Citation
1994, c'était il y a trente ans. C'est vertigineux, mais il faut au moins ce temps-là, des lectures, un parcours, des rencontres, de l'expérience, une enquête, pour pouvoir écrire le premier paragraphe d'un livre important qui raconte comment des enfants, des adolescents, sont sauvés du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda, à la faveur d'un convoi humanitaire. Au-delà de ce seul récit, et de ses nombreuses implications, il s'y tisse une réflexion sur les images, la mémoire et la transmission de celle-ci. Beata Umubyeyi Mairesse est notre invitée pour nous parler de son livre Le convoi paru aux éditions Flammarion.
Dans son livre, Beata Umubyeyi Mairesse se place d’emblée du côté de l'image manquante, ou plutôt des images dont, au départ, elle ne sait pas exactement quoi faire. Pendant tout le chemin que relate le livre, il s'agit de se réapproprier ses images, parfois d'en changer la légende, dans tous les sens du terme, de leur adjoindre des voix et des récits, et de réfléchir à leur production et leurs circulations. Qui se souvient ? Qui parle ? Qui raconte ? Qui était là ? Qui n'était pas là ? Et finalement, qu'est-ce qui demeure de l'héritage colonial et raciste dans la manière dont le génocide contre les Tutsi au Rwanda a été documenté ?
Un travail comme une enquête
Beata Umubyeyi Mairesse nous explique sa quête d'images : "A un moment donné, j’ai pris conscience que je n’étais pas la seule à rechercher ces photos. Au début j’ai cru que c’était presque une lubie d’intellectuelle occidentalisée, et puis j’ai rencontré d’autres enfants qui m’ont dit qu’ils cherchaient eux aussi des photos. Au départ, je voulais transmettre celles sur lesquelles je n’étais pas, et je me suis dit que plus j’allais en trouver, plus je pourrai documenter ces moments, puisqu’il y a eu plusieurs convoi, et les remettre à celles et ceux qui souhaitent les avoir et peut être les transmettre à leurs enfants et petits-enfants. Quelque part, c’est un vrai travail d’histoire, qui n’est pas fait par une historienne mais par une survivante."
La note vocale
La question de Ludivine@lecture_du_chapitre à Beata Umubyeyi Mairesse : -"Dans votre livre, j’ai été particulièrement ébahie par le pouvoir de la photo et des questions qui vont en découler. A mon sens, c’est le but de votre livre, plus que de raconter comment vous avez pu fuir le Rwanda. Du coup, je voulais savoir, par rapport au pouvoir que peuvent avoir ces photos, est-ce que vous souhaiteriez faire bouger les choses, afin que l’on prenne conscience de leur pouvoir et s’interroge sur le droit de regard, notamment quand elles s’inscrivent dans un contexte historique fort ?
"
Beata Umubyeyi Mairesse évoque sa démarche : "Effectivement, pour moi, j'ai l'espoir que les choses puissent bouger. C'est un livre que j'aurais presque envie d'emmener dans les écoles de journalisme. Il y a vraiment cette idée du fait que toutes les photos, à l'époque, ont été prises par des Occidentaux, pour des Occidentaux. Donc qu'est-ce que ça veut dire de notre place à nous, qui sommes uniquement réifiés, des objets à qui on ne demande même pas de légender ces images qui nous représentent. Il est vraiment important aujourd'hui de pouvoir se poser la question de qui raconte quoi ? A qui ? Et comment chacun, chacune à notre niveau, peut être acteur de sa vie, et être aux manettes quand il s’agit de se raconter ? C’est cette réflexion que j’apporte aux jeunes.
"
Archive
Georges Didi-Huberman, émission Charivari, France Inter, 29/01/2004
Références musicales
Corneille, Parce qu’on vient de loin
Alva Noto, Unwohl
Alva Noto, Avaol
Jean de Dieu Rwamihare, dit Bonhomme, pendant son concert au mémorial de la shoah, 2019
Retrouvez-nous sur Twitter via le hashtag #bookclubculture et sur Instagram à l'adresse @bookclubculture_Et sur le site de l’émission en cliquant sur l’enveloppe Contacter l’émission, ou par mail : lebookclub@radiofrance.com.