
6.12 Entre avril et juillet 1994, la RTLM a diffusé des interviews, des messages et des
discours de personnalités politiques et gouvernementales qui incitaient à exterminer les Tutsi
et les Hutu modérés.
6.13 En avril, mai et juin 1994, Hassan Ngeze, co-fondateur de la CDR avec Jean-Bosco
Barayagwiza, a été interviewé sur la RTLM et Radio Rwanda. Au cours de ces entretiens, il
a appelé à l’extermination des Tutsi et des Hutu de l’opposition. Il a également défendu
l’idéologie extrémiste hutue de la CDR.
6.14 De plus, des membres du gouvernement et des parties politiques ont utilisé les média
pour inciter au massacre de la population tutsie et de Hutu modérés. Le 21 avril 1994
notamment, le premier ministre du gouvernement intérimaire, Jean Kambanda, a déclaré que
les émissions diffusées sur la RTLM étaient « une arme indispensable pour combatre
l’ennemi ».
6.15 De fin 1993 à juillet 1994, la RTLM identifiait les endroits où les Tutsi s’étaient
réfugiés pour se protéger et demandait aux milices Interahamwe d’attaquer ces lieux.
Plusieurs de ses endroits ont été attaqués et les Tutsi qui s’y trouvaient massacrés. Dans
certains cas, la RTLM identifiait certaines personnes qualifiées de complices et demandait
aux miliciens de les retrouver et de les exécuter.
6.16 À partir du 10 avril 1994, la RTLM, notamment deux de ses employés en les
personnes de Valérie Bemeriki et Noël Hitimana, ont incité les miliciens à attaquer la
mosquée Kadafi de Nyamirambo. Les journalistes ont cité le nom de certaines personnes
réfugiées à cet endroit et ont ordonné de les éliminer. De fait, dans les jours qui ont suivi, la
mosquée Kadafi a été attaquée et plusieurs réfugiés ont été tués.
6.17 Le 18 juin 1994, Georges Ruggiu a annoncé sur la RTLM qu’à Gitwe, les Tutsi
n’avaient pas encore été tués. Il a également demandé que les barrages routiers soient
renforcés afin que personne ne puisse s’enfuir. Suite à cette émission, le 20 juin 1994, les
Interahamwe se sont rendus sur la colline de Gitwe, dans la commune de Mutara, en
compagnie du bourgmestre Rutaganda et ont tué les membres de plus de 70 familles
majoritairement tutsies.
6.18 Pendant la perpétration des massacres, à plusieurs occasions, la RTLM a encouragé
les miliciens, dont ceux qui gardaient les barrages routiers, à exterminer les Tutsi et à
assassiner les opposants hutus, et félicité les tueurs, louant leur vigilance et leur demandant
de continuer avec davantage de vigueur.
6.19 Suite aux messages et discours d’incitation et d’encouragement à la violence et à la
haine ethnique visés aux paragraphes 6.1 à 6.17 supra, de nombreux membres de la
population tutsie, ainsi que des Hutu modérés et certains citoyens belges ont été éliminés.
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CONTRÔLE des ÉMISSIONS
6.20 Entre janvier et juillet 1994, Jean-Bosco Barayagwiza, Félicien Kabuga et Ferdinand
Nahimana exerçaient une autorité et un contrôle sur la RTLM s.a, la RTLM, les journalistes,
les annonceurs et les autres employés tels que Georges Ruggiu, Valérie Bemeriki et d’autres.
6.21 Jean-Bosco Barayagwiza, Félicien Kabuga et Ferdinand Nahimana avaient
connaissance du contenu des émissions de la RTLM. Le 26 novembre 1993 et le 10 février
1994, Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, Félicien Kabuga et Phocas
Habimana, en leur qualité de responsables de la RTLM, ont été convoqués par le ministre de
l’Information, Faustin Rucogoza, et requis de cesser d’émettre des messages incitant à la
violence et à la haine ethniques. Ces émissions constituaient des violations des Accords
d’Arusha, de la Loi du 15 novembre 1991 sur la presse et de la Convention d’établissement
signée entre la RTLM et le gouvernement.
6.22 Au cours de ces deux réunions, Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana,
Félicien Kabuga, ont défendu le contenu de ces émissions et les journalistes qui les
présentaient. Par la suite Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, et Félicien
Kabuga ont permis à ces émissions et à leurs présentateurs de continuer à propager un
message incitant à la violence et à la haine ethnique.
6.23 Entre janvier et juillet 1994, Jean-Bosco Barayagwiza savait ou avait des raisons de
savoir que ses subordonnés, y compris les journalistes, les animateurs et tous les autres
employés de la RTLM, diffusaient des émissions incitant, aidant et encourageant la
population et les milices à exterminer tous les Tutsis et à éliminer les Hutus modérés et les
citoyens belges, et n’a pas pris les mesures raisonnables pour en empêcher les auteurs ou les
punir.
6.24 De plus durant la période couverte par le présent acte d’accusation, Jean-Bosco
Barayagwiza savait ou avait des raisons de savoir que les émissions, les discours ou les
messages diffusés par la RTLM ont eu pour résultats des massacres généralisés de la
population tutsie et l’assassinat de nombreux Hutu modérés, et de certains citoyens belges.
7.

EXPOSÉ SUCCINCT DES FAITS : AUTRES VIOLATIONS DU DROIT
INTERNATIONAL HUMANITAIRE

7.1
À partir du 7 avril 1994, des massacres de la population tutsie et l’assassinat de
nombreux opposants politiques ont été commis sur tout le territoire du Rwanda. Ces crimes
planifiés et préparés de longue date par des personnalités civiles et militaires partageant
l’idéologie hutue extrémiste ont été perpétrés par des miliciens, des militaires et des
gendarmes suivant les ordres et les directives de certaines de ces autorités, dont Jean-Bosco
Barayagwiza.
Kigali
7.2
Dès la nuit du 6 au 7 avril, dans la capitale, des éléments de la Garde Présidentielle et
du bataillon Para-Commando ont érigé des barrages renforcés par des véhicules blindés sur
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les principaux axes routiers, contrôlant les mouvements de la population. Par la suite, des
miliciens se sont joints à eux ou ont érigé leurs propres barrages. À ces endroits, des Tutsi ou
des personnes considérées comme telles ont été sommairement exécutées.
7.3
Après le 6 avril 1994, Jean-Bosco Barayagwiza supervisait les barrages situés entre
l’hôtel Kiyovu et le Cercle Sportif de Kigali, dans le quartier où il habitait. Il assurait la
supervision de ces « barrières », accompagné d’un membre de la Garde Présidentielle. JeanBosco Barayagwiza ordonnait aux miliciens et aux militants de la CDR, qui gardaient ces
barrages, d’éliminer tous les Tutsi et les opposants hutus.
7.4
Pendant la même période, Jean-Bosco Barayagwiza a ordonné aux miliciens et aux
militants de la CDR de fouiller les maisons du quartier Kiyovu afin de rechercher des Tutsi
en vue de les exterminer.
Gisenyi
7.5
Préfecture d’origine du défunt président, Juvénal Habyarimana, Gisenyi est située au
nord-ouest du Rwanda. Depuis le coup d’État de 1973, elle est le bastion du Mouvement
Républicain National pour la Démocratie et le Développement (MRND) et de la Coalition
pour la Défense de la République (CDR). Plusieurs personnalités civiles et militaires qui
partageaient l’idéologie hutue extrémiste sont originaires de cette préfecture. Après 1990, elle
a été le théâtre de nombreuses tensions et violences inter-ethniques entraînant la mort de
nombreux Tutsi. Ce fut le cas des Bagogwe en 1991. Au début de juin 1994, le
Gouvernement Intérimaire s’est installé à Gisenyi.
7.6
Après son élection comme Président du Comité régional de la CDR à Gisenyi le
6 février 1994, Jean-Bosco Barayagwiza a travaillé à la planification, à la préparation et à
l’organisation des massacres de la population tutsie de Gisenyi. Avant avril 1994, JeanBosco Barayagwiza avait tenu des réunions et transmis des directives à ses subordonnés,
dont Barnabé Sanvura, un responsable de la CDR de Gisenyi, en vue de préparer des listes de
Tutsi à éliminer, et d’inciter les miliciens à tuer les Tutsi le moment venu. Ces directives ont
été transmises aux responsables Interahamwe (MRND) et aux Impuzamugambi (CDR) par
Hassan Ngeze et Barnabé Sanvura.
7.7
À partir du 7 avril 1994, à Gisenyi, des membres de la CDR, dont Hassan Ngeze, des
miliciens et des militaires ont fait ériger des barrages, ont distribué des armes, ont incité, aidé
et encouragé la population à exterminer les Tutsi et à éliminer les Hutus modérés.
7.8
Entre avril et juillet 1994, des barrages ont été érigés par des miliciens, dans la
préfecture de Gisenyi, afin de sélectionner les Tutsi et leurs « complices » et de les tuer sur
place ou de les conduire à la « Commune Rouge » pour les exécuter. Dans certains cas, à la
commune rouge, avant d’être tués, les Tutsi ont été obligés de ses déshabiller. Hassan Ngeze
était présent lors de ces faits.
7.9
Entre avril et juillet 1994, dans la préfecture de Gisenyi, les groupes de miliciens les
plus actifs dirigés par des responsables de la CDR, dont Hassan Ngeze et Mabuye
Twagirayezu, et du MRND, dont Bernard Munyagishari et Omar Serushago, ont traqué,
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enlevé et tué plusieurs membres de la population tutsie et des Hutu modérés de Gisenyi. En
outre, beaucoup de maisons de Tutsi ont été pillées, détruites ou incendiées par les
Interahamwe.
7.10 Durant toute cette période d’avril à juillet 1994, Jean-Bosco Barayagwiza savait ou
avait des raisons de savoir que ses subordonnés, notamment les miliciens de la CDR et du
MRND, ont commis des massacres généralisés de la population tutsie et de nombreux Hutu
modérés.
Responsabilité
7.11 D’avril à juillet 1994, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été massacrées
sur l’ensemble du territoire du Rwanda. La plupart des victimes ont été tuées pour la seule
raison qu’elles étaient des Tutsi ou ressemblaient à des Tutsi. Les autres victimes, surtout des
Hutu, ont été tuées parce qu’elles étaient considérées comme des complices des Tutsi, liées à
ces derniers par mariage ou opposées à l’idéologie hutue extrémiste.
7.12 Les massacres perpétrés furent le résultat d’une stratégie adoptée et élaborée par des
autorités politiques, civiles et militaires du pays dont Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand
Nahimana, Félicien Kabuga, Hassan Ngeze et Georges Ruggiu, qui se sont entendus pour
exterminer la population tutsie.
7.13 Jean-Bosco Barayagwiza, en sa qualité de responsable, agissant de concert avec
notamment, Ferdinand Nahimana, Félicien Kabuga, Hassan Ngeze, Georges Ruggiu, Omar
Serushago, Bernard Munyagishari, Mabuye Twagirayezu et Barnabé Sanvura, a participé à la
planification, à la préparation ou à l’exécution d’un plan, d’une stratégie ou d’un dessein
communs, afin de perpétrer les atrocités énoncées supra. Ces crimes ont été perpétrés par luimême ou par des personnes qu’il a aidées, ou par ses subordonnés, dont les miliciens et les
journalistes, les animateurs et tous les autres employés de la RTLM, qui ont agi sous ses
ordres, ou alors qu’il en avait connaissance ou y consentait.
8.

