Fiche du document numéro 32467

Num
32467
Date
Jeudi 14 novembre 1996
Amj
Auteur
Fichier
Taille
17294
Pages
3
Urlorg
Titre
Contre une intervention au Kivu
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
UNE intervention militaire au Kivu ne résoudrait en rien le problème central : la déstabilisation de la région par les milices hutues responsables du génocide au Rwanda. Les conséquences politiques d'une telle action internationale anéantiraient largement les bénéfices humanitaires escomptés.

Au prix de 1 million de dollars par jour, l'aide humanitaire a fixé durablement les réfugiés rwandais au Kivu. Depuis deux ans, à de rares exceptions près, les organisations caritatives ont préféré jeter un voile de silence pudique sur les conséquences de leur action. Alors qu'aucun recensement n'a été autorisé par les milices hutues le nombre de réfugiés étant largement surestimé, celles-ci se sont chargées de la distribution de l'aide internationale aux réfugiés.

Ces derniers se voyaient taxés sur tous leurs revenus notamment les salaires versés par les organisations humanitaires pour entretenir l'effort de guerre contre le Rwanda. Cette manne financière ainsi que le poids du nombre ont permis aux milices de s'attaquer aux Tutsis zaïrois et à d'autres ethnies locales, rompant les fragiles équilibres de la région et faisant des dizaines de milliers de victimes sans susciter la moindre réaction internationale.

Comment dès lors s'étonner que, devant la perspective d'être anéantis ou de devenir eux-mêmes réfugiés, certains groupes ethniques ou politiques aient pris les devants en passant à l'offensive ? Qu'ils bénéficient du soutien du Rwanda ou du Burundi, eux-mêmes déstabilisés par cette menace, n'y change pas grand chose. L'intangibilité des frontières pèse peu face à l'impératif de survie.

Il n'y aura pas d'ébauche de solution au Kivu aussi longtemps que les réfugiés ne retourneront pas au Rwanda, et ils ne le feront que s'ils y sont contraints par la force ou par la faim. On imagine mal une force internationale les obliger à rentrer par la force ou séparer les miliciens du reste de la population réfugiée. La proposition française reste d'ailleurs muette sur ce point fondamental. Une opération militaire aurait comme conséquence de rétablir des camps de réfugiés et recréerait une situation meurtrière, injuste et instable.

Si, au contraire, un large effort humanitaire civil était déployé du côté rwandais de la frontière, un grand nombre de réfugiés pourraient rentrer chez eux. Dans le désordre actuel, ils ont la possibilité de se soustraire aux autorités de l'ancien régime qui, autant que la peur du nouveau, les empêchent de rentrer au Rwanda. Certes, dans cette hypothèse, le futur est sombre pour les milliers voire les dizaines de milliers de meurtriers qui se cachent parmi les réfugiés. Mais qui s'en plaindra ? Rappelons que le génocide a fait entre cinq cent mille et un million de victimes.

Après les avoir utilisés comme une carte politique pour obtenir sa réhabilitation internationale, le Zaïre s'aperçoit qu'il a tout à perdre au maintien des réfugiés sur son territoire et réclame leur retour au Rwanda. Ce dernier se dit disposé à les reprendre. Il faut le prendre au mot, déployer un effort humanitaire massif du côté rwandais avec des centaines d'expatriés et d'observateurs non armés pour contrôler la sécurité des réfugiés... et le faire savoir. S'il y a eu des règlements de comptes, l'immense majorité de ceux qui sont déjà rentrés n'ont pas été persécutés.

Dans d'autres circonstances, d'autres réfugiés n'ont pas eu le choix : ainsi les camps de Cambodgiens en Thaïlande ont été vidés contre la volonté de nombre de réfugiés. A l'époque, il ne s'est trouvé personne pour s'en émouvoir. Parfois, une solution politique douloureuse est préférable à une politique de compassion qui aggrave la donne politique et sème les germes de nouveaux drames humains.

Mais peut-être s'agit-il d'autre chose ? Sous couvert de bons sentiments, de faire pression sur Kigali en permettant aux auteurs du génocide de continuer leur sinistre besogne ? Ou, plus simplement, d'utiliser l'alibi humanitaire pour reprendre le contrôle du Kivu pour le compte de Kinshasa ? Dans le cas de la France, ces questions ne peuvent être balayées d'un simple revers de la main et on aimerait que Jacques Chirac se démarque aussi nettement sur le Rwanda que sur la Bosnie de la politique suivie par son prédécesseur.

C'est au Zaïre de rétablir son autorité sur le Kivu, non à une armada humanitaire. Dans ce but, encore faudrait-il que Kinshasa commence par donner aux Zaïrois d'origine rwandaise établis depuis plus d'un siècle sur son territoire des droits politiques égaux à ceux des autres citoyens.

La communauté internationale n'a pas bougé le petit doigt au printemps 1994 lorsque les Tutsis et les opposants hutus étaient massacrés par centaines de milliers et qu'une opération militaire s'imposait. Aujourd'hui, une intervention est en préparation alors que d'autres options sont possibles et préférables. Recréer des camps, sous prétexte d'assister les réfugiés, serait une grave erreur. La crise actuelle offre une opportunité de ne pas reproduire celles des deux dernières années. Encore faut-il commencer par les reconnaître.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024