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Un détenu accusé de génocide s'apprête à faire face aux membres de sa communauté lors d'une séance de jugement Gacaca, le 16 octobre 2001 à Runda (Ouest de Kigali, Rwanda). © Marco Longari / AFP
Cet article est la première publication de notre rubrique « Éclairages ». Conçue afin de faciliter l’accès à Justice Info, elle ouvre une porte d’entrée sur la justice internationale pour entrer dans la complexité de façon non compliquée.
LES RACINES DU CONFLIT RWANDAIS
Les origines de l'identité Hutu et Tutsi
Le génocide des Tutsis au Rwanda dans les années 1990 a marqué les esprits, avant de devenir une matière de travail importante pour la justice internationale. Pour le comprendre, il convient de revenir sur qui sont les Hutus et qui sont les Tutsis. "Hutu" dériverait du mot rwandais "untu" qui signifie "propriétaire du sol" ou "cultivateur". Les Hutus étaient principalement des agriculteurs. "Tutsi” est souvent interprété comme dérivant de "utusi" qui signifie "celui qui possède du bétail". Ils étaient principalement des éleveurs.
Une troisième composante de la société rwandaise sont les Twas, peuple pygmée très minoritaire mais le plus anciennement installé dans la région et vivant surtout de la cueillette.
Pouvoir et rivalités entre les deux principales communautés ethniques
Ainsi se distinguent les deux principaux groupes : le premier est associé à l’agriculture, le second à l’élevage. Ils partagent cependant la même langue, les mêmes croyances et la même culture. L’intermariage est commun. Le passage d’un groupe à l’autre est possible. Les lignages claniques peuvent également être mixtes. D’où le fait que certains chercheurs ne considèrent pas les deux groupes comme des ethnies.
Avant la période coloniale, qui démarre en 1850, les Tutsis forment cependant une élite dirigeante, notamment autour du roi, le mwami. Celui-ci ne contrôle pourtant pas l’ensemble du territoire contemporain du Rwanda : dans le nord-ouest, des chefs hutus lui disputent son autorité.
LA COLONISATION BELGE ET L’INSTRUMENTALISATION DE LA DIVISION ETHNIQUE
La division de l’Afrique et la colonisation belge
Au XIXème siècle, les puissances européennes s’intéressent aux richesses de l’Afrique. Les pays colonisateurs occupent alors plusieurs parties du continent. Afin d’y mettre de l’ordre et de régler les différends entre les puissances, la conférence de Berlin se tient de novembre 1884 à février 1885. C’est l’heure du grand partage colonial.
Les territoires africains sont attribués aux puissances coloniales en fonction de leurs possessions et de leur présence effective sur le terrain à ce moment-là, sans tenir compte des réalités ethniques, culturelles ou historiques des peuples indigènes. Le Ruanda-Urundi, qui comprend le Rwanda et le Burundi actuels, est attribué à l’empire allemand.
Après la défaite de l'Allemagne lors de la Première guerre mondiale, la Belgique obtient un mandat de la Société des Nations (organisation internationale créée dans le but de promouvoir la paix et la coopération entre les nations) pour administrer le Ruanda-Urundi.
Le système de classification et de favoritisme racial : diviser pour régner
Au Rwanda, la Belgique met en place un système de gouvernance basé sur la division ethnique et exerce un contrôle direct sur le territoire. Jugeant les Tutsis plus proches des Européens en raison de leur apparence physique présumée et de leur statut socio-économique supérieur, la Belgique les favorise. Les chefs tutsis administrent les régions et collectent les impôts, attisant les tensions avec les Hutus.
Les Belges figent les identités ethniques, jusque-là perméables, en établissant des cartes d’identification ethniques. La hiérarchisation entre les groupes n’est plus une question de statut socio-économique, elle est rigidifiée et se base sur des critères physiques tels que la taille, la forme du nez et la texture des cheveux. On devient irrémédiablement Tutsi ou Hutu par le père.
L'INDÉPENDANCE ET L’ESCALADE DE LA VIOLENCE
De 1959 à 1990 : lutte pour l’indépendance et discrimination des Tutsis
A la fin des années 1950, la volonté d’indépendance face au régime belge s’intensifie au Rwanda et s’accompagne de violences entre Hutus et Tutsis. En 1959 a lieu un premier soulèvement hutu appelé la « révolution sociale ». Des premiers pogroms anti-Tutsis ont lieu et contraignent des milliers d’entre eux à fuir en Ouganda, au Burundi ou au Congo-Kinshasa.