LES CHEFS D’ACCUSATION

PREMIER CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes visés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.2, 5.3, 5.4, 5.5, 5.7, 5.10, 5.12,
5.13, 5.14, 6.1, 6.2, 6.3, 6.4, 6.5, 7.1, 7.2, 7.3, 7.9,
7.10, 7.12, 7.13.

s’est entendu avec Ferdinand Nahimana, Hassan Ngeze, Barnabé Sanvura, Joseph Nzirorera,
Georges Ruggiu, Bernard Munyagishari, Omar Serushago et d’autres pour tuer et porter des
atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres de la population tutsie, dans
l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou racial, et a de ce fait commis
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le crime d’ENTENTE EN VUE DE COMMETTRE LE GÉNOCIDE tel que prévu à
l’article 2 (3) (b) du Statut du Tribunal pour lequel il est individuellement responsable en
vertu de l’article 6 (1) et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 et 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes visés infra :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.12, 5.14, 5.18, 6.18, 7.1, 7.2,
7.4, 7.5, 7.11, 7.12, 7.13.
conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 6.15, 6.16, 6.20, 6.21, 6.22, 6.23, 7.7,
7.8, 7.9, 7.10, 7.11, 7.12, 7.13.

est responsable de meurtre et d’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres
de la population tutsie, dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou
racial et a de ce fait, commis le crime de GÉNOCIDE tel que prévu à l’article 2 (3) (a) du
Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu de l’article 6 et
punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 et 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes visés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.12, 5.14, 5.18, 6.18, 7.1, 7.2,
7.4, 7.5, 7.7, 7.8, 7.11, 7.12, 7.13.
conformément à l’article 1, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 6.15, 6.16, 6.20, 6.21, 6.22, 7.23, 7.7,
7.8, 7.9, 7.10, 7.11, 7.12 et 7.13.

est responsable de meurtre et d’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres
de la population tutsie, dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou
racial et a de ce fait, commis le crime de COMPLICITÉ DANS LE GÉNOCIDE tel que
prévu à l’article 2 (3) (e) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement
responsable et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
QUATRIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
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JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.2, 5.7, 5.8, 5.9, 5.11, 5.12, 6.1,
6.2, 6.3, 6.4, 6.5, 6.6, 6.7, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.13,
6.15 à 6.23, 7.11, 7.12, 7.13.
conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 6.6, 6.7, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.12,
6.15, 6.19, 6.20, 6.21, 6.22, 6.23, et 7.11, 7.12, 7.13.

est responsable d’incitation directe et publique à commettre le meurtre et d’atteintes graves à
l’intégrité physique et mentale de membres de la population tutsie, dans l’intention de
détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou racial, et a de ce fait commis le crime de
D’INCITATION DIRECTE ET PUBLIQUE À COMMETTRE LE GÉNOCIDE tel que
prévu à l’article 2 (3) (c) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement
responsable en vertu de l’article 6 et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
CINQUIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.5, 5.12, 5.16, 5.18, 5.19, 7.1,
7.2, 7.4, 7.5, 7.11, 7.12, 7.13.
conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 5.1, 5.16, 5.18, 5.19, 6.10, 6.14, 6.15,
6.16, 6.17, 6.18, 6.19, 6.20, 6.21, 6.22, 6.23, 7.4,
7.5, 7.7, 7.8, 7.9, 7.10, 7.11, 7.12 et 7.13.

est responsable d’extermination de personnes dans le cadre d’une attaque systématique et
généralisée contre une population civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou
raciale et a de ce fait commis un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, tel que prévu à
l’article 3 (b) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu
de l’article 6 et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
SIXIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.5, 5.12, 5.16, 5.18, 5.19, 7.1,
7.2, 7.4, 7.5, 7.11, 7.12, 7.13.
conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 5.1, 5.16, 5.18, 5.19, 6.10, 6.14, 6.15,

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6.16, 6.17, 6.18, 6.19, 6.20, 6.21, 6.22, 6.23, 7.4,
7.5, 7.7, 7.8, 7.9, 7.10, 7.11, 7.12, 7.13.
est responsable d’assassinat de personnes dans le cadre d’une attaque systématique et
généralisée contre une population civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou
raciale et a de ce fait commis un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, tel que prévu à
l’article 3 (a) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu
de l’article 6 et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
SEPTIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 1, selon les
paragraphes : 5.1, 5.2, 5.7, 5.8, 5.9, 5.10, 5.11, 6.1,
6.2, 6.3, 6.4, 6.5, 6.6, 6.7, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.12,
6.13, 6.15 à 6.23, 7.11, 7.12, 7.13.
conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 6.6, 6.7, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.12,
6.15, 6.19, 6.20, 6.21, 6.22, 6.23, 7.11, 7.12, 7.13.

est responsable de persécution de personnes dans le cadre d’une attaque systématique et
généralisée contre une population civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou
raciale et a de ce fait commis un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, tel que prévu à
l’article 3 (h) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu
de l’article 6 et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
HUITIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 5.1, 5.2, 5.3, 5.4, 5.5, 5.16, 5.20, 5.21,
5.23, 5.24, 6.8, 6.13, 6.17, 6.18, 6.19, 6.20, 6.21,
6.22, 6.23, 7.8, 7.9, 7.10, 7.11, 7.12, 7.13.

est responsable d’atteinte à la dignité de la personne, notamment de traitements humiliants et
dégradants, dans le cadre d’un conflit armé interne et a de ce fait commis le crime de
VIOLATIONS GRAVES DE L’ARTICLE 3 COMMUN AUX CONVENTIONS DE
GENÈVE ET DU PROTOCOLE ADDITIONNEL II, tel que prévu à l’article 4 (e) du
Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu de l’article 6 et
punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.

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NEUVIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.13 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
JEAN-BOSCO BARAYAGWIZA :

conformément à l’article 6, paragraphe 3, selon les
paragraphes : 5.1, 5.2, 5.4, 5.5, 5.6, 5.14, 5.20, 5.21,
5.23, 7.1, 7.6, 7.8, 7.10, 7.12, 7.13 et 7.14.

est responsable des pillages, dans le cadre d’un conflit armé interne et a, de ce fait, commis le
crime de VIOLATIONS GRAVES DE L’ARTICLE 3 COMMUN AUX
CONVENTIONS DE GENÈVE ET DU PROTOCOLE ADDITIONNEL, tel que prévu à
l’article 4 (f) du Statut du Tribunal, pour lequel il est individuellement responsable en vertu
de l’article 6 et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
Kigali, le 13 avril 2000

Pour le Procureur,
[Signé]
Mohamed Othman
Chef des Poursuites

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UNITED NATIONS

NATIONS UNIES

International Criminal Tribunal for Rwanda
Tribunal pénal international pour le Rwanda

LE PROCUREUR DU TRIBUNAL
CONTRE
HASSAN NGEZE

ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ
Conformément à la décision de la Chambre de première instance I du 5 novembre 1999
autorisant le Procureur à modifier l’acte d’accusation
Le Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, en vertu des pouvoirs que lui
confère l’article 17 du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (le « Statut du
tribunal »), accuse :

HASSAN NGEZE
D’ENTENTE EN VUE DE COMMETTRE LE GÉNOCIDE, DE GÉNOCIDE, DE
COMPLICITE DANS LE GENOCIDE, d’INCITATION DIRECTE ET PUBLIQUE A
COMMTTRE LE GÉNOCIDE, et de CRIMES CONTRE L’HUMANITE, crimes
prévus aux articles 2 et 3 du Statut du Tribunal, comme suit :
1.

CONTEXTE HISTORIQUE

1.1
La révolution de 1959 marque le début d’une période d’affrontements ethniques entre
les Hutu et les Tutsi au Rwanda, provoquant au cours des années qui ont immédiatement
suivi, des centaines de morts chez les Tutsi et l’exode de milliers d’entre eux. Cette
révolution entraîne l’abolition de la monarchie Tutsi et la proclamation de la première
République au début de l’année 1961, confirmée par référendum au cours de la même année.
Les élection législatives de septembre 1961 confirme la domination du MDR-PARMEHUTU
(Mouvement Démocratique Républicain-Parti du Mouvement d’Émancipation Hutu) de
Grégoire Kayibanda, qui est élu Président de la République par l’assemblée législative le
26 octobre 1961.

