De toutes les personnes poursuivies pour leur rôle présumé dans le génocide rwandais, Félicien Kabuga est certainement l’un des plus chanceux. En effet, le tribunal des Nations unies, situé à La Haye, aux Pays-Bas, a décidé de ne plus organiser le procès de ce génocidaire présumé parce qu’inapte, selon lui, à être jugé. Argument mis en avant : son état de santé.
Le distributeur de machettes aux miliciens et le chef d’orchestre de la tristement célèbre Radio télévision libre des Mille Collines n’aura pas l’occasion de raconter à la face du monde et devant les survivants du génocide les séquences du film d’horreur dont il aura été l’un des sinistres metteurs en scène.
Il faut ajouter à cela le fait que l’octogénaire a été épargné d’un retour forcé sur les terres rwandaises maculées du sang des 800 000 victimes de 1994 et où, certainement, le pouvoir de Paul Kagame lui aurait fait goûter pour le restant de ses jours les prémices de l’enfer qui pourrait l’attendre dans l’au-delà.
Au total, avec la décision du tribunal onusien de lui épargner un procès, Félicien Kabuga s’en tire à bon compte [Félicien Kabuga, financier présumé du génocide rwandais, qui était en cavale depuis vingt-cinq ans, avait été arrêté en France en 2020].
La non-tenue du procès Kabuga constitue une grande déception pour les familles des victimes. Et il doit s’estimer heureux contrairement aux 62 autres génocidaires, [parmi lesquels] Augustin Bizimana [Augustin Bizimana, ex-ministre de la Défense, avait été inculpé en 1998 par le TPIR pour 13 chefs d’accusation, dont génocide, extermination, meurtre et autres actes inhumains] et Protais Mpiranya [ancien commandant de la Garde présidentielle rwandaise], jugés et condamnés [par contumace, ils sont morts en cavale, respectivement en 2000 et 2006] par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux [ou IRMCT, le “Mécanisme”], chargé d’achever les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) [et pour le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie, TPIY].
Fermer une page tragique
Et contrairement à Fulgence Kayishema [ancien inspecteur de police judiciaire, accusé d’avoir planifié et exécuté le massacre de plus de 2 000 réfugiés à l’église de Nyange, dans le nord du Rwanda], un des quatre derniers fugitifs recherchés pour leur rôle dans le génocide, [et] qui a été arrêté en mai en Afrique du Sud en attendant d’être extradé au Rwanda pour être jugé.
On peut le deviner, la non-tenue du procès Kabuga constitue une grande déception pour les familles des victimes du génocide et l’ensemble de ceux qui ont traqué Kabuga pendant vingt-cinq ans pour finalement le débusquer en France et le conduire devant les tribunaux. À l’ouverture du procès, le 29 septembre 2022, les Rwandais, particulièrement, étaient impatients d’entendre la version de cette grosse légume du régime de Juvénal Habyarimana [président de la République rwandaise de 1973 à son décès dans un attentat, en 1994], pour continuer de faire leur deuil.
Aujourd’hui, à leur corps défendant, des juges se voient contraints de refermer une page de la tragédie de 1994. Mais tout n’est pas pour autant perdu pour les victimes. D’abord, parce que le monde et la jeune génération de Rwandais ont eu l’occasion de découvrir l’un des visages hideux qui ont orchestré le génocide, et ensuite parce que la justice immanente va se charger de rendre justice aux victimes.