En 1962, la nation obtient son indépendance vis-à-vis de la Belgique. Les Hutus prennent le pouvoir. Les Tutsis sont alors marginalisés, discriminés, ou contraints à l’exil.
En juillet 1973, Juvénal Habyarimana, un général hutu, prend le pouvoir. Il impose un régime de parti unique, le MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement). Un système de quotas ethniques est fixé pour l’accès à l’éducation ou à la fonction publique.
La violence avant la guerre civile
Plusieurs vagues de massacres de Tutsis ont lieu entre 1959 et le milieu des années 60, puis à nouveau en 1972-1973. En décembre 1963 ont lieu les premiers massacres importants des Tutsis au Rwanda. Les civils tutsis étant visés en tant que tels, le terme « génocide » sera même employé dès 1964 dans la presse, notamment dans La Tribune de Lausanne qui, le 12 février 1964, titre : « Véritable génocide au Rwanda ». Aucune sanction n’est prise contre les auteurs des crimes, ouvertement soutenus par le pouvoir rwandais.
ENTRE GUERRE CIVILE ET ESPOIR DE PAIX
La guerre civile de 1990
Au cours des années 80, les Tutsis exilés réclament de plus en plus le droit de retourner dans leur pays d’origine. Une partie d’entre eux décide que ce droit doit également être obtenu par les armes. Le Front patriotique rwandais (FPR) est créé en Ouganda.
A partir de 1990 et la fin de la guerre froide, la pression s’accroît sur le régime Habyarimana pour qu’il se démocratise et trouve une solution à la question des réfugiés. En parallèle, le parti politique de Habyarimana crée les Interahamwe, des milices composées de jeunes Hutus radicalisés et utilisés pour soutenir son régime. Ils promeuvent la propagande ethnique, recrutent des membres, organisent des entraînements militaires et mènent des attaques violentes contre les Tutsis et les opposants politiques.
En octobre 1990, le FPR attaque militairement le Rwanda à partir de l’Ouganda. Les Forces armées rwandaises (FAR) stoppent, dans un premier temps, le groupe rebelle grâce à l’intervention de l’armée française. Mais la guerre civile s’installe, avec une nouvelle percée du FPR, en février 1993, dans le nord du pays, qui l’amène à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, Kigali, provoquant un massif déplacement de populations hutues à l’intérieur du pays. Le Rwanda compte alors près d'un million de déplacés, soit un septième de la population. L’offensive du FPR est à nouveau arrêtée grâce à l’appui militaire français.
Dès le début du conflit, les représailles contre la population civile tutsie font partie de la stratégie des partisans d’Habyarimana. Des arrestations massives ont lieu ainsi que de nouveaux massacres localisés. Parmi les Hutus, la peur du FPR s’enracine, attisée par une propagande de plus en plus virulente.
Simultanément, un processus de démocratisation interne se développe. Le multipartisme est rétabli et une opposition démocrate hutue conteste avec un succès grandissant le pouvoir du MRND. Démocratisation et radicalisation politique se renforcent mutuellement, sur fond de menace armée.
Les milices Interahamwe
Les milices Interahamwe sont les héritières des jeunesses du parti MRND du président Habyarimana. Elles sèment la peur lors des campagnes électorales du début des années 90 et vont être progressivement militarisées et structurées en forces paramilitaires. A partir d’avril 1994, ces milices vont se transformer en fer de lance du génocide des Tutsis.
Leur rôle est au cœur de nombreux procès tenus au Rwanda ainsi que devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), instauré par l’Onu fin 1994. Des dizaines de milliers de miliciens seront jugés par les juridictions rwandaises.
Plusieurs personnalités ont été accusées d’être impliquées dans la création, la gestion ou le soutien des milices Interahamwe : les anciens dirigeants du parti MRND, jugés par le TPIR, et l’homme d’affaires Félicien Kabuga, arrêté après 26 ans de cavale et jugé à La Haye.