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1.2
Les premières années d’existence de cette république, dominée par les Hutu du centre
et du sud du Rwanda, sont de nouveau marquées par la violence ethnique. Les victimes furent
principalement des Tutsi, l’ancienne élite dirigeante, et leurs alliés; ceux-ci furent tués,
chassés vers d’autres régions du Rwanda ou forcés de s’enfuir du pays. L’élimination
progressive des partis d’opposition durant ces premières années confirme le MDRPARMEHUTU comme parti unique, qui est le seul à présenter des candidats aux élections de
1965.
1.3
Le début de l’année 1973 au Rwanda était de nouveau marqué par des affrontements
ethniques entre Hutu et Tutsi qui provoquent, après ceux de 1959 à 1963, un nouvel exode de
la minorité Tutsi. Cette recrudescence des tensions ethniques et politiques (entre le Nord et le
Sud) aboutit, le 5 juillet 1973, à un coup d’État militaire mené par le Général Juvénal
Habyarimana. Le coup d’État entraîne un renversement du pourvoir, qui passe des mains des
civils à celles des militaires et de celles des Hutu du centre du Rwanda à celles des Hutu des
préfectures de Gisenyi et Ruhengeri au nord du pays (région natale du Président
Habyarimana).
1.4
En 1975, le président Habyarimana fonde le Mouvement Révolutionnaire National
pour le Développement (MRND), parti unique, dont il assure la présidence. Le MRND, par
son organisation et son fonctionnement, se confondait avec l’État lui-même, ce à tous les
niveaux de l’administration territoriale, c’est-à-dire du Préfet au Responsable de Cellule en
passant le Bourgmestre et le Conseiller de Secteur. Le MRND était un véritable Parti-État.
1.5
De 1973 à 1994, le gouvernement du Président Habyarimana applique un système de
quotas basé sur l’origine ethnique et régionale qui était censé offrir des chances égales à tous
en matière d’éducation et d’emploi, mais qui fut utilisé progressivement de manière
discriminatoire à l’encontre des Tutsi et des Hutu originaires d’autres régions que le nordouest. De fait, à la fin des années 1980, plusieurs des postes les plus importants dans les
secteurs militaires, politiques, économiques et administratifs de la société rwandaise étaient
occupés par des personnes originaires de Gisenyi et Ruhengeri. Parmi l’élite privilégiée, un
noyau, connu sous l’appellation Akazu, composé de membres de la famille et d’intimes du
Président Habyarimana et de son épouse, Agathe Kanziga, jouit d’un grand pouvoir. Aux
membres de ce groupe, presque exclusivement Hutu, se joignent des personnes qui en
partagent l’idéologie Hutu extrémiste et qui sont principalement originaires de la région
natale du président et de son épouse.
1.6
Au cours de l’année 1990, le Président de la République, Juvénal Habyarimana, et son
parti unique, le MRND, font face à une opposition grandissante, notamment de la part
d’autres Hutu.
1.7
Le 1er octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais (FPR), composé majoritairement
de réfugiés Tutsi, attaque le Rwanda. Dans les jours qui suivent, le gouvernement procède à
l’arrestation de milliers de personnes présumées être des adversaires d’Habyarimana et
soupçonnnées de complicité avec le FPR. Parmi les personnes arrêtées, majoritairement
d’origine Tutsi, il y a également des opposants politique Hutu.

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1.8
Suite aux différentes pressions de l’opposition interne et de la communauté
internationale, et à l’attaque du FPR d’octobre 1990, le Président Habyarimana autorise le
multipartisme et l’adoption d’une nouvelle constitution le 10 juin 1991. le Mouvement
Révolutionnaire National pour le Développement (MRND) est alors rebaptisé Mouvement
Républicain National pour la Démocratie et le Développement (MRND). Le premier
gouvernement de transition est composé presque exclusivement de membres du MRND, suite
au refus des principaux partis d’opposition d’en faire partie. Avec la mise en place du second
Gouvernement de transition en avril 1992, le MRND se retrouve minoritaire pour la première
fois de son histoire, avec neuf portefeuilles ministériels sur 19. Par contre, le MRND demeure
fortement dominant au niveau de l’administration territoriale.
1.9
Le nouveau Gouvernement entame alors des négociations avec le FPR qui aboutissent
le 4 août 1993 à la signature des Accords d’Arusha. Ces Accords prévoient un nouveau
partage des pouvoirs militaires et civils entre le FPR, les partis d’opposition et le MRND.
1.10 Aux termes des Accords d’Arusha qui prévoient l’intégration des forces armées des
deux parties, l’effectif de la nouvelle armée nationale est limitée à 13 000 hommes dont 60%
proviennent des FAR (Forces Armées Rwandaises) et 40% du FPR. Quant aux postes de
commandement, ils sont attribués à parts égales (50%-50%) aux deux parties, le poste de
Chef d’État-Major de l’Armée revenant aux FAR. L’effectif de la Gendarmerie est limité à
6 000 hommes, composé de 60% des FAR et 40% du FPR, avec les postes de commandement
répartis équitablement (50%-50%) entre les deux parties, le poste de Chef d’État Major de la
Gendarmerie revenant au FPR.
1.11 Au niveau de la représentation au sein du gouvernement, les Accords d’Arusha
limitent à cinq le nombre de portefeuilles ministériels du MRND en plus de la Présidence de
la République. Les autres portefeuilles se répartissent ainsi : cinq pour le FPR, quatre pour le
MDR (Mouvement démocratique républicain) dont le poste de premier Ministre, trois pour le
PSD (Parti social-démocrate), trois pour le PL (Parti libéral) et un pour le PDC (Parti
démocrate-chrétien).
1.12 De plus, les parties aux Accords d’Arusha s’engagent à rejeter et à lutter contre toute
idéologie politique basée sur l’ethnie. En ce sens, les forces politiques devant participer aux
institutions de la transition s’engagent à s’abstenir de toute violence, d’incitation à la
violence, par des écrits, des messages verbaux, ou par tous autres moyens et de combattre
toutes idéologies politiques qui visent à promouvoir toute discrimination ethnique.
1.13 Pour les hommes et les femmes proches du Président Habyarimana, parmi lesquels les
membres de l’Akazu, qui occupaient des fonctions importantes au sein des divers secteurs de
la société rwandaise, ce nouveau partage du pourvoir, tel qu’exigé par les opposants
politiques et stipulé par les Accords d’Arusha, signifie l’abandon du pouvoir et la perte de
nombreux privilèges et d’importants bénéfices. En même temps, l’application des Accords
d’Arusha confronte plusieurs militaires à une démobilisation massive. Finalement, le Statut
constitutionnel de ces Accords met en péril l’existence des médias qui prônaient une
idéologie basée sur l’ethnisme.

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1.14 À partir de 1990, Habyarimana et plusieurs de ses plus proches collaborateurs
conçoivent une stratégie d’incitation à la haine et à la peur face à la minorité Tutsi, afin de
rétablir la solidarité parmi les Hutu et de se maintenir au pouvoir. Ils s’opposent fortement à
toute forme de partage du pouvoir et particulièrement au partage prévu par les Accords
d’Arusha.
1.15 Déterminées à éviter le partage des pouvoirs prévu par les Accords d’Arusha,
plusieurs personnalités civiles et militaires en vue poursuivent leur stratégie de conflit
ethnique et d’incitation à la violence. Elle visent la population Tutsi tout entière, qui est
qualifiée de complice du FPR, de même que les Hutu opposés à leur domination,
particulièrement ceux qui sont originaires d’autres régions que le nord-ouest du Rwanda.
Parallèlement, elles tentent de diviser les partis d’opposition Hutu, en ramenant certains de
leurs membres dans le camp d’Habyarimana. Les efforts destinés à diviser l’opposition Hutu
sont favorisés par l’assassinat, par des soldats Tutsi de l’armée burundaise, de Melchior
Ndandaye, président Hutu démocratiquement élu dans le Burundi voisin. À la fin de 1993,
deux des trois principaux partis opposés au MRND s’étaient divisés en deux factions chacun.
Les factions connues sous le nom de « Power » s’allient au MRND.
1.16 La stratégie adoptée au début des années 1990, qui va connaître son apogée avec les
massacres généralisés d’avril 1994, comporte plusieurs éléments qui sont soigneusement
élaborés par les différentes personnalités qui partagent cette idéologie extrémiste, dont les
membres de l’Akazu. À l’élément moteur que constitue l’incitation à la violence ethnique et à
l’extermination des Tutsi et de leurs « complices », s’ajoutent l’organisation et l’entraînement
militaires des jeunesses politiques, notamment les Interahamwe (jeunesses du MRND), la
préparation et la diffusion de listes de personnes à éliminer, la distribution d’armes à des
civils, l’assassinat de certains opposants politiques et le massacre de nombreux Tutsi dans
diverses régions du Rwanda entre octobre 1990 et avril 1994.
1.17 L’incitation à la haine ethnique prend la forme de discours publics prononcés par des
personnalités partageant cette idéologie extrémiste. Ces personnalités politiques et militaires
appellent publiquement à la haine et à la peur des Tutsi et exhortent la majorité Hutu « à en
finir avec l’ennemi et ses complices ». Le discours prononcé en novembre 1992 par Léon
Mugesera, vice-président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, qui dès cette époque
incitait publiquement à l’extermination des Tutsi et leurs « complices », en est la parfaite
illustration.
1.18 Dans le but d’assurer une large diffusion de ces appels à la violence ethnique, des
personnalités de l’entourage du Président mettent sur pied de véritables média de la haine qui
exerceront une grande influence sur la population rwandaise. La création du journal Kangura
et de la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) participe de cette stratégie et
s’inscrit dans cette logique. Dès 1993, les Tutsi et les opposants politiques sont ciblés,
clairement identifiés et menacés par ces médias. Plusieurs d’entre eux compteront parmi les
premières victimes des massacres d’avril 1994.
1.19 La création des ailes jeunesses des partis politiques, qui avait à l’origine pour objectif
d’encourager ou même de forcer l’adhésion à l’un ou l’autre des partis du nouveau régime
multipartiste, va fournir à l’entourage d’Habyarimana une main d’œuvre dévouée, nombreuse
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et efficace pour mettre en œuvre la stratégie adoptée. Ces organisations de jeunesse affiliées
aux partis politiques sont très vite manipulées dans le cadre de la campagne anti-Tutsi. Des
membres de ces organisations, particulièrement les Interahamwe-(MRND) et les
Impuzamugambi-(CDR), sont organisés en milices, financées, entraînées et dirigées par des
personnalités civiles et militaires de l’entourage du Président de la République. Des armes
leurs sont distribuées avec la complicité de certaines autorités militaires et civiles. Leur
transport vers les sites d’entraînement, dont certains camps militaires, est assuré par des
véhicules de l’administration publique ou appartenant à des sociétés contrôlées par
l’entourage du Président.
1.20 Lors des arrestations massives d’octobre 1990, les autorités civiles et militaires se
réfèrent à des listes établies pour identifier et localiser les présumés complices du FPR, en
majorité Tutsi. Par la suite, l’Armée, la Gendarmerie, les autorités locales et les Interahamwe
reçoivent des directives pour préparer de nouvelles listes ou tenir à jour les listes existantes,
qui vont servir lors des massacres de 1994.
1.21 Vers la fin de 1991, certaines autorités rwandaises distribuent des armes à certains
membres de la population civile du nord-est du pays dans le cadre de la campagne d’autodéfense civile en réaction à l’attaque du FPR d’octobre 1990. Plus tard, en dehors du cadre de
l’auto-défense civile, des armes sont distribuées dans tout le pays par des autorités,
notamment aux Interahamwe et aux Impuzamugambi et à des personnes soigneusement
choisies, même dans des régions éloignées de la zone de guerre. Vers la fin de 1993,
l’Évêque de Nyundo critique dans une lettre publique cette distribution d’armes,
s’interrogeant sur sa finalité.
1.22 La mise en place de la stratégie ainsi décrite joue un rôle de catalyseur dans la
violence politique et ethnique de cette époque qui atteint son paroxysme avec les massacres
d’avril 1994. Le début des années 90 est marqué par de nombreux assassinats politiques et
d’importants massacres de la minorité Tutsi, dont celui de Kibilira (1990), ceux des Bagogwe
(1991) et celui du Bugesera (1992). Ces massacres sont suscités et organisés par des autorités
locales avec la complicité de certaines personnalités de l’entourage du Président
Habyarimana. On y retrouve tous les éléments de la stratégie qui va aboutir au génocide de
1994, dont l’utilisation de la propagande écrite et radiophonique pour inciter à la commission
des massacres.
1.23 Au début de 1994, des manifestations violentes visant à empêcher la mise en place
des Accords d’Arusha se déroulent à Kigali à l’instigation de certaines personnalités de
l’entourage d’Habyarimana. On y retrouve des militaires en civil aux cotés des miliciens qui
cherchent à provoquer des affrontements avec les soldats belges de la MINUAR. Ces
incidents sont en partie à l’origine du report de la mise en place des institutions prévues dans
les Accords d’Arusha.
1.24 Le 6 avril 1994, l’avion transportant, entre autres passagers, le Président de la
République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, est abattu peu avant son atterrissage à
l’aéroport de Kigali.

