Dans le hall du Palais de justice de Paris, Alain et Dafroza Gauthier patientent calmement. Ce couple de retraités est venu suivre le procès d’un génocidaire rwandais, l’ancien gendarme Pierre Hategekimana, condamné fin juin à la perpétuité (il a fait appel). Depuis plus de vingt ans, Alain et Dafroza Gauthier pourchassent les génocidaires rwandais réfugiés sur le sol français. Ce 28 juin, le fondateur et la fondatrice du Collectif des parties civiles du Rwanda (CPCR) ont obtenu une sixième condamnation (trois ont fait appel) sur trente-cinq dossiers.
Leur combat fait l’objet d’une bande dessinée,
Rwanda, à la poursuite des génocidaires (Steinkis/Les Escales). Accompagné du dessinateur Damien Roudeau, le journaliste et documentariste Thomas Zribi a suivi le couple en 2021, entre la France et le Rwanda, le pays natal de Dafroza.
Au journaliste, Dafroza rappelle que les Tutsi⸱es ont été persécuté⸱es par les Hutu⸱es dès les années 1960. Elle raconte le massacre de son instituteur et la fuite de sa famille en 1963, son exil, plus tard, et son sentiment de culpabilité d’avoir abandonné sa famille. Puis, en 1994, tout s’écroule : alors qu’elle est à Kigali en février, que la tension monte et que des meurtres sont déjà perpétrés, sa mère l’incite à rentrer en France. Deux mois plus tard, les tueries de masse commencent et sa mère est assassinée. Dafroza va perdre presque toute sa famille.
Après le procès d’un génocidaire en Belgique, en 2001, elle et son mari – qui a été professeur au Rwanda en 1972 et a rencontré Dafroza en France quelques années plus tard – décident de monter le CPCR. Jusqu’alors, aucun procès n’avait été mené en France. Leur première plainte a visé la femme de l’ancien président, Agathe Habyarimana (elle n’a toujours pas abouti).
Tandis que la plupart des plaintes s’entassent au pôle Crimes contre l’humanité du Tribunal de grande instance de Paris (débordé), que la France refuse d’extrader les génocidaires présumé⸱es au Rwanda, leur travail d’enquête, en marge des procédures officielles, s’avère essentiel pour faire avancer les dossiers. Plusieurs fois par an, le couple se rend au Rwanda pour retrouver des victimes rescapées et recueillir leur témoignage, mais aussi celui des bourreaux, car «
eux ont tout vu », a expliqué Dafroza, lors de la présentation de l’ouvrage, le 21 septembre à Paris.
Le découragement d’Alain et Dafroza n’est jamais loin, eux qui ont sacrifié une bonne partie de leur vie familiale (ils ont trois enfants) et de leurs finances pour cette cause. L’un des procès à coûté «
150 000 euros en frais d’avocat », se souvient Alain Gauthier, «
et, au rythme actuel, on en a pour quarante ans… Beaucoup des génocidaires auront disparu sans jamais avoir été jugé⸱es ! » Pourquoi continuer ? «
La justice permet de réhabiliter les victimes, de prendre soin d’elles et de les enterrer », répond Dafroza.
À lire : Thomas Zribi et Damien Roudeau,
Rwanda, à la poursuite des génocidaires, Steinkis/Les Escales, 21 septembre 2023, 192 pages, 24 euros.
À voir : leur histoire est également portée à l’écran dans un documentaire de Thomas Zribi et Stéphane Jobert, diffusé le 16 octobre sur La Chaîne parlementaire (LCP).