Les accords de paix d’Arusha et la création d’un gouvernement de transition
L’espoir de paix naît en 1992 lorsque le président Habyarimana et le FPR conviennent de mettre un terme au conflit armé. Les négociations durent de juin 1992 à août 1993. Elles ont lieu à Arusha, en Tanzanie, et aboutissent à un plan de partage du pouvoir, comprenant une démilitarisation progressive et la création d’une nouvelle armée nationale intégrant les combattants du FPR et la facilitation du retour des réfugiés rwandais.
Des réformes politiques sont prévues avec la création d’un gouvernement de transition dirigé par l’opposition hutue. Les accords d’Arusha, comme on les appelle, prévoient aussi l’envoi de plus de 2.000 casques bleus de l’Onu et le retrait, fin 1993, de l’armée française.
La mise en place de ces accords et l’installation des forces de l’Onu font cependant l’objet de multiples obstacles et retards.
1994 : DÉBUT DU GÉNOCIDE
L'échec des accords de paix
L’installation du gouvernement de transition tarde à être mis en place et la tension ne cesse de croître dans les mois qui suivent la signature des accords d’Arusha. Les partis politiques se scindent entre partisans et opposants des accords. Les extrémistes hutus se rassemblent dans la mouvance dite « power ».
Les « médias de la haine » se propagent. Le plus célèbre d’entre eux est la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM). Kabuga, membre de la famille présidentielle et extrémiste hutu, en est le principal financier et président de son conseil d’administration. Les programmes de la RTLM, au ton moderne, attisent la tension ethnique et appellent à l’élimination des Tutsis.
De son côté, le FPR renforce son armement et est accusé de perpétrer des attentats.
L'assassinat du président Habyarimana : Un tournant fatal
Le 6 avril 1994 marque un tournant fatal. Ce soir-là, le président Habyarimana rentre à Kigali en avion, accompagné par le nouveau président burundais Cyprien Ntaryamira (un Hutu) et quelques dignitaires du régime rwandais. Alors que l’avion est sur le point d’atterrir, il est touché par deux missiles, tuant instantanément toutes les personnes à bord.
L’identité des auteurs de l’attentat n’a jamais été établie. De multiples théories ont circulé, dont les deux les plus notoires désignent les extrémistes hutus, qui auraient voulu éliminer Habyarimana jugé trop favorable au partage du pouvoir, ou le FPR, qui aurait ainsi provoqué la reprise de la guerre pour s’emparer seul du pouvoir.
L'implication de la population civile dans les massacres
Les violences débutent dans la nuit du 6 au 7 avril. Dans la matinée du 7, plusieurs des principaux dirigeants hutus et tutsis favorables aux accords de paix d’Arusha sont assassinés, ainsi que dix casques bleus belges chargés (en vain) de la protection de la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, exécutée avec son mari par la garde présidentielle.
Le génocide des Tutsis commence. Ils sont systématiquement massacrés aux barrières érigées partout dans le pays, dans les églises, sur les collines. Pendant trois mois, le pays est entraîné dans une violence inouïe. Les assaillants sont armés de machettes, de houes et de gourdins cloutés. Ils sont appuyés par les gendarmes, les policiers et les militaires. Toute la population hutue est puissamment encouragée à participer aux tueries, y compris par les autorités civiles, transformant la coutume de l’umuganda, journée de travail collectif, en devoir de tuer. La RTLM appelle directement au meurtre, guide les tueurs dans leur traque, indique les Tutsis encore vivants ou cachés. Militants des droits humains et opposants hutus sont systématiquement visés par les miliciens.
Les troupes du FPR, de leur côté, commettent aussi des crimes contre l’humanité.
Le nombre de victimes demeure controversé. Les estimations vont de 600,000 à plus d’un million de morts. Une partie considérable des Tutsis du Rwanda est exterminée dans des circonstances d’une cruauté extrême, des centaines de milliers de femmes sont violées.
Les machettes et Kabuga
Dans les mois précédant le génocide de 1994, une importation massive de machettes a eu lieu au Rwanda, qui a fait l’objet de plusieurs enquêtes judiciaires. Celles-ci sont remontées à Félicien Kabuga, soupçonné d’être un des planificateurs du génocide. Beaucoup de procureurs s’accordent sur le fait que l’importation et la distribution d’outils agricoles était une forme de préparation aux tueries, mais le TPIR a finalement buté sur l’absence de preuves tangibles établissant un lien direct entre ces importations et la préparation du crime.