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1.25 Dans les heures qui suivent la chute de l’avion présidentiel, les principaux officiers
des FAR se réunissent pour évaluer la situation. Ceux qui partagent l’idéologie extrémiste
Hutu, généralement les militaires du nord du pays, proposent la prise du pouvoir par l’Armée.
Le 7 avril au matin, lors d’une deuxième réunion, cette option est rejetée au profit de la mise
sur pied d’un gouvernement intérimaire.
1.26 Dès le 7 avril au matin, parallèlement à ces discussions, des groupes de militaires,
listes en main, procèdent à l’arrestation, à la séquestration et à l’assassinat de nombreux
opposants politiques, Hutu et Tutsi, parmi lesquels le Premier Ministre, certains des ministres
de son gouvernement et le Président de la Cour Constitutionnelle. Par contre, au même
moment, des militaires évacuent dans des endroits sûrs des personnalités de l’entourage du
défunt Président, y compris les ministres du MRND. Les militaires belges de la MINUAR
envoyés pour protéger le Premier Ministre sont désarmés, arrêtés et conduits au camp
militaire de Kigali où ils sont massacrés. Cet incident précipite le retrait du contingent belge
dans les jours qui suivent. Après le retrait des troupes belges, le Conseil de sécurité des
Nations-Unies réduit de façon draconienne le nombre de personnel de la MINUAR au
Rwanda.
1.27 Les dirigeants des divers partis politiques non visés par les assassinats se réunissent à
la demande d’officiers militaires. En dehors des membres du MRND, la plupart des
participants sont membres des ailes « Power » de leurs partis respectifs. Étant donné le vide
politique et constitutionnel créé par la mort de la plupart des personnalités politiques
nationales, ils mettent sur pied un gouvernement fondé sur la constitution de 1991. le
gouvernement, exclusivement composé de personnalités Hutu, prête serment le 9 avril 1994.
Neuf postes ministériels sont attribués au MRND, en plus de la présidence de la République,
et les onze postes restants, incluant celui de premier ministre, reviennent aux factions
« Power » des autres partis.
1.28 Dans les heures qui suivent la chute de l’avion du Président Habyarimana, les
militaires et les miliciens érigent des barrages et commencent à massacrer les Tutsi et les
membres de l’opposition Hutu à Kigali et dans d’autres régions du Rwanda. Aux barrages, ils
procèdent à la vérification des cartes d’identité de tous les passants et exécutent toutes les
personnes, ou la plupart des personnes, identifiées comme étant Tutsi. Des patrouilles de
militaires, souvent accompagnés de miliciens sillonnent la ville, listes en main, pour exécuter
les Tutsi et certains opposants politiques.
1.29 Durant toute la période du génocide, des militaires des FAR et des miliciens,
notamment les Interahamwe-(MRND) et les Impuzamugambi-(CDR), participent activement
aux massacres de Tutsi sur toute l’étendue du Rwanda.
1.30 Dès sa formation, le Gouvernement Intérimaire fait sien le plan d’extermination mis
en place. Durant toute la période des massacres, le Gouvernement prend des décisions et
donne des directives dans le but d’aider et encourager l’extermination de la population Tutsi
et l’élimination des opposants politiques Hutu. Des membres de ce gouvernement,
notamment à travers les médias, incitent la population à éliminer l’ennemi et ses
« complices », certains d’entres eux prennent part directement aux massacres.
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1.31 Des autorités locales, telles que les Préfets, les Bourgmestres, les conseillers de
secteur et les responsables de cellule, appliquent les directives du Gouvernement visant à
exécuter le plan d’extermination de la population Tutsi. Ils incitent et ordonnent à leurs
subordonnés de se livrer aux massacres et y prennent eux-mêmes part directement.
1.32 À partir du 6 avril, 1994, l’incitation à la haine et à la violence ethnique véhiculée par
les médias se transforme en un véritable appel à l’extermination des Tutsis et de leurs
« complices ». Au centre de cette campagne d’extermination, la RTLM, qualifiée de ‘radio
qui tue’, joue un rôle déterminant et devient un véritable complice des auteurs du génocide.
1.33 Les groupes de miliciens, psychologiquement et militairement préparés depuis
plusieurs mois, constituent le fer de lance de l’exécution du plan d’extermination et sont
directement impliqués dans les massacres de la population civile Tutsi et des Hutu modérés,
causant ainsi la mort de centaines de milliers de personnes en moins de 100 jours.
2.

COMPÉTENCES TERRITORIALE, TEMPORELLE ET MATÉRIELLE

2.1
Les crimes visés par le présent acte d’accusation ont été commis au Rwanda entre le
1er janvier 1994 et le 31 décembre 1994.
2.2
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, le Rwanda était
divisé en 11 préfectures : Butare, Byumba, Cyangugu, Gikongoro, Gisenyi, Gitarama,
Kibungo, Kibuye, Kigali-ville, Kigali-rural et Ruhengeri. Chaque préfecture est subdivisée en
communes et en secteurs.
2.3
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, les Tutsi, les
Hutu et les Twa étaient identifiés comme des groupes ethniques ou raciaux. Les Belges
étaient considérés comme un groupe national.
2.4
Lors des événements auxquels se réfère le présent acte d’accusation, il y a eu sur tout
le territoire du Rwanda des attaques systématiques ou généralisées contre une population
civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou raciale.
3.

STRUCTURE DU POUVOIR

Le Gouvernement
3.1
Selon la Constitution du 10 juin 1991, le pouvoir exécutif est exercé par le Président
de la République, assisté du gouvernement composé du Premier Ministre et des ministres.
Les membres du gouvernement sont nommés par le Président de la République sur
proposition du Premier Ministre. Le Premier Ministre est chargé de diriger l’action du
gouvernement. Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation et dispose, à
cet effet, de l’administration publique et de la force armée. Le Premier Ministre détermine les
attributions des ministres et des agents placés sous son autorité. La démission ou la cessation
des fonctions du Premier Ministre, pour quelque cause que ce soit, entraîne la démission du
gouvernement.
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3.2
Les ministres exécutent la politique du Gouvernement définie par le Premier Ministre.
Ils répondent devant le Chef du Gouvernement de cette exécution. Dans l’exercice de leurs
fonctions ils disposent de l’administration publique et territoriale correspondante à leurs
attributions.
3.3
Le Ministre de l’Information est chargé d’appliquer la politique du Gouvernement en
matière d’Information. Le Ministres exerce la direction, le contrôle et l’orientation des
activités des services relevant de son autorité y compris la division de la presse publique et la
division de la presse privée. L’ORINFOR était sous l’autorité du Ministre de l’Information.
Les Forces Armées Rwandaises
3.4
Les Forces Armées Rwandaise (FAR) étaient composées de l’Armée Rwandaise (AR)
et de la Gendarmerie Nationale (GN).
Les Partis Politiques et les Milices
3.5
Lors des événements visés dans le présent acte d’accusation, et notamment entre le
1 janvier et le 31 décembre 1994, les principaux partis politiques au Rwanda étaient : le
MRND (Mouvements Républicain National pour la Démocratie et le Développement), la
CDR (Coalition pour la Défense de la République), le MDR (Mouvement Démocratique
Républicain), le PSD (Parti Social-Démocrate) et le PL (Parti Libéral). Le FPR (Front
Patriotique Rwandais) était une organisation politico-militaire d’opposition.
3.6
La CDR (Coalition pour la défense de la Republique) a été crée le 18 février 1992,
pour défendre les institutions républicaines issues de la Révolution Sociale de 1959. Au
niveau national, il y avait une Assemblée Général. Au niveau local, il y avait des organes de
la préfecture et de la commune tels quels, L’Assemblée Régionale, qui décidait de toutes
questions du Parti dans la préfecture et qui était dirigée par un Comité Régional qui
comprenait quatre membres dont un Président, un Vice-Président, un Secrétaire et un
Trésorier, élus pour un mandat de quatre ans.
3.7
La plupart des partis politiques avaient créé une aile jeunesse en leur sein. Celle du
MRND était connue sous l’appellation d’« Interahamwe » et celle de la CDR sous le nom de
« Impuzamugambi ». Par la suite, plusieurs membres de l’aile jeunesse du MRND et de la
CDR ont reçu un entraînement militaire; ce qui a transformé ces mouvements de jeunesse en
milices.
La presse au Rwanda
3.8
Entre janvier et juillet 1994, il y avait au Rwanda deux stations de radio autorisées à
diffuser à travers le pays, soit Radio-Rwanda et la RTLM. De plus, Radio Muhabura, la radio
du FPR, pouvait être captée dans certaines régions du Rwanda.
3.9
Entre janvier et décembre 1994, il y avait au Rwanda plusieurs publications de presse
écrite, dont le journal Kangura qui avait ses éditions en kyniarwanda. La version
Internationale de Kangura était en français.
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3.10 En vertu de la loi No 54/91 du 15 novembre 1991 sur la Presse au Rwanda, toute
personne désirant fonder ou exploiter une entreprise de radiodiffusion doit signer avec l’État
Rwandais une convention d’établissement et d’exploitation. En vertu de l’article 9 de la
même loi, le lancement d’une publication de presse écrite est préalablement soumis à une
déclaration, par le Directeur de la publication auprès du Parquet de la République.
3.11 En outre, cette loi punit les auteurs d’infractions commises par voie de presse, contre
des personnes ou groupes de personnes, telles la diffamation (article 44) ou l’injure (article
45), ainsi que les complices de ces infractions (article 46). Par ailleurs, l’article 166 du Code
Pénal Rwandais dont les peines s’appliquent à l’article 46 susvisé, punit tous discours tenus
dans des réunions ou lieux publics, et visant à soulever les citoyens les uns contre les autres.
Enfin, l’article 49 de la même loi détermine les personnes responsables des infractions
commises par voie de presse.
3.12 L’Office rwandais de l’information (ORINFOR), est un établissement public doté de
l’autonomie financière et administrative, qui assure les services publics nationaux de
radiodiffusion, de télévision, de presse écrite, de cinéma et de photographie.
4.

