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La détérioration de la situation à l'est du Zaïre, le conflit qui s'exaspère (on pourra sans doute parler de guerre du Kivu...), le drame que connaissent des centaines de milliers de réfugiés ne devraient étonner personne, du moins pas ceux qui suivent l'évolution politique de cette région des Grands Lacs et se souviennent de la tragédie rwandaise de 1994. De quoi est-il question ? La presse parle de guerre civile, de cycle infernal, à nouveau de violence ethnique, de « fatalité sanglante » pour reprendre le titre de l'éditorial du Monde du 29 octobre.
Ainsi établi, le constat est pour le moins inexact et pervers. Ce qui se passe au Zaïre, près des frontières du Burundi et surtout du Rwanda, apparaît comme étant la suite inéluctable de la tragédie d'il y a deux ans. L'installation de centaines de milliers de « réfugiés » hutus dans les provinces zaïroises du Kivu contenait en germe les pires dangers ; qui plus est dans un pays complice des assassins de 1994 et où règne l'anarchie, où l'armée n'a plus depuis longtemps qu'une seule raison d'être : perpétrer sans contrôle pillages, violences, crimes.
En effet, ces « réfugiés » sont souvent des tueurs, des organisateurs et des exécutants du génocide, au mieux d'anciens spectateurs enthousiastes de la « liquidation » en 1994 des Tutsis et des Hutus modérés, auxquels il faut ajouter des milliers et des milliers d'hommes et de femmes innocents, pris en otage, empêchés de revenir au pays.
N'oublions pas que de nombreux éléments de l'ancienne armée rwandaise, que la plupart des miliciens de sinistre mémoire, s'étaient installés au Zaïre avec armes et bagages, que les camps étaient sous la coupe des organisateurs du génocide, que l'entraînement militaire se poursuivait en vue de la reconquête du Rwanda, que des coups de main, des opérations se multipliaient sur le territoire rwandais.
Les médias évoquent la responsabilité de Kigali, le passage de la frontière par des troupes rwandaises. Quand bien même l'engagement du Rwanda serait avéré, pouvait-il en être autrement : le gouvernement de Kigali, en butte à la réorganisation d'un pays ruiné et détruit, pouvait-il tolérer plus longtemps que les coupables de 1994 se préparent en toute impunité à l'assaut prochain, à la reconquête programmée ? Essayons d'imaginer un instant qu'Hitler et ses sbires accompagnés des meilleures divisions SS se soient réfugiés, en Suisse par exemple, au mois d'avril 1945, avec la protection de la nation helvète et l'appui d'un autre pays européen...
Le Monde pose la question du rôle possible de la communauté internationale. Question pertinente, mais qui en même temps fait sourire, quand on se souvient de l'attitude de l'ONU, de l'Europe, plus particulièrement de la France et de la Belgique voici deux ans. Une intervention militaire aujourd'hui serait grotesque et inutile. Il est trop tard et il faut le regretter. Regretter que François Mitterrand ait soutenu excessivement Habyarimana dès le début des années 80, qu'il ait en 1990 joué la carte des extrémistes hutus, fournissant des troupes sur le terrain et des armes perfectionnées. Regretter aussi la fuite déshonorante d'avril 1994, alors que les militaires envoyés pour évacuer les ressortissants français et récupérer quelques dossiers compromettants avaient les moyens, non pas d'empêcher le génocide, mais d'en atténuer notablement l'extension et les effets.
Regretter encore que l'opération « Turquoise », au cours de l'été 1994, ait surtout permis aux coupables du génocide de se réfugier au Zaïre avec l'accord acheté du funeste Mobutu ; au Zaïre où de singuliers envois d'armes et d'argent ont été effectués. Regretter enfin que de nombreux assassins, religieux ou autres, soient protégés et circulent librement en France, que la France, si présente au Rwanda jusqu'en 1994, et donc si responsable, si active dans tous les trafics et compromissions, n'ait pas, depuis deux ans, mis en place une assistance active pour la rénovation de la justice rwandaise, n'ait pas tenté avec la Belgique ou l'Union européenne d'œuvrer pour que les coupables soient arrêtés et jugés, pour que les camps du Zaïre ne constituent plus une menace potentielle.
Il ne reste plus qu'à espérer, selon la formule consacrée, que les organisations humanitaires feront leur office. On pourrait peut-être demander à Vincent Bolloré, qui vient de régénérer le groupe Rivaud et qui connaît bien l'Afrique, de mener une mission d'expertise...