Ainsi, Kabuga est accusé de génocide, complicité de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, entente en vue de commettre le génocide, crimes contre l’humanité pour persécution et extermination. Mais il n’est pas jugé pour l’importation de ces milliers de machettes. Il a été arrêté en France, en mai 2020, après 26 ans de cavale. Il est jugé devant une juridiction onusienne, le « Mécanisme », qui a pris le relais du TPIR.
Récemment, Kabuga a été jugé inapte à poursuivre son procès pour des raisons de santé. Trois options sont désormais devant la chambre d’appel : l’arrêt de la procédure, sa simple suspension, ou la conduite d’une procédure alternative inédite.
L'inaction de la communauté internationale
Face au troisième génocide officiellement reconnu au XXe siècle, l’absence de réaction de la communauté internationale a suscité des débats sans précédent. L’Organisation des Nations unies a dû faire son mea culpa sur les graves défaillances de la Mission pour l’assistance au Rwanda (Minuar), et son retrait massif dans les premières semaines du massacre. L’Union africaine a également dû instaurer une commission d’enquête. Et trois autres pays ont été particulièrement mis en cause pour leur responsabilité :
• La Belgique, déjà mise en cause pour avoir planté les graines de la haine ethnique lors de l’époque coloniale, possédait le contingent le mieux entraîné et équipé de la Minuar. Elle s’est retirée unilatéralement du Rwanda après le massacre de dix de ses casques bleus, le 7 avril 1994. Une commission d’enquête parlementaire y a décrit les responsabilités politiques belges.
• La France, principal appui politique et militaire du régime Habyarimana, a été accusée de « complicité » dans le génocide. Seule puissance à avoir opéré, fin juin 1994, une intervention armée pour officiellement protéger les Tutsis encore vivants – la fameuse Opération Turquoise, elle a été accusée d’avoir freiné la progression du FPR, d’avoir délaissé des Tutsis en danger dans l’ouest du Rwanda et de ne pas avoir arrêté certains responsables dans la zone qu’elle avait investie. Deux commissions d’enquête officielles ont été constituées en France après le génocide.
• Les États-Unis sont accusés d’avoir refusé de qualifier les massacres de génocide pendant qu’ils étaient en cours pour ne pas avoir l’obligation d’intervenir, comme la Convention sur la prévention du génocide l’exige. Le président Bill Clinton a officiellement présenté ses excuses sur le sol rwandais.
Définition du génocide
Le génocide est un crime international défini juridiquement comme l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en commettant des actes tels que le meurtre, les atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale des membres du groupe, l'imposition de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, ou le transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
L’APRÈS GÉNOCIDE ET LES INITIATIVES DE JUSTICE
La prise de contrôle par le FPR et la crise des réfugiés
Le 4 juillet 1994, le FPR prend Kigali et à la mi-juillet il contrôle l’essentiel du pays, marquant la fin du génocide. Pour éviter les représailles, 1,7 millions de Hutus fuient le Rwanda pour se réfugier dans des camps au Burundi, en Tanzanie et au Zaïre (devenu la République Démocratique du Congo), créant une crise humanitaire sans précédent et provoquant une intervention internationale massive.
Justice de masse pour crimes de masse
Après le génocide, un gouvernement d’unité nationale est d’abord instauré. Le général Paul Kagame, chef militaire du FPR, devient l’homme fort du pays et son ministre de la Défense. Un an plus tard, la coalition au pouvoir, qui comprenait plusieurs célèbres hutus démocrates rescapés des massacres, prend fin. Le FPR, de facto, dirige seul le pays. En 2000, Kagame devient président et le demeure aujourd’hui.
La justice est centrale dans la politique gouvernementale rwandaise au lendemain du génocide. Dès 1996, les tribunaux nationaux entament les procès. Ils jugeront environ 9,000 individus. Puis seront créées les tribunaux « gacaca », expérience unique au monde de justice de masse après un crime de masse. Ceux-ci visent à la fois à tenir chacun responsable de ses actes, du plus grand criminel au plus petit profiteur de guerre. Ils visent à permettre la réconciliation nationale. Un fonds de réparations aux victimes du génocide a également été mis en place.