L’ACCUSE

HASSAN NGEZE
4.1
HASSAN NGEZE est né en 1962, dans la cellule de Nyakabungo, secteur de
Gisenyi, commune de Rubavu, Préfecture de Gisenyi, au Rwanda.
4.2
Lors des événements visés dans le présent acte d’accusation, HASSAN NGEZE, était
Rédacteur en Chef du journal Kangura. Fondateur du parti Coalition pour la défense de la
République (CDR), HASSAN NGEZE était un membre influent de ce parti, et l’un des chefs
des miliciens dans la Préfecture de Gisenyi. Hassan Ngeze était auparavant un membre d’un
Mouvement Républicain National pour le Développement (MRND).
4.3
En tant que Rédacteur en chef du journal Kangura, Hassan Ngeze, avait une autorité
et un contrôle sur les employés dans sa rédaction y compris les journalistes. De plus en tant
que membre influent de la (CDR), ancien membre du MRND et l’un des chefs des miliciens à
Gisenyi, Hassan Ngeze exerçait une autorité sur les miliciens Interahamwe (MRND) et
Impuzamugambi (CDR).
5.

EXPOSE SUCCINCT DES FAITS : PREPARATION

5.1
Dès 1990 jusqu’à décembre 1994, Hassan Ngeze, Jean-Bosco Barayagwiza,
Ferdinand Nahimana, et Georges Ruggiu se sont entendus entre eux et avec d’autres pour
élaborer un plan dans l’intention d’exterminer la population civile Tutsi et d’éliminer des
membres de l’opposition. Les éléments de ce plan comportaient, entre autres, la diffusion de
messages de haine ethnique incitant à la violence, l’entraînement et la distribution d’armes
aux miliciens ainsi que la confection de listes de personnes à éliminer et la diffusion de leur
identité. Dans l’exécution de ce plan ils ont organisé et ordonné les massacres perpétrés à
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l’encontre de la population Tutsi et des Hutu modérés en même temps qu’ils y ont incités,
aidé et participé.
Incitation et Diffusion
5.2
L’incitation à la haine et à la violence ethniques a constitué un élément essentiel du
plan mis en place. Elle a été articulée, avant et pendent les massacres généralisés de 1994 par
des politiciens et des hommes d’affaires, par des membres du gouvernement et des autorités
locales et par des éléments des FAR.
5.3
Les années 1990 verront se développer au Rwanda plusieurs publications visant à
assurer la diffusion de message de haine ethnique incitant à la violence. En 1990, des
personnalités de l’entourage du Président Habyarimana, dont Hassan Ngeze, Jean-Bosco
Barayagwiza, Ferdinant Nahimana, Joseph Nzirorera ont créé le journal Kangura, destiné a
défendre l’idéologie hutu extrémiste. Hassan Ngeze, membre fondateur de la CDR et proche
collaborateur de Jean-Bosco Barayagwiza est devenu Rédacteur en chef du journal kangura.
5.4
Dans l’une de ses premières éditions en décembre 1990, le journal Kangura publia
«Les dix commandements des bahutus », qui constituaient non seulement un appel sans
équivoque au mépris et à la haine de la minorité tutsie mais également une diffamation et une
persécution à l’encontre des femmes Tutsis.
5.5
De mai 1990 à décembre 1994, les publications de Kangura reprenaient la
qualification les tutsi comme étant l’ennemi et des membres de l’opposition comme étant
leurs complices. A cet effet, elles utilisaient régulièrement des expressions méprisantes telle
que « INYENZI » ou « INKOTANYI », en les traitant ainsi d’« ennemis » ou de « traîtres »
qui méritaient la mort. De plus Kangura a déclaré que « la Révolution socio-politique de 1959
n’est pas finie et elle est irréversible », ce qui est un appel à l’élimination des Tutsi.
5.6
Le 4 décembre 1991, à l’issue d’une réunion présidée par le Chef de l’État, le
président Juvénal Habyarimana, une commission militaires a été chargée de répondre à la
question suivante : « Que faut-il faire pour vaincre l’ennemi sur le plan militaire, médiatique
et politique? ». Le journal Kangura s’est félicité de la tenue de cette réunion.
5.7
Le rapport produit par cette commission définissait l’ennemi principal comme étant
« le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur, extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui n’a jamais
reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la Révolution Sociale de 1959 et qui veut
reconquérir le pouvoir au Rwanda par tous les moyens, y compris les armes » et l’ennemi
secondaire comme étant « toute personne qui apporte tout concours à l’ennemi principal ». Le
document précisait que le recrutement de l’ennemi se faisait parmi certains groupes sociaux,
notamment : « … Les Tutsi de l’intérieur, les Hutu mécontents du régime en place, les
étrangers mariés aux femmes Tutsi … » Parmi les activités reprochées à l’ennemi, le
document mentionnait le « … Détournement de l’opinion nationale du problème ethnique
vers le problème socio-économique entre les riches et les pauvres ». Le 21 septembre 1992,
un extrait du rapport est distribué aux troupes. Le lendemain de cette distribution, la CDR,
fondée par Hassan Ngeze, Jean-Bosco Barayagwiza et autres, a diffusé un communiqué de
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presse dans lequel elle identifie une liste de personnes qualifiées d’ennemi et de traître à la
nation.
5.8
La qualification des Tutsi comme étant « l’ennemi » et des membres de l’opposition
comme étant leurs « complices », a été reprise par des politiciens, notamment Léon
Mugesera, Vice Président du MRND pour la préfecture de Gisenyi, dans un discours
prononcé le 22 novembre 1992. Diffusé sur la Radio d’Etat et s’adressant ainsi à une public
beaucoup plus large, le discours de Léon Mugesera, a incité, dès cette époque, à exterminer la
population Tutsi et ses « complices ».
5.9
En 1993, dans le but de défendre l’idéologie hutu extrémiste et de promouvoir le
recours à l’incitation à la haine et à la peur face à la minorité Tutsi, Jean-Bosco Barayagwiza,
Ferdinand Nahimana, Félicien Kabuga, André Ntagerura, Joseph Nzirorera, Joseph
Serugendo et Simon Bikindi se sont entendus entre eux et avec d’autres, pour créer une
société anonyme dénommée RTLM S.A. afin notamment, d’exploiter une station de
radiodiffusion RTLM. En tant que Rédacteur en Chef, Hassan Ngeze a salué la création de la
RTLM dans le journal Kangura, comme la naissance d’un partenaire dans la lutte pour
l’unification des hutu. Hassan Ngeze et le journal Kangura sont devenus actionnaires de la
RTLM.
5.10 Depuis sa création, une collaboration étroite a été établie entre la RTLM et le journal
Kangura en matière d’incitation à la haine ethnique et de préparation des listes avec de noms
des membres de la population Tutsi et des Hutu modérés a exterminer. Par exemple, le
Rédacteur en Chef Hassan Ngeze était le correspondant de la RTLM à Gisenyi, Hitimana
Noel d’abord journaliste à Kangura, est devenu l’un des journalistes les plus vigilants de la
RTLM. Certains journalistes de la RTLM ont publié dans le journal Kangura des articles
incitants à la haine et à la violence ethniques. La RTLM annonçait dans ses émissions chaque
édition de Kangura.
5.11. De plus, en 1993, à Nyamirambo, en tant que membre de la CDR et actionnaire actif
de la RTLM, Hassan Ngeze a participé à une réunion de levée de fonds au profit de la RTLM
organisée par le MRND. Lors de cette réunion, Félicien Kabuga en présence de Jean-Bosco
Barayagwiza, Férdinand Nahimana, Froduald Karamira, Justin Mugenzi, Mathieu
Ngirumpatse et les journalistes Kantano Habimana, Valerie Bemeriki, Noel Hitimana,
Gaspard Gahigi et d’autres, a publiquement défini l’objectif de la RTLM comme étant la
défense du « Hutu Power ». Par n’a pas s’opposé à cette réunion, Hassan Ngeze a donné son
support à « Hutu Power ».
5.12. Le Journal Kangura et la RTLM menaient campagne contre les Accords d’Arusha.
Ces Accords prévoyaient un partage du pouvoir avec la minorité tutsi et rejetaient toute
idéologie fondée sur l’appartenance ethnique. Les attaques de Kangura ciblait
particulièrement le représentant du Gouvernement à la table de négociations, Ministre des
Affaires Étrangères, Boniface Ngulinzira. Le journal Kangura dans un article a publié que, ce
que Ngulinzira appelle Accords d’Arusha, n’est qu’une complicité avec l’ennemi. Le 11 avril
1994, Boniface Ngulinzira était assassiné par les militaires. La RTLM a annoncé sa mort en
ces termes : « nous avons exterminé tous les complices du FPR, M. Boniface Ngulinzira n’ira
plus vendre le pays au profit du FPR à Arusha. Les Accords de paix ne sont plus que des
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chiffons de papier comme l’avait prédit notre papa Habyarimana ». La presse extrémiste
annonçait que Boniface Ngulinzira a vendu le pays.
5.13 Entre la fin de 1993 et début de 1994, Hassan Ngeze, Jean-Bosco Barayagwiza, et
d’autres membres de la CDR, ont organisé des manifestions à Gisenyi pour protester contre
les Accords d’Arusha.
5.14 En Avril, Mai et Juin 1994, Hassan Ngeze a été interviewé sur la RTLM et Radio
Rwanda. Au cours de ces entretiens, il a appelé à l’extermination des tutsi et des hutu de
l’opposition. Il a également défendu l’idéologie extrémiste hutu de la CDR.
5.15 De plus, des membres du gouvernement et des partis politiques ont utilisé les média
pour inciter au massacre de la population tutsi et de hutu modérés. Notamment, le 21 avril
1994, le premier ministre du gouvernement intérimaire Jean Kambanda a déclaré que la
RTLM étaient « une arme indispensable pour combattre l’ennemi ».
5.16 Entre janvier et avril 1994 dans la Préfecture de Gisenyi, Hassan Ngeze distribuait
des tracts menaçant les membres de la population tutsi et les qualifiant de Inyenzi. Certains
de ces tracts ont été envoyés par Jean-Bosco Barayagwiza, Président du Comité régional de la
CDR pour la Préfecture de Gisenyi.
5.17 Pendant la même période, Hassan Ngeze incitait les jeunes membres de la CDR, à
éliminer la population tutsi.
Les milices, l’entraînement et la distribution d’armes
5.18 Afin de s’assurer qu’à terme, l’extermination de l’ennemi et de ses « complices » se
ferait rapidement et efficacement, il était nécessaire de constituer une milice, structurée,
armée et complémentaire des Forces Armées. Dès 1993 et même avant, dans un souci de
