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POLITIQUE
Paul Rusesabagina, l’hôtelier rwandais devenu dissident, chez lui à San Antonio, au Texas, le 25 juin 2023. © CHRISTOPHER LEE/The New York Times-REDUX-REA
Paul Rusesabagina est donc redescendu dans l’arène. Quatre mois après sa libération, il est sorti de son silence en publiant une vidéo le 1er juillet, jour anniversaire de l’indépendance du Rwanda, et en accordant une interview au New York Times. Cette offensive médiatique, menée depuis son domicile texan de San Antonio, où il réside depuis 2009, a été l’occasion pour lui d’adresser une charge virulente à l’encontre du président rwandais Paul Kagame.
« Le Rwanda a un gouvernement autoritaire qui ne donne aucun droit à ces citoyens, et qui ne tolère aucune opposition », a-t-il lancé, accusant au passage la communauté internationale de passivité vis-à-vis de Kigali. Ces propos n’ont jusque-là suscité aucune réaction officielle des autorités rwandaises. Sollicité par Jeune Afrique, le gouvernement n’a pas souhaité commenter.
Libération négociée
Ces déclarations ne sont pas fondamentalement nouvelles dans le discours de Rusesabagina. Il s’agit néanmoins de sa véritable première prise de parole depuis son retour aux États-Unis en mars dernier. Paul Rusesabagina venait alors de passer plus de deux ans et demi de détention au Rwanda – 939 jours comme il l’a lui-même rappelé – après avoir été condamné en première instance et en appel à vingt-cinq ans de prison pour terrorisme.
Jugé pour son rôle au sein du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD, dont la branche armée a conduit plusieurs attaques sur le sol rwandais en 2018), il avait boycotté la majeure partie de son procès. « Je n’y ai pas participé parce que les conclusions étaient connues d’avance », justifie-t-il aujourd’hui dans son allocution vidéo, assurant avoir été torturé en prison.
Après des mois de tractations, sa peine avait finalement été commuée le 24 mars, permettant ainsi une libération anticipée. Le fruit d’âpres négociations, en coulisses, entre Kigali et Washington, avec l’implication en fin de procédure du Qatar, pays ami du Rwanda.
Un dossier délicat entre Kigali et Washington
Rusesabagina avait été arrêté à l’aéroport de Kigali en août 2020 après avoir été piégé par un pasteur burundais en contact avec les autorités rwandaises – des circonstances qui avait suscité une vive polémique. Devenu résidant permanent américain après un exil de quelques années en Belgique, pays dont il possède la nationalité, il a rapidement été le sujet d’une attention médiatique et diplomatique toute particulière. Son affaire avait fini par devenir l’un des dossiers les plus délicats des dernières années entre les États-Unis et le Rwanda.
Selon le New York Times, les discussions entourant sa libération avaient notamment été conduites à la Maison Blanche par le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan, tandis que Paul Kagame disposait lui aussi de ses propres émissaires sur le dossier. Après des débuts timides, les négociations se sont intensifiées au cours de l’année 2022. De passage à Kigali en août de cette année, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, avait mis le sujet sur la table, faisant part de ses inquiétudes concernant « le manque de garanties de procès équitable » pour l’ancien manager d’hôtel.
Il avait été rapidement repris par son homologue rwandais, Vincent Biruta, qui s’était efforcé de rappeler que l’intéressé avait été « condamné pour des crimes graves commis contre des citoyens rwandais ».
Lettre à Kagame
Les premiers signes d’ouverture ne sont intervenus que plusieurs mois plus tard. Le 14 octobre 2022, Rusesabagina a adressé une lettre à Paul Kagame dans laquelle il s’engageait à ne plus commenter les affaires politiques du Rwanda. « Si je suis gracié et libéré, je comprends parfaitement que je passerai le reste de mes jours aux États-Unis à réfléchir tranquillement, promettait-il. Je peux vous assurer par ce courrier que je n’ai aucune ambition personnelle ou politique. Je laisserai les questions relatives à la situation politique rwandaise derrière moi. »
Selon une source diplomatique américaine, l’intéressé avait à l’époque surtout fait preuve de « pragmatisme ». Tout au long des discussions, Kigali et Washington ont tenté de garder la main sur le tempo des négociations. « La relation bilatérale étroite entre le Rwanda et le Qatar a joué un rôle-clé », avait assuré la présidence rwandaise après la libération de Rusesabagina. Une façon de réfuter l’idée que Kigali aurait cédé à une forme de pression diplomatique, tout en soulignant que cette libération anticipée procédait d’un « désir partagé d’améliorer la relation entre le Rwanda et les États-Unis ».
En reprenant la parole publiquement, Rusesabagina rompt donc le silence qu’il disait être prêt à observer au moment où sa libération était en train d’être discutée. Un moyen pour lui de revenir sur le devant de la scène ? Immortalisé en 2004 par Hollywood dans le film « Hôtel Rwanda », qui retrace l’histoire – controversée – du rôle qu’il aurait joué dans la protection des Tutsi venus se réfugier dans l’hôtel des Mille Collines, qu’il dirigeait pendant le génocide, Rusesabagina est par la suite devenu un virulent opposant au chef de l’État rwandais.
Nébuleuse politico-militaire
Gravitant depuis le milieu des années 2000 au sein de la nébuleuse des mouvements d’opposition politico-militaire en exil, l’ancien directeur d’hôtel va multiplier les tentatives de convergence des luttes jusqu’à la fondation, en 2017, du MRCD. La branche militaire de cette plateforme, les Forces de libération nationale (FLN), va conduire plusieurs attaques sur le sol rwandais en 2018, occasionnant la mort de plusieurs civils.
Récemment invité à participer à une réunion d’organisation de l’opposition et de la société civile rwandaise, l’ancien directeur d’hôtel a décliné. Censée se tenir le 3 juillet à Kinshasa, cette rencontre a été reportée sine die. Pilotée en coulisses par l’ancien ambassadeur du Rwanda aux Nations unies, l’opposant Eugène-Richard Gasana, qui a rencontré le président congolais Félix Tshisekedi, elle suscitait aussi les craintes de nombre de diplomates qui redoutent une nouvelle escalade entre la RDC et le Rwanda.