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L'homme qu'auditionnait hier la Mission d'information sur le Rwanda est un vieux routard de la politique rwandaise. C'est aussi un exilé, blessé par «la guerre» qui, dit-il, continue au Rwanda. Ex-directeur de la société paraétatique de transport jusqu'en 1989, donc haut fonctionnaire du régime Habyarimana, Faustin Twagiramungu passe dans l'opposition avec la démocratisation. Il en présidera le principal parti, le Mouvement démocratique républicain (MDR), qui deviendra, après le génocide et la victoire de la rébellion armée du Front patriotique rwandais (FPR), le principal partenaire de la coalition gouvernementale, en juillet 1994. Il en sera le Premier ministre jusqu'à sa démission, en août 1995. Ce parcours en zigzag, il le justifie par sa foi en une paix négociée.
Twagiramungu est un hutu modéré, un rescapé, comme il dit, qui n'a dû la vie sauve après l'attentat contre l'avion du président rwandais, le 6 avril 1994, qu'aux Casques bleus de l'ONU. Il est marginalisé dans son parti pour être allé négocier au Burundi avec le FPR, alors rébellion armée, menacé par les extrémistes de son propre camp. Comme il sera marginalisé dans la coalition gouvernementale dont le FPR, vainqueur, détient les véritables postes de commande. Il raconte même aux députés que lui, le Premier ministre, s'est fait agresser physiquement par un militaire parce qu'il n'avait pas signé un ordre de mission à temps. Son témoignage est traversé par l'amertume de cette époque-là.
Il répugne visiblement à parler de génocide et préfère le terme de guerre. Une guerre menée par le Front patriotique rwandais, soutenu par l'Ouganda «en guise de récompense des services rendus à Museveni par les rwandophones qui l'ont aidé à prendre le pouvoir». Avec pour objectif, dit-il, «le démantèlement de l'Etat rwandais et la conquête d'un pouvoir sans partage par tous les moyens». La pression de la France, selon Faustin Twagiramungu, a permis d'amorcer de véritables négociations de paix. Mais il n'y avait, selon lui, pas d'amitié personnelle entre Mitterrand et le président Habyarimana. «On s'empresse de désigner les fournisseurs d'armes du gouvernement rwandais de l'époque», dont la France, mais personne, en revanche, dit-il, ne veut évoquer le rôle de l'armée ougandaise ou même s'interroger sur les fournisseurs d'armes au FPR. Pour lui, la marginalisation du président rwandais, débordé par les extrémistes, «l'incompétence» du représentant spécial de l'ONU, le Camerounais Jacques-Roger Booh-Booh, les assassinats de personnalités politiques et les préparatifs de guerre du FPR suffisent largement à expliquer la mort de près d'un million de Rwandais, Hutus modérés et surtout Tutsis. Lui qui avait critiqué l'opération Turquoise trouve aujourd'hui qu'elle est jugée «favorablement» par les Rwandais. Seul bémol, après l'attentat contre l'avion du président rwandais, piloté par des civils français payés par la coopération française : «Paris aurait dû engager une enquête, ne serait-ce que pour éclaircir la mort de ses ressortissants.» Il précise qu'il avait soulevé la question de l'enquête quand il était Premier ministre et que le vice-président Kagame avait jugé que ce n'était pas une priorité.
On en revient toujours à la culpabilité du FPR. De fait, son témoignage a pour objectif de dire aux députés que Kigali «continue à tuer des populations innocentes dans le nord-ouest et le centre du Rwanda, sous prétexte de combattre les infiltrés» hutus. C'est à cause de ces crimes qu'il a démissionné en 1995, dénonçant «un second génocide perpétré par le FPR». C'est à cause des massacres de réfugiés rwandais hutus dans l'est de l'ex-Zaïre qu'il demande aujourd'hui à la communauté internationale une enquête et qu'un recensement soit fait pour que le monde sache «combien de Tutsis et de Hutus sont morts, pourquoi et comment».