radicalisation des mouvements de jeunesse, des personnalités politiques en collaboration avec
des officiers des FAR, ont décidé de faire suivre aux éléments les plus dévoués à leur cause
extrémiste et à d’autres jeunes désoeuvrés, un entraînement militaire. En outre, des armes leur
ont été distribuées.
5.19 Entre juin 1993 et juillet 1994 dans la préfecture de Gisenyi, les miliciens ont suivi un
entraînement militaire et ont reçu des armes distribuées entre autre par Hassan Ngeze, JeanBosco Barayagwiza.
5.20 Ainsi, à la veille de l’écrasement de l’avion de Président, Hassan Ngeze, dans la
préfecture de Gisenyi a utilisé sa voiture pour distribuer des armes.
5.21 Vers la fin 1993, dans une lettre ouverte diffusée sur les ondes de la Radio Nationale,
l’évêque du diocèse de Nyundo, préfecture de Gisenyi, a dénoncé la distribution d’armes
dans cette préfecture.
Confection et distribution des listes
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5.22 Après avoir identifié le Tutsi comme étant l’ennemi principal et les membres de
l’opposition comme ses complices, des autorités civiles, des personnalités politiques et des
miliciens ont dressé des listes de personnes à exécuter. En 1993, à l’instigation de Jean-Bosco
Barayagwiza, des listes portant les noms des tutsi et des hutu modérés à éliminer ont été
élaborés par les bourgmestres et des conseillers des secteurs dans la préfecture de Gisenyi.
5.23 Hassan Ngeze participait dans la distribution de ces listes dans la Préfecture de
Gisenyi et connaissait que les personnes qui figuraient sur les listes seront tuées.
5.24 Entre janvier et juillet 1994, des personnes nommément désignées comme ennemis
ont été diffusées par la RTLM. En tant qu’informateur de la RTLM à Gisenyi, Hassan Ngeze
a envoyé à la RTLM le nom d’un individu de Gisenyi, qui a été diffusé par cette radio en
avril 1994.
5.25 Entre janvier et décembre 1994, le journal Kangura a publié des listes avec des noms
des membres de la population Tutsi et Hutu modérés à éliminer.
5.26 Du 7 avril à la fin juillet 1994, des militaires et des miliciens ont perpétré des
massacres de membres de la population Tutsi et des Hutu modérés, entre autres à l’aide de
listes pré-établies et des noms diffusés à la RTLM et publiés dans le journal Kangura.
Antécédents révélant une conduite délibérée
5.27 La violence ethnique et politique du début des années 90 a été caractérisée par
l’utilisation des éléments de la stratégie qui allait connaître son aboutissement avec le
génocide de 1994. Les massacres de la minorité Tutsi perpétrés à cette époque, tels que ceux
de Kibilira (1990), du Bugesera (1992), ainsi ceux perpétrés contre les Bagogwe (1991), ont
été suscités, facilités et organisés par des autorités civiles et militaires. À chaque occasion une
campagne d’incitation à la violence ethnique menée par des autorités locales a été suivie de
massacres de la minorité Tutsi, perpétrés par des groupes de miliciens et de civils, armés et
aidés par ces mêmes autorités et certains militaires. À chaque occasion, ces crimes sont
demeurés impunis et les autorités impliquées n’ont généralement pas été inquiétées.
5.28 Hassan Ngeze en collaboration avec Jean-Bosco Barayagwiza et d’autres, ont planifié
en 1991 les tueries des Bagogwe Tutsi dans la commune de Mutura, préfecture de Gisenyi.
Ils ont distribué des armes et de l’argent aux miliciens Interahamwe et Impuzamugambi qui
ont commis les massacres.
5.29 À la même époque, Hassan Ngeze a participé aux réunions présidées par Jean-Bosco
Barayagwiza ou autres, aux cours desquelles, ces derniers ont incité les milices et la
population civile à tuer les Tutsi. Suite a ces réunions des Tutsi ont été attaqués et tués.
Modus Operandi
5.30 Finalement, dès le 7 avril 1994, sur tout le territoire du Rwanda, des Tutsi et certains
Hutu modérés, pour échapper à la violence dont ils étaient victimes sur leurs collines, ont
commencé à fuir leurs maisons pour chercher refuge dans des endroits où traditionnellement
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ils s’étaient sentis en sécurité, notamment des églises, des hôpitaux et d’autres édifices
publics comme les bureaux communaux et préfectoraux. À plusieurs occasions, des endroits
de rassemblement leur avaient été indiqués par des autorités locales qui avaient promis de les
protéger. Durant les premiers jours, les réfugiés ont été protégés par quelques gendarmes et
policiers communaux dans ces différents endroits, mais par la suite, systématiquement, les
réfugiés ont été attaqués et massacrés par des miliciens, souvent aidés par ces mêmes
autorités qui avaient promis de les protéger.
5.31 De plus, des militaires, des miliciens et des gendarmes ont commis des viols, des
agressions sexuelles et d’autres crimes de nature sexuelle à l’encontre de certaines femmes et
jeunes filles Tutsi et ce parfois après les avoir enlevées.
EXPOSE SUCCINCT DES FAITS : JOURNAL KANGURA
6.1
Le journal Kangura a été créé en 1990, pour défendre et promouvoir l’idéologie hutu
extrémiste et pour unir tous les Hutu pour « guérir » le Rwanda. Ses fondateurs étaient des
personnes de l’entourage du Président Habyarimana, dont certains militaires, Anatole
Nsengiyumva, Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, Nzirorera Joseph et d’autres.
Hassan Ngeze est devenu rédacteur en chef du journal.
6.2
Avant de devenir rédacteur en chef de Kangura. Hassan Ngeze était le correspondant
et distributeur à Gisenyi pour un autre Journal Kanguka. Kanguka était un journal qui
exprimait des idées anti-ethnistes, critiquait le régime en place et notamment les militaires.
Son rédacteur en chef a été arrêté et mis en prison.
6.3
Les éditions du Kangura ont commencé en mai 1990. Le premier numéro a été
entièrement financé par le service de renseignements de la présidence. Les journaux ont été
distribués sur tout le territoire du Rwanda et spécialement dans les centres intellectuels du
pays, notamment Kigali et Butare, jusqu’au décembre 1994. Dans un grand nombre de
communes, le journal a été distribué par les militaires, les bourgmestres et les conseillers des
secteurs. Le journal a été publié en Kinyarwanda, avec des extraits en français. Sa version
internationale a été publiée entièrement en français.
6.4
Le journal Kangura a été imprimé par l’Imprimerie Nationale du Rwanda et financé
dans sa grande partie par certains commerçants de Gisenyi, et par la Présidence.
CONTENU ET EFFET DES PUBLICATIONS DU KANGURA
6.5
Le journal Kangura publiait des articles et des caricatures divisionnistes, appelait à la
haine ethnique et publiait les noms et les photos des personnes considérées comme les
complices de l’ennemi. Certain de ces articles portaient la signature de Hassan Ngeze, Noel
Hitimana, et d’autres Journalistes.
6.6
En tant que rédacteur en chef de Kangura, Hassan Ngeze travaillait en proche
collaboration avec Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza lors de la préparation
des articles publiés dans le journal. L’éditorial du premier numéro a été préparé par des
militaires tel Anatole Nsengiyumva et portait la signature de Hassan Ngeze.
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6.7
En décembre 1990, Kangura a publié l’ « Appel à la conscience des Bahutu », dont les
« Dix commandements » sont un appel au mépris et à la haine de la minorité tutsie, mais de
même une diffamation et une persécution à l’encontre des femmes Tutsis. Les Dix
commandements stipulaient par exemple que : « Tout muhutu doit savoir que Umututsikazi
ou qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent est traitre tout Muhutu
qui épouse une mututsikazi et qui fait d’une Umututsikazi sa concubine. »
6.8
En décembre 1990, Kangura s’est félicité des changements extrémistes dans les
émissions de Radio Rwanda, sous la direction de Ferdinand Nahimana, le nouveau Directeur
de l’ORINFOR. Pour Kangura, cette radio est devenue « La voix du peuple qui dit la vérité et
qui fait peur aux Inkontanyi et leurs complices. »
6.9
En outre, avant Décembre 1994, le journal publiait des articles incitant la population
et les milices à la haine et à la violence ethniques en s’attaquant à la population Tutsi et aux
opposants politiques de la CDR et notamment les Hutu modérés, en utilisant des expressions
telles que : « effacer l’ennemi à l’intérieur », « empêcher les Inyenzi à nous ramener sous le
régime monarchique », « la minorité est la viande pour les corbeaux ».
6.10 Dès les premières éditions de Kangura, des listes comportant les noms des personnes,
membres de la population Tutsi et des hutu modérés ont été publiées dans ce journal. Les
mêmes noms étaient publiés et diffusés plus tard par la RTLM pour inciter les populations
contre les personnes concernées.
6.11 En décembre 1990, Kangura n° 7 a publié une lettre signée par le Préfect du Kigali,
Renzaho Tharcisse, et adressée au Président, avec les noms et les lieux d’habitations des
commerçants à persécuter, de même les membres de leurs familles.
6.12 En février 1993, Kangura a publié une liste avec les noms des jeunes gens de
Cyangugu et les noms de leurs parents, qui ont rejoint les « Inkontanyi », incitant la
population de se défendre contre ceux qui au coup de fusil et de compléter la liste avec
d’autres personnes.
6.13 De même, Kangura incitait contre les citoyens Belges, les représentants de l’ONU
dans le pays, et contre les Accords d’Arusha, qui « justifiaient » leur présence dans le pays.
6.14 Depuis sa création en décembre 1994, Kangura a publié des interviews, des messages
et des discours de personnalités politiques et gouvernementales qui incitaient à exterminer les
Tutsi et les Hutu modérés.
6.15 Entre 1990 et 1994, Kangura identifiait les communes et les préfectures où les Tutsi
habitaient, et demandait à la population de les exterminer. Plusieurs de ces endroits ont été
attaqués et les Tutsi qui s’y trouvaient massacrés. Dans certains cas, Kangura identifiait
certaines personnes qualifiées de complices et demandait aux miliciens de les retrouver et de
les exécuter.