Il n’y a pas eu de commission vérité au Rwanda et les crimes du FPR n’ont jamais été jugés par les juridictions spéciales installées dans le pays. Le travail de mémoire, en revanche, a essaimé dans tout le pays, avec de multiples musées et mémoriaux.
Si la fin des tribunaux gacaca a dans une grande mesure marqué l’épuisement du contentieux du génocide au Rwanda, il reste quelques procès pénaux en cours ou à venir à l’encontre de suspects du génocide arrêtés à l’étranger et renvoyés au Rwanda.
Justice locale et internationale
Dans l'histoire de la justice, jamais crime de masse n’aura été autant jugé que le génocide des Tutsis du Rwanda. Ni peut-être dans autant de lieux. Le Rwanda a créé plus de 12 000 tribunaux pour que personne n’échappe à sa part de responsabilité. Plus d’un million d’individus y ont été jugés. L’Onu a instauré un tribunal international spécialement pour le Rwanda et plusieurs pays ont aussi jugé des suspects arrêtés sur leur territoire.
Les tribunaux nationaux et gacaca
Au niveau national, en plus des tribunaux nationaux, un processus fortement adapté des gacaca traditionnelles (tribunaux communautaires villageois se déroulant en plein air) est mis en place pour juger les auteurs et complices d’homicides, violences et atteintes graves aux victimes, et les personnes ayant commis des infractions contre les biens.
Le tribunal international de l’Onu
Le 8 novembre 1994 est créé le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour juger les personnes accusées de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Ce tribunal de l’Onu poursuit les individus quel que soit leur statut, qu'ils soient responsables politiques, militaires ou civils. Mais sa principale mission est de juger les hauts responsables qui avaient pris l’exil et étaient inaccessibles à la justice rwandaise.
Le TPIR a jugé 75 personnes. Ses principaux procès ont visé les plus hauts responsables de l’ancienne armée rwandaise, de nombreux membres du gouvernement intérimaire ayant géré le pays entre avril et juillet 1994, les chefs du parti présidentiel MRND, de nombreux préfets et autres autorités locales, des ecclésiastiques, des journalistes, des hommes d’affaires, quelques chefs miliciens.
Le premier condamné pour génocide a été Jean-Paul Akayesu, un ancien maire, condamné à la prison à vie pour le massacre de 2000 Tutsis dans sa commune. Le second a été Jean Kambanda, ancien premier ministre, condamné à la réclusion à perpétuité après avoir plaidé coupable. Un procès des médias a eu lieu, où figuraient notamment deux dirigeants de la RTLM. Mais le jugement le plus symbolique et décisif sur le fond a sans doute été celui du colonel Théoneste Bagosora, ancien directeur de cabinet au ministère de la Défense, considéré comme le « principal suspect par défaut » du génocide au Rwanda. Une femme, Pauline Nyiramasuhuko, ancienne ministre des Affaires familiales, a été condamnée pour génocide. Et un étranger, l’Italo-belge Georges Ruggiu, ancien animateur à la RTLM, a été condamné à douze ans de prison après avoir plaidé coupable.
Le TPIR a officiellement achevé ses travaux en 2015. Il a été remplacé par le Mécanisme résiduel des tribunaux pénaux internationaux (le « Mécanisme »), qui gère les archives, les questions de détention, de remise en liberté, de protection des témoins, entre autres. C’est devant cette juridiction qu’est actuellement jugée l’affaire Kabuga.
Les procès de compétence universelle
Quand un pays juge de crimes commis sur un autre territoire, en raison de la gravité exceptionnelle des faits, on parle alors du principe de « compétence universelle ».
Selon Charity Wibabara, qui dirige l’unité chargée de la poursuite des fugitifs du génocide au sein du parquet général rwandais, « 25 poursuites ont été engagées par des pays étrangers pour le génocide des Tutsis. Six personnes ont notamment été jugées en France et neuf en Belgique ». D’autres jugements ont été prononcés aux Pays-Bas, en Norvège, en Finlande, en Allemagne, au Danemark, en Suisse, au Canada.