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6.16 Suite aux messages et discours d’incitation et d’encouragement à la violence et à
haine ethnique visés aux paragraphes 6.1 à 6.16 ci-dessus, de nombreux membres de la
population tutsi, ainsi que des hutu modérés et certains citoyens belges ont été éliminés.
CONTROLE des EDITIONS
6.17 Entre janvier et décembre 1994, Hassan NGEZE en tant que Rédacteur en chef,
exerçait une autorité et un contrôle sur le journal Kangura.
6.18 De plus, durant la période Janvier à Décembre 1994, Hassan NGEZE savait ou avait
des raisons de savoir que les articles publiés dans le journal Kangura incitaient, aidaient et
encourageaient la population et les milices à exterminer tous les Tutsis et à éliminer les Hutus
modérés et les citoyens belges, et n’a pas pris des mesures raisonnables pour empêcher ces
actes ou punir ces subordonnés tel que Noel Hitimana, Nabantu Sibomana, Simbisi Stanisilas
et autres Journalistes
6.19 De plus entre Janvier à Décembre 1994, Hassan Ngeze, savait ou avait des raisons de
savoir que les articles, discours ou interviews publiés dans le journal Kangura, ont eu pour
résultat des massacres généralisés de la population Tutsi et l’assassinat de nombreux Hutu
modérés, et de certains citoyens belges.
7.

EXPOSE SUCCINCT DES FAITS : AUTRES VIOLATIONS DU DROIT
INTERNATIONAL HUMANITAIRE

7.1
À partir du 7 Avril 1994, des massacres de la population Tutsi et l’assassinat de
nombreux opposants politiques ont été commis sur tout le territoire du Rwanda. Ces crimes
planifiés et préparés de longue date par des personnalités civiles et militaires partageant
l’idéologie hutu extrémiste ont été perpétrés par des miliciens, des militaires et des
gendarmes suivant les ordres et les directives de certaines de ces autorités, dont Hassan
NGEZE.
7.2
Préfecture d’origine du défunt Président, Juvénal Habyarimana, Gisenyi est située au
nord-ouest du Rwanda. Depuis le coup d’Etat de 1973, elle est le bastion du Mouvement
Républicain National pour la Démocratie et le Développement (MRND) et de la Coalition
pour la Défense de la République (CDR). Plusieurs personnalités civiles et militaires
partageant l’idéologie Hutu extrémiste sont originaires de cette préfecture. Depuis 1990, elle
a été le théâtre de nombreuses tensions et violences inter-ethniques entraînant la mort de
nombreux Tutsi. Ce fut le cas en 1991 avec les Bagogwe. Au début de juin 1994, le
Gouvernement Intérimaire s’est installé à Gisenyi.
7.3
Avant avril 1994, en compagnie de Hassan Ngeze, Jean-Bosco Barayagwiza avait
tenu des réunions et a donné des directives à ses subordonnés, en vue de préparer des listes de
Tutsi à éliminer, et d’inciter les miliciens à tuer les Tutsis le moment venu. Ces directives ont
été transmises aux responsables Interahamwe-MRND et aux Impuzamugambi-CDR par
Hassan Ngeze et Sanvura Barnabé.

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7.4
À partir du 7 avril 1994, à Gisenyi, des membres de la CDR, dont Hassan Ngeze, des
miliciens et des militaires ont fait ériger des barrières, ont distribué des armes, ont incité, aidé
et encouragé la population à exterminer les Tutsi et à éliminer les Hutus modérés.
7.5
Suivant ces événements, les miliciens dans la préfecture de Gisenyi ont été érigés des
barrages. Hassan Ngeze, leader d’interhamwe, utilisait sa voiture afin d’inspecter les barrages
ou les Tutsi et leurs « complices » étaient identifiés, tués sur place ou conduits à la
« Commune Rouge » pour exécution. Les Tutsi ont été transportés par les Interahamwe et
leur chef Hassan Ngeze à la commune Rouge. À la « Commune Rouge », avant d’être tués,
les tutsi ont été obligés de se déshabiller. Hassan Ngeze était présent lors de ces actes.
7.6
Hassan Ngeze participait dans les tueries des Tutsi, à la Commune Rouge. Il
supervisait les fosses communes, félicitait les Interahamwe pour leur « bon travail » et les
encourageait de continuer les tueries.
7.7
De même en mai 1994, au stade de Gisenyi, Hassan NGEZE en companie de Wellars
Banzi et Mathias Nyagasza, a organisé une réunion avec la population et les Interahamwe
pour collecter de l’argent pour acheter des armes et des munitions pour les Interahamwe et
les militaires, d’après les instructions données par Félicien Kabuga lors d’une réunion
organisée à l’hôtel Méridien.
7.8
Le 10 avril 1994, Hassan Ngeze, a tiré une balle dans les côtes d’une jeune fille Tutsi.
Mourante, la fille a été achevée à coups de pierres par les Interahamwe qui accompagnaient
Hassan Ngeze et dont il était le responsable. Après cet acte, Hassan Ngeze a donné l’ordre
aux Interahamwe de commencer des fouilles à la recherche des inyenzi.
7.9
Le 21 avril 1994, dans la ville de Gisenyi, Hassan Ngeze a donné l’ordre aux
Interahawme de tuer Modeste Tabaro, un Tutsi, et membre d’un parti politique de
l’opposition.
7.10 Entre avril et juillet 1994, Hassan Ngeze, un des chefs des Interahamwe à Gisenyi,
incitait ceux-ci à commettre des viols et des agressions sexuelles sur le territoire de la
Préfecture.
7.11 Entre avril et juillet 1994, dans la préfecture de Gisenyi, les groupes de miliciens les
plus actifs, dirigés par des responsables de la CDR, dont Hassan Ngeze et Mabuye
Twagirayezu, et du MRND, dont Bernard Munyagishari et Omar Serushago, ont traqué,
enlevé et tué plusieurs membres de la population Tutsi et des Hutu modérés de Gisenyi. De
plus, beaucoup de maisons des tutsi ont été pillées, détruites ou incendiées par les
Interahamwe.
7.12 Durant toute cette période d’avril à juillet 1994, Hassan Ngeze savait ou avait des
raisons de savoir que ses subordonnés, notamment les miliciens de la CDR et du MRND, ont
commis des massacres généralisés de la population Tutsi et de nombreux Hutu modérés, mais
il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher leurs actes ou les punir.

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RESPONSABILITE
7.13 D’avril à juillet 1994, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été massacrées
sur le territoire du Rwanda. La plus part des victimes ont été tuées pour la seule raison
qu’elles étaient des Tutsi ou ressemblaient à des Tutsi. Les autres victimes surtout des hutu,
ont été tuées parce qu’elles étaient qualifiées de complices des Tutsi, liées à ces derniers par
mariage ou opposées à l’idéologie Hutu extrémiste.
7.14 Les massacres perpétrés furent le résultat d’une stratégie adoptée et élaborée par des
autorités politiques, civiles et militaires du pays dont Hassan Ngeze, Jean-Bosco
Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, qui se sont entendus pour exterminer la population Tutsi.
7.15 Hassan Ngeze, dans sa position d’autorité, en agissant de concert avec notamment
Jean-Bosco Barayagwiza, Férdinand Nahimana, Omar Serushago, Bernard Munyagashari,
Mabuye Twagirayezu et Barnabe Sanvura, a participé à la planification, à la préparation ou à
l’exécution d’un plan, d’une stratégie ou d’un dessein commun, afin de perpétrer les atrocités
énoncées ci-dessus. Ces crimes ont été perpétrés par lui-même ou par des personnes qu’il a
aidées, ou par ses subordonnés, dont les miliciens et les journalistes de journal Kangura, qui
ont agi sous ses ordres alors qu’il en avait connaissance ou y consentait.
8.

LES CHEFS D’ACCUSATION

PREMIER CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6(1), selon les paragraphes : 5.1, 5.2,
5.3, 5.4, 5.5, 5.6, 5.7, 5.9, 5.10, 5.11, 5.12, 5.13, 5.16, 5.18, 6.1,
6.3, 6.5, 6.6, 7.1, 7.3, 7.4, 7.13, 7.14, 7.15

s’est entendu avec Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Sanvura Barnabé, André
Ntagerura, Joseph Nzirorera, Froduald Karamira, Bernard Munyagahsri, Omar Serushago et
d’autres pour tuer et porter des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres
de la population tutsi dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou
racial, et a de ce fait commis le crime d’ENTENTE EN VUE DE COMMETTRE LE
GÉNOCIDE tel que prévu à l’article 2(3)(b) du Statut du tribunal pour lequel il est
individuellement responsable en vertu de l’article 6(1) et punissable en vertu des articles 22 et
23 du Statut.
DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessus :

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HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6 paragraphe 1, selon les paragraphes :
5.1, 5.18, 5.19, 5.20, 5.21, 5.22, 5.23, 5.24, 5.25, 5.26, 5.30, 7.1,
7.5, 7.6, 7.7, 7.8, 7.9, 7.11, 7.13, 7.14, 7.15
conformément à l’article 6(3), selon les paragraphes : 7.3, 7.4,
7.5, 7.6, 7.8, 7.9, 7.12, 7.13, 7.14, 7.15

est responsable de meurtre et d’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres
de la population tutsi dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou
racial et ont de ce fait, commis le crime de GÉNOCIDE tel que prévu à l’article 2(3)(a) du
Statut du Tribunal pour lequel il est individuellement responsable en vertu de l’article 6 du
Statut et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6(1), selon les paragraphes : 5.1, 5.7,
5.9, 5.10, 5.11, 5.16, 5.19, 5.23, 6.15, 6.16, 7.1, 7.7, 7.8, 7.12,
7.13, 7.14, 7.15
conformément à l’article 6(3), selon les paragraphes : 7.1, 7.3,
7.4, 7.5, 7.6, 7.11, 7.12, 7.13, 7.14, 7.15

est responsable de meurtres et d’atteintes graves à l’intégrité physique et mentale de membres
de la population tutsi dans l’intention de détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou
racial et a de ce fait commis le crime de COMPLICITÉ DANS LE GÉNOCIDE tel que
prévu à l’article 2(3)(e) du Statut du tribunal pour lequel il est individuellement responsable
en vertu du Statut et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.

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QUATRIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par les actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6(1), selon les paragraphes : 5.1, 5.10,
5.12, 5.13, 5.14, 5.17, 5.29, 6.1, 6.5, 6.6, 6.9, 6.10, 6.13, 6.14,
6.15, 7.10
conformément à l’article 6(3), selon les paragraphes : 5.2, 5.5,
6.5, 6.7, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.12, 6.13, 6.14, 6.15, 6.17, 6.18,
6.19

est responsable d’incitation directe et publique à commettre le meurtre et des atteintes graves
à l’intégrité physique et mentale de membres de la population tutsi dans l’intention de
détruire en tout ou en partie ce groupe ethnique ou racial et a de ce fait commis le crime
D’INCITATION DIRECTE ET PUBLIQUE A COMMETTRE LE GÉNOCIDE tel que
prévu à l’article 2(3)(c) du Statut du Tribunal pour lequel il est individuellement responsable
en vertu de l’article 6 du Statut et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
CINQUIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par des actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6(1), selon les paragraphes : 5.1, 5.23,
5.26, 7.6, 7.7, 7.8, 7.9, 7.11, 7.13, 7.14, 7.15,
conformément à l’article 6(3), selon les paragraphes : 5.1, 6.15,
6.17, 6.18, 6.19, 7.6, 7.7, 7.8, 7.9, 7.11, 7.13, 7.14, 7.15

est responsable d’assassinats de personnes dans le cadre d’une attaque systématique et
généralisée contre une population civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou
raciale et a de ce fait commis un CRIME CONTRE L’HUMANITE, tel que prévu à
l’article 3(a) du Statut du Tribunal pour lequel il est individuellement responsable en vertu de
l’article 6 du Statut et punissables en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
SIXIÈME CHEF D’ACCUSATION :
Par des actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6(1), selon les paragraphes : 5.23, 5.24,
5.25, 5.26, 6.11, 6.17, 6.18, 6.19, 7.13, 7.14, 7.15

Jugement et Sentence
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Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

conformément à l’article 6(3), selon les paragraphes : 5.1, 5.22,
5.23, 5.24, 5.25, 6.7, 6.8, 6.9, 6.10, 6.11, 6.17, 6.18, 6.19, 7.13,
7.14, 7.15,
est responsable de persécutions de personnes dans le cadre d’une attaque systématique et
généralisée contre une population civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou
raciale et a de ce fait commis un CRIME CONTRE L’HUMANITE, tel que prévu à
l’article 3(h) du Statut du Tribunal pour lequel il est individuellement responsable en vertu de
l’article 6 du Statut et punissables en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
SEPTIÈME CHEF D’ACCUSATION
Par des actes et omissions décrits aux paragraphes 5.1 à 7.15 et plus particulièrement aux
paragraphes référencés ci-dessous :
HASSAN NGEZE :

conformément à l’article 6(1), selon les paragraphes : 5.1, 5.23,
5.25, 5.26, 6.16, 7.1, 7.3, 7.4, 7.5, 7.6, 7.8, 7.11, 7.13, 7.14, 7.15
conformément à l’article 6(3), selon les paragraphes : 5.1, 5.25,
6.15, 6.17, 6.18, 6.19, 7.1, 7.3, 7.4, 7.5, 7.6, 7.8, 7.10, 7.11, 7.12,
7.13, 7.14, 7.15

est responsable d’extermination de personnes dans le cadre d’une attaque systématique et
généralisée contre une population civile, en raison de son appartenance politique, ethnique ou
raciale et a de ce fait commis un CRIME CONTRE L’HUMANITE, tel que prévu à
l’article 3(b) du Statut du Tribunal pour lequel il est individuellement responsable en vertu de
l’article 6 du Statut et punissable en vertu des articles 22 et 23 du Statut.
10 novembre 1999
Kigali

Pour le Procureur
[Signé]
N. Sankara Menon
Avocat Général Principal

Jugement et Sentence
CI03-0069 (F)
Traduction certifiée par la SSL du TPIR

3 décembre 2003
432

Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

ANNEXE II
LISTE DES ABRÉVIATIONS

1.

Décisions du TPIR

Jugement Akayesu

Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-T, Chambre de
première instance I, 2 septembre 1998

Arrêt Akayesu

Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-A,
1er juin 2001

Jugement Bagilishema

Le Procureur c. Ignace Bagilishema, affaire n° ICTR-95-1A-T,
Chambre de première instance I, 7 juin 2001

Arrêt Bagilishema

Le Procureur c. Ignace Bagilishema, affaire n° ICTR-95-1A-A, Motifs
de l’arrêt [du 3 juillet 2002], 13 décembre 2002 (Motifs de l’arrêt exposés
oralement le 3 juillet 2002)

Jugement Kambanda

Le Procureur c. Jean Kambanda, affaire n° ICTR-97-23-S, Chambre de
première instance I, Jugement et sentence, 4 septembre 1998

Arrêt Kambanda

Le Procureur c.
19 octobre 2000

Jugement Musema

Le Procureur c. Alfred Musema, affaire n° ICTR-96-13-T, Chambre de
première instance I, Jugement et sentence, 27 janvier 2000

Arrêt Musema

Le Procureur c.
16 novembre 2001

Jugement Niyitegeka

Le Procureur c. Eliézer Niyitegeka, affaire n° ICTR-96-14-T, Chambre
de première instance I, Jugement et sentence, 16 mai 2003

Jugement Ntakirutimana

Le Procureur c. Elizaphan et Gérard Ntakirutimana, affaires n° ICTR96-10-T et ICTR-96-17-T, Chambre de première instance I, Jugement et
sentence, 21 février 2003

Jugement Ruggiu

Le Procureur c. Georges Ruggiu, affaire n° ICTR-97-32-I, Chambre de
première instance I, Jugement et sentence, 1er juin 2000

Jugement Semanza

Le Procureur c. Laurent Semanza, affaire n° ICTR-97-20-T, Chambre de
première instance III, Jugement et sentence, 15 mai 2003

Jugement et Sentence
CI03-0069 (F)
Traduction certifiée par la SSL du TPIR

Jean

Alfred

Kambanda,

Musema,

affaire

affaire





ICTR-97-23-A,

ICTR-96-13-A,

3 décembre 2003
433

Le Procureur c. Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, affaire no ICTR-99-52-T

2.

Décisions du TPIY

Jugement Bla{ki}

Le Procureur c. Tihomir Bla{ki}, affaire n° IT-95-14, Chambre de
première instance I, 3 mars 2000

Jugement Delali}

Le Procureur c. Zejnil Delali}, Zdravko Muci}, Hazim Deli} et Esad
Landžo, affaire n° IT-96-21, 16 novembre 1998

Arrêt Delali}

Le Procureur c. Zejnil Delali}, Zdravko Muci}, Hazim Deli} et Esad
Landžo, affaire n° IT-96-21, 20 février 2001

Jugement Krnojelac

Le Procureur c. Milorad Krnojelac, affaire n° IT-97-25, Chambre de
première instance II, 15 mars 2002

Jugement Krsti}

Le Procureur c. Radislav Krsti}, affaire n° IT-98-33, Chambre de
première instance I, 2 août 2001

Jugement Tadi}

Le Procureur c. Du{ko Tadi}, affaire n° IT-94-1-T, Jugement et opinion
individuelle dissidente, 7 mai 1997

Arrêt Tadi}

Le Procureur c. Du{ko Tadi}, affaire n° IT-94-1-A, 15 juillet 1999

Jugement Todorovi}

Le Procureur c. Stevan Todorovi}, affaire n° IT-95-9/1, Chambre de
première instance I, Jugement portant condamnation, 31 juillet 2001

Jugement Vasiljevi}

Le Procureur c. Mitar Vasiljevi}, affaire n° IT-98-32-T, Chambre de
première instance II, 29 novembre 2002

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Jugement et Sentence
CI03-0069 (F)
Traduction certifiée par la SSL du TPIR

3 décembre 2003
434

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